Notes
-
[1]
Traduction du texte réalisée par Lise Charron et Joan M. Marín (Universitat Jaume-I de Castelló).
-
[2]
Bernd Löbach, Diseño industrial. Bases para la configuración de los productos industriales, Barcelone, Gustavo Gili, 1981, p. 20.
-
[3]
Manuel Fontán del Junco, « Profundidades del diseño y permanencia de la moda », in Situación 2, Madrid, Servicio Publicaciones BBV, 1996, p. 37.
-
[4]
Rosario Vidal, « Ecodiseño », in Julia Galán, Jaume Gual, Joan M. Marín, Jordi Olucha, Rosalía Torrent, et Rosario Vidal, El diseño industrial en España, Madrid, Cátedra, 2010, p. 435.
-
[5]
Ezio Manzini, Artefactos. Hacia una nueva ecología del ambiente artificial, Madrid, Celeste, 1992, p. 16.
-
[6]
Laura Houseley, Ultra design. La nouvelle génération de designers, Paris, Thames & Hudson, 2009, p. 11.
-
[7]
Silvia Barbero et Brunella Cozzo, Ecodesign, Königswinter, h.f.Ullmann, 2009, p. 25
-
[8]
Voir le site : <http://www.plastix-world.com/why-it-is-better-than-the-others/>.
-
[9]
Voir le site : <http://www.davidgraas.com/not-a-box#2>.
- [10]
-
[11]
Voir le site : <https://adsoftheworld.com/media/ambient/paper_dispenser>.
-
[12]
Voir le site : <http://cargocollective.com/yanlu/Poor-Little-Fish>.
-
[13]
Dominique Bourg, « Économie de fonctionnalité et développement durable », in Valérie Guillaume, D. Day, le design aujourd’hui, Paris, éditions du Centre Pompidou, 2005, p. 54-55.
-
[14]
Voir le site : <http://www.vestergaard.com/fr/lifestraw-personal>.
-
[15]
Voir le site : <http://www.qdrum.co.za/>.
-
[16]
Voir le site : <http://lifelineenergy.org/ourtechnology/>.
-
[17]
Voir le site : <http://faulders-studio.com/UNDERCOVER-TABLE-V1>.
-
[18]
Voir le site : <http://minekafon.org/minekafonprototypes/>.
-
[19]
Voir le site : <https://cassandria.wordpress.com/2010/08/06/des-mines-dans-leketchup/>.
-
[20]
Voir le site : <http://www.gabymel.com/#/solidworks-renderings/>.
-
[21]
Voir le site : <https://www.liftware.com/steady/>.
-
[22]
Voir le site : <https://kids.ownfone.com.au/about-ownfone#.WLigJfK0mco>.
-
[23]
Nieves Fernández Villalobos, « Diseño social ¿Utopía o realidad ? », in Reptes de disseny / Retos de diseño / Design Challenges, Valence, Universitat Politècnica de València, 2009, p. 91.
-
[24]
Voir le site : <http://www.ikea.com/fr/fr/catalog/products/20233249/>.
-
[25]
Voir le site : <http://www.yankodesign.com/2010/10/18/exit-made-easy/>.
-
[26]
Voir le site : <http://www.dunneandraby.co.uk/content/projects>.
-
[27]
Anthony Dunne y Fiona Raby, « Pour design critique. Consommer monstres », in Valérie Guillaume, D. Day, le design aujourd’hui, op. cit., p. 27.
-
[28]
James Randerson, « In memoriam », New Scientist, n° 2447, 15 mai, p. 17.
-
[29]
Terence Conran, Diseño, Barcelone, Blume, 1997, p. 14.
-
[30]
Voir le site : <https://www.eone-time.com/>.
- [31]
-
[32]
Terence Conran, op. cit., 14.
1 L’activité créative du design industriel est l’héritière directe du concept grec de τέχνη, et de la notion latine d’ars. Au contraire des Beaux-Arts, qui ont abandonné la notion d’utilité pratique et se sont éloigné de la quotidienneté, le design n’a jamais complètement renoncé à sa dimension fonctionnelle, et sa créativité s’est déployée au service des objets qui nous entourent.
2 Bien qu’il soit difficile d’établir une définition exhaustive, nous partageons le point de vue de Löbach quand il décrit le design industriel comme « un processus d’adaptation de produits de fabrication industrielle aux nécessités physiques et psychologiques des usagers et des groupes d’usagers [2] ». Contrairement aux créations artistiques traditionnelles – dans lesquelles survit la finalité contemplative caractéristique de la notion de Beaux-Arts du xviii e siècle – les produits du design industriel sont des objets d’usage dont la fonction, dans la plupart des cas, va au-delà de la simple contemplation. La Science fondamentale, Epistêmê – la connaissance qui a pour but le savoir par le savoir – et l’Art, pourvu des prédicats kantiens d’autonomie et de désintéressement, ont en commun le fait qu’ils sont une finalité en soi. En revanche, le design industriel coïncide avec la τέχνη Technè ou Ars dans la mesure où ils supposent des connaissances pratiques, des moyens pour atteindre une autre fin. Nous ne devons pas oublier que dans le mot τέχνη Technè ou Ars se mêlent, de manière indistincte, les notions d’art, de technique, de métier et d’habileté. D’une certaine façon, le designer est un intermédiaire entre la technique et l’humanité, celui qui possède assez de dextérité pour mettre la technologie au service des nécessités matérielles et psychologiques de l’être humain.
3 Pour continuer dans cette voie, il serait intéressant de reprendre la thèse de Manuel Fontán selon laquelle le design industriel, avec son but d’unir la beauté et la fonctionnalité dans les objets quotidiens, a comblé avec succès « un espace laissé vide depuis qu’au xviii e siècle ceux que nous appelons les “Beaux-Arts” sont devenus autonomes par rapport à l’artisanat, au décoratif, à l’utile et à l’agréable [3] ».
4 Toutefois, que le design industriel soit une Technè avec un but pratique ne garantit pas pour autant qu’il maintienne un engagement éthique avec la société. De fait, tout au long de la brève histoire du design industriel nous trouvons autant d’époques et de courants dans lesquels a prévalu une volonté d’engagement social et éthique, que d’autres moments où l’activité du designer s’est détachée de ce type de considérations. Ainsi, par exemple, la Bauhaus et d’autres initiatives du Mouvement Moderne maintiennent un clair accord avec les projets d’esthétique généralisée, propres au romantisme allemand et à quelques avant-gardes historiques, dans lesquels la créativité se met au service de l’émancipation humaine. En revanche, nous assistons tant dans le styling américain des années trente que dans la postmodernité, à la prolifération d’une esthétique diffuse au service de la création des apparences et des simulacres qui, en suivant la logique de la société du spectacle, stimulent la consommation.
5 L’objet de cet article est précisément d’explorer les lignes d’action du design actuel qui maintiennent un engagement éthique avec la société : l’ecodesign, le design pour la nécessité/Design Takes of Risk, l’ecodesign et le design pour tous/universal design.
Écodesign
6 Bien avant les designers, comme Rosario Vidal nous le rappelle, quelques « économistes avec une sensibilité écologique » nous ont lancé des avertissements face à un système de production industrielle non viable : « Kenneth E. Boulding utilisait, déjà en 1945, l’expression graphique selon laquelle la Terre est un “vaisseau spatial” dont les ressources sont limitées et doivent être utilisées d’une manière rationnelle et modérée pour assurer la survie de l’humanité [4]. » Pendant les années soixante-dix, un débat intense s’est produit entre les partisans d’une « croissance zéro », et les partisans d’un « développement durable » qui, sans compromettre l’avenir de la planète, était économiquement viable, satisfaisait les nécessités et était juste envers les aspirations légitimes d’amélioration des sociétés en voie de développement. En 1971, dans son livre Design for the Real World (« Design pour un monde réel ») Victor Papaneck a mis en garde les designers en leur rappelant leur responsabilité sociale et en exigeant d’eux une attitude respectueuse envers l’environnement. Cependant, aujourd’hui les choses ont beaucoup changé, tant au niveau conceptuel qu’au niveau technologique. Contrairement aux groupes alternatifs de la fin des années soixante et à leurs prétentions de revenir à l’état de la nature rousseauienne, aussi idyllique que chimérique, nous comprenons aujourd’hui que notre monde, comme le dirait Manzini, est « irréversiblement artificiel [5] ». Cette réalité ne fait qu’augmenter la responsabilité éthique des designers, tels d’authentiques démiurges dans ce monde peuplé de machines. Comme l’écrit Laura Houseley :
Le design contemporain est, par nature, en prise directe avec les problématiques de son temps et se doit d’y apporter une réponse. Aujourd’hui, il est particulièrement sensibilisé aux questions écologiques et les tendances qui se dessinent s’inscrivent dans cette prise de conscience. Les jeunes designers ont compris que ces préoccupations seront à l’avenir déterminantes et s’emploient d’ores et déjà à rechercher des méthodes de conception et de fabrication durables [6].
8 Aujourd’hui, les lignes directrices de l’ecodesign essaient d’intégrer le cycle de vie du produit dans tous ses aspects. En général, on cherche à :
- Utiliser des matériaux biodégradables et non polluants ;
- Adopter des mesures qui facilitent le recyclage des matériaux, comme c’est le cas des produits mono-matériaux ;
- Diminuer la quantité de matière employée dans le produit et dans les emballages ;
- Réduire la consommation d’énergie dans le processus de fabrication et de distribution ;
-
Prolonger la vie du produit au moyen d’une durabilité appropriée, l’adaptabilité, la fiabilité, le service, la maintenance, la possibilité de réparation, la re-fabrication et la réutilisation. Une réutilisation que l’on peut réaliser à travers le recyclage ou le réemploi :
Pourtant similaires, les concepts de recyclage et de réemploi se différencient par la nature des produits qu’ils génèrent. Tandis que le recyclage prévoit la transformation et la réutilisation du ou des matériaux de l’objet recyclé, le réemploi utilise à nouveau l’objet même, en lui apportant des modifications structurelles ou formelles, sans pour autant opérer de transformations chimiques ou physiques. En termes de durée, dans le premier cas ce sont les matériaux qui durent dans le temps et dépassent la durée de vie du produit, tandis que dans le second, c’est l’objet lui-même [7].
9 Considérons quelques exemples de produits qui présentent ces stratégies :
- La GreenBottle (2007) [8] est une bouteille pour les liquides lactés qui combine l’utilisation de matériaux biodégradables et le recyclage : l’emballage extérieur est fait de papier recyclé, alors que le sac intérieur est constitué de PLA, un matériel plastique biodégradable fait à partir d’amidon de maïs ;
- La Not a Box, (2007) de David Graas [9], a un nom dont le jeu linguistique nous rappelle le Ceci n’est pas une pipe de Magritte. Ce produit imaginatif brille par son génie dans l’économie des matériaux grâce au double usage de l’emballage, puisque la boîte en carton recyclé devient l’abat-jour de la lampe.
10 L’intérêt pour l’économie d’énergie est aussi présent dans quelques produits haut de gamme. Les cuisines Greenkitchen (2010), développées par la Whirpool-Europe [10], combinent une haute efficacité énergétique et un faible impact environnemental. Ces cuisines innovantes incorporent, en plus des panneaux solaires comme source d’énergie, un cycle continu d’eau et de chaleur. L’eau du robinet est filtrée et réutilisée pour l’arrosage de plantes ou pour le lave-vaisselle qui, à son tour, utilise la chaleur produite par le moteur du réfrigérateur pour chauffer l’eau. Le système permet dans son ensemble une économie d’énergie allant de 70 à 80 %.
11 Mais il ne suffit pas de créer des écoproduits efficaces énergétiquement, il est aussi nécessaire de sensibiliser les gens à des habitudes de consommation responsable. Dans le même esprit, on peut remarquer la campagne réalisée pour WWF, Fonds Mondial pour la Nature, (2007) [11] qui se distingue par la simplicité de l’idée et la clarté de son message. Cette campagne nous présente un distributeur de papier sur lequel l’image de la planète (dans ce cas, de la carte de l’Amérique du Sud) est de moins en moins verte à mesure que nous tirons le papier.
12 Le lavabo avec aquarium, Little Fish Basin (2009) [12], conçu par Yan Lu, est un produit aussi didactique qu’amusant. Grâce à un mécanisme de connexion, il réussit à produire l’illusion que le robinet est raccordé à l’eau de l’aquarium et que celle-ci diminue tant que le robinet reste ouvert.
13 Au-delà des principes directeurs présents dans ces produits, on remarque qu’actuellement, certains théoriciens proposent un type d’économie fonctionnelle – qui substitue la vente de produits par la vente de services – comme une stratégie qui contribuerait à l’obtention d’une société durable. Comme l’écrit Dominique Bourg :
L’économie de fonctionnalité, à savoir, le remplacement de la vente de produits par la vente de services, peut apparaître comme l’une des voies de rupture avec cette spirale infernale […] Il n’en reste pas moins vrai que la vente de services peut être spécifiquement conçue de manière à réduire les flux de matières inhérents à un type de produit. S’ils devaient tirer des flux financiers de services d’usage et de maintenance, nombre d’industriels seraient en effet enclins à concevoir des produits durables et modulables. Ils pourraient contrôler plus facilement le cycle de vie de leurs produits et les valoriser au terme de leur existence. Les flux financiers pourraient alors continuer de croître sans impliquer ipso facto la croissance des flux de matières et d’énergies [13].
Design pour la nécessité
15 L’engagement éthique se retrouve aussi dans une autre branche du design industriel qui englobe les projets dont le but est de satisfaire des nécessités indispensables à la survie. L’une de ces nécessités primaires est l’accès à l’eau. Le purificateur d’eau LifeStraw (2006) [14], créé par Mikkel Vestergaard, contient sept filtres de charbon actif qui éliminent plus de 98 % des parasites, des bactéries et des virus qui peuvent se trouver dans l’eau, et la rendent potable. Ce petit dispositif individuel a une durée de vie utile d’un an et permet, dans cette période, de filtrer environ 700 litres d’eau. Cet appareil fonctionne sans entretien ni électricité et son prix est d’environ 3 dollars.
16 On peut aussi mentionner le récipient Q-drum (2005) [15], designé par Pieter Hendrikse. La forme circulaire de ce récipient, semblable à une roue, permet de déplacer 50 litres d’eau avec un moindre effort. Cet objet nous montre comment une idée simple peut soulager de grandes charges les populations rurales, notamment celles qui vivent dans des zones éloignées de sources d’eau.
17 La communication est aussi une nécessité basique qui est souvent rattachée à des sujets comme la santé et la sécurité. En 1995, Trevor Baylis a designé sa maintenant classique, mais innovante à l’époque, radio à manivelle Freeplay, spécialement pensée pour les zones dépourvues d’électricité, ou dans celles où les piles n’étaient pas accessibles pour une grande partie de la population. Jusqu’à 2010, l’entreprise Free Play Energy a continué de produire des radios autonomes pour des situations d’urgence, avec des batteries qui sont rechargées par une manivelle et par l’énergie solaire. Cependant, depuis 2010 la Freeplay Foundation est devenue la Lifeline Energy [16], du nom de l’organisation qui maintient actuellement les programmes d’aide au développement.
18 Au sein du design pour la nécessité se trouve le design pour situations limites (Design Takes of Risk), qui cherche à fournir des équipements pour mieux faire face aux catastrophes naturelles ou aux situations d’urgence humanitaire. Un exemple serait le type de table Undercover Table (1999) [17], développé par Anna Rainer (Faulders studio), qui en cas d’effondrement par tremblement de terre fournit un abri pourvu du matériel de survie indispensable.
19 Design pour les situations de risque, design écologique et beauté convergent dans le Mine Kafon (2012) [18], imaginé par Massoud Hassani, designer d’origine afghane résidant en Hollande. Cette machine, conçue pour faire exploser des mines antipersonnel, est composée d’un noyau de métal recyclé dont sortent « 170 jambes de bambou avec des chaussures de plastique recyclable ». Il se déplace poussé par le vent et son parcours peut être contrôlé par un GPS. Désactiver une mine avec les systèmes traditionnels peut coûter jusqu’à 900 euros, alors que le prix total des matériaux de ce produit est de 40 euros. À chaque explosion, Mine Kafon peut perdre deux jambes de bambou ; mais il peut continuer à fonctionner sans elles. De plus, elles sont facilement remplaçables. La section de design du MOMA a fait l’acquisition d’un de ces appareils.
20 En relation avec la lutte contre l’utilisation des mines antipersonnel, nous ne pouvons omettre la campagne que l’ONG néo-zélandaise CALM [19] a réalisée en 2006. Sur des sachets de ketchup apparaissait la photographie d’un enfant en short et à l’ouverture du sachet, la sauce rouge qui en sortait rappelait de manière frappante les ravages humains causés par les mines. Un exemple de créativité fonctionnelle dont l’objectif est d’éveiller les consciences.
Design et handicap et design pour tous
21 L’engagement social se manifeste d’une manière spéciale dans le design de produits destinés à surmonter les handicaps. Le design adapté aux handicapés est ancré dans la tradition dans les pays scandinaves. De fait, nous pouvons remonter jusqu’à l’innovation que représentaient les ustensiles de cuisine pour handicapés moteurs réalisés par Maria Benktzon et Sven Eric Juhlin dans les années soixante-dix. Un exemple actuel serait le matériel de cuisine Single-Handed Cook (2009) [20], designé par Gabriela Meldaikyte, et qui est pensé pour être utilisé d’une seule main.
22 La cuillère pour stabiliser les tremblements chez les personnes atteintes de Parkinson, Liftware stabilizer (2013) [21], constitue un autre exemple de design adapté aux handicapés. Cette cuillère, développée par Lift Labs à San Francisco, détecte les mouvements de l’utilisateur et se déplace ensuite dans le sens inverse des tremblements, permettant à la personne de s’alimenter de manière autonome.
23 Pensons aussi aux recherches destinées à faciliter l’usage des téléphones portables par les personnes aveugles. Des applications comme la VoiceOver permettent aux utilisateurs de naviguer sur leur smartphone iPhone en utilisant l’écran tactile et en écoutant les descriptions des fonctions distinctes. En 2012, les chercheurs de l’institut technologique de Géorgie aux États-Unis ont développé une application disponible sur les dispositifs Apple et Android, basée sur des systèmes de braille. En 2013, l’entreprise indienne Kriyate a fabriqué un prototype de smartphone en braille avec des éléments qui émettent un son ou vibrent après avoir reçu des instructions déterminées. Et en 2014, l’entreprise britannique OwnFone [22] a lancé une gamme de téléphones portables spéciaux et personnalisables pour des personnes avec un handicap visuel. C’est le premier téléphone avec un clavier fabriqué grâce à une imprimante 3D. Il dispose d’un écran tactile et peut être personnalisé avec deux ou quatre boutons en braille qui auront été programmés pour appeler des proches, des amis, des soignants ou des services d’urgence.
24 Du point de vue strictement conceptuel, le design adapté aux handicapés diffère du design pour tous dans le sens où le premier se concentre sur des produits strictement destinés aux segments de population ayant des nécessités spéciales, alors que le design pour tous est destiné à l’ensemble de la population, tout en incluant les éléments qui permettent aussi son utilisation par les segments de population déjà mentionnés. De manière générale, cette branche du design industriel coïnciderait avec le Universal Design que Ron Mace a défendu depuis les États-Unis à la fin des années quatre-vingt :
Son objectif – nous rappelle Nieves Fernández – est de simplifier la vie de toutes les personnes, en faisant que les produits, les communications et l’environnement construits par l’homme soient plus accessibles et utilisables par le plus grand nombre possible d’utilisateurs au prix le plus bas possible [23].
26 En définitive, le design pour tous suivrait la maxime exprimée par l’EIDD (European Institute for Design & Disability / Institut européen du design et du handicap) : « Le bon design habilite, le mauvais design handicape. »
27 Deux exemples simples illustrent ce concept : l’ouvre-boîte ambidextre produit par Ikea [24], qui peut être utilisé tant par des droitiers que par des gauchers ; et le redesign de systèmes d’ouverture des sorties de secours, ReDesign Exit Door [25], proposé par Chen Guan Yuan. Le simple changement d’orientation – d’horizontal à vertical – de la barre d’ouverture de ces portes les rendent accessibles à un plus grand nombre de personnes en cas de désastre : des enfants, des utilisateurs en fauteuil roulant, des blessés, ou les personnes qui rampent sur le sol pour échapper à la fumée.
Design critique
28
Le design critique est une autre des tendances actuelles qui semble utile pour affronter les défis qui nous attendent dans l’avenir immédiat. Selon deux de ses principaux représentants, Anthony Dunne et Fiona Raby [26], le design critique nous permet de créer des « produits hypothétiques » et des « scénarios hypothétiques » qui nous servent à prévoir et à nous représenter les défis éthiques et sociaux que le développement technologique vertigineux provoquera et dont il faudra débattre [17] :
Dans cette ligne de réflexion, propre au design critique, nous trouvons le projet Biopresence (2003) : en partant de la nouvelle conception de l’être humain qu’a favorisée la génétique, plus proche du programme d’information que du corps charnel, Georg Tremmel et Shiho Fukuhara conçoivent l’idée d’un « mémorial vivant » après avoir intégré de l’ADN humain dans un arbre. Le potentiel de réflexion et de débat de ce type d’initiatives a été rendu manifeste par la polémique qu’a suscitée le projet, allant jusqu’à la publication d’articles critiques dans des revues scientifiques [28].Au rythme où la technologie progresse aujourd’hui, il est très important d’encourager un esprit de réflexion et de critique, et il semble indispensable d’envisager d’autres scénarios que ceux proposés par les industriels. Parce qu’il est accessible et qu’il fait partie intégrante de la culture populaire, le design est mieux placé pour remplir ce rôle de catalyseur et de médiateur entre les consommateurs et les entreprises. Mais cela implique des changements importants : il faut, en particulier, développer une activité de design parallèle, qui s’interroge et remette en question les programmes des industriels [27].
… Et l’esthétique ?
29 À l’issue de ce tour d’horizon de produits dans lesquels est manifeste la poursuite des valeurs éthiques et de l’engagement social dans certaines lignes d’action du design, il faut nous demander si la dimension formelle – esthétique – a cessé d’être importante pour notre discipline. La réponse est négative et catégorique : ce n’est pas du tout le cas. L’affirmation suivante du designer Terence Conran, le créateur de la chaîne de magasins Habitat, formule la réponse en de justes termes :
J’aime penser que 98 % du design est du bon sens. Ce qui le rend réellement si intéressant et qui en fait un défi sont les 2 % restants, ce qui pourrait s’appeler l’« esthétique » […] Ce sont ces 2 % qui marquent la différence entre quelque chose qui est parfaitement acceptable et cet autre si spécial que tout le monde veut avoir [29] …
31 La montre The Bradley Timepiece [30], designée pour des non-voyants, et nominée pour le prix de meilleur design 2014 par le Design Museum de Londres, est un bon exemple. La montre est constituée d’une sphère de titane et n’a ni aiguilles ni nombres. La boule aimantée qui se déplace le long de la rainure centrale marque les minutes, tandis que la boule qui se déplace au bord de la sphère marque les heures. Les conversations que le designer Hyungsoo Kim a entretenues avec son ami aveugle Snyder Bradley l’ont conduit à deux conclusions : la première, le désir d’inclusion des personnes handicapées : « J’avais une montre qui parlait – raconte Bradley – elle était utile […] mais si j’étais dans un train je ne pouvais pas l’écouter. » Mais, « le pire, – continue Bradley – c’est que dès l’instant où l’on presse le bouton il est clair qu’on est quelqu’un avec une nécessité spéciale. J’apprécie l’idée d’utiliser le même objet que tout le monde. Et je veux me sentir le plus normal possible [31] ». En deuxième lieu, contrairement à ce que beaucoup peuvent penser, les personnes aveugles ne choisissent pas seulement des objets pour leurs aspects fonctionnels et pratiques, mais aussi pour des raisons esthétiques.
32 L’élément le plus significatif – comme le déclare lui-même le designer – a été le fait que, parmi les plus de 1 000 personnes qui ont commandé cette montre sur Internet dans les premiers jours qui ont suivi son lancement, seulement 1 à 2 % d’entre eux ont une déficience visuelle. Donc, comme l’affirmait Conran, la dimension esthétique est « ce qui marque la différence entre quelque chose qui est parfaitement acceptable et cet autre si spécial que tout le monde veut avoir [32] … ».
Bibliographie
Bibliographie
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Notes
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[1]
Traduction du texte réalisée par Lise Charron et Joan M. Marín (Universitat Jaume-I de Castelló).
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[2]
Bernd Löbach, Diseño industrial. Bases para la configuración de los productos industriales, Barcelone, Gustavo Gili, 1981, p. 20.
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[3]
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[4]
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Ezio Manzini, Artefactos. Hacia una nueva ecología del ambiente artificial, Madrid, Celeste, 1992, p. 16.
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Silvia Barbero et Brunella Cozzo, Ecodesign, Königswinter, h.f.Ullmann, 2009, p. 25
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Voir le site : <http://www.plastix-world.com/why-it-is-better-than-the-others/>.
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[9]
Voir le site : <http://www.davidgraas.com/not-a-box#2>.
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Voir le site : <https://adsoftheworld.com/media/ambient/paper_dispenser>.
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Voir le site : <http://cargocollective.com/yanlu/Poor-Little-Fish>.
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-
[27]
Anthony Dunne y Fiona Raby, « Pour design critique. Consommer monstres », in Valérie Guillaume, D. Day, le design aujourd’hui, op. cit., p. 27.
-
[28]
James Randerson, « In memoriam », New Scientist, n° 2447, 15 mai, p. 17.
-
[29]
Terence Conran, Diseño, Barcelone, Blume, 1997, p. 14.
-
[30]
Voir le site : <https://www.eone-time.com/>.
- [31]
-
[32]
Terence Conran, op. cit., 14.