Notes
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[*]
L’enquête que j’ai poursuivie en vue de cette publication a été présentée une première fois sous le titre « Serial Readers » lors du colloque « Livre d’artiste : l’esprit de réseau » organisé par Anne Mœglin-Delcroix et Leszek Brogowski à l’université de Rennes 2, les 16 et 17 mai 2003. On trouvera à la fin de cet article une bibliographie sélective, mentionnant les titres que j’ai pu recenser à ce jour.
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[1]
« I’d love to have the facts on where my books are… I had a daydream once not long ago about an imaginary person known as the Information Man, and I wrote it down. » (Voir A. D. Coleman, « My Books End Up in the Trash », dans Edward Ruscha, Leave Any Informations at the Signal, édité et introduit par Alexandra Schwartz, Cambridge/Londres, MIT Press, 2002, p. 46.)
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[2]
Voir ma traduction de ce récit dans ce même numéro.
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[3]
Ces deux versions furent rapportées par quelques collectionneurs et marchands avertis, à l’occasion d’une vente aux enchères de Dutch Details, clôturée le 23 juin 2004 sur e-bay.
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[4]
Correspondance avec l’artiste, 17 janvier 2005.
-
[5]
Voir Yve-Alain Bois, « Edward Ruscha : la température des mots », Les Cahiers du Musée national d’art moderne, 1994, no 50 (Paris, Centre Georges-Pompidou), p. 57-73.
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[6]
Voir Edward Ruscha: Romance with Liquids. Paintings 1966-1969, New York, Gagosian Gallery/Rizzoli, 1993.
-
[7]
Edward Ruscha, The Los Angeles County Museum on Fire, 1965-1968 (huile sur toile, 137,2 × 335,3 cm), Washington, Hirshhorn Museum and Sculpture Garden.
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[8]
Un exemplaire de Dutch Details fut ainsi vendu au prix de 7 100 $ lors de la vente déjà mentionnée. Le vendeur, Stephen Paternite, par ailleurs artiste et taxidermiste, précisait qu’il avait acquis son exemplaire en 1972, dans la librairie new-yorkaise Jaap Rietman, Inc., pour la somme de 7,50 $…
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[9]
Pour une exploration du territoire des pratiques « hypertextuelles » c’est-à-dire des types d’opérations qui relient une œuvre seconde à une œuvre première dans le champ littéraire, on pourra se référer à Gérard Genette, Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Poétique », 1982, rééd. coll. « Points essais », 1992. Voir aussi, dans le domaine pictural, Dominique Chateau, « Intermimétique des œuvres », dans L’Héritage de l’art. Imitation, tradition et modernité, Paris, L’Harmattan, coll. « L’ouverture philosophique », 1998, p. 331-380.
-
[10]
Anne Mœglin-Delcroix leur avait d’ailleurs subrepticement ménagé une place de premier choix dans une exposition récente : au sein même de la vitrine consacrée aux livres de Ruscha (« Regarder, raconter, penser, conserver. Quatre parcours du livre d’artiste des années soixante à nos jours », Mantoue, Casa del Mantegna, 7 septembre – 28 novembre 2004). On pourra se référer au catalogue de l’exposition, notamment à la rubrique « Ruscha revisité » (p. 218-221), où la plupart des livres sont reproduits. Dans son texte, Anne Mœglin-Delcroix écrit : « Il faut faire une place à part aux livres d’artistes qui citent d’autres livres d’artistes. Ruscha, dont les premiers livres ont établi les critères du genre dans les années 1960, est de loin le plus parodié. Bruce Nauman fut le premier à le faire, dès 1968, en proposant de brûler les pages du livre de Ruscha consacré aux “petits feux”. Mais c’est dans les années 1990, quand le rôle décisif de Ruscha dans l’histoire du livre d’artiste a été reconnu, que de jeunes artistes ont publié des livres en hommage plus ou moins facétieux au pionnier. » (« Penser », dans Guardare, raccontare, pensare, conservare. Quattro percorsi del libro d’artista dagli anni ’60 ad oggi, catalogue de l’exposition, Mantoue, Corraini, 2004, p. 192.)
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[11]
L’installation présentant le film de Jonathan Monk comportait la retranscription murale de la notice détaillée du livre brûlé, extraite du catalogue en ligne du libraire.
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[12]
« “Psst – how much is that?” and I’d say, “Psst – three dollars…” » (voir A. D. Coleman, « My Books End Up in the Trash », dans Edward Ruscha, Leave Any Informations at the Signal, op. cit., p. 54).
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[13]
« Today is just a copy of yesterday. » Plusieurs diaporamas de Jonathan Monk exemplifient cet énoncé. Chaque diapositive est dupliquée à partir de la diapositive qui la précède dans l’ordre du diaporama, étant elle-même un duplicata de la diapositive la précédant. La projection progresse quant à elle au rythme d’une diapositive par jour.
-
[14]
Une série de collages de Jonathan Monk porte ainsi le titre de The Little Things that Make All the Difference.
-
[15]
Alors que j’ai pu récemment prendre contact avec Adrian Piper en vue de l’interroger sur sa relation avec le livre de Ruscha, elle fut stupéfaite (« flabbergasted ») d’apprendre qu’il avait publié un livre du même titre (correspondance avec Robert Del Principe, 16 février 2005). Le livre de Piper présente une série d’autoportraits réalisés à la demande de l’artiste par des personnes d’origines ethniques différentes et dont les traits miment une série d’émotions associées à autant de couleurs. Il est divisé en huit parties, respectivement : « tickled pink », « scarlet with embarrassment », « purple with anger », « blue », « green with envy », « jaundiced yellow », « white with fear », « black depression ». Chaque photographie en noir et blanc est par ailleurs coloriée par l’artiste, de manière à recouvrir les visages photographiés d’un masque coloré. Si ces coloriages sont le plus souvent griffonnés, gribouillés, ou encore hachurés, la série des portraits « verts de jalousie » est coloriée de manière à former un motif végétal sur chaque visage photographié, rappelant les feuilles de palmes photographiées dans le livre de Ruscha. Cette analogie formelle qui m’avait mis sur la piste d’une possible relecture du livre de Ruscha ne serait dès lors qu’un simple effet du hasard. Il est par ailleurs étonnant de constater que Clive Phillpot, auteur du catalogue raisonné des éditions d’Edward Ruscha, mentionnant lui-même l’existence du livre de Piper, est l’une des personnes sollicitées par Adrian Piper pour participer à son projet de livre.
-
[16]
Voir Sigmund Freud, L’Interprétation des rêves (1899), trad. de l’allemand par I. Meyerson, nouvelle éd. révisée par Denise Berger, Paris, puf, 1967, p. 517 (c’est moi qui souligne).
-
[17]
Voir Roland Barthes, Le Plaisir du texte, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points essais », 1973, p. 50.
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[18]
Simon Morris précise non sans humour : « Ed Ruscha had driven the car at a speed of 90m.p.h. along the desert highway and the psychoanalyst, Dr Howard Britton drove at a speed of 90m.p.h. along the Dorset country lane. In order to access the unconscious, it was necessary to transcend certain boundaries, such as the national speed limit. » (Simon Morris, The Royal Road to the Unconscious: Beyond Meaning, texte inédit communiqué par l’artiste.)
-
[19]
« It should be understood that I am utilizing Ed Ruscha’s project as a readymade set of instructions in order to carry out an experiment on Freud’s writing. There is no attempt to repeat or copy a previous work by Ruscha. […] I’m using one person’s text to reread another person’s text. Ruscha’s work rubs up against Freud’s writing. […] My art practice has been entirely consumed by the reading or misreading of other people’s art works. » (Ibid.)
-
[20]
Gérard Genette regroupe sous ce terme l’ensemble des pratiques et des discours à travers lesquels un texte se fait livre : péritexte éditorial, nom de l’auteur, titres, dédicaces, prières d’insérer, quatrième de couverture, etc. Voir Gérard Genette, Seuils, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Poétique », 1987.
-
[21]
La notice du catalogue de Printed Matter indique : « A simple book of images of six hands and a cheese sandwich. Authorship of book stated as “Edward Ruscha”, however, there is little doubt that this book is not actually by Ruscha but a parody by Joel Fisher. » (Voir http://www.printedmatter.org/catalogue/moreinfo.cfm?title_id=72811).
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[22]
Dans une correspondance adressée à Simon Cutts en juin 2003, Joel Fisher expliquait alors sa version des faits, qui me fut retransmise à la suite de l’erreur d’attribution que j’avais pu commettre lors du colloque déjà mentionné. Il y explique qu’il pense avoir été en contact avec le véritable auteur lors de l’achat de quelques exemplaires de ce livre mais ignore si cette personne existe toujours. D’après lui, aucun exemplaire ne fut jamais mis en vente à proprement parler. Les exemplaires étaient placés frauduleusement dans les rayons de certaines librairies. Le mode de diffusion de Six Hands and a Cheese Sandwich pourrait ainsi préfigurer ces pratiques de « dons à l’étalage » qui se sont multipliées depuis. Certains labels musicaux indépendants commettent en effet régulièrement des actes de « piratage interstitiel » en plaçant frauduleusement leurs disques dans les bacs des « supermarchés de la culture » de manière à les diffuser gratuitement.
1Dans une rêverie transcrite en 1971, Edward Ruscha manifestait le désir d’être informé sur la localisation et l’usage de ses livres alors qu’ils circulaient à travers le monde [1]. Au détour d’une rencontre aussi imaginaire qu’impromptue avec un certain Monsieur Je-sais-tout [2], lui est dressé un premier compte rendu : rangés dans des bibliothèques, écrasés sous le poids d’autres livres, perdus, détruits par l’eau ou le feu, jetés à la poubelle, mis de côté, servant parfois de presse-papiers, de tapette à mouches, d’arme contondante, d’essuie-tout, ou encore faisant l’objet de commentaires tantôt désapprobateurs (41,8 %), tantôt élogieux (58,2 %).
2Si la transfiguration ponctuelle du livre en tapette à mouches est difficilement vérifiable mais sans nul doute crédible, d’autres mésaventures rapportées par ce Monsieur bien informé semblent bel et bien évoquer plusieurs événements funestes qui ont marqué la vie matérielle des livres de Ruscha, à l’instar de la destruction quasi totale des trois mille exemplaires de l’édition de Dutch Details, publiée en 1971. Des dégâts occasionnés par une querelle d’imprimeurs hollandais contrariés à ceux produits par quelque inondation accidentelle, les raisons à même de justifier cette destruction ne manquent pas [3]. De manière moins rocambolesque, il semblerait, à en croire ce qui fut retransmis à Ruscha lui-même, que l’édition fut platement détruite à la suite d’une erreur [4]. La vérité n’aurait d’ailleurs, dans cette affaire, somme toute anecdotique, qu’une valeur seconde, pour ne pas dire déceptive, dans la mesure où l’hypothèse du dégât des eaux s’accorde davantage à l’atmosphère de destruction et d’entropie [5] qui caractérise tout un pan de l’art de Ruscha, de la série des mots liquides [6] au Los Angeles County Museum on Fire [7] en passant par ce verre brisé clôturant le livre Nine Swimming Pools and A Broken Glass.
3Si cette hypothèse plus ou moins fantaisiste n’eût été que le produit d’un « hasard malheureux », il en va tout autrement de cet autodafé, retournant, tel un retour de flamme punitif et malin, Various Small Fires contre lui-même. La destruction du livre de Ruscha, publiée anonymement sous le titre de Burning Small Fires et présentée sous la forme d’une suite de photographies reproduites sur un grand poster se repliant sous une couverture, n’est pas le fait d’une combustion spontanée, où les « petits feux » représentés sur les pages du livre de Ruscha viendraient comme par magie dévorer le papier. La présence d’une main effeuillant le livre de Ruscha sur l’une des photographies trahit l’origine intentionnelle de ce geste, que Bruce Nauman a pu revendiquer, en signant certains exemplaires.
4Cet autodafé inaugure une série de reprises des livres de Ruscha que je me propose d’exposer dans le cadre de cet article dès lors qu’elles sont autant de preuves matérielles de la fortune spirituelle desdits livres. Je laisse donc à cet hypothétique Monsieur Je-sais-tout le soin de poursuivre le récit de leurs infortunes qui, pour peu qu’elles engendrent une raréfaction des exemplaires en circulation, ne manquent pas d’influer sur leur valeur marchande [8].
5À la vaste gamme des usages possibles des livres de Ruscha, il faut donc ajouter les pastiches, parodies et autres transpositions [9] dont ils ont pu faire l’objet et dont la proposition de Nauman datant de 1968 est le premier exemple historiquement enregistré [10]. Elle fut suivie de nombreuses autres reprises qui entretiennent avec les livres de Ruscha des relations plus ou moins étroites et dont la tonalité oscille entre l’ironie et l’humour, la satire et le sérieux, le respect et l’irrévérence : Six Hands and a Cheese Sandwich (1971), Colored People (1991), Twentysix Abandoned Gasoline Stations (1992), Between Homes in Toronto (1996), More Los Angeles Apartments (1998), Macintosh Road Test (2000), Zugerstrasse/Baarerstrasse 1999-2000 (2001), Small Fires Burning (After Ed Ruscha After Bruce Nauman After) (2002), Thirtysix Fire Stations (2002), None of the Buildings on Sunset Strip (2002), 107th Street Watts (2003), The Royal Road to the Unconscious (2003), & Milk (2004)…
6Ne pouvant m’attarder ici sur chacun de ces titres, j’ai préféré mettre en évidence les types d’opérations qui sont en usage dans l’ensemble de ces propositions et privilégier l’étude de quelques exemples, dès lors qu’ils me permettent de décrire une tactique à l’œuvre.
7La première opération, qui est aussi la plus directe, quoique la moins usitée, consiste à incorporer le livre de Ruscha au sein de l’œuvre qui en dérive, que ce soit dans Burning Small Fires déjà cité ou dans Small Fires Burning (After Ed Ruscha After Bruce Nauman After) de Jonathan Monk qui répète quelque trente années plus tard le geste de Bruce Nauman. Plaçant son geste sous le signe de la reproductibilité, Monk ne propose pas une nouvelle interprétation de celui de Nauman qu’il ne fait que réactiver sous la forme d’un film 16 mm, constatant par ailleurs l’augmentation du coût de la « matière première », l’exemplaire brûlé ayant coûté 1 600 $ [11], plutôt que les quelques dollars exigés à la fin des années 1960 [12]. Si le geste de Nauman prolonge le livre de Ruscha d’une manière particulièrement rusée, la ruse de Monk se situe bien davantage dans cette capacité à s’infiltrer par mimétisme dans le système de l’art, en pastichant sous une forme dégradée les originaux produits par la génération précédente. À l’instar des cinquante et une duplications successives de la photographie d’un verre de lait reproduites dans son livre & Milk, chaque nouvelle copie engendre une dégradation supplémentaire par rapport à celle qui la précède immédiatement. Si « aujourd’hui est juste une copie d’hier [13] », ainsi que l’énonce Monk en ouverture de son livre, la poursuite de son activité artistique pourrait apparaître comme une vaste entreprise de dégradation. Or ce recours à la copie ne vise pas tant à dégrader les orignaux qu’il s’approprie qu’à produire des petites différances qui font toute la différence [14]. Monk n’incorpore pas la démarche – le programme – des artistes qu’il imite mais produit des imitations plus ou moins dégradées, que ce soit par le biais de la duplication, de la traduction, du collage, ou encore en satirisant les modèles qu’il s’approprie, les ramenant à un niveau plus trivial, autrement dit plus familier. Cette volonté de familiariser sa relation à l’art est aussi une manière de renouer avec la recherche de banalité qui a pu motiver la publication des premiers livres d’artiste, à l’heure où ils tendent à devenir, tel cet exemplaire de Various Small Fires, des valeurs antiquaires.
8La seconde opération, qui se combine à la première dans les deux exemples précédemment cités, concerne la formation des titres. Hormis l’exemple de Colored People d’Adrian Piper qui reprend le titre du livre de Ruscha par pure coïncidence [15], les titres originaux sont le plus souvent transformés, que ce soit par l’insertion d’un mot supplémentaire, comme dans Twentysix Abandoned Gasoline Stations qui présente une série de photographies de stations d’essence abandonnées, ou, inversement, par la suppression de plusieurs d’entre eux à l’instar de & Milk qui évoque Various Small Fires and Milk par la simple mention de ce petit supplément énigmatique qui clôt le livre de Ruscha. Ils peuvent aussi être recomposés en substituant un mot à un autre, explicitant ainsi la transformation opérée vis-à-vis du livre original. Ainsi, More Los Angeles Apartments se présente comme la suite de Some Los Angeles Apartments et montre une série de façades d’appartements situées sur la rue Normandie où Ruscha était également passé une trentaine d’années plus tôt. Macintosh Road Test substitue, quant à lui, un ordinateur Macintosh à la machine à écrire Royal jetée par la fenêtre d’une voiture lancée à cent quarante-cinq kilomètres à l’heure dans Royal Road Test, tandis que les photographies reproduites dans None of the Buildings on Sunset Strip ne présentent que les interstices qui séparent les bâtiments photographiés dans Every Building on The Sunset Strip.
9D’une manière plus générique, les titres peuvent se référer à la série des livres de Ruscha plutôt qu’à un titre en particulier, en imitant leur procédé de fabrication. Si Thirtysix Fire Stations peut être lu comme la recombinaison de Twentysix Gasoline Stations et de Various Small Fires, il ne s’en réfère pas moins à un nouvel objet – la caserne de pompiers – qui, bien qu’absent de l’« objestiaire » de Ruscha, semble répondre à quelque pyromanie latente que Nauman et Monk ont ensuite pu réactiver à leur manière. Le caractère combinatoire de ce titre ne permet pas de le considérer comme une création entièrement nouvelle, à la différence de Six Hands and a Cheese Sandwich qui pastiche le style de Ruscha en employant des éléments inédits, quand bien même ce sandwich au fromage n’est pas sans évoquer la série des Babycakes publiée un an plus tôt par Ruscha. On peut enfin mentionner 107th Street Watts ou Zugerstrasse/Baarerstrasse 1999-2000, dont les titres renvoient par analogie à Every Building on The Sunset Strip. Leur lien s’établit tout aussi bien par le fait de reprendre le système génératif des livres de Ruscha – consistant à associer une série plus ou moins quantifiée d’objets de même nature à un titre strictement descriptif – que par le recours à une mise en forme similaire, les deux ouvrages, quoique d’un format différent, se présentant comme un long dépliant d’images se glissant dans un étui cartonné.
10Cette reprise du format des livres de Ruscha constitue une autre opération récurrente, allant parfois jusqu’à contrefaire leur apparence, comme dans Twentysix Abandoned Gasoline Stations, Thirtysix Fire Stations ou More Los Angeles Apartments, dont la couverture, la composition typographique et le format imitent plus ou moins fidèlement ceux des livres de Ruscha. Du livret photocopié à l’instar de Macintosh Road Test à la réplique imprimée en offset, une distance plus ou moins grande s’instaure à l’égard du modèle. La légèreté et la spontanéité des productions photocopiées manifestant d’une manière peut-être plus sensible leur caractère plaisantin, à la différence des productions imprimées qui manient l’art de la plaisanterie avec sérieux et professionnalisme.
11Alors que Macintosh Road Test peut être considéré comme un remake de Royal Road Test – la substitution de l’ordinateur à la machine à écrire ne faisant qu’attester d’une certaine évolution technique –, The Royal Road to the Unconscious qui emprunte tout aussi bien sa forme au livre de Ruscha l’utilise néanmoins d’une tout autre manière. Si Freud a pu écrire que « l’interprétation des rêves est la voie royale qui mène à la connaissance de l’inconscient dans la vie psychique [16] », Simon Morris retrouve dans cette phrase les mots de Ruscha par un détail minuscule. Lisant Ruscha dans Freud – comme d’autres pouvaient lire Proust dans Stendhal [17] –, il se propose de relire L’Interprétation des rêves à travers le protocole à l’œuvre dans Royal Road Test. Dispersant par la fenêtre d’une voiture lancée à cent quarante-cinq kilomètres à l’heure [18] les trois cent trente-trois mille neuf cent soixante mots de L’Interprétation des rêves découpés au préalable par soixante-dix-huit de ses étudiants, Simon Morris invite, dans un second temps et sous la direction du psychanalyste Howard Britton, deux photographes à relire le matériel disséminé aux abords de la route. Utilisant la proposition de Ruscha comme une suite d’instructions toutes faites – « a readymade set of instructions [19] » – qui lui permet de structurer l’expérience poétique qu’il fait subir au texte de Freud, Simon Morris ne pastiche pas le projet de Ruscha mais en exploite la valeur d’usage. S’il reprend la maquette et le format de son livre, ce n’est pas tant pour amplifier – à l’instar de More Los Angeles Apartments ou de Thirtysix Fire Stations – la série inaugurée par Ruscha, mais pour encadrer d’une manière rationnelle une expérience de destruction du sens.
12Au-delà du renvoi implicite aux livres de Ruscha que manifeste la transformation de leurs titres, l’imitation de leur apparence ou la reprise d’un protocole, s’affiche parfois l’intention de désigner explicitement l’origine de l’emprunt effectué en mentionnant, outre le nom de Ruscha, le titre du livre repris. Une attention portée au paratexte [20] révèle des degrés de subordination variables d’une proposition à l’autre, selon l’emplacement et la formule choisis. Placée en belle page après la page de faux-titre, la dédicace peut être ostensiblement révérencieuse : « This Book is dedicated to and inspired by Ed Ruscha and his original Twentysix Gasoline Stations, first published in 1962. » (Twentysix Abandoned Gasoline Stations.) Insérée dans le colophon, elle peut témoigner plus discrètement de son gage de reconnaissance : « The artists of Macintosh Road Test acknowledge Edward Ruscha, Mason Williams and Patrick Blackwell who created Royal Road Test, Los Angeles, California, 1967. » (Macintosh Road Test.)
13Renvoyées en fin d’ouvrage ou sur les rabats de la jaquette, ces mentions peuvent être strictement informatives et apporter des explications plus ou moins logiques sur la raison d’être du livre : « In 1965 Edward Ruscha published Some Los Angeles Apartments. One of the buildings illustrated was the Capri, 118 N. Normandie. More Los Angeles Apartments follows the format of the earlier book. » (More Los Angeles Apartments) ; ou encore : « En 1964, Edward Ruscha publiait Various Small Fires, après avoir publié Twentysix Gasoline Stations en 1962. Quarante ans plus tard, Thirtysix Fire Stations représente toutes les casernes de pompiers de la ville de Montréal, en activité le 19 décembre 2001. » (Thirtysix Fire Stations.)
14L’absence de mentions particulières sollicite au contraire la mémoire du lecteur et, pour peu que celle-ci ne soit pas défaillante, établit une forme de connivence qui ne manque pas de lui procurer un supplément de plaisir.
15Ces informations périphériques sont aussi parfois trompeuses. Ainsi, Six Hands and a Cheese Sandwich est attribué à Edward Ruscha (© 1971 Edward Ruscha), alors même que la calligraphie enfantine et maladroite du titre, ainsi que l’apparence modeste de ce livret photocopié ne laissent aucun doute sur le fait qu’il s’agit d’une charge satirique. Si le catalogue en ligne de la librairie new-yorkaise Printed Matter indique que ce livre est une parodie de Joel Fisher [21], cette attribution semble néanmoins être davantage le fait d’une rumeur et il l’a déniée plusieurs fois [22].
16Ces nombreuses reprises de seconde, voire de troisième main, répondent ainsi à des intentions clairement différentes qui définissent autant de postures plus ou moins révérencieuses : faire usage d’une forme ou d’un système préexistant pour présenter un projet artistique indépendant (Twentysix Abandoned Gasoline Stations, The Royal Road to the Unconscious, 107 th Street Watts), rejouer l’histoire de l’art jusqu’à s’y fondre (None of the Buildings on Sunset Strip, Small Fires Burning (After Ed Ruscha After Bruce Nauman After), & Milk), s’interpoler insidieusement dans une série existante (Thirtysix Fire Stations), reprendre un scénario (Macintosh Road Test), produire une suite (More Los Angeles Apartments), tourner en dérision un système (Six Hands and a Cheese Sandwich)…
17Elles s’affranchissent d’ailleurs plus ou moins de leur point d’origine, selon qu’elles ne visent qu’à lui rendre hommage ou qu’elles s’en servent pour produire d’autres itinéraires possibles. Reprendre une œuvre peut être une manière de se tourner avec révérence vers le passé, mais permet tout aussi bien de produire des parcours singuliers qui pointent vers d’autres destinations, à l’image de ces rues qui croisent le Sunset Strip, pour peu qu’elles ne soient pas que culs-de-sac et voies privées. Les photographies reproduites dans None of the Buildings on Sunset Strip montrent en effet que les abords du célèbre boulevard sont parsemés de « dead end » et autre « private street » qui s’avéreraient autant d’embûches potentielles pour celui qui s’y aventurerait. L’imprudent serait alors condamné, au mieux, au demi-tour ou, au pire, à la marche arrière, ce qu’un point de vue éclairé ne manquerait pas de qualifier de rétrograde, tant un artiste averti et sur ses gardes est un artiste qui va de l’avant. Il n’en reste pas moins quelques chemins de traverse à emprunter, quand bien même ils déboucheraient de nouveau sur la Main Street de l’art et le pompiérisme le plus brûlant.
Bibliographie
Bibliographie sélective
Stations
- Jeffrey Brouws, Twentysix Abandoned Gasoline Stations, A Handjob Press/National Gas-N-Go Publication, 1992.
1 000 ex., 17,8 × 14 cm, [48] p. + 1 prière d’insérer. - Yann Sérandour, Thirtysix Fire Stations, [Rennes], 2004.
[600] ex., 17,7 × 14 cm, [80] p., ISBN 2-915778-00-0.
[1re éd., 2002, 16 ex. ; 2e éd. 2003, 50 ex.]
- Jeffrey Brouws, Twentysix Abandoned Gasoline Stations, A Handjob Press/National Gas-N-Go Publication, 1992.
Small Fires & Milk
- [Bruce Nauman], Burning Small Fires, [San Francisco], [1968].
32 × 24,7 cm, 1 feuillet plié. - Jonathan Monk, Milk, Vienne, Schlebrügge Editor, 2004.
800 ex., 15,3 × 23,5 cm, [64] p., ISBN 3-85160-036-3.
- [Bruce Nauman], Burning Small Fires, [San Francisco], [1968].
Los Angeles Apartments
- John O’Brian, More Los Angeles Apartments and Twenty Three Min Photo, [Vancouver], VAFS / Collapse Editions, 1998.
[1 000] ex., 17,7 × 13,9 cm, [48] p.
- John O’Brian, More Los Angeles Apartments and Twenty Three Min Photo, [Vancouver], VAFS / Collapse Editions, 1998.
The Sunset Strip and Other Streets
- Jonathan Monk, None of the Buildings on Sunset Strip, Frankfurt am Main, Revolver, 2002.
500 ex., 20,5 × 15,5 cm, [68] p., ISBN 3-934823-85-8. - Jean-Frédéric Schnyder, Zugerstrasse/Baarerstrasse 1999-2000, Zürich, Edition Patrick Frey, 2001.
22 × 36 cm, dépliant sous étui, ISBN 3-905509-39-3. - Jill Ballard, Chris Gergley, Robert Linsley, South Granville, Vancouver, Old Mill Society, 2002.
27,9 × 21,5 cm, 86 p., ISBN 0-9732133-0-2. - Edgar Arceneaux, 107th Street Watts, Frankfurt am Main, Revolver, 2003.
1 000 ex., 2 vol. sous étui, 20 × 16 cm, dépliant, ISBN 3-934823-82-3.
- Jonathan Monk, None of the Buildings on Sunset Strip, Frankfurt am Main, Revolver, 2002.
Road Tests
- Corinne Carlson, Karen Henderson, Marla Hlady, Macintosh Road Test, Toronto, 2000.
100 ex., 24 × 16,2 cm, [70] p. - Simon Morris, The Royal Road to the Unconscious, York, Information as Material, 2003.
24 × 17 cm, [80] p., ISBN 0-9536765-9-5.
- Corinne Carlson, Karen Henderson, Marla Hlady, Macintosh Road Test, Toronto, 2000.
Colored People
- Adrian Piper, Colored People, Londres, Bookworks, 1991.
1 000 ex., 28 × 21,5 cm, [292] p., ISBN 1-870699-07-6.
- Adrian Piper, Colored People, Londres, Bookworks, 1991.
Varia
- Edward Ruscha [auteur inconnu, faussement attribué à Joel Fisher], Six Hands and a Cheese Sandwich, 1971.
10,8 × 14 cm, [20] p. - Gary Starks, Between Homes in Toronto, 1996.
21,5 × 14,2 cm, 14 [32] p. - Jérôme Saint-Loubert Bié, Sunset Hollywood Los Angeles California, 1999.
9 × 12 cm, [48] p. - Rafael Flichman, F1, 1999.
11 × 19,8 cm, [50] p. - Toby Mussman, 29 Gas Stations and 26 Variety Stores, South Portland (ME), T. Mussman. 2005.
28 × 21,5 cm, [28] p. - Jen Denike, Seven Suns, New York (NY), Oliver Kamm 5BE Gallery, 2006.
1 000 ex., 18 × 14 cm, [96] p. - Louisa Van Leer, Fifteen Pornography Companies, 2006.
[500] ex., 17,8 × 14,1 cm, [38] p. - Michalis Pichler, Sechsundzwanzig Autobahn Flaggen, Frankfurt am Main, Revolver, 2006.
21 × 14,9 cm, [32] p., ISBN 3-86588-316-8.
- Edward Ruscha [auteur inconnu, faussement attribué à Joel Fisher], Six Hands and a Cheese Sandwich, 1971.
Notes
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[*]
L’enquête que j’ai poursuivie en vue de cette publication a été présentée une première fois sous le titre « Serial Readers » lors du colloque « Livre d’artiste : l’esprit de réseau » organisé par Anne Mœglin-Delcroix et Leszek Brogowski à l’université de Rennes 2, les 16 et 17 mai 2003. On trouvera à la fin de cet article une bibliographie sélective, mentionnant les titres que j’ai pu recenser à ce jour.
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[1]
« I’d love to have the facts on where my books are… I had a daydream once not long ago about an imaginary person known as the Information Man, and I wrote it down. » (Voir A. D. Coleman, « My Books End Up in the Trash », dans Edward Ruscha, Leave Any Informations at the Signal, édité et introduit par Alexandra Schwartz, Cambridge/Londres, MIT Press, 2002, p. 46.)
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[2]
Voir ma traduction de ce récit dans ce même numéro.
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[3]
Ces deux versions furent rapportées par quelques collectionneurs et marchands avertis, à l’occasion d’une vente aux enchères de Dutch Details, clôturée le 23 juin 2004 sur e-bay.
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[4]
Correspondance avec l’artiste, 17 janvier 2005.
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[5]
Voir Yve-Alain Bois, « Edward Ruscha : la température des mots », Les Cahiers du Musée national d’art moderne, 1994, no 50 (Paris, Centre Georges-Pompidou), p. 57-73.
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[6]
Voir Edward Ruscha: Romance with Liquids. Paintings 1966-1969, New York, Gagosian Gallery/Rizzoli, 1993.
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[7]
Edward Ruscha, The Los Angeles County Museum on Fire, 1965-1968 (huile sur toile, 137,2 × 335,3 cm), Washington, Hirshhorn Museum and Sculpture Garden.
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[8]
Un exemplaire de Dutch Details fut ainsi vendu au prix de 7 100 $ lors de la vente déjà mentionnée. Le vendeur, Stephen Paternite, par ailleurs artiste et taxidermiste, précisait qu’il avait acquis son exemplaire en 1972, dans la librairie new-yorkaise Jaap Rietman, Inc., pour la somme de 7,50 $…
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[9]
Pour une exploration du territoire des pratiques « hypertextuelles » c’est-à-dire des types d’opérations qui relient une œuvre seconde à une œuvre première dans le champ littéraire, on pourra se référer à Gérard Genette, Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Poétique », 1982, rééd. coll. « Points essais », 1992. Voir aussi, dans le domaine pictural, Dominique Chateau, « Intermimétique des œuvres », dans L’Héritage de l’art. Imitation, tradition et modernité, Paris, L’Harmattan, coll. « L’ouverture philosophique », 1998, p. 331-380.
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[10]
Anne Mœglin-Delcroix leur avait d’ailleurs subrepticement ménagé une place de premier choix dans une exposition récente : au sein même de la vitrine consacrée aux livres de Ruscha (« Regarder, raconter, penser, conserver. Quatre parcours du livre d’artiste des années soixante à nos jours », Mantoue, Casa del Mantegna, 7 septembre – 28 novembre 2004). On pourra se référer au catalogue de l’exposition, notamment à la rubrique « Ruscha revisité » (p. 218-221), où la plupart des livres sont reproduits. Dans son texte, Anne Mœglin-Delcroix écrit : « Il faut faire une place à part aux livres d’artistes qui citent d’autres livres d’artistes. Ruscha, dont les premiers livres ont établi les critères du genre dans les années 1960, est de loin le plus parodié. Bruce Nauman fut le premier à le faire, dès 1968, en proposant de brûler les pages du livre de Ruscha consacré aux “petits feux”. Mais c’est dans les années 1990, quand le rôle décisif de Ruscha dans l’histoire du livre d’artiste a été reconnu, que de jeunes artistes ont publié des livres en hommage plus ou moins facétieux au pionnier. » (« Penser », dans Guardare, raccontare, pensare, conservare. Quattro percorsi del libro d’artista dagli anni ’60 ad oggi, catalogue de l’exposition, Mantoue, Corraini, 2004, p. 192.)
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[11]
L’installation présentant le film de Jonathan Monk comportait la retranscription murale de la notice détaillée du livre brûlé, extraite du catalogue en ligne du libraire.
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[12]
« “Psst – how much is that?” and I’d say, “Psst – three dollars…” » (voir A. D. Coleman, « My Books End Up in the Trash », dans Edward Ruscha, Leave Any Informations at the Signal, op. cit., p. 54).
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[13]
« Today is just a copy of yesterday. » Plusieurs diaporamas de Jonathan Monk exemplifient cet énoncé. Chaque diapositive est dupliquée à partir de la diapositive qui la précède dans l’ordre du diaporama, étant elle-même un duplicata de la diapositive la précédant. La projection progresse quant à elle au rythme d’une diapositive par jour.
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[14]
Une série de collages de Jonathan Monk porte ainsi le titre de The Little Things that Make All the Difference.
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[15]
Alors que j’ai pu récemment prendre contact avec Adrian Piper en vue de l’interroger sur sa relation avec le livre de Ruscha, elle fut stupéfaite (« flabbergasted ») d’apprendre qu’il avait publié un livre du même titre (correspondance avec Robert Del Principe, 16 février 2005). Le livre de Piper présente une série d’autoportraits réalisés à la demande de l’artiste par des personnes d’origines ethniques différentes et dont les traits miment une série d’émotions associées à autant de couleurs. Il est divisé en huit parties, respectivement : « tickled pink », « scarlet with embarrassment », « purple with anger », « blue », « green with envy », « jaundiced yellow », « white with fear », « black depression ». Chaque photographie en noir et blanc est par ailleurs coloriée par l’artiste, de manière à recouvrir les visages photographiés d’un masque coloré. Si ces coloriages sont le plus souvent griffonnés, gribouillés, ou encore hachurés, la série des portraits « verts de jalousie » est coloriée de manière à former un motif végétal sur chaque visage photographié, rappelant les feuilles de palmes photographiées dans le livre de Ruscha. Cette analogie formelle qui m’avait mis sur la piste d’une possible relecture du livre de Ruscha ne serait dès lors qu’un simple effet du hasard. Il est par ailleurs étonnant de constater que Clive Phillpot, auteur du catalogue raisonné des éditions d’Edward Ruscha, mentionnant lui-même l’existence du livre de Piper, est l’une des personnes sollicitées par Adrian Piper pour participer à son projet de livre.
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[16]
Voir Sigmund Freud, L’Interprétation des rêves (1899), trad. de l’allemand par I. Meyerson, nouvelle éd. révisée par Denise Berger, Paris, puf, 1967, p. 517 (c’est moi qui souligne).
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[17]
Voir Roland Barthes, Le Plaisir du texte, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points essais », 1973, p. 50.
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[18]
Simon Morris précise non sans humour : « Ed Ruscha had driven the car at a speed of 90m.p.h. along the desert highway and the psychoanalyst, Dr Howard Britton drove at a speed of 90m.p.h. along the Dorset country lane. In order to access the unconscious, it was necessary to transcend certain boundaries, such as the national speed limit. » (Simon Morris, The Royal Road to the Unconscious: Beyond Meaning, texte inédit communiqué par l’artiste.)
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[19]
« It should be understood that I am utilizing Ed Ruscha’s project as a readymade set of instructions in order to carry out an experiment on Freud’s writing. There is no attempt to repeat or copy a previous work by Ruscha. […] I’m using one person’s text to reread another person’s text. Ruscha’s work rubs up against Freud’s writing. […] My art practice has been entirely consumed by the reading or misreading of other people’s art works. » (Ibid.)
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[20]
Gérard Genette regroupe sous ce terme l’ensemble des pratiques et des discours à travers lesquels un texte se fait livre : péritexte éditorial, nom de l’auteur, titres, dédicaces, prières d’insérer, quatrième de couverture, etc. Voir Gérard Genette, Seuils, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Poétique », 1987.
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[21]
La notice du catalogue de Printed Matter indique : « A simple book of images of six hands and a cheese sandwich. Authorship of book stated as “Edward Ruscha”, however, there is little doubt that this book is not actually by Ruscha but a parody by Joel Fisher. » (Voir http://www.printedmatter.org/catalogue/moreinfo.cfm?title_id=72811).
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[22]
Dans une correspondance adressée à Simon Cutts en juin 2003, Joel Fisher expliquait alors sa version des faits, qui me fut retransmise à la suite de l’erreur d’attribution que j’avais pu commettre lors du colloque déjà mentionné. Il y explique qu’il pense avoir été en contact avec le véritable auteur lors de l’achat de quelques exemplaires de ce livre mais ignore si cette personne existe toujours. D’après lui, aucun exemplaire ne fut jamais mis en vente à proprement parler. Les exemplaires étaient placés frauduleusement dans les rayons de certaines librairies. Le mode de diffusion de Six Hands and a Cheese Sandwich pourrait ainsi préfigurer ces pratiques de « dons à l’étalage » qui se sont multipliées depuis. Certains labels musicaux indépendants commettent en effet régulièrement des actes de « piratage interstitiel » en plaçant frauduleusement leurs disques dans les bacs des « supermarchés de la culture » de manière à les diffuser gratuitement.