Notes
-
[1]
Il s’agit de la circulaire n° 2000-013 du 20 janvier 2000 relative à l’organisation de la scolarité des jeunes sourds et déficients auditifs sévères dans le second degré.
-
[2]
À titre d’exemple, le « pôle surdité » de l’Institut national supérieur de formation et de recherche pour l’éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés (INS HEA), situé à Suresnes, ne disposait d’aucune donnée à ce sujet.
-
[3]
Parmi les dispositifs collectifs d’intégration, on trouve les Clis (Classes d’intégration scolaire), devenues en 2009 Classes pour l’inclusion scolaire, au niveau du primaire et les UPI (Unités pédagogiques d’intégration), devenues en 2010 les Ulis (Unités localisées pour l’inclusion scolaire) au niveau du secondaire. Les Clis-2 et les UPI-2 s’adressent aux élèves déficients auditifs.
-
[4]
Alors que les taux de réponse sont respectivement de 68 % et 67 % pour les établissements spécialisés et UPI, ce taux tombe à 50 % pour les établissements ordinaires proposant une scolarisation individuelle.
-
[5]
Récemment, des UPI Troubles spécifiques du langage pour des élèves présentant des troubles du langage ont été ouvertes. Elles sont parfois assimilées à des UPI-2, la déficience auditive pouvant s’accompagner de troubles du langage, ce qui peut créer la confusion.
-
[6]
Dans cet article, les données statistiques concernant les élèves ordinaires sont issues de l’édition 2009 de Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche (RERS) du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et, plus précisément, du chapitre 4 consacré à l’« étude des langues vivantes dans le second degré ». Ces statistiques concernent les élèves scolarisés dans des établissements ordinaires (y compris les élèves sourds). En revanche, les établissements spécialisés ne sont pas inclus dans ces données officielles.
-
[7]
Cette section comporte plusieurs tris croisés. Afin de tester la significativité du lien entre les différentes variables croisées, nous avons utilisé le test d’indépendance du chi2 : tous les tris croisés présentés sont significatifs au seuil de 1 % (p < 0,001).
-
[8]
Les données recueillies par questionnaires ne permettent pas de déterminer le nombre exact d’élèves sourds apprenant une LV2. Pour cela, il faudrait pouvoir comptabiliser seulement les collégiens de 4e et de 3e (qui sont concernés par l’apprentissage d’une LV2), ce que ne permet pas le questionnaire. Rapportés au nombre total de collégiens (ce qui engendre une sous-estimation), les élèves sourds seraient 25 % à apprendre une LV2.
-
[9]
Elles sont classées en fonction de l’âge du public sourd visé (des enfants aux adultes) qui est un critère d’analyse important.
-
[10]
Dans ce tableau, le pourcentage total dépasse les 100 % (pour atteindre 105,5 %), car une partie des élèves étudient deux premières langues vivantes dès la sixième (on parle de « classes bilangues »).
-
[11]
Dans 70 % des questionnaires exploités, les questions relatives à la dotation horaire de la LV1, de la LV2 et de la LSF ont été complétées. Les analyses présentées s’appuient donc sur un échantillon plus restreint.
-
[12]
L’appellation SES n’est plus utilisée en milieu ordinaire. Elle a été remplacée par celle de Segpa (Sections d’enseignement général et professionnel adapté) dès 1989 et a été généralisée en 1996. Elle perdure cependant sous cette forme dans le projet de l’établissement n° 2 qui est spécialisé.
1 Cette contribution s’intéresse à l’apprentissage d’une troisième langue – outre le français et la langue des signes française – par les élèves sourds à partir de l’entrée au collège. Cette question de recherche est originale, dans la mesure où les études existantes centrent majoritairement leurs analyses sur la langue vocale majoritaire (i.e. le français) et sur la langue des signes (i.e. la LSF) dans le cadre familial et/ou scolaire.
2 Conformément au Code de l’éducation qui prévoit que « la scolarité obligatoire doit […] garantir à l’élève […] la pratique d’au moins une langue étrangère » (article L.122-1-1), les élèves sourds, comme leurs camarades entendants, ont l’obligation scolaire d’apprendre une première Langue vivante (LV1) à partir de la classe de 6e. En revanche, si la deuxième Langue vivante (LV2) est obligatoire pour la plupart des élèves entendants, à partir de la classe de 4e, les élèves sourds peuvent en être dispensés depuis une circulaire de janvier 2000 [1]. Elle prescrit : « Il vous appartient donc, si l’élève et sa famille le demandent, de rendre facultatif cet enseignement d’une deuxième langue vivante, au cas par cas, au regard de l’importance de cette surcharge et de ses répercussions sur l’accomplissement du cursus scolaire de l’élève concerné […] Dans le cas où cette dispense est accordée, les heures libérées à l’emploi du temps de l’élève sont utilisées pour apporter un soutien pédagogique adapté à ses besoins, tels qu’ils sont définis dans son projet individualisé d’intégration ».
3 L’objectif de cette recherche est de mieux connaître la situation de l’enseignement-apprentissage des langues étrangères à destination des élèves sourds en France. Comment cette obligation scolaire se traduit-elle dans les faits ?
4 Notre enquête de terrain comporte un volet quantitatif. Une enquête par questionnaires a été menée auprès d’un large échantillon d’établissements scolaires secondaires accueillant des élèves sourds en France : elle concerne 104 établissements scolaires et 1 040 élèves sourds au total. Quatre établissements scolaires – ordinaires et spécialisés – ont également participé à une enquête ethnographique, au cours de laquelle quatorze enseignants de langues et quarante élèves sourds ont été suivis sur le long terme. Des entretiens semi-directifs ont été réalisés, ainsi que des observations de classe.
5 Dans un premier temps, nous nous intéresserons aux effectifs d’élèves sourds concernés : combien d’élèves sourds apprennent effectivement une LV1 et une LV2 ? Dans un second temps, nous traiterons de l’offre linguistique proposée : quelles langues apprennent-ils ? Puis, nous chercherons à connaître les spécificités dans l’apprentissage des langues étrangères chez ces élèves, notamment en termes de dotation horaire. Enfin, les données issues de l’enquête ethnographique permettront d’approfondir ces questions et d’aborder la question des méthodes pédagogiques adoptées.
Présentation de l’enquête quantitative
Une enquête inédite
6 Une enquête par questionnaires a été réalisée auprès d’établissements scolaires accueillant des élèves sourds. Il est, en effet, apparu qu’aucune base de données n’a été constituée sur le thème des cours de langues étrangères proposés aux sourds, comme plusieurs institutions ou organismes l’ont confirmé [2]. Nous avons donc été amenés à collecter directement ces informations. L’envoi de questionnaires a été un moyen rapide et efficace pour obtenir et traiter des données objectives et quantifiables sur les pratiques en la matière : nombre d’élèves concernés, nombre de professeurs de langues impliqués, différentes langues étrangères proposées (LV1 et LV2) aux élèves sourds, dotations horaires, etc.
7 Un questionnaire a été rédigé, puis retravaillé, à la suite d’un pré-test auprès de quelques établissements. Lors de cette phase de conception est apparue la difficulté qu’il y a à proposer un même questionnaire à des établissements scolaires aux structures très différentes. En effet, l’organisation des études peut considérablement varier d’un établissement à un autre, en particulier d’un établissement spécialisé à un établissement ordinaire. Pour autant, afin de rendre le questionnaire plus facilement exploitable, il a fallu homogénéiser les questions posées. Dans le talon du questionnaire, l’information suivante était précisée :
- Pour les établissements ordinaires accueillant à la fois des élèves entendants et sourds, les informations demandées ne portent que sur les élèves sourds.
- Pour les établissements spécialisés pour élèves sourds, seuls les élèves sourds scolarisés dans les classes spécialisées de l’établissement doivent être pris en compte (un questionnaire sera envoyé en parallèle aux établissements ordinaires avec lesquels ils travaillent et qui intègrent certains élèves sourds).
Caractéristiques des établissements scolaires contactés
9 L’échantillon des établissements scolaires accueillant des élèves sourds n’a pas pu être exhaustif, du fait de la difficulté à les recenser en totalité. La Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’Éducation nationale m’a fourni la liste des établissements spécialisés. Pour les établissements ordinaires – proposant une scolarisation individuelle ou avec l’appui d’un dispositif – nous avons utilisé le seul annuaire disponible, celui de l’Office national d’information sur les enseignements et les professions (Onisep). Ainsi, si la plupart des établissements spécialisés et des établissements ordinaires proposant une scolarisation en dispositif collectif [3] sont présents dans l’échantillon, car plus facilement repérables, les établissements ordinaires scolarisant individuellement quelques élèves sourds ont été plus difficiles à identifier et à contacter.
10 Pour autant, nous avons tenu à avoir un échantillon d’établissements le plus large possible, pour respecter la diversité des types de scolarisation (y compris les scolarisations individuelles) et des situations géographiques (France métropolitaine et Outre-mer). Au total, 188 établissements scolaires ont été contactés, répartis comme l’indique le tableau 1.
Tableau 1 : Nombre de questionnaires envoyés (selon le type d’établissement)
Tableau 1 : Nombre de questionnaires envoyés (selon le type d’établissement)
Un taux de réponse satisfaisant
11 Les questionnaires ont été adressés, en septembre 2008, à la direction des établissements (principal, proviseur, directeur, selon les structures). Si un certain nombre d’entre eux ont répondu directement, d’autres ont préféré transférer le questionnaire aux personnes les plus compétentes en la matière, c’est-à-dire au coordinateur de l’UPI ou à l’un des professeurs de langues en charge de ces élèves, qui l’ont rempli puis renvoyé. Une enveloppe pré-timbrée était fournie pour le retour des questionnaires.
12 Le taux de réponse a été plus que satisfaisant pour une enquête par voie postale de ce type : 49 % avant relance et 61 % après relance. La relance a été menée de manière systématique, soit par téléphone, soit par mail, un mois après l’envoi du questionnaire. Ce sont les établissements ordinaires proposant une scolarisation individuelle qui ont été les moins nombreux à répondre [4] – avant et après la relance – se sentant probablement moins proches du thème de la recherche, leur effectif d’élèves sourds étant très restreint (dans certains cas, un seul élève est concerné). Finalement, 104 questionnaires ont été exploités, soit 55 % des questionnaires attendus (cf. tableau 2). En effet, certains établissements ordinaires contactés proposant une scolarisation individuelle ont répondu ne pas recevoir d’élèves sourds cette année-ci et d’autres établissements proposant une scolarisation avec dispositif collectif ont été désignés à tort « UPI-2 », alors qu’ils accueillent en réalité des élèves avec des troubles du langage [5].
Tableau 2 : Nombre total de questionnaires envoyés, recueillis et exploités
Tableau 2 : Nombre total de questionnaires envoyés, recueillis et exploités
13Parmi les 104 questionnaires exploités, les établissements accueillant une UPI-2 sont les plus représentés (45 %) ; ils étaient également les plus nombreux à être contactés. En revanche, ce sont les élèves scolarisés dans des établissements spécialisés qui sont, de loin, les plus représentés (68 %). Ces résultats sont logiques, puisque les établissements proposant une scolarisation individuelle n’accueillent ponctuellement que quelques élèves sourds et ceux proposant soutien d’un dispositif collectif peuvent en accueillir dix au maximum par classe. A contrario, les établissements spécialisés possèdent plusieurs classes de chaque niveau et, même si elles sont à effectifs réduits, le nombre total d’élèves concernés est supérieur.
Tableau 3 : Nombre total de questionnaires exploités et d’élèves sourds concernéspar l’enquête (selon le type d’établissement)
Tableau 3 : Nombre total de questionnaires exploités et d’élèves sourds concernéspar l’enquête (selon le type d’établissement)
Effectifs concernés par la LV1 et la LV2
14 Quel est le nombre d’élèves sourds apprenant une langue étrangère ? Pour répondre à cette question, il faut distinguer les effectifs concernés par la LV1 et par la LV2.
LV1 pour une majorité d’élèves
15 Dans les faits, tous les élèves sourds n’apprennent pas de LV1, bien qu’elle soit obligatoire. À la rentrée 2008, 99,9 % des élèves ordinaires apprennent une LV1 et « l’infime proportion d’élèves qui ne bénéficie pas de cet enseignement relève vraisemblablement d’adaptations des programmes sur le terrain, liées à des situations particulières » (DEPP- MEN [6], 2009, p. 122). Pour autant, seuls 87,9 % des collégiens concernés par l’enquête par questionnaires apprennent une LV1 au sens strict du terme (cf. tableau 4). Cela s’explique par le fait que certains établissements spécialisés, qui estiment avoir une plus grande marge de liberté dans l’aménagement des programmes que les établissements ordinaires, ne proposent aucun enseignement de langues étrangères.
Tableau 4 : Proportion d’élèves de collège apprenant une LV1 à la rentrée 2008
Tableau 4 : Proportion d’élèves de collège apprenant une LV1 à la rentrée 2008
16Ainsi une majorité d’élèves sourds apprennent une langue étrangère, même si un nombre non négligeable d’entre eux n’en apprend pas.
LV2 pour une minorité d’élèves
17 À la rentrée 2008, 96,8 % des élèves ordinaires apprennent effectivement une LV2, puisqu’elle est obligatoire pour la plupart des élèves entendants, à partir de la classe de 4e. En revanche, dans la mesure où les élèves sourds peuvent en être dispensés, près d’un quart des établissements ne proposent pas d’enseignement de LV2. Les établissements spécialisés sont les plus nombreux dans ce cas, comme l’indique le tableau croisé ci-dessous [7].
Tableau 5 : Offre de LV2 selon le type d’établissement
Tableau 5 : Offre de LV2 selon le type d’établissement
18Les élèves sourds suivant des cours de LV2 représentent donc une minorité, mais qui est difficile à quantifier [8].
Différentes langues étrangères proposées
19 Quelles sont les langues étrangères que les élèves sourds apprennent ? Sont-elles identiques à celles apprises par les autres élèves ? Il est intéressant de comparer la situation en France et à l’étranger.
Langues étrangères vocales et non signées
20 Le Conseil de l’Europe émet la recommandation suivante : « Les personnes utilisant le langage des signes doivent également avoir la possibilité d’apprendre le langage des signes d’autres pays, afin de profiter des possibilités offertes en termes de mobilité, d’échange et d’enrichissement culturel. » (Dupuis et al., 2003, p. 46)
21 Dans plusieurs pays européens, des initiatives dont le but était d’enseigner des langues étrangères à des sourds ont été prises. Elles ont fait l’objet de plusieurs analyses : en Suède (Heiling, 1999), en Suisse (Zimmermann, 2000), en Italie (Ochse, 2001), en République Tchèque (Motejzíková, 2004), en Pologne (Domaga?a-Zysk, 2004), en Norvège (Pritchard, 2004), en Irlande (Leeson, 2005) ou encore en Hongrie (Bajkó & Kontra, 2008).
22 Le tableau 6 recense ces différentes expériences, en précisant les langues proposées, le public concerné, le lieu d’enseignement ainsi que le contexte institutionnel dans les différents pays [9].
Tableau 6 : Panorama des expériences menées en Europe pour enseigner des langues étrangères à des sourds
Tableau 6 : Panorama des expériences menées en Europe pour enseigner des langues étrangères à des sourds
23À titre d’illustration, on constate qu’en Suède, les enfants sourds bénéficient d’une éducation bilingue (SSL/suédois) depuis leur plus jeune âge ; ils apprennent également l’anglais à partir du primaire et des langues signées étrangères (BSL ou ASL) sont proposées en option à partir du secondaire (Heiling, 1999).
24 Cette situation contraste évidemment avec celle de la France où l’éducation bilingue (LSF/français) est encore marginale et où les jeunes sourds ne peuvent pas choisir entre une langue étrangère vocale et une langue étrangère signée. Ainsi, ils apprennent, dans la grande majorité des cas, l’anglais uniquement.
Offre linguistique réduite
25 Il apparaît que, parmi les langues étrangères vocales, l’offre linguistique proposée aux élèves sourds en France est réduite.
Anglais comme LV1
26 À la rentrée 2008, parmi les élèves apprenant une LV1, les élèves ordinaires sont 94 % à apprendre l’anglais, tandis que ce taux s’élève à près de 100 % pour les élèves sourds. Les autres langues sont sous-représentées, comme l’indique le tableau 7.
Tableau 7 : Langue étudiée parmi les élèves du collège apprenant une LV1 à la rentrée 2008 [10]
Tableau 7 : Langue étudiée parmi les élèves du collège apprenant une LV1 à la rentrée 2008 [10]
27Pour comprendre pourquoi la quasi-totalité des élèves sourds apprennent l’anglais comme LV1, il faut garder à l’esprit le fait que la LV2 est optionnelle. On constate que les élèves dans certaines filières sont d’autant plus enclins à choisir l’anglais comme LV1 qu’ils n’apprendront qu’une seule langue : « [L’anglais] est d’autant plus privilégié que la perspective de l’apprentissage d’une seconde langue n’est pas certain, comme c’est le cas pour les élèves de Segpa (Section d’enseignement général et professionnel adapté) ou de l’enseignement professionnel […] » (Defresne, 2005, p. 1). Ainsi, rendre la LV2 facultative pour les élèves sourds a tendance à renforcer le choix de l’anglais comme LV1.
LSF comme LV2
28 À la rentrée 2008, parmi les élèves apprenant une LV2, les élèves « ordinaires » sont 70,8 % à apprendre l’espagnol contre seulement 18,7 % pour les élèves sourds, comme l’indique le tableau 8. En effet, près de 78 % d’entre eux préfèrent choisir la LSF comme LV2.
Tableau 8 : Langue étudiée parmi les élèves du collège apprenant une LV2 à la rentrée 2008
Tableau 8 : Langue étudiée parmi les élèves du collège apprenant une LV2 à la rentrée 2008
29Dans la mesure où la LSF ne peut pas être choisie comme LV1, elle remplace bien souvent une langue étrangère comme LV2.
Dotations horaires
30 Outre le choix des langues, le nombre d’heures qui leur est consacré par semaine est révélateur de la place des langues étrangères dans le cursus scolaire des élèves sourds.
Cas des langues étrangères
31 Selon les instructions officielles (JO du 9 février 2002 ; BO n° 8 du 21 février 2002), depuis la rentrée 2002, la dotation horaire attribuée à l’enseignement de la LV1 au collège est la suivante : 4 heures hebdomadaires en classe de 6e et 3 heures hebdomadaires en 5e, 4e et 3e.
32 D’après les données issues des questionnaires [11], la majorité des établissements proposant une LV1 respectent la dotation horaire officielle. Pourtant, un certain nombre d’entre eux aménagent les horaires, soit en les allégeant, soit en les renforçant, comme l’indique le tableau 9. Le constat est identique pour la LV2.
Tableau 9 : Dotation horaire hebdomadaire pour la LV1 (en fonction des niveaux) selon notre enquête par questionnaire
Tableau 9 : Dotation horaire hebdomadaire pour la LV1 (en fonction des niveaux) selon notre enquête par questionnaire
Cas des autres langues : français et LSF
33 À titre de comparaison, il est intéressant d’analyser le statut des autres langues apprises dans les établissements (français et LSF).
34 Concernant le français, les établissements ont tendance à proposer des horaires renforcés : au lieu des quatre à cinq heures hebdomadaires officiellement consacrées au français, ils proposent au moins deux heures supplémentaires.
35 Concernant la LSF, 57 % des établissements enquêtés par questionnaire proposent un enseignement de LSF qui est soit obligatoire, soit optionnel. Si la LSF est proposée dans tous les établissements spécialisés et dans plus de la moitié des établissements ordinaires accueillant une UPI, elle est absente de la quasi-totalité des établissements ordinaires proposant une scolarisation individuelle, comme l’indique le tableau croisé suivant.
Tableau 10 : Offre de LSF selon le type d’établissement
Tableau 10 : Offre de LSF selon le type d’établissement
36Dans plus de 90 % des cas, les cours de LSF durent entre une et deux heures et demie par semaine (cf. tableau 11). Cela représente donc beaucoup moins d’heures que les cours de français et moins que les cours de LV1 et de LV2.
Tableau 11 : Dotation horaire hebdomadaire pour la LSF dans les établissements enquêtés par questionnaire
Tableau 11 : Dotation horaire hebdomadaire pour la LSF dans les établissements enquêtés par questionnaire
37Le fait que la LSF arrive, en heures d’enseignement, en troisième position (derrière le français et les langues étrangères) implique une différence du nombre d’enseignants selon les disciplines : les enseignants de français sont les plus représentés, suivis des enseignants d’anglais et de quelques enseignants de LSF.
38 Il existe donc une hiérarchie informelle entre les langues : l’investissement institutionnel dans la maîtrise du français chez ces élèves est bien plus important que dans la maîtrise de la LSF ou d’une langue étrangère. Ivani Fusellier-Souza, qui a enseigné l’anglais dans un établissement spécialisé, constate cet état de fait et le déplore : « Le décalage entre le temps d’enseignement du français et de la LSF était frappant. Pour les classes de 6e et de 5e, le temps consacré à l’enseignement du français était de sept heures par semaine, alors que le temps d’enseignement de la LSF se limitait à deux heures […] La LSF ne bénéficiait même pas du temps dévolu à l’enseignement d’une troisième langue : trois heures par semaine étaient en effet accordées à l’anglais. » (2003, p. 88)
Discussion
39 En parallèle de l’enquête quantitative, une enquête ethnographique a été menée auprès de quatre établissements scolaires situés à Paris et en banlieue parisienne. Deux d’entre eux sont spécialisés : l’un est privé, recrute des élèves de milieux plutôt favorisés et propose une éducation oraliste, tandis que l’autre est public, accueille des élèves d’origines plus modestes et offre une éducation bilingue. Les deux autres établissements sont ordinaires et possèdent un dispositif collectif d’intégration, une Unité pédagogique d’intégration (UPI), qui comprend des élèves, malentendants pour la plupart, issus de milieux modestes.
40 Il s’agit de mettre en regard ces différentes données (quantitatives et qualitatives), de les comparer et de les enrichir.
Statut reconnu de la LV1
41 Dans les établissements ayant participé à l’enquête ethnographique, la totalité des élèves qui y sont scolarisés apprennent une LV1 mais le nombre d’heures qui y est consacré varie d’un établissement à un autre, comme l’indique le tableau 12.
Tableau 12 : Dotation horaire hebdomadaire pour la LV1 dans les établissements participant à l’enquête ethnographique
Tableau 12 : Dotation horaire hebdomadaire pour la LV1 dans les établissements participant à l’enquête ethnographique
42La direction de l’établissement n° 1 affiche sa volonté de valoriser l’apprentissage des langues vivantes. Sur le site Internet de l’établissement, on peut lire que « tous les élèves bénéficient d’une attention particulière en langues vivantes » pour deux raisons : d’une part, les langues étrangères concourent au « développement de la structuration linguistique et de la culture générale » et d’autre part, l’« avenir des jeunes » dépend en partie de la maîtrise d’au moins une langue étrangère (poursuite d’études, recherche d’emploi). C’est pourquoi les horaires sont renforcés dans cette matière (une heure supplémentaire à tous les niveaux). En entretien, les enseignants se disent satisfaits du nombre d’heures consacrées à la LV1 :
43 – « Ben, pour l’anglais… euh… la place est quand même importante, parce que y a quatre heures, y en a plus que dans le cursus normal… […] » (Mme Hortense, enseignante de français, d’anglais et d’espagnol, en milieu spécialisé) ;
44 – « Euh… ils ont quatre heures par semaine, ce qui est pas mal, hein. Vraiment pas mal… […] » (Mme Beauvieu, enseignante de français et d’anglais, en milieu spécialisé) ;
45 – « Bon, bien que du point de vue de l’emploi du temps, je ne me plains pas : j’ai plus d’heures que… disons la moyenne nationale, hein » (M. Choupeau, enseignant d’anglais, en milieu spécialisé).
46 Au sein de l’établissement n° 2, il existe une logique de filières au collège : la filière dite « bilingue » regroupe des élèves susceptibles de suivre une scolarité générale jusqu’au bac ; la filière SES (Section d’enseignement spécial [12]) s’adresse aux élèves en difficulté qui s’orienteront vers la voie professionnelle. Selon la filière, l’importance accordée à la LV1 – en l’occurrence l’anglais – varie, comme l’explique l’enseignant d’anglais M. Rousse :
47 – « Eh bien, c’est selon le programme, en fait… selon le référentiel. Par contre, on distingue ceux qui sont destinés à passer le brevet et qui se destinent à un cursus, on va dire… à un cursus plus ou moins long… et les autres. Pour ceux qui sont dans… qui doivent passer le brevet, on a trois heures, trois heures d’anglais, c’est ce qu’il y a dans le référentiel en fait. Et pour les autres, que deux heures. »
48 Quant aux UPI des établissements n° 3 et n° 4, elles respectent les horaires officiels.
Statut variable de la LV2
49 En revanche, le statut de la LV2 est fortement variable et dépend de la politique des établissements.
50 Par exemple, l’établissement n° 1 encourage fortement les élèves à suivre un enseignement de LV2 et propose l’espagnol ; des aménagements sont cependant possibles dans le cas d’un « élève qui vient d’un établissement où il n’a pas eu cet enseignement et qui ne peut le rattraper » : la grande majorité des élèves (90 %) suivent donc des cours de LV2. Les élèves peuvent également suivre des cours de LSF, mais en plus des cours de LV2. L’établissement spécialisé n° 2 ne propose pas d’enseignement de LV2. Les établissements ordinaires n° 3 et n° 4 n’ont pas encore été confrontés à la question de l’enseignement de la LV2, puisque leur classe d’élèves sourds n’est pas encore arrivée en 4e.
Réflexion sur les adaptations pédagogiques
51 La question des adaptations pédagogiques nécessaires en classe de langue étrangère face à un tel public n’a pas pu être abordée dans le questionnaire. En effet, les premières données empiriques ont montré une grande variabilité des pratiques d’un établissement à un autre et même d’une classe à une autre, difficilement traitable d’un point de vue quantitatif.
52 Nous aimerions malgré tout suggérer des pistes de réflexion à partir des données ethnographiques recueillies. Il faut distinguer deux niveaux : les pratiques des enseignants (ce qu’ils enseignent et comment ils l’enseignent) et les pratiques des élèves (ce qu’ils apprennent).
53 Prenons l’exemple de la langue d’enseignement utilisée. En classe d’anglais ordinaire, on s’attend à ce que l’anglais soit la langue dominante dans les interactions entre enseignant et élèves. Lors de l’enquête, nous avons constaté que la plupart des enseignants renoncent à enseigner en anglais, dans la mesure où la perception des sons et la lecture labiale en anglais pose problème. Ils utilisent souvent une autre langue que l’anglais pour enseigner – la LSF, le français signé (mélange linguistique entre le français oral et la LSF) ou le français. Les seuls enseignants – minoritaires – qui décident d’enseigner principalement en anglais sont soit des enseignants exerçant en milieu ordinaire, soit des enseignants natifs (i.e. anglo-saxons) exerçant en milieu spécialisé. En revanche, tous les enseignants, qu’ils aient fréquemment recours à l’anglais oral ou non, utilisent en parallèle l’écrit comme support privilégié. Par exemple, l’écriture au tableau accompagne souvent le message délivré à l’oral (quelle que soit la langue utilisée) et l’utilisation de supports visuels variés (images, films, flashcards, etc.) facilitent les échanges.
54 Dans ces conditions, sur les quatre savoir-faire attendus (compréhension écrite et orale et expression écrite et orale), deux sont systématiquement travaillés en classe : la compréhension écrite et l’expression écrite. Cela signifie que la forme écrite de la langue cible est souvent privilégiée par les enseignants et valorisée chez les élèves. Néanmoins, l’oralisation en anglais (le fait de parler en anglais), bien que rare, est parfois présente, notamment lorsque les élèves sourds sont scolarisés en classe ordinaire et témoignent d’une curiosité pour l’anglais oral.
Conclusion
55 À l’entrée au collège, une langue étrangère s’ajoute au français et à la LSF. Il semble que, au-delà des dispositions nationales existantes qui visent à favoriser l’apprentissage des langues étrangères en France, chaque établissement scolaire accueillant des élèves sourds adapte l’enseignement des langues à ce public. Dans la mesure où la LSF ne peut pas être choisie comme LV1 qui est obligatoire, les élèves sourds apprennent, dans la plupart des cas, l’anglais. Dans ces conditions, l’anglais est appris soit uniquement à l’écrit, soit à l’écrit et à l’oral – cela varie selon le profil des professeurs et des élèves qui peuvent être plutôt oralistes (s’exprimant principalement en français oral) ou plutôt signeurs (privilégiant la communication en langue des signes). En revanche, la LV2 étant optionnelle, ils sont souvent libres de choisir la LSF. La dotation horaire respective de ces trois langues (français, LSF et anglais) témoigne de leur statut : le français arrive incontestablement en tête (avec des horaires renforcés) suivi de la LV1 (de deux à quatre heures hebdomadaires) et de la LSF (entre une et deux heures et demie par semaine).
56 L’introduction d’une troisième langue au collège (principalement l’anglais) est donc prise dans un réseau de contraintes. On retrouve, dans le cadre scolaire, les mêmes rapports de force entre les différentes langues que dans le cercle familial, dans lequel les parents entendants d’enfants sourds, confrontés à un choix linguistique, privilégient souvent l’apprentissage du français oral et écrit, à l’exclusion de toute autre langue (en particulier au détriment de la LSF). Le rapport de force reste en faveur du français qui jouit d’un statut supérieur du fait qu’il s’agit de la langue nationale et officielle. Les résultats obtenus au niveau national (dans le cadre de l’enquête par questionnaires) se retrouvent dans les données locales (recueillies par le biais de l’enquête ethnographique).
57 Ainsi se décentrer du français et de la LSF pour proposer une réflexion sur une troisième langue (comme l’anglais) permet d’ouvrir de nouvelles perspectives de recherche autour du conflit linguistique chez les sourds.
Bibliographie
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- Ochse (E.), “EFL with Adult Deaf Students: Two Cultures, Two Approaches“, Textus : English studies in Italy, 14(2), 2001, 447-472.
- Onisep, Jeunes handicapés auditifs, Onisep (Réadaptation : les répertoires), 2007.
- Pritchard (P.), TEFL for deaf pupils in Norwegian bilingual schools: Can deaf primary school pupils acquire a foreign sign language? (Masters Thesis in Special Education), Norwegian University of Science and Technology, Trondheim, Norway, 2004.
- Zimmermann (M. C.), « L’apprentissage de langues étrangères par des personnes sourdes », Bulletin de l’association suisse des parents d’enfants déficients-auditifs (ASPEDA), 26(3), 2000, 18.
Mots-clés éditeurs : Langue des signes, Langage, Enseignement, Surdité, Questionnaire, Langue étrangère, Ethnographie, Apprentissage
Date de mise en ligne : 07/02/2015
https://doi.org/10.3917/nras.059.0175Notes
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[1]
Il s’agit de la circulaire n° 2000-013 du 20 janvier 2000 relative à l’organisation de la scolarité des jeunes sourds et déficients auditifs sévères dans le second degré.
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[2]
À titre d’exemple, le « pôle surdité » de l’Institut national supérieur de formation et de recherche pour l’éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés (INS HEA), situé à Suresnes, ne disposait d’aucune donnée à ce sujet.
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[3]
Parmi les dispositifs collectifs d’intégration, on trouve les Clis (Classes d’intégration scolaire), devenues en 2009 Classes pour l’inclusion scolaire, au niveau du primaire et les UPI (Unités pédagogiques d’intégration), devenues en 2010 les Ulis (Unités localisées pour l’inclusion scolaire) au niveau du secondaire. Les Clis-2 et les UPI-2 s’adressent aux élèves déficients auditifs.
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[4]
Alors que les taux de réponse sont respectivement de 68 % et 67 % pour les établissements spécialisés et UPI, ce taux tombe à 50 % pour les établissements ordinaires proposant une scolarisation individuelle.
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[5]
Récemment, des UPI Troubles spécifiques du langage pour des élèves présentant des troubles du langage ont été ouvertes. Elles sont parfois assimilées à des UPI-2, la déficience auditive pouvant s’accompagner de troubles du langage, ce qui peut créer la confusion.
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[6]
Dans cet article, les données statistiques concernant les élèves ordinaires sont issues de l’édition 2009 de Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche (RERS) du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et, plus précisément, du chapitre 4 consacré à l’« étude des langues vivantes dans le second degré ». Ces statistiques concernent les élèves scolarisés dans des établissements ordinaires (y compris les élèves sourds). En revanche, les établissements spécialisés ne sont pas inclus dans ces données officielles.
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[7]
Cette section comporte plusieurs tris croisés. Afin de tester la significativité du lien entre les différentes variables croisées, nous avons utilisé le test d’indépendance du chi2 : tous les tris croisés présentés sont significatifs au seuil de 1 % (p < 0,001).
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[8]
Les données recueillies par questionnaires ne permettent pas de déterminer le nombre exact d’élèves sourds apprenant une LV2. Pour cela, il faudrait pouvoir comptabiliser seulement les collégiens de 4e et de 3e (qui sont concernés par l’apprentissage d’une LV2), ce que ne permet pas le questionnaire. Rapportés au nombre total de collégiens (ce qui engendre une sous-estimation), les élèves sourds seraient 25 % à apprendre une LV2.
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[9]
Elles sont classées en fonction de l’âge du public sourd visé (des enfants aux adultes) qui est un critère d’analyse important.
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[10]
Dans ce tableau, le pourcentage total dépasse les 100 % (pour atteindre 105,5 %), car une partie des élèves étudient deux premières langues vivantes dès la sixième (on parle de « classes bilangues »).
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[11]
Dans 70 % des questionnaires exploités, les questions relatives à la dotation horaire de la LV1, de la LV2 et de la LSF ont été complétées. Les analyses présentées s’appuient donc sur un échantillon plus restreint.
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[12]
L’appellation SES n’est plus utilisée en milieu ordinaire. Elle a été remplacée par celle de Segpa (Sections d’enseignement général et professionnel adapté) dès 1989 et a été généralisée en 1996. Elle perdure cependant sous cette forme dans le projet de l’établissement n° 2 qui est spécialisé.