Couverture de NRE_026

Article de revue

Constitution et enjeux des fonds Raymonde Debray-Genette et Gérard Genette à l’EHESS

Pages 147 à 166

Notes

  • [1]
    Mazon, Brigitte. « Archiver les sciences sociales dans leur contexte institutionnel : le cas de l’École des hautes études en sciences sociales », Les Archives des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, sous la direction de Goulven Le Brech et Charlotte Maday, La Gazette des archives, no 231, année 2013-3, Association des archivistes français, p. 183-198.
  • [2]
    Voir les hommages rendus sur le site du CRAL : http://cral.ehess.fr/index.php?2590
  • [3]
    Le CRAL est devenu une Unité Mixte de Recherche CNRS/EHESS en 2001, sous la direction de François Flahault.
  • [4]
    Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, édition de Jean-Yves Tadié, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1988, II, p. 27.
  • [5]
    « Le discours des organes », Université Sorbonne nouvelle, 3 juin 2005 : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00454036/document
  • [6]
    Annick Louis a été porteuse du projet PSL-Columbia-EHESS « Les écritures des archives » en collaboration avec Jesús Velasco (Columbia University), qui a donné lieu de 2016 à 2019 à de nombreuses manifestations scientifiques.
  • [7]
    François Genette ; nous le remercions pour ses nombreuses précisions lors de la rédaction de cet article. Ibidem pour les citations qui suivent.
  • [8]
    À ce sujet, voir les travaux d’Aurèle Crasson sur les archives numériques de Jacques Derrida, et sur la façon qu’a eue le philosophe d’envisager son propre archivage électronique : « Derrida et l’ordinateur : une archive malgré soi », En attendant Nadeau, en ligne : https://www.en-attendant-nadeau.fr/2019/11/19/archives-manuscrits-4-derrida/
À Christine, Nathalie et François Genette

Les archives de la recherche à l’EHESS et au sein du Grand équipement documentaire (GED) du campus Condorcet

1Le service des archives de l’EHESS, créé en 1975, en plus de la gestion des archives administratives institutionnelles de l’établissement, collecte depuis une vingtaine d’années des archives de chercheurs en sciences humaines et sociales. Il s’agit principalement d’archives de chercheurs et de chercheuses ayant travaillé dans des centres et groupes de recherche de l’EHESS, dont celles de nombreux Directeurs et Directrices d’études ayant œuvré dans l’ensemble des domaines de recherche de l’établissement. Comme l’a souligné Brigitte Mazon, qui a créé et dirigé le service pendant plusieurs décennies, la particularité de la collecte des fonds de chercheurs à l’EHESS est sa forte dimension institutionnelle [1]. Les fonds de chercheurs ont en effet été collectés dans une perspective structurelle interne à l’École : en lien avec les archives des centres et groupes de recherche de l’EHESS et en lien avec les archives institutionnelles. Cette dimension institutionnelle a la vertu d’être en phase avec un grand principe archivistique : le respect du principe de provenance des archives et de leur cohérence organique au sein de la structure dont elles sont issues. Ce principe consiste à tâcher de respecter l’imbrication originaire des entités archivistiques les unes dans les autres, selon des liens historiques, fonctionnels et hiérarchiques.

2Si la collecte des archives de chercheurs à l’EHESS s’est longtemps faite au départ au gré de déménagements et décès, au fur et à mesure des années, elle s’est structurée pour devenir une forme de pratique archivistique reconnue sur le plan institutionnel, selon des modalités juridiques qui ont été progressivement affinées. Cette pratique est devenue de nos jours davantage proactive que par le passé, et les fonds de chercheurs, jadis collectés post-mortem, tendent dorénavant à être collectés du vivant des chercheurs, retraités ou en activité. Cette pratique est en outre rendue nécessaire dans l’environnement numérique actuel où les chercheurs doivent réaliser des plans de gestion de données pour entériner leurs projets de recherche.

3Dans quelques mois, les fonds d’archives de la recherche collectés par le service des archives de l’EHESS vont rejoindre le Grand équipement documentaire (GED) du Campus Condorcet. Seront regroupés au sein de la même entité documentaire les fonds des chercheurs, centres et bibliothèques de centres de l’EHESS, de l’EPHE, de la FMSH, de l’INED, des universités Paris 1, Paris 3 et Paris 13, ainsi que d’UMR du CNRS comme le Centre d’histoire sociale Jean Maitron et l’Institut d’histoire du temps présent. Outre un accès beaucoup plus aisé que par le passé aux archives et des conditions de travail optimisées, ce regroupement favorisera des recherches transversales dans un vaste ensemble qui regroupera une très grande partie de la production archivistique et documentaire de la recherche en sciences sociales française des soixante dernières années.

Historique de la collecte des fonds Gérard Genette et Raymonde Debray-Genette

4À la suite du décès de Gérard Genette, survenu le 11 mai 2018 [2], Anne Simon, alors directrice du Centre de recherches sur les arts et le langage (CRAL), ayant appris que ses archives allaient être dispersées, a pris contact avec ses enfants et ayants droit. Elle a dans la foulée alerté la Présidence et le service des archives de l’EHESS, qui a rapidement œuvré à la sauvegarde du fonds de l’un des membres fondateurs du CRAL, en 1983, avec Raymond Bellour, Claude Brémond, Hubert Damisch, Louis Marin, Christian Metz et Tzvetan Todorov [3]. Avant d’expliquer comment s’est faite la collecte des archives de Gérard Genette et Raymonde Debray-Genette et le premier classement du fonds, il n’est pas inutile de rappeler un travail antérieur de prises de photographies réalisé dans l’appartement des Genette, qui fut en quelque sorte une première action d’archivage antérieure à la collecte matérielle et au classement du fonds.

Le fonds avant son archivage : prises de photographies

5Le 25 octobre 2019, lors du colloque « Poétique, esthétique et écriture », Anne Simon avait déroulé un diaporama présentant une vingtaine de photographies prises au domicile des Genette dans le 3e arrondissement à Paris, par elle-même le 27 juin 2018, puis par Annick Louis, membre du CRAL, les 16-17 juillet suivants. Certaines de ces photographies sont reproduites dans le cahier iconographique qui succède à ce texte.

6Le diaporama présentait, dans l’ordre, des photographies de la chambre-bureau de Gérard Genette, de la chambre d’ami-bibliothèque et de la chambre-bureau de Raymonde Debray-Genette. L’objectif de l’échantillon reproduit est de donner une idée de la répartition physique de ce qui avant de devenir des archives sont des objets existentiels, ces choses qui entourent et tapissent notre vie et sont comme, l’écrit si bien Proust, des « annexes de [nos] organes » et un « agrandissement de [nous-mêmes] [4] ». D’autant que ces bureaux sont aussi des chambres car comme c’est souvent le cas pour nombre de chercheurs, l’intellectuel, le professionnel et l’intime sont entremêlés. Les six premières photos ont été prises par Anne Simon lors de sa visite de l’appartement le 27 juin 2019, avant la transformation de ce lieu de vie et de pensée en appartement à déménager et en fonds archivistique. Cette prise de vue effectuée rapidement n’était à l’origine pas destinée à être diffusée ; elle correspondait à un moment mémoriel et d’hommage personnel où l’on collecte quelques images, pour soi, avant un grand départ. De fait, l’objectif principal de cette première visite, effectuée avec Naomi Russo (membre du service des archives de l’EHESS) et Élisabeth Dutartre (responsable de la bibliothèque du Centre d’études sociologiques et politiques Raymond Aron), était de procéder à un repérage en urgence permettant d’organiser la suite, les délais étant très serrés. Prendre une photo, et le verbe dit beaucoup quand on se trouve dans l’appartement de quelqu’un qui vient de mourir et qu’on n’a pas personnellement connu, n’est pas aisé. De fait, la sensation d’intrusion dans cet appartement encore intact était prégnante : le décès de Gérard Genette datait de quelques semaines, et Raymonde Debray-Genette, absente pour cause de maladie, faisait l’honneur, de son vivant, de léguer sa bibliothèque à l’EHESS – bibliothèque dans laquelle son mari pouvait puiser à sa guise pour ses lectures et ses recherches. Les photographies prises par Annick Louis, dont cet article propose un échantillon, ont été liées à un moment et à une démarche différents : il s’agissait, trois semaines plus tard, de récupérer les archives, alors que l’appartement était déjà en partie vidé et en déménagement.

L’urgence de la collecte : des histoires de réactivité

7Revenons sur l’arrivée des fonds Gérard Genette et Raymonde Debray-Genette au sein de l’EHESS, fonds qui seront transférés en 2021 au Grand équipement documentaire (GED) situé sur le campus Condorcet à Aubervilliers pour y être conservés et communiqués. Il est saisissant, connaissant l’œuvre de Gérard Genette, de commencer par un récit truffé de discours, par du hasard, et par de l’énergie…

8Si Anne Simon remonte loin en arrière, ce n’est pas pour le plaisir de « bardadraquer », ce qu’elle ne saurait faire, mais parce qu’il lui semble intéressant de relever l’entrecroisement de la vie et de l’aléatoire en matière archivistique. Elle rappelle donc qu’elle avait en 2005, à l’occasion d’une journée d’études qu’elle organisait avec Hugues Marchal [5] et qui va s’avérer cruciale pour la suite, rencontré une jeune doctorante, Émilie Frémond. Elle l’avait retrouvée onze ans plus tard, en 2016, lors d’un autre événement scientifique, heureuse d’apprendre qu’elle était devenue maîtresse de conférences à l’Université Sorbonne nouvelle-Paris 3. Deux ans plus tard, le dimanche 10 juin 2018 vers 23 h 30, soit un mois jour pour jour après la mort de Gérard Genette, Anne Simon, en déplacement hors de Paris, reçoit un SMS d’Émilie Frémond lui demandant de la joindre de toute urgence. Un coup de téléphone passé immédiatement lui apprend que sa collègue revient de l’appartement de Gérard Genette dont elle était une amie proche dans les dernières années de sa vie : ses enfants Christine, François et Nathalie l’avaient invitée à retirer les livres qu’elle souhaitait conserver, car la bibliothèque allait, pour les raisons que nous connaissons malheureusement toutes et tous, être dispersée en début de semaine.

9Dans le train le lundi matin, il a donc fallu trouver en quelques heures, par téléphone, un lieu sûr pour ce fonds historique précieux pour la communauté des étudiants et des chercheurs. L’IMEC, Institut Mémoire des Éditions Contemporaines, a des commissions régulières bi-mensuelles, mais ne peut donner une réponse d’une heure sur l’autre ; la destination du fonds était en outre logiquement celle de l’EHESS. Anne Simon a donc joint Bruno Karsenti, vice-président, qui a répercuté immédiatement l’information auprès de Christophe Prochasson, du Bureau et de Julien Blanc, Chargé de Mission en politique documentaire et archivistique de l’EHESS. Leur décision a été très rapide, et en moins d’une journée il a été possible de revenir vers la famille Genette. De multiples échanges ont conduit Anne Simon à expliquer à Christine, François et Nathalie, les trois enfants de Gérard Genette et Raymonde Debray-Genette, quelles seraient les conditions concrètes de cette donation. Ils ont eux-mêmes été extrêmement réactifs, de même que Raymonde Debray-Genette : le fait de confier sa bibliothèque à l’EHESS pour un fonds commun a empêché le non-sens qu’elle soit scindée de celles de Gérard Genette, puisqu’il la consultait évidemment. De très nombreux échanges ont conduit Anne Simon, après contact avec Magali Nié, alors responsable du service des archives de l’EHESS, à leur expliquer avec précision quels documents et ouvrages seraient ou non retenus, à leur indiquer quelles seraient les conditions de leur diffusion, à les prévenir de s’attendre à un délai long pour l’archivage et la mise à disposition effectifs, d’autant que le Grand équipement documentaire du Campus Condorcet n’était alors qu’en phase de projet.

10Cette petite histoire a sociologiquement sa logique, puisque le hasard reste confiné au sein des rencontres académiques et des sympathies qu’elles ne manquent pas de créer. Elle suggère cependant à quel point importent la réactivité de l’ensemble des personnes impliquées tout comme l’explication précise de ce qu’est un fonds, que les ayants droit peuvent assimiler simplement aux bibliothèques : des documents précieux risquent alors de disparaître, dans les opérations de rangement. Désireuse de ne pas décevoir les enfants de Raymonde et Gérard Genette, Anne Simon a estimé important d’insister d’emblée sur le temps long du dépouillement des archives une fois celles-ci récupérées, et sur le fait qu’il ne s’agirait pas d’une transplantation de bibliothèques voire de bureaux au sens où ils pourraient être retrouvés tels quels – le rêve de tout un chacun, à un moment difficile où le deuil se trouve tourné vers le tri des choses de la vie… Il était aussi crucial, étant donné que cet appartement, loué par le couple Genette et devant être remis à ses propriétaires, allait être totalement déménagé, de mettre l’accent sur la nécessité de prendre garde à de nombreux documents apparemment sans intérêt mais dignes d’un grand intérêt pour des chercheurs et des archivistes : dossiers sur la scolarité, l’enseignement, la recherche et les travaux en cours, brouillons et agendas de séminaires, mais aussi, de façon moins intuitive, papiers d’identité, affiliations à des partis, des syndicats ou des associations, documents de santé, correspondance…

11Anne Simon ainsi que Naomi Russo et Élisabeth Dutartre se sont rendues au domicile des Genette le 27 juin 2018, dans le 3e arrondissement de Paris, pour examiner le fonds. Anne Simon, qui ne s’attendait pas à trouver l’ordinateur de Gérard Genette dans son bureau, a pu demander à ses enfants qu’il soit inclus dans le fonds. La donation a été actée en quelques jours. L’opération de tri qui devait avoir lieu ensuite obéissait à des critères précis qui sont ceux du GED, et qui conduisent, comme c’est souvent le cas en matière de récupération d’archives, à éclater ce qui constituait un ensemble. Il convenait notamment, sauf s’ils avaient fait l’objet de dédicaces ou d’annotations, qu’il n’y ait ni doublons avec des ouvrages déjà au GED, ni ouvrages facilement accessibles dans une autre bibliothèque (usuels, romans très diffusés, etc.).

La collecte des archives au domicile des Genette

12Trois semaines plus tard, l’ensemble a été trié sur place et mis en carton les 16 et 17 juillet 2018. Côté archives de l’EHESS, Naomi Russo et Baptiste Billaud, avec l’aide d’Élisabeth Dutartre, ont pu prendre les décisions qui s’imposaient et procéder à une mise en cartons raisonnée. Côté CRAL, la présence d’Annick Louis a été d’autant plus précieuse que, chercheuse spécialisée notamment dans la question des archives [6], elle a pris de nombreuses photographies des bibliothèques ou de documents qui sont encore à ce stade inaccessibles, et pris l’initiative de récupérer pour le CRAL des ouvrages en plusieurs exemplaires, ainsi que des documents non pertinents pour le GED. Des membres du CRAL ayant eux aussi le souci scientifique de participer à cette lourde tâche à un moment de l’année où de nombreux collègues étaient absents et alors que le service était en effectifs réduits se sont portés volontaires pour participer à la collecte du fonds, comme Edgard Vidal, ingénieur d’études, et Eva Paraskevi Nastou, alors doctorante.

13En septembre, Annick Louis, Anne Simon et Adeline Loeffel, coordinatrice administrative du CRAL, ont procédé au classement des documents et ouvrages récupérés pour le compte de l’unité. Plusieurs exemplaires d’ouvrages de Gérard Genette (les Figures, la série initiée par Bardadrac, etc.), ont été mis à disposition des chercheurs et des étudiants du CRAL qui souhaitaient les récupérer. Annick Louis enfin a produit une liste raisonnée de ces documents, jointe en annexe de cette contribution.

14Concernant le fonds Gérard Genette dédié au GED, celui-ci provient majoritairement de deux pièces. La chambre-bureau était recouverte de rayonnages montant jusqu’au plafond et comportait romans français, ouvrages théoriques et usuels (dictionnaires…), des guides gastronomiques (Michelin rouge, Gault & Millau, Pudlo) pour les invitations au restaurant, ainsi que du matériel audiovisuel : projecteur Super 8, projecteur de diapositives – famille, voyages…, « bobines audio, pour écouter surtout des opéras, sur un grand magnétophone à bande comme on en faisait dans les années 1970 [7] », un lecteur de CD et de très nombreux CD (« du classique et du jazz, essentiellement »). Une autre pièce attenante, une chambre d’amis, était davantage dédiée à la littérature étrangère, aux ouvrages scolaires de jeunesse (ouvrages de classes préparatoires, livres en latin…), à la collection de la revue Poétique, créée par Gérard Genette, Hélène Cixous et Tzvetan Todorov, mais aussi aux guides touristiques nombreux, « des Michelin verts. Il aimait voyager, et il préparait longtemps à l’avance le trajet, et les lieux qu’il comptait visiter » et « environ 350 vinyls, en grande majorité du classique, mais aussi du jazz ».

15Enfin, l’appartement disposait de bibliothèques moins fournies dans les couloirs, dédiées notamment aux livres d’art et aux livres sur le cinéma, ainsi que d’une cinquantaine de DVD dans un petit placard dans l’entrée. « Les livres d’art étaient aussi stockés dans un placard qui soutenait la télévision, dans le salon. Dans ce placard également, des cassettes vierges pour enregistrer des vieux films, des classiques, ceux qui passent de temps en temps à la télé, à des heures tardives. Ses préférés : les comédies américaines des années trente, quarante et cinquante, type Leo McCarey, Howard Hawks, Billy Wilder… » François Genette avait par ailleurs donné à Anne Simon la précision suivante en 2018 : « Une résidence secondaire qui a été vendue l’an dernier comportait des livres de poche et des bandes dessinées qui n’ont pas été rapatriés à Paris, mais pas de documents importants. » Le GED ne les aurait pas récupérés mais il est utile, et Anne Simon pense par exemple au texte de Raphaël Baroni, d’avoir la preuve que les bandes dessinées étaient prisées.

16Les photographies reproduites évoquent un ensemble. De celui-ci, le service Archives a retenu uniquement, pour les raisons évoquées et celles qui seront développées plus loin :

171/ Les livres de la bibliothèque de Gérard Genette qui ne sont pas déjà présents au sein du Grand équipement documentaire du Campus Condorcet, ou qui sont déjà présents mais qui sont retenus car annotés ou dédicacés. Comme précisé plus haut, Annick Louis a fait expédier au CRAL environ six cartons d’ouvrages qui n’ont pas été retenus pour le GED. Les pièces-bibliothèques comportaient des ouvrages critiques, philosophiques, historiques et anthropologiques, des ouvrages de fiction (et dans une moindre mesure de théâtre ou de poésie), mais aussi des essais de collègues de Gérard Genette, des ouvrages sur son œuvre, des collectifs avec un de ses articles ou des livres avec une préface rédigée par ses soins, et bien sûr ses propres livres en de nombreux exemplaires.

182/ Divers papiers académiques ou de recherche (parcours scolaire, plans de cours, notes, agendas de cours, etc.) ou liés à l’histoire personnelle de Gérard Genette : lettres, comptes…

193/ Des tirés à part d’articles, divers papiers, des numéros de revues.

204/ Son ordinateur : l’apparition de cette archive est de plus en plus cruciale, à l’heure où de nombreux chercheurs et chercheuses n’écrivent plus à la main ou à la machine. Cet objet qui est aussi un objet intime pose évidemment des questions éthiques dont les archivistes se font les garants en tant qu’ils appliquent la Loi sur les archives (Code du patrimoine), la Loi informatique et libertés et l’application du Règlement général sur la protection des données (RGPD). Par-delà ce qu’il contient, son examen peut rendre compte d’une façon d’écrire et de penser qui n’est plus identique aux pratiques crayon/papier ou machine à écrire, mais qui reste potentiellement propre à chacun.

21Sur le plan de leur constitution, les archives numériques en provenance de l’ordinateur personnel de Gérard Genette sont principalement des fichiers « texte » et des emails en provenance de sa messagerie personnelle, dont les pièces jointes ont été en partie conservées. Cet archivage numérique pose des problèmes de format quand il s’agit de logiciels propriétaires, car ils deviennent rapidement impossibles à lire sans le logiciel qui les accompagne. Par ailleurs, un grand nombre d’emails ne sont pas classés – ce qui relève d’une pratique qui pourra être à terme étudiée – et Gérard Genette n’avait pas d’anti-spams : un grand nombre de spams et de publicités apparaissent dès lors au sein de l’ensemble des emails. Un important chantier de classement du vrac d’archives numériques est donc à mettre en œuvre pour les archivistes qui auront à traiter ce fonds au GED du Campus Condorcet.

22Les quelques autres documents numériques sont des entretiens audio que Gérard Genette avait donnés pour des émissions de radio, entretiens qui se retrouvent en partie transcrits sous la forme de fichiers texte. Enfin, un dossier « comment utiliser un ordinateur » (raccourcis, etc.) pourra intéresser des chercheurs sur l’appréhension de l’informatique par les chercheurs de la génération de Gérard Genette. À partir de cet ensemble d’archives numériques, un travail du même acabit que celui déjà réalisé sur les archives numériques de Jacques Derrida déposées à l’Institut mémoire de l’édition contemporaine (IMEC) [8]pourrait être mené sur le fonds numérique de Gérard Genette au GED du Campus Condorcet. Il serait en outre intéressant de réaliser une étude comparative sur la production sur support analogique traditionnel (papier, bandes) et sur support numérique dans le fonds Genette, afin de comprendre ses méthodes d’élaboration textuelle.

Propositions sur les collectes d’archives de chercheurs : filmer les lieux et anticiper l’urgence

23Cette expérience de récupération en urgence d’un fonds conduit à plusieurs remarques conclusives.

24– Il importe, dans la mesure du possible, de filmer les lieux avant qu’ils soient triés ou vidés afin de rendre compte d’une ambiance de travail et de vie, en procédant en outre à des zooms sur les bibliothèques ainsi que sur les documents visibles qui peuvent témoigner de préoccupations scientifiques ou existentielles en cours.

25– À défaut, il conviendrait de prendre des photos en gros plan de toutes les bibliothèques, surtout celles qui ne sont pas retenues (exemple chez Gérard Genette du rayonnage Guides touristiques), ou a minima de faire une liste écrite des titres présents dans l’ensemble de l’appartement.

26L’avantage des prises de vue est que films ou photographies permettent de visualiser une manière de classer, de ranger, de s’y retrouver, de « traiter » tel ou tel ouvrage, de vivre aussi la recherche ou l’écriture : se faisaient-elles au bureau exclusivement, ou aussi sur le fauteuil voire… au lit, tous meubles présents dans la pièce de Gérard Genette, ce spécialiste d’un écrivain, Proust, qui passa les quinze dernières années de sa vie à écrire dans son lit ? La chambre d’amis contenait par exemple les romans et la littérature d’évasion étrangers… alors que la chambre-bureau de Gérard Genette contenait les ouvrages réputés « sérieux » (au sens générique du terme) et la littérature française : il y a là une répartition spatiale qui est à analyser, et à confronter aux théories de Genette ; celle de Raymonde Debray-Genette, de façon logique vu son travail de recherche, contenait les œuvres de Flaubert et plus généralement du xixe siècle…

27Filmer une prise d’archives permet de tenir compte de tout ce qui est éliminé, tout ce qui est considéré comme « para » (paralittérature, parascience, quotidien versus recherche, etc.) : ces ouvrages, disques et documents sont pourtant tout aussi fondamentaux puisqu’ils ont fait l’objet d’une démarche volontaire d’achat… et n’ont pas été reçus, comme c’est le cas pour certains ouvrages de collègues, par exemple ! Visualiser ce qui va disparaître permettrait aussi, pour les chercheurs du futur, de faire un portrait d’époque, par-delà tel ou tel fonds précis : qu’est-ce qui mérite ou non, à un instant t du temps socio-académique, d’être « notable » (pour parler l’idiome de Barthes), hiérarchisable, archivable (c’est Derrida qui rappelle le lien de l’archive à l’archonte…) ?

28– Enfin, ces situations de collecte de fonds, souvent liées à des deuils et donc à des délais serrés, sont, comme le précisait Julien Blanc dans un message électronique, amenées à se multiplier à l’EHESS, créée en 1975 et accueillant une quarantaine d’unités de recherche : un document concis et aisé d’usage, avec règles et conseils, serait utile pour les non-archivistes qui ont des décisions à prendre dans l’urgence et qui sont celles et ceux qui sont en contact avec les ayants droit, à un moment douloureux, pour une demande de don qui réclame respect et délicatesse.


Annexe 1

29GED – Plan de classement du Fonds Gérard Genette (au 25/11/2019)

30– Papiers personnels : arbres généalogiques (sd), « archives synoptiques » (activités et emploi du temps de Genette, 1969-2016), agendas (1997 et 2000-2002), journaux intimes (1984-2010), photographies, correspondance, documents relatifs à la scolarité de Genette (diplômes, notes, certificats), documents sur sa carrière et ses travaux de recherche (CV, bibliographie, doc de candidature à l’EPHE).

31– Documents relatifs à son enseignement : compte rendu d’enseignement, programme de doctorat, quelques dossiers d’étudiants (doctorants), notes de soutenances de doctorants (fiches).

32– Documents relatifs aux éditions de ses travaux : Figures I, II, III, Palimpseste, Nouveau Discours du récit, Fiction et Diction, L’Œuvre de l’art, Métalepse, Codicille, Apostille : correspondance, revues de presse, contrat d’auteur, relevés de comptes d’auteur.

33– Dossiers de participation à des évènements scientifiques (colloques, JE) et de missions.

34– Dossiers thématiques : narratologie, référence et fiction, genre, esthétique, bibliographie, théories littéraires, comique.

35– Correspondance.

36– Fichiers bibliographique et de contacts.

Annexe 2

37Centre de recherches sur les arts et le langage – Archives Gérard Genette. Inventaire effectué à l’automne 2018 par Annick Louis (la liste complète des documents sera accessible sur Internet) : ouvrages de Gérard Genette ; éditions d’ouvrages avec préface de Gérard Genette ; ouvrages collectifs avec un article de Gérard Genette ; numéros de revues avec un article de Gérard Genette : tirés-à-part d’articles de Gérard Genette : ouvrages sur l’œuvre de Gérard Genette ; autres ouvrages.

Dossier iconographique : le bureau de Genette et des archives de cours

Photographie 1 : Chambre-bureau de Gérard Genette.
Photographie 1 : Chambre-bureau de Gérard Genette. Photographie d’Anne Simon
Photographie 2 : Chambre-bureau de Gérard Genette.
Photographie 2 : Chambre-bureau de Gérard Genette. Photographie d’Anne Simon
Photographie 3 : Chambre-bureau de Gérard Genette.
Photographie 3 : Chambre-bureau de Gérard Genette. Photographie d’Anne Simon
Photographie 4 : Chambre-bureau de Gérard Genette.
Photographie 4 : Chambre-bureau de Gérard Genette. Photographie d’Anne Simon
Photographie 5 : Chambre-bureau de Gérard Genette.
Photographie 5 : Chambre-bureau de Gérard Genette. Photographie d’Anne Simon
Photographie 6 : Chambre d’amis des Genette.
Photographie 6 : Chambre d’amis des Genette. Photographie d’Anne Simon
Photographie 7 : Dans la chambre d’amis des Genette.
Photographie 7 : Dans la chambre d’amis des Genette. Photographie d’Anne Simon
Photographie 8 : Notes de Gérard Genette.
Photographie 8 : Notes de Gérard Genette. Photographie d’Annick Louis
Photographie 9 : Notes sur le « Bouclier d’Achille ».
Photographie 9 : Notes sur le « Bouclier d’Achille ». Photographie d’Annick Louis
Photographie 10 : Plan de cours de Gérard Genette (1966-67).
Photographie 10 : Plan de cours de Gérard Genette (1966-67). Photographie d’Annick Louis
Photographie 11 : Notes de Gérard Genette pour Fiction et Diction.
Photographie 11 : Notes de Gérard Genette pour Fiction et Diction. Photographie d’Annick Louis

Notes

  • [1]
    Mazon, Brigitte. « Archiver les sciences sociales dans leur contexte institutionnel : le cas de l’École des hautes études en sciences sociales », Les Archives des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, sous la direction de Goulven Le Brech et Charlotte Maday, La Gazette des archives, no 231, année 2013-3, Association des archivistes français, p. 183-198.
  • [2]
    Voir les hommages rendus sur le site du CRAL : http://cral.ehess.fr/index.php?2590
  • [3]
    Le CRAL est devenu une Unité Mixte de Recherche CNRS/EHESS en 2001, sous la direction de François Flahault.
  • [4]
    Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, édition de Jean-Yves Tadié, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1988, II, p. 27.
  • [5]
    « Le discours des organes », Université Sorbonne nouvelle, 3 juin 2005 : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00454036/document
  • [6]
    Annick Louis a été porteuse du projet PSL-Columbia-EHESS « Les écritures des archives » en collaboration avec Jesús Velasco (Columbia University), qui a donné lieu de 2016 à 2019 à de nombreuses manifestations scientifiques.
  • [7]
    François Genette ; nous le remercions pour ses nombreuses précisions lors de la rédaction de cet article. Ibidem pour les citations qui suivent.
  • [8]
    À ce sujet, voir les travaux d’Aurèle Crasson sur les archives numériques de Jacques Derrida, et sur la façon qu’a eue le philosophe d’envisager son propre archivage électronique : « Derrida et l’ordinateur : une archive malgré soi », En attendant Nadeau, en ligne : https://www.en-attendant-nadeau.fr/2019/11/19/archives-manuscrits-4-derrida/
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