Couverture de NRE_001

Article de revue

Une nouvelle topographie, ou l'art de la périphérie

Pages 35 à 43

Notes

  • [1]
    Robert Smithson, « Entropy and the New Monuments » (1966), dans : Jack Flam (dir.), Robert Smithson : The Collected Writings, Berkeley, University of California Press, 1996, p. 11. C’est nous qui traduisons, comme pour toutes les citations tirées d’ouvrages en anglais qui suivront. À notre connaissance, les seules traductions en français existantes de textes de Smithson ont été publiées dans : Robert Smithson. Une rétrospective. Le paysage entropique 1960-1973, Marseille, Musées de Marseille/Réunion des musées nationaux, 1994.
  • [2]
    Paul Cummings, « Interview with Robert Smithson for the Archives of American Art/Smithsonian Institution » (1972) dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 293.
  • [3]
    Robert Smithson, « A Tour of the Monuments of Passaic, New Jersey » (1967), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 74.
  • [4]
    « … les édifices ne tombent pas en ruine après qu’ils ont été construits mais ils s’élèvent en ruine avant d’être construits » (Robert Smithson, « A Tour of the Monuments of Passaic, New Jersey », op. cit., p. 72 ; c’est l’auteur qui souligne).
  • [5]
    Cet extrait et ceux qui précèdent sont tirés de Robert Smithson, « A Tour of the Monuments of Passaic, New Jersey », op. cit., p. 70-74.
  • [6]
    Dean MacCannell, The Tourist. A New Theory of the Leisure Class, Berkeley, University of California Press, 1999 (1976), p. 122.
  • [7]
    « … une perspective en trois dimensions qui se serait détachée du tout » (Robert Smithson, « A Sedimentation of the Mind : Earth Projects » (1968), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 111).
  • [8]
    « Four Conversations Between Dennis Wheeler and Robert Smithson » (1969-1970), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 198.
  • [9]
    « Discussion with Heizer, Oppenheim, Smithson » (1970), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 244.
  • [10]
    Robert Smithson, « The Spiral Jetty » (1972), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 153.
  • [11]
    Dean MacCannell, The Tourist, op. cit., p. 41 sq.
  • [12]
    « Earth. Symposium at White Museum, Cornell University » (1969), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 181.
  • [13]
    Anne Cauquelin, L’Invention du paysage, Paris, PUF, 2000 (1989), p. 83.
  • [14]
    Lawrence Alloway, « Robert Smithson’s Development », dans : Alan Sonfist (dir.), Art in the Land. A Critical Anthology of Environmental Art, New York, E. P. Dutton, 1983, p. 140.
  • [15]
    John B. Jackson, « The World Itself », Landscape in Sight. Looking at America, New Haven, Yale University Press, 1997, p. 305. Voir également André Corboz, « Le paysage comme palimpseste », Le Paysage comme palimpseste et autres essais, Paris, Les éditions de l’imprimeur, 2001, p. 201-229.
  • [16]
    « Four conversations Between Dennis Wheeler and Robert Smithson » (1969-1970), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 221.
  • [17]
    Robert Smithson, « The Spiral Jetty » (1972), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 153.
  • [18]
    « … et dont l’unité est maintenue dans et par l’expérience ordinaire » (Anne Cauquelin, L’Invention du paysage, op. cit., p. 32).
  • [19]
    « Le camionneur qui syntonise WABP, le cow-boy qui fanfaronne, le land artist qui exécute à peu de distance de ces deux-là son œuvre monumentale, tous portent dans leur tête une image topographique qui, en n’importe quel point de sa surface, est beaucoup plus intéressante que le terrain qu’ils peuvent effectivement voir » (Dave Hickey, « Earthscapes, Landworks, and Oz », Art in America, septembre-octobre 1971, p. 47).
  • [20]
    Robert Smithson, « A Museum of Language in the Vicinity of Art » (1968), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 91.
  • [21]
    Nancy Holt, « Sun Tunnels », Artforum, avril 1977, p. 37.
  • [22]
    J. Bugnicourt, cité par Robert Lanquar, Sociologie du tourisme et des voyages, Paris, PUF, 1990, p. 87 (c’est nous qui soulignons).
  • [23]
    Gilles A. Tiberghien, Land Art Travelling, Valence, École des Beaux-arts, 1996, p. 41.
  • [24]
    Ted Castle, « Nancy Holt, Siteseer », Art in America, mars 1982, p. 88.
  • [25]
    Lucy R. Lippard, Six Years. The Dematerialization of the Art Object, New York, Praeger, 1973, p. 74.
  • [26]
    Cité par Malcolm Andrews, Landscape and Western Art, New York, Oxford University Press, 1999, p. 215.
  • [27]
    Suzaan Boettger, Earthworks. Art and the Landscape of the Sixties, Berkeley, University of California Press, 2002, p. 172, tiré d’un entretien de l’auteure avec l’artiste en 1996.
  • [28]
    Paul Cummings, « Interview with Robert Smithson for the Archives of American Art/Smithsonian Institution » (1972), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 284 et 286.
  • [29]
    Au xixe siècle, le territoire des États-Unis, représenté sous forme de paysages grandioses, est considéré comme un signe de la destinée, elle aussi grandiose, de la nation américaine qui aura pour tâche de le maîtriser. Sur le rôle des images et du chemin de fer au regard de cette notion de Manifest Destiny, on peut consulter : Stephen Daniels, Fields of Vision. Landscape Imagery and National Identity in England and in the United States, Cambridge, Polity Press, 1999, p. 180-196.
  • [30]
    Lawrence Alloway, « Site Inspection », Artforum, octobre 1976, p. 52.
  • [31]
    Suzaan Boettger, Earthworks, op. cit., p. 126.
  • [32]
    Lucy R. Lippard, Six Years, op. cit., p. 263.
  • [33]
    Voir : Robert Smithson, « Towards the Development of an Air Terminal Site » (1967), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 56.
  • [34]
    Paul Toner, « Interview with Robert Smithson » (1970), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 234 et 235.
  • [35]
    Ces déclarations des deux artistes se trouvent dans « Discussions with Heizer, Oppenheim, Smithson » (1970), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 251.
  • [36]
    Marshall McLuhan, The Gutenberg Galaxy. The Making of the Typographic Man, Toronto, University of Toronto Press, 2002 (1962), p. 276.
  • [37]
    Lucy R. Lippard et John Chandler, « The Dematerialization of Art », Art International, XII/2, février 1968, p. 32.
  • [38]
    Ibid.
  • [39]
    Marshall McLuhan, The Gutenberg Galaxy, op. cit., p. 129 et 220.
  • [40]
    Robert Smithson, « A Sedimentation of the Mind: Earth Projects » (1968), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 100-101.
  • [41]
    Florian Sauvageau, préface à : Marshall McLuhan, Pour comprendre les médias. Les prolongements technologiques de l’homme, Montréal, Bibliothèque québécoise, 1992 (1968), p. 12-13.
  • [42]
    Lucy R. Lippard, Six Years, op. cit., p. 263.
  • [43]
    Bruce Kurtz, « Conversation with Robert Smithson » (1972), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 267.
  • [44]
    Lawrence Alloway, « Robert Smithson’s Development », dans : Alan Sonfist (dir.), op. cit., p. 133.
  • [45]
    Craig Owens, « Earthwords », Beyond Recognition: Representation, Power and Culture, Berkeley, University of California Press, 1992, p. 47.
  • [46]
    « Il n’y a aucun moyen de le cadrer, vous ne pouvez que l’expérimenter » (Sam Wagstaff Jr., « Talking With Tony Smith », Artforum, décembre 1966, p. 19). L’épisode est célèbre, qui donne lieu à une longue controverse, Smith (et par la suite ses collègues) privilégiant la « théâtralité », contre Michael Fried qui la rejette. (Michael Fried, « Art and Objecthood », Artforum, juin 1967).
  • [47]
    Marshall McLuhan, The Gutenberg Galaxy, op. cit., p. 112.
  • [48]
    Hubert Damisch, L’Origine de la perspective, Paris, Flammarion, 1993, p. 117.
  • [49]
    Selon Snyder, la photographie de paysage, dès le xixe siècle, est comprise comme une vue enregistrée en ce sens que, si n’importe qui se rendait sur les lieux montrés par la photographie, la vue serait là, disponible et telle qu’en elle-même (Joel Snyder, « Territorial Photography », dans : W. J. T. Mitchell, Landscape and Power, Chicago, University of Chicago Press, 1994, p. 183).
  • [50]
    Jean-Marie Schaeffer, L’Image précaire. Du dispositif photographique, Paris, Seuil, 1987, p. 28.
  • [51]
    Rosalind Krauss, « Notes sur l’index », L’originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes, Paris, Macula, 1993, p. 76.
  • [52]
    Robert Smithson, « A Museum of Language in the Vicinity of Art » (1968), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 91.
  • [53]
    « Les banlieues sont délimitées par des règlements de zonage parce que l’une de leurs principales caractéristiques est de n’avoir pas de limites précises. Les banlieues ne sont ni ici ni là. Elles n’ont pas de centre » (Lucy R. Lippard, « The Grass on the Other Side of the Fence », The Lure of the Local. Senses of Place in a Multicentered Society, New York, The New Press, 1997, p. 232).
  • [54]
    « Discussions with Heizer, Oppenheim, Smithson » (1970), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 251.
  • [55]
    Anne-Françoise Penders, En chemin le land art, Bruxelles, La lettre volée, 1999, tome I, p. 169. Penders ajoute que Smithson connaissait « plus que certainement déjà » le travail des Becher.
  • [56]
    Nancy Foote, « The Anti-Photographers », Artforum, septembre 1976, p. 46. Dans cet article, N. Foote rapproche les « Monuments of Passaic » du travail des Becher et ceux-ci d’Edward Ruscha (p. 50-51).
  • [57]
    William Jenkins (dir.), New Topographics. Photographs of a Man-Altered Landscape, Rochester, International Museum of Photography, 1975, p. 5 et 6.
  • [58]
    Webster’s New Twentieth Century Dictionary, cité par William Jenkins, op. cit., p. 6.
  • [59]
    Ibid., p. 7.
  • [60]
    Lewis Baltz cité par William Jenkins, op. cit., p. 7.
  • [61]
    Textes réunis dans : John B. Jackson, Landscape in Sight, op. cit. L’extrait cité se trouve p. 353.
  • [62]
    Lucy R. Lippard, « The Grass on the Other Side of the Fence », The Lure of the Local, op. cit., p. 233.
  • [63]
    Parlant de désastres causés par l’humain, tels Salton Sea en Californie (une erreur d’ingénieurs qui, voulant empêcher une région d’être inondée par les crues de la rivière Colorado, en inondèrent une autre, formant ainsi le plus grand lac de Californie), Smithson affirme : « … nous avons là un exemple de cette sorte d’effet domino par lequel une erreur provoque une autre erreur, et pourtant ces fautes sont pour moi curieusement excitantes, je ne les trouve pas déprimantes » (entretien avec Alison Sky « Entropy Made Visible » (1973), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 305).
  • [64]
    Gus Blaisdell, « Park City »; dans : Lewis Baltz et Gus Blaisdell, Park City, Albuquerque, Artspace Press, 1980, p. 230.
  • [65]
    Lewis Baltz, « Architecture of Entropy », texte-communiqué de la galerie Michèle Chomette, Paris, 1988.
  • [66]
    Michèle Chomette, communiqué « La photographie en chantier : Lewis Baltz 1986-1988 », Paris, galerie Michèle Chomette, 1988.
  • [67]
    Ibid.
English version

1L’on a souvent interprété les pratiques « nomades » de certains artistes américains des années 1960 et 1970 comme une volonté de mise à distance des lieux traditionnellement dévolus à l’art. Si cela n’est pas entièrement avéré, il n’en demeure pas moins que ces artistes étaient en perpétuel déplacement entre centre et périphérie, suivant un parcours proche de celui du conquérant et de son rejeton, le touriste. L’examen des travaux de Robert Smithson, de Nancy Holt et de Lewis Baltz montre ce que le « paysage » de l’ère postindustrielle doit à la mobilité – physique mais aussi en termes de transmission – et de quelle importance est l’image photographique à cet égard.

Du centre à la périphérie

2En 1966, Robert Smithson affirme publiquement son intérêt pour l’entropie, alors qu’il fait paraître, dans le numéro de juin d’Artforum, « Entropy and the New Monuments », essai qui traite du travail de ses collègues, les artistes « minimalistes » Dan Flavin, Donald Judd, Robert Morris et Sol LeWitt entre autres. L’idée d’entropie, empruntée à la physique, veut qu’un état de désordre tende toujours vers un désordre encore plus grand, jusqu’à l’éclatement ou à la dissolution. L’entropie, c’est l’évolution à l’envers ou la déperdition constante d’énergie : « D’une façon plutôt indirecte, plusieurs artistes ont proposé une analogie visible pour la seconde loi de la thermodynamique qui permet d’extrapoler l’échelle d’entropie en indiquant que l’énergie est plus aisément perdue qu’obtenue et que dans l’ultime futur, l’univers entier se consumera et sera transformé en un tout indifférencié [1] ».

3Cette même année, Smithson entreprend ses premières expéditions vers de curieux endroits, des lieux qu’il appelle « low profile landscapes » ou « paysages entropiques » [2] : les carrières à l’abandon, les zones minières et aussi la banlieue. De nombreuses excursions en ces lieux étranges lui permettront d’accumuler le matériel nécessaire à la fabrication de ses Nonsites, importante série d’œuvres qu’il créera en 1968 et 1969. Ces travaux, s’ils conservent certaines caractéristiques des œuvres géométriques des années précédentes, commandent l’utilisation de matières différentes.

4« A Tour of the Monuments of Passaic, New Jersey » peut être considéré comme la promenade inaugurale à partir de laquelle Smithson développera ses Nonsites. Cette œuvre, parue dans Artforum en 1967, est littéralement un récit de voyage, incluant des photographies prises par l’auteur avec son Instamatic 400, petit appareil photo d’usage très répandu chez les touristes des années 1960 et 1970. La description de la visite quasi touristique de cette banlieue et des « monuments » que Smithson y photographie illustre bien l’intérêt de l’artiste pour l’entropie et les sites en mutation. Décrivant les lieux, Smithson revient sans cesse au chaos et à la désintégration, pour clore sur sa fameuse « preuve d’entropie » (experiment for proving entropy) élaborée à partir du dernier « monument », The Sand-Box Monument, une boîte de sable dans laquelle les enfants peuvent jouer. Il explique que si l’on remplit la boîte pour moitié de sable noir et pour moitié de sable blanc et que l’on y fait courir un enfant des centaines de fois dans le sens des aiguilles d’une montre, le sable se mêlera et deviendra gris. Et si après cela l’on demande à l’enfant de courir à nouveau, mais dans le sens contraire des aiguilles d’une montre, le résultat « ne sera pas un retour à la division originale mais encore plus de gris et un accroissement de l’entropie [3] ».

5À travers ces considérations sur l’entropie, un certain visage de l’Amérique se révèle, son « paysage » modelé par la mobilité traduite en car culture : la banlieue elle-même (« les ruines à l’envers » [4]) ; les routes perpétuellement en réfection et la construction de nouveaux highways (« il était difficile de distinguer la nouvelle autoroute de l’ancienne route ; toutes deux se confondaient en un chaos unitaire ») ; les vendeurs d’automobiles neuves (« les vitrines de City Motor Auto Sales proclamaient l’existence de l’Utopie ») et d’occasion (« j’avais peut-être glissé dans un stade inférieur du futur ») ; le terrain de stationnement (« je pris quelques clichés apathiques et entropiques de ce monument lustré »). Sur le même mode (entropique), les instruments et les attributs du touriste, appareil photo, photographies, cartes, sont aussi très présents dans le récit. Au sujet du premier « monument » qu’il prend en photo, The Bridge Monument (ou « monument des directions disloquées »), l’auteur déclare que le soleil de midi « cinéma-isait le site, transformant le pont et la rivière en une photo surexposée. Photographier avec mon Instamatic 400 était comme photographier une photographie ». Un peu plus loin il signale : « En fait, le paysage n’était pas un paysage mais “un genre particulier d’héliotropie” (Nabokov), une sorte de carte postale en train de s’auto-détruire… » Le dernier monument, le « sand-box monument or model desert », est une « carte de désintégration et d’oubli infini ». À un autre moment de la relation, le lieu même, Passaic, devient sa propre carte : « J’étais sur une planète à la surface de laquelle était dessinée une carte de Passaic, et c’était une carte assez imparfaite. Une carte sidérale où les “lignes” avaient la dimension de rues et les “squares” et les “pâtés de maison” la taille de bâtiments. À tout moment, mes pieds étaient susceptibles d’enfoncer le sol de carton [5]. » Si ce passage contient une allusion évidente aux étranges cartographies développées par Jorge Luis Borges ou par Lewis Carroll, il indique, tout comme les précédents extraits cités, que Smithson possède certainement, du touriste, cette étonnante « qualité qui permet de voir les objets réels comme s’ils étaient des photos, des cartes ou des panoramas d’eux-mêmes [6] ».

6Cet intérêt envers la photographie et les photographies, les cartes et la cartographie, les fragments et la synecdoque, manifeste dans « A Tour of the Monuments Of Passaic », informe également les travaux subséquents de Smithson, les Non-sites. Comme à Passaic avec ses « prises » photographiques, Smithson procède pour ses non-sites par prélèvements, dans ce cas des minéraux collectés sur un site particulier et qui sont déposés dans des contenants d’acier ou de bois auxquels il donne diverses formes : point de fuite tronqué [7] ou carte en trois dimensions, « la carte [qu’il] imagine suivant [s]on expérience du site [8] ». Les sites à partir desquels sont conçus les non-sites sont généralement, tout comme Passaic New Jersey où l’artiste est né, situés en banlieue de New York où il habite. Ce sont des mines désaffectées (A Nonsite, Franklin, New Jersey, 1968 ; Nonsite, Site Uncertain, 1968), des aires de remplissage (Nonsite, « Line of Wreckage », Bayonne, New Jersey, 1968), des terrains vagues (Nonsite (Pali­sades), Edgewater, New Jersey, 1968), des carrières (Six Stops on a Section, 1968), certaines à l’abandon (Nonsite, Slate from Bangor, Pa., 1968). Smithson quitte aussi parfois le New Jersey pour se rendre vers l’Ouest, ses lieux de prédilection étant alors les zones désertiques (Mono Lake Nonsite, 1968 ; Double Nonsite, California and Nevada, 1968 ; Nonsite Death Valley, 1968). Autant de paysages « entropiques », des sites « qui ont été, d’une certaine façon, bouleversés ou pulvérisés [9] ».

7Si certains non-sites se présentent comme le seul contenant à minéraux, la plupart sont toutefois plus complexes, comprenant des cartes géographiques ou topographiques, des photographies, de courts textes. Tous ces éléments conjugués constituent l’œuvre, qui est une invite au déplacement, une exhortation à (re) faire le parcours effectué par l’artiste, vers le site. « Le champ de convergence entre Site et Non-site est fait d’une suite de hasards, c’est une voie double faite de signes, de photographies et de cartes qui appartiennent aux deux versants de la dialectique au même moment. Les deux versants sont à la fois présents et absents. […] Des choses en deux et trois dimensions échangent leurs places respectives dans le champ de convergence. […] Les règles de ce réseau se découvrent en suivant des voies mentalement et physiquement incertaines [10] ».

8De ces déplacements, commandés par les non-sites, nous retenons deux choses. Tout d’abord, un non-site, parce qu’il contient le site tout en le pointant, restitue l’idée de limite imprécise entre la représentation et son objet, confusion qui est particulière au paysage. Également (ou conséquemment), les non-sites agissent comme des indicateurs (les sight markers de Dean MacCannell), en relation au site (sight) qu’ils désignent. MacCannell définit en effet les caractéristiques de l’attraction touristique en une relation empirique entre trois termes : l’indicateur (marker), le spectacle (sight) et le touriste [11]. Dans le système (ou le non-système) proposé par Smithson, le touriste serait l’artiste, mais aussi le visiteur de l’exposition, incité par le non-site à effectuer le parcours, du centre (le non-site, le lieu d’exposition, la ville) vers la périphérie (le site, la banlieue, le désert). La relation en étant une de centre à périphérie, le déplacement demandé par l’œuvre reproduit d’une certaine façon l’itinéraire du sujet occidental lorsqu’il pratique l’activité touristique. Signalons par ailleurs que l’on assimile volontiers le rapport entre site et non-site à une correspondance entre sight et non sight. Ce sont donc autant de voyages qui sont recommandés par Smithson : « Eh bien, en ce qui me concerne, l’œuvre est là dans le musée, abstraite, et elle est là pour qu’on la regarde, mais vous êtes projeté loin d’elle. Vous êtes d’une certaine façon renvoyé vers les bordures du site. Le site est un endroit que vous pouvez visiter et cela suppose le voyage comme l’une des possibilités [12] ».

9Les non-sites illustrent parfaitement le va-et-vient typique du paysage, ce mouvement[13] entre l’image et sa chose : « Le fait est que le paysage et ses systèmes d’ordonnancement sont très bien connus de Smithson et leur présence peut être constatée partout dans sa pensée et dans ses œuvres [14] ». Outre les allers et retours entre sites et non-sites, un autre aspect des « systèmes d’ordonnancement » du paysage ou du territoire, manifeste dans le travail de l’artiste, est cette figure du palimpseste, la « stratification » du terrain. Pour lui, extraire ou prélever un fragment du site, c’est comme creuser l’histoire, c’est-à-dire établir une section transversale de la formation du « paysage », tel que défini par John B. Jackson selon qui il n’a rien de naturel mais est plutôt un espace synthétique, une accumulation de couches superposées par les usages humains sur la face de la terre [15].

10Ainsi, un non-site est l’assemblage d’un « fragment » du site et de quelques « documents ». Par exemple Nonsite, Franklin, New Jersey est composé d’un contenant à minéraux qui prend la forme trapézoïdale d’un « point de fuite » tronqué et segmenté, d’une carte aérienne de Franklin découpée selon la même forme que le contenant, de vingt-cinq photographies du site (faites à l’Instamatic 400) et d’un texte dactylographié expliquant en détail le format du contenant et l’échelle de la carte. Tous ces éléments permettent d’identifier et de repérer le site, afin que l’on puisse s’y rendre. S’établit donc, et à la demande même de Smithson (« en d’autres mots, tous les non-sites vont vous conduire aux sites [16] »), une nécessaire suite d’allers et retours sur cette « double voie faite de signes […] qui appartiennent aux deux versants de la dialectique au même moment », un réseau de déplacements dont les « règles se découvrent en suivant des voies mentalement et physiquement incertaines » [17]. De même, lorsqu’il s’agit du paysage tel que décrit par Anne Cauquelin, « les deux versants échangent des attributs selon une règle inconnue [18] ».

11La carte qui appelle et guide les déplacements est, au même titre que la photographie, à la fois l’un des outils du voyageur et une forme de représentation qui semble liée au paysage. Aussi, étant donné l’immensité du territoire où les land artists opèrent, il n’est pas étonnant qu’ils partagent avec leurs concitoyens une « image topographique » typiquement américaine [19] et que, pour eux, la carte soit à la fois un dispositif opératoire permettant de se rendre sur les lieux de leurs travaux et un objet en soi, une partie de l’œuvre. D’après Smithson, l’on peut parler de mapscapes et de cartographic sites[20]. Nancy Holt, pour sa part, voit le visiteur de ses œuvres comme un voyageur auquel elle fournit tous les instruments utiles au déplacement et à la découverte, des outils qui lui permettront d’aller en reconnaissance vers un site qu’elle a sélectionné et marqué. Pour elle, « les mots et les photographies des œuvres sont des traces mnémoniques, pas de l’art. Au mieux, elles incitent les gens à aller voir l’œuvre elle-même [21] ».

12Holt engage donc le spectateur à se rendre sur les lieux, à faire in situ l’expérience de son travail. Paradoxalement, lorsqu’on en a vu les photographies, l’œuvre est sans surprise. Comme si l’aspect photographique était contenu à même les travaux de Holt, ce qui les rendrait comparables à bien des destinations touristiques : « La plupart des touristes “visionnent” des paysages, des objets célèbres, plutôt que de rentrer réellement en contact avec une culture vivante. Ils vont moins vers des hommes et des pays que vers la chose à voir, vers une image de ces populations et de ces territoires. Or cette vision n’a pas grande ressemblance avec la réalité ; elle est réponse à l’attente des touristes. Ils n’auront même pas à déchiffrer, mais simplement à reconnaître[22]. » C’est ainsi que de sa visite aux Sun Tunnels, Gilles A. Tiberghien affirme : « J’arrive enfin sur le site avec un peu le sentiment de pénétrer dans une photographie mais pas du bon côté [23] ».

13La parcelle de terrain sur laquelle ses Sun Tunnels sont érigés appartient à Nancy Holt qui en fait l’acquisition en 1974. Elle est par ailleurs propriétaire d’un certain nombre de terrains voisins de celui où se trouvent les Tunnels, dans le Great Basin Desert [24].

14L’acquisition de terrains, par achat ou par bail emphytéotique, est pratique courante chez les land artists américains. Mais cette nécessité de posséder des terres pour édifier des œuvres colossales, ainsi que le déplacement de matière et le terrassement à grande échelle qui distinguent le land art américain, sont dénoncés par d’autres praticiens que l’on associe également au land art, des artistes européens qui n’opèrent généralement le « marquage de sites » que par des interventions très légères, ou par la photographie. Richard Long, artiste britannique qui pratique déjà dans les années 1960 et pour qui « c’est la photo qui est la sculpture [25] », accuse ainsi le « soi-disant land art américain » d’être « de l’art vraiment capitaliste » [26] : « Je ne me suis jamais considéré comme un land artist. Pour moi, c’était une expression inventée par les conservateurs ou les critiques américains pour définir un mouvement américain et moi, artiste britannique pratiquant dans les années 1960, je voyais ces artistes américains travailler dans leur arrière-cour, utilisant leurs déserts pour faire des œuvres monumentales, et seulement en Amérique. Ils avaient besoin de beaucoup d’argent pour pratiquer leur art car ils devaient acheter des terres, ou louer des bulldozers, alors c’était des histoires de propriété, de valeurs immobilières, de machinerie, d’attitudes américaines [27] ».

15Le fait est que les artistes américains du land art ne veulent pas faire autre chose qu’un art qui serait américain, précisément. Pour Heizer, c’est l’échelle qui donne à sa sculpture ce caractère, tandis que, pour Smithson, il s’agit de trouver une manière qui serait ancrée dans sa propre expérience en Amérique, une manière qui lui permettrait de « trouver [s]a voie propre, pour émerger de sous les amoncellements d’histoire européenne [28] ». Et quoi de plus important pour la nation américaine et ses citoyens que l’étendue de son territoire, et sa domination ? L’on peut voir dans cette sortie des artistes vers les déserts de l’Ouest une réédition de la conquête du xixe siècle, alors que c’est par la mobilité, par la prise sur le territoire et la description de son paysage (en peinture et en photographie) que passait la quête d’identité du pays, sa Manifest Destiny[29]. Lawrence Alloway parle d’American Sublime au sujet des grandes œuvres du désert : « … le sublime était assurément associé à la peinture de paysage aux xviiie et xixe siècles. Et il était précisément lié avec ce genre de sites – la montagne, le désert, les lacs – où se trouvent les earthworks et avec les mêmes états d’esprit, la solitude notamment [30] ». L’on peut sans doute assimiler les land artists des années 1960 et 1970 à des surveyors, des topographes nouveau genre, qui re-découvrent les territoires de l’Ouest. Ils mettront aussi en vue d’autres frontières, la banlieue et les zones périurbaines postindustrielles : « L’identification nationale à l’esprit pionnier célébré dans les westerns peut être apparentée à l’attitude de l’avant-garde, en ce que les membres de cette dernière opèrent comme des explorateurs qui ouvrent la voie à un régiment. Évoquant leur première excursion au New Jersey à la recherche de terrains où il serait possible de construire des sculptures directement sur place, Dwan constatait que le groupe, qui incluait “Morris, Andre, les deux Smithson [Robert et Nancy qui portait ce nom dans les années 1960], et moi-même… avions cet incroyable sentiment d’être des pionniers”. Pour diverses raisons, il était ainsi inévitable que les earth workers se tournent vers l’Ouest – adoptant même parfois la conduite bravache des cow-boys – pour repousser une frontière culturelle [31]. » Comme tous les conquérants, les land artists vont systématiquement du centre vers la périphérie, où ils « mettent en réserve », marquent ou façonnent des paysages emblématiques dont la pérennité, au centre, sera assurée par des images. Cela se passe exactement comme pour les grandes et les petites conquêtes, l’ouverture de la frontière à l’Ouest, ou bien le tourisme. Dans un cas comme dans l’autre, la chose vraie, et sa reproduction mécanique sont peu à peu sacralisées.

16Pourtant, à la fin des années 1960, d’aucuns supposent au contraire que le mouvement des artistes vers l’extérieur, le caractère éphémère de certaines interventions et l’importance prise par leur « documentation » feront sortir l’art du circuit commercial : « Il semblait, en 1969, que nul, pas même un public assoiffé de nouveauté, ne donnerait son argent pour un Xerox qui référait à un événement passé ou jamais réellement advenu, une série de photographies montrant une situation ou une condition éphémère, le projet d’une œuvre jamais achevée ou des mots prononcés mais jamais enregistrés ; il apparaissait que les artistes qui travaillaient de cette façon seraient forcément affranchis de la tyrannie du marché de l’art et de l’aspect commercial des œuvres [32] ».

17Des artistes du land art il est vrai de dire, tout comme des tenants d’un art « conceptuel », qu’ils utilisent les médias de masse, les magazines, les journaux et les médias électroniques, dont la télévision, pour mieux diffuser leurs travaux. Des artistes font paraître des œuvres et des documents dans les revues, spécialisées ou non. C’est ainsi que, par exemple, les « Incidents of Mirror-Travel in the Yucatan » de Smithson, qui est un non-site tout comme « A Tour of the Monuments of Passaic, New Jersey », est publié dans Artforum en 1969 et « Sun Tunnels » de Nancy Holt, article plutôt documentaire, paraît dans le même magazine en 1977 ; Smithson publie aussi dans Harper’s Bazaar (1966) et dans Landscape Architecture (1968). Des œuvres de land art sont filmées pour la « galerie télévisuelle » (Fernsehen­galerie) de Gerry Schum, par laquelle seront présentées sur les ondes en 1969 des œuvres de Smithson, De Maria, Heizer et Dennis Oppenheim, ainsi que des travaux des Européens Marinus Boezem, Jan Dibbets, Barry Flanagan et Richard Long. En 1967, Smithson prévoit déjà de retransmettre à l’intérieur des travaux exécutés à l’extérieur [33]. Pour lui, « aussi loin que vous alliez en périphérie, l’art est toujours retransmis d’une manière ou d’une autre, il y a un retour d’information ». À propos de ses travaux éphémères, il affirme que si une œuvre est suffisamment forte et proprement photographiée, elle est incorporée dans une situation de distribution de masse [34]. Cet intérêt pour la photographie comme véhicule pour transmettre l’art est manifestement partagé par ses collègues Oppenheim (« Dorénavant, plutôt que fabriquée, l’œuvre d’art est visitée ou abstraite à partir d’une photographie ») et Heizer (« Je pense que certaines photographies proposent une façon précise de voir les œuvres ») [35].

18Il nous semble qu’il faut considérer l’importance que l’on a bien voulu accorder à la « dématérialisation » des œuvres d’art et aux effets de la transmission à la lumière d’une certaine pensée qui se répand à la fin des années 1960, celle de l’avènement d’un « village global » dans lequel l’information et sa circulation seraient un principe essentiel. Marshall McLuhan est l’un des plus célèbres tenants de cette pensée qu’illustrent deux de ses principaux ouvrages qui ont un grand succès. La Galaxie Gutenberg dénonce la spécialisation visuelle du sujet moderne et prédit un grand changement social, une « re-tribalisation » du monde entier (formant ce fameux « village ») s’effectuant grâce aux « conditions électriques du mouvement simultané de l’information et la totale interdépendance humaine [36] » ; dans un autre livre, Pour comprendre les médias, McLuhan propose ceux-ci comme « les prolongements technologiques de l’homme ». McLuhan est aussi celui qui déclarera que « le médium est le message », formule qui aura une grande fortune et à laquelle l’on peut déjà associer l’art conceptuel et toutes ces formes d’art qui se présentent comme « des signes qui véhiculent des idées, qui ne sont pas des choses mais des symboles ou des représentants de chose [37] ». À propos de ce type d’œuvres, Lucy R. Lippard et John Chandler affirment en 1968 : « Un tel travail est un médium plutôt qu’une fin en soi ou de “l’art pour l’art” [38] ».

19Pourtant, bien que les land artists investissent des lieux inédits et qu’en conséquence ils cherchent des moyens de transmettre leurs œuvres (d’où l’importance prise par les documents), ce sont plutôt d’anciennes notions qui restent omniprésentes dans le land art : le point de vue de la photographie, qui fait « apparaître » le paysage, et aussi cette impulsion nationaliste (américaine) qu’est sans aucun doute le « retour à la frontière » des artistes dans les années 1960. Dans The Gutenberg Galaxy, Marshall McLuhan explique que c’est l’homogénéité, la linéarité et la reproductibilité, caractéristiques tant de l’imprimerie que de la perspective picturale dont les « inventions » sont concurrentes dans le temps, qui fondent le sujet occidental et ce point de vue qui lui est propre. La photographie est évidemment, pour McLuhan, en prise directe avec l’homme typographique et son point de vue fixe. Fait à signaler, ce point de vue est celui, subjectif, de l’individu, mais aussi le point de vue partagé dont sont issus les nationalismes : « Le nationalisme dépend, ou dérive, du “point de vue fixe” qui s’élabore avec l’imprimé, la perspective et la quantification visuelle. Mais un point de vue fixe peut être collectif ou individuel ou les deux, créant différentes conceptions et diverses possibilités de conflits [39] ».

20De même, malgré l’apparition de l’« image mosaïque » (celle de la télévision, qui serait absolument différente de l’image photographique) qui, selon McLuhan, en parcellisant et en animant le « point de vue fixe » de l’homme typographique, doit provoquer l’avènement d’un homme nouveau (« l’homme électronique de l’ère graphique »), les artistes du land art travaillent toujours avec les outils anciens du conquérant-surveyor, du voyageur. Smithson est à ce propos fort réaliste : « Bien souvent, les manifestations de la technologie sont moins des “extensions” de l’homme (l’anthropomorphisme de Marshall McLuhan) que des agrégats d’éléments. Même les outils et les machines les plus perfectionnés sont faits de la matière brute de la terre [40] ».

21L’usage de photographies, de cartes, voire de films et d’images télévisuelles, l’importance de la mobilité, tant des artistes que de leurs œuvres (mobilité qui serait transmission dans le cas de celles-ci), sont certainement des éléments déterminants dans l’art des années 1960 et 1970 aux États-Unis. Mais les moyens dont usent les artistes ne participent pas, ou si peu, de cette mobilité « électronique » ou de ces modes de communication qui seraient au fondement du « village global » selon McLuhan : « … l’automobile, pronostiquait McLuhan, continuera de remodeler les espaces pendant encore une dizaine d’années : “… à ce moment-là, nous verrons clairement quels seront les successeurs électroniques de l’automobile.” Lui qui croyait le temps venu de signaler quelques-uns des “changements foudroyants” qui résultent des croisements de médias et des nouveaux hybrides n’annonçait-il pas déjà, ma foi, la convergence médiatique que l’on nous prépare (câble, téléphone, télévision, etc.) sous l’appellation tout à fait “mcluhanesque” d’autoroute électronique [41] ? »

22Il semble que McLuhan arrive un peu tôt si l’on considère les déplacements d’objets et de gens qui caractérisent le land art, car ceux-ci font plutôt des artistes et des spectateurs des topographes, des touristes. Côté communication, comme le dit Lucy Lippard, il n’y a rien d’autre qu’une « révolution mineure », grâce aux quelques images diffusées à la télévision, aux quelques percées effectuées dans les mass media. Et Lippard ne prend que six ans pour comprendre que la dématérialisation de l’œuvre d’art n’aura pas lieu : « Très certainement et malgré les quelques révolutions mineures qui ont pu être accomplies par le processus de dématérialisation de l’objet (travaux aisément postés, œuvres de magazine ou de catalogues, œuvres pouvant être montrées facilement et à peu de frais dans plusieurs endroits au même moment), dans une société capitaliste, l’art et les artistes demeurent des produits de luxe [42] ».

23Malgré ce que l’on a pu croire à la fin des années 1960, il n’y a donc pas de réelle indépendance des artistes envers les objets, non plus que de « changements foudroyants » dans les modes de communication. Et les « documents », qui parfois sont l’œuvre elle-même, avant même que d’être sacralisés, bientôt se monnayent. En effet, même si les artistes veulent user des médias aux fins d’une plus large propagation de leurs œuvres, cela n’empêche nullement l’insertion dans le circuit commercial de ces « reproductions mécaniques » (des produits dérivés ?), photographies, films, photostats et montages en tous genres : « Smithson : Ce sont les problèmes de la collection. La Jetty et le Broken Circle ne peuvent pas être des objets que l’on collectionne. Leur réalisation est soutenue par la coopération de différents groupes qui n’ont pas l’obsession du produit de consommation.

24Kurtz : Mais il y a une obsession de consommation pour les photographies et le film – ce genre de choses.

25Smithson : Oh, oui mais soyons réalistes… le film est un autre domaine encore… les prix pour les photographies et les films et ce genre de choses sont équitables. Je vends des copies de mon film pour 500 $. Je ne veux pas dénigrer l’argent et tout ça. Je dis plutôt qu’il faut concevoir un système de valeur alternatif dans lequel les artistes pourraient mieux contrôler leur propre valeur [43] ».

26Lawrence Alloway affirme que la distribution d’information concernant les earthworks dépend encore des ressources traditionnelles des marchands d’art et que seul Smithson imagine une façon d’utiliser ces ressources en les intégrant directement à ses œuvres [44]. Il parle évidemment des non-sites, en particulier de ceux qui sont rattachés à des œuvres existantes, telle Spiral Jetty. Ce sont sans conteste les « documents » ou les « reproductions mécaniques » des œuvres, celles de Smithson comme celles de ses collègues, qui auront tout l’impact, lorsque ramenés au centre, un peu à la façon dont les collections de stéréogrammes de l’Ouest lointain fascinaient leurs collectionneurs de l’Est au xixe siècle. Toutefois, si les images photographiques du xixe siècle avaient un air de neutralité parfaite (le double ou l’équivalent du réel), l’on sera tenté de voir dans les « indicateurs », les reproductions d’œuvres monumentales du land art, un effet de la saisie différente qu’appellent ces travaux, une appréhension qui ferait appel à autre chose que le point de vue traditionnel du sujet par rapport au paysage : « Inintelligible vue de près, la forme en spirale de la Jetty ne peut être complètement saisie qu’à distance et cette distance est la plupart du temps concrétisée en imposant un texte entre le regardeur et l’œuvre. Smithson accomplit ainsi une dislocation radicale de la notion de point de vue, qui n’est plus fonction d’une position physique, mais plutôt du mode (photographique, cinématique, textuel) de confrontation avec l’œuvre d’art [45] ».

27Ce que Owens décrit comme une « dislocation radicale de la notion de point de vue » nous apparaît comme étant l’exact contraire. Une approche autre, plus physique, semble nécessaire à l’appréciation des œuvres du land art, approche effectivement revendiquée par les land artists tout comme par les minimalistes, après le récit que fait Tony Smith de son expérience sur le New Jersey Turnpike en construction [46]. Dès lors on suppose que le spectateur doit se situer dans l’œuvre, plutôt que devant elle et que son appréciation nécessite un certain mouvement, dans ou autour d’elle. Il y a là une volonté que l’on pourrait qualifier de « mcluhanesque » de faire éclater le point de vue unique généralement posé sur les œuvres. Cependant, dans la mesure où à peu près personne ne fait l’expérience des œuvres in situ, le fait qu’elles ne soient connues que par des images ré-instaure précisément, à notre avis, la position conventionnelle du sujet, le point de vue. D’une part, la distance est une composante nécessaire à la saisie perspective ; d’autre part, interposer une photographie, ou même un texte (rappelons-nous le « from where I am sitting », la position de « l’homme typographique » de McLuhan [47]), entre l’œuvre et le spectateur reconduit (ou même fabrique) le point de vue. Il n’y a de vision qu’astreinte à une distance en même temps qu’à un point de vue donnés, affirme Hubert Damish [48]. Du coup, dans le cas de la Jetty comme dans celui de la plupart des grandes œuvres du désert (celles de Heizer, de De Maria, de Holt), cette interposition est susceptible de transformer les œuvres en paysages. Car il semble que lorsqu’il est question du land art, les photographies qui interviennent entre l’œuvre et le spectateur agissent plus comme ces « vues » à l’usage des touristes qui re-doublent le site réel (les recorded sights de Joel Snyder [49]), que comme des « reproductions » d’œuvres d’art : « … regarder une image de Yosemite Valley prise par Ansel Adams n’est pas la même chose que contempler une reproduction photographique des Ménines de Vélasquez. La photo d’Adams est une vue et non pas un simple tenant-lieu de la vallée réelle, alors que la reproduction des Ménines n’est que le tenant-lieu du tableau réel. La reproduction ne fonctionne pas comme une vue analogique du tableau. On ne dira jamais : Ah, voilà une belle vue des Ménines[50] ! »

28Les photographies des earthworks monumentaux sont précisément plus que des « tenants-lieu ». Car ce sont ces « vues » qui assureront la fortune du land art, non pas seulement dans le champ de l’art, mais dans un domaine connexe, le « paysage » (comme objet de l’aménagement et comme objet théorique). Et l’on peut présumer que l’allure d’American Sublime des œuvres de land art contribuera à en faire les paysages spectaculaires que l’on sait.

La nouvelle topographie

29Si l’on pose simplement les choses, l’on peut affirmer que c’est le « supplément documentaire [51] » qui, lorsque ramené de la périphérie vers le centre, fait du land art un « art du paysage ». Pourtant, sans vraiment se rendre compte de ce que cela implique de point de vue, de perspective, bref de photographique, bien des observateurs ont cru que le land art, apprécié comme un nouvel art du paysage, était exclusivement sculptural et que grâce à cette forme inédite s’atténuerait la suprématie du visuel dans la saisie (occidentale et contemporaine) du paysage.

30Pour comprendre l’importance grandissante de la photographie, eu égard à l’art des années 1960 et 1970, suivons encore un moment quelques-uns des topographes nouveau genre des années 1970, de ceux que l’on retrouve sur cette nouvelle frontière postindustrielle, la banlieue et ses zones périurbaines : « Suburbia [la banlieue] signifie, littéralement, une ville “au-dessous” ; c’est un abîme circulaire entre la ville et la campagne – un endroit où les édifices semblent sombrer, hors de vue – les bâtiments basculent dans des limbes tentaculaires. Chaque site glisse vers l’absence. Une immense entité négative et sans forme déplace ce centre qu’est la ville et submerge la campagne [52] ». Robert Smithson, avec ses non-sites, est indiscutablement l’un des pionniers des artistes-topographes en territoires postindustriels. Sa « dialectique » centre et périphérie l’attire d’abord en banlieue [53], puis dans le désert et ensuite vers des sites dévastés par l’industrie. En plus de prélever en ces lieux des matériaux pour ses œuvres et bientôt de les « marquer » physiquement, il en dresse des cartes, il en fait des relevés, photographiques ou autres.

31Les artistes du land art utilisent largement les documents photographiques, tout comme les artistes dits conceptuels, à la même époque. Que l’on songe à Edward Ruscha avec ses Twentysix Gasoline Stations de 1962, Some Los Angeles Appartments de 1965, ou à Dan Graham avec ses « Homes for America » de 1966. Au même moment la photographie, dont les praticiens cherchent encore à lui donner ses lettres de noblesse, émerge peu à peu comme un art à part entière. (Dennis Oppenheim affirme en 1970 : « Un jour, la photographie sera plus importante qu’elle ne l’est maintenant. Il y aura un respect accru pour les photographes. On peut supposer que l’art en a terminé avec sa phase matérielle et que maintenant il se conçoit en termes de repérage de matière et de spéculation [54] »).

32Déjà, un certain nombre de photographes s’occupent à faire des « relevés » dans les zones industrielles à l’abandon et sur les sites des nouvelles industries légères en régions périurbaines, dans les banlieues. Bernd et Hilla Becher sont de ceux-là. Dès la fin des années 1950, ils répertorient les architectures techniques à l’abandon, usines, châteaux d’eau, chevalements et moulins de mines, entre autres. Anne-Françoise Penders fait d’ailleurs remarquer que les photographies de « A Tour of the Monuments of Passaic, New Jersey » de Smithson sont « comme construites sur le modèle de celles de Bernd et Hilla Becher [55] ». Il est évident qu’en cette ère postindustrielle qui s’amorce, un intérêt pour la « documentation » de la désaffec(ta)tion et des changements que subit le paysage occidental est partagé par divers groupes d’artistes (chez les land artists, Smithson est cependant le seul à s’y intéresser, l’attention de ses collègues ne se manifestera que plus tard) et que l’usage de la photographie, certes, les rassemble : « Pour chaque photographe qui prétend être un artiste, il y a un artiste qui s’expose au risque grave de se transformer en photographe [56] ».

33En 1975, Bernd et Hilla Becher participent à l’exposition New Topographics présentée à l’International Museum of Photography de Rochester, exposition qui deviendra un incontournable de l’histoire de la photographie. À tel point que l’on parle de nos jours d’un groupe qui porterait ce nom et que tous ceux qui photographient des « paysages postindustriels » dévastés se réclament d’eux, alors que les images montrées dans New Topographics sont toutes des images… de banlieues et de strips, sauf celles des Becher. L’appellation « new topographics » est ainsi devenue une sorte de paradigme.

34New Topographics regroupe, outre les Becher, Robert Adams, Joe Deal, Frank Gohlke, Nicholas Nixon, John Schott, Stephen Shore, Henry Wessel Jr. et Lewis Baltz. La plupart de ces photographes, jeunes à l’époque, deviennent par la suite des « spécialistes » du « paysage altéré » ou du « paysage économique ».

35Le commissaire William Jenkins revendique une certaine unité stylistique pour New Topographics. Il propose deux « prédécesseurs » en termes (d’absence) de style des images réunies dans l’exposition : Edward Ruscha, dont les séries sont apparemment parfaitement neutres, et Timothy O’Sullivan, qui, travaillant sans précédent d’aucune sorte lorsqu’il photographiait les déserts de l’Ouest, ne pouvait avoir de style particulier [57]. New Topographics rassemble des photographies strictement « descriptives » selon le sens premier du mot « topographie » : « La description exacte et détaillée d’un endroit particulier, d’une ville, d’un village, d’un district, d’une paroisse ou d’une parcelle du territoire [58]. » L’ensemble doit être « objectif », c’est-à-dire sans opinion et sans jugement (non-judgemental) envers les choses et les situations photographiées ; il s’agit d’exposer (d’énoncer par la photographie) « ce que cela veut dire de faire une photographie documentaire [59] » : « Le document photographique idéal devrait apparaître comme sans auteur ou sans art. Mais bien sûr les photographies, malgré leur vraisemblance, sont des abstractions ; l’information qu’elles donnent est sélective et incomplète [60]. »

36Lewis Baltz fait ses débuts à la fin des années 1960 avec des images qui rappellent en effet (et que longtemps la critique comparera à) certaines œuvres d’art conceptuel, celles de Ruscha en particulier. Il travaille en séries, la réalisation de certaines d’entre elles pouvant s’étaler sur plusieurs années. Ces séries se composent d’images froidement cadrées, généralement frontales, de motifs tous similaires, tels les Tract Houses (1969-1971) photographiées dans les faubourgs de Los Angeles. Le travail de Baltz est aussi parfois associé à l’art minimal parce qu’il organise ses photographies en grilles et que les sujets photographiés (à tout le moins dans ses premières séries) sont géométriques.

37Dans l’exposition New Topographics, Baltz présente l’une de ces suites disposées en grille, The New Industrial Parks Near Irvine, California, réalisée en 1974 et 1975. Les motifs photographiés sont des bâtiments et des parties d’édifices dans lesquelles l’artiste cherche manifestement les formes régulières, géométriques. Ces « nouveaux parcs industriels » qui apparaissent dans l’Ouest, tout comme les maisons de banlieues et les roulottes photographiées par Robert Adams, Joe Deal et Henry Wessel Jr., sont typiques du nouveau paysage américain d’après-guerre, celui-là même, modelé par l’automobile et la car culture, qu’étudie John B. Jackson dans divers textes, entre autres « The Westward-Moving House » (1953), « The Movable Dwelling and how It Came to America » (1984) et « Auto Territoriality » (1968), dans lequel il affirme : « Alors que les utopies ont traditionnellement été élaborées autour de structures communales, les Américains modernes tentent de bâtir des utopies très personnelles ou à tout le moins familiales – des utopies qui sont fabriquées autour de maisons séparées, de télévisions et d’automobiles [61] ».

38Les « parcs industriels » se trouvent en zones périurbaines, autour des banlieues ou à la sortie des villes. Ce sont des regroupements d’industries « légères » qui usinent des composantes informatiques, qui se consacrent à la fabrication des pièces nécessaires aux technologies de l’information d’apparition récente et en progression constante : « Un autre produit de l’étalement urbain est le “technoburb” que l’on trouve le long des autoroutes […] ; de mystérieux bâtiments entourés de jardins aménagés sont appelés “complexes de recherche” et il y a peu d’indications de ce qui se passe à l’intérieur de ces édifices. Remplaçant les industries lourdes aisément identifiables, ces complexes brouillent les limites entre villes et campagnes, résidences et places d’affaires [62] ».

39Malgré la volonté purement descriptive de l’observateur neutre que Baltz défend à ses débuts (le document « sans art », « sans auteur »), sa photographie, et celle de ses collègues également, devient bientôt critique. Devant ces mêmes « paysages » en mutation, en dissolution, les photographes prennent finalement position, contrairement à Robert Smithson pour qui l’entropie et le désordre, même causés par l’humain, sont dans l’ordre des choses [63].

40Baltz lui aussi réfère à l’entropie mais ce sera pour dénoncer les manœuvres d’une économie en changement. À l’instar de Robert Smithson, Lewis Baltz s’intéresse à la périphérie, que l’on peut, d’après ses travaux des années 1970 et 1980, classer en deux types : le périurbain des technoburbs et les déserts de l’Ouest en voie de (sub) urbanisation. Peu de temps après avoir terminé sa série sur Irvine, Baltz entreprend de nouveaux projets, dépeignant l’apparition d’habitations dans les déserts de l’ouest des États-Unis. Du milieu jusqu’à la fin des années 1970, il travaille surtout en Californie, au Nevada, en Utah, toutes régions qui sont montrées comme des zones en transformation. Sur des sites arides, autrefois exploités uniquement pour leur richesse minérale, se déploient de nouvelles constructions, banlieues de nulle part. La série Nevada (1977), qui comprend quinze images, décrit une pareille irruption.

41Park City, que Baltz crée de 1978 à 1981, examine une mutation similaire, en cent deux photographies. L’échelonnement du travail sur quatre ans permet à son auteur d’enregistrer toutes les étapes de la transformation d’un ancien village minier en un village à vocation récréative où le ski sera la principale activité. Année après année, les ruines, les saletés, les monceaux de détritus laissés par la mine font place à des constructions neuves, à un village de résidences secondaires, autre phénomène tributaire de la mobilité américaine, mobilité sociale tout aussi bien que physique.

42Construite dans les montagnes, à une heure de route de Salt Lake City en Utah, Park City est à la fois une banlieue éloignée de Salt Lake City et un lieu où les résidents de la côte ouest peuvent trouver de la neige pour skier, occasion rare dans la région. La petite ville est un autre de ces endroits où, à la vie rude des mineurs, succède, grâce à l’électrification, une vie de banlieue climatisée. Un type d’opération financière en remplace un autre : « Passant du cycle de l’extraction sauvage au cycle récréatif, la nouvelle Park City a troqué les insécurités de la spéculation sur les métaux précieux pour une assurance économique basée sur la neige, qui n’est pas plus prévisible que la température, et à peu près aussi fiable [64] ».

43Au sujet de l’ensemble de son travail des années 1970 et 1980, Baltz se déclare intéressé par une certaine « architecture de l’entropie [65] » plutôt que par le paysage mais, selon Michèle Chomette, il faut « considérer ce travail comme une enquête sur la notion même de paysage contemporain à travers l’étude des artefacts et de ses mutations alternées du vide au plein suivant les ressacs d’une civilisation édificatrice [66] ». Poursuivant sur la simultanéité temporelle entre le land art et les premières œuvres de Baltz, Chomette remarque que le travail de celui-ci est « un manifeste esthétique exemplaire, où la création photographique avec une terminologie minimale, un refus total du spectaculaire, du séduisant, de l’anecdote et de toute mise en scène démontre […] l’importance du concept et du langage visuel du photographe face au réel le plus banal, le plus dépourvu de caractère et de beauté [67] ».

44Cette absence de spectaculaire, cette mise en vue du banal, est précisément ce qui oppose, en termes de réception, la photographie « artistique » et le land art, et ce qui rend ce dernier apte à devenir un nouvel « art du paysage », même si paradoxalement ce n’est, comme on l’a démontré, qu’à travers ses documents. Car, à une époque où le tourisme est l’activité de loisir la plus prisée en même temps que l’industrie en voie de devenir la plus importante mondialement, il faut du spectaculaire. Il faut aussi des lieux où l’on pourrait vouloir se rendre, même si l’on reste assis dans son fauteuil, ne voyageant qu’en imagination.

Notes

  • [1]
    Robert Smithson, « Entropy and the New Monuments » (1966), dans : Jack Flam (dir.), Robert Smithson : The Collected Writings, Berkeley, University of California Press, 1996, p. 11. C’est nous qui traduisons, comme pour toutes les citations tirées d’ouvrages en anglais qui suivront. À notre connaissance, les seules traductions en français existantes de textes de Smithson ont été publiées dans : Robert Smithson. Une rétrospective. Le paysage entropique 1960-1973, Marseille, Musées de Marseille/Réunion des musées nationaux, 1994.
  • [2]
    Paul Cummings, « Interview with Robert Smithson for the Archives of American Art/Smithsonian Institution » (1972) dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 293.
  • [3]
    Robert Smithson, « A Tour of the Monuments of Passaic, New Jersey » (1967), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 74.
  • [4]
    « … les édifices ne tombent pas en ruine après qu’ils ont été construits mais ils s’élèvent en ruine avant d’être construits » (Robert Smithson, « A Tour of the Monuments of Passaic, New Jersey », op. cit., p. 72 ; c’est l’auteur qui souligne).
  • [5]
    Cet extrait et ceux qui précèdent sont tirés de Robert Smithson, « A Tour of the Monuments of Passaic, New Jersey », op. cit., p. 70-74.
  • [6]
    Dean MacCannell, The Tourist. A New Theory of the Leisure Class, Berkeley, University of California Press, 1999 (1976), p. 122.
  • [7]
    « … une perspective en trois dimensions qui se serait détachée du tout » (Robert Smithson, « A Sedimentation of the Mind : Earth Projects » (1968), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 111).
  • [8]
    « Four Conversations Between Dennis Wheeler and Robert Smithson » (1969-1970), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 198.
  • [9]
    « Discussion with Heizer, Oppenheim, Smithson » (1970), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 244.
  • [10]
    Robert Smithson, « The Spiral Jetty » (1972), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 153.
  • [11]
    Dean MacCannell, The Tourist, op. cit., p. 41 sq.
  • [12]
    « Earth. Symposium at White Museum, Cornell University » (1969), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 181.
  • [13]
    Anne Cauquelin, L’Invention du paysage, Paris, PUF, 2000 (1989), p. 83.
  • [14]
    Lawrence Alloway, « Robert Smithson’s Development », dans : Alan Sonfist (dir.), Art in the Land. A Critical Anthology of Environmental Art, New York, E. P. Dutton, 1983, p. 140.
  • [15]
    John B. Jackson, « The World Itself », Landscape in Sight. Looking at America, New Haven, Yale University Press, 1997, p. 305. Voir également André Corboz, « Le paysage comme palimpseste », Le Paysage comme palimpseste et autres essais, Paris, Les éditions de l’imprimeur, 2001, p. 201-229.
  • [16]
    « Four conversations Between Dennis Wheeler and Robert Smithson » (1969-1970), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 221.
  • [17]
    Robert Smithson, « The Spiral Jetty » (1972), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 153.
  • [18]
    « … et dont l’unité est maintenue dans et par l’expérience ordinaire » (Anne Cauquelin, L’Invention du paysage, op. cit., p. 32).
  • [19]
    « Le camionneur qui syntonise WABP, le cow-boy qui fanfaronne, le land artist qui exécute à peu de distance de ces deux-là son œuvre monumentale, tous portent dans leur tête une image topographique qui, en n’importe quel point de sa surface, est beaucoup plus intéressante que le terrain qu’ils peuvent effectivement voir » (Dave Hickey, « Earthscapes, Landworks, and Oz », Art in America, septembre-octobre 1971, p. 47).
  • [20]
    Robert Smithson, « A Museum of Language in the Vicinity of Art » (1968), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 91.
  • [21]
    Nancy Holt, « Sun Tunnels », Artforum, avril 1977, p. 37.
  • [22]
    J. Bugnicourt, cité par Robert Lanquar, Sociologie du tourisme et des voyages, Paris, PUF, 1990, p. 87 (c’est nous qui soulignons).
  • [23]
    Gilles A. Tiberghien, Land Art Travelling, Valence, École des Beaux-arts, 1996, p. 41.
  • [24]
    Ted Castle, « Nancy Holt, Siteseer », Art in America, mars 1982, p. 88.
  • [25]
    Lucy R. Lippard, Six Years. The Dematerialization of the Art Object, New York, Praeger, 1973, p. 74.
  • [26]
    Cité par Malcolm Andrews, Landscape and Western Art, New York, Oxford University Press, 1999, p. 215.
  • [27]
    Suzaan Boettger, Earthworks. Art and the Landscape of the Sixties, Berkeley, University of California Press, 2002, p. 172, tiré d’un entretien de l’auteure avec l’artiste en 1996.
  • [28]
    Paul Cummings, « Interview with Robert Smithson for the Archives of American Art/Smithsonian Institution » (1972), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 284 et 286.
  • [29]
    Au xixe siècle, le territoire des États-Unis, représenté sous forme de paysages grandioses, est considéré comme un signe de la destinée, elle aussi grandiose, de la nation américaine qui aura pour tâche de le maîtriser. Sur le rôle des images et du chemin de fer au regard de cette notion de Manifest Destiny, on peut consulter : Stephen Daniels, Fields of Vision. Landscape Imagery and National Identity in England and in the United States, Cambridge, Polity Press, 1999, p. 180-196.
  • [30]
    Lawrence Alloway, « Site Inspection », Artforum, octobre 1976, p. 52.
  • [31]
    Suzaan Boettger, Earthworks, op. cit., p. 126.
  • [32]
    Lucy R. Lippard, Six Years, op. cit., p. 263.
  • [33]
    Voir : Robert Smithson, « Towards the Development of an Air Terminal Site » (1967), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 56.
  • [34]
    Paul Toner, « Interview with Robert Smithson » (1970), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 234 et 235.
  • [35]
    Ces déclarations des deux artistes se trouvent dans « Discussions with Heizer, Oppenheim, Smithson » (1970), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 251.
  • [36]
    Marshall McLuhan, The Gutenberg Galaxy. The Making of the Typographic Man, Toronto, University of Toronto Press, 2002 (1962), p. 276.
  • [37]
    Lucy R. Lippard et John Chandler, « The Dematerialization of Art », Art International, XII/2, février 1968, p. 32.
  • [38]
    Ibid.
  • [39]
    Marshall McLuhan, The Gutenberg Galaxy, op. cit., p. 129 et 220.
  • [40]
    Robert Smithson, « A Sedimentation of the Mind: Earth Projects » (1968), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 100-101.
  • [41]
    Florian Sauvageau, préface à : Marshall McLuhan, Pour comprendre les médias. Les prolongements technologiques de l’homme, Montréal, Bibliothèque québécoise, 1992 (1968), p. 12-13.
  • [42]
    Lucy R. Lippard, Six Years, op. cit., p. 263.
  • [43]
    Bruce Kurtz, « Conversation with Robert Smithson » (1972), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 267.
  • [44]
    Lawrence Alloway, « Robert Smithson’s Development », dans : Alan Sonfist (dir.), op. cit., p. 133.
  • [45]
    Craig Owens, « Earthwords », Beyond Recognition: Representation, Power and Culture, Berkeley, University of California Press, 1992, p. 47.
  • [46]
    « Il n’y a aucun moyen de le cadrer, vous ne pouvez que l’expérimenter » (Sam Wagstaff Jr., « Talking With Tony Smith », Artforum, décembre 1966, p. 19). L’épisode est célèbre, qui donne lieu à une longue controverse, Smith (et par la suite ses collègues) privilégiant la « théâtralité », contre Michael Fried qui la rejette. (Michael Fried, « Art and Objecthood », Artforum, juin 1967).
  • [47]
    Marshall McLuhan, The Gutenberg Galaxy, op. cit., p. 112.
  • [48]
    Hubert Damisch, L’Origine de la perspective, Paris, Flammarion, 1993, p. 117.
  • [49]
    Selon Snyder, la photographie de paysage, dès le xixe siècle, est comprise comme une vue enregistrée en ce sens que, si n’importe qui se rendait sur les lieux montrés par la photographie, la vue serait là, disponible et telle qu’en elle-même (Joel Snyder, « Territorial Photography », dans : W. J. T. Mitchell, Landscape and Power, Chicago, University of Chicago Press, 1994, p. 183).
  • [50]
    Jean-Marie Schaeffer, L’Image précaire. Du dispositif photographique, Paris, Seuil, 1987, p. 28.
  • [51]
    Rosalind Krauss, « Notes sur l’index », L’originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes, Paris, Macula, 1993, p. 76.
  • [52]
    Robert Smithson, « A Museum of Language in the Vicinity of Art » (1968), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 91.
  • [53]
    « Les banlieues sont délimitées par des règlements de zonage parce que l’une de leurs principales caractéristiques est de n’avoir pas de limites précises. Les banlieues ne sont ni ici ni là. Elles n’ont pas de centre » (Lucy R. Lippard, « The Grass on the Other Side of the Fence », The Lure of the Local. Senses of Place in a Multicentered Society, New York, The New Press, 1997, p. 232).
  • [54]
    « Discussions with Heizer, Oppenheim, Smithson » (1970), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 251.
  • [55]
    Anne-Françoise Penders, En chemin le land art, Bruxelles, La lettre volée, 1999, tome I, p. 169. Penders ajoute que Smithson connaissait « plus que certainement déjà » le travail des Becher.
  • [56]
    Nancy Foote, « The Anti-Photographers », Artforum, septembre 1976, p. 46. Dans cet article, N. Foote rapproche les « Monuments of Passaic » du travail des Becher et ceux-ci d’Edward Ruscha (p. 50-51).
  • [57]
    William Jenkins (dir.), New Topographics. Photographs of a Man-Altered Landscape, Rochester, International Museum of Photography, 1975, p. 5 et 6.
  • [58]
    Webster’s New Twentieth Century Dictionary, cité par William Jenkins, op. cit., p. 6.
  • [59]
    Ibid., p. 7.
  • [60]
    Lewis Baltz cité par William Jenkins, op. cit., p. 7.
  • [61]
    Textes réunis dans : John B. Jackson, Landscape in Sight, op. cit. L’extrait cité se trouve p. 353.
  • [62]
    Lucy R. Lippard, « The Grass on the Other Side of the Fence », The Lure of the Local, op. cit., p. 233.
  • [63]
    Parlant de désastres causés par l’humain, tels Salton Sea en Californie (une erreur d’ingénieurs qui, voulant empêcher une région d’être inondée par les crues de la rivière Colorado, en inondèrent une autre, formant ainsi le plus grand lac de Californie), Smithson affirme : « … nous avons là un exemple de cette sorte d’effet domino par lequel une erreur provoque une autre erreur, et pourtant ces fautes sont pour moi curieusement excitantes, je ne les trouve pas déprimantes » (entretien avec Alison Sky « Entropy Made Visible » (1973), dans : Jack Flam (dir.), op. cit., p. 305).
  • [64]
    Gus Blaisdell, « Park City »; dans : Lewis Baltz et Gus Blaisdell, Park City, Albuquerque, Artspace Press, 1980, p. 230.
  • [65]
    Lewis Baltz, « Architecture of Entropy », texte-communiqué de la galerie Michèle Chomette, Paris, 1988.
  • [66]
    Michèle Chomette, communiqué « La photographie en chantier : Lewis Baltz 1986-1988 », Paris, galerie Michèle Chomette, 1988.
  • [67]
    Ibid.
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