1À l’école maternelle comme dans les établissements d’accueil des jeunes enfants les textes de référence préconisent la mise en place d’un dialogue rapproché avec toutes les familles et encouragent la participation de celles-ci. Or, la participation des parents suppose des approches adaptées aux contextes et aux situations singulières du quotidien scolaire. Par ailleurs, la participation des parents aux instances et aux actions des établissements d’accueil de jeunes enfants prend des formes diverses nécessairement différentes d’une situation à l’autre dans la mesure où les représentations des fonctions éducatives et des rôles restent variés pour les acteurs, les parents comme les professionnels.
2La participation est souvent une étape vers la coopération, notion qui peut être définie, selon les travaux de Sennett (2014) comme « un échange dans lequel tous les participants bénéficient de la rencontre ». La coopération repose sur une activité pratique qui intègre des savoir-faire sociaux allant « de la bonne écoute, de la délicatesse de conduite, de l’habileté à trouver des points d’accord et gérer des désaccords, ou encore à savoir éviter la frustration dans une situation difficile » (Sennett, 2014, p. 18). Ces compétences sociales sont adossées à des gestes concrets qui participent de la fabrication d’un monde commun. Ces gestes s’avèrent pertinents pour penser la participation, notion centrale des métiers de la relation, que les textes institutionnels mentionnent de manière explicite notamment dans les programmes de l’école maternelle (MENESR, 2015).
3Cet article examine la question de la participation des parents, des formes de coopération au sein de la communauté éducative, plus particulièrement à l’école, mais aussi entre les parents eux-mêmes. Il s’agit d’examiner les modalités d’articulation entre les formes de participation et de coopération, et leurs approches dans une logique de co-éducation. L’approche sociohistorique proposée en première partie de ce texte expose la progressive institutionnalisation de l’attente de participation des parents dans la scolarité de leurs enfants. En seconde partie est présentée une étude, de type ethnographique, qui rend compte d’actions au sein de l’école qui témoignent de la participation des parents. À partir d’une analyse catégorielle (Bardin, 1999) de ces données empiriques, l’article vise à faire apparaître les formes de coopération qui se développent dans certains établissements et à leur marge, sous l’impulsion des politiques scolaires et des mouvements participatifs. Le texte conduit ainsi à repérer les potentiels existants dans les initiatives des acteurs. Il souligne les voies en faveur d’un mouvement inclusif des familles confrontées à la vulnérabilité qui repose sur des « processus d’insertion sociale et d’intégration économique, à la recherche de participation sociale, culturelle et civique des personnes et groupes sociaux » (Bouquet, 2015, p. 16).
Des politiques de soutien à la valorisation de la coopération
Des conseils de parents à l’école maternelle et dans les établissements d’accueil des jeunes enfants
4Dès les années 1980, différents textes officiels ont institutionnalisé l’ouverture de l’école aux parents (Francis, 2009a, b) et encouragé le développement de contacts « étroits, fréquents, confiants » (MEN, 1986). La loi d’orientation sur l’éducation de 1989 a positionné les parents au rang de « partenaires » et depuis, le législateur n’a eu de cesse d’insister sur l’importance de la qualité de l’accueil, des droits d’information et d’expression des parents, de leur place et leur rôle dans l’école et dans les parcours scolaires de leurs enfants. Les circulaires distinguent deux niveaux, celui collectif de la délégation et celui, individuel, visant l’accompagnement du parcours scolaire de chaque élève et des relations avec sa famille, en particulier dans les territoires concernés par les programmes de réussite éducative (Francis, 2010a, b ; Francis et Join-Lambert Milova, 2011).
5Si dans les années 2000, la focale est placée sur les droits d’information et d’expression des parents (MEN, 2006, 2012), elle est désormais également axée sur la coopération avec les parents par l’accès effectif à ces droits, par la recherche de nouvelles modalités d’accueil et par le développement du soutien aux parents (MENESR, 2013).
6Concernant les Établissements d’accueil des jeunes enfants (EAJE), c’est plus récemment qu’est apparue l’institutionnalisation de la participation des parents à la vie des établissements. Le décret n° 2007-230 du 20 février 2007 insiste sur le fait que l’admission de l’enfant dans un établissement entraine la participation à l’élection de parents délégués au conseil de crèche, structure déjà recommandée par la circulaire n° 83/22 du 30 juin 1983. Ces parents délégués deviennent de fait représentants dans des instances formalisées, avec d’autres partenaires, notamment les professionnelles de la petite enfance, celles par exemple de la Caisse d’allocation familiale, de la Protection maternelle et infantile. Ce décret souligne l’importance d’un partage autour d’actions communes et stipule que le projet d’établissement s’élabore entre parents et professionnelles après concertation dans deux commissions, l’une liée au projet social, l’autre au projet éducatif.
7Les modalités de participation, qui visent l’intérêt supérieur de l’enfant – en lien avec la Convention internationale des droits de l’enfant (1989) – sont basées sur la consultation des parents à propos de l’organisation de la vie quotidienne dans l’établissement et des projets mis en œuvre. En prenant une part active au Conseil de l’établissement, l’objectif est que les parents puissent exercer leur responsabilité parentale et développer un pouvoir de décision en partenariat avec d’autres acteurs.
Des politiques publiques pour soutenir les parents en situation de vulnérabilités
8Comme le précise le rapport Early Childhood Education and Care (2009) soumis à la Commission Européenne par le réseau d’experts indépendants Network of Experts on Social Aspects of Education and Training (Neset), le fait d’investir dans la qualité des services d’éducation et d’accueil de jeunes enfants est crucial, en particulier pour valoriser la participation des parents. Dans les situations de pauvreté et de vulnérabilité des enfants, la mise en œuvre de projets où les parents sont partie prenante permet de leur fournir un soutien à la parentalité, ciblant en particulier les apprentissages scolaires de leurs enfants (Early Childhood Education and Care, 2009, p. 12).
9Ces mêmes tendances sont relevées dans un rapport de l’OCDE qui souligne que « la participation des parents est de plus en plus considérée comme un moyen d’action important pour améliorer le développement et l’apprentissage des enfants » (OCDE, 2012, p. 243). Le droit fondamental des parents de participer aux structures qui accueillent leurs enfants impacte l’approche des professionnels, la collaboration s’avérant essentielle pour mieux connaître les enfants dont ils ont la charge. Les recherches internationales citées dans ce même rapport, montrent que la participation des parents se présente comme un des facteurs concomitant à la réussite scolaire des enfants, leur choix par rapport à l’enseignement secondaire, leur développement socio-affectif et leur adaptation sociale. Des recommandations appuyées concernent l’attention à l’accueil des familles vulnérables, d’une part car elles auraient tendance à ne pas fréquenter les EAJE, d’autre part pour favoriser une plus grande mixité sociale et culturelle. Ces recommandations sont de nouveau formulées dans le rapport intitulé L’éducation et l’accueil des jeunes enfants en Europe : réduire les inégalités sociales et culturelles (Eurydice, 2009).
10Au niveau européen, accompagner les familles dans leur rôle éducatif est dorénavant un objectif central. Les familles ayant des enfants à charge sont celles qui sont le plus affectées par des situations de pauvreté économique et de précarité de vie. On relève qu’au sein de l’UE, en 2016, 8,7 % de ces familles souffrent de privations sévères qui ne leur permettent pas de vivre dans des conditions décentes (Eurostat document). Les conséquences directes sont l’accumulation fréquente de différentes formes de vulnérabilité qui se manifestent souvent par des situations précaires et d’isolement social, de difficulté de logement et d’accès aux soins, de difficultés éducatives ou encore de rupture conjugale et de recompositions successives de la famille. Ces difficultés ont des conséquences directes en ce qui concerne le développement psycho-social de l’enfant et son bien-être. Dans ce contexte, la parentalité a été considérée comme une catégorie d’action des politiques publiques pour l’UE et les travaux du Conseil de l’Europe. En 2006, la référence à la notion de « parentalité positive » a donné lieu à diverses orientations, affirmées par la recommandation de la Commission Européenne du 20 février 2013 Investir dans l’enfance pour briser le cercle vicieux de l’inégalité (2013/112/UE) inscrite dans le cadre de la Stratégie Europe 2020. Elle met en évidence l’importance d’investir dans la petite enfance afin d’élaborer des stratégies de lutte contre les inégalités à travers des actions de soutien des familles au niveau de l’éducation, de la santé, du logement et de l’accès à l’emploi. Elle se déploie en France à travers l’élaboration du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale.
11Le Conseil de l’Europe a formulé plusieurs recommandations afin que les États membres considèrent le « caractère essentiel de la fonction parentale » et créent les conditions nécessaires à une parentalité positive tenant compte des droits et de l’intérêt supérieur de l’enfant. Des mesures ont été développées sur les plans législatifs, administratifs et financiers afin de soutenir les actions visant « le développement harmonieux et la bientraitance de l’enfant dans le respect de ses droits fondamentaux et de sa dignité » (Doucet-Dahlgren et Catarsi, 2012, p. 14). À partir du programme initié en 2006 Construire une Europe pour et avec les enfants, le Conseil de l’Europe met en effet en œuvre des stratégies pour le renforcement des droits des enfants au niveau européen. En témoigne le texte d’orientation adopté en 2015 et nommé Stratégie de Conseil de l’Europe pour les droits de l’enfant -2016-2021- les droits fondamentaux de l’enfant - pour la période 2016-2021.
12Les recommandations de 2015 qui en sont issues et qui ont été adressées aux gouvernements des États membres soulignent la nécessité de « reconnaitre le caractère essentiel des familles et de la fonction parentale et de créer les conditions nécessaires à une parentalité positive qui tiennent compte des droits et intérêts supérieurs de l’enfant ». Plusieurs rapports en découlent qui mentionnent la question du soutien, de l’aide ou de l’accompagnement des parents, par exemple : Aider les parents à être parents, élaboré par le Centre d’analyse stratégique, (septembre 2012) ; Élaborer une stratégie coordonnée pour venir en aide aux parents, synthèse élaborée par la Commission européenne (octobre 2012) ; ou encore la synthèse élaborée par Rand Europe en décembre 2012 intitulée Parenting Support Policy Brief. La prise en compte de la parentalité est abordée depuis la question des situations d’exclusions sociales ou de risque d’exclusion ce qui suppose de tenir compte de la complexité des situations. Dans ces contextes difficiles, les professionnels du travail social, du soin et de l’éducation ont un rôle spécifique à jouer pour épauler les parents dans une approche bienveillante et dépourvue de tout jugement. L’élaboration de méthodes de participation est encouragée dès le plus jeune âge des enfants (Doucet-Dahlgren, 2018, 2019) afin de limiter les facteurs de risque, pour accompagner les vulnérabilités et pour faire émerger des modes de coopération à différents niveaux.
Une politique de réseautage pour valoriser les liens et la coopération
13En France, que ce soit dans le cadre des Réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (REAAP) ou dans le cadre des Programmes de réussite éducative (PRE), les actions s’attachent à favoriser les liens sociaux au sein des territoires pour soutenir les parents, pour faciliter leur participation dans les différents temps éducatifs de l’enfant en développant des relations de qualité avec les professionnels.
14Créés suite à la circulaire DIf/DGAS/DIV, N° 1999-153 (9 mars 1999) afin de soutenir les familles dès le plus jeune âge des enfants, les REAAP sont présents dans chaque département et sont l’une des priorités de la délégation interministérielle à la famille. Afin de favoriser le maillage social autour des familles de jeunes enfants, des actions variées sont menées grâce à la mise en place de Lieux d’accueil enfants-parents (LAEP), d’ateliers parents-enfants ou encore de Cafés des parents. Comme le préconise l’Union Européenne, l’orientation théorique retenue en France place les parents comme premiers éducateurs des enfants. Ils sont donc les acteurs privilégiés des REAAP, les professionnels des institutions et des associations intervenant en appui afin de soutenir la construction de projets. Dans cette logique de co-éducation « la démarche participative transcende la logique du soutien professionnalisé » (Jésu, 2004). Les actions des REAAP s’adressent à toutes les familles sans condition avec une visée de maillage des environnements éducatifs, englobant les établissements d’accueil de jeunes enfants et l’école, afin de « construire entre parents et professionnels, de véritables logiques d’alliance, des connivences d’objectifs et de moyens, susceptibles de se déployer peu à peu au fil de leurs rencontres » (Jésu, 2004, p. 141-142). Les orientations éthiques et politiques qui fondent le modèle de coéducation visent un faire ensemble émergeant d’initiatives et reposant sur un partage des rôles, des tâches et des responsabilités selon un mode qui « exige la reconnaissance des compétences de l’autre, vise le rapport d’égalité et repose sur le partage des décisions » (Bouchard et Kalubi, 2006, p. 50-51).
15La coopération est rendue possible par des opérations concrètes associées au processus de projet et reposant sur l’exercice de consensus. Ce modèle, qui correspond aux orientations juridiques de 2007 de la loi réformant la protection de l’enfance, est celui recommandé aux professionnels des établissements d’accueil de jeunes enfants. Sa mise en œuvre implique de la part des professionnels de déconstruire leur positionnement d’expert vis-à-vis des familles et de considérer que leurs propres idéaux éducatifs ne peuvent constituer une référence (Doucet-Dahlgren, 2010). Ce mouvement doit notamment conduire les familles à reconnaitre les professionnels dans une place de participants. Différentes structures parentales d’accueil de jeunes enfants, dont les collectifs enfants-parents, ont expérimenté ces modalités de participation. Des expériences comme celles de groupes de parents au sein des Universités Populaires, ont permis d’enclencher des modes d’apprentissage réciproque valorisant les savoirs et les compétences des parents. Ces situations qui impliquent tous les membres du groupe dans le partage des tâches et des responsabilités citoyennes, comme dans la prise de décision, sont particulièrement importantes pour les familles en situation de vulnérabilités et de risque d’exclusion sociale. Il s’avère donc central « de renforcer les interventions précoces auprès des jeunes enfants et de soutenir leur accompagnement par des interventions médiatrices au sein de leur environnement proche (crèches et lieux de scolarisation précoce) en mettant les moyens humains et financiers suffisants pour qu’elles soient pleinement profitables aux plus démunis […] » (Zaouche- Gaudron, 2017, p. 125).
S’affranchir des formes conventionnelles
16La participation des parents ne saurait se limiter à des formes ponctuelles et à des sollicitations délimitées par les professionnelles comme c’est le cas pour les invitations aux réunions et entretiens ou encore les demandes d’aide pour la réalisation d’activités scolaires. Néanmoins, si ce type de situations présente de nombreuses limites, elles sont aussi porteuses de potentiel en termes de contacts interpersonnels et de point d’appui à la réflexivité et à la créativité. Elles s’intègrent aux formes de participation des parents qui se déploient selon différentes modalités : la délégation lorsque la participation du parent semble absente ou limitée, le mandat lorsque le parent s’en remet aux professionnels, la simple contribution, la collaboration ou même la coopération (Montandon, 1994). Chacune d’entre elles peut revêtir du sens et doit être considérée comme recevable par les acteurs de la communauté éducative.
17Si les textes institutionnels tendent vers la valorisation de la coopération pour construire la coéducation, il est en effet indispensable de considérer que chacune des formes ci-dessus peut s’intégrer dans une dynamique où les interactions détermineront de possibles évolutions et une adaptation optimum aux situations. La référence au modèle écosystémique (Bronfenbrenner, 1986) est centrale car c’est bien l’ensemble qui doit être pris en compte, dans sa dynamique. C’est l’intégration de différentes approches qui permettront une variété d’interactions ainsi que leur combinaison. Leur déploiement dépend de l’ouverture des acteurs, parents, professionnelles, membres du secteur associatif, et de la place donnée aux enfants, eux-aussi acteurs de ces situations d’échanges entre les adultes. Du plus minime au plus sophistiqué, ces échanges revêtent tous une valeur importante susceptibles de faciliter des formes de coopération à des niveaux variés, collectif ou individuel, dans des dimensions ordinaires ou exceptionnelles.
18Les difficultés vécues par les parents désignés comme « invisibles » ou « éloignés de l’école », souvent « maintenus dans l’éloignement », du fait des attentes normatives de l’école (Périer, 2019) suppose de s’affranchir des formes convenues souvent inscrites dans le fonctionnement bureaucratique de l’école. Les initiatives et innovations qui ont conduit à proposer la création d’espaces dédiés aux parents au sein de quelques établissements situés en éducation prioritaire (MENESR, 2013) ont ouvert de nouvelles perspectives. Des approches faisant appel au partage et à l’échange ont été encouragées, en même temps qu’a été soulignée l’importance de la convivialité, notion autrefois exclue de la sphère scolaire. Ces approches, qui peuvent recouvrir une certaine part d’inconnu, sont aussi parfois vécues comme une prise de risque par les professionnelles aussi bien que par les parents qui perçoivent souvent le cadre institutionnel comme étant particulièrement strict. Elles répondent pourtant à une demande forte de partager des temps informels, dans des lieux où peuvent émerger échanges, expression de propositions, de besoins, de ressources. Ces temps et ces espaces apparaissent comme des composantes incontournables d’une approche démocratique de l’éducation des jeunes enfants (Rayna et Bouve, 2013).
La participation et la coopération au cœur de situations pour l’inclusion des parents en situation de vulnérabilités
Les Petits-déjeuners des parents
19Au cours d’une étude de terrain portant sur des actions mises en place pour soutenir les parents en situation de vulnérabilités multiples, différents types de données – observations participantes, entretiens de type semi-directif conduits auprès de parents d’élèves dont des parents d’élèves élus délégués – ont été collectés. Réalisé dans une école maternelle au public marqué par une forte mixité socioéconomique, ce travail de type ethnographique a permis d’étudier l’émergence et les effets d’une action nommée Les Petits-déjeuners des parents.
20Dans cette école maternelle située en réseau d’éducation prioritaire et intégrée au Programme de réussite éducative (PRE) de la ville de Paris, une action proposée par l’école et destinée à deux groupes de parents migrants provoque un mouvement de contestation. Lors d’un conseil d’école, l’équipe enseignante regrette le faible nombre de parents participants à ces groupes de parole organisés en présence d’interprètes. Les parents délégués notent que le processus d’élaboration de ces actions repose sur la seule expertise des enseignants. Ils décident d’une action en contrepoint de celle-ci et proposent alors des rencontres ouvertes à tous, intitulées Les Petits-déjeuners des parents. Comme le mentionne une mère déléguée, « cette idée d’organiser des petits-déjeuners n’était pas nouvelle. On n’était jamais passés à l’action mais quand on a découvert cette action proposée par l’école, on a proposé les petits-déjeuners pour s’adresser à tous les parents ».
21L’objectif des parents délégués est d’établir des contacts entre l’ensemble des parents de l’école, de créer des liens avec les enseignants, d’échanger des idées, de susciter de nouveaux projets en direction des enfants. Dès la première rencontre, une vingtaine de parents d’élèves se retrouve, dont une majorité qui ne fréquente pas les réunions en règle habituelle. Le partage de boissons et de nourriture marque ce moment d’une forte dimension conviviale, rappelant le « poids symbolique de la commensalité comme construction du lien social » (Boutaud, 2004, p. 1723), la table étant le lieu du partage placé sous le signe de l’hospitalité et de la disponibilité des participants.
Une diversité d’activités visant la participation et la coopération
22Les modalités d’organisation et de fonctionnement de ces Petits-déjeuners des parents conduisent à deux niveaux de déploiement de la dimension participative donnant lieu à une diversité d’activités pratiques, générant échanges et rencontres entre les parents d’élèves (cf. tableau 1, colonne 2).
Tableau 1 : L’action et ses déploiements
Action | Niveaux de déploiement |
---|---|
Les Petits-déjeuners des parents | Premier niveau de déploiement Encadrement de sorties pédagogiques Organisation de mini concerts Organisation du carnaval Organisation d’une kermesse de fin d’année |
Second niveau de déploiement Soutien aux familles Collecte de matériel pour les enfants des familles réfugiées |
Tableau 1 : L’action et ses déploiements
23À un premier niveau, figure la préparation même de ces Petits-déjeuners des parents. Les rencontres sont l’occasion d’échanger sur la participation à la vie scolaire des enfants dans des situations qui étaient surtout investies par les parents les plus familiers de l’école et de la culture scolaire. C’est par exemple le cas pour l’encadrement des sorties pédagogiques ou pour la préparation d’une kermesse de fin d’année. Des activités pratiques sont prises en charge par des parents, qui contribuent dans un premier temps à la réalisation des projets culturels et festifs proposés par l’équipe enseignante. Ces activités mêlent différents modes de participation et de coopération, qui combinent des dimensions spatiales (dans ou hors de l’école) et temporelles (séances régulières ou occasionnelles). Les enseignants transmettent aux parents délégués les projets pour lesquels ils sollicitent de l’aide. Ils indiquent des modalités de participation qui sont, dans un premier temps, fixées par eux. Cependant, dans ce processus qui se met en place et enclenche des dimensions participatives, on observe que les parents influencent activement le fonctionnement en apportant des idées, des savoir-faire, des ressources (organisation de mini-concerts par exemple). Cette démarche collective participative qui se centre de prime abord sur l’organisation des activités favorise, au fil des échanges, les mises en contact des cadres de références des enseignants et des parents.
24Le second niveau de déploiement regroupe un ensemble d’actions visant directement l’amélioration des contextes et des situations précaires des familles les plus démunies. Différentes formes de soutien sont proposées aux parents faisant face à des difficultés passagères ou durables qui engendrent des situations de grande vulnérabilité. Un système d’entraide entre parents voit le jour pour les démarches administratives et médicales, ainsi qu’une collecte de matériel pour les familles réfugiées. La mobilisation des parents délégués conduit, à aider les pères et mères démunis dans les montages de dossiers administratifs, ou encore à organiser des moments de rencontres entre les enfants. Ces actions permettent d’observer l’émergence d’une prise de pouvoir progressive sur les situations complexes et de positionnements d’acteur citoyen (Boutin et Durning, 1994). Elles sont menées par les parents hors de l’école, dans des espaces privés et publics, dans une temporalité souple, qui combinent prises de décision immédiates et rendez-vous programmés. Les modes de coopération se combinent et se déploient à un double niveau qui positionne les acteurs en tant que parents d’élèves et citoyens. Les initiatives des parents, soutenues par l’école, se développent autour d’une communauté de valeurs associées à la solidarité, terme qui désigne en première analyse « une relation d’interaction dans laquelle les sujets s’intéressent à l’itinéraire personnel de leurs pairs, parce qu’ils ont établi entre eux des liens d’estime symétriques » (Honneth, 2002, p. 156). Dans ce contexte, deux des sphères de reconnaissance décrites par Honneth (2002) sont concernées : celle existentielle liée à la personne en tant que sujet de droits et de valeurs, et celle de la contribution sociale.
L’initiative des parents au cœur de la participation et la coopération
25L’initiative des parents et sa reconnaissance par l’équipe enseignante sont deux éléments qui opèrent comme levier et contribuent à la participation et la coopération, prenant la forme d’actions – aussi modestes soient-elles – qui se déploient dans la construction d’un projet commun. Les parents, délégués ou non, manifestent le sentiment d’être reconnus par l’école comme experts de leur quotidien et comme acteurs porteurs d’initiatives. Dans cette situation, l’école a soutenu les initiatives des parents d’élèves leur offrant la possibilité de prendre part, selon leurs possibilités, à la construction de décisions qui influencent la vie scolaire des enfants et leur vie sociale. Les échanges qui se développent au sein d’un ensemble de situations s’appuient sur des activités pratiques. Celles-ci sont, toujours selon Sennett (2014), une composante de la coopération qui tend à renforcer la cohésion du groupe.
26Réalisée dans un contexte de mixité sociale, cette étude offre des points d’appui pour situer les leviers qui fédèrent une communauté de parents de différents milieux socioéconomiques et culturels. Elle permet de repérer des formes d’insertion des familles les plus démunies dans un réseau social. Ce réseau est un facteur de protection pour la famille et pour l’enfant (Durning, 2006). Ainsi, les modalités diversifiées de participation des parents à la vie de l’établissement fréquenté par leurs enfants, font émerger diverses stratégies qui représentent des facteurs de socialisation pour l’ensemble des membres de la communauté. Il s’agit d’un élément important si l’on admet que les enfants dont les parents participent, même peu fréquemment aux différentes instances en lien avec l’école et la scolarité durant l’année, se situent plus nettement dans une progression tout au long de leur scolarité par rapport à ceux dont les parents restent hors du jeu de la participation (Montandon, 1994 ; UE, 2013).
27Les modalités de développement de la coopération peuvent être analysées à partir du modèle de Lesain-Delabarre (1999) fondé sur différents principes et modes d’opérationnalisation (tableau 2 ci-dessous) : un principe d’action reposant sur le respect de l’initiative des parents ; un principe de facilitation, opérationnalisé grâce à l’accès à des équipements tels que l’espace et le matériel ; un principe d’intérêt qui se déploie dans l’ouverture et le soutien à l’initiative ; un principe d’autonomie des parents reposant sur l’observation de leurs besoins.
Tableau 2 : Principes en faveur de la coopération des parents et modes d’opérationnalisation
Principes | Modes d’opérationnalisation |
---|---|
Principe d’action | Reconnaissance de l’initiative des parents |
Principe de facilitation | Accès aux équipements (local, matériel) |
Principe d’intérêt mutuel des partenaires, professionnels et parents | Ouverture et soutien pour l’initiative, l’action ou le projet |
Principe d’autonomie des parents | Observation des besoins des parents et approche d’une logique d’action ouverte et en constante évolution |
Principe d’égalité des parents | Soutien aux initiatives variées et aux relations symétriques |
Principe d’évaluation entre les partenaires | Accessibilité aux initiatives, aux productions et aux effets de l’initiative, de l’action ou du projet |
Principe d’évaluation des actions | Clarification de l’action, mise à jour de ses objectifs reposant sur une conduite de projet orientée vers une participation diversifiée des acteurs, vers la reconnaissance de la coopération |
Tableau 2 : Principes en faveur de la coopération des parents et modes d’opérationnalisation
Conclusion
28Une initiative comme celle des Petits-déjeuners des parents peut faire écho à d’autres actions développées dans les structures éducatives dont les approches s’appuient sur celles de l’éducation populaire. Dans les écoles, avant que ne survienne la situation de pandémie, elles se développaient et se disséminaient depuis la publication de la circulaire qui encourage la création d’espaces pour renforcer la coopération entre les acteurs (MEN, 2013). Les invitations à des rencontres périodiques autour des Cafés des Parents ou à des goûters préparés par les enfants pour les parents témoignent de l’accent mis sur les actions intégrant la dimension conviviale. Compte tenu des impacts multiples de la crise sanitaire, il paraît donc particulièrement important de retenir que les possibilités d’inscription dans des approches participatives introduisent une rupture profonde avec la distance qui a longtemps marqué les conceptions de l’école, celle qui limitait les relations avec les parents d’élèves. Le soutien aux modalités de participation et de coopération suppose, du point de vue professionnel, de mettre à distance le positionnement d’expert. La convivialité apparaît comme un trait de la bienveillance – cette disposition éthique inscrite dans l’attention et la sensibilité à autrui (Senett, 2014) – et comme un support pour l’inclusion. Elle s’appuie sur des assises pratiques et des approches concrètes : l’ouverture de l’espace scolaire, le partage d’un lieu dédié reconnu dans ses dimensions sociales et culturelles, et la reconnaissance du temps passé autour de la table, celle-ci étant « lieu du lien social et convivial » dont la « fonction rituelle et symbolique se trouve simplifiée, magnifiée » (Boutaud, 2004, pp. 17-18). L’attention pour la table et la nourriture, autrement dit, l’attention pour la commensalité, conduit à développer cette sensibilité à autrui, aux gestes de préparation des mets, aux gestes de partage et d’offrande des boissons et nourritures d’ici et d’ailleurs. Outre les échanges, y compris minimes qui ont lieu, les petits gestes en apparence anodins, ouvrent des voies favorisant l’entraide et la solidarité. Chacun de ces moments d’accueil facilitent les occasions pour développer cette sensibilité aux gestes de prévenance, parfois minuscules, qui permettent de reconnaître chaque famille, d’ouvrir des espaces communs, de soutenir et de renforcer la construction des liens si complexes pour contribuer à l’inclusion dans les situations de vulnérabilités.
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Mots-clés éditeurs : Coopération, Participation, Parents, Petite enfance
Date de mise en ligne : 12/03/2021
https://doi.org/10.3917/nresi.089.0047