Être sourd
1 La Section d’éducation, d’enseignement et de première formation professionnelle de l’Institution régionale des jeunes sourds de Poitiers (SEES-FP) accueille des jeunes ayant une surdité sévère ou profonde nécessitant un accompagnement pédagogique et/ou éducatif pour pouvoir suivre une scolarité dans les établissements de l’Éducation nationale et les Centres de formation d’apprentis (CFA). Ces jeunes sont orientés vers l’institution par la MDPH dans le cadre du plan de compensation de leur handicap.
2 Après avoir opté en 1983 pour l’intégration de quelques jeunes ayant de bonnes capacités communicationnelles, relationnelles et scolaires, l’Institution a fait le choix à partir de 2010, dans le respect de la loi de 2005, de scolariser tous les jeunes qu’elle accueille en inclusion dans divers établissements de Poitiers avec lesquels elle a établi une convention de partenariat.
3 L’IRJS a adapté son projet d’établissement dans ce sens et travaille en lien avec la MDPH et l’enseignant référent de la scolarisation qui suit les jeunes sourds.
4 Elle accueille et scolarise des jeunes en maternelle, primaire, collège, lycée et CFA.
5 Ces jeunes sont entourés de professionnels :
- professeurs spécialisés de la surdité, diplômés du ministère de la Santé ;
- éducateurs scolaires spécialisés ;
- éducateurs spécialisés ;
- psychologue, orthophoniste, psychomotricienne, aide-soignante et médecin ORL.
7 Les jeunes qui habitent loin de Poitiers, sont accueillis dans trois lieux d’internat à proximité de l’IRJS.
8 Jusqu’à la fin du collège, l’inclusion scolaire est collective. Une dizaine de jeunes sourds sont scolarisés dans le même établissement et plusieurs sont dans la même classe. Le choix de l’inclusion collective a été fait pour permettre les échanges entre élèves et le développement de leur langue commune, la langue des signes française, pour qu’ils se stimulent, s’entraident et vivent une vie de petite collectivité. Il permet aussi d’optimiser le temps d’accompagnement.
9 Dès la fin du collège, les groupes éclatent et l’accompagnement devient le plus souvent individuel. Cependant, les besoins perdurent et le taux d’encadrement est donc doublé ou triplé. En revanche, en stage, le jeune est seul, sans accompagnement dans l’entreprise. À lui de trouver les moyens de se faire comprendre ! Mais son insertion professionnelle doit être accompagnée. Les équipes éducatives et enseignantes y travaillent en collaboration pour que l’entrée dans le monde du travail se déroule au mieux.
10 Comment préparer les jeunes à passer d’un accompagnement omniprésent, rassurant et collectif au collège à une autonomie individuelle quasi-totale en entreprise ? Comment leur donner la confiance nécessaire pour faire un choix d’orientation qui corresponde vraiment à leurs désirs et à leurs compétences ?
Au collège, les premiers stages, premiers contacts avec l’entreprise
11 Au sortir du collège, les jeunes sont amenés à choisir une orientation professionnelle pour la poursuite de leurs études. Or, comme tous les jeunes de leur âge, ils n’ont qu’une idée très approximative du monde du travail.
12 Dans leur cursus à l’IRJS, cette période est une étape charnière et l’accompagnement proposé doit prendre en compte leur choix personnel et le principe de réalité. Dès la 4e de collège, des rencontres sont organisées avec le Conseiller d’orientation psychologue (COP) du collège. Pour ces rendez-vous, les jeunes sont, bien entendu, accompagnés d’un professeur spécialisé de l’IRJS qui traduit les propos des uns et des autres. Ils reçoivent donc des informations identiques à celles de leurs camarades entendants car ils sont, à part entière, des élèves de l’Éducation nationale.
13 Ils rencontrent aussi régulièrement la conseillère du Safi de l’IRJS (Service d’accompagnement à la formation et à l’insertion). Ces rencontres permettent d’expliquer, de débattre plus précisément du domaine professionnel qui les intéresse, de mieux connaître les exigences des métiers. C’est aussi la découverte de la différence entre formation en lycée et en CFA.
14 Les premiers stages vont se révéler primordiaux pour évaluer la capacité du jeune à entrer en formation et pour l’aider à passer du statut d’élève à celui d’acteur de sa formation. Il doit en effet définir lui-même le domaine dans lequel il veut faire ses stages. Choix difficile quand on est en 4e ou en 3e.
15 Il est alors confronté au principe de réalité : entre l’image qu’il se fait d’un métier et ce qu’il découvre, entre ses désirs et les possibilités qui lui seront offertes du fait de sa surdité, du fait de son niveau scolaire ou de son niveau de français, entre les possibilités de formation et son lieu d’habitation ou ses réseaux de relations, il faut faire des choix. Pour qu’il y parvienne, le référent du jeune, l’équipe éducative, les parents, la conseillère du Safi, le jeune, le COP du collège, tous se penchent sur la question et engagent un véritable travail de maïeuticien.
16 L’IRJS s’est créé un réseau d’entreprises partenaires avec lesquelles elle travaille depuis plusieurs années et qui s’enrichit au gré du temps. Ces entreprises, sensibilisées et volontaires, sont les premiers terrains de stage proposés aux jeunes.
17 Le premier contact se fait lors d’une présentation avec la personne du Safi et le jeune pour examiner toutes les modalités liées au stage : tenue de travail, horaires, repas, déplacements… Le tuteur et l’équipe reçoivent une information rapide sur la surdité et un livret d’information. À tout moment, l’entreprise peut contacter le référent du jeune ou le responsable du Safi pour une intervention dans l’entreprise, pour des explications ou des recadrages. À la fin du stage, un bilan est réalisé et consigné dans un livret de stage de l’IRJS. En général, les tuteurs sont bienveillants et compréhensifs. Ils sont conscients des efforts effectués par le jeune pour communiquer.
18 Lors du bilan, il faut régulièrement revenir à la question des compétences professionnelles : Engageriez-vous ce jeune en apprentissage ? Pensez-vous qu’il a les compétences professionnelles et pratiques nécessaires pour engager une formation dans ce domaine ? En fonction des réponses apportées par les professionnels à ces questions, le bilan du stage sera positif ou non et les stages suivants approfondiront ce choix ou se tourneront vers un autre métier.
19 Après les stages effectués en collège, l’orientation s’affine et le jeune devient capable de définir le domaine dans lequel il souhaite travailler. Un premier pas est franchi mais il faut ensuite choisir le mode de formation pour y parvenir : soit en lycée professionnel, soit en apprentissage.
Histoire d’une collégienne
Dès les premiers rendez-vous au Safi, elle évoque le désir profond de s’orienter vers l’esthétique. Grâce à des vidéos, à des échanges, elle découvre que la majorité du travail n’est pas de maquiller ou faire de la manucure, mais de réaliser des soins, des épilations, des massages, dans un rapport très intime avec le client. Après discussion, elle choisit de changer d’orientation et de se diriger vers la vente en magasin.
Cette jeune fille, malgré sa communication en LSF, veut « rencontrer de la clientèle, être active, avoir des choses à faire, ne pas être derrière un bureau… ».
Elle commence des stages en entreprise pendant les vacances scolaires dans des magasins de vêtements. La clientèle est informée de sa surdité grâce à son badge et une information en caisse.
Cette jeune fille, grâce à sa volonté, son désir d’aller vers les clients, son dynamisme, son sourire et sa compréhension rapide des consignes, réalise des bilans de stage très positifs. Il lui est même proposé un contrat d’apprentissage en Bac pro Vente.
Mais elle n’a pas encore 15 ans et ne se sent pas prête à entrer dans le monde du travail en devenant salariée. Elle s’est donc orientée vers un Bac pro Métiers de la relation client en lycée et sa formation a débuté en septembre.
En lycée professionnel
20 Dès l’entrée du jeune au lycée, son référent IRJS le présente aux professionnels de l’Éducation nationale. Il explique le handicap, ses conséquences et les modalités particulières de l’accompagnement. Le référent a un rôle de coordonnateur de tous les acteurs de la formation.
21 En classe, suivant le mode de communication privilégié par le jeune, l’intervenant spécialisé traduit l’intégralité du cours et des informations annexes et s’assure de la bonne réception du message. Il reformule chaque fois que c’est nécessaire, utilise des schémas et des exemples afin que le jeune comprenne le cours. Il évalue la possibilité de lui laisser une part d’autonomie adaptée à ses capacités. Il identifie les notions qui risquent de poser problème au jeune, peut aider à la prise de notes, motive, stimule et soutient en cas de fatigue ou de découragement. Il l’accompagne lors des sorties, spectacles et voyages scolaires et prévoit les adaptations nécessaires. Lors des temps de soutien, il reprend les concepts qui ont été difficiles à assimiler. En lien avec le professeur de l’Éducation nationale, il peut préparer l’acquisition d’une nouvelle notion afin que le jeune profite au mieux du cours à venir. Il incite aussi les professeurs de la classe à utiliser l’écrit et les supports visuels qui permettent au jeune sourd de mieux saisir le cours et leur propose les adaptations adéquates.
22 Le professeur spécialisé peut assurer, comme cela est défini dans le projet individualisé et le projet personnalisé de scolarisation du jeune, un enseignement en cours spécialisé. C’est toujours le cas pour les cours de langues vivantes qui sont alors enseignées à l’écrit. En cas de problème de compréhension, d’adaptation ou d’organisation, l’intervenant spécialisé cherche une solution en lien avec la direction du lycée et celle de l’IRJS.
Le parcours surprenant d’un lycéen
À 5 ans, Z participe et accepte les règles de vie. Sa curiosité et ses intérêts grandissent, il est très actif. Ses diverses prises en charge orthophonie, psychologie, enseignement spécialisé et suivi éducatif l’aident considérablement. Il s’isole, cependant, fréquemment et suspend les entretiens psychologiques qu’il reprendra lorsque le besoin se fera sentir. Z poursuit sa scolarité élémentaire en intégration partielle accompagnée en mathématiques, sciences, arts et EPS. Les enseignements spécialisés en français, histoire-géographie… sont assurés par un professeur spécialisé de l’IRJS. Il enrichit son langage oral puis plus tardivement sa communication en LSF.
À 12 ans, Z est interne à l’IRJS, il rentre les weekends et les vacances dans sa famille. Lors de ses années collège il s’épanouit et se valorise au travers des activités sportives enseignées par un professeur d’EPS spécialisé de l’IRJS. En difficulté scolaire, il redouble sa 4e, pense furtivement à l’implant. Finalement, il garde son appareil auditif qu’il utilise de moins en moins au fil des années. Son identification en tant que sourd s’affirme.
À 15 ans, malgré son acharnement au travail scolaire, ses résultats sont faibles, il envisage de s’orienter vers un CAP. Z commence des mini-stages de quelques jours pour découvrir les différents métiers et le fonctionnement d’une entreprise. Adolescent discret, il a de l’aide à la mémorisation une fois par semaine.
À 17 ans, Z choisit la voie du lycée professionnel. Il rentre en BEP Métiers de l’électronique avec deux autres jeunes de l’IRJS. Ils sont accompagnés à 60 % par un enseignant spécialisé et une aide à la communication de l’IRJS. Un lexique technique gestuel est créé pour la bonne compréhension des matières professionnelles. Il met en pratique ses acquis scolaires et prend ainsi conscience de l’importance de ses capacités pendant ses périodes de formation en milieu professionnel. Il devient interne au lycée et envisage de poursuivre en Bac pro Système électronique et numérique à Nantes avec le suivi d’un autre établissement spécialisé. Grâce à ses efforts réguliers et à la confiance qu’il accorde aux professionnels de l’IRJS il entre finalement à 19 ans en Bac STI Génie électronique à Poitiers. Parallèlement, il s’investit dans diverses associations extrascolaires, obtient son permis de conduire malgré des difficultés pour le code. Son langage oral est compréhensible, mais il préfère s’exprimer en public au moyen de la LSF.
À 21 ans, il est accompagné à 90 % en 1re année de BTS Systèmes électroniques puis à 80 % la 2nde année, suite à un ajustement conjoint des différents acteurs : IRJS, Éducation nationale et lui-même. Étudiant, il prend un studio. Il a une plus grande liberté d’action dans un cadre moins strict et il doit être autonome dans ses études comme dans sa vie quotidienne. Il effectue un excellent stage de 7 semaines lors duquel l’intervention de l’IRJS est requise à plusieurs reprises. D’une part, l’entreprise, soucieuse de sa politique d’accueil du handicap dans le monde du travail demande à l’IRJS d’informer le personnel des contraintes et limites dues à la surdité et des adaptations ponctuelles à mettre en place. D’autre part, les professeurs se sont rendus sur place afin de traduire des réunions de service, prestation pour laquelle toute personne déficiente auditive peut faire appel à un interprète lorsqu’elle est salariée.
Diplômé d’un Bac+2 à 23 ans, Z entre dans le monde du travail par différents contrats intérimaires. À 25 ans il est recruté en CDI par l’entreprise de son dernier stage où il a fait forte impression.
Les périodes de formation en milieu professionnel : les PFMP
23 En lycée professionnel, les PFMP ont un rôle très important dans la réussite à l’examen : obligatoires, elles durent de 3 à 6 semaines chacune et sont réparties sur l’ensemble des années scolaires.
24 L’intervenant spécialisé de l’IRJS aide à la recherche de stage et s’occupe de l’organisation des horaires de travail. Il prend contact avec l’entreprise, présente le stagiaire et les objectifs de la formation. Il donne ses coordonnées au tuteur pour le sécuriser et propose éventuellement des adaptations. Il informe les professionnels qui travailleront avec le jeune et leur remet un fascicule comportant des informations, quelques conseils et des rudiments de langue des signes.
25 Le suivi du stage est assuré conjointement par le professeur de l’Éducation nationale et l’intervenant spécialisé. Ils évaluent les compétences acquises par le jeune ou notent les impossibilités d’évaluation (ex : la prise de téléphone). L’intervenant spécialisé ne fait pas à la place du jeune mais le soutient pour la rédaction, les entraînements et l’épreuve orale (par opposition à écrite) de présentation du rapport à l’examen.
En apprentissage et au Centre de formation d’apprentis
26 Les jeunes sourds peuvent être attirés par l’apprentissage qui présente l’intérêt pour eux de les mettre très vite en situation concrète d’apprendre par l’action et leur offre une rémunération. Mais pour devenir apprenti, il faut avoir fait preuve de qualités d’adaptation, de motivation, de rigueur et d’aptitudes professionnelles. L’employeur s’engageant aussi en finançant la formation du jeune au CFA, celui-ci devra répondre à cette confiance et donner le meilleur de lui-même. Les efforts conjoints du Safi, de la famille et du jeune lui-même sont nécessaires pour trouver un patron. Mais au bout du compte, c’est bien le jeune lui-même qui fera ses preuves au cours d’un ou plusieurs stages et qui convaincra l’entreprise de l’embaucher en contrat d’apprentissage.
27 Au CFA, le jeune apprenti bénéficie d’un accompagnement pédagogique de l’IRJS qui peut aller jusqu’à 28 heures par semaine. Si le jeune présente d’importantes difficultés, il reçoit sur place des cours individuels par un enseignant spécialisé de l’IRJS. Pendant les périodes où il est en entreprise, le jeune, en lien avec son projet individualisé, bénéficie, dans la mesure du possible, d’1 h 30 de soutien hebdomadaire avec l’enseignant spécialisé. Les cours au CFA se déroulent au rythme de 13 semaines par an minimum. Les jeunes ont un statut d’apprenti, salarié dépendant du code du travail et de leur convention collective. Ils n’ont donc que 5 semaines de congés par an.
L’histoire d’un apprenti
Après plusieurs stages de découverte, il s’inscrit en lycée professionnel pour suivre une formation de plombier. Très rapidement, X s’aperçoit que cette orientation ne lui convient absolument pas. Une réflexion et plusieurs rencontres sont menées entre le jeune, sa famille et l’IRJS, et une réorientation en cours d’année est décidée. X choisit de poursuivre une formation en CAP Agent polyvalent de restauration, en interne à l’IRJS. Cette formation va durer un an, étant donné le bon niveau scolaire de ce jeune. Il obtient son diplôme avec succès.
Vus son jeune âge (16 ans) et son désir d’approfondir ses connaissances en cuisine, X décide de poursuivre sa formation en préparant un second CAP Cuisine, en alternance et au CFA. Après concertation avec les différents acteurs de son projet, et étant données ses compétences professionnelles et personnelles, cette orientation semble très envisageable, mais il faut trouver un employeur.
C’est grâce à la collaboration entre le Safi et une entreprise de restauration collective que X, après un essai, a pu signer son premier contrat d’apprentissage en cuisine et entrer au CFA. Durant ses deux années de formation en CAP de Cuisine, X a bénéficié d’un accompagnement pédagogique et du soutien d’un enseignant technique spécialisé de l’IRJS. Parallèlement, il est toujours interne à l’IRJS.
Au cours de sa 2de année, X accède progressivement à l’autonomie : il est adhérent d’un club de football et plus tard en deviendra administrateur, il obtient son permis de conduire, puis manifeste le désir de prendre seul un appartement. Accompagné par sa référente, il commence les démarches avec les éducateurs.
En juillet 2011, X réussit brillamment son CAP et il ne souhaite pas s’arrêter là ! Effectivement, fort des encouragements de toute l’équipe pédagogique, éducative, et de son employeur, X se rapproche du Safi pour signer un nouveau contrat d’apprentissage et préparer une Mention complémentaire de cuisinier en dessert de restaurant, avec le même maître d’apprentissage.
Dans le même temps, il emménage seul dans son logement, devient demi-pensionnaire et continue à bénéficier du soutien pédagogique du même professeur technique spécialisé. En juillet 2012, il obtient son diplôme. Son contrat d’apprentissage s’arrête en août.
Après s’être posé la question de la poursuite en Bac professionnel, il a finalement préféré ne pas continuer maintenant, « mais pourquoi pas reprendre un jour ? ».
Après ce passage, X est revenu au Safi pour rédiger CV et lettres de motivation. Il a été orienté vers d’autres services pour les adultes sourds et il sait qu’il peut encore faire appel au Safi pendant 2 ans.
Aujourd’hui, X vit toujours dans son appartement, est autonome, responsable dans une association sportive et a souhaité prendre un peu de temps avant de trouver un nouvel emploi.
28 Le Safi de l’IRJS intervient lors de la signature du contrat d’apprentissage et pour proposer des aménagements liés au handicap. L’enseignant spécialisé fait le lien entre le CFA, l’employeur, le jeune et l’IRJS pour les bilans semestriels, les visites en entreprise et les besoins du jeune dans sa communication. Il s’agit pour l’enseignant de l’IRJS de faire preuve de plus en plus de discrétion de manière à ce que le jeune, souvent majeur en fin de cursus, puisse gérer de façon autonome ses relations avec son employeur.
29 S’il est interne, l’apprenti devra être hébergé au foyer de jeunes travailleurs pendant les congés scolaires pour pouvoir continuer à travailler. Toutes ces nouvelles contraintes ont été pesées en amont avec lui et il les a acceptées. Généralement, la préparation d’un CAP [1] dure deux ans, mais elle est souvent prolongée le temps d’une mention complémentaire ou pour préparer un Bac pro.
L’évolution des métiers et des choix de formations
30 Dans le contexte socio-économique actuel, la rapidité et l’efficacité de la communication ont une très grande importance. Dans ce domaine, toutes les personnes qui ont des difficultés à se faire comprendre ou à être comprises sont défavorisées. Les métiers de la relation, du service à la personne ou du commerce, auparavant jugés difficiles voire inaccessibles pour des sourds, sont maintenant choisis. Les jeunes sourds scolarisés dans le cycle ordinaire ont les mêmes désirs que leurs camarades : ils sont plus attirés par les métiers de la relation et de la vente que par les métiers manuels qui sont peu valorisés par la société.
31 Il y a encore une dizaine d’années, les jeunes sourds n’avaient accès qu’à un nombre restreint de métiers qui étaient enseignés à l’intérieur de l’institution : peinture en bâtiment, menuiserie, agent de restauration, comptabilité. Seuls quelques apprentis osaient alors, dans des dispositifs de partenariat avec les CFA, des formations autres : carrosserie, boulangerie, pâtisserie. Les diplômes obtenus étaient le CAP, le BEP [2], ou le bac professionnel préparé en deux ans après le BEP, essentiellement pour les métiers du tertiaire. Depuis 2005, on constate une ouverture vers des formations différentes : cuisine, électronique, secrétariat, vente et commerce, soins et service à la personne, comptabilité gestion, coiffure, électricité, magasinage et messagerie, transport et logistique, autant de formations proposées par les lycées et CFA de Poitiers.
32 Parallèlement, le niveau de diplôme obtenu s’est accru pour certains. La poursuite d’études vers des BTS (électronique, transport et logistique, comptabilité et gestion des organisations), puis vers des diplômes supérieurs (diplôme de comptabilité et de gestion), des licences professionnelles (transport international) ou des études universitaires, est un fait nouveau. La diversification des formations choisies et l’accroissement relatif du niveau des diplômes est la conséquence directe des dispositions de la loi sur le handicap obligeant à la mise en place d’accompagnements adaptés.
33 L’insertion professionnelle des personnes handicapées commence à être envisagée comme une donnée que l’entreprise doit prendre en compte. Elle est favorisée par l’évolution des appareillages individuels et des aménagements qui peuvent être mis en place dans l’entreprise. Le Safi de l’IRJS est contacté depuis quelques années par des chargés de mission handicap de grandes entreprises ou de groupements d’employeurs qui souhaitent embaucher ou former des personnes handicapées compétentes pour travailler dans la restauration, la vente (en drive), dans les hôpitaux ou dans le secteur de l’industrie.
34 Cependant, quels que soient les lieux et les niveaux de formation, les jeunes sourds vivent en entreprise des situations identiques du fait de leur handicap.
L’audition
35 Même si elles perçoivent les vibrations et compensent la déficience par une grande acuité visuelle, les personnes sourdes ne savent pas qu’elles ont fait tomber un objet, elles ne peuvent pas entendre les alarmes sonores, les différents bips qui avertissent de la fin de cuisson, de la mise en route d’une machine, du recul ou de l’arrivée d’un engin motorisé…, elles ne peuvent pas être appelées et toute conversation se termine dès qu’elles tournent le dos ou s’éloignent. En revanche, si elles ont des appareils auditifs, elles peuvent aussi être gênées par les bruits parasites d’une entreprise : fond sonore musical, bruits divers, souffleries et vibrations des machines…
36 Dans la vie professionnelle, comme dans la vie courante, la présence d’une personne sourde est une donnée importante à intégrer pour la sécurité. Il faudra donc que chacun sache que le nouveau stagiaire est sourd. S’il devient salarié, le Safi renseignera l’entreprise sur les aménagements de son poste de travail.
La communication
37 Le lieu de stage est choisi en fonction des intérêts du jeune mais aussi en fonction de ses capacités à se faire comprendre et à comprendre ce qui lui est demandé. Cela ne correspond pas obligatoirement à un mode de communication. Sourd profond et n’oralisant pas, un jeune peut être capable, grâce à une très bonne lecture labiale, une grande expressivité et une très grande envie de communiquer, de se sortir de la plupart des situations difficiles alors qu’un autre, qui parle pourtant, ne peut pas se faire comprendre et ne saisit pas ce qu’on attend de lui. Dans tous les cas, les informations ne peuvent parvenir au jeune qu’en face à face, quand il n’est plus penché sur une tâche, et dans un environnement calme.
38 Cependant, nous constatons que la communication ne pose pas de problème pour la majorité des tuteurs. Il y a des moyens multiples de se faire comprendre : en montrant, avec des gestes, en mimant, par des expressions du visage… Les jeunes font preuve d’une grande suppléance mentale et ils utilisent aussi la lecture labiale. Ce fonctionnement correspond bien à des métiers manuels et à la réalisation immédiate d’activités. La possibilité de recourir à l’écrit est peu utilisée dans ce type d’entreprise : les salariés n’ont généralement pas le temps d’écrire de longues explications et les jeunes sourds ont souvent eu des difficultés à accéder à la lecture, qui est liée à la réception auditive des phonèmes, et à acquérir un vocabulaire diversifié. C’est souvent grâce à l’observation et à l’imitation que le jeune sourd acquiert des gestes professionnels.
39 Au niveau du Bac pro ou du BTS, l’écrit prend plus de place et les nouvelles technologies sont alors des vecteurs d’information et de communication très importants et très utiles aux jeunes sourds qui les maîtrisent bien.
L’isolement
40 Dans une entreprise, les informations circulent beaucoup de façon orale et informelle. Les plaisanteries, les rires, les moments de détente échappent parfois à une personne sourde. Si l’équipe y a été sensibilisée, elle veillera à ce qu’elle soit prise en considération et ne se sente pas isolée… Comme les autres, elle a besoin de pouvoir échanger, rire, se détendre avec d’autres. Le plus souvent, c’est auprès d’autres personnes sourdes qu’elle a cette possibilité.
41 Il ne faut pas perdre de vue que le jeune, devenu salarié, aura besoin d’un réseau relationnel et de la présence d’autres sourds avec lesquels il pourra communiquer facilement. S’il est isolé, il vivra mal sa situation, se renfermera, en souffrira et cherchera toutes les occasions pour rejoindre des jeunes sourds en dehors de son lieu de travail. L’IRJS veille donc à évaluer la capacité du jeune à se créer un réseau relationnel. Certains d’entre eux prennent la décision de privilégier le travail, quitte à s’éloigner de la communauté des sourds ou de leur famille, d’autres préfèrent rester à proximité de leurs amis. Tous ces choix se respectent et sont pris en compte.
L’autonomie dans la vie quotidienne
42 Les éducateurs prennent en charge toute la phase péri-stage pour les jeunes internes. Dans un premier temps, ils aident le jeune à repérer où se déroulera son stage et quels sont les moyens qui sont à sa disposition pour s’y rendre : bus ou transport individuel. Des vélos et des scooters sont prêtés par l’établissement. Le jeune est ainsi relativement autonome quant à ses déplacements. L’éducateur l’accompagnera au préalable jusqu’à son lieu de stage pour repérer le trajet. Ces informations permettent au jeune d’être rassuré car le trajet et l’autonomie dans les déplacements peuvent être sources d’angoisse. L’éducateur veille également à ce qu’il soit en mesure de se préparer tout seul et d’être à l’heure au stage. La gestion du matériel, lavage et entretien du linge pour les stages en restauration notamment, est également prise en compte. Des machines à laver et des tables à repasser sont à disposition sur les groupes d’internat pour que le jeune puisse laver ses affaires et en prendre soin afin d’avoir une tenue de travail impeccable. La présentation vestimentaire est une des premières choses que les professionnels remarquent. Certains lieux de stage sont assez exigeants sur ce point.
43 Une somme est allouée au jeune pour qu’il puisse déjeuner. Les éducateurs et l’élève élaborent des menus et le jeune achète ce dont il a besoin. Il peut ainsi varier la nourriture et manger équilibré (et pas seulement des sandwichs achetés dans une cafétéria). À la fin de chaque semaine, le jeune fait le total de ses dépenses et remet ses comptes à la secrétaire chargée de la comptabilité. Les éducateurs sont donc présents pour rassurer les jeunes sur leurs appréhensions et leur apporter des éléments de compréhension du monde du travail (horaires, droits et devoirs à respecter…) afin que la transition se fasse en douceur.
44 Lorsque le jeune est en apprentissage, il doit veiller à avoir un rythme de vie adapté à ses horaires de travail, en particulier s’il se lève très tôt ou termine tard. C’est donc à lui de gérer ses horaires, éventuellement ses excès, et d’en être responsable. Avec les éducateurs et les enseignants, il apprend aussi à connaître mieux et à respecter le droit du travail : fiche de paie, congés, récupération, absences… Pendant les vacances scolaires, les jeunes apprentis font un préapprentissage de l’indépendance : ils sont hébergés en FJT avec un suivi ponctuel des éducateurs. Ces jeunes sont accompagnés dans l’apprentissage du BSR et du code de la route quand ils souhaitent le passer. Petit à petit, la suppléance éducative et pédagogique diminue pour permettre l’autonomie.
Le passage de l’internat à la vie adulte
45 La fin de l’apprentissage est synonyme pour le jeune de fin de prise en charge au sein de l’internat et d’entrée dans l’âge adulte (recherche d’emploi, autonomie financière, logement personnel,…). Le principal objectif du partenariat avec la Résidence habitat jeunes Le Local est de créer une transition entre la vie institutionnelle et la vie active pour un jeune en fin d’apprentissage professionnel (à partir de la 2e année de CAP).
46 L’IRJS souhaite donner au jeune tous les moyens pour qu’il puisse vivre ce changement sereinement : il sera locataire d’un studio et bénéficiera des accompagnements proposés par le Local où il aura un référent qui l’aidera pour toutes les démarches administratives. La vie en studio lui donnera la possibilité de prendre de l’autonomie dans sa vie quotidienne : faire ses courses, manger seul, entretenir son logement et son linge, mais aussi recevoir des amis en respectant le règlement du Local. Dans cette phase transitionnelle d’une année environ, le jeune bénéficie d’un double accompagnement coordonné, à savoir un maintien du suivi éducatif dont il faisait l’objet à l’IRJS et une prise en charge par l’équipe éducative du Local.
47 En fin de cursus, les jeunes qui souhaitent travailler trouvent généralement un emploi. Ils savent s’organiser et mener une vie personnelle et professionnelle autonome. Cependant, ils doivent faire preuve de volonté et de combativité pour parvenir à s’insérer dans l’entreprise et y trouver leur place. Le travail entrepris par l’IRJS aura permis de commencer cette insertion, mais elle n’est jamais totalement achevée. Le Safi de l’IRJS intervient encore ponctuellement pendant trois ans après la sortie de l’établissement, à la demande des jeunes, pour les soutenir et aider les entreprises. Le contact est aussi conservé par l’intermédiaire de l’association des anciens élèves. C’est ensuite le Service emploi et formation de Diapasom [3] qui intervient auprès des salariés et des entreprises.
Sigles utilisés
SEES-FP : Section d’enseignement et de première formation professionnelle
Safi : Service d’accompagnement à la formation et à l’insertion
MDPH : Maison départementale des personnes handicapées
CFA : Centre de formation d’apprentis
COP : Conseiller d’orientation psychologue
CAP : Certificat d’aptitude professionnelle
BEP : Brevet d’études professionnelles
BTS : Brevet de technicien supérieur
Bibliographie
- Crozat (B.), « L’intégration sociale et professionnelle des sourds », Lien social, n° 875, 2008.
- Lachault (Y.), Favoriser l’insertion professionnelle des jeunes handicapés, rapport, la documentation française, 2005.
- Lecapitaine (J.-Y.), « L’intégration, une inclusion en trompe l’œil », Liaisons, n° 1, décembre 2005, janvier 2006.
- Lecapitaine (J.-Y.), De la séparation à la participation, le passage du seuil, Texte de la conférence de la journée d’étude « Éducation nationale et éducation spécialisée, une culture commune en construction », 2011.
- Lecapitaine (J.-Y.), Des compétences pluridisciplinaires spécialisées au service d’un environnement inclusif, Texte d’une conférence donnée lors des 48es journées pédagogiques du GPEAA, 2012.Plan 2010-2012 en faveur des personnes sourdes et malentendantes, fiches 4, 5, 6,
- Ministère du Travail, des Relations sociales, de la Famille, de la Solidarité et de la Ville, Secrétariat chargé de la famille et de la solidarité, Paris, 10 février 2010, 2012.
- Tisserant (G), Le handicap en entreprise : contrainte ou opportunité ? Pearson, 2012.
Mots-clés éditeurs : Partenariat, Inclusion scolaire, Communication dans l'entreprise, Insertion socioprofessionnelle, Autonomie, Formation professionnelle, Surdit, Équipe pluri-catégorielle, Orientation professionnelle
Date de mise en ligne : 07/02/2015
https://doi.org/10.3917/nras.063.0069