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Article de revue

L'image, une contrariété du cinéma

Pages 105 à 110

Notes

  • [1]
    Ce texte développe certains aspects abordés dans deux interventions : l’une en 2006 à la Cinémathèque française, dans le cadre du Collège de l’Histoire de l’art cinématographique, dirigé par Jacques Aumont, l’autre en 2007 à l’occasion du colloque « Les querelles de l’art », coordonné par Sophie Chassat et Géraldine Sfez.
  • [2]
    Répondant aux questions de Régis Debray dans l’entretien Itinéraire d’un cinéfils (1992), filmé par Pierre-André Boutang (et publié en DVD aux éditions Montparnasse).
  • [3]
    Le terme désignait initialement, dans les scénarios, et sur le mode de la peinture, la place de tel personnage ou tel objet dans le champ (au premier plan, à l’arrière-plan…). Il semble toutefois que, petit à petit, ces indications aient permis de résumer la valeur du cadre : on peut ainsi nommer, par exemple, « premier plan » ce qui ne s’appelle pas encore gros plan.
  • [4]
    P.Bonitzer, « Qu’est-ce qu’un plan ? », in Le Champ aveugle. Essais sur le réalisme au cinéma (1982), rééd. Petite Bibliothèque des Cahiers du cinéma, 1999, p. 15-18.
  • [5]
    On aura compris que cette opposition concerne tout autant l’art abstrait – et n’a rien de commun avec la distinction entre art figuratif et abstraction.
  • [6]
    Giacometti, « Entretien avec Pierre Schneider » (1961), in Écrits, éd. Hermann, 1995, p. 265-266.
  • [7]
    J. Aumont, L’Œil interminable, éd. Séguier, 1995, p. 22-23.
  • [8]
    Ibid., p. 23-24.
  • [9]
    Ibid., p. 25.
  • [10]
    J.Rancière, La Fable cinématographique, éd. du Seuil, La Librairie du XXIe siècle, 2001, p. 15-16.
  • [11]
    Ibid., p. 8-9.
  • [12]
    G.Deleuze, L’Image-temps, éd. de Minuit, 1985, p. 223. Deleuze évoque même dans ce livre une « civilisation du cliché » (p. 33). Je me permets, sur cette question, de reporter à une précédente publication : H. Aubron, « Clichés vivants », in François Dosse et Jean-Michel Frodon (dir.), Gilles Deleuze et les images, éd. Cahiers du cinéma/Ina, 2008, p. 85-94.
  • [13]
    J. Joyce, « Les morts », in Gens de Dublin, trad. Benoît Tadié, Flammarion, GF, 1994, p. 253.
  • [14]
    Ibid., p. 267.
  • [15]
    Historiquement, le maniérisme italien s’apparente bien à une imagerie obnubilée, reprenant et déformant les motifs de la Renaissance, considérée comme un héritage écrasant qui ne peut plus être renouvelé, mais seulement contrefait. Erwin Panovsky décrit ainsi la phase maniériste : « Le style se fige, se cristallise, se pare d’un lisse et d’une dureté d’émail, tandis que les mouvements, qui tendent à l’excès de grâce, sont en même temps contraints et retenus. L’ensemble de la composition devient un champ de bataille où s’affrontent des forces contradictoires, emmêlés dans une tension infinie. » (« Qu’est-ce que le baroque ? », in Trois Essais sur le style, Gallimard, Le Promeneur, 1996, p. 44). C’est pourtant bien cet accès dépressif de fixation – au sens plastique et psychiatrique – qui annonce la grande explosion de mouvement de l’art baroque.
  • [16]
    H. Joubert-Laurencin, « Pasolini, portrait du poète en cinéaste », Cahiers du cinéma, 1995.

1« Le cinéma, c’est construire du temps et de la durée. Moi, les cinéastes qui sont des purs imagiers, des purs imagistes – et il y en a des formidables –, ils me tombent des yeux. Tout ce qui est décoratif, dans le cinéma, me tombe des yeux. » Dans ce résumé sans détours face à Régis Debray, le critique Serge Daney [2] a beau reconnaître du talent à certains « imagiers » (il doit entre autres penser à Fellini ou à Kubrick), il n’en assimile pas moins immédiatement l’image, au cinéma, à de la décoration. Postulat exemplaire d’une réticence très partagée : beaucoup de réalisateurs et de théoriciens ont en effet martelé que le cinéma travaillait la lumière, le mouvement, le temps, mais surtout pas l’image, sans quoi il céderait nécessairement à l’imagerie. L’image, au cinéma, était apparemment condamnée à n’être que d’Épinal.

Lumière et Méliès, un Yalta cinéphile

2Étrange « iconophobie » – plutôt qu’iconoclasme –, alors même qu’il s’agissait de penser un objet audiovisuel. Cette réticence a en tout cas marqué une nette ligne de partage entre deux supposées lignées cinéphiles, l’une ayant pour bannière les frères Lumière, l’autre Georges Méliès. D’un côté, les vues des Lumière emblématisent le réalisme fondamental du cinéma (que théorisa André Bazin) – réalisme non pas au sens de la vraisemblance ou d’un parti pris esthétique, mais d’un lien consubstantiel à la réalité, sinon à la matérialité du monde (via l’empreinte que laissent êtres et choses sur le film). Le cinéma consisterait dès lors à agencer des éclats de réel – éclats qui valent tout autant pour ce qu’ils contiennent, que pour ce qu’ils laissent échapper : le cadre est ici poreux, affecté par les mouvements du grand monde, du Dehors, du hors champ. Du côté Méliès, la logique serait tout autre. Le réalisateur, qui travaillait pour l’essentiel en studio, n’appelait pas ses films des « vues », mais des « tableaux », dans la continuité des attractions foraines ou du music-hall. On concevrait dès lors le cadre non plus comme une membrane poreuse, mais comme une boîte ; non plus comme une fenêtre, mais comme une vitrine, à l’intérieur de laquelle on démultiplierait figurines stylisées et trucages. D’un côté, donc, passion du réel et de l’enregistrement ; de l’autre, celle du contrôle, de la démiurgie, mais aussi du simulacre, du « tableau », et partant, de l’image.

3Cette opposition ne va pas sans simplification : il y avait bien sûr de la mise en scène, voire de la manipulation, dans les vues Lumière. Quant à Méliès, il tourna lui-même beaucoup de vues en extérieurs durant ses premières années et ne s’interdit pas de jouer avec le hors champ. Peu importe : ce Yalta esthétique entre la vue et le tableau, la durée et l’image, a indubitablement et durablement structuré la pensée du cinéma, tout comme il y a nourri de nombreuses querelles. Mais s’agit-il vraiment de se quereller entre deux écoles ? Il semble plutôt que ce tiraillement soit toujours à l’œuvre à l’intérieur de chaque film ou de chaque essai théorique : si querelle il y a, elle est avant tout intérieure. Elle relève de la contrariété – pour paraphraser le prologue de Jacques Rancière à son recueil La Fable cinématographique, intitulé « Une fable contrariée » et auquel on reviendra.

4Il est comme un refoulement dans l’iconophobie lumièriste – la plus fertile et agissante sur le plan théorique. Certes, il s’agit entre autres, sous couvert de démonstrations ou d’emportements désintéressés, de sceller la spécificité du cinéma (notamment par rapport à la peinture), donc aussi la nécessité d’un discours spécialisé – pré carré sur lequel ont veillé farouchement critiques et théoriciens. Mais, plus essentiellement, cette position cherche à contrebalancer une contrariété, un litige irrésolu et très ancien entre deux principes simultanément à l’œuvre au cinéma. Disons : la durée et l’image, ou bien encore le mouvement et la fixation – cette fixation qu’induit confusément la notion d’image.

Le plan, entre vue et tableau

5Bien loin d’avoir radicalement tranché entre la vue et le tableau, le cinéma a différé son choix en élisant au début du xxe siècle un terme particulièrement vague pour nommer son unité fondamentale : le plan [3]. La plupart des théoriciens ont relevé la singulière confusion du mot en français, puisque c’est une catégorie à la fois spatiale et temporelle. Le plan désigne à la fois la valeur du cadre (du gros plan au plan d’ensemble) et une unité de durée filmique (un plan de trente secondes), quand en anglais, par exemple, il existe deux mots distincts : shot pour le premier cas de figure, take pour le second. Pascal Bonitzer résume très bien le problème dans son texte « Qu’est-ce qu’un plan ? » :

6

« Le plan est-il une unité ? De quoi est-il l’unité ? Est-il quelque chose ? […] Tout se passe comme si ce qu’on appelle un plan, loin d’être un corps simple, était l’effet d’une multiplicité de coupures de natures diverses, un nœud de coupures. […] Signe ou sensation ? À partir du moment où l’on a commencé à détacher et articuler entre eux des plans […], le cinéma s’est trouvé comme écartelé entre deux possibilités. D’un côté, par le passage, savant, des vues éloignées aux vues rapprochées, de la vision optique à la vision “haptique”, la mise en scène pouvait diriger l’intérêt des spectateurs, […] inventer et varier tout un ordre de sensations. D’un autre côté, et corrélativement, se créait ainsi tout un arsenal de signes cinématographiques, dont les metteurs en scène, désormais auteurs et démiurges et non plus comme aux premiers temps ingénieurs et techniciens, expérimentaient avec ivresse le pouvoir » [4].

Georges Méliès, Vingt mille lieues sous les mers, 1907 (extrait)

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Georges Méliès, Vingt mille lieues sous les mers, 1907 (extrait)

© Star Film, tous droits réservés

7Le plan apparaît donc comme une zone critique entre la vue et le tableau, la durée et l’image. Le cinéma est en effet certes capable de reproduire le mouvement, mais il n’est quasiment jamais pure cinétique ou pur flux – le temps du cinéma « pur » paraît désormais bien lointain, à de rares exceptions expérimentales. Il ne peut éviter de dessiner des formes dans le mouvement, de se fixer dans des images, aussi fugitives ou subliminales soient-elles. Le cinéma est dès lors mu par deux désirs a priori contradictoires. Le premier consiste à exhumer, ou simplement se laisser imprégner, par le grand mouvement du monde, se laisser traverser par lui. Il y a là une rêverie atomiste – ce en quoi on retrouve la foi dans le réalisme fondamental du cinéma, cette mystique de l’empreinte qui rejoint à sa manière Lucrèce lorsqu’il affirme que les visions sont des membranes émanant des corps mêmes. Rien n’est jamais immobile, l’univers étant en proie à une perpétuelle agitation corpusculaire. Le cinéma, dans cette perspective, se voue aux ondulations atmosphériques, au grain mouvant du réel. La seconde tentation est tout autre : il s’agit de saisir (comme on parle d’une viande) le mouvement, de le figer un instant ; il s’agit d’imprimer le monde et non de s’en imprégner, de trancher dans les nuées atomistes, de découper, de rendre visible en donnant forme. Le spectateur doit ici être impressionné, au sens courant, mais aussi photographique – qu’il ait une image gravée en lui.

L’image-dessin, le plan-couleur ?

8Dans ce tiraillement se reformule à notre sens, à l’intérieur du cinéma, une querelle artistique fort ancienne : celle qui opposa, au xviie siècle, les tenants de la couleur et ceux du dessin, ce qui déborde et ce qui circonscrit, ce qui vibre et ce qui fixe, la chair qui palpite et l’esprit qui tranche et clarifie. Querelle qui ne s’est jamais vraiment refermée, et à travers laquelle on peut opposer, à toutes les époques, bien des artistes – au hasard Turner et Ingres, ou bien Rothko et Mondrian [5]. Couleur/dessin, plan/image, vibration/fixation : nous distinguons juste ici deux grands régimes entre lesquels le visible oscille, avec une infinité de dosages et de cas de figure possibles – cela ne signifie pas que le dessin soit nécessairement figé, et la couleur toujours en mouvement. D’autant qu’ils peuvent tendre l’un vers l’autre, échanger leurs attributs, comme chez Giacometti et Bacon, par exemple. A priori, le premier travaille plutôt le dessin et l’os (ses silhouettes émaciées), l’autre la couleur et la chair – car c’est une autre manière de formuler cette opposition : la couleur en tant que chair animée du visible, le dessin comme le squelette qui la vertèbre. Mais, comme l’écrit Deleuze dans sa Logique de la sensation, la chair tend vers l’os chez Bacon – ce qu’il appelle la « viande », sorte de dure escalope. On pourrait inversement dire que l’os tend vers la chair chez Giacometti, se souvient de son fantôme – ce halo pulvérulent qui nimbe ses silhouettes. D’où aussi, chez les deux peintres, une indistinction entre mouvement et immobilité, vibration et figement : violentes torsions chez Bacon mais dont le mouvement apparaît « gelé » ou décomposé, comme sous l’effet d’arrêts sur image où plusieurs postures se superposent en surimpression ; figures minéralisées pourtant animées d’un poudroiement atomiste chez Giacometti. Ce dernier relie d’ailleurs, précisément, cette zone indécise à l’expérience du cinéma :

9

« Avant, il y avait une réalité connue ou banale, disons : stable, n’est-ce pas ? Cela a cessé complètement en 1945. Par exemple, je me suis rendu compte qu’entre le fait d’aller au cinéma et celui de sortir du cinéma, il n’y avait pas d’interruption ; j’allais au cinéma, je voyais ce qui se passe sur l’écran, je sortais, rien ne m’étonnait, dans la rue ou dans un café… […] Je me rappelle très bien, c’était aux Actualités, à Montparnasse, d’abord je ne savais plus très bien ce que je voyais sur l’écran ; au lieu d’être des figures, ça devenait des taches blanches et noires, c’est-à-dire qu’elles perdaient toute signification, et au lieu de regarder l’écran, je regardais les voisins qui devenaient pour moi un spectacle totalement inconnu. […] Alors il y a eu une transformation de la vision de tout… comme si le mouvement n’était plus qu’une suite de points d’immobilité. Une personne qui parlait, ce n’était plus un mouvement, c’était des immobilités qui se suivaient, complètement détachées l’une de l’autre ; des moments immobiles qui pourraient durer, après tout, des éternités, interrompus et suivis par une autre immobilité » [6].

10En tant que machine imprimant le mouvement, le cinéma a pu apparaître à l’origine comme un médium capable d’unifier en un seul bloc dessin et couleur – ce que sous-entendait André Bazin lorsqu’il fit du cinéma « la momie du changement », autrement dit la fixation du mouvant. Lorsque Jacques Aumont souligne lui que les « effets de réalité » des vues Lumière étaient à la fois quantitatifs et qualitatifs, ces deux catégories recoupent les principes de dessin et de couleur. Dessin quantitatif :

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« Ce qui enchante le spectateur, c’est […] qu’on lui montre un aussi grand nombre de figurants à la fois […]. La valeur picturale quantifiable par excellence, et au xixe siècle, peut-être la seule, c’est le fini du détail, la précision, le léché. […] Qu’est-ce qui fait l’admiration du xixe siècle pour ces tableaux auxquels il ne manque pas un bouton de guêtre ? […] Indéniablement, c’est de pouvoir imaginairement “computer” le réel, le ramener à de l’indéfiniment additionnable […] » [7].

12Couleur qualitative :

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« On se souvient de la surprenante réaction de l’un des premiers spectateurs du Goûter de bébé, Georges Méliès. […] Méliès ne relève qu’une chose : au fond de l’image, il y a des arbres, et, merveille, les feuilles de ces arbres sont agitées par le vent. Ailleurs, ce seront des fumées […], des buées, des vapeurs, des reflets, des vagues clapotantes […]. […] nous avons oublié qu’au long d’un siècle au moins, la peinture puis la photographie se sont acharnées à produire ce type d’effet. Il y a là une histoire, celle de la peinture des nuages, des pluies, des tempêtes et des arcs-en-ciel […] » [8].

14Vibration infinie de l’atmosphère, des météores. Avec les vues Lumière, conclut Aumont, la synthèse des deux principes semble possible, « le fugitif est enfin fixé, et sans labeur. […] aux centaines de feuilles péniblement peintes, une par une, chez un Théodore Rousseau, [le cinématographe] substitue en effet l’apparition immédiate de toutes les feuilles. Et en plus, elles bougent… » [9].

15Une fois passé ce ravissement premier, les deux principes vont pourtant vite se disjoindre, à nouveau, ce que formule encore d’une autre manière Jacques Rancière dans La Fable cinématographique, qu’il estime en effet contrariée, car tiraillée, plus encore que les autres arts, entre deux régimes : l’activité de la représentation, qui organise et clarifie (comme le dessin au xviie siècle) et le devenir-passif de l’âge esthétique.

16

« Cette logique [esthétique] oppose au vieux principe de la forme qui travaille la matière l’identité du pur pouvoir de l’idée et du radical impouvoir de la présence sensible et de l’écriture muette des choses. » Il s’agit là de rejoindre la « poussière des particules élémentaires » [10].

17Selon Rancière, les premières avant-gardes du cinéma étaient fondées sur une utopie purement esthétique. Il commente le livre Bonjour cinéma, de Jean Epstein (1921) :

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« L’automatisme cinématographique règle la querelle de la technique et de l’art en changeant le statut même du “réel”. Il ne reproduit pas les choses telles qu’elles s’offrent au regard. Il les enregistre telles que l’œil humain ne les voit pas, telle qu’elles viennent à l’être, à l’état d’ondes et de vibrations, avant leur qualification comme objets, personnes ou événements identifiables par leurs propriétés descriptives et narratives. […] Ce que l’œil mécanique voit et transcrit, nous dit Epstein, c’est une matière égale à l’esprit, une matière sensible immatérielle, faite d’ondes et de corpuscules. Celle-ci abolit toute opposition entre les apparences trompeuses et la réalité substantielle. […] L’écriture du mouvement par la lumière ramène la matière fictionnelle à la matière sensible. Elle ramène la noirceur des trahisons, le poison des crimes ou l’angoisse des mélodrames à la suspension des grains de poussière, à la fumée d’un cigare ou aux arabesques d’un tapis » [11].

Jean Epstein, Cœur fidèle, 1923 (extrait)

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Jean Epstein, Cœur fidèle, 1923 (extrait)

© Pathé, tous droits révervés

19Ce cinéma rêvé n’a pourtant quasiment jamais existé, remarque Rancière. C’est que, la caméra étant passive par nature, le cinéaste n’a pas comme un écrivain à travailler à sa passivité, à être « l’instrument de son devenir passif ». Il en résulte paradoxalement un regain de l’activité représentative : « Le jeune art du cinéma n’a pas seulement renoué avec le vieil art des histoires. Il en est devenu le gardien le plus fidèle. » Si Rancière examine le problème du récit, la question de l’imagerie est à l’évidence aussi mue par un principe actif : ce qui cerne, ce qui encadre, ce qui enlumine ou décore éventuellement.

En passer par l’image

20Revenons-en à notre constat premier. Selon une certaine doxa cinéphile (post-bazinienne, dirons-nous), le cinéma devait donc nous désapprendre à voir avec des yeux d’homme, rendre perceptible un monde qui ne serait plus anthropocentré. En d’autres termes, le cinéma représentait un antidote à l’excès imagier, aux stéréotypes, aux clichés – ce dernier mot induisant bien un figement photographique, les stéréotypes et les clichés étant par ailleurs, à l’origine, des termes d’imprimerie (où l’on retrouve l’image d’Épinal). Cette conception iconophobe du cinéma a notamment incité à faire durer les plans, aux aguets des moindres frémissements et palpitations, pour donner à voir des immobilités en mouvement. Toutefois, cette pensée relève de plus en plus de la mystique ou du vœu pieux à partir du moment où, au fil de l’histoire du cinéma, des codes, et donc une iconographie, se constituent. Le « plan-qui-dure », « l’image-temps » ne suffisent plus pour contrecarrer l’image ou le cliché, tant ils sont eux-mêmes devenus des figures relevant d’une tradition et ne pouvant sérieusement prétendre révéler un supposé réel originaire. Il existe aussi, maintenant, une imagerie tarkovskienne ou straubienne – au point qu’on pourrait parfois parler d’« image-temps filmée » (comme Louis Skorecki parle, à la suite de Jean-Claude Biette, de « cinéma filmé »). L’orthodoxie lumièriste que nous décrivons est à l’évidence de moins en moins agissante – c’est en quelque sorte déjà une histoire de la théorie du cinéma que nous faisons là. Reste que la pensée du cinéma peine encore à refonder ses lignes de partage, quand elle ne verse pas dans l’iconolâtrie débridée, avec l’enthousiasme du nouveau converti. À l’évidence, le « réalisme ontologique » du cinéma ne peut désormais faire l’économie de penser aussi l’image, à l’heure où l’imagerie est si profondément incrustée dans nos environnements quotidiens, constitue une part essentielle du « réel ». C’est désormais, bel et bien, à un « icono-réalisme » qu’il faut s’atteler.

21Comment donc renouveler, revivifier cette contrariété entre durée et image, couleur et dessin, mouvement et fixation ? Peut-être ne faut-il plus seulement raisonner à l’échelle de l’histoire du cinéma ou d’une œuvre, mais à l’échelle du plan. Cela, ce tiraillement, se joue peut-être à l’intérieur de chaque plan. Nous évoquions à l’instant l’image-temps : ce que nous venons de décrire peut parfaitement s’articuler avec le système imaginé par Gilles Deleuze dans ses deux livres sur le cinéma – et d’abord la cosmologie inspirée par Bergson sur laquelle s’ouvre son propos. Il y conçoit le monde comme un métacinéma où les images ne se distinguent pas radicalement des choses (comme les membranes de Lucrèce), images dont nos cerveaux constituent, en les arrêtant, l’écran, le support. Deleuze explicite ensuite deux âges de l’image de cinéma. Avant la Seconde Guerre, dans le cinéma classique, il s’agit selon lui d’une image-mouvement, c’est-à-dire une image donnant à voir la façon même dont nous modélisons nos perceptions en vue d’une action, comment nous « dessinons » notre environnement en le lisant à travers le crible de ce que Deleuze nomme le « schème sensori-moteur ». L’image-mouvement entre en crise avec la modernité, plongeant le spectateur dans une sorte de dénuement hébété : nous voici dans l’image-temps, qui donne à expérimenter des « situations optiques et sonores pures » sur lesquelles nous n’avons plus la main.

22Cette crise essentielle de l’image-mouvement est souvent reliée à la catastrophe de la Seconde Guerre. Mais il faut rappeler que le cliché en est le pivot essentiel. C’est parce qu’il ne croit plus au schème sensori-moteur, qu’il voit seulement en lui un écheveau de stéréotypes, un dessin mort, que le spectateur se retrouve désemparé devant l’image-temps.

23

« Le fait moderne, c’est que nous ne croyons plus en ce monde. […] Ce n’est pas nous qui faisons du cinéma, c’est le monde qui nous apparaît comme un mauvais film » [12].

24Le cliché constitue un passage nécessaire pour aller vers l’image-temps : à travers lui, ce qui constituait l’instrument transparent de nos actions, ce par quoi nous commandions aux choses, est désormais perçu en tant qu’image morte, figée. L’image-cliché, son dessin, nous fait entrevoir le monde nu et muet. En d’autres termes, c’est une phase délicate de fixation qui permet de toucher à la grande animation environnante.

25Relevons par ailleurs une critique de Rancière sur la théorie deleuzienne. Il ne la remet pas fondamentalement en cause, mais s’étonne de son découpage historique : seulement des images-mouvements avant-guerre, seulement des images-temps après. Rancière formule alors l’hypothèse qu’il y a de l’image-mouvement et de l’image-temps dans chaque plan de cinéma. On pourrait alors envisager un mouvement de descente et d’ascension, une curieuse physique du plan, d’abord à notre usage, tendant à s’effondrer en cliché, pour libérer finalement des situations optiques et sonores avant, peut-être, que le cycle ne commence à nouveau. Tout plan, dès lors, tendrait vers son figement, sa propre iconographie, sa propre image. Le cliché constituerait un point asymptotique qu’il faudrait approcher au plus près sans le dépasser. Figement de l’impression, du cliché : risque à courir pour qu’une forme, toujours à deux doigts de se calcifier dans la joliesse ou l’excès de composition, finisse par transparaître dans le poudroiement des particules.

« Surpris de son immobilité »

26Il y aurait là comme une petite mort nécessaire, dans et par l’image : le linceul ou le masque mortuaire constituent après tout des métaphores courantes du procédé photographique. « Le cadavre est sa propre image » – remarque clairvoyante de Blanchot. Voilà bien la tension qui anime le plan de cinéma : ce suspens où durée et image, mouvement et immobilité se rejoignent. Sorte de dernier soupir indéfiniment suspendu – ce point où le corps vient d’exhaler son ultime souffle et se fige en son image, cet instant où la palpitation s’imprime, où une figure est saisie, clichée dans l’imprimerie de l’imaginaire, sur une plaque encore en fusion. Figement dans lequel il faut tenter de ne pas se complaire (auquel cas, en effet, on ne fait que de l’imagerie, bien souvent morbide : c’est l’inquiétude d’Antonioni lorsqu’il cache un cadavre dans la photo de Blow Up), mais figement vers lequel tendre, pour que ce ne soit qu’une petite mort, une infime immobilité, qui libère le grand mouvement.

27Bien des cinéastes ont précocement vrillé ce point critique entre plan et image, plus que jamais décisif aujourd’hui. La toute fin d’un film testamentaire en constitue une belle fable, parmi d’autres : Gens de Dublin (The Dead), de John Huston (1987), d’après James Joyce. Dans un monde en perdition (la bourgeoisie irlandaise à la fin du xixe siècle), un couple entre à l’hôtel après une soirée familiale guindée. L’épouse, en plein désarroi, avoue à son mari que la neige, tombant sur Dublin, lui rappelle la mort d’un amour de jeunesse dont elle ne lui avait jamais parlé. Alors qu’elle plonge dans le sommeil, le mari Gabriel, pensif, se perd dans le spectacle des flocons, à travers la fenêtre. « Nous devenons tous des ombres », se dit-il notamment. Il imagine déjà le cadavre parcheminé de sa vieille tante, qui chantait tout à l’heure, durant la soirée, tandis que la caméra s’aventurait dans des pièces vides de la maison et s’attardait sur des natures mortes de bibelots.

28Auparavant dans le film, l’imagerie a explicitement constitué un enjeu social : le poids des convenances durant la soirée, l’extrême rigidité de silhouettes veillant à préserver leur image. Même les danses s’avèrent engoncées, toujours sur le mode d’un quadrille mécanique, où l’on se présente de face aux partenaires, comme de vigilantes cartes à jouer. Il y a là, dans ces salons dublinois, comme une statuaire du renoncement et de l’aliénation. Mais ce sont précisément les stéréotypes de la bienséance qui vont finir par libérer la vision. C’est parce que les convenances s’hébètent d’un coup, se révèlent soudainement comme des rites sans nécessité, que peut être perçu le poudroiement cosmique du Dehors, qui n’avait jamais cessé, mais que l’on avait juste oublié, occulté – cette physique fondamentale des particules de neige.

29La révélation a débuté pour Gabriel bien avant l’aveu de sa femme, peut-être au moment du départ de la soirée, lorsqu’il la regarde alors qu’elle est absorbée par le chant d’un ténor invité. Le plan de Huston restitue alors au plus près la nouvelle de Joyce, dans laquelle Gabriel perçoit alors, en effet, sa femme comme une image : Il « fut surpris de son immobilité ». Puis :

30

« Il y avait de la grâce et du mystère dans sa pose comme si elle symbolisait quelque chose. Il se demanda de quoi une femme debout dans l’escalier dans l’ombre, à l’écoute d’une musique lointaine, était le symbole. S’il était peintre il la peindrait dans cette pose » [13].

31Devenue symbole au référent absent, pure image, la figure de sa femme ne va plus de soi. Cette révélation du corps-image vide déjà de son sens le carnaval social, ouvre l’esprit de Gabriel au grand poudroiement des flocons. Huston aurait pu s’en tenir à leurs volutes abstraites d’atomes (comme Alain Resnais en 1984 dans les remarqués plans de particules de L’Amour à mort). Huston finira bien sur la neige, mais insère auparavant de courtes vues de paysages et de natures mortes enneigées, cadrés de manière très orthodoxe, presque sur le mode d’un diaporama. À travers ce montage, les images figées du cliché, tout comme les convenances sociales, participent du cosmos. Choses parmi les choses, elle volètent parmi les flocons.

32

« Son âme s’évanouissait lentement tandis qu’il entendait la neige qui tombait insensiblement à travers l’univers et insensiblement tombait, comme la descente de leur fin dernière, sur tous les vivants et les morts » [14].

33Fameuse dernière phrase du récit de Joyce qui condense peut-être la physique du plan : cette « descente » vers l’image qui permet in extremis une vaporisation ascendante, l’oubli de soi parmi les corpuscules élémentaires.

Les tableaux ranimés de La Ricota

34Comment braver sa propre imagerie, une éventuelle stase formelle, et ainsi relancer le mouvement créateur ? La plupart des grands cinéastes de la modernité se sont mesurés à cette gageure. On pourrait à ce propos invoquer Antonioni ou Jacques Demy, Fassbinder ou Brian De Palma, Rohmer ou Coppola. On s’en tiendra pour l’heure à un seul cinéaste, Pier Paolo Pasolini.

35Pasolini tourne en 1962 La Ricotta, l’un des sketches du film collectif Rogopag. La Ricotta retrace en noir et blanc le tournage d’une Passion du Christ, entrecoupé de deux tableaux vivants en couleurs (et en studio) reproduisant de célèbres œuvres de la peinture maniériste, les Déposition du Christ de Pontormo et de Rosso [15]. La chronique du tournage a pour cadre des terrains vagues et a pour héros Stracci : jouant le bon larron, ce figurant nécessiteux et affamé est ridiculisé par l’équipe. Trouvant finalement de quoi se nourrir (la fameuse ricotta), le miséreux se goinfre sans respirer et meurt d’indigestion sur la croix. Certains commentateurs de La Ricotta ont considéré les intrusives reproductions de tableaux comme l’aveu d’une tentation maniériste, suscitée par l’ivresse de la couleur (que Pasolini utilise ici pour la première fois) – ces séquences lorgnent visiblement vers Fellini, cinéaste imagier par excellence. D’autres ont tout au contraire vu dans cette farce une charge du réalisateur contre le maniérisme généralisé du cinéma, devenu un art cynique prêt à humilier et dévitaliser toute chair pour produire de la « belle image ».

36Pour le coup, la dialectique de La Ricotta paraît autrement plus complexe. Certes, dans les séquences en noir et blanc, l’équipe du tournage s’apparente à une odieuse caravane de nantis, n’ayant aucune attention pour le peuple des faubourgs qu’elle investit – ces mêmes faubourgs qui constituaient les décors des deux précédents films de Pasolini, Accattone et Mamma Roma. Par ailleurs, le cinéaste ne cache pas un certain goût du blasphème (à l’encontre de l’iconographie chrétienne et de l’histoire de l’art) dans ses reproductions maniéristes, parfaitement exactes et plastiquement fastueuses, mais aussi écornées par de multiples détails triviaux, dus à des figurants peu disciplinés. Comparée au luxe d’efforts et d’accessoires qu’elle nécessite, la réalisation de ces tableaux vivants paraît dérisoire et ramène le cinéma contemporain à un poster amélioré, une industrie du réchauffé : dans son essai sur le cinéaste [16], Hervé Joubert-Laurencin rappelle judicieusement l’étymologie du mot ricotta – littéralement la « recuite », la ricotta provenant du petit-lait récupéré après la fabrication d’un fromage et cuit une nouvelle fois. La fable serait sans ambiguïté : le cinéma est un art cuit et recuit, voué à brasser des citations de citations, financer d’extravagantes pièces montées, parfaitement ignorer les souffrances (mais aussi la vitalité) du peuple alentour. Le cinéma « en couleurs » ne constituerait qu’une décadence décorative, une vignette impudente pour galeries marchandes – seule serait digne la vie bafouée qui file dans les terrains vagues, communauté des sans-grade et des enfants perdus que Stracci croise fugacement durant sa quête de ricotta.

37Le tableau de Pasolini est loin d’être aussi univoque. On pourrait tout aussi bien dire que le mouvement renaît dans ces citations maniéristes, via les gestes des figurants, qui viennent naturellement repeupler d’illustres compositions convulsives, quatre siècles après leur exécution. Inversement, le mouvement se grippe dans le versant noir et blanc de La Ricotta, alors même que ce support pourrait constituer un gage de vitalité et de concrétude, comme dans Accattone. La rugosité du noir et blanc rend certes grâce à la présence corporelle de Stracci, mais elle ne le mène pas moins au figement définitif sur sa croix de pacotille. Entre-temps, le corps vivant s’est petit à petit mué en pantin mécanique, via d’incongrus accélérés. L’animation ressurgit dans le chromo tandis que se fige le grain rugueux du noir et blanc.

38Pasolini entrevoit ici qu’il ne peut perpétuer à l’identique sa manière première (l’homogénéité, la pureté noir et blanc d’Accattone) sans sombrer dans sa propre contrefaçon, une imagerie mercantile, un bibelot néoréaliste – au début des années 1960, le néoréalisme n’est plus qu’une manière, voire un maniérisme. Dans La Ricotta, Orson Welles incarne un personnage de réalisateur pompeux, celui qui dirige cette Passion de pacotille. Interviewé par un journaliste, il prononce des phrases que Pasolini a réellement prononcées dans des entretiens passés – l’artiste moderne court toujours le risque de se confondre avec sa simple parodie, les ragazzi d’Accattone sont déjà des figures codifiées et possiblement dévitalisées, corps que Pasolini a d’un certain point de vue sacrifiés pour les transformer en images consacrées. Ce que le cinéaste contresignera l’année suivante, dans L’Évangile selon saint Matthieu : le filmant d’abord dans un registre proche d’Accattone, il remet tout en cause en plein tournage, estimant qu’en rendant systématiquement profane l’imagerie chrétienne, il ne fait qu’entretenir un pompiérisme symétrique. Il vise dès lors un style « magma » beaucoup plus hétérogène, qui ne craint pas, notamment, de citer la tradition iconographique. Comment prendre de vitesse l’image ? Ce sera la constante fièvre de Pasolini. La séquence du Golgotha, dans L’Évangile…, allégorise sa stratégie : il ne filme pas les trois crucifiés de face, mais de dos. Il prend ainsi à revers l’iconographie (celle de l’Église et la sienne), il prend l’image de dos, et l’inscrit sur un autre plan.

Notes

  • [1]
    Ce texte développe certains aspects abordés dans deux interventions : l’une en 2006 à la Cinémathèque française, dans le cadre du Collège de l’Histoire de l’art cinématographique, dirigé par Jacques Aumont, l’autre en 2007 à l’occasion du colloque « Les querelles de l’art », coordonné par Sophie Chassat et Géraldine Sfez.
  • [2]
    Répondant aux questions de Régis Debray dans l’entretien Itinéraire d’un cinéfils (1992), filmé par Pierre-André Boutang (et publié en DVD aux éditions Montparnasse).
  • [3]
    Le terme désignait initialement, dans les scénarios, et sur le mode de la peinture, la place de tel personnage ou tel objet dans le champ (au premier plan, à l’arrière-plan…). Il semble toutefois que, petit à petit, ces indications aient permis de résumer la valeur du cadre : on peut ainsi nommer, par exemple, « premier plan » ce qui ne s’appelle pas encore gros plan.
  • [4]
    P.Bonitzer, « Qu’est-ce qu’un plan ? », in Le Champ aveugle. Essais sur le réalisme au cinéma (1982), rééd. Petite Bibliothèque des Cahiers du cinéma, 1999, p. 15-18.
  • [5]
    On aura compris que cette opposition concerne tout autant l’art abstrait – et n’a rien de commun avec la distinction entre art figuratif et abstraction.
  • [6]
    Giacometti, « Entretien avec Pierre Schneider » (1961), in Écrits, éd. Hermann, 1995, p. 265-266.
  • [7]
    J. Aumont, L’Œil interminable, éd. Séguier, 1995, p. 22-23.
  • [8]
    Ibid., p. 23-24.
  • [9]
    Ibid., p. 25.
  • [10]
    J.Rancière, La Fable cinématographique, éd. du Seuil, La Librairie du XXIe siècle, 2001, p. 15-16.
  • [11]
    Ibid., p. 8-9.
  • [12]
    G.Deleuze, L’Image-temps, éd. de Minuit, 1985, p. 223. Deleuze évoque même dans ce livre une « civilisation du cliché » (p. 33). Je me permets, sur cette question, de reporter à une précédente publication : H. Aubron, « Clichés vivants », in François Dosse et Jean-Michel Frodon (dir.), Gilles Deleuze et les images, éd. Cahiers du cinéma/Ina, 2008, p. 85-94.
  • [13]
    J. Joyce, « Les morts », in Gens de Dublin, trad. Benoît Tadié, Flammarion, GF, 1994, p. 253.
  • [14]
    Ibid., p. 267.
  • [15]
    Historiquement, le maniérisme italien s’apparente bien à une imagerie obnubilée, reprenant et déformant les motifs de la Renaissance, considérée comme un héritage écrasant qui ne peut plus être renouvelé, mais seulement contrefait. Erwin Panovsky décrit ainsi la phase maniériste : « Le style se fige, se cristallise, se pare d’un lisse et d’une dureté d’émail, tandis que les mouvements, qui tendent à l’excès de grâce, sont en même temps contraints et retenus. L’ensemble de la composition devient un champ de bataille où s’affrontent des forces contradictoires, emmêlés dans une tension infinie. » (« Qu’est-ce que le baroque ? », in Trois Essais sur le style, Gallimard, Le Promeneur, 1996, p. 44). C’est pourtant bien cet accès dépressif de fixation – au sens plastique et psychiatrique – qui annonce la grande explosion de mouvement de l’art baroque.
  • [16]
    H. Joubert-Laurencin, « Pasolini, portrait du poète en cinéaste », Cahiers du cinéma, 1995.
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