1 Les Troubles du spectre autistique (TSA) se caractérisent par une déficience dans la communication sociale et des comportements répétitifs. Les TSA comportent quatre sous types : troubles autistiques, syndrome d’Asperger, trouble désintégratif de l’enfance et les Troubles envahissants du développement non spécifiés (TED-non spécifiés) (DSM-V, 2013). En effet, ce trouble rend la personne atteinte isolée de son contexte. Plus précisément, la personne autiste, contrairement à la personne normale, a besoin de tout apprendre : la signification des émotions, comment imiter, apprendre des mots de vocabulaire ensuite apprendre comment les utiliser dans différents contextes, etc. Normalement, l’enfant apprend dès sa naissance grâce aux contacts établis avec son environnement. Ceci dit, ce trouble présente une fonction particulière. C’est grâce aux témoignages de personnes autistes de haut niveau, entre autre Josef Schovanec, Daniel Tammet, Temple Grandin, que les chercheurs s’intéressent de plus en plus à « l’esprit autistique » en tant que « style cognitif », (Colton, 2004, p. 1)
2 L’article est structuré comme suit : d’abord, nous ferons le point sur la littérature relative à l’éducation informatisée pour l’autisme. Puis, nous présenterons notre contexte d’étude ainsi que la méthodologie de la recherche. Ensuite, nous montrerons les résultats de notre analyse quantitative pour une séance d’un élève autiste (Omar). Nous illustrerons par quelques exemples d’interaction triangulaire : élève autiste, enseignant et logiciel éducatif.
L’ordinateur face à certaines difficultés d’apprentissage des enfants autistes
3 Plusieurs recherches montrent que la personne autiste manifeste des difficultés d’ordre cognitif et relationnel et des besoins spécifiques d’apprentissage, entre autres :
- difficultés à entrer dans une relation interindividuelle (Green, 1990),
- difficulté à rassembler les différents morceaux d’informations dans un ensemble cohérent (Frith, 1989),
- difficulté à décoder des informations abstraites (Frith, 1989),
- besoin de stimulus externe (Goldsmith et al., 2004),
- besoin d’un environnement éducatif structuré et concret (Mesibov, Schopler, & Hearsey, 1994).
5 Des recherches ont montré que l’usage de l’ordinateur peut aider à dépasser certaines de ces difficultés. L’enfant autiste peut explorer sans risque et contrôler la machine (Dautenhahn, 2000 ; Panyan, 1984 ; Murray, 1997). Il peut, également, s’entraîner dans des situations similaires à des situations réelles (Sik Lanyi & Tilinger, 2004 ; Ben-Chaim et al., 2006) et développer des compétences langagières (Moor & Calvert, 2000 ; Tjus et al., 2003 ; Chen et al., 2009). L’usage de l’ordinateur peut stimuler l’interaction sociale (Hetzroni & Tannous, 2004 ; Grynszpan et al., 2007). La question des interactions sociales est le point que nous allons approfondir dans cet article, au niveau de l’interaction enfant-logiciel-enseignant : analyser le rôle joué par l’enseignant dans ce type d’interaction.
L’environnement informatique pour l’apprentissage de la langue
6 Une des caractéristiques connues chez les personnes autistes est leur « fascination pour les objets » (Lemay, 2010, p. 19). Vermeulen estime également que « la façon qu’ont les ordinateurs de traiter les informations montre d’étranges similitudes avec la pensée des personnes autistes » (Vermeulen, 2005, p. 2). C’est pourquoi, ces deux dernières décennies, les chercheurs dans tous les domaines, informatique, psychologique et éducation adaptée, sont à la recherche de solutions pour aider les personnes avec autisme, tout en employant la machine (ordinateur), en tirant profit de leur attirance pour ces systèmes.
7 En effet, les recherches fondées sur l’utilisation de l’ordinateur pour l’autisme testent un logiciel pour étudier son impact sur une de leurs fonctions déficitaires (langage, interactions sociales, etc.). En revanche, ces études ne donnent pas de critères clairs pour justifier les choix de tel ou tel logiciel. Ceci étant, « une bonne partie de la recherche sur les troubles d’apprentissage chez l’autiste est fondée sur les déficits » (Colton, 2004). Les recherches n’ont pas indiqué la prise en compte des besoins de l’utilisateur autiste avant la conception d’un logiciel. De plus, ces études restent muettes sur des critères qui faciliteraient le choix d’un logiciel éducatif pour les parents et les professionnels.
But de la recherche
8 Notre étude vise à décrire les différents modes d’interaction entre trois agents (enseignant/élève autiste/logiciel éducatif), ainsi qu’à caractériser le rôle de l’enseignant dans cette interaction. Pour ce faire, nous devons construire les éléments du cadre d’analyse. Nous pouvons nous baser sur plusieurs sources, comme l’interprétation par des experts de l’autisme ou la confrontation avec les enseignants, pour se rendre compte de leurs comportements et modifier par la suite nos observables et l’analyse de données, selon la théorie de l’action didactique. Les concepts de cette théorie sont apparus dans le domaine de la didactique des mathématiques, dans les travaux de Brousseau (1978), sur le contrat didactique et le milieu, dans son ouvrage Théorie des situations didactiques et, plus récemment, dans l’ouvrage de Sensevy et Mercier, Agir ensemble, en 2007. Il s’agit, au sein de cette théorie, de décrire les différentes interventions de l’enseignant qui maintiennent et orientent l’attention de l’élève autiste. Brousseau définit le contrat didactique en tant que système d’attente entre le professeur et l’élève (Brousseau, 1990, p. 33). L’élève doit donc être attentif aux signes produits par le professeur, afin d’élaborer sa stratégie gagnante par son proprio motu. En effet, le professeur tente de produire ces signes « consciemment ou non, de façon répétitive dans sa pratique de l’enseignement » (ibid., p. 33), en vue d’optimiser la production de certains comportements et d’en inhiber d’autres chez les élèves. En cela, on peut dire que le contrat didactique représente un « système de signes habituels » (Sensevy & Mercier, 2007, p. 30) entre le professeur et les élèves. Les acteurs principaux dans le contrat didactique selon Brousseau sont : le professeur et le(s) élève(s).
9 Par ailleurs, au sein de notre thèse, nous considérons que le contrat didactique se compose de trois agents principaux : l’enseignant, l’élève autiste et le logiciel éducatif.
10 La description relative à l’interaction didactique prend appui sur le quadruplet de genèse (Brousseau, 1998 ; Sensevy & Mercier, 2007), c’est-à-dire les quatre phases composant un jeu didactique ; ce sont :
- Définition : durant cette phase le professeur indique les « règles constitutives » (Sensevy et al., 2000, p. 268) qui optimisent la production de certains comportements chez les élèves. Grâce à ces règles, les élèves savent ce qu’ils doivent faire et construisent d’autres règles stratégiques en vue de gagner au jeu.
- Dévolution : Dans cette phase, les élèves « pensent d’une manière adéquate au jeu » (Sensevy & Mercier 2007, p : 29). L’explication de cette phase se trouve en se référant à Sensevy : « Les élèves doivent assumer de jouer d’une manière adéquate. » La dévolution est donc un processus à deux phases simultanées : l’élève suit attentivement ce que le professeur a produit, en tant que signe ou parole, afin qu’il (l’élève) agisse par son proprio motu.
- Régulation : Après que le professeur ait défini la règle du jeu, il laisse les élèves agir et les élèves produisent des actions durant le jeu. Quand ils n’exécutent pas la bonne action, le professeur est obligé de réaménager le milieu pour le rendre accessible aux élèves, afin qu’ils établissent leur stratégie gagnante. Ce processus, selon Sensevy et al., (2000) peut comprendre trois actions : désigner, indiquer et réaménager.
- Institutionnalisation : Dans cette phase, « le professeur assure les élèves que leur activité leur a permis de retrouver des savoirs légitimes hors de l’institution-classe » (Sensevy & Mercier, 2007, p. 29). Par ailleurs, cette phase n’est pas incluse dans notre description du jeu didactique, puisqu’elle concerne l’usage de connaissances acquises dans l’avenir, partout, à l’école et en dehors de la classe.
12 Parfois, l’élève n’arrive pas à lire « les intentions didactiques du professeur » (Brousseau & Warfield, 2001, p. 33). Le professeur tente d’engager de nouveau l’élève à jouer au jeu et, pour ce faire, il triche parfois. Ce qui donne les effets classiques du contrat didactique :
- effet Topaze : le professeur transforme complètement la tâche de départ,
- effet Jourdain : le professeur tente de s’appuyer sur la première réponse de l’élève, bien que celle-ci ne soit pas la bonne, afin d’avancer le temps didactique (Brousseau, 1998, p. 7).
14 Notre deuxième objectif est de décrire le nouveau rôle de l’enseignant en fonction des nouveaux paramètres de la classe. En effet, l’arrivée des Technologies de l’information et de la communication (TIC) dans une classe traditionnellement gérée par le professeur va changer sa place symbolique. Concrètement, sur un logiciel éducatif, les règles et les conditions du jeu didactique sont mises à la disposition de l’élève. A priori, l’élève peut découvrir ces règles présentes souvent de façon implicite, par exemple en procédant par essais-erreurs, sans avoir l’obligation de s’appuyer sur le professeur.
Contexte de l’étude
15 Notre recherche se base sur des observations directes, dans le contexte habituel des élèves autistes. Ceci a pour objectif de déterminer les actions à suivre chez chacun de nos agents (enseignant, élève autiste, logiciel éducatif) lors des séances d’apprentissage de la lecture et de l’écriture. D’ailleurs, le problème majeur dans la scolarisation de ces personnes est de capter et d’orienter leur attention vers l’objet d’apprentissage, faute d’attention conjointe (Gattegno et al., 1999). Pour aborder notre recherche, nous avons commencé par faire le point sur la littérature concernée. En effet, la méthodologie de recherche signalée dans cette dernière fait souvent référence aux méthodes expérimentales (Couchard et al., 1995) issues de recherches en psychologie ; Heimann et al., 1995 ; Moor & Clavert, 2000 ; Bosseler & Massaro, 2003 ; Chen et al., 2009.
16 Notre recherche concerne des élèves avec autisme et leurs enseignants, pendant des activités assistées par logiciel. Ils sont scolarisés dans deux lieux : à l’Institut médico-éducatif (IME) de Louis le Guillant (Villejuif), nous avons suivi un enfant en prise en charge individuelle. À l’école spécialisée de la fondation Vallée, située dans le centre hospitalier fondation Vallée de Gentilly, nous avons suivi sept enfants pris en charge collectivement, par groupe de trois. Et à la Clis de l’école élémentaire de la Plaine à Cachan, nous avons suivi deux enfants. L’âge des enfants va de huit à treize ans. Notre recherche étant exploratoire, nous nous plaçons en observateur extérieur d’une « pratique ordinaire » dans un contexte d’enseignement, ceci dans l’objectif d’identifier les caractéristiques d’un environnement numérique adapté pour les élèves autistes.
Méthodologie de la recherche
17 Nous avons fait le point sur la méthodologie de recherche issue des études dans le domaine de l’apprentissage informatisé pour l’autisme. En effet, les outils de recueil de données les plus répandue sont des vidéos et des entretiens. Tandis que les actions codées et analysées sont variées. Dans leur étude, Heimann et al. (1995) ont codé neuf minutes (début, milieu, fin de chaque vidéo). Ce codage concerne la fréquence de cinq catégories d’action : l’exécution d’une tâche, activité hors tâche, expression d’amusement, demande d’aide et expression verbale. Dans l’étude d’Hetzroni et Tannous (2004), le comportement codé est le nombre d’écholalies durant la séance informatique en comparaison avec ce même comportement des enfants dans la classe. Dans une autre recherche, à laquelle nous participons, c’est une grille de cotation, issue de la clinique et partagée par trois équipes différentes de cliniciens expérimentés en autisme (Etche Ogeli et al., 2011) qui permet d’étudier l’interaction enfant autiste- robot durant un jeu, selon un protocole expérimental. Le codage de vidéos prend en compte des séquences d’interaction. Nous voulons établir un protocole d’observation, homme-robot, qui repère les gestes de la communication homme-machine et comparer les résultats de l’interaction enseignant-ordinateur-élève avec ceux de l’interaction adulte-robot-enfant.
18 Par conséquent, l’analyse de données dans les études mentionnées consiste à compter et à analyser des actions prédéfinies. Ces recherches nous ont aidé à envisager l’ensemble des actions possibles lors d’une séance informatique et nous ont donné l’idée de commencer par récolter les gestes les plus répétés, sachant que notre étude n’impose pas de changement dans l’environnement informatique de l’élève autiste. Au contraire, nous suivons le rythme de l’enfant, tout en employant l’observation directe afin de prendre en compte les formes d’interaction entre enseignant-élève autiste-logiciel.
Outils de recueil de données
19 Nous avons utilisé deux outils de recueil de données, afin d’obtenir un maximum d’informations sur l’interaction auprès de l’élève autiste, l’enseignant et le logiciel, et de relever un certain nombre de gestes en temps réel : un logiciel du capture d’écran (Camtasia) et un stylo numérique avec une grille d’observation. Nous avons également utilisé le logiciel Excel, afin de transcrire tous les éléments et les opérations présents sur l’écran d’un exercice. Pour synchroniser les données provenant des outils de recueil de données et d’Excel nous avons choisi ELAN, un logiciel d’annotation libre. La figure ci-dessous représente tous les outils que nous avons employés afin d’obtenir un maximum d’informations sur l’interaction de nos trois agents. Nous avons importé l’enregistrement de l’écran tel qu’il est sur Elan. Sur ce dernier, nous avons synchronisé manuellement les informations provenant de l’interaction gestuelle notées par le stylo numérique avec sa grille et celles provenant du logiciel Excel.
Figure 1 : Outils de recueil et de transcription de données.
Figure 1 : Outils de recueil et de transcription de données.
Grille de transcription
20 Nous avons rassemblé les observables issus de plusieurs ressources, en commençant par ceux provenant de la littérature relative à l’apprentissage informatisé pour l’autisme et notre expérience au sein du projet RobAutisTIC. Puis, ont été intégrés ceux tirés de nos observations préalables lors de la construction de notre grille d’observation, enfin ceux apportés par l’analyse des logiciels éducatifs utilisés par les enseignants participants à notre étude. Par conséquent, nous avons réuni les observables choisis dans une grille de transcription, en vue d’appliquer sur tous nos enregistrements le logiciel d’annotation ELAN. Cette grille se compose de sept lignes, englobant plusieurs observables. Le tableau ci-dessous, présente les lignes des acteurs et leurs observables.
Tableau 1 : grille de transcription
Ligne générale | ED : exercice début. | |
EF : exercice fin. | ||
EA : exercice arrêté | ||
Opérations | OD : opération début. | |
OF : opération fin. | ||
OFA_D : opération fin automatiquement_début automatiquement. | ||
OFA : opération fin automatique. | ||
OB : opération binaire. | ||
OU : opération unaire. | ||
OT : opération tape. OT_entrée : opération tape_entrée. | ||
OA : opération arrêt | ||
OE : opération essai. OEU : opération essai unaire. OEB : opération essai binaire. OET : opération essai tape clavier. OET_effacer : opération essai tape_effacer. OET_espace : opération essai tape_espace. | ||
OHZ : opération hors zone | ||
OPEC : opération pointer une icône par le curseur. | ||
Élève (ELV) | LV : langage verbal | |
LNVO : langage vocal | ||
Autres | C : crier/ P : pleurer | |
Enseignant | MLV : langage verbal adressé à l’élève | |
Ligne gestes | MPE : enseignant pointe écran. MTS : enseignant tient souris. MOC : enseignant utilise outil concret. MGS : enseignant guide souris avec l’élève | |
ERM : élève regarde enseignant. EPE : élève pointe écran. EROC : élève regarde outil concret. ETS : élève tient souris. ELS : élève lâche souris | ||
Ligne logiciel | TE_BR : texte écrit, bonne réponse. TE_MR : texte écrit, mauvaise réponse. P : prononciation d’un mot ou d’un texte court. DI_SBR : disparition d’icône, sonorité bonne réponse. AI_SMR : apparition d’icône, sonorité mauvaise réponse. DIA : disparition d’icône apparition d’une autre icône. DI : disparition d’icône. AI : apparition d’icône. SMR : sonorité mauvaise réponse. LMR : effet lumineux mauvaise réponse. D2I : disparition de deux icônes. S : sonorité. | |
Tableau 1 : grille de transcription
21 En effet, grâce à notre grille, nous avons pu attribuer les mêmes codes pour tous nos enregistrements et faciliter, par la suite, le traitement de nos données. Nous avons pu, par conséquent, traiter nos données de deux façons : quantitative et qualitative, en vue de répondre à nos questions. Par ailleurs, à partir de ces actions nous avons pu constituer des indicateurs d’interaction entre agent-logiciel en termes d’interaction positive/négative. Nous considérons que l’agent effectue une interaction positive lorsqu’il réalise une (des) opération(s) attendue(s) par le logiciel (binaire ou unaire) sur la partie contenu de l’exercice. Dans le cas contraire, l’acteur effectue une (des) opération(s) non attendue par le logiciel, telle que : opération essai binaire/unaire, opération hors zone, opération arrêt, l’interaction prend alors un sens négatif : interaction négative.
Analyse des données
22 Le traitement des données, dans cet article, prend en compte l’analyse quantitative et qualitative de trois séances pour un seul élève : Omar. L’élève est autiste non verbal, avec un retard mental. Il est pris en charge individuellement pendant la séance informatique à l’IME Louis Le Guillant à Villejuif. Il travaille sur le logiciel ClicLire, ce dernier comporte des exercices multimédia conçus par son enseignante, Monique Moizan. L’élève a travaillé sur 83 exercices pendant trois séances réparties sur deux années scolaires 2009-2010 et 2010-2011 (voir tableau 2, ci-dessous).
Tableau 2 : informations sur les trois séances d’Omar
Séance | Première | Deuxième | Troisième |
Date | 23 octobre 2009 | 14 janvier 2011 | 11 mars 2011 |
Durée | 22 minutes 46 secondes | 20 minutes 9 secondes | 44 minutes 24 secondes |
Numéro d’exercice | 15 | 41 | 23 |
Tableau 2 : informations sur les trois séances d’Omar
23 Chez cet élève, nous avons remarqué quelques comportements stéréotypés, entre autres : se mettre sur le fauteuil de l’enseignante et tourner durant quinze minutes au début de quelques séances. L’élève an début de l’observation travaillait sur les mêmes exercices que ceux de l’année précédente, selon son enseignante. Elle voulait arrêter les séances d’apprentissage de la lecture et de l’écriture avec lui, car elle avait l’impression qu’Omar n’avançait plus. En revanche, avec mon arrivée dans la classe, en tant qu’observatrice, Omar commence à faire plus d’efforts, en essayant de travailler sur de nouveaux exercices, selon son enseignante.
24 Pour achever notre analyse quantitative, nous allons prendre en considération trois séances pour cet élève. Quant à l’analyse qualitative, nous allons nous appuyer sur quelques plages d’interaction pour une séance. Ceci a pour but d’illustrer la façon dont l’enseignante intervient avec l’élève.
Analyse quantitative
25 L’analyse quantitative consiste à calculer les observables dominants de notre grille de transcription. Dans cette grille, nous allons centrer notre traitement sur les observables suivants : gestes de l’élève, gestes de l’enseignant, interactions verbales de l’élève, interactions verbales de l’enseignant et opérations. Ces derniers seront représentés selon le niveau de complexité des exercices. Ceci est un classement d’exercices multimédias selon leurs modes iconiques (texte, image ou son). Partant de cette logique de classement, nous avons regroupé les exercices en cinq catégories, du moins complexe vers le plus complexe : Image-Image, Image-Texte, Texte-Texte, Son-Image et Son-Texte) (Etche Ogeli, 2015). L’objectif est de décrire la forme d’interaction dominante lors de l’interaction triangulaire, gestuelle ou verbale, en rapport avec le niveau de complexité de l’exercice en cours. Plus précisément, nous imaginons que l’enseignant intervient plus souvent lorsque le niveau de complexité de l’exercice est élevé.
26 Pour représenter tous les actions notées dans notre grille de transcription, nous avons sélectionné deux exercices par catégorie (Image-Image, Image-Texte, Texte- Texte, Son-Image et Son-Texte), en raison du nombre élevé d’exercices effectués sur ce logiciel, soit 83 exercices. Le choix des exercices est fait aux extrêmes du niveau de complexité (le moins et le plus) dans chacune de nos catégories. Dans la figure, nous avons classé les catégories en ordre croissant de complexité ainsi que les exercices.
Figure 2 : Omar, résultats regroupant tous les observables
Figure 2 : Omar, résultats regroupant tous les observables
27 Au sujet de l’interaction élève-logiciel, dans la figure ci-dessus, nous constatons que plus le niveau de complexité des exercices est élevé moins l’élève effectue d’opérations négatives (comme opérations essais). D’ailleurs l’élève n’a effectué aucune opération hors zone, ni d’opération fin. Quant à l’intervention verbale de l’enseignante, celle-ci est plus élevée lors de l’exercice le moins complexe dans la catégorie I-I (50 fois) ainsi que sur l’exercice le plus complexe dans la catégorie S-T (33 fois). L’enseignante est entrée une fois en interaction avec le logiciel. Le mode d’interaction dominant, chez l’enseignante, sur les 10 exercices comparés, est verbal, soit 124 fois contre 26 gestes. Chez l’élève, le mode d’interaction dominant est verbal, soit 37 fois contre 19 gestes. En effet, demandant à l’enseignante son avis sur le nombre d’opérations négatives effectuées par Omar sur les exercices les plus complexes, elle l’explique par le fait que l’élève Omar avait des facilités pour retenir le mot entendu avant de l’écrire (EPO, 28-4-2011). Ce changement est survenu au fil du temps, car Omar avait du mal à résoudre ce type d’exercice au début de l’observation (constat confirmé par son enseignante).
Analyse qualitative d’interaction entre trois agents
28 Dans cette section, nous allons présenter une plage d’interaction entre l’enseignante, l’élève et le logiciel pour chacune des trois séances analysées.
Première séance : interaction implicite
29 L’exercice en cours est nommé : En automne on ramasse. Ce dernier appartient à la catégorie son-image (voir la figure ci-dessous).
Figure 3 : exercice En automne on ramasse
Figure 3 : exercice En automne on ramasse
30 Omar accédait à l’exercice : En automne on ramasse, l’enseignante a commencé par lui demander le nom de chaque image, « après les vacances j’apporterai des châtaignes, des glands, tu écoutes, tu connais tout ça ? Attends, on va le dire avant ! », sous-entendu : Omar ne clique pas, tu dois nommer les images d’abord. L’élève arrêtait de déplacer le curseur. Ensuite l’enseignante pointait l’écran en demandant à Omar de nommer l’image « qu’est ce que c’est ça ? » L’élève a répondu à voix basse, l’enseignante lui a redemandé de répéter, « dis le bien », « plus fort, un cham… », l’élève a continué « pignon ». L’enseignante a confirmé la réponse, « un champignon oui, et ça ? », en pointant l’écran. Nous constatons qu’avec les énoncés, l’enseignante a abouti à :
- définir la règle de l’exercice : il faut écouter la verbalisation d’un mot puis le trouver dans l’image correspondante,
- changer la nature de la tâche ; demander de nommer les images à l’élève,
- faire « tricher » l’élève pour avancer dans le jeu.
32 D’ailleurs, nous remarquons la domination du système d’attente de l’enseignante par rapport au logiciel ; le logiciel attend que l’élève relie la verbalisation d’un mot avec son image, quant à l’enseignante, elle attend que l’élève reconnaisse d’abord les images, ensuite les mette en relation en verbalisant un mot avec son image.
Deuxième séance : Indiquer la bonne réponse
33 L’élève travaille sur l’exercice écouter puis écrire le couplet verbalisé. Ce dernier appartient à la catégorie Son-texte (voir la figure ci-dessous). L’enseignante est intervenue 34 fois verbalement.
Figure 4 : exercice écouter puis écrire le couplet verbalisé
Figure 4 : exercice écouter puis écrire le couplet verbalisé
34 Nous remarquons depuis l’extrait ci-dessous que l’enseignante a essayé d’aider Omar à trouver la bonne réponse. Omar effectuait deux opérations essais unaires, avant de pouvoir trouver les lettres correspondantes au couplet (na). Visiblement Omar a pu trouver la bonne réponse car l’enseignante a fini par lui dicter les lettres.
Tableau 3 : Omar, extrait de l’interaction sur l’exercice écouter puis écrire le couplet verbalisé
Tps | Opération | ELV | MLV |
00:39:22.951 | vas y N na | ||
00:39:24.809 | LV : na | ||
00:39:26.230 | OEU_N | ||
00:39:27.699 | avec le son Naaa | ||
00:39:28.028 | OEU_I | ||
00:39:30.328 | LV:NAA | ||
00:39:32.913 | j’entends le ? | ||
00:39:37.666 | alors c’est le N avec le A | ||
00:39:38.349 | OU_N | ||
00:39:39.902 | OU_A |
Tableau 3 : Omar, extrait de l’interaction sur l’exercice écouter puis écrire le couplet verbalisé
Troisième séance : Indiquer la bonne réponse
35 L’exercice en cours appartient à la catégorie Texte-Texte. L’élève doit donc relier chaque phrase à son personnage.
Figure 5 : exercice Relier un personnage à une phrase
Figure 5 : exercice Relier un personnage à une phrase
Tableau 4 : Omar, extrait de l’interaction sur l’exercice Relier un personnage à une phrase
Tps départ | Opération | ELV | MLV | Logiciel |
00:32:04.460 | il monte+dans l’arbre | |||
00:32:06.933 | LV: dans l’arbre | |||
00:32:08.253 | qui est ce qui monte dans l’arbre? | |||
00:32:13.210 | qui+monte dans l’arbre | |||
00:32:13.210 | OEB | |||
00:32:16.430 | SMR | |||
00:32:16.670 | l’âne ne monte pas dans l’arbre | |||
00:32:17.830 | OEB | |||
00:32:18.810 | qui est-ce qui grimpe dans l’arbre ? monte ? | |||
00:32:23.610 | c’est un garçon | |||
00:32:24.710 | LV: garçon | |||
00:32:27.970 | qui est un garçon? le canard n’est pas un garçon | |||
00:32:29.580 | OEB | |||
00:32:31.003 | Nolo n’est pas un garçon, c’est un chien | |||
00:32:33.630 | l’âne n’est pas un garçon ne plus, qui est un garçon? toi tu es un garçon | |||
00:32:36.991 | et qui encore? | |||
00:32:38.102 | OB | |||
00:32:39.050 | DI | |||
00:32:39.310 | Léni est un garçon voila |
Tableau 4 : Omar, extrait de l’interaction sur l’exercice Relier un personnage à une phrase
36 Omar était en train de résoudre l’exercice Relier un personnage à une phrase. Il était arrivé à la quatrième phrase (il monte dans l’arbre), lorsque l’enseignante est intervenue en lisant la phrase « il monte dans l’arbre », « qui est ce qui monte dans l’arbre ? », « qui monte dans l’arbre ? » L’élève répétait « dans l’arbre », en effectuant une opération essai sur le personnage (l’âne). L’enseignante a expliqué à Omar que sa réponse n’était pas correcte, « l’âne ne monte pas dans l’arbre ». L’élève tentait, alors, à nouveau un autre personnage (le canard). L’enseignante reposait la question « qui ce qui grimpe dans l’arbre ? Monte ? », « C’est un garçon ». Après plusieurs énoncés, l’élève a relié la phrase (il monte dans l’arbre) avec le bon personnage (Léni). Par ailleurs, elle a essayé de réguler les opérations de l’élève en changeant la nature de la tâche à plusieurs reprises ; « qui est-ce qui grimpe dans l’arbre ? Monte ? », « C’est un garçon », « Qui est un garçon ? Le canard n’est pas un garçon. » Par conséquent, les interactions de l’enseignante analysées dans cet article montrent qu’elle vise à rendre l’activité cognitive possible ou à la maintenir. D’ailleurs, l’utilisation de différents modes d’interaction (verbal ou gestuel) n’a pas gêné l’élève autiste, un constat effectué depuis l’exécution des instructions de l’enseignante de la part de l’élève sur le logiciel éducatif. Ces plages d’interaction montrent que la présence d’un logiciel éducatif a soutenu considérablement l’attention conjointe chez cet élève : un des problèmes majeurs dans l’enseignement de ces élèves autistes.
37 Par conséquent, nous avons remarqué que, malgré un nombre élevé d’éléments présents sur l’écran d’un exercice, les élèves autistes, qui sont des « penseurs en image », effectuent des opérations attendues par le logiciel. D’ailleurs, le niveau de complexité des exercices sur lesquels ces élèves ont travaillé montre qu’ils sont effectivement capables d’être penseurs en image. Cependant, ils peuvent avancer au fil du temps pour travailler sur des exercices plus complexes, tels que : son-son. Toutefois, le logiciel en cours d’utilisation joue un rôle important lors de ce changement.
Conclusion
38 Nous avons souhaité, par ce travail, compléter les différentes recherches effectuées sur l’utilisation d’un logiciel éducatif dans le cadre du syndrome des troubles de l’autisme, en proposant une démarche exploratoire en milieu scolaire incluant la triade enfant-logiciel-enseignant, rarement explorée dans les études recensées. Nous espérons, d’une part, avoir apporté des innovations sur le plan méthodologique au niveau de la recherche en sciences de l’éducation, en utilisant plusieurs outils de recueil de données et en les synchronisant. D’autre part, nous espérons avoir contribué à décrire finement les comportements socio-communicatifs chez l’élève autiste dans les situations d’apprentissage assisté par un logiciel. Les résultats de nos recherches confirment l’idée que tout enfant avec autisme est porteur d’un potentiel de communication, qu’il s’agit de reconnaître le plus tôt possible, pour désamorcer les difficultés d’apprentissage et d’enseignement que ces élèves et leurs enseignants rencontrent. D’ailleurs, nos données ont mis en évidence certaines caractéristiques chez les élèves autistes : l’attention conjointe, la pensée en image et la pensée en détail. En effet, nous avons constaté que les élèves autistes comprennent les messages implicites de leurs enseignants et du logiciel en cours. Ils arrivent également à focaliser leur attention sur le contenu de l’exercice en éliminant les autres détails présents à l’écran. D’ailleurs, pour le cas de l’élève Omar, nous avons remarqué une évolution relative de sa mémoire dite visuelle. Au début de nos observations en 2009, l’élève travaille, exclusivement, sur des exercices de type image-image ou image-texte. Deux ans plus tard, en 2011, l’élève commence à travailler sur des exercices de type image-son et son-texte qui nécessitent une mémoire auditive. Ceci peut être expliqué par la stratégie de son enseignante ainsi que le logiciel utilisé (ClicLire).
Bibliographie
Références
- American Psychiatric Association. (2013). Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM-5®). American Psychiatric Pub.
- Ben-Chaim, H. M., Josman, N., Friedrich, S., & Weiss, P. L. (2006). Virtual reality for teaching street crossing skills to children with autism. In Proceedings of the 11th Annual Cyber Therapy Conference, 12-15 juin, Gatineau, Guébec, Canada.
- Bosseler, A., & Massaro, D. W. (2003). Development and evaluation of a computer- animated tutor for vocabulary and language learning in children with autism. Journal of autism and developmental disorders, 33 (6), 653-672.
- Brousseau, G., & Warfield, V. (1981). Le cas Gaël. Université de Bordeaux I, Irem.
- Brousseau, G. (1998). Théorie des situations didactiques. Grenoble : La Pensée Sauvage.
- Brousseau, G. (1990). Le contrat didactique : le milieu. Recherches en didactique des mathématiques, 9 (9.3) : 309–336.
- Chen, M. C., Wu, T.F., Lin, Y.L., Tasi, Y.H., & Chen, H.C. (2009). The effect of different representations on reading digital text for students with cognitive disabilities. British Journal of Educational Technology, 40(4), 764-770.
- Couchard, F., Matalon, B., Huguet, M., Lambotte, M. C. (1995). La psychologie et ses méthodes. Le Livre de Poche.
- Colton, P. (2004). Enseigner aux enfants autistes – c’est plus facile quand on comprend leurs modes d’apprentissage. Bulletin CAIRN. 1(3). Visible sur le site : http://www.cairn-site.com/fr/cr/nl_10.04.html
- Dautenhahn, K. (2000). Design Issues on Interactive Environments for Children with Autism. In Proceedings of the 3rd International Conference on Disability, Virtual Reality and Associated Technologies ICDVRAT 2000, Alghero, Sardaigne, Italie, 23-25 septembre 2000, p. 153-161.
- Etche Ogeli, R., Pradel, G. & Malen, J.-P. (2011). Contribution to the study of assisted interactions between an autistic child and a therapist by the way of a mobile robot in a play situation. AAATE 2011, 29, 497-507.
- Etche Ogeli, R. (2015). Utilisation des TIC par des élèves autistes dans un cadre éducatif. Mise en place d’indicateurs et observation suivie instrumentée avec un stylo numérique. Cachan : ENS Cachan. 254 p.
- Frith, U. (1989). Autism Explaining the Enigma. Oxford : Basic Blackwell.
- Gattegno, M.-P., Adrien, J.-L., Blanc, R., & Ionescu, S. (1999). Apports théoriques de l’attention conjointe et de la theorie de l’esprit dans l’autisme. Devenir, 11(4), 81-106.
- Goldsmith, R. LeBlanc, A. (2004). Use of Technology in Interventions for Children with Autism. JEIBI. Volume 1, Issue Number 2.
- Green, S. J. (1990). A study of the application of microcomputers to aid language development in children with autism and related communication problems. PhD thesis, Sunderland Polytechnic. Visible sur l’adresse : http://ethos.bl.uk/OrderDetails.do?uin=uk.bl.ethos.232892
- Grynszpan, O., Martin, J.-C., & Nadel, J. (2007). Exploring the influence of task assignment and output modalities on computerized training for autism. Interaction Studies, 8 (2), 241-266.
- Heimann, M., Nelson, K. E., Tjus, T., & Gillberg, C. (1995). Increasing reading and communication skills in children with autism through an interactive multimedia computer program. Journal of autism and developmental disorders, 25(5), 459-480.
- Hetzroni, O. E & Tannous, J. (2004). Effects of a computer-based intervention program on the communicative functions of children with autism. Journal of Autism and Developmental Disorders, 34(2), 95-113.
- Lemay, M. (2010). Réflexions sur le concept de troubles envahissants du développement. TED sans frontières, 2(1). 19-23. Disponible depuis le site : http://www.autisme.qc.ca/assets/files/recherche/Revue-TED-decembre-2010.pdf
- Mesibov, G. B., Schopler, E., & Hearsey, K. A. (1994). Structured teaching. In E. Schopler & G. B. Mesibov (Eds.), Behavioral issues in autism (p. 193-205). New York: Plenum.
- Moore, M. & Calvert, S. (2000). Brief report: Vocabulary acquisition for children with autism: Teacher or computer instruction. Journal of autism and developmental disorders, 30(4), 359-362.
- Moore, M., & Calvert, S. (2000). Brief Report: Vocabulary Acquisition for Children with Autism: Teacher or Computer Instruction. Journal of Autism and Developmental Disorders,30 (4), 359-362.
- Murray, D.K.C. (1997). Autism and information technology: therapy with computers. In Autism and Learning, a guide to good practice (p. 100-117). David Fulton Publishers, London, UK.
- Sik Lányi, C., & Tilinger, Á. (2004). Multimedia and virtual reality in the rehabilitation of autistic children. Lecture Notes in Computer Science, 3118, 22-28.
- Tjus, T., Heimann, M., Lundälv, M. (2003). Multimedia Enhancement of Language and Reading Skills. In Proceedings of International Congress Autism-Europe, Lisbone, 14-16 novembre, Lisbone, APPDA (p. 278-280).
- Panyan, M. (1984). Computer technology for autistic students. Journal of Autism and Developmental Disorders, 4, 375-382.
- Sensevy, G., Mercier, A., Schubauer-Leoni, M.-L. (2000). Vers un modèle de l’action didactique du professeur à propos de la course à 20. Recherches en didactiques des mathématiques, 263-304.
- Sensevy, G., & Mercier, A. (2007). Agir ensemble. L’action conjointe du professeur et des élèves dans le système didactique. Rennes : PUR.
- Vermeulen, P. (2005). Comment pense une personne autiste ? Éd. Dunod.