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Article de revue

Les passions au miroir des arts dans Le Rouge et le Noir

Pages 17 à 29

Notes

  • [1]
    Albert Thibaudet, Réflexions sur le roman [1938], Paris, Gallimard, 1965.
  • [2]
    Voir Michel Crouzet, Le Roman stendhalien, Orléans, Paradigme, 1996, p. 222.
  • [3]
    Albert Thibaudet, Réflexions sur le roman [1938], Paris, Gallimard, 1965. Cité par Michel Crouzet, Le Rouge et le Noir, Essai sur le romanesque stendhalien, Paris, Eurédit, 2012, p. 48 (1re éd., Paris, Puf, 1995).
  • [4]
    Mémoires d’un touriste, in Voyages en France, éd. Victor Del Litto, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1992, p. 566.
  • [5]
    Paul Arbelet, La Jeunesse de Stendhal, Paris, Champion, 1919, t. I, p. 200.
  • [6]
    De l’Amour, éd. Xavier Bourdenet, Paris, GF-Flammarion, 2014, p. 88.
  • [7]
    Michel Crouzet, Le Roman stendhalien, op. cit., p. 232.
  • [8]
    « Du caractère des femmes françaises », in Mélanges de littérature, éd. Henri Martineau, Paris, Le Divan, 1933, t. II, p. 31.
  • [9]
    Michel Crouzet, Le Roman stendhalien, op. cit., p. 234.
  • [10]
    Id.
  • [11]
    Pensées, Filosofia nuova, éd. Henri Martineau, Paris, Le Divan, 1931, t. I, p. 158.
  • [12]
    Voir Vie de Rossini, chap. xxii : « II y a une description du beau qui convient à tous les arts » (éd. Pierre Brunel, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1992, p. 297).
  • [13]
    Michel Crouzet, « Stendhal et les signes », in Romantisme, n° 3, 1971, p. 58.
  • [14]
    Lettre à Pauline Beyle, fin juin 1804, Correspondance, éd. Henri Martineau et Victor Del Litto, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1968, t. I, p. 116.
  • [15]
    L’amour « ouvre l’âme à tous les arts » en vertu d’une analogie qui lie la beauté physique aux autres beautés naturelles et au beau tel qu’il advient dans la création artistique. Voir De l’Amour, éd. cit., p. 252.
  • [16]
    Ibid., p. 85.
  • [17]
    Michel Crouzet, « Le Nord, le Midi : de l’aisthesis à l’esthétique », in Regards de Stendhal sur le monde moderne, Paris, Kimé, 2010, p. 296.
  • [18]
    Ibid., p. 304.
  • [19]
    Emmanuel Schwartz, « La matière du pittoresque stendhalien. Le jeu des arts et des lettres », in Martine Reid (dir.), Le Rouge et le Noir de Stendhal, Lectures critiques, Paris, Garnier, coll. « Rencontres », 2014, p. 170.
  • [20]
    « On le dit fils d’un charpentier de nos montagnes, mais je le croirais plutôt fils naturel de quelque homme riche » (I, xxx, p. 301). Les références données entre parenthèses dans le texte et dans les notes renvoient à l’édition procurée par Anne-Marie Meininger (Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2000).
  • [21]
    Il présente son adversaire comme le « fils naturel d’un ami intime du marquis de La Mole » (II, vi, p. 375), bruit que celui-ci révèle un peu plus tard à Julien : « Eh bien ! lui dit un jour M. de La Mole, vous voilà donc le fils naturel d’un riche gentilhomme de Franche-Comté, mon ami intime ? » (II, vi, pp. 375-376).
  • [22]
    « Vous serez, à mes yeux, le frère cadet du comte de Retz, c’est-à-dire le fils de mon ami le vieux duc », dit-il à Julien (I, vii, p. 377).
  • [23]
    Projet d’un article non publié sur Le Rouge et le Noir (p. 729).
  • [24]
    « Nous n’avons qu’un honneur, il est tant de maîtresses ! », dit Don Diègue dans Le Cid (acte III, scène 6).
  • [25]
    Paris-Londres, éd. Renée Dénier, Paris, Stock, 1997, p. 708.
  • [26]
    Ibid., p. 825.
  • [27]
    Pensées, Filosofia nuova, éd. cit., p. 303.
  • [28]
    Pierre-Louis Rey, « L’espagnolisme contre le génie comique », in Daniel Sangsue (dir.), Stendhal et le comique, Grenoble, Ellug, 1999, p. 39.
  • [29]
    Voir Ronald de Sousa, The Rationality of the Emotions, Cambridge, MIT Press, 1987.
  • [30]
    Voir Mariella Di Maio, Le Cœur mangé, Histoire d’un thème littéraire du Moyen Age au xixe siècle, Paris, PUPS, 2005.
  • [31]
    Stendhal, De l’Amour, chap. lii, « La Provence au xiie siècle ».
  • [32]
    Pascale Auraix-Jonchière, « Le cœur mangé et la tête coupée : les régimes du romanesque dans Le Rouge et le Noir », in Xavier Bourdenet (dir.), Lectures de Stendhal, Le Rouge et le Noir, Rennes, PUR, 2014, p. 190.
  • [33]
    Une voile blanche est le signal par lequel Iseut doit prévenir Tristan blessé qu’elle vient à lui pour le secourir. Voir Joseph Bédier, Le Roman de Tristan et Iseut, chap xix, Paris, H. Piazza, 1909, p. 271.
  • [34]
    « Le nain [Frocin] couchait, comme il en avait coutume, dans la chambre du roi. Quand il crut que tous dormaient, il se leva et répandit entre le lit de Tristan et celui de la reine la fleur de farine : si l’un des deux amants allait rejoindre l’autre, la farine garderait la forme de ses pas » (ibid., chap vii, p. 113).
  • [35]
    Ibid., chap. xix, p. 283.
  • [36]
    La Vie de Henry Brulard nous apprend que le jeune Beyle, imitant son héroïne, dérobait L’Espion anglais dans la bibliothèque de son père. Voir Œuvres intimes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1982, t. II, p. 702 ; voir aussi Michel Arrous, « Les lectures de Mathilde », in Stendhal Club, 1987, n° 115, p. 297.
  • [37]
    Louvet de Couvray, Une année de la vie du chevalier de Faublas, Paris, 1793, t. I, p. 110 : « Une malheureuse qu’on y jette s’y trouve renversée sur le dos ; ses bras restent ouverts, ses jambes s’écartent mollement ; on la viole sans qu’elle puisse opposer la moindre résistance. »
  • [38]
    Restif de la Bretonne, Sara, t. I, éd. Daniel Barach, Paris, UGE, coll. « 10/18 », 1984, p. 164.
  • [39]
    Michel Crouzet, Le Rouge et le Noir, Essai sur le romanesque stendhalien, op. cit., p. 66.
  • [40]
    « Elle repassa dans sa tête toutes les descriptions de passion qu’elle avait lues dans Manon Lescaut, La Nouvelle Héloïse, Les Lettres d’une Religieuse portugaise, etc., etc. Il n’était question, bien entendu, que de la grande passion ; l’amour léger était indigne d’une fille de son âge et de sa naissance. Elle ne donnait le nom d’amour qu’à ce sentiment héroïque que l’on rencontrait en France du temps de Henri III et de Bassompierre » (II, xi, p. 422).
  • [41]
    Emmanuel Schwartz, « La matière du pittoresque stendhalien. Le jeu des arts et des lettres », art. cit., p. 171.
  • [42]
    Pascale Auraix-Jonchière, « Le cœur mangé et la tête coupée : les régimes du romanesque dans Le Rouge et le Noir », art. cit., p. 198.
  • [43]
    Le narrateur stendhalien insiste sur le fait que Mme de Rênal, à la différence de Mathilde, n’est pas une lectrice assidue de romans et qu’elle ne cherche pas à conformer sa vie amoureuse à des situations romanesques : « Elle regardait comme une exception, ou même comme tout à fait hors de nature, l’amour tel qu’elle l’avait trouvé dans le très petit nombre de romans que le hasard avait mis sous ses yeux » (I, vii, pp. 95-96). Il va même jusqu’à affirmer, au risque de se contredire, que Louise n’a « jamais lu de romans » (I, xiii, p. 139).
  • [44]
    Michel Crouzet, « Mme de Rênal ou la tendresse héroïque », Quatre essais sur Le Rouge et le Noir, Paris, Eurédit, 2013, p. 100.
  • [45]
    Comme Mme de Rênal, Julien n’a « aucune expérience de la vie » et n’a « pas même lu de romans » (II, xviii, p. 472).
  • [46]
    Voir Alain Roger, Nus et Paysages, Essai sur la fonction de l’art, Paris, Aubier, 1978, p. 114.
  • [47]
    Voir Philippe Berthier, « Fabrice ou l’amour peintre », Stendhal, image et texte / Text und Bild, Herausgegeben von Sybil Dümchen und Michael Nerlich, Stendhal Hefte 4, Tübingen, Gunter Narr, 1994, pp. 175-185.
  • [48]
    Emmanuel Schwartz, « La matière du pittoresque stendhalien. Le jeu des arts et des lettres », art. cit., p. 163.
  • [49]
    Jean Seznec, « Stendhal et la peinture bolonaise », in Gazette des beaux-arts, mars 1959, p. 176.
  • [50]
    Philippe Berthier, Stendhal et ses peintres italiens, Genève, Droz, 1977, p. 128.
  • [51]
    Id.
  • [52]
    Jean Seznec, « Stendhal et la peinture bolonaise », art. cit., p. 174.
  • [53]
    Philippe Berthier, Stendhal et ses peintres italiens, Genève, Droz, 1977, p. 120.
  • [54]
    Cité par Philippe Berthier, « Intermezzo buffo », in Xavier Bourdenet (dir.), Lectures de Stendhal, Le Rouge et le Noir, Rennes, PUR, 2013, p. 202.
  • [55]
    Ibid., p. 204.
  • [56]
    Journal, 18 janvier 1812, Paris, Gallimard, coll. « Folio », p. 822.

1Stendhal, avant d’être lui-même un romancier, a été un lecteur de romans et un lecteur passionné. Ses rapports avec le genre romanesque ont été si personnels que le « liseur de romans » qu’il était s’est rapidement transformé en « viveur de romans », selon l’expression d’Albert Thibaudet [1]. Le genre romanesque lui a fourni un modèle de vie : une manière de vivre et de nouer un lien avec le monde [2]. Nul doute qu’il n’ait été victime, dans sa jeunesse, d’un syndrome de Don Quichotte : le « viveur de romans », qui cherchait dans ces fictions à vivre une autre vie que la sienne, est ainsi devenu « le viveur de sa propre vie [...] accouchée par un effort héroïque » [3] : l’espagnolisme de Stendhal n’est rien d’autre que cette propension à comprendre la vie dans les termes où la présente le roman et à se laisser emporter par son imagination jusqu’à ce qu’elle trouble « la lorgnette du raisonnement » et déborde sur la réalité pour se repaître « des chimères les plus ravissantes » [4]. Les fictions romanesques, qu’il lit dans sa jeunesse – Roland furieux, La Jérusalem délivrée, La Nouvelle Héloïse, etc. –, définissent ainsi pour lui la forme d’une vie idéale, chevaleresque, faite d’amours passionnées et de prouesses.

2C’est par les romans, par la littérature et peu à peu par les arts que Stendhal s’est trouvé et a formé son moi dans une famille où, après la disparition prématurée de sa mère, il s’est senti seul et opprimé. À l’école de la littérature, puis de la peinture, de la musique et de toutes les expressions artistiques de la beauté, il a appris à vivre selon les valeurs de l’art, qui ont défini pour lui une qualité des émotions, une conduite sociale et même une érotique. Il est ainsi devenu, comme le dit Paul Arbelet, « un romanesque [5] », c’est-à-dire un homme voyant la réalité à travers le prisme de cette imagination qui agrandit toutes choses aux dimensions du désir et les pare des séductions d’une rêverie heureuse. Chez Stendhal, ce n’est plus l’art, et singulièrement le roman, qui imite la réalité, mais la réalité qui copie le roman, qui redouble les arts. Qu’est-ce que la cristallisation stendhalienne sinon cette opération de l’esprit, cette « fièvre d’imagination [6] » partant des fantasmagories intérieures nourries de références esthétiques et rejoignant la réalité pour la doter de l’idéalité de l’art qui la fait aimer ?

3La propédeutique du roman, puis des arts, a permis à Stendhal de se munir pour vivre d’un « bréviaire de morale [7] » qui bannit la vulgarité et la bassesse, qui définit la probité à l’aune des passions nobles et qui identifie la vertu à l’amour, cette suprême valeur. Ainsi peut-il écrire : « Il y a un cérémonial dans l’amour, nos seuls maîtres en ce genre sont les romans que nous lisons [8]. » Non qu’il ignore que la prose du réel corresponde rarement à la poésie des sentiments : le romanesque, le monde de l’art n’est certes pas la réalité exacte, celle qui tombe le plus souvent sous le sens. Stendhal sait bien que la platitude, le prosaïsme, la grossièreté envahissent le monde de leur laideur, ce qui revient à ses yeux à une privation de la plénitude existentielle. La réalité commune, qu’il regarde comme une comédie moliéresque, est à l’opposé de son idéal romanesque, qui est aussi un idéal esthétique : celui-ci désigne une réalité possible, une « région idéale » qu’on atteint en se détachant de « la vérité ordinaire de l’existence » [9]. Suivre le modèle offert par le roman et par les arts, c’est postuler un ordre de valeurs susceptible d’enchanter à nouveau le monde, c’est croire que « l’homme est plus que sa réalité [10] » et faire le pari de l’héroïsme. C’est adopter une éthique de la noblesse d’âme, qui a le « beau défaut » de pécher « par excès de poésie » [11], au risque de paraître incongrue aux Chrysale et aux Sancho Pança qui pullulent dans la vie ordinaire.

4Écrivain romantique, Stendhal est encore à mille lieues de la modernité littéraire qui, dans la postérité de Schopenhauer, défend l’autonomie de l’art et dissocie les passions, assujetties à la puissance torturante de la volonté, et l’esthétique, fruit d’un jugement désintéressé, qui s’exerce dans le paisible retrait de la contemplation. Persuadé que les arts ont une communauté de principes [12], qu’ils sont, chacun selon ses modalités propres, un langage particulier qui renvoie à l’intériorité, « centre rayonnant de toute expression [13] », Stendhal pense qu’il n’est pas de beauté sans passion du beau, sans un intense mouvement de l’affectivité portant conjointement l’artiste et son public vers l’objet de la création artistique. La sensibilité esthétique, qui exclut les intérêts grossiers de la vie, c’est-à-dire les désirs tournés vers « la vanité et l’amour de l’argent [14] », est selon lui une sensibilité tendre, délivrée des formes inférieures du sentir. Celle-ci a partie liée avec la passion amoureuse, qui contribue à la former, car il ne saurait y avoir de sensibilité à la beauté sans l’expérience première de l’amour [15]. Et réciproquement, les élans de la sensibilité, en quête d’un langage, se configurent sur des patrons littéraires et artistiques.

5Pour Stendhal, « l’amour du beau et l’amour se donnent mutuellement la vie [16] », l’un et l’autre apportant un plaisir de la même espèce. Les mêmes énergies vitales, les mêmes ressorts de l’imagination créatrice sont mobilisés par la passion amoureuse et l’activité esthétique – il faudrait ajouter la foi religieuse. Ils agissent de telle sorte sur les sens et sur les facultés imaginatives que l’homme et les choses existent dans une « indivisible continuité » qui est « une simultanéité d’apparition dans l’être » [17]. Dans l’ordre esthétique – mais on pourrait en dire autant de la religion ou de l’amour –, les créations de l’esprit, qu’elles soient musicales, picturales ou fictionnelles, ne sont plus de simples simulacres, de vaines images de la réalité : elles donnent une existence au possible, dans un véritable acte de naissance qui marque la « genèse commune de l’homme dans les choses et des choses dans l’homme [18] ». En d’autres termes, pour Stendhal, l’art, à commencer par celui du roman, en donnant une forme sensible à nos passions généreuses, change le monde, non seulement dans ses œuvres, mais aussi bien au-delà de ses œuvres : les lois de l’art débordent sur la réalité et lui incorporent en particulier les possibilités du romanesque.

6C’est pourquoi, dans les romans stendhaliens, les héros vivent si souvent leurs passions en s’inspirant, consciemment ou non, de schèmes romanesques. Dans Le Rouge et le Noir, auquel cette étude se limitera, ils « ne raisonnent pas en philosophes ou en historiens, ils déraisonnent en amateurs de romans [19] » : leurs conduites sont déterminées par leurs lectures ou appellent, en réaction, chez ceux qui les observent des tentatives de déchiffrement inspirées par des modèles littéraires.

7La fulgurante ascension sociale de Julien avant sa chute brutale, la personnalité hors du commun du jeune ambitieux étonnent ceux qui en sont les témoins et bousculent leurs préjugés. Le fils Sorel semble tellement au-dessus de sa condition qu’il faut une explication à cette situation extraordinaire. Or cette explication, sous son apparente rationalité, reprend un poncif des romans noirs ou sentimentaux de l’époque : celui des origines mystérieuses du héros, enfant naturel de haute naissance, fruit d’un adultère ou d’une mésalliance. Ce poncif, exploité par Ducray-Duminil dans Victor ou l’Enfant de la forêt et Cœlina ou l’Enfant du mystère, deux succès de librairie au tournant des Lumières, l’abbé Pirard y recourt lorsque le marquis de La Mole l’interroge sur l’identité de son protégé [20] ; il est repris par le chevalier de Beauvoisis, qui ne veut pas s’être battu en duel avec un homme indigne de son rang [21], puis accrédité par M. de la Mole lui-même [22], quand il autorise Julien à paraître chez lui, le soir, vêtu de l’habit bleu de la noblesse.

8Mathilde, qui croit voir en Julien « un prince déguisé » (II, ix, p. 399), le défend contre les sarcasmes du comte de Caylus en faisant à son tour l’hypothèse de sa naissance fabuleuse :

9

Que demain quelque hobereau des montagnes de la Franche-Comté […] s’aperçoive que Julien est son fils naturel, et lui donne un nom et quelques milliers de francs, dans six semaines il a des moustaches comme vous, Messieurs ; dans six mois il est officier de housards comme vous, Messieurs. Et alors la grandeur de son caractère n’est plus un ridicule.
[II, xii, p. 428]

10Julien lui-même, après avoir obtenu le titre de M. de La Vernaye, finit presque par ajouter foi au roman de ses origines :

11

Serait-il bien possible, se disait-il, que je fusse le fils naturel de quelque grand seigneur exilé dans nos montagnes par le terrible Napoléon ? À chaque instant cette idée lui semblait moins improbable.
[II, xxxv, pp. 586-587]

12Dans Le Rouge et le Noir cependant, ce poncif romanesque semble n’être qu’une affabulation : alors que les nobles origines du héros populaire sont avérées dans les romans de Ducray-Duminil, le lecteur du roman stendhalien sait que cette rumeur repose sur une méprise : l’abbé Pirard, qui se trouve à son origine, fait part de ses soupçons immotivés à M. de La Mole parce que quelqu’un, sous un nom d’emprunt, a adressé à Julien une lettre de change de cinq cents francs. Ce que l’abbé ignore, c’est que cette lettre, signée Paul Sorel, a été envoyée par M. de La Mole lui-même, qui a ainsi voulu remercier de ses services le directeur du séminaire, en récompensant son élève favori. Stendhal prend donc ses distances avec la manière dont certains romans, par leurs stéréotypes, agissent sur la sensibilité et offrent de grossières clés de lecture pour comprendre la réalité : rien n’est plus « fade », selon lui, que ces « romans pour les femmes de chambre », comme il les appelle, où le héros est « toujours parfait », où les femmes sont invariablement « malheureuses, innocentes et persécutées », où peu importe l’absurdité des « scènes extraordinaires » [23] destinées à émouvoir les lectrices par n’importe quel moyen. Ce romanesque réduit à une somme de clichés ne trouve pas grâce aux yeux de l’écrivain, qui le traite sur le mode parodique des antiromans de Pigault-Lebrun, dans lesquels les romans sentimentaux, si répandus à l’époque dans les cabinets de lecture, sont tournés en dérision. C’est sur ce mode encore qu’est traitée la méprise de Mme de Rênal, lorsqu’elle aperçoit pour la première fois Julien à sa porte : ne reconnaissant pas en lui le précepteur de ses enfants, elle se laisse abuser par son « esprit un peu romanesque » qui lui fait croire un instant que l’inconnu est « une jeune fille déguisée » venant « demander quelque grâce à M. le Maire » (I, vi, p. 74). Le romanesque faux du travestissement, qui provoque l’erreur d’interprétation de Mme de Rênal, désarme sa méfiance : prenant Julien pour une personne de son sexe, elle s’expose sans le savoir au romanesque vrai de la surprise que va lui procurer la découverte de l’identité du jeune paysan : dans cette scène où l’étonnement de Mme de Rênal est bien, au sens premier, un coup de foudre se trouve déjà le germe de sa passion pour Julien.

13Stendhal établit donc une distinction entre les « romans pour les femmes de chambre » ne donnant du monde qu’une image idéale dépréciée par la convention, dont il réprouve le mensonge étranger à la beauté, et le romanesque au sens fort du terme, formation de compromis qui tient à la tension ironique, maintenue jusqu’au bout par la fiction, entre le potentiel héroïque des personnages et la réalité. Ce romanesque-là ne comble pas l’écart, constitutif de la sensibilité romantique, entre le réel prosaïque et le possible de la chimère. Julien, par exemple, s’est fixé un idéal de vie, s’est forgé des convictions éthiques et politiques d’après le Mémorial de Sainte-Hélène, dont le vieux chirurgien-major, qui a laissé une empreinte décisive sur son esprit, lui a légué un exemplaire. Ce livre paru en 1823, l’une des principales sources de la légende napoléonienne, devient son « Coran » (I, v, p. 66) : Julien le lit et le relit avec émotion, le grand homme vaincu et opprimé par des ennemis odieux lui offrant un modèle de conduite dans la vie sociale, comme dans la vie amoureuse.

14Ainsi, les propos de Napoléon sur les femmes, rapportés par Las Cases, au même titre que « plusieurs discussions sur le mérite des romans à la mode », lui inspirent, à l’égard de Mme de Rênal, « quelques idées que tout autre jeune homme de son âge aurait eues depuis longtemps » (I, viii, p. 105). Il se lance alors à la conquête de cette femme comme dans une campagne militaire, et cherche tout naturellement dans le livre de Las Cases un manuel de séduction. Ce livre, dans lequel il trouve à la fois « bonheur, extase et consolation dans les moments de découragement », devient l’« unique règle de sa conduite » (p. 104). Croyant livrer bataille à chaque étape de sa glorieuse entreprise, il se propose de saisir la main de l’élégante épouse du maire de Verrières, comme s’il s’agissait d’une prouesse. L’amour est moins fort en cette circonstance que la crainte du déshonneur qui résulterait de son échec. Après avoir surmonté sa timidité et accompli cette action d’éclat, il se sent moins amoureux qu’il n’est satisfait d’avoir fait « son devoir, et un devoir héroïque » (I, ix, p. 109) : le bonheur qu’il éprouve en cette circonstance atteint son comble quand il peut enfin s’enfermer « à clef dans sa chambre » pour se livrer « avec un plaisir tout nouveau à la lecture des exploits de son héros » (id.).

15Dans la deuxième partie du roman, lorsque Julien réussit enfin à vaincre l’orgueil de Mathilde, il se compare de même « à un général qui vient de gagner à demi une grande bataille » (II, xxxi, p. 560) et qui doit pousser plus loin son avantage. Pour se donner du courage, il se plonge une nouvelle fois, pendant des heures, dans le Mémorial de Sainte-Hélène où, cherchant à s’élever « au niveau de tout ce qu’il y a de plus grand », il puise la résolution de faire peur à cette noble fille, en vertu du principe militaire selon lequel « l’ennemi » n’obéit qu’autant qu’on parvient à l’effrayer (ibid.). Déjà, lorsqu’il s’était rendu au rendez-vous nocturne de Mathilde, il avait surmonté la crainte d’être victime d’un complot – « Gare le sort d’Abailard, M. le secrétaire ! » (II, xv, p. 451) – par la peur plus vive encore de se mépriser : se souvenant d’un mot du « vieux don Diègue » – « Mais il n’est qu’un honneur » (p. 450) [24] –, il s’était ainsi fortifié dans sa résolution de monter à l’assaut, coûte que coûte et de frapper ses adversaires à la figure, « comme les soldats de César à Pharsale » (id.), dans l’épopée de Lucain.

16Nourri de telles lectures, l’amour de Julien est moins tendre qu’il n’est héroïque : conçu comme un défi lancé à soi-même, il ne met pas ce héros inexpérimenté à l’abri des maladresses, des bévues et des balourdises. Les comportements de cet ingénu qui a la prétention de se croire habile dans les manœuvres sentimentales conduisent souvent Stendhal, qui déplore par ailleurs le « manque de talent [25] » de Las Cases et sa naïveté à croire sans discernement « toutes les absurdités racontées par Napoléon [26] », à faire prendre au narrateur une distance amusée. L’héroïsme de Julien n’est pas exempt de burlesque : ses folies romanesques le rendent parfois ridicule, sans pour autant ternir son image de jeune héros égaré dans son siècle. Il amuse par son amour-propre, sa capacité d’indignation, son imagination chimérique, mais le rire mêlé de tendresse qu’il suscite ne sanctionne jamais une irréparable infériorité de nature.

17C’est le cas, lorsqu’il croit habile de mettre en œuvre un plan de séduction consistant à presser publiquement de sa botte le joli pied de sa bien-aimée (I, xiv) ou qu’il se figure que des hommes armés l’empêchent d’accéder par une échelle au balcon de Mathilde (II, xv). Loin de tourner ces folies au désavantage du jeune homme, le narrateur stendhalien, dont on sent bien le sourire, fait preuve d’indulgence : l’idée, chère au romancier, selon laquelle « les meilleurs personnages ridicules sont ceux qu’on aime [27] », appliquée à Don Quichotte, « vaut aussi pour Julien […], héros attendrissant dans sa manière de se tromper d’époque ou de situation [28] ». Nul ne saurait en effet lui en vouloir de « juger la vie avec son imagination », car, souligne le narrateur, « cette erreur est d’un homme supérieur » (II, xix, p. 481).

18Julien cependant n’est pas le seul personnage à chercher dans la littérature des « scénarios paradigmatiques [29] » pour cartographier les territoires de sa vie affective. Pendant son séjour à Vergy, Mme de Rênal, alors que son mari vient de recevoir une lettre anonyme lui révélant son infortune conjugale, se souvient d’une « tradition fort incertaine » qui fait de l’église où elle est allée à la messe « la chapelle du château du sire de Vergy » (I, xxi, pp. 196-197). Obsédée par cette idée au milieu de ses prières, l’épouse du maire de Verrières se figure alors « son mari tuant Julien à la chasse, comme par accident, et ensuite le soir lui faisant manger son cœur » (p. 197). Apparemment non sans raison : le lecteur, peu avant cette scène, a découvert M. de Rênal examinant un « couteau de chasse […] fort tranchant » et songeant à « surprendre », puis à « tuer » (p. 194) sa femme et son amant.

19Tous ces détails, qui renvoient, relève le narrateur, à « l’aventure tragique de Gabrielle » (I, viii, p. 101), superposent à la passion adultère des personnages les schèmes de la légende du cœur mangé, par laquelle l’épisode de Vergy est rattaché à la tradition du roman courtois. Cette légende [30], apparue pendant la seconde moitié du xiie siècle dans le Roman de Tristan de Thomas, se répand au xiiie siècle : elle est illustrée dans la littérature occitane par les pseudo-biographies du troubadour Guillem de Cabestany et, dans la littérature du Nord, par le Roman du Castelain de Coucy et de la Dame de Fayel. On en trouve encore des échos jusqu’au xviiie siècle, où s’établit une confusion entre l’histoire du châtelain de Coucy et celle de Gabrielle de Vergy, dont Belloy, en 1770, fait une tragédie qui aura divers imitateurs, notamment à l’opéra. Stendhal connaît cette légende : il a repris dans De l’Amour l’histoire du troubadour Guillem de Cabestany [31], il a aussi assisté à la représentation de la pièce de Belloy et a vu la Gabriella de Carafa au Théâtre San Carlo en 1817.

20Le Rouge et le Noir s’écarte cependant sur plusieurs points de la légende : d’une part, M. de Rênal renonce à sa vengeance après avoir examiné son couteau avec « peur » (I, xxi, p. 194), ce qui l’oppose au type de l’époux assoiffé de vengeance et de sang. Les maris modernes, sous l’influence émolliente de la civilisation, ont perdu l’énergie d’antan et reculent devant la perspective d’un talion meurtrier. Le roman courtois se métamorphose en comédie de mœurs. Mme de Rênal au contraire est hantée par l’image du cœur mangé, hantise où le désir semble se mêler à la crainte, l’effroi qu’elle éprouve ayant pour envers une secrète aspiration. Pour cette âme généreuse, « le châtiment infligé à Gabrielle de Vergy est désirable, car il signe une communion parfaite et définitive avec l’être aimé [32] » : en interprétant ses amours interdites dans les termes de la légende courtoise, Mme de Rênal trahit son vœu inavouable de voir la mort sceller sa passion pour Julien.

21Aussi refera-t-elle spontanément les gestes d’Iseut dans la légende de Tristan [33], en attachant, en guise de signal pour son amant, un mouchoir blanc à la fenêtre du colombier de sa demeure, à Vergy (I, xx, p. 190 et I, xxi, p. 201). D’autres détails confortent cette analogie : la « légère couche de son » que M. de Rênal a d’abord pensé répandre « devant la porte de la chambre de Julien » (I, xxi, p. 196), évoque le célèbre épisode de la fleur de farine [34], et le geste de Mme de Rênal serrant passionnément son amant et s’attachant à lui « comme le lierre à la muraille » (I, xix, p. 184) rappelle l’image sur laquelle s’achève l’histoire des amants de Cornouailles, unis dans la mort par la ronce aux fleurs odorantes qui relie leurs tombeaux [35]. Engagé dans cette idylle funèbre, Julien vivra sa passion sur le mode courtois des nuits d’amour, des escalades audacieuses, des rendez-vous secrets et périlleux, des séparations au petit matin. Sa passion rusant sans cesse avec les espions, les calomniateurs, les tireurs embusqués sera fortifiée par le danger. Avant que les coups de pistolet tirés dans l’église de Verrières ne le dégrisent, il s’identifiera longtemps à un héros chevaleresque, capable de vaillance, avide de hauts faits.

22C’est seulement lorsqu’il aura fait le deuil de cet héroïsme, une fois jeté en prison, qu’il découvrira en lui un héros tendre : retrouvant, dans l’obscurité de son cachot, le climat idyllique de Vergy, il connaîtra, au seuil de la mort, la plénitude de ses sentiments pour Mme de Rênal. Dans l’intervalle se sera épanouie sa passion pour Mathilde. Celle-ci est l’antithèse de Louise : autant l’épouse du maire de Verrières est naïve et sensible, autant la fille du marquis de La Mole « ne laisse son cœur l’émouvoir que lorsqu’elle s’est prouvé par bonnes raisons qu’il doit être ému » (II, xxx, p. 556). Un soir pourtant cette femme de tête découvre qu’elle est capable de sensibilité. C’est une cantilène entendue à l’opéra qui provoque cette découverte : cette « maxime d’amour chantée […] sur une mélodie digne de Cimarosa » (II, xix, p. 477), dans laquelle une héroïne dit « l’excès d’adoration » (p. 478) qu’elle éprouve pour son bien-aimé, lui apparaît tout à coup comme une frappante application de sa position. Son « amour pour la musique » (id.) la révèle ainsi à elle-même dans une extase qui la conduit à un état d’exaltation suprême, au point qu’elle éprouve le besoin, une fois revenue chez elle, de répéter pendant une partie de la nuit la sublime cantilène sur son piano.

23Si grande que soit sa ferveur musicale, Mathilde est surtout présentée comme une lectrice de romans. Elle vole en secret « des livres dans la bibliothèque de son père » (II, iii, p. 346). Julien, qui l’y surprend venant chercher « le second volume de La Princesse de Babylone de Voltaire », ironise sur le compte de cette « pauvre fille » qui, à dix-neuf ans, choisit un aussi « digne complément d’une éducation éminemment monarchique et religieuse » (id.). De fait, Mathilde est attirée par les livres sulfureux et « les nouveautés un peu piquantes » (II, xiii, p. 433). Si le narrateur stendhalien ne nomme pas ces livres que le marquis a rangés dans l’enfer de sa bibliothèque, sa fille laisse parfois deviner ses lectures impies.

24C’est le cas lorsqu’elle est s’apprête à être reçue par l’abbé de Frilair, ce « congréganiste influent » dont elle soupçonne la « profonde et prudente scélératesse » (II, xxxviii, p. 609). Pouvant à peine se soutenir, elle éprouve une sensation de « froid » lorsque, pour arriver jusqu’à lui, elle doit parcourir la « solitude du palais épiscopal » (id.), dont l’architecture monumentale et sombre rappelle l’univers du roman noir. La crainte de tomber dans un piège lui inspire alors un fantasme d’enlèvement et de viol : elle s’imagine s’asseyant dans un fauteuil qui lui saisirait les bras et la laisserait sans défense devant le caprice érotique de son persécuteur. Or, ce fauteuil mécanique est un lieu commun de la littérature libertine du xviiie siècle, bien connu de Stendhal [36] : on le trouve dans L’Espion anglais de Pidansat de Mairobert, où le seigneur de Fronsac l’utilise pour faire subir les derniers outrages à une jeune fille ; il apparaît aussi dans le Faublas de Louvet de Couvray [37] et dans la Sara de Restif de la Bretonne [38].

25Est-ce l’effet des mêmes lectures sur Julien : après que Mathilde lui a donné rendez-vous chez elle une heure après minuit, le héros, qui craint de tomber dans un traquenard, cède à son tour à un fantasme sadien, s’imaginant, dès son entrée dans la chambre de sa maîtresse, les bras attachés par « quelque machine ingénieuse » (II, xv, p. 452). Mais ce sont d’autres lectures qui agissent puissamment sur la relation des deux jeunes gens. Mathilde se crée en effet une personnalité romanesque en prenant modèle sur des figures livresques. Julien s’étonne un jour qu’elle lise « l’histoire de d’Aubigné et Brantôme » : « singulière lecture », pense-t-il, pour une fille à qui sa mère interdit de « lire les romans de Walter Scott » (II, x, p. 414). Sa surprise s’accroît encore quand Mathilde lui raconte, les « yeux brillants de plaisir », la sanglante vengeance d’une « jeune femme du règne d’Henri III », outragée par un mari infidèle, qu’elle a trouvée « dans les Mémoires de l’Étoile » (id.). Ces lectures transforment l’ennuyeux hôtel de La Mole en une demeure renaissance où la fille du marquis croit revivre dans sa passion pour Julien les amours tumultueuses de son aïeul Boniface pour Marguerite de Navarre.

26Lancée en 1607 par Le Divorce satyrique longtemps attribué à d’Aubigné, puis répandue par Brantôme et quelques autres, la légende de la reine Margot emportant la tête décapitée de son amant pour la faire enterrer offre à Mathilde un personnage magnanime, dont elle veut être la réincarnation en plein xixe siècle. À mesure qu’avance la deuxième partie du roman, l’identification des héros aux figures historiques de Marguerite et de Boniface est de plus en plus prégnante : Julien séduit Mathilde à mesure que se précise cette identification avec l’amant décapité, dans un retour en arrière « vers le fonds primitif de l’audace d’autrefois [39] ». À défaut d’être d’emblée dans la vérité du sentiment, Mathilde voit dans « l’amour passionné » plutôt « un modèle » à imiter qu’« une réalité » (II, xvi, p. 461) : elle joue un rôle, qu’elle définit d’après des réminiscences littéraires [40], et elle outre parfois son jeu, au risque d’être désappointée quand les émotions qu’elle éprouve sont différentes de celles « dont parlent les romans » (p. 463).

27La découverte de la personnalité de Mathilde à travers ses lectures modifie aussi le regard que Julien porte sur elle : le goût qu’elle manifeste pour les « faux Mémoires », qui transportent son imagination au temps des Valois, révèle au héros, sous l’apparence d’une fille pieuse, « la duplicité de Machiavel » (II, xiii, p. 433). Cette découverte n’est pas sans charme aux yeux de Julien, qui la croit aussi « une Catherine de Médicis » (id.) pour la profondeur et la scélératesse de son caractère. Tout à son ambition, il se rêve lui-même, en dépit de son humble naissance, bientôt paré de l’habit du cardinal Granvelle, son compatriote franc-comtois, jadis ministre de Charles Quint (p. 439).

28Lorsque le jeune homme, exaspéré par l’orgueil de Mathilde, que révolte l’idée de s’être « livrée au premier venu » (II, xvii, p. 460), prend une vieille épée, dans la bibliothèque du marquis, et s’avance vers elle, menaçant, la magie des souvenirs de lecture opère : Mathilde, loin d’éclater de rire « à la vue de ce mouvement de mélodrame », se sent ramenée « dans les plus belles années du siècle de Charles IX et de Henri III » (p. 467). Pour cette noble fille qui se lamente de voir se momifier les représentants de l’aristocratie sous Charles X, Julien « invente un conte gothique de 1830 [41] », où les sentiments hardis sont vivifiés par la proximité de la mort. La passion de Mathilde atteint son paroxysme lorsque la malédiction des deux amants, Boniface et Marguerite, vient interrompre d’assez plats projets de mariage, en se réalisant à nouveau deux siècles plus tard.

29À la fin du roman, Mathilde, qui a pleinement épousé son rôle héroïque, vit l’emprisonnement de Julien dans le donjon médiéval de la prison bisontine comme un Gothic Revival. Non seulement elle accomplit à son tour, après l’exécution du jeune homme, le geste de Marguerite de Navarre baisant au front la tête de son amant décapité, mais elle met en scène ses funérailles, en métamorphosant la modeste grotte, dont le jeune homme a voulu faire son tombeau, en décor de mélodrame : c’est dans ce lieu sauvage, magnifiquement illuminé par ses soins et orné de « marbres sculptés à grands frais en Italie » (II, xlv, p. 661), qu’elle ensevelit « de ses propres mains » (p. 660) la tête de Julien. Cette transformation de la cavité naturelle en monument de l’art consacre le triomphe d’« un romanesque de l’ostentation et du spectaculaire [42] » qui distingue Mathilde de Mme de Rênal.

30Héroïne d’une tendresse instinctive et dénuée de toute affectation, Louise fait de sa vie un roman vrai en retrouvant intuitivement, et sans effort de sa volonté, les grands schèmes de la passion tels que la littérature et les arts les ont consacrés [43]. Sa sensibilité est par nature esthétique, l’amour, dont elle connaît la pure félicité, la rapproche de l’artiste : elle découvre la beauté et la fait advenir dans la plénitude de ses sentiments généreux et désintéressés dont le langage est spontanément romanesque. Alors que Mathilde, non sans artifice, s’efforce de « coller » à un modèle littéraire qui lui impose sa contrainte et fausse ses sentiments, Mme de Rênal, dans sa « virginité du cœur [44] », se trouve d’emblée de plain-pied dans le légendaire et renoue avec les récits fondateurs de la fin’amor.

31Omniprésente dans Le Rouge et le Noir, la médiation de la littérature et des arts pour exprimer les passions de l’âme opère de plusieurs manières. Les œuvres qui permettent aux personnages de se représenter leurs émotions et de les faire signifier, en passant de la donnée brute à l’univers des signes, peuvent avoir la rigidité du stéréotype, qui ramène la singularité du sentir à un cliché (la réduction de l’expérience à la topique des « romans pour les femmes de chambre »). Ces œuvres peuvent aussi être une éducation du sentiment : elles définissent alors un climat moral et prennent parfois la valeur d’un oracle personnel, d’une découverte de soi à l’épreuve des grands modèles, héroïques ou romanesques, dans une transaction perpétuelle entre l’illusion de la vie idéale et la rectification imposée par le réel (le bréviaire napoléonien pour Julien). Elles peuvent encore avoir un pouvoir de révélation : investis par le désir, leurs « scénarios paradigmatiques » font sourdre des aspirations confuses, qui tantôt échappent à celui auquel ils permettent d’objectiver son monde intérieur (le destin de Gabrielle pour Mme de Rênal) et tantôt sont au contraire l’occasion d’une soudaine prise de conscience (la cantilène cimarosienne pour Mathilde).

32Le meilleur emploi qu’on puisse faire de tels modèles n’est pas, aux yeux de Stendhal, une imitation raisonnée qui empêche le primesaut du sentiment et expose à l’histrionisme (Mathilde exagérant le rôle de Marguerite et Julien mésusant de celui de Napoléon). Leur intégration à l’existence est bien plus sûre lorsqu’elle procède d’une connaturalité de l’érotique et de l’esthétique, les passions humaines trouvant spontanément dans les arts le langage qui convient pour en saisir, dans leur plénitude, les nuances et les potentialités (par leur seule manière de sentir, Mme de Rênal et Julien, sans avoir nécessairement lu de romans [45], sont des êtres poétiques et romanesques). Le Rouge et le Noir, sous cet éclairage, n’est pas seulement un roman de la passion, c’est aussi un manuel d’esthétique qui, à travers le comportement de ses personnages, fait le départ entre le bon et le mauvais usage de la littérature et des arts dans l’expression de la vie affective.

33Le romancier lui-même est le premier à illustrer sa conception de l’« artialisation » des émotions [46]. Le Rouge et le Noir est un roman violent et âpre, qui se propose de peindre sous les traits de Julien un ambitieux, révolté contre la société de son temps, qui dissimule ses véritables sentiments sous le masque de l’hypocrisie. Au lieu de proposer de longs portraits, à la manière balzacienne, pour faire saisir toute la complexité d’un tel caractère et dévoiler ses passions dominantes, Stendhal, selon un usage qu’il systématisera dans La Chartreuse de Parme[47], a recours à une analogie picturale. Julien, s’appliquant à singer la stupidité du commun des séminaristes, ne parvient pas à exprimer l’anéantissement personnel de « l’être absorbé par l’idée de l’autre vie » (I, xxvi, p. 263), car, précise alors le narrateur, il a encore « l’air de penser », même quand il s’efforce de parvenir « à ce front bas et étroit, à cette physionomie de foi fervente et aveugle, prête à tout croire et à tout souffrir, […] dont […] le Guerchin a laissé de si parfaits modèles dans ses tableaux d’église » (p. 264). Fait assez rare, une note indique en bas de page le tableau auquel se réfère le narrateur : il s’agit selon la note de « François duc d’Aquitaine déposant la couronne et prenant l’habit de moine » (id.), toile aujourd’hui connue sous le titre de Guillaume abjure les grandeurs et la profession des armes pour recevoir l’habit des mains de saint Félix. On y voit donc un personnage « au carrefour de la vie militaire et de la vocation monastique [48] » : un guerrier entrant dans la vie religieuse, ce qui fait songer à la situation de Julien lors la cérémonie de Bray-le-Haut, où le futur séminariste porte sous sa soutane ses éperons de garde d’honneur.

34Plutôt que de portraiturer son héros, Stendhal le situe donc par rapport au tableau du Guerchin, qu’on peut lire comme une allégorie de la piété, cette passion que précisément Julien, en dépit de son hypocrisie, ne parvient pas à simuler. Une critique a ainsi pu dire que « le vrai titre » du tableau du Guerchin devrait être « Le Rouge et le Noir » [49]. Le roman, d’une manière générale, renvoie au peintre italien « par le caractère tendu de la composition et du récit, la netteté du dessein de Julien et de son dessin [50] » : « Jusque dans la confrontation des couleurs de son titre, c’est le contraire d’une œuvre souple » – affirme Philippe Berthier [51]. C’est une œuvre tendue, où la concentration, la force dominent. Une scène mêlant le frénétisme macabre à la passion amoureuse, comme celle où, à la lueur des bougies, Mathilde baise au front la tête de son amant décapité, qu’elle a placée devant elle « sur une petite table de marbre » (II, xlv, p. 660), transpose dans le roman la manière guerchinesque. On y retrouve le goût du peintre pour les situations extrêmes, son expression intense, passionnée, en dehors des règles, et jusqu’à ses effets de lumière dans ces bougies qui font « émerger des ténèbres un profil de femme et une tête sanglante [52] ».

35La référence au Guerchin, peintre que Stendhal apprécie, a donc une valeur emblématique : son vigoureux clair-obscur, ses tons soutenus, le relief saisissant de ses tableaux donnent à la peinture une intense expressivité dramatique. C’est l’artiste dont le nom seul exprime la tonalité affective dominante de ce roman du crime et de la guillotine qu’est Le Rouge et le Noir : son œuvre peint, caractérisé par « le viol périlleux mais impérieux des recettes admises [53] », dit l’âpreté des passions énergiques, la violence et la colère d’un héros asocial qui ne trouve la tranquillité intérieure qu’en poussant à son comble, et jusqu’à la mort, son défi à la société.

36Le risque que court un tel roman est celui d’une tension excessive, qui créerait un malaise chez le lecteur et menacerait son plaisir esthétique. Aussi Stendhal est-il attentif à changer de registre émotionnel quand son récit se fait trop rude ou trop mordant. Pour ne pas incommoder son lecteur, il ménage des moments de détente, d’une tonalité plus légère et plus gaie. Cette gaieté s’incarne en particulier dans un personnage, Geronimo, dont le nom, emprunté à l’un des protagonistes d’Il Matrimonio Segreto, l’œuvre musicale préférée de Stendhal, prend lui aussi une valeur emblématique : ce joyeux personnage, dont le modèle est un célèbre chanteur, Luigi Lablache, surnommé à son époque « le Roi des Basses [54] », allégorise la musique et plus précisément l’opéra bouffe. Plus exactement, il est à la fois une tonalité affective, l’allégresse et un art.

37Son arrivée chez les Rênal a pour effet de les arracher incontinent à la lugubre atmosphère suscitée par une sordide malversation du clergé local, sur laquelle le maire de Verrières a été contraint de fermer les yeux. Geronimo, en comédien accompli, est d’un comique irrésistible : il raconte des histoires désopilantes où il se met lui-même en scène pour la plus grande joie de son auditoire. Il narre en particulier la mystification par laquelle le directeur du théâtre San-Carlino lui a permis de quitter le Conservatoire, où l’on ne voulait nullement se séparer de ce talent en herbe. Cette histoire, commente Philippe Berthier, « est, elle aussi, celle d’un tour pendable, à la limite de la malhonnêteté », mais le climat de commedia dell’arte dont elle est baignée la « vide de tout enjeu de moralité », ce n’est qu’un « jeu de scène » pour rire, une « fantaisie débridée » [55] dans laquelle rien ne semble avoir de conséquence. La comédie légère et gaie dont Geronimo est l’âme permet ainsi d’évacuer la triste réalité de la vie à Verrières.

38Tel est le pouvoir de l’opéra-bouffe dont ce personnage est la figure allégorique : dépourvue de tendances agressives, l’allégresse qu’il fait naître, dans sa gratuité même, est une expression du bonheur. Elle consiste non plus à rire de quelque chose, mais intransitivement, pour le plaisir. Ce rire-là acquiert une valeur éthique : contrariant « la pente ordinaire des choses [56] » au xixe siècle, il s’affranchit d’un temps ennuyeux, triste, positif, que sa gravité condamne, étant le signe le plus évident de son inaptitude à rendre les hommes heureux. Geronimo, l’homme-opéra, qui conjoint musique et littérature, rétablit, au milieu d’une époque engluée dans les intérêts matériels et les passions tristes, cette joie, cette légèreté, ce naturel auxquels on reconnaît la plénitude existentielle.

39Et c’est aussi une figure de l’écrivain dans laquelle se reconnaît Stendhal en personne : écrire des fictions romanesques, comme aimer, voir Naples, Rome et Florence ou aller écouter de la musique à l’opéra, est pour lui une manière de vivre dans laquelle la littérature et plus généralement les arts sont à la fois l’antidote de la laideur affectant la simple réalité et une promesse de bonheur.


Date de mise en ligne : 19/01/2015.

https://doi.org/10.3917/nre.014.0017

Notes

  • [1]
    Albert Thibaudet, Réflexions sur le roman [1938], Paris, Gallimard, 1965.
  • [2]
    Voir Michel Crouzet, Le Roman stendhalien, Orléans, Paradigme, 1996, p. 222.
  • [3]
    Albert Thibaudet, Réflexions sur le roman [1938], Paris, Gallimard, 1965. Cité par Michel Crouzet, Le Rouge et le Noir, Essai sur le romanesque stendhalien, Paris, Eurédit, 2012, p. 48 (1re éd., Paris, Puf, 1995).
  • [4]
    Mémoires d’un touriste, in Voyages en France, éd. Victor Del Litto, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1992, p. 566.
  • [5]
    Paul Arbelet, La Jeunesse de Stendhal, Paris, Champion, 1919, t. I, p. 200.
  • [6]
    De l’Amour, éd. Xavier Bourdenet, Paris, GF-Flammarion, 2014, p. 88.
  • [7]
    Michel Crouzet, Le Roman stendhalien, op. cit., p. 232.
  • [8]
    « Du caractère des femmes françaises », in Mélanges de littérature, éd. Henri Martineau, Paris, Le Divan, 1933, t. II, p. 31.
  • [9]
    Michel Crouzet, Le Roman stendhalien, op. cit., p. 234.
  • [10]
    Id.
  • [11]
    Pensées, Filosofia nuova, éd. Henri Martineau, Paris, Le Divan, 1931, t. I, p. 158.
  • [12]
    Voir Vie de Rossini, chap. xxii : « II y a une description du beau qui convient à tous les arts » (éd. Pierre Brunel, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1992, p. 297).
  • [13]
    Michel Crouzet, « Stendhal et les signes », in Romantisme, n° 3, 1971, p. 58.
  • [14]
    Lettre à Pauline Beyle, fin juin 1804, Correspondance, éd. Henri Martineau et Victor Del Litto, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1968, t. I, p. 116.
  • [15]
    L’amour « ouvre l’âme à tous les arts » en vertu d’une analogie qui lie la beauté physique aux autres beautés naturelles et au beau tel qu’il advient dans la création artistique. Voir De l’Amour, éd. cit., p. 252.
  • [16]
    Ibid., p. 85.
  • [17]
    Michel Crouzet, « Le Nord, le Midi : de l’aisthesis à l’esthétique », in Regards de Stendhal sur le monde moderne, Paris, Kimé, 2010, p. 296.
  • [18]
    Ibid., p. 304.
  • [19]
    Emmanuel Schwartz, « La matière du pittoresque stendhalien. Le jeu des arts et des lettres », in Martine Reid (dir.), Le Rouge et le Noir de Stendhal, Lectures critiques, Paris, Garnier, coll. « Rencontres », 2014, p. 170.
  • [20]
    « On le dit fils d’un charpentier de nos montagnes, mais je le croirais plutôt fils naturel de quelque homme riche » (I, xxx, p. 301). Les références données entre parenthèses dans le texte et dans les notes renvoient à l’édition procurée par Anne-Marie Meininger (Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2000).
  • [21]
    Il présente son adversaire comme le « fils naturel d’un ami intime du marquis de La Mole » (II, vi, p. 375), bruit que celui-ci révèle un peu plus tard à Julien : « Eh bien ! lui dit un jour M. de La Mole, vous voilà donc le fils naturel d’un riche gentilhomme de Franche-Comté, mon ami intime ? » (II, vi, pp. 375-376).
  • [22]
    « Vous serez, à mes yeux, le frère cadet du comte de Retz, c’est-à-dire le fils de mon ami le vieux duc », dit-il à Julien (I, vii, p. 377).
  • [23]
    Projet d’un article non publié sur Le Rouge et le Noir (p. 729).
  • [24]
    « Nous n’avons qu’un honneur, il est tant de maîtresses ! », dit Don Diègue dans Le Cid (acte III, scène 6).
  • [25]
    Paris-Londres, éd. Renée Dénier, Paris, Stock, 1997, p. 708.
  • [26]
    Ibid., p. 825.
  • [27]
    Pensées, Filosofia nuova, éd. cit., p. 303.
  • [28]
    Pierre-Louis Rey, « L’espagnolisme contre le génie comique », in Daniel Sangsue (dir.), Stendhal et le comique, Grenoble, Ellug, 1999, p. 39.
  • [29]
    Voir Ronald de Sousa, The Rationality of the Emotions, Cambridge, MIT Press, 1987.
  • [30]
    Voir Mariella Di Maio, Le Cœur mangé, Histoire d’un thème littéraire du Moyen Age au xixe siècle, Paris, PUPS, 2005.
  • [31]
    Stendhal, De l’Amour, chap. lii, « La Provence au xiie siècle ».
  • [32]
    Pascale Auraix-Jonchière, « Le cœur mangé et la tête coupée : les régimes du romanesque dans Le Rouge et le Noir », in Xavier Bourdenet (dir.), Lectures de Stendhal, Le Rouge et le Noir, Rennes, PUR, 2014, p. 190.
  • [33]
    Une voile blanche est le signal par lequel Iseut doit prévenir Tristan blessé qu’elle vient à lui pour le secourir. Voir Joseph Bédier, Le Roman de Tristan et Iseut, chap xix, Paris, H. Piazza, 1909, p. 271.
  • [34]
    « Le nain [Frocin] couchait, comme il en avait coutume, dans la chambre du roi. Quand il crut que tous dormaient, il se leva et répandit entre le lit de Tristan et celui de la reine la fleur de farine : si l’un des deux amants allait rejoindre l’autre, la farine garderait la forme de ses pas » (ibid., chap vii, p. 113).
  • [35]
    Ibid., chap. xix, p. 283.
  • [36]
    La Vie de Henry Brulard nous apprend que le jeune Beyle, imitant son héroïne, dérobait L’Espion anglais dans la bibliothèque de son père. Voir Œuvres intimes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1982, t. II, p. 702 ; voir aussi Michel Arrous, « Les lectures de Mathilde », in Stendhal Club, 1987, n° 115, p. 297.
  • [37]
    Louvet de Couvray, Une année de la vie du chevalier de Faublas, Paris, 1793, t. I, p. 110 : « Une malheureuse qu’on y jette s’y trouve renversée sur le dos ; ses bras restent ouverts, ses jambes s’écartent mollement ; on la viole sans qu’elle puisse opposer la moindre résistance. »
  • [38]
    Restif de la Bretonne, Sara, t. I, éd. Daniel Barach, Paris, UGE, coll. « 10/18 », 1984, p. 164.
  • [39]
    Michel Crouzet, Le Rouge et le Noir, Essai sur le romanesque stendhalien, op. cit., p. 66.
  • [40]
    « Elle repassa dans sa tête toutes les descriptions de passion qu’elle avait lues dans Manon Lescaut, La Nouvelle Héloïse, Les Lettres d’une Religieuse portugaise, etc., etc. Il n’était question, bien entendu, que de la grande passion ; l’amour léger était indigne d’une fille de son âge et de sa naissance. Elle ne donnait le nom d’amour qu’à ce sentiment héroïque que l’on rencontrait en France du temps de Henri III et de Bassompierre » (II, xi, p. 422).
  • [41]
    Emmanuel Schwartz, « La matière du pittoresque stendhalien. Le jeu des arts et des lettres », art. cit., p. 171.
  • [42]
    Pascale Auraix-Jonchière, « Le cœur mangé et la tête coupée : les régimes du romanesque dans Le Rouge et le Noir », art. cit., p. 198.
  • [43]
    Le narrateur stendhalien insiste sur le fait que Mme de Rênal, à la différence de Mathilde, n’est pas une lectrice assidue de romans et qu’elle ne cherche pas à conformer sa vie amoureuse à des situations romanesques : « Elle regardait comme une exception, ou même comme tout à fait hors de nature, l’amour tel qu’elle l’avait trouvé dans le très petit nombre de romans que le hasard avait mis sous ses yeux » (I, vii, pp. 95-96). Il va même jusqu’à affirmer, au risque de se contredire, que Louise n’a « jamais lu de romans » (I, xiii, p. 139).
  • [44]
    Michel Crouzet, « Mme de Rênal ou la tendresse héroïque », Quatre essais sur Le Rouge et le Noir, Paris, Eurédit, 2013, p. 100.
  • [45]
    Comme Mme de Rênal, Julien n’a « aucune expérience de la vie » et n’a « pas même lu de romans » (II, xviii, p. 472).
  • [46]
    Voir Alain Roger, Nus et Paysages, Essai sur la fonction de l’art, Paris, Aubier, 1978, p. 114.
  • [47]
    Voir Philippe Berthier, « Fabrice ou l’amour peintre », Stendhal, image et texte / Text und Bild, Herausgegeben von Sybil Dümchen und Michael Nerlich, Stendhal Hefte 4, Tübingen, Gunter Narr, 1994, pp. 175-185.
  • [48]
    Emmanuel Schwartz, « La matière du pittoresque stendhalien. Le jeu des arts et des lettres », art. cit., p. 163.
  • [49]
    Jean Seznec, « Stendhal et la peinture bolonaise », in Gazette des beaux-arts, mars 1959, p. 176.
  • [50]
    Philippe Berthier, Stendhal et ses peintres italiens, Genève, Droz, 1977, p. 128.
  • [51]
    Id.
  • [52]
    Jean Seznec, « Stendhal et la peinture bolonaise », art. cit., p. 174.
  • [53]
    Philippe Berthier, Stendhal et ses peintres italiens, Genève, Droz, 1977, p. 120.
  • [54]
    Cité par Philippe Berthier, « Intermezzo buffo », in Xavier Bourdenet (dir.), Lectures de Stendhal, Le Rouge et le Noir, Rennes, PUR, 2013, p. 202.
  • [55]
    Ibid., p. 204.
  • [56]
    Journal, 18 janvier 1812, Paris, Gallimard, coll. « Folio », p. 822.
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