1 Le projet Vis ma vue© (2013-2014) développé à l’initiative de Streetlab (filiale de l’Institut de la Vision), piloté avec le réseau Canopé et soutenu par le ministère de l’Éducation nationale et la MGEN a pour objectif de développer un jeu sérieux à destination des élèves de cycle 3 (niveaux allant du CE2 à la 6e) pour les sensibiliser au handicap visuel.
2 Suite à la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, nous avons assisté à une augmentation très importante de la scolarisation d’enfants handicapés en milieu ordinaire. En effet, plus de 55 000 élèves (d’après le ministère de l’Éducation nationale, 2012) reconnus handicapés ont été intégrés soit collectivement dans les dispositifs adaptés des Clis (Classes pour l’inclusion scolaire) dans le premier degré et Ulis (Unités localisées pour l’inclusion scolaire, anciennement UPI) dans le second degré, soit individuellement. Ainsi, des outils ou projets de recherche à destination des enfants handicapés (e.g. EyeSchool pour faciliter la prise de notes pour les élèves présentant des déficiences visuelles et auditives et des troubles dys (Popescu, Guillot, Vlad et Muratet, 2014)) commencent à être conçus et proposés en classe, même si c’est souvent au stade expérimental. Également, des organismes dispensent de plus en plus de séances de sensibilisation dans les écoles qui accueillent des enfants déficients visuels en milieu ordinaire. Cependant, à notre connaissance et suite à une analyse bibliographique, il n’existe à ce jour aucun jeu de sensibilisation à la déficience visuelle destiné aux enfants bien voyants dans le domaine de l’éducation. C’est ainsi que nous avons trouvé pertinent de concevoir un jeu sérieux développé à la fois sur ordinateur et tablettes.
3 Dans le but d’aboutir à une version finalisée du jeu Vis Ma Vue© pour la rentrée scolaire de 2014-2015 et surtout la plus adaptée possible aux élèves de cycle 3, nous avons souhaité intégrer à sa conception des phases d’évaluation. Deux cycles itératifs d’évaluation ont ainsi été menés par Streetlab directement au sein de plusieurs écoles et auprès de 132 élèves. Ces évaluations avaient pour objectif d’obtenir les retours des élèves et vérifier leur acceptation du jeu, l’ergonomie, la jouabilité (stratégies, comportements, etc.) et leur compréhension des messages véhiculés sur la déficience visuelle, dans le but d’intégrer leurs recommandations à la conception générale du jeu faite en parallèle par des ingénieurs, ergonomes, spécialistes en accessibilité, graphistes, opticienne-optométriste, enseignants et enseignant chercheur spécialisé dans le handicap visuel. Tout au long de la conception, le réseau Canopé était en charge de valider le jeu sérieux auprès d’enseignants en organisant des focus group avec ces derniers.
4 À travers cet article, nous proposons de présenter et d’expliciter notre démarche de conception et d’évaluation du jeu sérieux Vis ma vue© auprès des élèves.
Les jeux sérieux comme outils éducatifs
5 Afin de faire face aux inégalités sociales, territoriales et numériques, développer des pratiques pédagogiques diversifiées, renforcer le plaisir d’apprendre et d’aller à l’École, permettre aux élèves de s’insérer dans la société en tant que citoyens et dans la vie professionnelle et favoriser l’implication des parents dans la scolarité de leurs enfants, le ministère de l’Éducation nationale a pour stratégie de « Faire rentrer l’École dans l’ère du numérique ».
6 Ainsi une offre de services pour mieux enseigner et pour mieux apprendre a été mise en place (figure 1).
Figure 1 : Les services proposés par le ministère de l’Éducation nationale pour l’école du numérique
Figure 1 : Les services proposés par le ministère de l’Éducation nationale pour l’école du numérique
7La médiation des savoirs par l’usage de documents numériques au sens large tient une place privilégiée dans la manière d’apprendre. Les outils numériques familiers des élèves deviennent des instruments d’apprentissage.
8 On définit un jeu sérieux (de l’anglais serious game : serious = « sérieux » et game = « jeu ») comme un logiciel qui combine une intention sérieuse, de type pédagogique, informative, communicationnelle, marketing, idéologique ou d’entraînement avec des ressorts ludiques sous la forme d’une scénarisation. Mandin (2010) souligne le fait que les jeux sérieux favorisent l’apprentissage et rendent « l’apprenant-joueur plus réceptif, concentré et engagé dans l’activité ».
9 Dans le cadre du présent projet Vis ma vue©, nous entendons le jeu sérieux au sens large. Il nous a semblé important de prendre en compte les aspects ludiques et attractifs, tout en étant en adéquation avec les programmes de l’Éducation nationale, mais aussi en permettant à l’enseignant d’intervenir sur le contenu même du jeu. Ainsi, dans le cadre de l’éducation aux sciences, il fut fondamental que notre projet s’appuie sur la démarche d’investigation scientifique qui fait partie des apprentissages fondamentaux. De nombreuses initiatives pédagogiques telles que « la main à la pâte » (Charpak, 1996) ont été menées avec succès et l’on peut imaginer que les Tice (Technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement) permettraient d’élargir cette démarche pédagogique dont le maître mot est de fournir à l’élève un environnement de travail suffisamment riche, motivant et bienveillant, pour permettre d’engager les élèves, aussi divers soient-ils, dans une démarche d’investigation scientifique vouée à la connaissance du monde.
10 De nos jours, les jeux sérieux sont de plus en plus prisés car ils cumulent trois avantages (Frot, 2012) : l’efficacité permettant de renforcer l’immersion dans l’application et facilitant l’implication de l’utilisateur ; la rentabilité, car son coût reste le même quel que soit le nombre d’individus l’utilisant ; et l’attrait des technologies des jeux vidéo permettant une prise en main rapide et agréable, des graphismes et animations attrayants pour renforcer l’utilisabilité de ces solutions.
Les objectifs du jeu sérieux Vis ma vue©
11 Les objectifs du jeu sérieux Vis ma vue© sont multiples et sont à destination à la fois des élèves, mais également de leurs enseignants.
12 Pour les élèves de cycle 3, notamment, il s’agit de :
- Capter l’attention des apprenants par le jeu, en leur faisant expérimenter pour comprendre ;
- Offrir une expérience ludique, interactive, immersive et éducative, dans le cadre d’une initiation de sensibilisation au handicap visuel encadrée par l’enseignant ;
- Développer l’empathie des enfants ;
- Montrer de réelles situations d’apprentissage et les bonnes pratiques à adopter vis-à-vis de camarades déficients visuels ;
- Faire tomber les préjugés pour faciliter l’intégration des élèves déficients visuels ;
- Susciter la curiosité des élèves et les amener à réfléchir sur les enjeux de la déficience visuelle ;
- Valider la compréhension des déficiences visuelles et de ses conséquences au travers de quizz et d’exercices.
14 Pour les enseignants, il s’agit de :
- Répondre à la méconnaissance des enseignants sur le sujet du handicap visuel, en les familiarisant avec le sujet et en leur donnant des bonnes pratiques pour assurer la scolarisation d’un élève déficient visuel (adaptations, méthodes, bons comportements, etc.) ;
- Mener une réflexion avec sa propre classe pour, éventuellement, expliquer les adaptations qui ont été faites dans la classe pour l’accueil d’un élève déficient visuel ;
- Faire l’objet d’échanges pédagogiques avec les élèves sur le thème du vivre ensemble (valeurs et normes de comportement, création du lien social, respect des différences).
Format de l’outil pédagogique Vis ma vue©
16 Le jeu sérieux Vis ma vue© a été conçu pour fonctionner sur ordinateur PC ou Mac et, avec l’avènement des tablettes tactiles, nous avons décidé de rendre le jeu également exécutable sur iPad et tablettes fonctionnant sous Android et Windows RT. Pour faciliter l’immersion des joueurs, celui-ci a été totalement sonorisé au niveau des pages de menus et pendant les moments de jeu. En plus de bruits d’ambiance (enfants qui parlent et qui se déplacent, mouvements de chaises, etc.), l’ensemble des consignes a été vocalisé.
17 L’outil pédagogique Vis ma vue© se présente sous la forme d’un jeu sérieux, format le plus adapté, puisqu’il repose sur des bases pédagogiques solides et des ressorts ludiques maintenant la motivation et l’intérêt du joueur. Les jeux sérieux reposent sur la combinaison d’un mécanisme pédagogique et d’un mécanisme ludique.
Dimension pédagogique
18 La conception ludique du jeu est mise au service des objectifs pédagogiques visés. Elle est guidée par le souci de véhiculer des messages clairs amenant les élèves à : appréhender la réalité de la malvoyance et les différents types d’atteintes visuelles ; comprendre les problématiques rencontrées par les enfants malvoyants dans leur quotidien scolaire ou dans un environnement proche ; et découvrir les outils et les stratégies développées pour réaliser les tâches quotidiennes.
Dimension ludique
19 Le projet s’est attaché à structurer une démarche ludique permettant d’atteindre l’objectif didactique et pédagogique sous-jacent. La démarche ludique choisie est celle d’un RPG (Role Playing Game) soit « Jeu de rôle » en français. Le jeu de rôle est un jeu où le joueur incarne un personnage qui évolue dans un environnement virtuel. Cette approche est couplée avec une démarche de type Point and clic qui se traduit littéralement par « Pointer et cliquer » : il s’agit d’une catégorie de jeu, souvent rapprochée des jeux d’enquête ou d’aventure, où l’utilisateur doit effectuer l’action de déplacer son curseur à un endroit puis de valider afin de découvrir des indices et de dialoguer avec des personnages.
Scénario
20 Suite à une analyse de besoins réalisée en amont de la conception, nous avons identifié les différentes situations à simuler et les espaces à représenter. Le jeu Vis ma vue© propose ainsi des activités dans trois lieux représentatifs d’une école : la salle de classe, la cour de récréation et la cantine (figure 2).
Figure 2 : Page d’accueil du jeu « Vis ma vue© » présentant les trois espaces de jeu
Figure 2 : Page d’accueil du jeu « Vis ma vue© » présentant les trois espaces de jeu
21Au sein de ces trois espaces, les joueurs ont la possibilité de découvrir huit missions différentes qui les plongent dans les yeux d’enfants malvoyants. Deux personnages aux profils différents, Mila et Mathis, ont été imaginés.
22 Mila, est atteinte d’une pathologie affectant sa vision centrale (figure 3). Elle voit flou et un scotome central masque le centre de sa vision. Au quotidien, ce type de déficit entraîne des difficultés pour lire, écrire et pour reconnaître des visages. Parfois cela engendre une sensibilité accrue à la lumière, amenant des éblouissements fréquents.
Figure 3 : La vision du personnage Mila avec une atteinte centrale
Figure 3 : La vision du personnage Mila avec une atteinte centrale
23Mathis, quant à lui, a un champ de vision réduit. C’est sa vision périphérique qui est atteinte (figure 4). Ses difficultés interviennent essentiellement lors de ses déplacements pour, notamment, repérer et identifier les éventuels obstacles sur son chemin. Les variations lumineuses, c’est-à-dire le passage d’un espace sombre à un lieu très lumineux et inversement, lui impose aussi un long temps d’accommodation.
Figure 4 : La vision du personnage Mathis avec une atteinte périphérique
Figure 4 : La vision du personnage Mathis avec une atteinte périphérique
24Ces deux déficits assez opposés ont été choisis car ils sont représentatifs des déficits pouvant toucher les enfants malvoyants. L’idée était également de pouvoir simuler des difficultés variées dans le quotidien d’élèves malvoyants à l’école. Les huit missions proposées amènent donc les joueurs à effectuer des tâches potentiellement difficiles à réaliser au quotidien dès lors qu’on est malvoyant : lire au tableau, reproduire un schéma, naviguer sur internet, se déplacer dans une classe ou en extérieur de nuit, jouer au ballon avec ses camarades, reconnaître ses camarades ou encore différencier les plats à la cantine.
25 En introduction du jeu sérieux, plusieurs écrans étaient destinés à présenter le jeu, sa structure, ses objectifs ainsi que les deux personnages principaux que devront incarner les joueurs.
26 Une mascotte accompagne l’élève tout au long du jeu pour lui donner les consignes à suivre et les objectifs des missions.
27 Chaque mission se termine par un quiz composé de trois questions où une seule réponse est correcte.
28 Un score est attribué sous forme d’étoile (or, argent et bronze) à la fin de chaque jeu et quiz.
29 Un livret pédagogique a été conçu à destination des enseignants et des élèves en complément du jeu sérieux. Les enseignants peuvent y trouver des renseignements supplémentaires sur le contenu pédagogique, à savoir sur la déficience visuelle (définitions, explications des pathologies, des adaptations, etc.). Pour les élèves, quant à eux, on leur rappelle les principes du jeu, les personnages et les difficultés des enfants malvoyants à l’école.
Démarche méthodologique : la conception centrée utilisateur, intégrant les jeunes élèves
30 La conception du jeu Vis ma vue©, qui a duré environ un an, a été segmentée en plusieurs étapes qui seront détaillées ultérieurement dans le présent article. Comme rapidement évoqué précédemment, nous avons tout d’abord commencé par réaliser une analyse des besoins qui a permis de définir l’environnement du jeu et de choisir les missions qui allaient être développées pour le jeu. Des story board ont alors vu le jour et ont pu déboucher sur des premiers travaux de maquettage. Plusieurs prototypes plus ou moins fonctionnels du jeu ont été proposés. Ces derniers ont été testés en interne par des ingénieurs, des ergonomes et des spécialistes en accessibilité. Ils ont été alimentés et ont été améliorés de façon successive suite à nos retours. Après plusieurs mois de travail, une version assez avancée comprenant deux missions sur huit a été conçue. Nous avons alors commencé par intégrer les futurs utilisateurs, c’est-à-dire les élèves de cycle 3. C’est ainsi que nous avons procédé à une première évaluation en situation avec 61 élèves dans deux écoles élémentaires parisiennes. Ces évaluations ont permis de valider l’ergonomie générale, la jouabilité, ainsi que la pertinence et la compréhension des messages véhiculés sur la malvoyance. Les résultats très riches qui ont découlé de ces tests ont permis de recentrer la conception, afin que le jeu réponde davantage aux besoins et attentes des enfants. De nouvelles maquettes du jeu avec cette fois-ci un nombre supplémentaire de missions ont été conçues et améliorées. Deux mois après la première évaluation avec des enfants, nous avons alors souhaité revalider la conception en situation, en procédant à une deuxième série de tests avec des élèves. C’est ainsi que 71 élèves ont pu jouer à six missions du jeu Vis ma vue©. Les retours, toujours très intéressants, nous ont permis de proposer une version finale du jeu. La figure 5 récapitule la démarche employée.
Figure 5 : Démarche d’évaluation du projet
Figure 5 : Démarche d’évaluation du projet
Analyse des besoins auprès de personnes déficientes visuelles, d’enfants et d’enseignants
31 Étant donné que très peu de données existaient sur le sujet, le projet a débuté par une analyse des besoins auprès de trois types d’acteurs : des enfants bien voyants âgés de 6 à 11 ans, dans l’objectif de mieux comprendre leurs connaissances quant au handicap visuel ; des adultes déficients visuels, afin de comprendre leurs éventuelles difficultés rencontrées à l’école lorsqu’ils étaient élèves ; et des enseignants ayant eu dans leur classe des élèves déficients visuels.
32 Les entretiens avec les enfants bien voyants nous ont permis de les interroger sur ce qu’ils connaissaient de la déficience visuelle. Plusieurs questions leurs étaient posées et nous ont permis de savoir s’ils avaient des connaissances, par exemple sur la distinction entre une personne non voyante et une personne malvoyante, la vision des personnes malvoyantes, l’utilité des lunettes portées par les personnes déficientes visuelles, l’existence éventuelle d’outils pour les aider, comment les personnes déficientes visuelles font pour lire et écrire et, enfin, quelles pourraient être les éventuelles difficultés à l’école de camarades déficients visuels. Grâce à ces entretiens, nous avons pu faire un état du niveau de connaissances des enfants sur la déficience visuelle. Les résultats qui en ont découlé nous ont permis d’orienter les messages dédiés aux enfants et à faire véhiculer sur la malvoyance dans le jeu. Les entretiens avec les personnes déficientes visuelles nous ont permis, quant à eux, de mieux cibler les éventuelles difficultés rencontrées lors de leur scolarité. Pour que les enfants bien voyants soient les mieux sensibilisés, le jeu doit proposer des activités représentatives de la réalité et facilement simulables par le jeu sérieux. Les entretiens avec les enseignants nous ont permis de compléter ces précédentes données.
Les évaluations d’experts
33 Tout au long de la conception, des ingénieurs, ergonomes, spécialistes en accessibilité, graphistes, opticienne-optométriste, enseignants et enseignant chercheur spécialisé dans le handicap visuel ont rédigé puis validé les story board des missions pour ensuite commencer les développements. Des maquettes fonctionnelles ont alors été élaborées et ont été testées par ces mêmes personnes. Après un niveau de satisfaction suffisant du développement, c’était au tour des élèves de tester le jeu sérieux directement en situation.
Les évaluations avec les élèves
Écoles participant aux évaluations et description du panel
34 Deux phases d’évaluation ont été organisées : une première (évaluation 1) avec une maquette fonctionnelle sur ordinateur composée de deux missions et une seconde (évaluation 2) avec une maquette fonctionnelle sur ordinateur et sur tablette, améliorée suite à la première évaluation, avec cette fois-ci six missions sur huit.
- Pour l’évaluation 1
35 Cette maquette fonctionnelle du jeu Vis ma vue© a été testée au total avec 61 élèves d’un niveau allant du CE1 au CM2. Même si le jeu est prévu initialement pour des élèves de cycle III, c’est-à-dire de niveaux allant du CE2 à la 6e, nous l’avons tout de même testé avec des enfants de CE1. Les évaluations ayant eu lieu au mois de mai, les élèves étaient en fin d’année scolaire et pouvaient être ainsi assimilés à des enfants en début de cycle 3, selon la directrice d’une des écoles tests.
36 Les évaluations se sont déroulées en situation dans deux écoles élémentaires parisiennes : 1) L’école Charenton dans le xiie arrondissement de Paris qui a la particularité d’être localisée à côté d’une résidence pour aveugles et du centre hospitalier national d’ophtalmologie des Quinze-Vingts. Elle accueille quelques enfants de parents déficients visuels ; 2) L’école Parmentier dans le xie arrondissement, qui a la particularité d’accueillir, en plus des élèves bien voyants, quelques élèves malvoyants et non voyants. Les évaluations ont été réalisées auprès d’enfants bien voyants qui n’avaient pas de camarade déficient visuel dans leur classe. En revanche, il s’avère que certains avaient déjà été sensibilisés à la déficience visuelle grâce à une journée de formation dispensée en début d’année scolaire.
37 Afin de recueillir les retours les plus précis possibles des 61 enfants et de voir comment il était possible d’intégrer le jeu sérieux dans les classes, nous avons organisé des tests sous différents formats.
38 Dans un premier temps, 45 élèves ont testé cette version du jeu en classe entière ou demi-groupe, avec deux expérimentateurs qui avaient pour objectifs de donner les instructions, retranscrire les retours des élèves et répondre aux éventuelles questions.
- Une classe de CM2 de l’école Parmentier a testé le jeu en deux demi-groupes d’une durée de 45 minutes chacun. Le premier groupe était composé de 12 élèves (5 filles et 7 garçons) et le second de 13 élèves (6 filles et 7 garçons) ;
- Une classe entière de CE1-CE2 de 20 élèves de l’école Charenton a testé le jeu pendant environ une heure. Il y avait dans cette classe 11 filles et 9 garçons, parmi lesquels il y avait 5 enfants d’un niveau de CE1 et 15 d’un niveau de CE2.
40 Au cours de ces séances, les enfants étaient le plus souvent deux par ordinateur. Il est arrivé que compte tenu du nombre d’élèves et d’ordinateurs dans les salles informatiques, certains étaient seuls ou d’autres par groupe de trois.
41 La première maquette du jeu a également été testée en groupes très réduits. En effet, 16 élèves ont pu essayer le jeu en individuel ou par groupe de deux et lors de ces situations un expérimentateur était ainsi affecté pour un ou deux élèves. Précisément, 12 élèves ont pu jouer en binôme, alternativement sur un ordinateur, et 4 enfants individuellement. Dans ce cas, les séances étaient plus courtes et duraient environ 30 minutes. Ce format de séance permettait notamment de réaliser des retours plus précis et de permettre un échange plus important avec les enfants.
- Pour l’évaluation 2
42 Pour cette seconde phase d’évaluation du jeu Vis ma vue©, nous avons rencontré en tout 71 élèves d’un niveau allant du CE1 au CM1.
43 Les évaluations se sont déroulées à nouveaux au sein de l’école Charenton dans le xiie arrondissement de Paris ayant déjà participé à l’évaluation 1, mais aussi à l’école du Réveil Matin, située à Houilles dans les Yvelines.
44 Ces évaluations se sont déroulées sous trois formats :
- Les 49 élèves (26 filles et 23 garçons) de CE1 et CE2 de l’école élémentaire de Charenton ont testé cette version du jeu en demi-classe avec deux expérimentateurs. Les enfants étaient le plus souvent deux par ordinateur. Il est arrivé que compte tenu du nombre d’élèves et d’ordinateurs dans la salle informatique, certains étaient seuls ou d’autres par groupe de trois.
- Les 22 élèves (14 filles et 8 garçons) de la classe de CM1 de l’école élémentaire de Houilles ont testé le jeu en plusieurs groupes entre 3 et 5 par ordinateur, car seuls deux ordinateurs fonctionnaient. 3 enfants ont pu tester la version du jeu sur tablette Archos 10.1 xs d’un écran de 10 pouces.
46 Les deux expérimentateurs avaient toujours pour objectifs de donner les instructions, retranscrire les retours des élèves et répondre aux éventuelles questions.
Déroulement des séances
47 Les séances d’évaluation commençaient toujours par une présentation des expérimentateurs, du jeu et de ses objectifs et surtout par une explication de l’importance de leur implication à ce niveau de la conception.
48 Afin de recueillir le maximum de retours des élèves, nous avons voulu les laisser jouer de la façon la plus naturelle possible en leur posant tout de même des questions à des moments précis du jeu.
49 C’est ainsi que nous avons construit une grille d’analyse pour noter les stratégies mises en place par les élèves au moment de jouer (réussites, éventuelles difficultés et incompréhensions, etc.) composée également de questions.
50 Les séances se déroulaient de la façon suivante :
- Explication des objectifs du jeu ;
- Découverte de l’introduction par les enfants de manière individuelle ;
- Échanges collectifs : l’expérimentateur leur posait une série de questions, notamment sur la compréhension des termes employés, sur les caractéristiques de la vision des personnages malvoyants du jeu et les difficultés que cela entraîne dans leur vie quotidienne ;
- Découverte de la page d’accueil : les enfants arrivaient ensuite sur la page d’accueil, avec la vue de l’école dans son ensemble. Des questions leur étaient à nouveau posées pour avoir leurs retours sur l’organisation et le rôle de cette page ;
- Découverte des univers des missions : ils devaient entrer dans une des zones pour accéder aux missions. Ils devaient alors sélectionner les bonnes icônes pour poursuivre ;
- Réalisation des missions : les enfants jouaient à une mission désignée par les expérimentateurs. Des questions leur étaient régulièrement posées sur : la compréhension des consignes, la compréhension des commandes de navigation pour se déplacer, la jouabilité au moment du déplacement, les objectifs de la mission et la compréhension de l’attribution du score. Lorsque les enfants étaient plusieurs par ordinateur, ils jouaient à tour de rôle et, généralement, ils effectuaient au moins deux fois chacun la mission ;
- Réalisation du quiz : une fois cette partie terminée, les élèves pouvaient continuer et faire ensemble le quiz dédié à la mission. Les expérimentateurs relevaient les questions difficiles et interrogeaient les enfants sur le choix des questions, les réponses données et leurs niveaux de difficultés ;
- Réalisation de la mission suivante : une fois le quiz de la mission terminée, les expérimentateurs demandaient aux élèves de faire une autre mission et ainsi de suite ;
- Appréciation générale du jeu via un questionnaire individuel : à la fin de la séance, les expérimentateurs faisaient passer un questionnaire sur papier aux enfants pour obtenir leurs appréciations concernant le jeu.
52 Afin d’éviter les biais liés à l’apprentissage ou à l’éventuelle difficulté des missions, nous avons contrebalancé leur ordre.
Conseils pratiques
53 Suite à ces différents tests, nous avons pu proposer quelques conseils pratiques à destination des enseignants pour favoriser la prise en main du jeu par les élèves en classe et la compréhension de la malvoyance à l’école.
54 Nous privilégierions des sessions en binôme, en installant deux enfants par ordinateur ou par tablette pour favoriser les échanges entre eux. Nous nous sommes rendus compte que bien souvent ils s’entraidaient et lorsqu’un enfant avait une interrogation, son camarade de jeu pouvait lui expliquer. Dans le cas contraire, il se tournait de façon spontanée vers l’expérimentateur, rôle qui pourra être rempli par l’enseignant. Pour chacune des missions, il est important de laisser les enfants jouer à tour de rôle pour qu’ils aient au moins un essai chacun.
55 Concernant l’enchaînement des missions, ces dernières n’impliquant pas les mêmes personnages, les mêmes difficultés ressenties, les mêmes difficultés de jouabilité et les mêmes actions à réaliser, nous avons pu établir un ordre de découverte par univers (école, cour ou cantine) pour faciliter la prise en main du jeu.
56 Il nous parait aussi important que l’enseignant prenne du temps avec ses élèves collectivement à certains moments clés d’une séance de jeu, comme par exemple lors de l’introduction, pendant les quiz et à la fin de chaque mission. Il faudra notamment que l’enseignant revienne sur le profil des personnages à incarner, les déficits visuels et leurs répercussions engendrées en classe, ainsi que les aides techniques proposées aux personnages (loupe, logiciels d’agrandissement et de synthèse vocale sur ordinateur, aide d’un camarade, etc.).
Conclusion
57 À travers ces deux phases d’évaluation menées dans trois écoles élémentaires de la région parisienne auprès de 132 élèves de CE1 à CM2, le jeu Vis ma vue© de sensibilisation au handicap visuel a été validé par le futur public concerné, à savoir les enfants. Cette démarche assez novatrice dans le domaine de l’Éducation nationale, a été très appréciée par les élèves qui étaient ravis de pourvoir contribuer à la mise en place d’un jeu à leur destination.
58 Notre démarche s’est voulue itérative. Elle s’est composée de plusieurs phases : 1) une analyse des besoins auprès d’enfants bien voyants, d’adultes déficients visuels et d’enseignants responsables d’élèves déficients visuels ; 2) un premier travail de conception a permis de proposer une première maquette fonctionnelle du jeu avec deux missions sur huit ; 3) une première phase d’évaluation auprès de 61 élèves en situation dans leurs écoles ; 4) les résultats de ces tests ont permis de proposer des recommandations sur l’ergonomie, la jouabilité et les messages véhiculés sur la malvoyance qui ont été intégrées. Une nouvelle maquette fonctionnelle améliorée et plus approfondie avec six missions sur huit a alors été conçue ; 5) Une seconde phase d’évaluation avec 71 élèves a été organisée.
59 Grâce à cette première série de tests qui intègre les utilisateurs finaux, nous avons pu procéder à améliorer l’ergonomie, la jouabilité et les messages véhiculés sur la malvoyance, pour adapter davantage le jeu aux élèves et à concevoir les missions encore non développées. La seconde évaluation nous a permis de renforcer les choix de conception, étant donné que les résultats allaient dans la même logique que la première, et d’améliorer les missions afin qu’elles soient plus intuitives et jouables.
Nous remercions tout d’abord les directeurs des trois écoles qui ont accepté de participer à ces évaluations. Merci aux enseignants qui nous ont toujours accueillis dans leurs classes avec beaucoup d’intérêt. Un grand merci également aux 132 élèves qui se sont prêtés avec enthousiasme à ces évaluations. Enfin, merci à tous les partenaires du projet.
Références bibliographiques
- Charpak, G. (1996). Développement de l’enseignement des sciences à l’école primaire. Repéré à http://www.fondation-lamap.org/sites/default/files/upload/media/fondation/nos_missions/53_bo_ 5septembre1996.gif
- Frot, N. (2012). Le marché des serious game. En ligne http://www.nicolasfrot.net/2012/09/le-marche-des-serious-games/
- Mandin, S. (2010). Jeux sérieux : Quels apprentissages ? Agence des usages Tice. Ministère de l’Éducation nationale. (2012). Note d’information.
- Repéré à http://cache.media.education.gouv.fr/file/2012/58/4/DEPP-NI-2012-10-scolarisation-jeunes-handicapes_214584.pdf
- Popescu, C., Guillot, J., Vlad, P. et Muratet, M. (2014). Le numérique à l’école pour les enfants en situation de handicap, quand la méthode expérimentale rencontre le monde social. Actes du congrès Handicap 2014. 8e édition. 133-138.
Mots-clés éditeurs : Enseignants, Sensibilisation, Élèves, Malvoyance, Évaluation participative
Date de mise en ligne : 08/02/2015
https://doi.org/10.3917/nras.067.0219