Notes
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[*]
Jean-Marc Huguet, psychosociologue.
-
[1]
Peter Freuchen, Book of the Eskimos, A. Fawoett Crest Book, 1961.
-
[2]
Homère, l’Odyssée.
-
[3]
Gretel Ehrlich, Ce paradis de glace, Albin Michel, 2004.
-
[4]
Bodil Kaalund (sans date), De ceux qui ont la science des choses cachées, traduit du danois par Monique Christiansen.
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[5]
Peter Freuchen, Book of the Eskimos, op. cit.
1Pour les Eskimos polaires du Groenland les esprits habitent un univers à étages, et dans tout monde à étages, il y a des problèmes de voisinage : une cosmologie céleste ou souterraine peuplée d’êtres mystérieux, bénéfiques ou maléfiques sur la santé, la chasse, la fécondation, etc.
2L’Angakok pratique le chamanisme, il communique en séance publique avec les esprits qui n’aident jamais les anxieux et les désemparés. L’Ilisitsok est le sorcier noir, il agit dans l’ombre, il use de son pouvoir néfaste avec l’aide d’un Tupilak composé d’un assemblage hétéroclite de morceaux d’oiseaux, de phoques, de chiens et de parties d’enfants tels que : dent de lait, placenta, cheveux, etc. Fabriqué dans le plus grand secret le Tupilak prend forme dans le temps. L’Ilisitsok agit sur commande pour porter atteinte à un ennemi supposé.
Un auxiliaire de la mort : le Tupilak
3Le Tupilak est un être surnaturel, c’est un auxiliaire de la mort qui par sa puissance de métamorphose peut approcher sa victime sous des formes variées et s’adonner au meurtre sous l’apparence d’un banal accident, ce qui est fréquent dans l’Arctique polaire. Comme les personnages surnaturels d’un mythe, pour reprendre les propos de Jacqueline Barus-Michel, les Tupilek (pluriel de Tupilak) sont affranchis de contraintes ordinaires aux humains et leurs aventures se déroulent au-delà des limites du possible. Ce ne sont que métamorphoses, transmutations où l’espace et le temps sont ployés selon les pouvoirs magiques de l’Ilisitsok. Changement et substitution démultiplient leur force et expliquent la diversité du réel. La métamorphose rend compte de l’unité cachée entre les êtres et les choses.
4La crainte que suscite le Tupilak est terrifiante. Nul Eskimo n’ignore qu’un phoque approché par le chasseur peut dissimuler dans sa partie cachée un être redoutable. La pratique est malgré tout dangereuse, l’Ilisitsok peut se voir retourner contre lui la puissance du Tupilak si celui-ci est insatisfait de sa mission meurtrière.
La métamorphose du Tupilak
5Vêtu de son anorak, enfilé à l’envers, le visage recouvert du capuchon, l’Ilisitsok façonne sa créature en se servant exclusivement du pouce et de l’index. Ensuite, par la puissance magique des mots, il lui insuffle la vie par une incantation dans une langue tenue secrète. Une « toute-puissance des mots » décrite par Freud dans Totem et tabou qui, selon Eugène Enriquez, fait exister et disparaître l’être aimé qui peut être en même temps détesté. Une ambivalence qui est bien présente dans le rituel de l’Ilisitsok. Par la suite, l’élan vital est prodigué à la créature par le sperme de l’Ilisitsok obtenu par une masturbation en pleine nature. Le Tupilak, tenu en un lieu secret, grandit par la succion quotidienne des parties génitales de l’Ilisitsok. Ainsi « nourri », lorsqu’il est jugé suffisamment fort pour affronter son destin il est projeté dans l’eau d’un ruisseau qui conduit à la mer. Le Tupilak va alors progresser sous mer, sous terre et sous les montagnes pour accomplir son méfait. Seule la puissance de l’Angakok peut combattre la créature meurtrière.
Démasquer le mal
6Il est difficile de démasquer un Ilisitsok. Parfois un Eskimo laisse éclater une soudaine crise de délire sauvage accompagnée de gestes et de langages incohérents, alors la communauté désigne sans conteste l’Ilisitsok. Une confession publique, avec narration de tous les détails des formules magiques et de ses métamorphoses, en présence de l’Angakok, lui fait perdre tous ses pouvoirs. Le chaman a la capacité de « voir à l’intérieur ». Voir est l’acte suprême de l’Angakok. II sait qu’il est aussi difficile de progresser dans l’âme humaine que sur la glace. Démasquée, la sorcellerie perd toute son efficacité. L’Ilisitsok appartient au clan (là où il n’y a pas de vengeance du sang). La sanction traditionnelle est le « duel au chant » accompagné de la « danse au tambour », une joute oratoire faite de bons mots avec l’intention de ridiculiser l’adversaire. La créativité de l’un assure la défaite de l’autre, renforcée par l’approbation communautaire. II arrive que le chaman, qui met ses pouvoirs extraordinaires au service de la communauté, joue un double jeu en exerçant dans le secret la magie de l’Ilisitsok. Personnage ambivalent, le chaman, qui peut toujours masquer un Ilisitsok, est craint et redouté.
Le test de Rorschach chez les Eskimos de Thulé
7En 1949, un projet de tests de Hermann Rorschach chez les Eskimos polaires s’inscrivait dans un large programme d’études psychosociologiques. Jean Malaurie, qui effectuait une troisième mission au Groenland à Thulé en 1950-1951, en prenait la responsabilité. Le professeur Henri Wallon, directeur de l’Institut de psychologie sociale de l’université de Paris, présidait les réunions préparatoires. L’analyse des tests était confiée à Cécile Beizmann, assistée de Hélène Trouche-Simon et de Nina Traubenberg. En retour de mission Jean Malaurie remettait aux spécialistes accréditées les protocoles des tests et la documentation rassemblée. Dans leur conclusion prudente, Cécile Beizmann et Hélène Trouche-Simon, à l’examen des protocoles, notaient : « La pensée des Inuits est de forme syncrétique, elle témoigne d’un pouvoir d’observation très soutenu, vigilant, d’un très grand courage et de ténacité pour surmonter les difficultés. Ils sont parfaitement aptes à des fabulations compensatrices hors d’un cadre imposé (ici le test de Rorschach), à des bavardages pour se valoriser et pour attirer l’attention sur eux. À travers ces tests, l’Inuit révèle aussi la manière dont s’élaborent ses pensées et son affectivité. Ce qu’il fait de façon brute dans l’épreuve de Rorschach, c’est ce qu’il fait dans la vie réelle. »
8Pour Jean Malaurie, les tests sont révélateurs d’angoisses profondes maîtrisées dans la mesure où le groupe auquel chacun est sociologiquement et viscéralement attaché contribue à les surmonter : l’angoisse devant l’inorganisé, pour Jacqueline Barus-Michel, l’incohérence du désir, qui correspond à la pulsion d’emprise, celle de maîtriser le chaos, qui suscite mythes, religions et pouvoir, comme possibilités d’appréhender et de conjurer l’informe, l’inopiné, le hasardeux. Ce sont elles qui mobilisent puissamment les hommes et leur nécessité d’être ensemble et de maîtriser l’environnement qui les réunit.
Un monde du double
9Les Inuits vivent dans un isolat culturel voulu par l’administration danoise. Bien que les Eskimos soient convertis au christianisme luthérien depuis 1910, la pensée religieuse inuit relève de croyances chamaniques. Le tambour sacré accompagne les vieux ayayaks chantés dans toutes les cérémonies. La vision des formes que l’Inuit a dans les planches de Rorschach rappelle profondément celles que suggèrent les esprits maléfiques entrevus par le Tupilak : « Enfant à moitié dévoré par les chiens ; homme coupé en deux, esprit assis sur une pierre, sexe démesuré… », appuyées par des remarques qui à l’examen des psychologues reflètent des difficultés à donner des réponses : « C’est laid ! je n’ai jamais vu pareil animal… » Une plongée sans équivoque dans le monde mystérieux du Tupilak : « Monstre qui essaye d’attaquer et de donner un coup ; taches claires qui sont des petits monstres qui vont devenir des grands monstres… »
10Le Tupilak symbolise l’ambivalence éprouvée par l’Eskimo. L’identité n’est jamais totalement acquise. C’est le monde du double. Le pouvoir de l’Ilisitsok peut se retourner contre lui. Le processus du renversement (changement dans le contraire, inversion des relations) décrit par Freud dans l’analyse des rêves rejoint ici celui du mythe sur la dualité des sentiments. Le chaman peut se doubler de l’Ilisitsok. Les pouvoirs bénéfiques de l’un se contrarient des pouvoirs maléfiques de l’autre. Les expressions contenues à l’examen des tests de Rorschach sont significatives du trouble du double : « Une méchante femme, un homme menace notre terre… Deux femmes font un effort pour s’envoler dans le ciel en emportant des corps sans tête… Deux hommes… peut-être dansent-ils, ils dansent agenouillés… Deux oiseaux ont pris l’air d’un être humain… Deux femmes s’étant rencontrées pour parler de leurs enfants et de leur vie familiale… Travaillent ici deux femmes qui découpent la viande de renne… Deux filles ont mis leurs cheveux en queue de cheval, on croit qu’elles se disent des propos désagréables… Deux êtres humains qui marchent, ils sont dehors vers la lumière, sur une route étroite, c’est une route nouvelle, inconnue pour eux, ils suivent cette route et cherchent la sortie… Deux hommes, ils tirent l’un et l’autre un arbre et deux êtres humains se sont appuyés, peut-être se reposent-ils sur une peau ?… Deux femmes, elles semblent arracher quelque chose, elles sont en querelle, elles veulent partager et ce ne peut être partagé, et de ce fait elles sont très agacées… Deux êtres humains, des femmes ou des oiseaux, que font-ils ?… Deux êtres qui tendent les bras l’un vers l’autre, des flammes et deux êtres humains dansent… »
11Un double identitaire en regard du Tupilak. La créature formée, l’Ilisitsok lui « donne vie » en offrant sa mâle semence. Après un temps de gestation, le Tupilak, alimenté au « sein spermatique » de son géniteur, trouve force et maturité. Il peut alors accomplir son funeste destin. Une double sexualité qui, pour Jean Malaurie, répond à un désir inconscient et puissant : la nostalgie de l’unité du monde dans la réconciliation des pouvoirs cosmologiques. La ruse du Tupilak est sa force. Il suscite l’attrait de la victime en laissant saisir une partie visible attrayante de lui-même qui cache le drame à venir. La métamorphose est trompeuse. Dès qu’il devient « vivant », nous rapporte Peter Freuchen, le Tupilak se met à nager sur le chemin du chasseur désigné pour mourir. Aussitôt que le chasseur l’a harponné, il est condamné.
La partie cachée du Tupilak
12On raconte que le grand Angakok Kritlaq, qui a guidé la grande migration depuis la terre de Baffin, voulut nuire à son rival Sorqaq : « Un jour le fils de Sorqaq, Tatteraq, avait harponné un phoque, ce qui fit grandir son enthousiasme de façon peu naturelle. Il était joyeux, dansait et devint presque fou. Et bien sûr, quand le phoque a été rapporté à l’igloo et découpé, il apparut que tous les os étaient faux, c’était un Tupilak façonné par Kritlaq. Peu de temps après, Tatteraq commença a avoir des courbatures dans les jambes et bientôt il devint complètement paralysé, si bien que sa mère devait prendre soin de lui et le nourrir comme un bébé. On vit bientôt comment ce malheur le blessa. Il devint misérable et indigne comme un vieil homme. Ses mâchoires étaient paralysées. On dut lui casser les dents de devant avec un marteau afin de pratiquer un trou pour le nourrir. Malgré tout il continuait à montrer l’habituelle joie de vivre des Eskimos. Finalement il annonça qu’il allait entreprendre un voyage dans le monde souterrain pour tenter de trouver la raison. Il montra ses bonnes intentions en jeûnant pendant plusieurs jours et en regardant ses excréments jusqu’à ce qu’ils lui parussent satisfaisants. Il monta alors sur les hauteurs pour méditer et se préparer pour le voyage dans la roche et “nager” longuement pour retrouver Tomassuk [1]. »
13Contrairement au Tupilak, l’animal, pour l’Inuk (singulier d’Inuit), n’est jamais mauvais. Un Inuk demande toujours par avance l’autorisation au phoque de le chasser. D’ailleurs après avoir été tué le phoque est toujours remercié par un peu d’eau de mer versé dans sa gueule. Ainsi contenté, il acceptera dans une autre vie de se laisser capturer. Le Tupilak cache dans sa partie non visible une monstruosité à venir. La métaphore en mouvement de l’iceberg qui immerge le péril nous plonge dans une odyssée arctique qui navigue dans la mer des Sirènes : « Tu verras les lieux qu’habitent les Sirènes. Assises sur des gazons fleuris, elles font retentir de leurs accords tous les lieux d’alentour, mais auprès d’elles sont entassés les ossements et les chairs putréfiées de leurs victimes [2]. » La rencontre de Nanouk l’Eskimo et d’Ulysse d’Ithaque aux confins de Thulé est aux sources de puissants mythes. Gretel Ehrlich de retour au Groenland écrit : « La calotte glaciaire avait sur moi l’effet du chant des Sirènes et m’incitait à revenir, sans cesse attirée par ses murailles de saphir bleu et tout simplement par son immensité. L’été elle brûle au soleil, l’hiver elle stocke des clairs de lune [3]. » Une attirance vers le Nord arctique que Jean Malaurie appelle « la folie tranquille ». Le Tupilak sortant sa tête de l’eau vient prendre les ordres de son maître : « Me voici, quelle est ta volonté ? » L’Ilisitsok doit alors lui dire le nom de son ennemi et le Tupilak se mettre en route à la nage pour faire mourir de peur sa victime. Capable de s’introduire partout, cette créature nage aussi facilement dans la terre et dans la montagne que dans l’eau. La mission accomplie le Tupilak cesse d’exister [4].
Entre crainte et désir
14La disparition du Tupilak ne calme pas pour autant les inquiétudes. Freud dans Totem et tabou, en se référant à Edward Westermack, rapporte que « les Eskimos sont convaincus que les morts ne s’apaisent qu’au bout d’un temps très long, mais qu’ils sont à craindre comme des esprits qui errent à travers le village pour y semer la maladie, la mort et d’autres malheurs ». Affranchi des contraintes ordinaires aux humains, le destin du Tupilak se déroule au-delà des limites du possible. Le Tupilak, objet tabou, participe à la formation sociale du groupe communautaire. Sa force magique se réduit au pouvoir qu’il possède d’induire l’homme en tentation. Pour Freud : « La sorcellerie apparaît comme l’art d’influencer les esprits en les traitant comme on traite les hommes dans des conditions identiques. La magie doit servir à soumettre les phénomènes de la nature à la volonté de l’homme, protéger les individus contre les ennemis et les dangers et lui donner le pouvoir de nuire à ses ennemis. Un des procédés magiques dont on se sert le plus communément pour nuire consiste à fabriquer une effigie avec des matériaux quelconques. » Ces communautés réduites à elles-mêmes, dans un univers des plus hostiles de la planète, séquencées par le temps du long jour et de la longue nuit, sont riches d’une fantasmagorie qui maintient l’équilibre de l’angoisse. Un équilibre fragile qui peut basculer à tout instant dans la confusion des sens : meurtres, suicides, exclusion communautaire, activités sexuelles frénétiques, etc. Les fortes tensions qui existent au sein de la communauté sont régulées par la mise en évidence de l’ambivalence des individus à l’égard de leurs propres actions. Toujours tentés d’accomplir des actions prohibées mais chaque fois retenus par l’horreur qu’elles leur inspirent. C’est dans la communauté du clan que l’Angakok et l’Ilisitsok agissent. Le Tupilak n’est qu’une des figures « projetées » de l’ambivalence psychologique et sociale des Eskimos. Le rythme saisonnier – le long jour, la longue nuit – d’un calendrier bipolaire favorise à l’expérience du vécu le sentiment d’une dualité universelle. Avec le Tupilak nous entrons dans le domaine des êtres non humains qui, à côté des hommes, peuplent le monde de l’univers à étages de la cosmologie eskimo, étages célestes ou souterrains. Le chaman est l’intercesseur entre les hommes et les esprits, le prêtre initié qui peut voyager dans la multiplicité des mondes. L’Ilisitsok agit dans l’ombre, il prend figure d’assassin par Tupilak interposé. Il donne à la disparition d’une victime une apparence trompeuse d’accident. Le doute engendre la crainte.
Régulation et contrôle social
15L’origine du Tupilak a une légende : « Un petit garçon avait vu son père se faire tuer par un homme qui lui voulait du mal. Cet homme lui avait pris sa mère comme deuxième femme. Il la traitait avec violence, il la battait et l’insultait, alors le petit garçon a décidé qu’il deviendrait très fort et qu’il ferait des accords avec les esprits pour se venger. C’est ainsi que naquirent les pouvoirs du Tupilak [5]. » Dans la société communaliste des Eskimos, renforcée en période hivernale, le contrôle social du groupe par le groupe est particulièrement aigu. Par exemple, la distribution de la viande de phoque respecte un ordre très établi, le surplus est entreposé dans une cache communautaire. La thésaurisation individuelle n’a pas de sens et peut être fortement réprimée. Tout est au su et au vu de tous. Le nom d’un mort ne peut être de nouveau prononcé qu’à sa nouvelle attribution au nouveau-né. Ce qui n’est pas visible, ce qui est caché est tabou. Le Tupilak est un objet tabou qui a la force magique d’induire l’homme en tentation. Dévoiler le Tupilak c’est braver l’interdit, qui est pour Freud un acte prohibé vers lequel l’inconscient est poussé par une tendance très forte. La prohibition du tabou est conçue comme le résultat d’une ambivalence affective. La sorcellerie apparaît comme l’art d’influer sur les esprits en les traitant comme on traite les hommes dans les conditions identiques. La magie sert à soumettre les phénomènes de la nature à la volonté de l’homme, protéger l’individu contre les ennemis et les dangers et lui donner le pouvoir de nuire.
En noir et blanc
16L’homme blanc, le kratouna, qui fait passer les tests de Rorschach est un savant, un ilisimator, c’est-à-dire « celui qui sait entendre le mystère du monde ». C’est un Angakok blanc, il communique avec les esprits de l’ombre. S’il n’est pas bon il peut cacher un llisitsok, et le doute de s’installer et la méfiance avec. « D’où viennent ces planches ? » Silencieuse question. Étrange situation, où le kratouna observe l’Inuit dans un face-à-face avec une tâche d’encre noire en homothétie singulière à une peau d’ours blanc qui sèche avec ampleur près de l’habitat du courageux chasseur. Animal sacré par excellence, Nanook est pour l’Eskimo polaire l’animal le plus vénéré. Chaque prise est un combat valeureux qui est suivi d’une cérémonie révérencielle. À l’écart de la communauté la tête partagée entre les chasseurs est mangée crue en respectant les rites de la tradition.
17Au « blanc » de la peau d’ours s’oppose le noir de Rorschach. Passer de l’un à l’autre c’est confondre l’Angakok et l’llisitsok. Malgré la confiance accordée à l’ilisimator, une certaine réserve s’impose. Un Tupilak est peut-être déjà en marche ?
La ligne de partage
18Quiconque pratique le kayak dans les eaux calmes entre les icebergs de Kulusuk, à l’Est du Groenland, ne peut être que troublé par l’étrange similarité des planches de Rorschach et la symétrie produite par le reflet des roches environnantes. La ligne de partage donne une inquiétante profondeur d’illusion qui saisit de vertige le regard de l’observateur. L’unité du double se confond dans le vacillement des certitudes.
19Aujourd’hui, dans cette région, la fabrication du Tupilak est une activité artistique. Produite en os ou en ivoire d’animaux marins chaque statuette est singulière : une reproduction sans modèle ! Pour l’homme blanc le Tupilak vaut pour test projectif. En le contemplant, il a toujours quelque chose à dire sur le peuple arctique. L’Inuk, lui, ne dit rien. Il regarde au loin.
Bibliographie
Bibliographie
- Barus-Michel, J. 1991. Pouvoir : mythe et réalité, Paris, Éditions Klincsiek.
- Beizman, C. ; Malaurie, J. ; Trouche-Simon, H., Traubenberg, N. 1987. « Douze tests de Rorschach d’Esquimaux polaires, Inuit du Nord du Groenland (1950-1951), mission Jean Malaurie », Revue Inter-Nord, n° 18, cnrs Éditions.
- Durkheim, É. 1968. Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, puf.
- Ehrlich, G. 2004. Ce paradis de glace. Avec les Inuits du Groenland, Paris, Albin Michel.
- Enel, C. 1992, Tassiilaq / Ammassalik, Document privé.
- Enriquez, E. 1983. De la horde à l’État, Paris, Gallimard.
- Freuchen, P. 1961. Book of the Eskimos, New York, Fawcett Crest Book.
- Freud, S. 1923-1965. Totem et tabou, Paris, Petite Bibliothèque Payot.
- Gessain, R. (sans date). « Tupilek, statuettes magiques des Eskimo », Les brochures de marottes et violons d’Ingres.
- Gessain, R. 1969. Ammassalik ou la civilisation obligatoire, Paris, Flammarion.
- Lévi-Strauss, C. 1985. La potière jalouse, Paris, Plon.
- Lévi-Strauss, C. 1985. La pensée sauvage, Paris, Plon.
- Merleau-Ponty, J. 1986. Le chasseur de violon, Paris, Climats.
- Rasmussen, K. 1994. Du Groenland au Pacifique, deux ans d’intimité avec des tribus d’Esquimaux inconnues, Paris, Format.
- Rasmussen, K. 1998. Contes du Groenland, Paris, Hachette.
- Rorschach, H. (sans date). Planches de psychodiagnostic, Éditions Hans Huber, Berne, PUF.
- Malaurie, J. 1990. Ultima Thulé, Paris, Bordas.
- Malaurie, J. 1955. Les derniers rois de Thulé, Paris, Plon, coll. « Terre humaine ».
- Malaurie, J. (séminaire de) 2002. De la vérité en ethnologie, Polaires, Paris, Economica.
- Malaurie, J. 1999. Hummocks, Paris, Plon, coll. « Terre humaine ».
- Mauss, M. 1950. Sociologie et anthropologie, Paris, puf.
- Robert-Lamblin, J. ; Victor, P.-E. 2003. « Chaman et sorcier », dans Imaginaires du Grand-Nord, Boréal.
Notes
-
[*]
Jean-Marc Huguet, psychosociologue.
-
[1]
Peter Freuchen, Book of the Eskimos, A. Fawoett Crest Book, 1961.
-
[2]
Homère, l’Odyssée.
-
[3]
Gretel Ehrlich, Ce paradis de glace, Albin Michel, 2004.
-
[4]
Bodil Kaalund (sans date), De ceux qui ont la science des choses cachées, traduit du danois par Monique Christiansen.
-
[5]
Peter Freuchen, Book of the Eskimos, op. cit.