Singulier et pluriel
1Le sujet de ce texte est le rapport de l’humiliation avec les souverainetés. Nous sommes habitués à parler de souveraineté au singulier, comme concept issu de la philosophie politique, et ne parlons pas des souverainetés. C’est entre le singulier et le pluriel, néanmoins, que la question des formes nouvelles du malaise actuel se dessine, où l’humiliation s’impose.
2La souveraineté renvoie au discours sur le pouvoir de l’État. Elle renvoie également au concept de peuple formulé par la modernité occidentale. Cette modernité a impliqué la mort de Dieu. La condition de possibilité de celle-ci fut la constitution d’un autre fondement que Dieu pour l’État, s’appuyant désormais sur la souveraineté populaire. Un déplacement crucial s’est donc effectué ici, entre les pôles constitutifs de l’autorité, de la figure de Dieu vers celle du peuple. Cela étant, le pouvoir a changé son point de repère, mais a continué à s’ordonner autour d’un centre. L’État représentait dès lors le lieu d’exercice de celle-ci, concentrant ainsi la souveraineté qui lui avait été attribuée par le peuple, comme pouvoir constituant.
3Néanmoins, lorsque l’on énonce aujourd’hui la problématique des souverainetés, c’est la centralité du pouvoir qui est en jeu. Il n’existerait plus un centre unique, mais le pouvoir serait caractérisé par la multiplicité. C’est la question primordiale.
4Que signifie fondamentalement que le pouvoir ait été décentré ? Cela revient à poser, tout d’abord, que le pouvoir n’est plus restreint à l’État-nation. Il s’est disséminé dans la société civile. On énonce donc de la sorte, une hétérotopie du pouvoir. Celle-ci implique une autre lecture de la démocratie, dans la mesure où elle met davantage en relief le pouvoir des mouvements sociaux, et qu’elle relativise à présent le poids attribué à la représentation politique. Tout cela est articulé à ce que l’on appelle « dépolitisation » de la société contemporaine, surtout dans les pays du premier monde, où le vote obligatoire n’est pas en vigueur, et où le niveau de participation aux élections décroît encore à chaque suffrage. Par contre, la politisation a visiblement lieu actuellement dans le registre de la société civile, où les mouvements sociaux sont investis de pouvoir par les diverses communautés qui les soutiennent. En effet, depuis le mouvement féministe jusqu’à celui des gays, en passant par les mouvements d’action affirmative et des multiculturalismes, nous assistons à une politisation croissante de la société civile.
Global et régional
5Par conséquent, la problématique des souverainetés évoque cet ensemble de remaniements. Cependant, le problème en question indique encore l’existence d’autres transformations. Ainsi, le remaniement actuel de la souveraineté atteint-il d’une manière particulière le statut de souveraineté de l’État-nation. Le mouvement de mondialisation provoque une relativisation de la souveraineté dans les États-nations. Ceux-ci sont à présent réglés, par les flux des capitaux, qui stabilisent et déstabilisent les gouvernements en fonction de leurs intérêts. Les frontières entre les États sont donc devenues poreuses. Les décisions de l’État sont marquées par l’incidence des intérêts économiques internationaux, qui s’approprient ainsi une partie significative de la souveraineté détenue auparavant par l’État-nation. Cherchant à garder leur souveraineté, les États-nations se sont mis à constituer des relations en réseaux, qui peuvent se limiter au registre économique, ou bien s’élever à des niveaux plus osés d’association, vers une unification politique.
6L’unification économique est un processus bien plus simple que la politique, dans la mesure où elle trouve moins de résistance de la part de chacun des États-nations. Cela est dû au fait que l’unification régionale de leurs marchés rendrait possible une plus grande protection de chaque marché face au marché global, de sorte à mieux préserver la souveraineté des États-nations. C’est pourquoi le projet actuel de l’Union européenne est un défi fondamental, car la souveraineté politique de chaque État qui en fait partie va être remise en question. Or, même la constitution des marchés régionaux est problématique, car les divers pays qui s’y regroupent ont des densités économiques différentes, ce qui fait que les nations les plus puissantes peuvent imposer leurs intérêts aux dépens des pays les plus faibles.
Universalisme, cosmopolitisme, internationalisme
7Si la mondialisation économique est inévitable, cela ne veut pas dire que l’on ne doive pas établir ici des limites acceptables. Il s’agit donc de formuler des limites, afin de pouvoir régler avec justice son développement, en imposant des obstacles sûrs à la domination des nations les plus riches sur les plus pauvres. C’est là que vient s’inscrire la dimension politique de cette question. Aussi, les divers mouvements antimondialisation ne soutiennent pas l’opposition systématique à la mondialisation, mais demandent l’élaboration d’un ensemble de lois, aptes à la réglementer. C’est en ce point que se trouve le cœur de la discussion, car si les pays puissants désirent tous la mondialisation économique, cela se fait aussi par le maintien de politiques protectionnistes, qui défavorisent les pays émergents. Les États-Unis pratiquent cela de façon abusive, de même que l’Union européenne, en ce qui concerne le protectionnisme de ses produits agricoles. Les pays d’Amérique latine, ainsi que les pays d’Afrique, sont défavorisés par de telles politiques, qui avancent dans la direction opposée à la mondialisation. Dans un tel contexte, l’Organisation mondiale du commerce n’agit pas toujours correctement ; elle finit par céder aux pressions des grandes nations. Les pratiques protectionnistes indiquent la résistance de celles-ci car cela affecterait leur souveraineté. C’est de là que vient le paradoxe présent dans la mondialisation en tant que telle, où les pôles politique et économique de la mise en place s’opposent.
8L’importance de ce sujet est cruciale pour des raisons non seulement économiques, mais aussi politiques. La tradition de la gauche, depuis le xixe siècle, a toujours été internationaliste et donc critique des politiques nationalistes.
9Ainsi la mondialisation indique une tendance universaliste, mais qui doit être reconnue dans ses présuppositions car elle nous projette dans une perspective internationaliste et antinationaliste. C’est de la souveraineté de l’État-nation qu’il s’agit. Ce n’est pas par hasard si les États-Unis placés au centre du nouvel empire s’opposent à l’universalisme et à l’internationalisme exigés par la mondialisation. Les États-Unis représentent aujourd’hui le plus grand obstacle à l’universalisme et à l’internationalisme dans les relations internationales. Il en découle que les États-Unis représentent aujourd’hui, un État d’exception sur la scène internationale. Cela confirme l’affirmation évidente de la souveraineté nord-américaine, qui n’en accepte pas la relativisation au sein du nouveau contexte international. En d’autres termes, les États-Unis représentent aujourd’hui la condition d’un rogue State (Derrida, 2002).
10Tout cela nous montre que la défense des principes de l’internationalisme, comme contrepoint de certains présupposés de la mondialisation, implique aussi bien la critique de l’idéologie politique du nationalisme que le fait de mettre en relief ce qui s’oppose systématiquement à cela, à savoir, le cosmopolitisme. En effet, ce qui est déjà énoncé comme positif dans l’actualité, dans les critiques à la mondialisation et au nationalisme, c’est le discours du cosmopolitisme, qui les unifie tous dans des mouvements transnationaux. Dans une telle perspective, ce n’est pas uniquement le féminisme qui est un mouvement cosmopolite unifiant les femmes de différentes traditions, le mouvement gay suit le même chemin. De même, les discours centrés sur la reconnaissance des singularités ethniques assument aujourd’hui une dimension cosmopolite évidente. Ce cosmopolitisme est la contrepartie de la mondialisation, qui lance tous les citoyens de la planète dans une seule et même situation. Effectivement, la multitude (catégorie empruntée à Spinoza par Negri et Hardt, 2004) présente une dimension avant toute chose cosmopolite, relançant sur d’autres bases l’universalisme et l’internationalisme, et élaborant de la sorte les nouvelles conditions du pouvoir constituant.
Souveraineté et subjectivité
11Le registre de la subjectivité a été transformé par l’ensemble de ce processus. Les nouvelles formes de subjectivation, qui sont thématisées par les divers savoirs concernant le psychisme, sont un effet de cette transformation en cours. La psychiatrie suppose avoir finalement trouvé, dans le discours des neuro- sciences, un schéma théorique offrant les meilleures possibilités de régulation du malaise contemporain. Par contre, la psychanalyse connaît de nos jours un déclin manifeste. Il me semble toutefois impossible d’interpréter correctement les nouvelles formes de malaise si l’on se limite à la psychanalyse et à la psychiatrie biologique. Les modifications radicales en cours produisent, en effet, un changement anthropologique essentiel dans l’être de la subjectivité, qu’on doit reconnaître, pour que nous puissions mieux comprendre le prestige dont jouit aujourd’hui la psychiatrie biologique.
12Aussi la perte de repères dans le champ de la souveraineté a fini par provoquer la perte du support sur lequel l’ordination de la subjectivité se réalisait, de sorte que les individus se sont alors retrouvés dans une condition d’humiliation significative. Les formes de malaise dominantes de nos jours ont dans celle-ci une marque fondamentale, qui révèle une diminution corrélative des processus de symbolisation. Il ne faudrait toutefois pas confondre détresse et humiliation, dans la mesure où elles relèvent de processus psychiques distincts. En effet, si dans la détresse la subjectivité peut encore se référer à un pôle de pouvoir et d’altérité qui la structure en tant que telle, dans le cas de l’humiliation c’est précisément le pôle qui est absent. Nous pouvons par conséquent poser que dans la modernité, la subjectivité pouvait compter sur un pôle de pouvoir et d’altérité qui la constituait, tandis que dans la postmodernité, c’est justement le pôle qui fait défaut. Cela implique que la souveraineté, occupant une place centrale dans l’imaginaire de la modernité, offrait un seul pôle de pouvoir. Toutefois, avec la multiplication des pôles de pouvoir, la subjectivité ne sait plus sur quoi s’appuyer pour se structurer, provoquant alors une perte de repères dans ses relations avec l’autre. Le malaise qui existe aujourd’hui indique des failles dans le domaine du rapport à l’autre. Le pôle souverain du pouvoir dans la modernité trouvait en la figure du père son support pour la structuration de la subjectivité. Or, dans la postmodernité, son effondrement en tant qu’instance pour la constitution du psychisme devient évident (Birman, 2003). Le déclin de la figure du père est la contrepartie de la déconstruction de la souveraineté. Cela implique la transformation concomitante de l’ordre familial, où le père n’occupe plus une place dominante. Les genres sexuels vont désormais établir entre eux des relations plus égalitaires, en un processus qui a tendance à rompre avec la hiérarchie et l’asymétrie entre les figures de l’homme et de la femme.
13Les failles dans les processus d’altérité qui marquent le malaise dans la période contemporaine proviennent de cette rupture de la souveraineté. Voilà l’axe, politique et symbolique, qui peut nous orienter dans notre lecture des nouvelles formes de subjectivité. Toutes les modalités de malaise introduisent une même problématique de base, à savoir : comment est-il possible à l’individualité de se construire psychiquement sans la référence à un pôle unique et central de pouvoir ? Je propose une méthode pour l’interprétation des nouvelles formes de subjectivité, suivant laquelle l’autre en serait constitutif. Il s’agit d’une hypothèse freudienne, dans la mesure où Freud a placé l’autre dans la position fondamentale de catalyseur de la production de la subjectivité (1981). Dans la perspective psychanalytique, il n’existerait aucune différence entre la psychologie individuelle et la psychologie collective justement parce que l’autre serait toujours présent sur la scène psychique, en même temps comme allié ou comme opposant, ami ou ennemi. C’est par la présence de l’autre à l’horizon psychique que le discours freudien a pu interpréter la psychologie des foules et développer un discours sur le politique.
14Ainsi, c’est la figure du souverain qui aurait le don de transformer une foule dispersée en une unité, par les insignes du pouvoir qu’il présente. Chaque individu faisant partie de la foule veut participer à quelque chose de plus grand que lui afin de pouvoir être reconnu par les autres participants de cette foule. Ce serait par conséquent une demande d’amour et de reconnaissance qui mènerait à l’agglutination des individus. Ce processus produirait l’identification réciproque de ces individus, soutenus par la valeur emblématique assumée à leurs yeux, de la figure du souverain. La séduction et la fascination exercées par celui-ci sont les conditions de possibilité de l’unité de la foule. Or, cette unité peut se rompre à tout moment, si la foule cesse d’être fascinée par le souverain. Dans un tel cas, les identifications tissées entre les individus se brisent, et produisent alors la débandade de la foule. Avant tout cela, la panique s’empare de la foule et c’est le signe privilégié qui annonce que les individus ne croient plus au pouvoir du souverain. Bref, ce serait l’angoisse du réel qui viendrait dévoiler la rupture des liens sociaux et de la croyance à l’égard du souverain. C’est là un moment crucial pour la subjectivité : confrontée à sa détresse originelle, elle pourrait établir d’autres modalités de liens sociaux qui ne passeraient plus par la hiérarchie. En effet, dans le schéma esquissé par Freud, les relations horizontales entre les individus passent nécessairement par la relation verticale avec le souverain. Ce serait alors la perte de cette relation qui provoquerait l’angoisse du réel et la panique des individus. Le moment indique une impasse fondamentale pour les individus. Ils peuvent alors, en effet, partir à la recherche d’un autre souverain pour apaiser leur panique, car ils ne supportent pas leur expérience de détresse, et s’installer alors dans l’humiliation. Ou bien, ils peuvent construire des liens horizontaux et tisser de nouvelles modalités d’altérité. Si par la première de ces alternatives, la subjectivité devient anonyme et homogène, donc indifférenciée, par la seconde, elle pourrait alors se singulariser, tout autant face au souverain que face aux autres participants de la foule. Pour cela, l’individu devra alors assumer la radicalité de sa condition de détresse et sa singularité.
15Le maintien de la centralité de la souveraineté a permis à la foule d’avoir une illusion par rapport à la puissance du souverain, même si son pouvoir était en fait fondé sur la souveraineté populaire et était donc purement virtuel. Les totalitarismes du siècle dernier énoncent des constructions extrêmes d’individus et de collectivités désireuses de trouver une figure autoritaire de souverain, pour ne pas devoir effectivement affronter leur détresse. La massification des individus constitue l’envers de cela. Aujourd’hui, avec la défaite de la centralité de la souveraineté, un vide s’est produit, résultant de ce que les subjectivités devraient à présent tisser des liens sociaux horizontaux, qui exigent une vraie confrontation avec leur détresse. Face à cette difficulté, elles ont commencé soit à hiérarchiser le champ des relations horizontales en mettant à la place du souverain ce qui ne l’était pas, toujours à la recherche de protection, soit à vivre dans la panique face à l’absence de référence souveraine – en produisant l’humiliation.
16Tout cela nous montre que l’autre, comme pôle constitutif de la subjectivité se rapporte au pouvoir en tant que tel, non restreint au registre du langage et du rapport spéculaire. C’est précisément pour parler de cela que je propose la présente interprétation, afin de me rapprocher de ce qui existe d’inédit dans les modalités contemporaines du malaise. Avant d’approfondir cette hypothèse interprétative, je vais présenter quelques-uns des traits les plus évidents qui caractérisent le malaise contemporain.
Cartographie du malaise
17Pour tracer les lignes qui cernent les nouvelles formes de subjectivité, je décrirai les caractéristiques principales du malaise (Freud, 1930), tel qu’il se présente dans les discours psychiatrique et psychanalytique. Ce sont les catégories anthropologiques qui les fondent que je veux souligner. J’ai aussi l’intention de faire une lecture métapsychologique du malaise, afin d’indiquer les impasses présentes dans les nouvelles formes de subjectivité. Ainsi le malaise actuel apparaît dans les registres du corps, de l’action et du sentiment. Ce seraient là les catégories anthropologiques qui fondent les descriptions de la subjectivité contemporaine. La présence ostensible de ces catégories démontre néanmoins l’effacement de certaines autres. Ainsi l’absence de la catégorie de pensée dans les descriptions faites des nouvelles formes de subjectivité. C’est de là que proviennent la fragilité des processus de symbolisation et l’appauvrissement du langage des individus. En outre, la prégnance assumée par la catégorie d’espace au détriment de celle de temps dans les processus psychiques est la contrepartie du même processus.
Corps
18Le malaise apparaît d’abord dans le corps. Celui-ci est toujours au premier plan des récits psychopathologiques et psychanalytiques. Des douleurs diffuses et non spécifiques, en passant par la tachycardie et la dyspnée, la subjectivité est toujours à bout de souffle, le corps peut s’effondrer. Le risque est toujours imminent pour ces individus qui vivent intensément la fragilité d’exister dans le registre corporel, polarisés entre la vie et la mort. Du syndrome de fatigue chronique jusqu’à celui de panique, les descriptions sur le corps sont nombreuses. C’est invariablement la vie qui est en péril, et le corps qui en est la cause. La tension apparaît pour expliquer ces troubles du somatique, de sorte que le stress est devenu la cause majeure du malaise. Le corps en question, toutefois, ne s’exprime pas de façon symbolique. C’est pourquoi il ne s’agit pas d’un corps parlant comme dans l’hystérie, mais d’un corps qui est réduit à être le lieu de la décharge des excitations (Birman, 1980). On n’y décerne pas facilement une scène fantasmatique qui puisse être la condition de possibilité de telles manifestations. C’est en tant que résultat de la dissémination de ces formes corporelles de malaise que la psychosomatique s’est transformée en un nouveau discours théorique.
19C’est en fonction de cela que nous serions devenus la cible de pratiques apparemment opposées, mais qui reconnaissent toutes l’importance du corps. Je me réfère aussi bien à la médicalisation massive qu’au naturalisme qui nous enveloppent. Ainsi nous consommons presque tous les suppléments en vitamines, anti-oxydants et autres produits pharmaceutiques. Et cela dans le but d’être toujours en bonne santé et de prolonger notre vie. Dans le même temps, nous suivons un régime alimentaire pour que notre équilibre sain soit en outre producteur de beauté. Sans parler de la marche à pied et des exercices physiques quotidiens. C’est dans un tel contexte que les « clubs » de gymnastique sont devenus les temples du monde postmoderne. Il n’existe par conséquent ici aucune opposition entre le naturisme et le naturalisme médical, qui s’associent dans cette entreprise pour éliminer les risques que nous vivons dans le registre corporel. Cela est également dû au fait que le vieillissement a été effectivement transformé en une maladie. C’est aussi la raison pour laquelle nous suivons avec beaucoup d’intérêt la recherche sur la reproduction, en particulier sur le clonage, car celui nous promet l’immortalité. Le désir d’immortalité est le contrepoint imaginaire du risque dans l’expérience psychique actuelle, et ces pôles différents du champ du malaise ne peuvent donc pas être séparés.
Action
20Le malaise contemporain se retrouve également dans le registre de l’action. Nous vivons aujourd’hui dans une hyperactivité permanente qui se transforme en excès et finit par déborder en tant qu’action. L’inquiétude qui nous envahit ne peut plus être contenue dans le champ de la représentation : elle se déverse soit dans le corps, soit dans l’action. Cette hyperactivité est la condition de possibilité de l’un de nos plus grands maux actuels : la violence. Elle se manifeste souvent sous forme de délinquance, sans cependant s’y restreindre. Cela nous renvoie à la question de ses limites, car les frontières entre agressivité et violence ne sont pas nettes, la première étant constitutive du psychisme.
21L’action se manifeste encore sous une forme privilégiée de la compulsion. Aussi, des drogues, en passant par l’alcool, la cigarette et la nourriture, les compulsions s’inscrivent-elles dans le champ du malaise contemporain. Et il ne faut bien sûr pas oublier la consommation compulsive. La compulsion pour les drogues occupe une place privilégiée dans le malaise actuel, à côté du syndrome de panique et des troubles psychosomatiques et des dépressions. La compulsion à se droguer ne se limite pas aux drogues dites lourdes, elle inclut également les médicaments. L’usage compulsif de drogues est une stratégie dont se sert la subjectivité pour calmer l’inquiétude. On cherche à effectuer de la sorte une décharge d’excitabilité qui, si elle n’était pas entreprise par la voie de l’action, déborderait dans le corps. Nous pouvons en conclure que face à l’excès, l’individu préfère agir, sous les formes de décharge de la compulsion, pour éviter que la décharge ait lieu sur son corps.
22Il faut spécifier la modalité de l’action dont nous parlons ici. Nous pouvons affirmer qu’il existe une différence entre acting out et passage à l’acte : dans le premier, nous avons une extériorisation de quelque chose, inscrit comme représentation dans le psychisme ; dans le second, c’est une décharge d’excitabilité. Si dans l’acting out, il y a dramatisation en acte d’une scène psychique, dans le passage à l’acte, il s’agit d’une décharge pure sans aucune symbolisation (Rouart, 1967). Ainsi, dans les diverses manifestations de l’action c’est le passage à l’acte qui est en cause. Dans la subjectivité postmoderne, le psychisme cherche à se débarrasser de l’excès d’excitation qui l’envahit en utilisant surtout la somatisation et le passage à l’acte. Par contre, dans la subjectivité moderne, le psychisme réalisait avant tout les opérations de conversion et d’acting out, parce qu’il possédait alors de plus grandes possibilités de symbolisation.
Sentiment
23Le malaise est également dans le registre du sentiment. L’excès se manifeste d’abord dans ce registre-là. La subjectivité contemporaine est souvent caractérisée par des variations d’humeurs subites, par le fait d’être polarisée entre apathie et irritabilité. L’irritabilité subite est la condition de possibilité des actions agressives et violentes, ainsi que des compulsions en général. De même, l’apathie est le fond commun qui mène aux multiples compulsions, puisque celles-ci seraient des actions où la subjectivité cherche à maîtriser l’horreur de la mort.
24Cependant, la condition psychique pour que la subjectivité soit prise par des intensités qui l’assaillent implique une expérience de dépossession de soi qui est sa caractéristique de nos jours. C’est pourquoi, afin de ne pas se perdre elle-même, la subjectivité va s’accrocher à ce qu’elle pourra. C’est dans ce contexte que viennent s’inscrire les dépressions. Ce qui est en jeu maintenant, c’est le vide et non plus la culpabilité, justement parce qu’il renvoie à la dépossession de soi.
25En outre, si pour Freud (1968) la mélancolie est exceptionnelle, par opposition au processus normal de deuil, et qu’elle recèle l’impossibilité pour la subjectivité moderne de perdre un objet aimé, dans la contemporanéité, les positions sont inversées. Cela est dû à la dissémination de la dépossession de soi et du vide, empêchant de faire un travail de deuil. La subjectivité se raccroche aux objets pour ne pas être précipitée dans le néant, car les pôles qui lui permettraient de s’attacher à elle-même lui font défaut. Elle se raccroche à tout ce qui peut combler son néant. La subjectivité actuelle se remplit d’un amas de choses sans se combler vraiment, reproduisant ainsi un néant fondamental. La dépossession de soi se nourrit ainsi indéfiniment car la subjectivité est incapable de réaliser le travail de symbolisation.
Espace et trauma
26Nous avons remarqué l’excès et la fragilité présents dans le processus de symbolisation. Ce serait par la présence de l’excès que la décharge s’impose au psychisme. Cependant, si les intensités deviennent trop grandes et doivent être déchargées, c’est dû à la précarité des régulations symboliques. Ce qui est problématique, c’est justement la fragilité de ces régulations. La décharge s’impose de façon brutale, comme dysthymie, somatisation et passage à l’acte.
27Le malaise actuel acquiert des caractéristiques traumatiques. C’est la vulnérabilité psychique au trauma qui pourrait nous indiquer les lignes de fracture présentes chez les individus contemporains. En effet, nous sommes de nos jours exposés à des traumas réguliers, dus à la fragilité des mécanismes symboliques qui pourraient nous en protéger.
28Freud (1973) a établi la différence qui existe entre le signal d’angoisse et l’angoisse traumatique, et a affirmé que le premier serait l’élément qui nous protégerait du trauma. Le signal d’angoisse serait ainsi l’anticipation du danger qui se constituerait psychiquement par la reconnaissance de la fragilité fondamentale qui nous caractérise : notre condition de détresse. C’est par la reconnaissance de cette condition que nous devrions faire l’anticipation du péril par le signal d’angoisse, afin d’échapper au pire. Le trauma se produit lorsque la subjectivité n’a pas eu la possibilité d’anticiper le danger et a donc été surprise par lui, ce qui a provoqué l’expérience psychique de la mort. L’anticipation par le signal d’angoisse suppose ainsi la présence de la temporalité dans le psychisme. C’est par la temporalité fondée sur le futur, ce qui est encore absence dans le réel mais présence dans l’imaginaire, que nous pouvons nous protéger de la rencontre traumatique. Néanmoins, la temporalité suppose le fonctionnement des processus de symbolisation puisque le temps est une catégorie psychique avant tout symbolique. S’il existe donc aujourd’hui une fragilité dans le psychisme en ce qui concerne l’anticipation de l’avenir, cela implique la reconnaissance de la présence d’une faille des processus liés à la temporalité et à la symbolisation. En d’autres termes, cela signifie que l’expérience psychique va prendre une dimension essentiellement spatiale. Le trauma serait alors engendré par l’impossibilité d’attribution temporelle, restreignant le psychique à la dimension de l’espace.
29On peut alors comprendre que la régulation des intensités se réalise aujourd’hui par la somatisation et le passage à l’acte puisque c’est la spatialité sans la temporalité qui est la marque de ces processus psychiques. En outre, si le syndrome de la panique se distingue parmi les formes du malaise postmoderne, cela est dû à la défaillance du signal d’angoisse. Ce qui est en jeu, c’est la faille dans les processus de symbolisation, de représentation des intensités, qui vont alors être déchargées directement dans le corps. Quand la symbolisation ne fonctionne pas, se produit une extension presque illimitée du champ traumatique. C’est la raison pour laquelle les compulsions actuelles ne parviennent pas à remplir les trous entrouverts par les traumas ; à la différence de ce qui a été décrit par Freud, dans la modernité les compulsions à la répétition ne fonctionnent pas, les trous étant toujours amplifiés par rapport au passé. Enfin les compulsions sont des actions limitées, mises en marche afin d’éviter le pire, et qui n’offrent donc plus aucune possibilité de symbolisation.
30En outre, la symbolisation se fragilise aussi parce que le collage du psychique aux objets s’est amplifié. Personne ne veut jamais rien perdre, il faut alors se raccrocher à ce que l’on a face à l’incertitude de ce qui pourrait advenir. Il en résulte que la mélancolie se dissémine, dans la mesure où le travail de deuil devient presque impossible puisqu’il implique la perte de l’objet permettant la symbolisation. L’humiliation s’impose donc. Les différentes formes de compulsion révèlent précisément cette adhésion excessive aux objets. Les compulsions sont causées par une recherche désespérée visant à adhérer à quelque chose qui offre une forme de sécurité aussi mince soit-elle. Or, étant des actions diminuées, limitées, sans la contrepartie de la symbolisation, les compulsions ne permettent aucune barrière à ce qui est en jeu. D’où leur répétition frénétique. Si la mélancolie est la marque la plus éclatante de cette adhérence aux objets effectuée par les subjectivités de nos jours, cela a lieu parce que le travail de deuil est devenu pratiquement infaisable, puisqu’il suppose la perte. La perte et le manque de croyance en la souveraineté nous indiquent que nous sommes aujourd’hui confrontés à quelque chose d’inédit dans notre tradition, car celle-ci nous offrait la protection illusoire pour notre détresse, et qu’en son absence, c’est l’humiliation qui se répand.
31Nous nous voyons par conséquent obligés d’inventer nos destins, fondés maintenant sur des relations horizontales de pouvoir, pour ne pas nous laisser dominer par la panique des foules qui ont perdu la protection de la centralité verticale du pouvoir (Negri et Hardt, 2000). Parler de souverainetés plurielles implique l’assomption positive de l’horizontalité des relations de pouvoir par les individus, afin d’arriver à sortir de cette condition anonyme de foules et de parvenir à se distinguer dans le champ de la multitude. Cela signifie l’assomption de la souveraineté par les singularités, en tant que puissances capables d’agir, comme force d’affirmation, au lieu d’attribuer la souveraineté à un autre, afin que celui-ci nous protège. L’enjeu ici, c’est la souveraineté par les individualités.
32Le malaise actuel révèle les impasses existant dans la réalisation de cette opération de reprise, conduisant souvent les individus à traiter les relations horizontales de pouvoir selon la logique de la verticalité. C’est la raison pour laquelle les relations sadomasochistes se répandent, marquées par l’assujettissement et la servitude, dans lesquels la figure sadique représente le pôle horizontal qui a été verticalisé par la figure du masochiste (Freud, 1924) qui ne cesse de demander qu’on le protège. On cherche la figure du souverain, inscrite à présent dans un autre registre, pour éviter la panique et la fragilité de la subjectivité, confrontée à la chute du souverain, qui se condense dans la dépossession de soi.
Vie nue, biopouvoir et masochisme
33Si la panique et le risque de mourir vécus par le sujet s’imposent aujourd’hui avec autant d’insistance, cela révèle le manque de protection qui nous atteint. Cela produit une adhérence aux choses qui mène le plus souvent à la mélancolie face à la perte de tout objet. Les compulsions sont des opérations destinées à maintenir cette adhésion aux objets, et évitent de la sorte la perte et le travail de deuil. La morale de l’avoir en serait alors la conséquence, car elle constitue la condition de possibilité de la consommation.
34La détresse serait ainsi systématiquement évitée par les subjectivités. Si la détresse renvoie au masochisme érogène, condition de possibilité de l’érogénéité et de la sublimation dans le psychisme, son évitement conduit aux masochismes féminin et moral (Freud, 1924), au travers desquels la servitude se répand dans les relations sadomasochistes. On évite ainsi la douleur d’exister. La détresse et son corrélat, la douleur d’exister, sources de puissance et de souveraineté pour les subjectivités, impliqueraient l’affirmation de la suffisance sur le fond d’une insuffisance fondamentale. Cette dernière serait la marque originaire de la féminité qui nous fonde, autant les hommes que les femmes. Ce serait cette féminité qui nous conduit à l’érotisme et aux sublimations, aux pôles par lesquels la pulsion de vie règle la pulsion de mort et permet l’affirmation de soi dans le contexte de la détresse de la douleur d’exister (Birman, 2009).
35Dans cette condition originelle, la subjectivité serait confrontée à ce que Agamben a nommé la vie nue, reprenant l’opposition grecque entre vie nue (Zoe) et vie qualifiée (Bios). La souveraineté comme marque de pouvoir a toujours menacé les individus de leur retirer leurs vies qualifiées et de les mettre face à l’horreur de leurs vies nues, indiquant par là le pouvoir de vie et de mort qu’elle possédait sur tous les autres (Agamben, 1997). Dans la modernité, avec la perte de pouvoir souverain et la constitution du pouvoir disciplinaire et du biopouvoir (Foucault, 1976), c’est l’État qui va désormais promouvoir la vie et éviter la mort, en considérant que la plus grande source de richesse de la nation se trouverait dans la qualité de vie de sa population. La microphysique du pouvoir va dès lors se fonder surtout sur l’impératif de la norme, et non plus de la loi, comme c’était le cas antérieurement. La médicalisation du social, la résultante de ce nouveau pacte du pouvoir, cherchera à réaliser la promotion de la vie nue, instituant la santé comme norme fondamentale.
36Cela a été fait avec la hiérarchisation biologique des vivants. L’opposition établie entre le normal et l’anormal, ainsi que la position privilégiée occupée par le pathologique, dans la société disciplinaire, a produit la hiérarchie des subjectivités en fonction de leurs possibilités biologiques. Dès lors les hiérarchies sociales antérieures furent légitimées par le discours de la médecine, accompagnées par la promesse d’amélioration de la qualité de la vie. Cela a impliqué la gestion sociopolitique de la vie nue. C’est dans cet espace que le pouvoir opérait sur les individus, en produisant des hiérarchies biologiques, morales et sociales. Aussi, le conflit direct avec la vie nue fut évité, pour ce qui impliquait le contact immédiat avec la mort, par les promesses de meilleures conditions de santé qui ont été faites. Le souverain ne pouvait plus tuer comme auparavant. Il promouvait donc la vie à travers le réseau disciplinaire. Cependant, cette promotion de la vie n’impliquait pas pour autant pour la subjectivité la pleine assomption de sa puissance souveraine par l’affirmation de sa détresse, car le fantôme du souverain comme figure de protection des individus était toujours virtuellement présent.
37Dans le registre psychique, cela a impliqué une modalité de subjectivité qui évitait la détresse et la féminité en échange de la protection disciplinaire. Dans ce contexte, les masochismes féminin et moral se sont disséminés, car ils constituaient des défenses contre la détresse et la féminité. Il en résulta que le pacte masochiste s’est donc institué parmi les subjectivités, toujours au nom de la qualité de vie, d’où la servitude. La construction du surmoi rigide, marque qu’a assumée l’instance psychique des interdits moraux dans la modernité, fut la contrepartie de ce pacte masochiste, dans la mesure où le premier représentait la figure protectrice du souverain. Le malaise dans la modernité, avec la dissémination des « maladies nerveuses », fut un des résultats de ce processus. La figure du souverain protecteur était encore celle qui s’insinuait triomphante dans l’instance du surmoi, en condition de servitude et dans le pacte masochiste qui s’était établi. Tout cela s’est condensé dans la construction freudienne du phantasme masochiste, énoncé dans « Un enfant est battu ». Dans ce contexte, la figure du fils s’assujettit servilement à celle du père violent, car cela lui donne l’illusion qu’il sera plus aimé que ses frères, dans le domaine de la rivalité fraternelle. Mais le pouvoir paternel n’est ici qu’un simulacre de puissance, dans la mesure où il ne dispose que de la force brute pour faire valoir son autorité morale d’ancêtre. Donc, dans l’imaginaire de la société fraternelle moderne, il existe les fils/citoyens plus ou moins aimés, mais qui disputent tous férocement la condition d’être les élus du père/souverain. C’est par ce biais que la hiérarchie morale se serait inscrite parmi les fils/citoyens, constituant la servitude en tant que norme au nom de l’élection préférentielle du père/souverain et de l’alchimie cruelle de l’amour. Cependant, le père/souverain détenait le pouvoir de vie et de mort sur ses fils/citoyens, au cas où ceux-ci ne céderaient pas avec obéissance leur vie aux normalisations disciplinaires.
38Cela supposait donc la croyance de la part des individus et des communautés qu’ils auraient la protection du souverain. C’est toutefois cette protection-là qui a été enlevée avec la mondialisation. La figure du souverain n’est plus capable d’offrir sa contrepartie dans le pacte établi auparavant. Il en découle que les foules se dispersent et rompent les liens sociaux qui les maintenaient reliées entre elles, à travers le discours du souverain. La certitude de faire partie de quelque chose qui transcendait les individus est cassée, ainsi que la sensation d’appartenance. La panique, en tant que sentiment de rupture de ces liens, s’installe parmi les individus. C’est cette panique qui est précisément au cœur du malaise actuel, marquant la cassure de la centralité de la souveraineté.
39Dans un tel contexte, la promesse de gestion de la vie nue et le projet de promotion de la qualité de vie perdent leur contenu. La lutte pour survivre acquiert des tonalités tragiques, car l’imminence de la mort et de son corrélatif, c’est-à-dire de l’élimination de l’espace social, s’impose à l’horizon des individus. Avec l’intensification de la rivalité entre eux, sur la scène de la rupture des liens sociaux, la violence se déverse vivement sur la société contemporaine. Parallèlement, le pacte masochiste se dissémine également, dans la mesure où les subjectivités recherchent aussi maintenant la protection perdue, en inscrivant le registre vertical de la souveraineté dans le registre horizontal. Néanmoins, le déplacement de référence sur l’axe qui fonde le pacte masochiste, du vertical vers l’horizontal, entraîne une transformation dans l’économie des valeurs. En effet, si avant c’était la culpabilité face au père/souverain qui guidait les subjectivités dans les relations d’amour et de soumission, maintenant c’est la honte qui les fait se mouvoir dans leurs pactes horizontaux. La perte de l’estime de soi est l’une des marques principales des individus actuels. C’est pourquoi la honte en est la contrepartie, et inscrit dans les individus contemporains un trait éloquent d’indignité. C’est l’humiliation donc qui se dissémine partout dans la planète.
Affirmation, puissance et amitié
40Nous pouvons attribuer un nom à tout cela : barbarie. Ce serait le résultat majeur de ce processus de mondialisation. La barbarie serait par conséquent la résultante des nouvelles formes de subjectivation qui se disséminent dans l’actualité.
41Cependant, tout cela peut également nous offrir une autre face, si nous reconnaissons les possibilités entrouvertes aujourd’hui par l’affirmation de la puissance et de la souveraineté des individualités. Cela se doit au fait que nous n’avons jamais été confrontés avant à notre détresse comme c’est le cas aujourd’hui, par l’écroulement de la figure centralisée de la souveraineté. Dans ce processus la détresse a été transformée en humiliation, instituant dans le registre horizontal les relations sadomasochistes de pouvoir, ayant des effets majeurs dans la mélancolie et le masochisme. Il est toutefois possible de concevoir une inversion de cela par l’affirmation positive de la détresse de la part des subjectivités. Ce serait par cette voie que l’affirmation de la puissance de soi et de la souveraineté de celles-ci pourrait enfin avoir lieu.
42Pour cela, il faudrait déplacer dans les individus la morale de l’élection et de l’amour préférentiel, construisant une autre éthique de la fraternité, dorénavant centrée non plus sur l’axe vertical de la souveraineté, mais sur celui horizontal de la relation avec les autres. C’est cette autre fraternité qui devrait alors être esquissée, sans plus compter sur la présence du phantasme du souverain protecteur. Une éthique effective de l’amitié (Derrida, 1994) deviendrait alors possible, et elle pourrait nous esquisser un autre destin historique. La construction d’un autre pouvoir constituant serait possible, ancrée à présent dans le champ de la nouvelle multitude qui se dessine aujourd’hui. C’est donc à cause de tout ce que nous venons de voir que devient possible aujourd’hui la construction de souverainetés au pluriel et fondées sur l’affirmation de la puissance de chacun et de tous.
Bibliographie
Bibliographie
- Agamben, G. 1997. Homo Sacer, Paris, Le Seuil.
- Birman, J. 2003. Cartographia do Feminismo, Sao Paulo, Editora 34.
- Birman, J. 1980. Enfermidade e lou oura, Rio de Janeiro, Campus.
- Birman, J. 2003. Mal estar na atualidade, Rio de Janeiro, Civilizaçao Brasileira.
- Derrida, J. 2002. Voyous, Paris, Galilée.
- Derrida, J. 1994. Politiques de l’amitié, Paris, Le Seuil.
- Foucault, M. 1976. La volonté de savoir, Paris, Gallimard.
- Freud, S. 1921. « Psychologie des foules et analyse du moi », dans Essais de psychanalyse, trad. fr. 1968, Paris, Payot, 1981.
- Freud, S. 1917. « Deuil et mélancolie », dans Métapsychologie, trad. fr. 1968, Paris, Gallimard.
- Freud, S. 1973. Inhibition, symptôme, angoisse, Paris, puf.
- Freud, S. 1924. « Le problème économique du masochisme », dans Névrose, psychose et perversion, Paris, puf.
- Freud S. 1930. Malaise dans la civilisation, Paris, puf.
- Negri, A. ; Hardt, M. 2004. Multitude, Paris, La Découverte.
- Rouart, J. 1967. Agir et processus psychique, Paris, puf.
Mots-clés éditeurs : subjectivité, souverain et souverainetés, trauma, humiliation, masochisme, malaise
Date de mise en ligne : 01/06/2010.
https://doi.org/10.3917/nrp.009.0163