Notes
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[1]
Responsable pédagogique Master IGISM, Ingénierie et gestion des interventions sociales & médico-sociales. Spécialité Management des organisations d’ISMS. Spécialité conseil en développement d’ISMS, et du diplôme d’ingénierie des interventions sociales, Université de Nantes.
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[2]
Il considérait qu’est pathologique la conduite de « celui qui ne peut aimer ou qui ne peut travailler ».
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[3]
Rappelons qu’informer signifie à l’origine mettre en forme. L’information du réel signifie donc sa mise en forme.
-
[4]
On peut même constater parfois qu’ils travaillent plus que certains qui ont un emploi, quand ils s’échinent à rédiger leur CV et des annonces…
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[5]
De pro [en avant] tegere, latin, couvrir d’un toit, abriter.
-
[6]
Promouvoir, déplacer vers l’avant.
-
[7]
Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
-
[8]
Décret n° 2006-1752 du 23 décembre 2006 relatif au contrat de soutien et d’aide par le travail et aux ressources des travailleurs des établissements ou services d’aide par le travail.
-
[9]
Initié par l’Ardicat [Association régionale des directeurs de CAT] Pays-de-Loire, le Peps a été développé par nous-même, dans le cadre d’un contrat Ardicat Pays-de-Loire Creai Pays-de-Loire.
-
[10]
C’était l’appellation que l’un des CAT qui faisait partie de la recherche-action à l’origine du PEPS avait retenu pour qualifier les personnes accueillies.
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[11]
Initié par l’Ardicat Pays-de-Loire, le Peps a été développé par M. Reynald Brizais, maître de conférences en psychologie sociale, à l’université de Nantes, dans le cadre d’un contrat Ardicat Pays-de-Loire Creai Pays-de-Loire.
-
[12]
Commande inscrite dans un programme Dinamic [Développement innovant de l’autonomie et de la mutualisation pour l’insertion dans le Choletais], financé en partie par l’Agefiph Pays-de-la-Loire, incluant le CAT et Atelier protégé Arc-en-ciel, géré par l’Apahrc [Association des parents et amis des handicapés de la région choletaise], qui accueillent des personnes atteintes de déficience intellectuelle ou de maladie mentale, et le CAT « Le Cormier », gérée par l’APF [Association des paralysés de France] accueillant des personnes atteintes de déficience motrice, avec ou sans troubles associés.
-
[13]
Nous avons relevé le cas d’une personne handicapée (déficience mentale) qui prenait ses repas à la cantine de l’entreprise. Un jour, elle a indiqué qu’elle ne voulait plus manger là-bas. Les encadrants ont fait différentes hypothèses : problème de relations avec les autres, problème de comportement… Ils n’arrivaient pas à comprendre sa difficulté… jusqu’au moment où ils se sont aperçus que sa carte de cantine n’était plus créditée…
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[14]
Daniel, 25 ans, est schizophrène. Il est recruté par une entreprise de serrurerie de haut de gamme. Le travail d’atelier consiste en un assemblage très complexe de pièces composant des serrureries de haute précision. Le travail est minutieux, précis, et ne souffre d’aucun défaut possible. La production moyenne de l’atelier est de 150 serrures jour assemblées par salarié. Daniel la première semaine de sa présence explose ce score, en atteignant près de 250 serrures complètes assemblées et sans aucun défaut. Les salariés de l’atelier sont inquiets. Daniel la semaine suivante peine à tenir 30 serrures assemblées sans défaut. L’employeur indique la double difficulté pour lui ; une moyenne, c’est-à-dire une norme qui se trouve modifiée brutalement et qui semble inatteignable pour des salariés ordinaires ; et en même temps le risque de voir chuter la production jour brutalement, rendant difficile la tenue des commandes.
1 Le regard de l’autre sur le chemin vers l’emploi est nécessairement un facteur à considérer. L’accès à l’emploi procède dans notre société toujours d’une sélection, un recrutement, une procédure d’admission, bref un filtre qui délivre ou non une autorisation à occuper un emploi. Cela vaut autant dans le cadre du milieu ordinaire de travail, où là le vocable de recrutement recouvre cette réalité, que dans le champ spécialisé du travail protégé, mais aussi dans le secteur d’intervention que constituent désormais tous les dispositifs d’aide à l’insertion professionnelle et d’une manière plus générale d’accompagnement vers l’emploi de sujets en difficulté.
2 Notre propos traversera trois analyses : celle de la confusion souvent opérée entre travail et emploi, celle de la complexité d’une situation d’emploi au regard des statuts qu’elle impose au sujet, et pour finir nous montrerons le caractère surdéterminant du regard des employeurs dans le processus d’insertion en milieu ordinaire de travail de personnes en situation de handicap. Les deux derniers points seront appuyés sur deux recherches-action que nous avons menées ces dernières années.
Le travail et l’emploi, une différence fondatrice
3 Freud faisait d’ailleurs de la possibilité de travailler l’une des trois conditions pour être humain ; les deux autres étant parler et aimer. Il avait proposé, dans un raisonnement pour lui un peu inhabituel de définir la santé comme la capacité « à aimer et à travailler [2]» pour un humain « parlant »… Ceci, à la réflexion, apparaît comme une définition très juste.
4 Par aimer, il évoque la capacité du sujet à s’attacher à des objets dans son environnement, c’est-à-dire à réaliser des investissements sur le monde. Le sujet se met ainsi en lien avec d’autres humains, mais aussi avec des éléments du monde qui comptent pour lui. Il se trouve ainsi attaché à sa région, à sa langue, à son histoire, etc. Le fait de pouvoir aimer est une trace d’un fonctionnement psychique en bon état. Par parler, il évoque bien entendu ce redoublement du rapport au monde que représente la possibilité de le mettre en mots, en signifiants.
5 Par travailler, on évoque la possibilité offerte au sujet d’intervenir sur le réel pour le transformer, lui donner forme.
6À la suite de Marx, appelons travail, le procès de transformation du réel qui conduit à intervenir sur une matière dite première afin de la transformer en un produit à l’aide de moyens de production mis en œuvre par une force de travail.
7La matière première [1], point initial du procès de travail, peut consister en un produit résultant d’un procès de travail antérieur.
8 Ainsi, par sauts successifs, on incorpore dans le réel de l’énergie et de l’information [3] et, par son travail, on le transforme en réalité.
9 La force de travail [2] intègre non seulement l’énergie physique éventuellement nécessaire, mais aussi l’information requise pour l’utilisation des moyens de production.
10 Le travail humain consiste en l’application sur une matière première [1], de la force de travail [2], permettant d’activer des moyens de travail [3], pour aboutir à un résultat, le produit [4], qui entrera dans les circuits d’échange socio-économiques sur un marché.
11 La capacité à travailler constitue de toute évidence un axe primordial de notre humanité. De toutes les espèces vivantes, l’homme se caractérise par une capacité de travail radicalement originale, non pas du point de vue de l’énergie, mais du point de vue de l’information. Seul l’homme est en effet capable de cette inventivité dans la conception des produits. C’est bien entendu le niveau qualitatif unique atteint par sa capacité symbolique qui lui permet cette créativité. Le travail réalise donc une présence au monde du sujet par laquelle il impose sa marque au travers de ses œuvres, fussent-elles modestes, traces de sa présence et en quelque sorte témoins de son existence. On comprend dès lors pourquoi le travail est une donnée fondamentale pour la santé et pourquoi il est indispensable de maintenir autant que faire se peut une capacité à travailler, même modeste, chez les sujets humains.
12 Par son travail, le sujet contribue au fonctionnement du groupe social dans lequel il est amené à vivre, ce qui pour nous constitue pour partie son utilité sociale…
L’emploi, de la force de travail vendue…
13 Le travail, on l’aura compris, n’a nullement besoin d’un cadre institué pour être réalisé par le sujet. La terminologie juridique est d’ailleurs très troublante dans ses confusions, presque savamment entretenues. Ainsi parle-t-on de contrat de travail, pour définir en réalité une situation d’emploi. Le contrat de travail est devenu la forme juridique obligée par laquelle la force de travail peut être achetée/vendue, générant par le fait une situation d’emploi.
14 Ainsi, ceux qui sont sans emploi ne sont pas nécessairement sans travail [4] ; nous pensons aux dites mères de famille, mais aussi aux chômeurs qui travaillent parfois beaucoup pour trouver un emploi…
15 L’emploi est ce traitement social particulier du travail sur un marché, marché dit du travail, où la marchandise à vendre est la force de travail des uns et des autres. La possibilité de vendre [ou d’acheter] sur ce marché conditionne pour beaucoup le pouvoir social des sujets, dans la mesure où c’est principalement par ce marché que les sujets du moins ceux qui n’ont pas de patrimoine à faire fructifier, pourront obtenir de quoi vivre, c’est-à-dire des ressources financières [revenus du travail] qui leur permettront d’accéder à différents objets de satisfaction.
16 De fait, l’accès à l’emploi apparaît dans notre formation socio-économique comme une condition basique de l’autonomie sociale d’un sujet. Négocier sa capacité de travail apparaît comme une voie nécessaire pour obtenir une insertion sociale suffisante.
L’utilité sociale, au cœur de la mission
17 En ce sens, les structures d’aide par le travail gèrent une relative contradiction. Officiellement instituées dans une logique d’aide par le travail, elles ont été pensées d’emblée comme des moyens d’accès à l’emploi pour des personnes handicapées. Autrement dit, la possibilité qu’elles offrent d’une négociation financière d’une capacité de travail même réduite, même faible, est structurellement nouée à leur émergence sociohistorique et à leur raison sociale. Si nous devions ne considérer que la seule question du travail, de fait elle pourrait être posée sans référence aucune à l’emploi, dans une logique purement occupationnelle, pour faire écho à une terminologie connue, quoiqu’inadaptée selon nous.
18De sorte que ces structures gèrent une aide à l’emploi [notion d’emploi protégé] par un travail adapté.
19 L’emploi en tant que situation sociale de négociation de sa capacité de travail, est protégé dans la mesure où le cadre d’emploi n’est pas ici défini par les règles habituelles d’établissement et de fonctionnement du contrat de travail. Si les travailleurs handicapés bénéficient du droit du travail pour certains aspects [hygiène et sécurité, etc.], ils ne signent pas avec l’Esat, comme avant avec le CAT, un contrat de travail. Ils sont ici admis dans cette structure médico-sociale dans le cadre d’une décision d’orientation les autorisant à candidater pour une admission [et non un recrutement] dans une structure d’aide adaptée à leur handicap.
20 L’idée de travail adapté est cohérente par rapport au fait que le type de procès de travail mis en œuvre dans ces établissements prend nécessairement en compte les limitations qu’entraîne le handicap, du point de vue du niveau de complexité de la tâche ou, plus souvent, du rythme du travail. La productivité est ici calculée sur la base légale qui constate chez ces personnes une capacité au travail de moins d’un tiers d’une capacité normale. C’est donc bien un procès de travail adapté qui est ici retenu pour servir de support à l’aide que l’on veut mettre en œuvre.
21 L’utilité sociale du sujet, voilà qui peut être l’objectif premier de l’Esat en tant que cette structure offre avant toute autre chose la possibilité pour l’adulte handicapé d’avoir un emploi, d’abord dans le cadre protégé qu’elle organise [autant du point de vue de l’implication du sujet dans un procès de travail adapté que du point de vue de la réalité sociale qu’il représente], puis, en perspective, dans le cadre d’une insertion en milieu ordinaire où le sujet pourrait rejouer la question de son utilité sociale.
Protection et promotion
22 L’ensemble des cadres juridiques qui structurent le champ de l’aide et de l’accompagnement des personnes en situation de handicap repose sur cette double perspective de protection et de promotion.
La protection et le maintien de la personne handicapée
23 La protection [5], logique de fait plus statique, est la clef d’entrée dans cette question du médico-social. Un engagement a été pris par notre formation socio-économique qui a posé comme principe la protection des personnes handicapées. La loi d’orientation de 1975 a initié comme « orientation », c’est-à-dire comme sens, cet engagement. La protection s’énonce comme garantie donnée à la personne protégée de ne pas subir les effets de son immaturité ou de ses difficultés. En protégeant la personne, il est avant tout question de la maintenir dans une situation sociale la plus satisfaisante, considérées les limites que génère son handicap.
24 C’est un objectif net de soin qui justifie les prestations que la structure médico-sociale va assumer auprès de la personne, soin étant ici entendu dans sa double acception.
25 Ces prestations sont pour partie dispensées par des interventions à portée collective dans le quotidien des personnes. Elles relèvent d’une fonction d’entretien. Il est ici question d’avoir soin de, de se sentir préoccupé [to care] de ces sujets en difficulté. Notre lecture dépasse le pur souci de prise en charge. La fonction d’entretien renvoie à l’obligation d’entretien dont parle la loi à propos d’autorité parentale, en rappelant que c’est le seul des attributs de cette autorité qui ne soit pas levé par la majorité. La garantie d’entretien porte donc en elle-même le sens éthiquement fort du soutien que chacun doit à chacun, fondement d’une dignité humaine dont on nous parle souvent sans la définir. Pour d’autres aspects du problème de ses personnes, il convient de leur garantir qu’elles puissent être aidées de manière spécifique et, en tenant compte de leur singularité, par des soins [to cure] de type psychologique ou médical.
La promotion de la personne handicapée
26 La promotion [6], logique de fait plus dynamique, doit rester une perspective et une exigence, dans la mesure où l’on reste très attentif à la situation de la personne handicapée. Il est impératif que soit maintenue la perspective d’une insertion en milieu ordinaire. Le fait d’avoir une telle orientation ne signifie pas qu’il faille, d’une manière volontariste et partant dangereuse, imaginer une démarche systématique d’insertion [inclusion] en milieu ordinaire pour toute personne handicapée.
27 Si l’orientation est à tenir, le projet n’est pas nécessairement à former… L’utilité sociale ne peut en effet pas être pensée sauf de manière purement idéologique, comme nécessairement à réaliser en milieu ordinaire.
28 Certaines personnes handicapées ne pourront faire valoir leur utilité sociale que dans le cadre protégé et des structures d’accompagnement du quotidien qu’elles peuvent être amenées à fréquenter. C’est un point de vue qu’il faut faire valoir afin de ne pas enfermer les adultes les plus sévèrement invalidés dans une idéologie de l’insertion qu’ils ne peuvent pas soutenir. Pour ceux-là, le maintien en structure protégée de travail adapté représente une vraie perspective d’insertion. Il leur permet de conserver un rapport au monde efficace, bien que le niveau de cette efficacité paraisse, aux normaux, faible voire parfois dérisoire. En ce domaine, il faut se défier de toute perspective égocentrée. Nos normes, nos manières de voir et de penser, etc., bref notre définition du bonheur ne saurait s’imposer à tous comme vérité.
29 Nous souffrons actuellement d’un double discours sur le handicap, souvent tenu par les mêmes ; discours qui prône le droit à la différence [entendu comme droit d’être différent] et, simultanément, la revendication d’une non-différence entre normaux et handicapés… Cette ambiguïté conduit à des dérives.
30 À trop vouloir affirmer la non-différence, on finit parfois par contraindre les personnes handicapées à vivre normalement [c’est-à-dire selon notre propre conception de la normalité].
31 À trop vouloir mettre en avant le droit à la différence, on maintient la personne handicapée dans des défauts qui conduisent à son rejet par des comportements trop distants des normes en vigueur dans certaines situations sociales.
32 Entre la dénégation du handicap et l’idéalisation, il reste sans doute à rétablir la vérité, non pas en tant que vérité absolue, et donc certaine, mais vérité relative de la situation singulière de sujets singuliers, rassemblés par une caractéristique que l’on appelle handicap.
33 La loi de 2005-102 [7] a réaffirmé et mieux encadré le principe de centration des interventions à caractère aidant ou soutenant, mais aussi de soin, sur le point de vue du sujet concerné. L’orientation dans le champ global de son existence — ne doit plus procéder d’une imposition externe, mais clairement relever d’une initiative du sujet, et se traduire dans un « projet de vie » qui en rend compte et sert de référence dans les processus d’accompagnement offerts à la personne en situation de handicap. Dans le champ qui nous occupe ici de l’orientation professionnelle, on dépasse même la simple logique du projet, pour entrer dans une contractualisation [8] réglementairement obligée, traduite dans un contrat de soutien et d’aide par le travail.
34 Ce sont là deux changements essentiels que celui qui a conduit à replacer le sujet comme centre des décisions le concernant, et à poser le milieu ordinaire comme le point de fuite de tout accompagnement, mais sans l’imposer comme but obligé.
35 Si toute structure d’Aide par le travail doit fortement revendiquer d’être une structure spécialisée orientée vers l’ordinaire, encore faut-il qu’on en conçoive clairement les conditions.
L’insertion dans l’emploi en milieu ordinaire
36 Les analyses que nous présentons ici ont été conduites dans le cadre de la mise au point du Peps [Protocole d’évaluation de la production sociale des CAT [9]]. L’idée générale de ce protocole était de pouvoir disposer d’un outil permettant de suivre l’impact et les effets de l’accueil dans le CAT sur les personnes accueillies. Il s’agit clairement d’un outil de pilotage des prises en charge en milieu protégé de travail, en lien avec les choix organisationnels assumés par l’équipe.
37 La personne qui se présente dans la situation d’emploi se trouve immédiatement confrontée à une démultiplication statutaire dans quatre dimensions comme le montre le schéma suivant.
38La première dimension socio-économique et ici première est à entendre radicalement – est précisément la capacité productive que la personne sera en mesure d’assumer dans cet emploi. Le sujet est ici attendu comme producteur [1] comme nous l’indiquions dans l’analyse précédente du procès de travail.
39 Le travail humain se déploie simultanément dans une organisation qui suppose des échanges (des relations) avec d’autres sujets concernés par l’exécution du but de l’organisation. Dans cette dimension relationnelle, le sujet devient un collègue [2], et là encore il devra en assumer les attendus.
40 Le travail humain, la situation d’emploi résonne sur l’identité même de celui qui l’effectue et l’occupe. La place que le travail prend dans la définition de soi d’un sujet est devenue un aspect prépondérant de son insertion dite professionnelle, composante de son insertion sociale. Là encore, dans cette dimension psychologique, le sujet devra présenter certaines caractéristiques pour que son insertion soit possible et tenable ; il devra se sentir être un travailleur [3].
41 Mais l’inscription dans un emploi s’effectue toujours dans un cadre institutionnel précis, et le sujet devra assumer des interactions avec ce cadre à la place que celui-ci lui assigne, en fonction du poste qu’il occupera, ici celui d’ouvrier [4] [10].
42 Le schéma suivant indique la décomposition en variables des quatre dimensions à laquelle nous avons abouti.
43Chaque variable a fait l’objet d’une construction précise selon le principe suivant.
44Les descripteurs utilisés dans le Peps [11] sont référés à une typologie des niveaux d’autonomie, définie [Brizais, Chauvigné, 1985] comme « capacité à gérer – à son initiative – ses dépendances ».
45 Il s’agit ici non pas d’apprécier une performance absolue du sujet, mais bien de le situer dans un écart à une moyenne, niveau 5, qualifié ici de « suffisant ». Le niveau 5 représente donc une performance autorisant le sujet à envisager une insertion ordinaire dans un environnement courant.
46 Exemple
47 Dimension sociotechnique. V 1.1.4
48 Capacité d’analyse et de conception de la tâche
49 La possibilité de se représenter la tâche productive conditionne pour beaucoup la nécessité d’une aide et d’un accompagnement. La fluctuation que nous cherchons à repérer va d’une position de simple exécutant, presque privé d’une représentation de la tâche, à celle d’agent, liée à la possibilité de concevoir pour tout ou partie sa tâche.
50Dans la situation présente, il faut ajouter à cette complexité, les éléments qui sont liés au statut même de travailleur handicapé, où va devoir être pris en compte de manière précise le handicap en lui-même (diagnostic, pronostic, etc.), singulièrement dans ses impacts sur les quatre dimensions que nous venons de présenter.
51 C’est le degré d’impact de l’autonomie du sujet sur ces autres dimensions qui au final déterminera ce qu’il en est de sa capacité globale à s’insérer en milieu ordinaire de travail ou en milieu protégé, jusqu’au cas où la situation d’emploi ne sera plus possible à réaliser, ce qui n’empêchera pas de viser à maintenir toute capacité de travail, même minime, dont le sujet pourrait faire montre.
Le regard exigeant de l’entreprise
52 Nous évoquerons une autre recherche [12] qui a conduit à la mise au point d’un PRotocole d’évaluation des compétencesc et aptitudes professionnelles en vue de l’emploi en milieu ordinaire de travail [Précap].
53 L’outil doit permettre d’évaluer l’employabilité des personnes handicapées, en appréciant leurs compétences et aptitudes professionnelles. Il s’agissait initialement de reprendre la trame habituelle dans l’étude des compétences professionnelles, c’est-à-dire d’apprécier :
- [Savoirs] Des connaissances : « ce que je sais »
- [Savoirs-Faire] Des habiletés : « ce que je suis capable de faire »
- [Savoirs-Être] Des adaptations « ce à quoi je dois me conformer »
55 L’outil sera transversal pour répondre à la contrainte de croiser trois logiques dans l’évaluation :
- Celle de l’usager handicapé (matériel simple, accessible).
- Celle de l’entreprise d’accueil (matériel lisible par l’employeur).
- Celle de la structure protégée (matériel utilisable par le personnel d’encadrement.)
57 L’enquête que nous avons menée, nous a amené à inverser l’ordre des dimensions à examiner dans cette évaluation. Les adaptations sont en effet retenues comme critère principal par les entreprises, critère beaucoup plus important pour elles que les savoirs génériques, mais aussi, dans une certaine mesure, que les habiletés professionnelles proprement dites. Les employeurs attendent de la part des ouvriers handicapés et dans cet ordre : des adaptations maximales… des habiletés moyennes… des connaissances basiques ; le tout sur fond de motivation et de trois compétences externes utiles : gestion des horaires, des transports et sa restauration sur le temps-lieu de travail. Motivation et compétences externes sont pour eux réglées soit en pleine autonomie par le sujet, soit par un dispositif d’aide et d’accompagnement qui devra être maintenu avant même qu’ils puissent envisager une insertion du salarié.
58 L’outil d’évaluation Precap porte donc successivement sur [1] La motivation, [2] Les compétences externes utiles, [3] Les adaptations au milieu de travail, [4] Les habiletés professionnelles, [5] Les connaissances générales utiles, selon le plan de variables suivants.
La motivation…
59 Le premier critère à prendre en compte est la motivation à travailler en milieu ordinaire. Les entretiens conduits auprès d’un échantillon de personnes en situation de handicap accueillies en milieu protégé nous ont rapidement conduits au modèle suivant qui combine deux axes :
- En horizontal, le positionnement [+ -] vis-à-vis milieu ordinaire [MO].
- En vertical le positionnement [+ -] vis-à-vis du milieu protégé [MP].
61 Nous déduisons quatre positionnements-type possibles, sachant que seule la dernière configuration [insertion] introduit une dynamique suffisante dans le parcours de la personne pour qu’on puisse, selon nous, envisager son insertion en milieu ordinaire de travail. Le détachement vis-à-vis du milieu protégé peut prendre l’allure d’une plainte exprimée de manière plus ou moins active, par laquelle le sujet signifie qu’il tolère de moins en moins les limites que la protection fait peser sur lui, et un investissement simultané affirmé du milieu ordinaire. Le rejet du milieu protégé nous apparaît comme un indicateur nécessaire, mais pas toujours suffisant, de la probabilité de réussite du projet d’insertion en milieu ordinaire.
Les compétences externes utiles…
62 Il s’agissait ici de mettre en place des descripteurs pour chacun des trois domaines d’autonomie visant à apprécier : la gestion des horaires, le transport, la restauration. La sensibilité au contexte de ces trois capacités est élevée. Si nous prenons la capacité à se restaurer sur le temps-lieu de travail, les offres faites ou disponibles sur un lieu de travail précis peuvent considérablement modifier la capacité concrète de la personne handicapée à gérer cette dépendance [13]. L’existence d’une cantine sur le lieu de travail peut simplifier les choses, les habitudes étant prises par la personne dans les différents selfs des établissements médico-sociaux qu’elle a fréquentés ; à l’inverse, le simple fait de devoir se préparer en toute autonomie une gamelle (travail sur chantier) peut être hors de portée de la personne. Comme le montre l’exemple suivant, nous avons ici retenu 9 compétences de base qui se trouvent devoir être maîtrisées selon des combinaisons différentes en fonction des éléments de contexte repérables au niveau de l’entreprise et du cadre d’emploi considérés.
Adaptations à la situation de travail
63 C’est là que la question de l’insertion professionnelle de la personne en situation de handicap commence à être appropriée par les chefs d’entreprise susceptibles de l’envisager. Si motivation et compétences externes utiles sont renvoyées clairement à la responsabilité de la personne elle-même et des aidants éventuellement dont elle peut être entourée, les attentes se portent en priorité sur cette question des adaptations, avant les compétences techniques nécessaires à l’activité et dans un ordre clairement déterminé : Régularité > Vitesse > Réactivité > Jugement > Implication, chaque critère étant doublement apprécié, d’une part sur le terrain de la production en elle-même, d’autre part sur le terrain du comportement en situation de travail. Nous ne développerons ici que l’exemple de la Régularité [3RG], décomposée en [3RG 1] Production régulière moyenne et [3RG 2] Régularité de comportement.
64 Production et comportement apparaissent comme deux dimensions inséparables dans ce critère d’entrée : la régularité. L’entreprise demande à la personne handicapée d’avoir une productivité régulière moyenne. Cette régularité sans bas et hauts permet à l’entreprise de s’y retrouver même si la personne handicapée est jugée, dans la plupart des cas, moins rapide qu’une personne valide. Ce qui compte ici est de pouvoir prévoir la production [14].
65 Cette attente de régularité concerne aussi le comportement général de la personne, où les crises et autres moments clastiques sont peu, voire pas tolérés. Est attendue une invisibilité du handicap, et ce d’autant plus que le handicap est invisible. À ce titre la maladie mentale est perçue par les chefs d’entreprise comme beaucoup plus pénalisante qu’un handicap visible (personnes en fauteuil). Pour eux, on ne peut accueillir de la personne handicapée que ce qu’elle peut présenter de normal…
En conclusion : face à cette complexité, la nécessaire professionnalisation de l’accompagnement…
66 L’accompagnement vers l’emploi des personnes en situation de handicap relève au final d’une complexité que le champ de normes très présent sur cette question du travail masque bien souvent. Or la personne en situation de handicap est au fond comme tout sujet, confrontée sans cesse au regard de l’autre, c’est-à-dire soumise à son évaluation, et aux conséquences de celles-ci. Dans la phase déterminante de l’embauche, le regard que porte le recruteur sur vos compétences va être totalement déterminant. Que, selon lui, il vous manque ou, au contraire, que vous l’ayez convaincu de posséder telle ou telle compétence, et c’est la décision qui bascule du refus à l’acceptation.
67 Dans le processus d’accompagnement vers l’insertion de ces personnes, il est aisément repérable de constater que les savoirs techniques sont souvent mis en avant, même si la question de la socialisation en milieu de travail est évoquée. Mais quand elle l’est, on vérifie qu’elle est rarement expliquée, bref théorisée.
68 On se contente d’une attente de conformité aux horaires, aux consignes, etc., sans prendre le temps d’évaluer de manière précise de quoi une telle conformité est faite.
69 Le système de variables, selon nous, utile pour décrire une telle intervention d’accompagnement est en lui-même suffisamment complexe pour mériter des formations spécifiques à destination des aidants, et une réflexion soutenue au niveau des établissements et des services qui prennent en charge une telle mission.
70 Il y va sans doute d’une refonte complète du champ de l’insertion professionnelle, avec une attention particulière mise sur la professionnalisation de ces acteurs.
Bibliographie
Bibliographie
- « Les “inemployables” », Éducation permanente, n° 156, 2003-3.
- « Les Esat à la croisée des chemins », Les Cahiers de l’Actif, n° 404-405, janvier-février 2010.
- Beraud (Mathieu), « L’inemployabilité est-elle devenue une pathologie mentale ? », Les Nouveaux Cahiers du GRÉE, Groupe de recherche sur l’éducation et l’emploi, Université de Nancy, 2006, 75 p.
- Blanc (Alain), Stiker (Henri-Jacques), L’insertion professionnelle des personnes handicapées en France : bilan et avenir d’un demi-siècle d’expérience, Desclée de Brouwer, 1998.
Mots-clés éditeurs : Handicap, Emploi, Employabilité, Travail protégé, Insertion professionnelle
Mise en ligne 07/02/2015
https://doi.org/10.3917/nras.063.0119Notes
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[1]
Responsable pédagogique Master IGISM, Ingénierie et gestion des interventions sociales & médico-sociales. Spécialité Management des organisations d’ISMS. Spécialité conseil en développement d’ISMS, et du diplôme d’ingénierie des interventions sociales, Université de Nantes.
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[2]
Il considérait qu’est pathologique la conduite de « celui qui ne peut aimer ou qui ne peut travailler ».
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[3]
Rappelons qu’informer signifie à l’origine mettre en forme. L’information du réel signifie donc sa mise en forme.
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[4]
On peut même constater parfois qu’ils travaillent plus que certains qui ont un emploi, quand ils s’échinent à rédiger leur CV et des annonces…
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[5]
De pro [en avant] tegere, latin, couvrir d’un toit, abriter.
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[6]
Promouvoir, déplacer vers l’avant.
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[7]
Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
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[8]
Décret n° 2006-1752 du 23 décembre 2006 relatif au contrat de soutien et d’aide par le travail et aux ressources des travailleurs des établissements ou services d’aide par le travail.
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[9]
Initié par l’Ardicat [Association régionale des directeurs de CAT] Pays-de-Loire, le Peps a été développé par nous-même, dans le cadre d’un contrat Ardicat Pays-de-Loire Creai Pays-de-Loire.
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[10]
C’était l’appellation que l’un des CAT qui faisait partie de la recherche-action à l’origine du PEPS avait retenu pour qualifier les personnes accueillies.
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[11]
Initié par l’Ardicat Pays-de-Loire, le Peps a été développé par M. Reynald Brizais, maître de conférences en psychologie sociale, à l’université de Nantes, dans le cadre d’un contrat Ardicat Pays-de-Loire Creai Pays-de-Loire.
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[12]
Commande inscrite dans un programme Dinamic [Développement innovant de l’autonomie et de la mutualisation pour l’insertion dans le Choletais], financé en partie par l’Agefiph Pays-de-la-Loire, incluant le CAT et Atelier protégé Arc-en-ciel, géré par l’Apahrc [Association des parents et amis des handicapés de la région choletaise], qui accueillent des personnes atteintes de déficience intellectuelle ou de maladie mentale, et le CAT « Le Cormier », gérée par l’APF [Association des paralysés de France] accueillant des personnes atteintes de déficience motrice, avec ou sans troubles associés.
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[13]
Nous avons relevé le cas d’une personne handicapée (déficience mentale) qui prenait ses repas à la cantine de l’entreprise. Un jour, elle a indiqué qu’elle ne voulait plus manger là-bas. Les encadrants ont fait différentes hypothèses : problème de relations avec les autres, problème de comportement… Ils n’arrivaient pas à comprendre sa difficulté… jusqu’au moment où ils se sont aperçus que sa carte de cantine n’était plus créditée…
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Daniel, 25 ans, est schizophrène. Il est recruté par une entreprise de serrurerie de haut de gamme. Le travail d’atelier consiste en un assemblage très complexe de pièces composant des serrureries de haute précision. Le travail est minutieux, précis, et ne souffre d’aucun défaut possible. La production moyenne de l’atelier est de 150 serrures jour assemblées par salarié. Daniel la première semaine de sa présence explose ce score, en atteignant près de 250 serrures complètes assemblées et sans aucun défaut. Les salariés de l’atelier sont inquiets. Daniel la semaine suivante peine à tenir 30 serrures assemblées sans défaut. L’employeur indique la double difficulté pour lui ; une moyenne, c’est-à-dire une norme qui se trouve modifiée brutalement et qui semble inatteignable pour des salariés ordinaires ; et en même temps le risque de voir chuter la production jour brutalement, rendant difficile la tenue des commandes.