Notes
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RERS : Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche - http://cache.media.education.gouv.fr/file/2012/36/9/DEPP-RERS-2012_223369.pdf, consulté le 10 février 2017.
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Extrait de: http://jenovachen.com/flowingames/designfig.htm, consulté le 10 février 2017.
1 Faire passer l’école dans l’ère du numérique est une préoccupation des gouvernements français depuis le début des années soixante-dix. Plusieurs plans successifs ont permis de favoriser l’intégration du numérique dans l’école à travers l’équipement d’ordinateurs dans les années quatre-vingt, l’accès à Internet dans les années quatre-vingt-dix, et le déploiement de TNI (Tableaux numériques interactifs) et de tablettes numériques aujourd’hui. Selon le document RERS [1], près de 300 000 équipements à usage pédagogique étaient référencés en 2012 dans les écoles et les établissements publics. Tous ces efforts donnent l’opportunité non seulement pour les enseignants, mais aussi pour les élèves ayant des rythmes d’apprentissage variables et des besoins spécifiques divers, d’accéder à de nouveaux outils permettant de faire évoluer les pratiques. Mais l’équipement technique seul ne suffit pas et cela doit s’accompagner d’outils logiciels répondant aux besoins des utilisateurs (élèves et enseignants).
2 L’informatique est la science du traitement automatique de l’information par l’exécution de programmes par des machines (ordinateurs, smartphone, robots…). Cette science a développé des outils et méthodologies pour concevoir et réaliser des logiciels répondant aux besoins de leurs utilisateurs. Nous pourrions citer des méthodes de modélisation comme Merise (Tardieu, Rochfeld et Colleti, 1994), des langages de modélisation comme UML (Fowler, 2003) ou des cadres méthodologiques comme Scrum (Schwaber, 1997). L’ensemble de ces méthodes est bien sûr applicable pour concevoir des outils à destination des élèves et des enseignants cependant une spécificité doit être prise en considération, à savoir que la conception d’un outil informatique pour l’apprentissage est fondamentalement pluridisciplinaire. En effet, plusieurs champs de l’informatique doivent être mobilisés (comme des méthodes de génie logiciel évoqué précédemment, la modélisation des connaissances et des interactions, les réseaux, l’intelligence artificielle, etc.), mais aussi et surtout des sciences humaines et sociales (comme la didactique, les sciences de l’éducation, la psychologie, l’ergonomie, les sciences de la communication, etc.). Cette pluridisciplinarité intrinsèque à la conception des Environnements informatiques pour l’apprentissage humain (EIAH) est donc un témoin de la complexité de la conception de ce type d’outils à laquelle une seule discipline ne peut répondre.
3 À travers une synthèse de plusieurs travaux de recherche menés au sein de l’équipe MOCAH du LIP6 nous abordons deux facettes de recherche dans le domaine des EIAH en informatique : (1) le diagnostic cognitif et le suivi de l’apprenant et (2) les outils auteurs, l’adaptation et la personnalisation. Nous verrons en conclusion que ces deux facettes sont finalement intimement liées les unes aux autres et qu’elles constituent un tout indispensable à la conception d’outils informatiques visant à s’adapter aux profils des élèves. Nous proposons dans cet article d’illustrer nos propos à travers le spectre des jeux sérieux pour deux principales raisons : (1) les jeux sérieux sont en plein développement et sont devenus plus accessibles en particulier depuis le déploiement des tablettes numériques dans l’école (il nous semble donc important de présenter cette ressource pédagogique pour bien comprendre son origine et ses caractéristiques) et (2) les jeux sérieux complexifient les deux facettes de recherche en EIAH abordées dans cet article en raison de leur dimension dynamique et interactive et sont donc un bon moyen de présenter des recherches innovantes dans le domaine.
Qu’est-ce qu’un jeu sérieux ?
4 Le terme jeu sérieux, tel que nous l’entendons aujourd’hui, semble avoir été évoqué pour la première fois, en 1970, par Clark Abt dans son livre Serious Games (Abt, 1970). Dans cet ouvrage, le terme Serious Games est utilisé pour des jeux de cartes ou de plateaux conçus dans un but éducatif. Les années quatre-vingt sont le témoin d’une première explosion de l’industrie du jeu vidéo et les professionnels de l’éducation commencent à s’intéresser à ce nouveau média comme vecteur motivationnel auprès des enfants, on parle alors de ludo-éducatif. Les années quatre-vingt-dix constituent donc le terreau ayant permis l’émergence des jeux sérieux. Au début des années 2000 (Sawyer et Rejeski, 2002) proposent une définition des jeux sérieux comme une application informatique ayant pour objectif de connecter une finalité sérieuse à des technologies et connaissances issues de l’industrie du jeu vidéo. La dimension relative aux connaissances issues du jeu vidéo est ici importante, car elle souligne qu’il ne suffit pas de plonger un exercice donné dans un environnement de jeu vidéo pour créer un jeu sérieux. Car si tel est le cas, les joueurs se rendront compte très vite que l’activité qui leur est proposée n’est pas un jeu, mais un simple exercice déguisé. Les connaissances issues du jeu vidéo permettent donc d’éviter cet écueil et nous allons en présenter quelques ressorts.
5 Le premier fait référence à la notion de flow (Csikszentmihalyi, 1991) qui consiste à proposer au joueur un défi en cohérence avec ses compétences (voir figure 1). L’objectif étant de toujours pousser le joueur à progresser dans le jeu. Proposer une expérience de jeu trop éloignée de la zone de flow du joueur provoquera du stress ou de l’ennui avec comme conséquence l’abandon du jeu. Concevoir un jeu accessible à différents profils de joueur consiste donc à proposer une large variété d’expériences de jeu afin de s’adapter aux différentes compétences des joueurs. Nous observons que cette notion de flow s’appuie sur la montée en compétence du joueur ce qui est aussi l’objectif d’un environnement informatique pour l’apprentissage. Ce modèle de flow est donc tout particulièrement pertinent dans le cadre d’un jeu sérieux et plus généralement d’un EIAH.
6 En complément de cette notion fondamentale du flow, d’autres mécanismes viennent enrichir l’expérience de jeu toujours dans un objectif d’inciter le joueur à continuer à jouer : introduire de nouvelles mécaniques de jeu pour proposer aux joueurs de nouvelles expériences ; développer des systèmes de récompense sous la forme de badges, de tableaux de score… ; favoriser les relations sociales entre joueurs sous la forme de sessions multijoueurs (compétition, coopération…) ; proposer une scénarisation riche ; frustrer le joueur en limitant le temps de jeu par exemple ; permettre au joueur de faire des erreurs. Tous ces mécanismes issus du domaine du jeu vidéo sont autant de ressorts qui peuvent être transposés dans des EIAH à des fins d’apprentissage.
7 En 2005, Zyda (Zyda, 2005) questionne le positionnement du « jeu » par rapport au concept de « sérieux » (message véhiculé qu’il soit d’ordre formatif, éducatif, informatif, etc.). Selon lui, « la pédagogie doit être subordonnée au scénario du jeu – la composante ludique doit primer ». L’hypothèse considérée est que si un jeu est attractif, amusant, stimulant et encourage le joueur à progresser, alors le joueur intégrera automatiquement les caractéristiques du jeu et de nombreuses informations. Cette vision des jeux sérieux est extrêmement ambitieuse, mais engendre des projets dont les financements sont complexes à mettre en œuvre en raison d’un marché de niche.
8 Aujourd’hui, le terme jeu sérieux redéfini par Djaouti (2011), englobe toute partie d’un logiciel qui mélange un objectif non divertissant avec des structures de jeu vidéo (structures devant être comprises ici à la fois comme des technologies et des connaissances).
9 Maintenant que nous avons défini le concept de jeu sérieux et identifié les points-clés de son évolution, nous nous focalisons à nouveau sur notre problématique. En quoi la recherche dans le domaine des EIAH peut-elle contribuer à concevoir des outils pédagogiques adaptatifs et personnalisables ?
Le diagnostic cognitif et le suivi de l’apprenant
10 Produire un diagnostic fin sur l’état des compétences d’un apprenant afin d’assister le formateur dans la gestion des sessions d’apprentissage et d’adapter le dispositif de formation au profil de l’apprenant est une tâche complexe. En effet, lorsqu’un formateur utilise un jeu sérieux en classe, il est souvent en demande d’obtenir des indicateurs sur l’activité de l’apprenant pendant la session de jeu. Ces données sont précieuses si le formateur souhaite analyser les choix faits par l’apprenant et par exemple montrer à la classe les causes de succès et d’échecs. Très peu de jeux sérieux proposent des interfaces à destination des formateurs. Quand cette interface existe, elle est extrêmement limitée. Certains formateurs contournent ce manque en demandant aux élèves de remplir en fin de jeu un questionnaire d’évaluation pour identifier si les connaissances sont acquises.
11 Les jeux sérieux apportent un contexte scénaristique intéressant qui s’ajoute au scénario pédagogique classique. En effet, l’apprenant va pouvoir accomplir des actions qui ne relèvent pas forcément de l’apprentissage comme le déplacement dans un monde virtuel, l’accomplissement de quêtes annexes, la configuration de son personnage, etc. El-Kechaï et al. (El-Kechaï, Muratet, Yessad et Labat, 2015) proposent de réaliser un suivi de l’apprenant dans ce contexte à l’aide des étapes suivantes : (a) identifier les compétences de l’apprenant que nous cherchons à évaluer ; (b) établir les critères qui nous permettent de l’évaluer et de ce fait, inférer l’état courant de ses compétences ; (c) identifier les activités et les situations dans lesquelles nous pouvons observer ce que fait l’apprenant et obtenir les preuves qui nous permettent de les relier aux compétences. Cette méthodologie s’appuie sur l’approche Evidence Centered Design (ECD) définie par (Messick, 1994).
12 Le processus ECD commence par l’identification de ce que nous voulons évaluer en termes de compétences, connaissances et d’autres traits de l’apprenant. Ces variables, ne pouvant être observées directement, il faut alors identifier les comportements et les résultats qui peuvent être mesurables et observables. Ensuite, il faut identifier les types de tâches/situations dans lesquelles ces comportements peuvent être observés. Dans ce cadre, il y a donc trois modèles théoriques qui travaillent de concert : le modèle de compétences, le modèle de preuves et le modèle de tâches (voir figure 2).
Figure 2 : Les trois principaux modèles et le processus d’évaluation d’ECD (extrait de El-Kechaï, Muratet, Yessad et Labat, 2015)
Figure 2 : Les trois principaux modèles et le processus d’évaluation d’ECD (extrait de El-Kechaï, Muratet, Yessad et Labat, 2015)
- Le modèle de compétences (1 sur la figure 2) : dans le modèle de compétence, les nœuds (cercles) décrivent un ensemble de variables sur lesquelles se font les inférences. Ces variables peuvent être des connaissances, des compétences ou d’autres attributs. Le modèle de l’apprenant correspond en fait à une instance du modèle de compétence et les valeurs dans ce modèle représentent la croyance actuelle que l’évaluateur (système) a sur chaque variable du modèle de compétence. Les inférences peuvent être à différents niveaux de granularité, de générales (ex : Julie a un bon niveau en géométrie) à plus spécifiques (ex : Thom a des difficultés pour tracer la perpendiculaire à une droite).
- Le modèle de tâche (3 sur la figure 2) fournit un cadre pour caractériser des situations avec lesquelles l’apprenant va interagir pour fournir des preuves sur des aspects liés aux compétences. Le modèle de tâche indique ce que l’apprenant peut et doit faire ; quelles réponses sont autorisées, quels formats sont disponibles, et d’autres considérations : l’apprenant est-il chronométré, est-il autorisé à utiliser des outils (calculatrice, dictionnaire, etc.) ? Appliqué aux jeux sérieux, le modèle de tâche correspond au modèle d’actions, c’est-à-dire les séquences d’actions et les indicateurs d’évaluation de chaque action. Les actions représentent ce que l’apprenant-joueur peut faire dans le jeu pour réaliser une mission ou résoudre un problème.
- Le modèle de preuves (2 sur la figure 2) exprime comment les interactions ou les réponses à un problème constituent des preuves sur les variables du modèle de compétence. Le modèle de preuves est composé de 2 parties : les règles de preuves et le modèle statistique. Les règles de preuve ou modèle de score (a sur le schéma) prennent comme entrée les productions de l’apprenant (c sur le schéma) qui correspondent aux interactions de l’apprenant avec la tâche ou avec l’environnement. Ces productions dépendent du type de tâche : réponse courte, une séquence d’actions, etc. Les règles de preuve produisent donc en sortie des variables observables qui constituent l’évaluation des productions (d sur le schéma). Le modèle statistique peut représenter ces variables observables sous la forme de simples nombres (scores), comme il peut utiliser des réseaux bayésiens avec des probabilités conditionnelles.
14 La conception d’une évaluation se fait de gauche à droite, comme illustré dans la figure 2, bien que dans la pratique ce soit un processus itératif. L’évaluateur identifie les compétences, établit les critères d’évaluation et conçoit les tâches pour obtenir les preuves sur le niveau de l’apprenant.
15 Le diagnostic (ou les inférences) se fait (se font) dans le sens inverse. Quand une évaluation est menée, les réponses fournies par les apprenants durant le processus de résolution donnent des preuves qui sont analysées par le modèle de preuves. Les résultats de cette analyse sont des données (ex. des scores) qui passent dans le modèle de compétence, lequel met à jour les croyances sur les compétences, on obtient ainsi un profil de l’apprenant.
Les outils auteurs, l’adaptation et la personnalisation
16 À l’aide des recherches sur le diagnostic cognitif et le suivi de l’apprenant, les EIAH sont en mesure de construire des profils de l’apprenant de manière automatique. Cette représentation de l’apprenant peut alors être le support à une adaptation et une personnalisation des dispositifs en fonction des besoins des élèves. Cette adaptation et cette personnalisation peuvent prendre des formes diverses, de la planification complète par l’enseignant, en passant par des suggestions d’adaptations proposées par le système aux enseignants, jusqu’à une personnalisation automatique d’un scénario d’apprentissage dépendant du profil des élèves et de leurs actions en cours d’activité. Nous présentons ici deux recherches, une première permettant aux enseignants de définir précisément leur scénarisation pédagogique et une seconde plus automatique.
Scénarisation assistée
17 Comme nous l’avons évoqué précédemment, les EIAH constituent un domaine pluridisciplinaire. Concevoir un jeu sérieux est d’autant plus complexe qu’outre cette dimension pluridisciplinaire s’ajoute une dimension pluriprofessionnelle. En effet, concevoir et réaliser un jeu sérieux demandent la coopération de différentes expertises : le game designer imaginera les mécaniques de jeu, le level designer travaillera sur la progression de la difficulté du jeu, l’artiste produira les éléments graphiques et sonores, le développeur codera le jeu sous la forme d’un programme, l’expert du domaine apportera la dimension sérieuse au jeu… Dans ce contexte, permettre aux enseignants de personnaliser un tel EIAH révèle un réel défi : comment concevoir un outil auteur permettant aux enseignants de s’approprier et de manipuler les parcours pédago-ludiques d’un jeu sérieux sachant qu’ils ne maîtrisent qu’un sous-ensemble des compétences requises ?
18 Marne et Labat (Marne et Labat, 2014) proposent un modèle de scénarisation nommé MoPPLiq qui est capable de représenter à la fois les aspects pédagogiques et les aspects ludiques de jeux sérieux qui peuvent être découpés en étapes. Le scénario est représenté sous la forme d’activités discrètes caractérisées par des prérequis et des objectifs. Le contenu des activités n’est ici pas décrit, seuls sont exprimés les prérequis nécessaires et les buts du point de vue pédagogique et du point de vue ludique. La description de chaque activité selon ce formalisme permet de modéliser les enchaînements possibles d’activités et d’en identifier les incohérences pédagogiques ou ludiques (les prérequis de l’activité N sont non conformes aux objectifs de l’activité N-1). Il est aussi possible à l’aide de ce modèle de représenter un parcours non linéaire prenant en compte les actions de l’apprenant-joueur. Autrement dit, en fonction de la manière dont l’élève va réaliser l’activité, l’enseignant peut avoir prévu de l’orienter sur des activités différentes. L’outil auteur (Appliq) exploitant ce modèle propose un système de contrôle et de compensation des incohérences lors des manipulations des parcours pédago- ludiques. En effet, l’enseignant utilisant un tel outil possède l’expertise requise pour définir le parcours pédagogique en revanche il doit être aidé pour ce qui concerne le parcours ludique. Le système laissera donc l’enseignant concevoir des enchaînements d’activités incohérents du point de vue des compétences pédagogiques (par exemple intégrer dans la scénarisation une activité requérant une compétence non traitée en amont dans le jeu). Appliq propose cette ouverture, car ses auteurs considèrent que l’enseignant peut utiliser un jeu sérieux dans une démarche pédagogique plus globale qui pourrait contenir des sessions d’apprentissage hors du jeu et donc que toutes les compétences pédagogiques ne soient pas obligatoirement intégrées dans la scénarisation du jeu sérieux. En revanche du point de vue ludique, l’enseignant doit être aidé afin que l’enchaînement des différentes activités ne crée pas d’incohérence ludique. Si une telle situation est détectée, l’outil auteur proposera automatiquement des activités tampons permettant de régler les incohérences identifiées.
19 Cette approche est donc résolument centrée sur l’enseignant en lui laissant une grande liberté dans la construction du parcours pédagogique tout en l’accompagnant pour résoudre les incohérences d’ordre ludique.
Scénarisation automatique
20 Dans cette section, nous présentons une approche plus automatique où l’enseignant n’a pas à définir la scénarisation pédagogique dans le détail, mais définit simplement des stratégies d’apprentissage pilotant indirectement le système automatique de personnalisation des parcours des élèves.
21 Les travaux de (El-Kechaï, Melero et Labat, 2015) proposent d’exploiter la Competence- based Knowledge Space Theory (CbKST) (Heller, Mayer et Albert, 2005) (Peirce, Conlan, et Wade, 2008). Cette approche permet une évaluation non invasive des compétences de l’apprenant sans interrompre le flow du jeu (Kopeinik, Nussbaumer, Bedek et Albert, 2012).
22 CbKST permet de structurer un domaine de compétence en utilisant trois concepts clés : la relation de précédence, les états de compétence, et la structure de compétence. Une relation de précédence ‘a’ ≤ ‘b’ indique que la compétence ‘a’ est un prérequis pour acquérir la compétence ‘b’. Inversement, si l’apprenant maîtrise la compétence ‘b’, cela implique qu’il maîtrise également la compétence ‘a’. Ces relations de précédence peuvent être représentées par un diagramme de Hasse comme illustré par la figure 3.
23 Considérant les relations de précédence qui existent entre les différentes compétences, les états de compétence sont dérivés. Ils représentent différentes combinaisons possibles et admissibles de compétences simples. Toutes les combinaisons ne sont pas admissibles. Par exemple, compte tenu de la relation de précédence qui existe entre les compétences de la figure 3, {a, c} ne peut pas être considéré comme un état de compétence admissible, car pour travailler la compétence ‘c’, il est nécessaire de travailler préalablement la compétence ‘b’.
24 La structure de compétence représente l’ensemble des états de compétence admissibles en tenant compte de la relation de précédence dans un domaine donné. Par exemple, la figure 4 représente la structure de compétence déduite du domaine illustré par la figure 3.
Figure 3 : Exemple de diagramme de Hasse illustrant les relations de précédence entre compétences d’un domaine donné (extrait de (El-Kechaï, Melero et Labat, 2015))
Figure 3 : Exemple de diagramme de Hasse illustrant les relations de précédence entre compétences d’un domaine donné (extrait de (El-Kechaï, Melero et Labat, 2015))
Figure 4 : La structure de compétence dérivée du diagramme de la figure 3 (extrait de (El-Kechaï, Melero et Labat, 2015))
Figure 4 : La structure de compétence dérivée du diagramme de la figure 3 (extrait de (El-Kechaï, Melero et Labat, 2015))
25 La contribution des travaux de (El-Kechaï, Melero et Labat, 2015) consiste à contrôler l’adaptation de l’EIAH par le choix des enseignants de déployer des stratégies d’apprentissage qui répondent à leurs propres besoins. Trois stratégies sont proposées :
26 1. La première correspond à la configuration d’autoformation. Les activités doivent être réalisées par l’apprenant de manière autonome mais dans un temps imparti. L’idée est que les apprenants puissent progresser à leur propre rythme avec un impératif, travailler l’ensemble des compétences sur le temps total de la formation. Cette stratégie peut s’avérer intéressante dans un contexte de formation à distance entrecoupée de périodes de regroupement permettant d’organiser des séances de réunion bilan. Cette stratégie est appelée « Progression » et consiste donc à maximiser le nombre de compétences travaillées par l’apprenant tout en le laissant avancer à son propre rythme.
- La deuxième stratégie correspond à la configuration dans laquelle les formations sont découpées en étapes. Dans ce contexte, les enseignants peuvent souhaiter spécifier le sous-ensemble de compétences à travailler pour chaque étape de la formation. Ils peuvent souhaiter également avoir la possibilité de choisir parmi les différentes étapes, celles qui doivent être impérativement réalisées pour aborder l’étape suivante, donc les compétences qui doivent être maîtrisées à minima. Cette stratégie est appelée « Renforcement » et consiste à amener l’apprenant à atteindre le seuil minimum requis dans les compétences qui sont spécifiées par l’enseignant.
- La troisième stratégie peut correspondre au cas où l’enseignant souhaiterait pousser des élèves à exceller sur certaines compétences. Cette stratégie est appelée « Approfondissement » et consiste donc à amener l’apprenant à devenir expert dans les compétences sur lesquelles il a déjà atteint un bon niveau de maîtrise.
28 En fonction de la stratégie envisagée, le système détermine automatiquement la prochaine activité à proposer à l’élève en fonction du profil de l’apprenant qu’il construit au fur et à mesure des activités réalisées par ce dernier. Nous percevons ici le lien direct entre les recherches sur le diagnostic cognitif et le suivi de l’apprenant et les recherches sur l’adaptation et la personnalisation.
Liens entre suivi de l’apprenant et adaptation
29 Comme nous l’avons vue dans la section précédente, plusieurs modalités d’adaptation sont possibles certaines permettant aux enseignants de définir précisément leur scénarisation pédagogique et d’autres automatisant le processus. Néanmoins dans les deux cas le diagnostic cognitif et le suivi de l’apprenant sont exploités.
30 Dans le cas où l’enseignant garde le contrôle de la scénarisation, le suivi de l’apprenant reste fondamental, car il permet, à partir du modèle du domaine (représentation des liens entre les différentes compétences d’un domaine particulier par exemple sous la forme d’une ontologie), de calculer des indicateurs à destination des utilisateurs. Ces indicateurs peuvent être représentés sous la forme de tableau de bord pour informer l’enseignant de l’activité de chaque élève (nombre d’activités terminées, temps passé dans chaque activité, difficultés rencontrées, aides sollicitées, etc.). Ce tableau de bord peut ainsi servir de support pour aider l’enseignant à déterminer les notions à reprendre, à réviser sa scénarisation, à identifier les élèves nécessitant un accompagnement personnalisé, à planifier ses prochaines séances, etc. Ces indicateurs peuvent aussi être restitués aux apprenants sous la forme de ressorts ludiques tels que nous les avons présentés dans la section 2 de cet article (calculer un score, fournir une récompense, proposer un nouveau mécanisme de jeu, proposer une pause, etc.).
31 Dans le cas où l’adaptation est automatisée le suivi de l’apprenant est alors utilisé pour modéliser l’apprenant et déduire la prochaine activité à réaliser, en fonction de la croyance qu’a le système sur la maîtrise des compétences de l’apprenant et de la stratégie choisie par l’enseignant. Pour qu’un tel système fonctionne, l’apport de l’enseignant reste fondamental notamment pour modéliser le domaine sur lequel l’EIAH doit être utilisé. Car finalement tout ce processus prend comme base de départ une description formelle fournie par des experts du domaine, dans notre cas les enseignants. Une seconde contrainte pour ce type d’approche est la quantité d’activité disponible, en effet plus l’EIAH contiendra d’activités différentes en terme de difficultés et de compétences travaillées, plus il aura de choix pour proposer à chaque élève celle qui lui correspondra le mieux en considérant l’une des trois stratégies définies par l’enseignant.
Conclusion
32 Nous avons commencé cet article en retraçant un court historique de l’intégration du numérique à l’école. Nous avons montré que les équipements seuls ne suffisent pas et qu’ils devaient s’accompagner de logiciels informatiques répondant aux besoins de leurs usagers (ici, les enseignants et leurs élèves). La recherche dans le domaine des EIAH vise à répondre à cet enjeu et nous en avons présenté quelques illustrations à travers plusieurs travaux menés par l’équipe MOCAH du LIP6. Nous avons notamment présenté deux modalités d’adaptation allant d’une description détaillée fournie par des enseignants jusqu’à des approches automatiques. Dans les deux cas, nous avons montré que le diagnostic cognitif et le suivi de l’apprenant jouaient un rôle fondamental en constituant le socle sur lequel l’adaptation pouvait être envisagée. Nous avons aussi montré que le rôle de l’enseignant reste fondamental, quel que soit le niveau d’automatisation de l’adaptation : dans le cas d’une scénarisation construite manuellement les outils auteurs peuvent aider l’enseignant dans ce travail ; et dans le cas d’une adaptation automatique, l’enseignant reste le garant de la modélisation du domaine et de la création d’activité en lien avec cette modélisation.
Références
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- Csikszentmihalyi, M. (1991). Flow: The Psychology of Optimal Experience. Harper Perennial.
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- El-Kechaï, N., Melero, J., et Labat, J.-M. (2015). Adaptation de serious games selon la stratégie choisie par l’enseignant : approche fondée sur la Compétence-based Knowledge Space Theory. Actes de la 7e conférence sur le Environnements informatiques pour l’apprentissage humain (EIAH), 294-305.
- El-Kechaï, N., Muratet, M., Yessad, A., et Labat, J.-M. (2015). Le suivi de l’apprenant : une approche fondée sur le cadre méthodologique Evidence Centered Design, application aux Serious Games. EIAH 2015 - Atelier Évaluation des apprentissages et environnements informatiques. Agadir.
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Mots-clés éditeurs : Jeux sérieux, EIAH, Adaptation, Personnalisation, Suivi de l’apprenant
Date de mise en ligne : 28/08/2017
https://doi.org/10.3917/nras.078.0135Notes
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RERS : Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche - http://cache.media.education.gouv.fr/file/2012/36/9/DEPP-RERS-2012_223369.pdf, consulté le 10 février 2017.
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Extrait de: http://jenovachen.com/flowingames/designfig.htm, consulté le 10 février 2017.