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Article de revue

Les effets d’une intervention en conscience morphologique sur l’orthographe lexicale chez des élèves arabophones

Élèves scolarisés en français dans le 2e cycle du primaire en milieu défavorisé

Pages 45 à 64

1 L’écriture de textes dépend de nombreux processus cognitifs, dont ceux qui permettent d’orthographier les mots. La facilité avec laquelle un apprenant écrit les mots conduirait à la production de textes plus longs. En revanche, des difficultés à cet égard expliqueraient des difficultés en production de textes (Berninger et al., 2002). La proportion des élèves québécois de 6e année qui peinent à produire des textes en raison de leurs difficultés à orthographier les mots varie entre 11% (Jalbert, 2007) et 20 % (Desrosiers et Tétrault, 2012). Selon la dernière étude, les élèves issus de milieux défavorisés et les élèves dont la langue maternelle n’est pas le français seraient les plus affectés par ces difficultés. Notre étude qui ciblait des élèves arabophones scolarisés en français issus de milieux défavorisés se proposait de les soutenir dans le développement de leurs habiletés orthographiques. Dans cet écrit, nous décrivons, tout d’abord, l’orthographe française afin de comprendre les processus cognitifs, notamment la conscience morphologique, impliqués dans l’écriture des mots. Ensuite, nous présentons brièvement quelques études causales qui, d’un côté, appuient l’implication de la conscience morphologique dans l’écriture des mots et de l’autre, informent sur des modalités de l’intervention qui permet de développer la conscience morphologique et du même coup, d’améliorer l’orthographe lexicale des participants. Enfin, nous rapportons des études qui nous renseignent sur les performances en orthographe lexicale d’apprenants scolarisés dans une langue autre que celle maternelle. Plus particulièrement, les résultats de trois études menées auprès d’apprenants arabophones scolarisés en langue seconde sont discutés à la lumière des particularités de l’orthographe arabe.

Orthographe lexicale en français et contribution de la conscience morphologique

2 Les connaissances nécessaires à la maitrise de l’orthographe lexicale dans une langue dépendent du fonctionnement graphique de cette langue. Par son fonctionnement graphique, le français est considéré une langue phonomorphémique en raison des deux principes qui régissent son orthographe : le principe phonologique et le principe sémantique (Jaffré, 2008). Conformément au premier principe, un graphème, c’est-à-dire une lettre ou un groupe de lettres, correspond à chaque phonème d’un mot. Pour transcrire celui-ci, il est indispensable de connaitre les correspondances phonèmes-graphèmes et d’avoir de bonnes habiletés phonologiques de segmentation et de fusion des phonèmes (Estienne, 2002 ; Foulin, 1997). En effet, pour écrire moto, le scripteur doit segmenter ce mot en phonèmes (/m/, /o/, /t/, /o/), transcrire chacun d’eux en respectant les correspondances phonèmes-graphèmes et vérifier son orthographe en fusionnant les phonèmes transcrits. Étant donné qu’en français certains phonèmes sont transcrits par différents graphèmes (ex. le phonème /o/ est transcrit par o, eau, au, ot, etc.), la connaissance de ces correspondances ne suffit que pour orthographier la moitié des mots (Véronis, 1988). Donc, pour écrire un grand nombre de mots en français, d’autres types de connaissances se révèlent indispensables, notamment les connaissances morphologiques (Fayol, 2008). Leur contribution découle de l’application du deuxième principe de fonctionnement du français, soit le principe sémantique. Selon ce principe, l’écrit est aussi porteur des unités de sens, c’est-à-dire les morphèmes. Il fait de sorte qu’une suite de graphèmes est préservée pour transcrire un morphème donné dans différents contextes. Par exemple, le morphème grand conserve les mêmes lettres dans tous les mots de sa famille morphologique : grandir, grandeur, agrandi, etc. ; on ne l’écrit jamais grent, suite de graphèmes qui serait tout à fait adéquate selon le premier principe. Le deuxième principe confère donc à l’orthographe française, contrairement au premier, plus de consistance ou de cohérence. C’est cette consistance qui aiderait à comprendre pourquoi la conscience morphologique, soit les connaissances sur les morphèmes et la capacité à les manipuler (Carlisle, 1995), serait corrélée à l’orthographe des morphèmes, précisément des préfixes (Fejzo et al., 2016), des racines (Casalis, Deacon et Pacton, 2011), des morphogrammes (Pacton, Foulin, Casalis et Treiman, 2013 ; Sénéchal, 2000, 2014 ; Sénéchal, Basque et Leclaire, 2006) ou des suffixes (Casalis, 2003 ; Fejzo, 2016) en contexte francophone. Des résultats convergents soutenant la contribution de la conscience morphologique à l’orthographe lexicale sont observés en français auprès d’élèves normoscripteurs à différents niveaux scolaires (Fowler et Liberman, 1995 ; Rispens, McBride-Chang et Reitsma, 2008 ; Sangster et Deacon, 2011 ; Treiman et Cassar, 1997) et auprès d’élèves dyslexiques (Tsesmeli et Seymour, 2006).

3 Dans une optique développementale, la production écrite des morphèmes présuppose l’existence de leurs représentations orthographiques dans le lexique mental du scripteur. Leur établissement dans le lexique mental résulte, d’un côté, d’une exposition fréquente aux suites de lettres qui forment les morphèmes (Ehri, 2014). De l’autre, leur établissement est renforcé par des connexions étroites de ces suites de lettres avec leurs représentations phonologiques et sémantiques. En effet, les morphèmes sont constitués généralement d’une suite de lettres qu’on entend à l’oral (ex. –age a la forme phonologique /aʒ/) et renferment un sens (ex. le suffixe –age a le sens de l’action). Cependant, comme la majorité des morphèmes (ex., les préfixes et les suffixes) ne se présentent pas au scripteur de manière isolée, des habiletés de segmentation au niveau morphémique de la structure des mots desquels ils font partie sont un prérequis pour l’établissement de leurs représentations orthographiques (Seymour, 1997). Un faible niveau de ces habiletés, appelées conscience morphologique (Carlisle, 1995), engendrerait donc des difficultés à encoder les morphèmes dans le lexique mental et, par conséquent, une faible performance dans l’orthographe des mots qui en sont composés. En revanche, le développement de la conscience morphologique grâce à l’entrainement devrait conduire à une amélioration de l’orthographe lexicale. C’est ce que les études présentées dans la section suivante ont permis d’observer.

L’intervention en conscience morphologique et l’orthographe lexicale

4 La relation entre la conscience morphologique et l’orthographe lexicale observée dans les études corrélationnelles présentées ci-haut a amené les chercheurs à vérifier la nature causale de cette relation. Ainsi, Elbro et Arnbak (1996) se sont interrogées quant aux effets de l’entrainement de la conscience morphologique sur la performance en orthographe des élèves dyslexiques. Ces chercheures ont expérimenté un programme de 36 sessions de 15 minutes auprès de cette population.

5 Le programme exclusivement oral était composé de trois volets : la composition des mots, la dérivation et la flexion. Les résultats ont montré que le programme a permis de développer la conscience morphologique et d’améliorer l’orthographe lexicale chez les élèves dyslexiques participants. Également, les travaux de Nunes, Bryant et de leurs collègues (Nunes, Bryant et Olsson, 2003 ; Nunes et al., 2006) apportent des preuves des effets significativement positifs sur l’orthographe lexicale d’un tel entrainement chez des normoscripteurs. De plus, ces chercheurs ont le mérite de documenter le type d’entrainement de la conscience morphologique à privilégier pour améliorer l’orthographe lexicale. Ainsi, dans leur étude de 2003, Nunes et ses collaborateurs ont proposé quatre types d’intervention de deux sessions portant sur les morphèmes –ian et –ion. Le premier groupe a reçu un enseignement explicite de ces morphèmes, le deuxième groupe a suivi un enseignement implicite, le troisième groupe a été exposé à un enseignement mixte, implicite au début et explicite par la suite, et le quatrième groupe a travaillé sur la compréhension. Les résultats supérieurs du groupe ayant reçu l’enseignement explicite suggèrent de privilégier ce type d’entrainement pour aider les élèves à mieux produire les mots écrits.

6 Par ailleurs, une autre étude (Appel, Brimo, Diehm et Appel, 2013) a démontré que l’entrainement de la conscience morphologique peut soutenir les jeunes scripteurs issus de milieux défavorisés. Ces chercheurs ont fait une étude exploratoire auprès d’élèves du préscolaire à la deuxième année. Ils ont mesuré la capacité à écrire les préfixes et les suffixes dans les mots morphologiquement complexes (ex. refill). Leur intervention de neuf semaines, divisée en quatre sessions de 25 minutes par semaine, portait sur des préfixes (ex. un-, re-, dis-), des suffixes flexionnels (ex. -s, -ing, -ed) et dérivationnels (ex. -ly, -y, -er). L’analyse des résultats de cette étude a permis de dégager des effets de grande taille (d=2.08 en première année et d=1.34 en deuxième année) sur l’orthographe des morphèmes ciblés. Si ces résultats doivent être pris avec une certaine réserve en raison du fait qu’ils proviennent d’un devis exploratoire, l’information qu’un bon nombre de préfixes et de suffixes peut être ciblé par l’intervention s’avère éclairant pour notre étude.

7 Ces études apportent un appui empirique à la contribution de la conscience morphologique dans l’orthographe lexicale. Toutefois, force est de constater qu’elles ont été menées auprès de populations scolarisées dans leur langue maternelle. Leur généralisation à des populations scolarisées dans une autre langue reste à prouver. Les particularités orthographiques de la langue maternelle interviennent, comme la section suivante permet de constater, dans la performance en orthographe lexicale de ces populations.

L’orthographe lexicale chez les élèves en langue seconde

8 Les études portant sur la production des mots écrits chez la population allophone sont rares. Malgré cette rareté et le fait que plusieurs variables influencent cette capacité, leurs résultats convergent. Ceux-ci suggèrent que cette population développe, tout comme la population scolarisée dans sa langue maternelle, la capacité à orthographier avec le temps et grâce à l’instruction mais à un rythme moins rapide que celui des natifs (Lesaux, Geva, Koda, Siegel et Shanahan, 2008).

9 De plus, Howard et Snow (2007) ont observé que des élèves hispanophones de la 2e à la 5e année scolarisés en anglais ont commencé avec des résultats inférieurs en 2e année et leur performance était significativement inférieure à celle de leurs pairs natifs à chaque niveau scolaire. Par ailleurs, dans cette étude, la performance des hispanophones en orthographe en langue maternelle était fortement corrélée avec l’orthographe en anglais langue seconde.

10 Également, Holm et Dodd (1996) ont constaté que des apprenants de l’anglais langue seconde de Hong Kong ont eu plus de difficultés que les locuteurs natifs à orthographier des pseudo-mots. Les chercheurs ont expliqué ce résultat en disant que leurs participants allophones ayant une expérience logographique dans le traitement de leur langue maternelle sous-utilisent le traitement phonologique nécessaire à l’écriture des mots dans la langue de scolarisation. Il semble donc que les particularités orthographiques de la langue maternelle influencent la manière dont les élèves produisent les mots dans leur langue seconde. Une telle influence a été constatée même chez des élèves arabophones scolarisés en anglais (Allaith et Joshi, 2011). Les résultats ont indiqué que les élèves arabophones de 4e, 5e, 6e, 8e et 10e année ont fait plus d’erreurs que leurs pairs natifs dans l’écriture des mots anglais contenant les sons /p/ et /v/, contrairement aux mots contenants les sons /t/ et /d/. Les chercheurs expliquent leurs résultats par les caractéristiques phonologiques de l’arabe, à savoir les sons /t/ et /d/ sont clairement distincts en arabe ce qui n’est pas le cas pour les sons /b/ et /p/ et /f/ et /v/ en position initiale. Par ailleurs, l’étude de Fender (2003) qui visait à examiner, entre autres, la production des mots écrits chez des adultes arabophones, chinois, coréens et japonais apprenant l’anglais a apporté un éclairage supplémentaire au regard de la performance des arabophones. Les participants devaient orthographier des mots aux structures multisyllabiques et polymorphémiques. Les résultats ont montré que les arabophones ont eu des résultats significativement inférieurs par rapport à leurs pairs en orthographe lexicale, particulièrement avec les mots dérivés (decision, furniture). Le chercheur avançait l’hypothèse que les arabophones pourraient avoir des représentations orthographiques incomplètes ou partielles en raison des particularités du fonctionnement de l’arabe écrit. Comme d’autres chercheurs s’intéressant à la population arabophone (Randall et Meara, 1988) ont déjà émis une telle hypothèse, il serait pertinent de présenter brièvement les particularités du fonctionnement de l’arabe écrit pour comprendre la situation dans laquelle se trouvent les scripteurs arabophones.

11 L’arabe oral est transcrit à deux niveaux : l’arabe voyellisé, où la présence des voyelles rend l’orthographe transparente, et l’arabe non voyellisé qui est opaque en raison de l’absence des voyelles. Le deuxième niveau représente des racines de trois ou quatre consonnes auxquelles le lecteur doit ajouter des affixes vocaliques pour former des familles de mots partageant le même sens. Les contextes sémantique et syntaxique permettent au lecteur arabophone de choisir les voyelles appropriées. Par exemple, la racine k-t-b, dont le sens est écrire, combinée avec différentes affixes vocaliques produit, selon le contexte, ketaab – livre ; maktaba – bibliothèque, kataba – il a écrit, etc. Les affixes ne s’ajoutent pas seulement au début ou à la fin de la racine, mais même à l’intérieur de sa structure consonantique. De plus, le lecteur expert qui lit l’arabe non voyellisé doit mettre à profit des connaissances orthographiques, morphologiques et autres ressources pour compléter l’information manquante (Abu-Rabia et Taha, 2006). Ces particularités de la langue arabe amènent les apprenants arabophones à donner une importance particulière aux consonnes lors de l’établissement de leurs représentations orthographiques (Randall et Meara, 1988). Transférée dans l’acquisition de la langue de scolarisation, une telle stratégie désavantage les apprenants arabophones par rapport aux locuteurs natifs qui développent des stratégies adéquates au fonctionnement graphique de leur langue maternelle (Randall et Meara, 1988) quand celle-ci est, linguistiquement parlant, distante de l’arabe comme c’est le cas du français ou de l’anglais. Les représentations des locuteurs natifs de ces langues comporteraient des consonnes et des voyelles selon une structure morphémique bien précise : préfixe(s)- racine-suffixe(s) (ex. in-dé-fin-i-s). Cette spéculation va de pair avec l’hypothèse de Geva (2009) à l’effet qu’une influence positive des habiletés développées en langue maternelle sur l’acquisition de la langue seconde est attendue quand les deux langues, maternelle et de scolarisation, sont proches linguistiquement parlant. À l’opposé, les habiletés développées en langue maternelle pourraient nuire à la performance dans la langue de scolarisation quand les deux langues sont linguistiquement éloignées. En effet, les résultats des études ciblant différentes populations allophones, notamment celles menées auprès de la population arabophone (Allaith et Joshi, 2011 ; Fender, 2003), corroborent cette hypothèse.

12 À la lumière de ces résultats, il serait pertinent de penser que les apprenants arabophones scolarisés en français ont besoin d’être soutenus en orthographe lexicale (Fender, 2003 ; Randall et Meara, 1988). À cet égard, nous savons que l’enseignement des connaissances morphologiques est fortement recommandé pour tout scripteur francophone (Foulin, 1997 ; Gombert et al., 2000). En effet, considérant la morphologie dérivationnelle comme l’un des moyens privilégiés fournissant des indices le plus souvent fiables pour produire les mots en français, Fayol (2008) recommande :

13 « Aussi est-on amené à envisager qu’un enseignement soit nécessaire pour que les phénomènes exprimables sous forme de règle fasse l’objet d’une découverte guidée, d’une formulation susceptible d’être mémorisée et d’activité de consolidation visant notamment à la fois l’automatisation de la mise en œuvre et la mémorisation des contextes associés à l’emploi de telle ou telle règle ou régularité. » (p. 210). Dans ce contexte, un enseignement axé sur la morphologie française pourrait se révéler efficace pour la population arabophone scolarisée en français. Dans notre étude nous avons expérimenté un programme de conscience morphologique et avons vérifié les effets d’un programme favorisant le développement de la conscience morphologique sur l’orthographe lexicale en français chez des élèves arabophones du 2e cycle du primaire.

La présente étude

14 L’analyse critique des études causales portant sur la conscience morphologique réalisées jusqu’en 2010 a amené Carlisle (2010) à souligner certaines directives quant aux choix méthodologiques dans le cadre de ce type d’études. L’une de ces directives concernait l’adéquation des mesures administrées au contenu de l’intervention. C’est ce qui explique notre décision de concevoir les tests de l’orthographe lexicale et celui de la conscience morphologique. Dans le premier test, les 39 mots ont été choisis selon deux critères : 1) le faible taux de réussite chez la population francophone native au cycle scolaire de nos participants (8 à 78 % selon Pothier et Pothier (2004) et 2) la présence des préfixes, des morphogrammes ou des lettres muettes finales et des suffixes que nous présumions à l’origine du faible taux de réussite. Les régularités orthographiques touchant ces morphèmes étaient ciblées par l’intervention. Par exemple, le mot arrondi a été choisi parce que la régularité expliquant le doublement de l’initiale de la racine faisait partie du programme d’intervention. Pour ce qui est du test de conscience morphologique, les trois épreuves ciblaient l’aspect dérivationnel de la morphologie, tout comme l’intervention, considérant que les élèves atteignent un niveau de maitrise satisfaisant de l’aspect flexionnel dès le début de la scolarité (Gombert et al., 2000).

Méthodologie

Population

15 Les participants de cette étude sont 52 élèves arabophones qui fréquentent deux écoles de Montréal. Les élèves du groupe expérimental (n=31, dont 16 filles) avaient un âge moyen de neuf ans et deux mois (ÉT=.923), alors que ceux du groupe contrôle (n=21, dont 9 filles) avaient un âge moyen de neuf ans et quatre mois (ÉT=.652). Selon les données fournies par les parents, la langue maternelle des participants est l’arabe, mais ils ont commencé à parler le français avant leur scolarisation (la moyenne d’exposition au français est de 5 ans et 8 mois). Tenant compte du fait que les besoins en acquisition de la langue écrite sont plus importants pour la population issue de milieux défavorisés (Desrosiers et Tétrault, 2012 ; Snow, Burns et Griffin, 1998), nous avons ciblé deux écoles ayant une forte concentration de clientèle arabophone et pour lesquelles les indices de défavorisation sont comparables. Elles appartiennent respectivement au 9e et au 10e rang décile de défavorisation (MELS, 2007). L’expérimentation a eu lieu dans l’école ayant le plus grand seuil de défavorisation, présumant la présence d’un plus grand besoin de soutien.

Mesures

Conscience morphologique

16 Trois épreuves ont été utilisées pour mesurer trois dimensions de la conscience morphologique : la dérivation des mots, l’extraction de la racine et la dérivation de pseudo-mots. Chaque épreuve invitait l’élève à compléter les phrases avec un mot ou le pseudo-mot de la même famille que le mot présenté préalablement en gras (ex. Ma cousine se marie la semaine prochaine. J’ai hâte de participer à son (mariage). Quand on dale à nouveau, on (redale). Une telle présentation avait pour but de contrer le biais relié au recours au sens pour compléter la phrase (ex. à ses noces). Les items des deux premières épreuves étaient répartis de manière égale à la condition phonologique neutre (ex. marie/mariage) ou complexe (ex. voir/invisible). L’ordre de présentation des items a été randomisé avant la passation.

Orthographe lexicale

17 Dans ce test de closure, les élèves devaient orthographier sous dictée 39 mots morphologiquement complexes composés de préfixes (ex. immobile), de morphogrammes ou de lettres finales muettes (ex. retard) et de suffixes (ex. soirée). Le résultat à cette épreuve tenait compte de la production des graphies composant les préfixes, les suffixes et les morphogrammes. Par exemple, dans le mot immobile, seulement la partie en gras est notée, aussi un point serait-il accordé pour la production du mot immobil, même si le mot en entier est mal écrit. De même, comme la morphologie flexionnelle n’était pas ciblée par l’intervention, les erreurs d’orthographe grammaticale n’ont pas été prises en considération lors de la correction de l’épreuve.

18 Nous avons également mesuré trois habiletés impliquées dans l’orthographe lexicale pour mieux comparer les groupes de recherche. Ainsi, comme l’établissement des représentations orthographiques nécessite la connaissance des correspondances phonèmes-graphèmes (Seymour, 1999), nous avons mesuré l’identification des mots comme un indicateur fiable de cette connaissance. De plus, l’orthographe des mots implique, comme il a été expliqué ci-haut, la capacité à segmenter les mots en phonèmes et à fusionner ces derniers pour vérifier l’orthographe des mots. C’est pourquoi nous avons opté pour un test de conscience phonologique qui invite les élèves à segmenter et à fusionner les phonèmes. Finalement, pour écrire les mots ciblés par cette étude, les élèves doivent comprendre des régularités morphologiques du français écrit. La compréhension de ces régularités dépend des habiletés de déduction de régularités. Comme les matrices de Raven (1983) ciblent la capacité de déduction, le choix de ces épreuves allait de soi.

Identification des mots

19 La série A du test MIM (Mesure d’identification des mots) de la batterie Belec (Mousty, Leybaert, Alegria, Content et Morais, 1994) a été utilisée pour mesurer cette variable de contrôle. Ce test est composé de 36 mots courts et de 36 mots longs, dont la fréquence et les particularités orthographiques sont rigoureusement contrôlées. La justesse et le temps de lecture ont été mesurés. Les résultats utilisés pour les analyses statistiques reflètent le temps de réponse par mot lu correctement.

Conscience phonologique

20 L’épreuve utilisée à cet effet (Acronymes de Belec, Mousty et al. 1994) consiste à former une syllabe à partir des initiales sonores de deux mots proposés (ex. belle auto = /bo/). Elle est composée de 16 paires de mots qui contiennent chacune une discordance entre le phonème initial du mot et le phonème correspondant à la première lettre du mot (ex., dans auto, le phonème initial /o/ à l’oral est différent du phonème /a/ correspondant à la première lettre de ce mot à l’écrit). Le point a été accordé seulement si la réponse correspondait à l’acronyme formé à partir des initiales à l’oral.

Intelligence non verbale

21 Cette variable a été mesurée par les trois premières matrices de Raven (1983). Chaque matrice est composée de 12 exercices présentés en ordre croissant de difficulté.

22 Le participant devait choisir parmi six images proposées celle qui complétait un modèle donné. Un point a été accordé pour chaque bonne réponse

Procédure

23 La passation des épreuves a eu lieu au mois de février pour le pré-test et au mois de mai pour le post test. Le test d’orthographe lexicale et les épreuves morphologiques ont été passés dans les salles de classes. Pour le premier test, la dictée a préalablement été lue au complet. Ensuite, chaque phrase a été relue en respectant le rythme d’écriture des élèves. Pour le deuxième test, avant chacune des épreuves morphologiques, l’expérimentatrice a proposé trois exemples de pratique aux élèves. Par la suite, elle a lu toutes les phrases afin de contrer le biais relatif aux différences individuelles en identification des mots. Le test des matrices de Raven a été effectué dans un local tranquille par sous-groupe de 7 à 9 élèves tel que recommandé par le protocole de passation. Les tests d’identification des mots et de conscience phonologique ont été administrés individuellement et conformément au protocole de passation. L’intervention en conscience morphologique s’est déroulée durant la période fin février-début mai.

Programme d’intervention en conscience morphologique

24 Ce programme est un ensemble d’activités qui visent à développer l’aspect dérivationnel de la conscience morphologique. L’élagage de l’aspect flexionnel a été fait en tenant compte du fait que différents auteurs, en français et en anglais, (Carlisle, 1995 ; Gombert et al., 2000) considèrent que les élèves atteignent un niveau de maitrise de cet aspect dès le début de leur scolarité. De plus, les bons résultats des élèves arabophones de première année à l’épreuve de conscience morphologique flexionnelle (Fejzo, 2005) appuient cette décision.

25 L’intervention est composée de dix activités ayant pour objet : 1) la famille des mots, 2) la structure morphologique des mots, 3) les formes et les sens des préfixes dé-, in-, a-, re-, 4) la consolidation des connaissances sur les préfixes, 5) la consolidation des connaissances sur les préfixes, 6) les formes et les sens des suffixes nominaux –tion, -age, -eur, -issement, -ette, -ée, 7) la consolidation des connaissances sur les suffixes nominaux, 8) les formes et les sens des suffixes adjectivaux, -eux, -ique, -ant, 9) les morphogrammes et 10) la dérivation de pseudo- mots (Fejzo, 2011). Afin de motiver les élèves, la trame fantaisiste de l’histoire d’une famille reliait les activités qui proposait chacune un défi morphologique. Chaque activité était conçue selon les trois phases de l’enseignement stratégique de Tardif (1990), à savoir la mise en situation, la réalisation et le réinvestissement. Dans la mise en situation, les élèves étaient amenés par des questions à activer les connaissances antérieures en lien avec le contenu prévu pour la réalisation. Pendant la phase de la réalisation, les élèves devraient relever un défi relié aux régularités morphologiques. Dans la troisième phase, les élèves étaient amenés à exploiter les connaissances et les habiletés morphologiques en orthographe lexicale, conformément à la recommandation d’ajouter un volet de développement de la littératie dans les interventions de la conscience morphologique (Bowers, Kirby et Deacon, 2010).

26 Pour ce qui est des modalités d’intervention, les activités ont eu lieu une fois par semaine, pendant 10 semaines dans les cinq classes du groupe expérimental. Elles étaient destinées à tous les élèves de la classe même si seulement le tiers participait au projet. Chaque session durait entre 50 et 60 minutes. Les élèves du groupe contrôle ont suivi l’enseignement habituel et les enseignantes ont affirmé ne pas avoir fait d’activité morphologique durant cette période.

Résultats

27 Les résultats de l’analyse descriptive portant sur les scores obtenus au prétest aux différentes mesures sont présentés dans le tableau 1. Afin de comparer le groupe expérimental et le groupe contrôle, les résultats du test t y sont également présentés.

Tableau 1. Résultats des deux groupes aux mesures au prétest et résultats de leur comparaison

Groupe expérimentalGroupe contrôleDifférence entre les groupes
n= 31n=21ddl =51
MÉTMÉTtp
Conscience morphologique1
Dérivation de mots
Extraction de la racine
Dérivation de pseudo-mots
Orthographe lexicale2
Production des préfixes
Production des morphogrammes
Production des suffixes
Conscience phonologique
Identification des mots courts
Identification des mots longs
Intelligence non verbale
12.26
4.61
5.23
2.42
21.77
6.03
8.32
7.42
11.71
1.02
2.79
21.52
5.65
2.26
2.11
2.28
6.89
1.89
2.41
3.15
2.85
0.27
1.39
7.87
15.80
5.81
6.48
2.76
22.98
6.29
9.10
7.57
13.19
1.05
2.23
27.90
4.01
2.32
2.25
1.90
6.06
2.59
1.73
2.79
1.60
.37
.62
5.61
2.43
1.86
2.32
.57
.74
.41
.18
1.26
2.16
.41
1.72
3.25
.019
0.7
.046
.57
.46
.69
.86
.21
.036
.68
.09
.002
tableau im1

Tableau 1. Résultats des deux groupes aux mesures au prétest et résultats de leur comparaison

Note 1 : Le résultat est la somme des résultats aux épreuves morphologiques.
Note 2 : Le résultat est la somme des résultats dans l’orthographe des préfixes, morphogrammes et des suffixes

28 Le tableau 1 permet de constater que les élèves arabophones ont de faibles résultats en conscience morphologique et ils ont beaucoup de difficultés avec la dérivation des pseudo-mots laquelle est considérée comme un niveau explicite de la conscience morphologique (Colé, Royer, Leuwers et Casalis, 2004). Or, le manque d’un groupe en langue première ne nous permet pas de tirer des conclusions quant au niveau de développement de la conscience morphologique de cette population. Les résultats de nos participants dans la production des mots ciblés indiquent qu’ils performent moins bien que la population normalisée (une réussite de 58 % vs 71 %). Nous présumons que l’écart serait encore plus grand si la correction dans le cadre de notre étude portait sur l’orthographe du mot en entier plutôt que sur les morphèmes ciblés. En même temps, ces résultats permettent de souligner la pertinence d’intervenir pour aider les scripteurs arabophones scolarisés en français. Par ailleurs, nos résultats détaillés suggèrent que ces scripteurs ont eu plus de difficulté à écrire les préfixes que les suffixes ciblés, alors que l’écriture des morphogrammes semble plus facile pour eux.

29 De plus, on observe que le groupe expérimental a performé moins bien que le groupe contrôle. Des analyses de comparaison de moyennes ont même indiqué que les résultats du groupe contrôle sont significativement meilleurs en conscience morphologique, en conscience phonologique et en intelligence non verbale. Ils sont toutefois comparables quant à l’orthographe lexicale et l’identification des mots. Dans le contexte du manque d’appariement des groupes, le fait que l’intervention a eu lieu auprès du groupe de recherche plus faible en conscience morphologique est scientifiquement et éthiquement défendable.

30 Les résultats de l’analyse descriptive portant sur les scores obtenus au post test sont présentés dans le tableau 2. Nous y avons inclus les résultats de l’Anova à mesures répétées et l’estimation de la taille de l’effet (eta-carré partiel) de l’intervention.

Tableau 2. Résultats des deux groupes en conscience morphologique et en production des morphèmes et des mots écrits

Groupe expérimentalGroupe contrôleDifférence prétest-post test entre les groupesTaille de l’effet
n= 31n=21ddl =50
MÉTMÉTFpÉta-carré partiel
Conscience morphologique1
Dérivation de mots
Extraction de la racine
Dérivation de pseudo-mots
Orthographe lexicale2
Production des préfixes
Production des morphogrammes
Production des suffixes
19.99
7.60
6.87
5.52
30.74
9.71
10.55
10.48
5.65
2.03
1.91
2.56
5.94
1.74
2.51
2.28
15.37
5.57
7.19
2.71
25.43
5.57
10.43
9.43
4.44
1.94
1.54
2.17
4.76
2.11
1.96
2.11
47.67
36.91
2.95
20.65
42.27
68.19
3.32
3.30
.000
.000
.092
.000
.000
.000
.074
.075
.493*
.425*
. 056
.292*
.458*
.577*
.062
.062
tableau im1

Tableau 2. Résultats des deux groupes en conscience morphologique et en production des morphèmes et des mots écrits

Note 1 : Le résultat est la somme des résultats aux épreuves morphologiques.
Note 2 : Le résultat est la somme des résultats dans l’orthographe des préfixes, morphogrammes et des suffixes.

31 Les résultats composites aux épreuves de la conscience morphologique et de l’orthographe lexicale obtenus au post test par les élèves des deux groupes indiquent que les élèves du groupe expérimental réussissent significativement mieux que ceux du groupe contrôle. Les résultats détaillés à chaque composante indiquent que les premiers sont significativement meilleurs aux épreuves de la dérivation des mots et des pseudo-mots et à la production des préfixes. La différence entre les deux groupes est près du seuil de signification pour la production des suffixes et des morphogrammes, ce qui veut dire qu’un échantillon plus grand conduirait à un effet positif statistiquement significatif. Force est de constater que les résultats en orthographe des morphogrammes sont très élevés pour le groupe contrôle également. Finalement, l’estimation de l’effet de l’intervention permet aussi de constater des tailles d’effet importantes de l’intervention en conscience morphologique (les effets de .01 étant de petite taille, .06 de taille moyenne, .14 de grande taille selon Cohen, 1988).

Discussion

32 Notre objectif était de mesurer les effets d’une intervention en conscience morphologique sur l’orthographe lexicale chez des élèves arabophones du 2e cycle du primaire scolarisés en français issus de milieux défavorisés. Pour atteindre cet objectif, nous avons proposé aux élèves du groupe expérimental dix activités qui favorisent le développement de la conscience morphologique. Dans le contexte du manque d’appariement, les activités ont été suivies par les élèves de l’école la plus défavorisée. Avant l’intervention, nous avons pris des mesures des variables principales, c’est-à-dire de la conscience morphologique et de l’orthographe lexicale, et des variables de contrôle qui nous ont permis de mieux comparer les groupes de recherche. Après l’intervention, nous avons mesuré seulement les variables principales. Nos résultats ont indiqué que les élèves qui ont bénéficié de l’intervention en conscience morphologique, aux résultats inférieurs au début de la recherche, ont significativement amélioré leur conscience morphologique et l’orthographe lexicale par rapport à leurs pairs qui ont suivi le curriculum régulier de l’enseignement du français. Les résultats de notre étude menée auprès d’une population arabophone scolarisée en français corroborent les résultats d’autres recherches causales réalisées auprès de populations en langue maternelle dans d’autres contextes linguistiques (Elbro et Arnbak, 1996 ; Nunes et al., 2003).

33 Nos résultats détaillés en termes de types de morphèmes ciblés apportent des informations importantes au regard de l’intervention proposée. Tout d’abord, les effets significatifs très importants observés dans l’orthographe des préfixes par rapport à l’orthographe des autres morphèmes invitent à voir de près le contenu de l’intervention. On constate que deux sessions (activités 4 et 5) ont été accordées à la consolidation des connaissances relatives aux quatre préfixes ciblés et à leur transfert en orthographe de ces préfixes. Alors qu’une seule activité de consolidation et de transfert était proposée pour les neuf suffixes ciblés (activité 7) et une seule session était prévue pour travailler les morphogrammes (activité 9). Même si cette analyse vient de confirmer ce qui est intuitivement attendu, c’est-à-dire l’effet d’une intervention est proportionnel à l’attention et au temps accordés à l’enseignement d’un savoir donné, elle permet d’attribuer avec plus d’assurance les effets observés à l’intervention en conscience morphologique. En même temps, elle souligne la pertinence de la recommandation de Carlisle (2010) d’aligner les mesures au contenu du programme d’intervention. En effet, nos mesures ont permis de documenter la performance à chaque type de morphèmes ciblés par l’intervention. Par ailleurs, notre analyse met en évidence que plus d’activités doivent être consacrées aux suffixes et à la production des morphogrammes pour améliorer la production des mots chez la population à l’étude. De plus, nos résultats suggèrent que la prévision d’un nombre suffisant d’activités de consolidation des connaissances morphologiques et de leur transfert dans le développement de différents aspects de la littératie est une précaution importante à prendre lors de la conception des interventions en conscience morphologique auprès d’élèves aux besoins particuliers, comme c’est le cas des élèves allophones et ceux issus de milieux défavorisés. À ce propos, nos résultats ajoutent une information complémentaire aux conclusions de méta-analyses (Bowers et al., 2010 ; Goodwin et Ahn, 2013) selon lesquelles les élèves en difficulté bénéficient davantage de l’intervention en conscience morphologique.

34 Également, nos résultats corroborent les résultats d’études corrélationnelles qui ont inféré la contribution unique de la conscience morphologique dans l’orthographe lexicale en général (Nunes et al., 2006 ; Tsesmeli et Seymour, 2006 ; Fowler et Liberman, 1995) et dans l’orthographe des suffixes plus particulièrement (Casalis et al., 2011 ; Pacton et al., 2013 ; Sangster et Deacon, 2009 ; Sénéchal et al., 2006 ; Fejzo, 2016). Ils contribuent aussi à nourrir le débat actuel sur la nature de la relation entre la conscience morphologique et l’orthographe lexicale. Notre étude apporte des preuves de la nature causale spécifique de cette relation. Néanmoins, nos mesures ne permettent pas d’infirmer l’hypothèse d’une relation générale entre ces deux habiletés ; une mesure de mots monomorphémiques sans morphogrammes serait nécessaire pour vérifier une telle hypothèse.

35 Finalement, nos résultats documentent les modèles de développement orthographique (Ehri, 2014, Seymour, 1997) quant à l’établissement des morphèmes dans le lexique mental des jeunes scripteurs. Les résultats observés chez le groupe expérimental après l’intervention appuient l’hypothèse de Seymour (1997) selon laquelle l’établissement des représentations des morphèmes dans le lexique mental est facilité par le développement de la conscience morphologique. En revanche, les résultats du groupe contrôle permettent de tracer une trajectoire développementale de l’orthographe lexicale résultant de l’apprentissage implicite. Ces résultats indiquent que le groupe contrôle a davantage amélioré la production des morphogrammes et des suffixes par rapport à celle des préfixes. Au vu de ces résultats et compte tenu du fait que les élèves au début de la scolarité sont confrontés davantage à des graphèmes difficiles en position finale (Peereman, Sprenger-Charolles et Messaoud-Galusi, 2013), il est pertinent de se demander si cette particularité incite les élèves à porter davantage attention aux graphèmes en position finale par rapport à ceux en position initiale. Pour répondre à cette question, que nous trouvons d’intérêt scientifique et pratique, il est nécessaire de contrôler, dans les futures recherches, la fréquence des mots préfixés, suffixés et à morphogrammes.

36 Une autre interprétation des résultats supérieurs pour les morphèmes en position finale pourrait être tentée en lien avec la langue maternelle des participants. Nos résultats rappellent les résultats de Randall et Meara (1988) qui ont indiqué que les élèves arabophones avaient plus de facilité à détecter les erreurs en 8e position qu’en 2e position. Les chercheurs expliquaient cette facilité en invoquant le sens graphique de l’arabe écrit, soit de droite à gauche. S’agit-il alors d’un effet de la langue maternelle ? Cette hypothèse n’est pas à écarter, d’autant plus que 28 sur 52 participants fréquentaient un programme d’apprentissage de l’arabe écrit. Toutefois, comme nous n’avons pas mesuré les habiletés en arabe écrit de nos participants, une telle hypothèse pourrait être vérifiée dans des recherches futures en prenant la précaution de mesurer les habiletés en orthographe lexicale dans la langue maternelle des participants arabophones.

Conclusion

37 Notre étude a permis de vérifier les effets significativement positifs d’une intervention en conscience morphologique sur l’orthographe lexicale en français chez des élèves arabophones du 2e cycle du primaire scolarisés en français. Toutefois, certaines limites de cette étude méritent d’être mises en évidence. Tout d’abord, notre échantillon était relativement petit, quoique cette limite soit difficile à contrer dans le contexte d’une recherche causale ciblant une population allophone ayant la même langue maternelle. Un plus grand échantillon aurait apporté une preuve plus solide des effets mesurés. Il nous aurait également permis d’apparier les groupes de recherche. En lien avec l’appariement des groupes, nous n’avons pas pu mesurer les habiletés en orthographe lexicale en arabe, une variable avérée prédictive de l’orthographe lexicale dans la langue de scolarisation (Howard et Snow, 2007). Finalement, pour des raisons de faisabilité, la chercheuse n’a pas pu offrir une autre intervention au groupe contrôle afin de contrer l’effet Pygmalion.

38 Malgré ces limites, en étant parmi les rares études causales en conscience morphologique s’intéressant à la population allophone issue de milieux défavorisés, notre étude apporte des informations importantes pour le milieu de la recherche et celui de l’éducation. Ainsi, nous avons observé que les élèves arabophones du 2e cycle scolarisés en français éprouvent des difficultés à développer la conscience morphologique et à orthographier les mots constitués de préfixes, de morphogrammes et de suffixes. Or, nos résultats ont montré que ces difficultés peuvent être surmontées si on enseigne explicitement la conscience morphologique. À cet égard, nos résultats suggèrent que des activités sur les préfixes et les suffixes les plus productifs doivent être accompagnées d’activités de consolidation et de transfert en nombre suffisant afin de respecter les rythmes d’apprentissage et de donner des chances égales de réussite à tous les élèves.

39 Finalement, nos résultats encourageants permettent de dégager une piste intéressante pour soutenir les élèves allophones scolarisés en français et ceux issus de milieux défavorisés. Ils nous convainquent encore une fois de la nécessité d’enseigner explicitement et systématiquement la conscience morphologique pour soutenir le développement de la littératie chez ces élèves (Berninger, Abbott, Nagy et Carlisle, 2010). Le contenu de notre programme et les modalités dégagées par notre étude pourraient constituer un bon point de départ pour les futures recherches en contexte francophone et pour les enseignants désireux de développer la conscience morphologique de leurs élèves.


Annexe 1 : Test de conscience morphologique

Épreuve 1 : dérivation des mots

40 Quand on n’obéit pas, on ___________________________________________________.

41 Ma cousine se marie la semaine prochaine, j’ai hâte d’assister à son ___________________________________________________. Quand on agit bien on fait une bonne ___________________________________________________.

42 Mon père gonfle les jeux que je viens d’acheter. Je choisis toujours des jeux

43 ___________________________________________________.

44 Je sais lire. Je suis un ___________________________________________________.

45 Celui qui dit des choses vraies, dit la ___________________________________________________.

46 Cet enfant manque de respect envers les autres. Il est ___________________________________________________. Quand mon enseignante ne comprend pas ce que j’écris, elle me demande de le

47 ___________________________________________________ pour pouvoir comprendre.

48 On ne peut boire cette eau. Elle est . On ne peut pas voir un fantôme, car il est ___________________________________________________.

Épreuve 2 : extraction de la racine

49 Ce petit garçon aime beaucoup la construction d’autos. Il ___________________________________________________ses autos avec de petits légos.

50 Mon voisin est un jongleur, il ___________________________________________________tout le temps.

51 Le livre sur la nutrition du bébé explique comment le ___________________________________________________.

52 Il faut aplatir la pâte à modeler jusqu’à ce qu’elle devienne ___________________________________________________. Mon écriture est illisible, on ne peut pas la ___________________________________________________.

53 Le tabac est nuisible. Il ___________________________________________________à la santé. Le poissonnier vend du ___________________________________________________.

54 Lors d’une discussion, on ___________________________________________________.

55 Ton bavardage dérange. Alors arrête de ___________________________________________________. Mon ami est crédible, je peux toujours le .

Épreuve 3 : dérivation des pseudo-mots

56 Celui qui vend des voules est un ___________________________________________________. Une petite pline est une ___________________________________________________. Quand on toulle, on fait un .

57 Il n’est pas milure. Il est . Pour le rendre prouche, il faut . Je dale encore une fois, je ___________________________________________________.

58 Il bilit à tout le monde. Il est ___________________________________________________. Il fait le contraire de morer. Il ___________________________________________________. Celui qui froute est un ___________________________________________________. Quand on sambe, on fait une ___________________________________________________.

Annexe 2 : Test d’orthographe lexicale

59 Nous avons quitté l’aéroport après le décollage de l’avion. Le mauvais comportement rend ce garçon laid.

60 On trouve toujours amusant de faire du ski alpin.

61 Il est resté immobile quand il a vu l’ours s’approcher. Cet aliment a un mauvais goût.

62 Cet auteur n’est pas content de la première version de son roman, il doit le réécrire. La gentillesse de son ami l’a beaucoup ému.

63 Le chalet sent le bois.

64 Ce mal est irréparable à ses yeux.

65 Son grand-père travaillait comme laitier. Le chant des oiseaux égayait la forêt. Mon ami est fiévreux.

66 Ce meuble est lourd. La soirée a été longue.

67 Il a été imprécis dans ses propos. Je bois du lait chaque matin.

68 Ma sœur cherche la jupette de sa poupée.

69 Les instruments de musique qu’on percute sont des instruments à percussion. Il pratique beaucoup ce sport.

70 Le temps pour apprendre ce poème est illimité. Pourquoi tu le défais ?

71 Il est le champion du saut en longueur. Nous ne tolérons jamais la violence.

72 Il est toujours en retard.

73 Mon frère est obligé de terminer en fin de semaine un travail inachevé à l’école. J’ai perdu un point à l’examen, car je ne savais pas arrondir au millième près.

74 Il fallait abandonner ce projet à cause de son coût élevé. C’est une expérimentation chimique.

75 Le miel attire les mouches.

76 Personne ne peut sauter plus haut que lui.

77 Les gestes pour aider Haïti sont innombrables.

78 La réutilisation du papier est un bon geste pour la planète.

79 Pour nous alléger la tâche, notre enseignante a écrit certains indices au tableau. J’aurais aimé avoir le talent de Céline.

80 Tu es trop bavard.

81 Je dois aller à la boulangerie. Quel désordre !

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : Élèves arabophones, Milieu défavorisé, Orthographe lexicale, Conscience morphologique, Français, Intervention

Date de mise en ligne : 01/03/2017.

https://doi.org/10.3917/nras.076.0045

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