Couverture de NRAS_053

Article de revue

Former les enseignants spécialisés à exercer une autorité éducative : une réponse au problème des jeunes instables ou hyperactifs ?

Pages 139 à 150

Notes

  • [1]
    P. Fernandez, « Les comportements difficiles à l’école », compte rendu du PER (Projet d’étude et de recherche) hyperactivité/instabilité, septembre?2004, sitecoles : http://www.formiris2.org/sitecoles/stockage/docs/pdf/1495_1.pdf (consulté le 24?septembre 2009).
  • [2]
    Expertise collective, « Troubles des conduites chez l’enfant et l’adolescent », septembre?2005, site de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale : http://ist.inserm.fr/basisrapports/trouble_conduites/trouble_conduites_synthese.pdf (consulté le 31?mars 2007). Collectif, Pas de 0 de conduite pour les enfants de 3 ans?!, Erès, Ramonville Saint-Agne, 2006. Collectif, Enfants turbulents : l’enfer est-il pavé de bonnes préventions ?, Actes du 2e colloque « Pas de 0 de conduite » du 10?novembre 2007, Erès, Ramonville Saint-Agne, 2008, site : http://www.pasde0deconduite.ras.eu.org/
  • [3]
    En référence à B. Stiegler, La télécratie contre la démocratie, Flammarion, Paris, 2006. P. Meirieu, « L’école mise au pas », conférence lors du Forum des Psys, « Quelle politique de civilisation ? « Réhumaniser » la société : comment ? Cognitivisme ou psychanalyse, vivre sous Sarkozy?», 9-10 février 2008, site de Philippe Meirieu : http://www.meirieu.com/ARTICLES/colloque_psys.pdf (consulté le 1er avril 2008).
  • [4]
    Ceux qui favorisent les apprentissages des élèves en proposant des situations tenant compte de leurs modes de pensée et de leurs stratégies, en présentant les contenus de savoirs selon des formes et des modalités variées, en veillant à la présentation et à la structuration de contenus de savoirs sensibles (enseignement de la Shoah ou de l’histoire coloniale, des origines de l’univers et de l’homme, éducation à la sexualité…).
  • [5]
    M. Tozzi, « «L’autorité démocratique »?: une provocation conceptuelle ? », Les cahiers de Cerfee, n°?21, 2006.
  • [6]
    B. Robbes, « Les pratiques institutionnelles : réponses actualisées pour l’autorité de l’enseignant ? », mai?2006, site du Ceepi : http://ceepi.org/article.php3?id_article=287 (consulté le 2 février 2007).
  • [7]
    F. Oury, A.?Vasquez, Vers une pédagogie institutionnelle, Maspéro, Paris, 1967, p.?202-203, 210-213, 241-248. C.?Pochet, F.?Oury, J.?Oury, « L’année dernière, j’étais mort… » signé Miloud, Matrice, Vigneux, 1986, p.?135-136.
  • [8]
    Cet ensemble d’informations est repris dans nos interventions.
  • [9]
    B.?Robbes, L’autorité éducative dans la classe, ESF, Paris, 2010, p.?59.
  • [10]
    G. Mendel, Pour décoloniser l’enfant. Sociopsychanalyse de l’autorité, Payot, Paris, 1971.
  • [11]
    Cette évolution commence en fait à la Renaissance.
  • [12]
    P. Legendre, Filiation. Fondement généalogique de la psychanalyse (Leçon IV, suite 2), Fayard, Paris, 1990.
  • [13]
    D. Marcelli, L’enfant chef de la famille. L’autorité de l’infantile, Albin Michel, Paris, 2003.
  • [14]
    P. Meirieu, « Quelle autorité pour quelle éducation ? » Rencontres internationales de Genève, septembre?2005, site de Philippe Meirieu : http://www.meirieu.com/ARTICLES/L%27AUTORITE.pdf (consulté le 6 janvier 2006).
  • [15]
    P. Jeammet, dir., Adolescences : repères pour les parents et les professionnels, Syros, Paris, 2004.
  • [16]
    B. Robbes, 2010, p. 59.
  • [17]
    M.-C. Blais, M. Gauchet, D. Ottavi, Conditions de l’éducation, Stock, Paris, 2008.
  • [18]
    Ibid., p. 106. C’est en ce sens, et en référence à la définition que Philippe Meirieu donne de l’éducation (« une relation dissymétrique nécessaire et provisoire, visant à l’émergence d’un sujet »), que nous considérons qu’autorité et éducation sont synonymes. P. Meirieu, « Penser l’éducation et la formation », non daté, site de Philippe Meirieu : http://www.meirieu.com/COURS/PENSEREDUCFOR.pdf (consulté le 20?janvier 2006).
  • [19]
    Nous nous interrogeons sur la portée éducative de deux savoirs d’action mobilisés avec une relative efficience, l’entretien duel et la fausse alternative. Dans la situation 7 (ibid., p.?136-139), l’entretien duel semble permettre au professeur de réinstaurer une certaine asymétrie dans la relation. Mais cette pratique est-elle généralisable et tenable, compte tenu de ce que la pédagogie institutionnelle nous enseigne de la relation duelle et de la nécessaire visibilité de l’autorité enseignante devant le groupe ? Dans cette même situation et dans la situation 10 (p.?148-154), la fausse alternative est utilisée : le professeur propose deux choix à l’élève qui, quelle que soit sa décision, ne lui donnent que la possibilité de se soumettre à lui. En quoi ce savoir d’action interroge-t-il notre conception de l’autorité éducative ? Ne sommes-nous pas là dans des situations à la limite de son exercice ?
  • [20]
    Ces savoirs d’action sont d’abord d’ordre spatial (se positionner stratégiquement dans l’espace, se repositionner au bureau, clore ou ouvrir l’espace de la classe). L’usage du registre verbal n’arrive qu’ensuite (se référer à la dimension statutaire de l’autorité enseignante). Dans la situation 12 (p.?158-162), le respect inconditionnel de la personne de l’élève initié par l’enseignant s’est avéré particulièrement efficace.
  • [21]
    Situation 5 (p.?130-132).
  • [22]
    Situation 8 (p.?140-144).
  • [23]
    Situations 5, 10 (p.?148-154).
  • [24]
    Situations 5, 12.
  • [25]
    Situation 8 (p.?140-144).
  • [26]
    Situations 1 (p.?121-123), 2 (p.?123-124), 9 (p.?144-148), 12.
  • [27]
    Situations 3 (p.?125-127), 8.
  • [28]
    Nous en avons un exemple dans la situation 6 (p.?132-136), à travers ce qu’une professeure dénomme « va-et-vient », alors qu’elle cherche à faire travailler un élève de Segpa très perturbateur. Quatre ensembles de savoirs d’action se combinent : les actions de montrer, les positionnements et les déplacements, les actions de surveillance, les interventions verbales.
  • [29]
    À titre d’exemple, des formulations possibles de ces lois de la classe : interdit de parasitage : « Ici, c’est une classe, le professeur enseigne, l’élève apprend »?; interdit de meurtre : « Ici, on échange, mais pas n’importe comment. On est entre êtres humains et on est là pour vivre ensemble »?; interdit de l’inceste : « Ici, je ne suis l’enseignant d’aucun élève en particulier, mais celui de tous les élèves ».
  • [30]
    D. Ginet, « Aux racines de l’autorité… », in G. Chappaz, L’autorité en pannes… Entre besoin de soumettre et désir d’éduquer, Université de Provence, Aix-Marseille, 2004, p.?41-56. D.?Ginet, « La portée structurante de l’interdit : éléments pour une “clinique“ de l’autorité », Tréma, n°?27, 2007. C. Herfray, Les figures d’autorité, Erès, Ramonville Saint-Agne, 2005.
  • [31]
    Cette monographie (reprise ici avec l’autorisation de son auteur que nous remercions vivement), a été publiée et analysée selon une approche clinique d’orientation psychanalytique. N. De Smet, Au front des classes, éditions Talus d’approche, Soignies (Belgique), 2005, p.?122-130.
  • [32]
    Cette hypothèse est développée par A. Marchive, « Effets de contrat et soumission à l’autorité. Un cadre explicatif des difficultés scolaires », in L. Talbot, Pratiques d’enseignement et difficultés d’apprentissage, Erès, Ramonville Saint-Agne, 2005, p.?190-191.
  • [33]
    B.?Robbes, 2006, p.?3, 4.
  • [34]
    N.?De Smet, op. cit., p.?125.

1 À la demande d’un responsable de formation de l’INSHEA, nous intervenons régulièrement sur la problématique de l’autorité enseignante, dans des stages de formation continue d’enseignants spécialisés consacrés à l’instabilité, à l’hyperactivité ou aux troubles de l’attention de l’enfant et de l’adolescent. Pourquoi aborder une telle question dans ces formations, alors que nous ne sommes pas spécialiste du handicap et de l’adaptation scolaire ?

2 Un résultat de recherche nous avait interpellé. Dans un article de synthèse, Paul Fernandez (2004) indiquait qu’en Amérique du Nord et en Europe, seulement 2 à 5 % (en moyenne) des enfants d’âge scolaire étaient concernés par des TDAH [1]. Nous mîmes cette information en relation avec d’autres, plus proches de nos domaines de recherche.

3 Tout d’abord, s’agissant des violences en milieu scolaire, nous étions les témoins de propos récurrents d’enseignants d’écoles primaires, utilisant l’adjectif hyperactif pour qualifier la recrudescence de situations où ils n’arrivaient plus à gérer des élèves aux conduites éruptives.

4 En outre, nous avons observé les débats suite à la publication, en septembre?2005, d’un rapport de l’Inserm préconisant une détection précoce des troubles du comportement chez les enfants [2]. Ainsi en 2008, Philippe Meirieu alertait sur les dangers d’une médicalisation systématique de la difficulté comportementale et scolaire, alors que selon lui, les causes majeures étaient à chercher du côté d’un capitalisme fonctionnant désormais sur le registre archaïque de la pulsion [3]. En conséquence, il se demandait si le projet éducatif de notre société n’était pas remis en cause, si nous ne passions pas à un enfant, produit fabriqué sans défaut, plutôt qu’un sujet à élever en humanité, à accompagner vers le savoir et la culture ?

5 Enfin, nous gardions à l’esprit notre expérience d’instituteur pratiquant la pédagogie institutionnelle et notre connaissance du travail de ses praticiens, à travers les monographies montrant comment progressent des élèves en difficulté scolaire et/ou comportementale importante. À l’évidence, cette référence est partagée avec les enseignants spécialisés, du fait d’une proximité avec la difficulté comportementale.

6 Ces observations nous conduisent à formuler l’hypothèse suivante : n’attribue-t-on pas un peu vite les troubles observés chez de nombreux élèves à ce syndrome neurocomportemental des TDAH, au lieu de prendre soin de l’environnement éducatif et pédagogique dans lequel ces élèves évoluent ? Car si dans nos pays développés, ils concernent seulement 2 à 5 % des enfants d’âge scolaire, les causes explicatives des comportements observés chez d’autres élèves doivent être recherchées ailleurs. C’est ainsi que des pédopsychiatres et professionnels de l’éducation s’interrogent sur la capacité des adultes chargés de soutenir la fonction sociale d’éducation à assumer l’exercice de leur autorité, dans une perspective éducative. C’est cette question que nous avons explorée dans notre recherche sur l’autorité enseignante. Faisant l’hypothèse que celle-ci n’est pas naturelle mais qu’elle résulte d’une construction de savoirs dans l’action, dans des situations contextualisées faites d’interactions avec les élèves, nous avons mis au jour comment des enseignants des premier et second degrés en poste en zone d’éducation prioritaire s’y prenaient pour exercer une autorité éducative. Les savoirs d’action utilisés portent principalement sur les communications verbales et non verbales, première direction du faire autorité. La seconde direction concerne les savoirs en termes de dispositifs pédagogiques au sens large, prenant en compte des apports didactiques [4]. Bien qu’une étude complémentaire soit à faire, il apparaît déjà que les dispositifs pédagogiques qui promeuvent l’exercice d’un faire autorité éducatif opérationnalisent les modalités de transmission des connaissances, en mettant en place un rapport non dogmatique au savoir [5], un cadre éducatif contenant et des systèmes de médiations entre l’enseignant et les élèves [6]. Nous retrouvons là deux hypothèses fondatrices de la pédagogie institutionnelle reprises de Freinet, Makarenko, Deligny et de la psychothérapie institutionnelle : la notion de vrai travail ; le soin premier du milieu avant toute intervention en direction des élèves [7].

7 Après avoir défini brièvement le concept d’autorité éducative, en distinction de ce que nous avons appelé l’autorité autoritariste et l’autorité évacuée, nous insisterons sur les savoirs d’action que les enseignants développent dans l’exercice d’une relation d’autorité éducative, à partir des résultats globaux de notre recherche. Nous indiquerons enfin en quoi la pédagogie institutionnelle peut permettre à l’enseignant spécialisé de se doter de savoirs d’action favorisant l’exercice d’une autorité éducative, en prenant appui sur une monographie [8].

Qu’est-ce que l’autorité éducative ?

8 L’autorité est un concept complexe et polysémique. Des demandes de restauration cœxistent avec des discours de discrédit. Elle est encore trop souvent confondue avec un pouvoir de contrainte, associée à la force. S’entendre sur ce dont on parle constitue donc une première difficulté. C’est en convoquant des travaux dans divers champs disciplinaires des sciences humaines et sociales que nous avons cherché à clarifier le terme, resitué dans sa complexité.

Autorité autoritariste et autorité évacuée

9 C’est à l’autorité autoritariste qu’il est fait référence lorsque le substantif est employé dans son sens commun : «?le détenteur d’une fonction statutaire, d’une position institutionnelle exerce une domination sur l’autre afin d’obtenir de lui une obéissance inconditionnelle, sous la forme d’une soumission. Cette volonté de domination est volonté de détenir un pouvoir indiscuté, d’avoir une emprise totale sur l’autre dans une forme de toute-puissance. Elle s’impose unilatéralement, sans discussion ni explication, dans un rapport de force et non dans une relation. En l’absence d’échange et encore moins de consentement, l’autre n’est pas pris en compte comme sujet[9]». L’autorité autoritariste (ou traditionnelle) cultive la dimension personnelle. Elle use de la force physique ou de pressions psychologiques : séduction (autorité charismatique), culpabilisation et chantage à l’amour qui réactivent l’angoisse d’abandon (autorité patriarcale ou paternaliste, «?phénomène autorité[10]»), manipulations exercées sur le groupe. Quant à l’autorité dite naturelle, nous avons mis en évidence qu’elle relevait du mythe. Elle apparaît comme une autorité qui ne s’exerce pas et qui par conséquent ne parvient pas à être codifiée, mais qui se transmet à partir d’une perception nostalgique du vécu d’élève. Ainsi se propage cette représentation professionnelle et sociale tenace.

10 L’autorité évacuée surgit avec la fin du modèle patriarcal. Depuis la seconde moitié du vingtième siècle [11], un profond mouvement d’évacuation des contraintes sociales visibles, concomitant à la montée d’une revendication individualiste, a affaibli les cadres institutionnels traditionnels et rompu ce qui faisait consensus social. Bien plus qu’à une crise de l’autorité, nous assistons à une crise du sens et de la transmission de la norme, non pas du fait de l’absence de norme mais au contraire de leur multiplicité [12]. En matière d’éducation, parents, enseignants et éducateurs parviennent de plus en plus difficilement à poser des limites. Les frontières entre adultes et enfants se brouillent. Les adultes n’assument plus l’asymétrie inhérente à leur position générationnelle. Les places respectives peuvent même s’inverser, lorsque l’enfant « chef de la famille[13] » a le dernier mot, ou quand l’adolescent abandonné à lui-même tente en vain de se fixer ses propres limites, au risque de s’assujettir volontairement à des formes d’autorité exerçant une emprise bien plus aliénante que l’autorité défaillante [14]. Le refus permanent de nombreux adultes de toute situation conflictuelle, de peur de ne plus être aimé, laisse le jeune face à ses angoisses. En conséquence, le rapport que les adultes entretiennent avec la norme et le conflit, avec leur place générationnelle (adultes ayant un rôle éducatif) et institutionnelle (enseignants ayant pour mission que les élèves acquièrent des savoirs) nous éclaire sur ce qu’ils transmettent, consciemment ou non, à la génération suivante. C’est donc à travers le rapport des adultes à la norme qu’il faut comprendre celui des jeunes [15]. Ainsi, nous définissons l’autorité évacuée « comme la tendance à refuser l’idée même d’autorité et son exercice, au nom de son caractère prétendument illégitime et anti-éducatif, car l’autorité est confondue avec l’exercice d’une force physique ou psychique ». Elle peut prendre deux formes chez l’enseignant : «?soit il doute de sa position de transmetteur de savoirs, relativise certaines normes, rencontre des difficultés à poser limites et repères, évite les relations conflictuelles voire l’apprentissage ; soit au contraire, il considère que l’exercice de l’autorité ne relève pas de sa mission, par exemple le professeur qui estime que sa mission est exclusivement de transmettre des savoirs à des élèves, qu’il présuppose d’emblée en capacité de les recevoir[16]».

Notre conception de l’autorité éducative

11 Diverses recherches en sciences humaines et sociales permettent d’établir que l’autorité n’est pas un mal nécessaire de la relation humaine. Les psychosociologues et les praticiens de la pédagogie institutionnelle nous disent qu’elle est un fait institutionnel et une relation qui se construit dans et par l’action. Le pédo-psychiatre Daniel Marcelli, mais aussi à leur façon les philosophes Marie-Claude Blais, Marcel Gauchet et Dominique Ottavi [17], soutiennent qu’elle est un lien anthropologique consubstantiel de l’existence de l’espèce. La relation d’autorité est fondatrice de l’humanisation et principe régulateur du lien social. Pour notre part, nous considérons que l’autorité se révèle au fondement de l’humain comme un phénomène à la fois psychique et relationnel, qui comporte trois significations indissociables : être l’autorité (la potestas ou l’autorité légale, statutaire), avoir de l’autorité (l’autorité de l’auteur (auctor), qui s’autorise et autorise l’autre (augere) et faire autorité (autorité de capacité et de compétence). Dans l’action, ces trois significations doivent être travaillées ensemble, car chacun perçoit qu’il ne suffit pas d’affirmer sa position statutaire (« je suis l’enseignant ») pour que les élèves reconnaissent l’influence du professeur et lui obéissent. L’autorité n’est jamais acquise une fois pour toutes. Elle s’établit en situation dans un réglage constant et précaire entre être, avoir et faire.

12 Nous proposons la définition suivante de l’autorité éducative : «?une relation statutairement asymétrique dans laquelle l’auteur, disposant de savoirs qu’il met en action dans un contexte spécifié, manifeste la volonté d’exercer une influence sur l’autre reconnu comme sujet, en vue d’obtenir de sa part et sans recourir à la violence une reconnaissance qui fait que cette influence lui permet d’être à son tour auteur de lui-même[18]». Cette reconnaissance par l’autre constitue l’élément clé du processus de légitimation de l’autorité éducative, car elle ouvre au consentement. Elle passe par l’identification de savoirs dans l’action.

Quels savoirs d’action les enseignants développent-ils dans l’exercice de la relation d’autorité éducative ?

À propos des prises d’information

13 Les informations prises en situation de relation d’autorité portent avant tout sur le protagoniste principal. La relation d’autorité implique d’abord un élève et un enseignant, dans une classe.

14 La qualité et l’expertise des informations sensorielles (visuelles, puis auditives et spatiales) prises par le professeur, avant et dans l’action, orientent la qualité des actions qui suivent. Mais les capacités de prises d’information de qualité ne sont pas homogènes selon les enseignants. Plus encore, c’est l’interprétation juste des intentions prêtées par l’enseignant aux élèves sur lesquels les prises d’information s’exercent qui est déterminante, pour qu’il mobilise des savoirs d’action allant dans le sens de l’exercice d’une autorité éducative reconnue comme telle par le ou les élèves.

À propos des savoirs d’action

15 La parole professorale est le savoir d’action dominant. Certains types d’interventions s’avèrent très efficaces dans les situations analysées : l’appel à la réflexion de l’élève ; le haussement de ton ; la modification du contenu de la communication ; l’inscription des interventions dans une temporalité basée sur l’information des élèves, l’explication, la persuasion, la justification des décisions prises, la réflexion, l’énoncé des buts ou des sous-buts poursuivis par l’enseignant ; la variété des interventions verbales chez un même enseignant ou au contraire, l’absence d’intervention verbale, la non-intervention ; l’attente (l’interruption de l’action), utilisée en particulier lorsqu’un élève transgresseur cherche à mettre en spectacle le conflit [19].

16 Viennent ensuite le questionnement et le dialogue interne (se dire, analyser la situation), dont l’importance démontre l’intensité de l’activité réflexive des enseignants dans l’action.

17 Puis, les savoirs d’action de positionnement (en référence à la dimension statutaire de l’autorité) apparaissent, qui ne sont efficaces qu’accompagnés de savoirs d’action complémentaires. Il s’agit bien de penser et d’agir ensemble l’asymétrie et la symétrie. Ici, la variété des savoirs d’action utilisés est un gage d’efficacité [20].

18 Des savoirs d’expérience, en particulier ceux qui portent sur les élèves, sont ensuite mis en œuvre. Leur usage semble aller de pair avec l’expérience professionnelle des enseignants, ou chez des professionnels débutants qui font preuve d’une maîtrise des situations, avec des capacités d’observation particulièrement fines.

19 L’usage des déplacements – distingués des savoirs d’action de positionnement parce qu’ils ne se réfèrent pas explicitement à l’autorité statutaire – montre l’importance des dimensions proxémiques en jeu. Bien moins utilisés que les interventions verbales, ils sont pourtant très efficaces dans quelques situations. Ainsi les déplacements d’un enseignant d’école élémentaire avec un élève pour l’écouter, jouant de la proximité et de la distance, pour inciter l’élève à le suivre [21]; chez d’autres professeurs, la conservation d’une distance physique [22] ou au contraire, une plus grande proximité avec l’élève ou les élèves transgresseurs [23]; chez d’autres encore, les déplacements de l’enseignant seul comme ressource pour sa réflexion dans l’action [24], pour se recentrer sur sa position statutaire et sur lui-même afin d’augmenter la confiance en soi indispensable à l’action [25].

20 Les regards de l’enseignant entendus comme actions sont déterminants dans certaines situations [26], et plus encore l’échange des regards [27].

21 Les savoirs d’action relevant d’un habitus professionnel (assemblages, combinaisons d’actions simples résultant d’élaborations complexes), de même que les signes et les gestes, sont très efficaces, car ils sont attachés à un seul enseignant et extrêmement contextualisés [28].

22 Terminons par quatre résultats complémentaires :

23

  • Premièrement, l’efficacité d’un savoir d’action ne tient pas à sa fréquence d’utilisation. Nous dirions même qu’une trop grande utilisation en démontre le caractère inopérant. Dans plusieurs situations, c’est un savoir d’action mobilisé à un moment clé qui s’est avéré déterminant pour une résolution dans le sens de l’exercice d’une autorité éducative. C’est pour cette raison que nous privilégions l’analyse contextualisée des situations, seule capable de mesurer l’opérationnalité des savoirs d’action mis en œuvre.
  • Deuxièmement, le différé est efficace dans toutes les situations où il est évoqué. Tout en dédramatisant et en apaisant le conflit, il permet la poursuite de l’action ordinaire du professeur. Au contraire, lorsqu’un professeur cherche à obtenir d’un élève une obéissance immédiate et inconditionnelle sous la forme d’une soumission, il augmente le risque d’être la victime de violences.
  • Troisièmement, des enseignants disposent d’une gamme de savoirs d’action substitutifs en cas d’échec. Augmenter le répertoire des savoirs d’action disponibles chez ceux qui parviennent difficilement à entrevoir d’autres modalités d’action possibles est donc un objectif de formation essentiel.
  • Quatrièmement, des savoirs d’action s’avèrent moins efficaces : les interventions verbales pour expliquer, persuader, convaincre ; celles qui tiennent du discours même varié ; les propos qui visent à faire réfléchir l’élève ; une communication verbale ou non verbale qui dramatise la situation.

À propos des buts que les enseignants se donnent pour guider leurs actions

24 Nous avons distingué le but (objectif générique de la situation formulé par l’interviewé ou déduit de ses propos) des sous-buts (objectifs intermédiaires énoncés ou inférés, éventuellement révisables, que l’interviewé se définit en cours d’action).

25 Un résultat essentiel permet de mieux comprendre les conditions de l’action efficace. La tendance des enseignants à être au clair avec ce qui guide leur action est inversement proportionnelle au nombre de sous-buts formulés. La multiplication des sous-buts peut être le signe d’une fragilité professionnelle ou personnelle, à moins qu’elle ne traduise une capacité du professeur à ajuster ses sous-buts dans l’action en référence à son but générique. Dans ce cas, ce savoir relevant de l’habitus professionnel du professeur est une composante du processus de légitimation de l’autorité éducative : après qu’il a énoncé – et parfois maintenu – une exigence ferme et non arbitraire dans la logique de son but générique, et si l’exigence est remplie même partiellement, le professeur doit être capable de ne pas exiger des élèves qu’ils atteignent l’ensemble des sous-buts définis. Pour que son autorité puisse être reconnue comme acceptable, l’enseignant doit sélectionner certains sous-buts avant d’agir : il retiendra – ou redéfinira sur un temps très court – les sous-buts opératoires ; il éliminera ceux qui sont inopérants.

26 En posant la nécessaire tension entre exigence et souplesse, ce résultat ouvre à la problématique du non-négociable de l’enseignant, c’est-à-dire à sa capacité à poser et à tenir devant ses élèves un cadre contenant porteur de limites structurantes. Encore faut-il au préalable que ce non-négociable soit précisé, défini. C’est là le domaine du rapport à la loi, qui renvoie selon nous à la dimension statutaire de l’autorité à l’école, dans ses deux composantes générationnelle (adulte/enfant) et institutionnelle (enseignant/élève). La composante générationnelle institue l’adulte comme garant du respect des grands interdits anthropologiques fondateurs de toute vie sociale (meurtre, inceste, parasitage) qui assurent l’existence, la survie et la pérennité de la société à laquelle il appartient. La composante institutionnelle relève de la définition même de l’école comme lieu d’enseignement et se rapporte aux missions du professeur transmetteur de savoirs. C’est donc en s’appuyant sur les trois interdits anthropologiques mentionnés ci-dessus et sur les fondements de sa mission [29] que l’enseignant peut déterminer les situations où il aura à poser un acte – geste ou parole d’autorité [30] – par lequel il cherchera à arrêter net l’acte transgressif ou la discussion permanente, l’enjeu consistant à demeurer dans l’exercice d’une autorité éducative. La confiance suffisante du sujet en soi et les savoirs d’action qu’il utilise pour communiquer son message participent de la mise en œuvre et de la tenue du non négociable. Dans une perspective de pédagogie coopérative ou institutionnelle, une reprise éducative différée reste possible.

En quoi la pédagogie institutionnelle permet-elle à l’enseignant spécialisé de se doter de savoirs d’action favorisant l’exercice d’une autorité éducative ?

27 En formation, nous abordons très souvent cette question par l’étude de monographies élaborées dans des groupes d’enseignants travaillant en pédagogie institutionnelle, telles que celle ci-dessous. La consigne proposée est la suivante : « Qu’est-ce qui fait autorité dans cette “histoire“, en termes de dispositifs pédagogiques ? »

Se planter [31]

28 Le savoir, un trou avec quelque chose autour. Cette expression pourrait faire sourire ou grimacer. Si c’est ça être enseignant… Quand même?! Et pourtant… À me plonger dans le fait de considérer chaque élève un par un dans ces groupes d’élèves confrontés aux apprentissages, je repense à Karima et à nos circuits et méandres. Moins bruyants et plus complexes que le circuit de Francorchamps.

29 Karima, la peste de l’école, étiquetée délinquante puisqu’elle n’a vu que ça avec ses-trois-frères-en-prison et ses-parents-démissionnaires-qu’on-ne-voit-jamais. Karima faisait du racket chez les autres, volait les dix heures dans les couloirs des petits de maternelles, mettait le feu à une poubelle, vidait l’extincteur, sabotait les cours, jetait des cartouches d’encre sur la jupe d’un prof et du Tipp-Ex au plafond. Elle était assez bonne en français, quand elle s’en occupait, mais seulement pour avoir fini la première et se moquer des autres traînardes. Elle sabotait même le Conseil. Je la bordais comme je pouvais en tentant de l’arrimer à ceci, à cela pour qu’elle puisse rester dans le groupe mais elle tentait de passer par-dessus bord, de détourner les arrimages.

30 Un jour, ce fut le jour du « moi aussi ». Elle regardait jalousement celles qui prenant des responsabilités, officiellement au Conseil, avaient du coup des privilèges et des bouts de pouvoir et pouvaient en parler, ce qui leur donnait une grande place à ses yeux. Impossible de les saboter toutes. Le Conseil les tenait. Elle mit un point à l’ordre du jour : « Moi aussi ». Mystère éclairci de ces mots lorsqu’elle dit qu’elle voulait une responsabilité aussi. Provocatrice, elle dit : « Y a que des trucs d’école dans cette classe, moi je veux une plante. » Les autres rigolent. J’arrête tout pour prendre sa demande très au sérieux :

31 - Comment tu pourrais faire ?

32 - Ah, je peux ? Ben j’amène une plante.

33 Personne ne s’oppose. La secrétaire inscrit sur la liste des responsabilités affichées dans la classe : Karima, responsable plante. Le lendemain, la plante est là avant tout le monde. Karima avait comme entraîné l’éducateur sensé surveiller la cour en lui disant : « Venez m’ouvrir la classe… Si, si, je dois absolument aller porter cette plante (à 7?h?30 du matin?!) d’ailleurs, venez voir c’est écrit : Karima, responsable plante. »

34 Cette responsabilité est bien plus multiple qu’il n’y paraît : trouver une place pour la plante, trouver un récipient pour l’eau, pouvoir aller chercher l’eau hors de la classe, arroser la plante, enlever ce qui est mort et le jeter, attendre les boutons pour en parler au Conseil, voir ce qu’on fait de la plante pendant les congés… Pour les congés courts contacter la femme d’ouvrage qui arroserait ; pour les longs, la prendre chez soi, la soigner chez soi, la rapporter. Et puis, chaque semaine, rendre compte au Conseil et recevoir les avis des autres genre « C’est chouette, tu la soignes bien mais on n’entend plus parler que de cette plante ici… Y a pas qu’elle hein. », dit avec un sourire par une compagne. Entre Karima et les autres (souvent brimées par elle), et moi naissait autour de cette plante une complicité souriante et tendre ; étonnant, avec cette fille si dure qui en plus, très maligne, me disait : « Et surtout ne venez pas me barber en disant que j’ai changé?! »« Et elle fait moins chier son monde ? Et elle travaille mieux ? » me demande une collègue à qui j’avais signalé que cette plante, sa place, son arrosage appartenaient à Karima. Ben non, pas vraiment… Variable. Je ne cherchais d’ailleurs pas d’emblée des progrès au travail. J’ai simplement voulu dire oui à cette plante et par là à Karima, pressentant qu’il se jouait là quelque chose d’important.

35 Dans son désert de non, une petite plante me rappelait qu’il y avait un sujet au travail (pas spécialement scolaire). J’espérais aussi que Karima trouve du désir pour d’autres choses encore et par ailleurs, je continuais à inventer. Un jour, je prépare un atelier d’écriture intitulé J’entre dans un livre. Pour que chacun, moi y compris, puisse dire et écrire quelque chose de ses représentations, images, souvenirs, appréhensions, élans vis-à-vis des livres avant même d’en lire, j’ai rassemblé avec une collègue, une série de dessins de livres personnifiés ou placés dans des contextes inattendus. Bonheur, je trouve un livre en forme d’arrosoir. Le jour dit, j’étale tous les dessins sur les tables et les élèves choisissent le dessin avec lequel elles vont dire, écrire. Karima, l’air distrait choisit le livre arrosoir et me demande si elle peut aller s’installer seule dans un coin de la classe. Je ne l’entends pas (pour la première fois après cinq mois). Je passe à côté d’elle et glisse un œil. Elle avait écrit un long texte sur les livres qui arrosent les têtes. Ce texte a été lu à la classe comme tous les autres et applaudi puis choisi pour être mis dans la brochure collective. À cette occasion-là, Karima demande : « Est-ce qu’on va regarder l’orthographe ? Parce que ceux qui vont lire ça, y doivent pas me prendre pour une débile. » En arrosant sa plante en fin de journée, pendant que je rangeais des restes de travail, volontairement seule pour être présence discrète auprès de l’arrosage, voilà que j’entends Karima me parler, elle qui criait souvent « faut jamais parler à un prof, sinon y se croit grand sur toi ». Elle me dit qu’elle adore lire, qu’elle lit beaucoup mais qu’il ne fallait pas le dire. Je lui ai demandé si elle l’avait dit à sa plante. Réponse : « Mais maintenant c’est notre plante, madame. C’est pour la classe. » Quinze jours plus tard, elle demande des livres à la responsable bibliothèque.

Quels savoirs d’action l’enseignante utilise-t-elle en termes de dispositifs pédagogiques, qui favorisent l’exercice d’une autorité éducative ?

36 D’emblée, l’enseignante réfère son action à des finalités éthiques conformes à notre conception de l’autorité éducative : Noëlle considère Karima comme être singulier et éducable, malgré son étiquetage délinquant. Pour autant, il ne s’agit pas de passer sous silence ses capacités de nuire. L’enseignante s’efforce aussi de repérer chez Karima des domaines de réussite en termes de savoirs scolaires acquis (« elle était assez bonne en français »), de centres d’intérêt. C’est à partir de ces observations où Karima témoigne qu’elle est un peu auteur d’elle-même, que l’enseignante cherche à arrimer l’élève au groupe. Ainsi, elle prend au sérieux cette demande de plante, d’une part en protégeant Karima des moqueries de la classe, d’autre part en la renvoyant à une position de sujet agissant (« comment tu pourrais faire ? »). C’est là qu’elle fait autorité, tenant une position professionnelle accueillante et respectueuse de la parole de l’élève en limitant celle du groupe. Cette attitude est autorisante pour la classe (qui accepte la proposition) et pour Karima. Elle la met du même coup devant sa (demande de prise de) responsabilité.

37 Des savoirs d’action en termes de prises d’information sont encore à l’œuvre, lorsque Noëlle cherche l’intention derrière le « moi aussi » de Karima. Elle interprète cette parole, en observant comment les responsabilités et le conseil – deux institutions qu’elle a mises en place et fait vivre (donc des savoirs d’action en termes de dispositifs pédagogiques) – agissent sur le désir de Karima d’accéder à une place enviée, parce qu’elle y entrevoit le statut auquel elle pourrait accéder dans le groupe. Un autre dispositif pédagogique, l’inscription, fait autorité sur Karima hors la présence de l’enseignante, lorsqu’elle signale à l’éducateur auquel elle demande de lui ouvrir la classe, que « c’est écrit ».

38 Alors que Noëlle décrit les diverses actions attachées à cette responsabilité, elle montre à nouveau l’importance qu’elle accorde à la demande de Karima, pressentant ce qu’elle pourrait y jouer en terme de restauration d’une estime de soi minimale, condition indispensable d’accès à une position d’auteur. De fait, cette plante crée des liens entre Karima et l’enseignante, entre elle et ses camarades, d’une nature différente de ceux établis auparavant. Karima commence à exister autrement, à travers la place que cette plante prend dans le groupe. Le dispositif pédagogique fait autorité. L’enseignante l’accompagne, avec attention mais à distance. Elle accueille et laisse grandir ces liens, se démarquant d’attitudes d’enseignants obnubilés par leur position statutaire de transmetteurs de savoirs qui en oublient le sujet apprenant.

39 En même temps, Noëlle continue à faire preuve d’inventivité pédagogique, cherchant à accrocher l’élève au savoir. Le livre arrosoir tombe à point nommé, mais c’est d’abord l’attention et l’inventivité continues de Noëlle qui provoquent ce hasard. Cependant, elle ne l’impose pas. Là encore, Elle met en place un dispositif (l’atelier d’écriture) qui peut permettre à Karima de faire le pas – que nul ne peut faire à sa place – de s’autoriser à entrer dans le savoir. Les prises d’information de Noëlle sont discrètes, alors que Karima s’est mise à l’écriture. Elu, son texte parle à d’autres. Cette reconnaissance par le groupe manifeste à nouveau le rôle d’un dispositif pédagogique (processus du texte libre au choix de texte et à la brochure collective) dans le renforcement d’une confiance suffisante en soi de l’élève. En outre, le contenu du texte ne constitue-t-il pas une métaphore de l’entrée dans l’apprentissage, un signe que Karima se construit un nouveau rapport au savoir ? Ainsi, l’exigence orthographique fait autorité, sans que l’enseignante ait besoin d’intervenir. Les propos de Karima (« ceux qui vont lire ça, y doivent pas me prendre pour une débile ») témoignent du nouveau statut qu’elle veut désormais conquérir, de l’image tenace et enfermante dont elle entend s’affranchir. Elle sait que ce groupe-classe peut l’y aider, maintenant qu’elle y est entrée par une responsabilité (« maintenant c’est notre plante, madame ») et une production scolaire reconnues.

40 Le dispositif pédagogique semble fonctionner. Noëlle demeure présente, discrètement vigilante. Ainsi dans cet autre dispositif informel, cet espace de transition où la classe a pris fin mais où l’on n’en est pas encore sorti. Karima y exprime une clé de compréhension de ses démêlés avec le savoir, où des relations professorales ressenties sur le mode de la domination autoritariste, semblent lui avoir barré l’accès à un rapport au savoir émancipateur [32]. Rien n’est réglé pour elle, mais un processus d’autorisation est enclenché, qu’il s’agit d’entretenir.

41Pour conclure à propos des savoirs d’action déployés par l’enseignante, observons qu’elle a d’abord cherché « à se positionner statutairement, en se démarquant des rôles attendus, des images antérieures, des pratiques autoritaires que les élèves ont pu connaître[33] » . De l’aveu même de Noëlle, cette situation et d’autres lui ont permis de construire une position professionnelle, qu’elle résume ainsi : « attendre, (…) veiller, (…) inventer, (…) éveiller, (…) inscrire… » ; « ne plus absolutiser ni les savoirs, ni les étiquettes collées sur les sujets de telle catégorie sociale[34] ». L’élaboration d’une telle posture exige une formation minimale et continue, afin que l’enseignant soit en mesure de mettre en œuvre les dispositifs pédagogiques proposés, mais surtout de les faire vivre en s’appuyant sur eux et en y renvoyant les élèves.


Mots-clés éditeurs : Savoirs d'action, Communication, Pédagogie institutionnelle, Autorité éducative, Enseignants spécialisés, Formation continue, Troubles du déficit de l'attention/hyperactivité

Mise en ligne 06/02/2015

https://doi.org/10.3917/nras.053.0139

Notes

  • [1]
    P. Fernandez, « Les comportements difficiles à l’école », compte rendu du PER (Projet d’étude et de recherche) hyperactivité/instabilité, septembre?2004, sitecoles : http://www.formiris2.org/sitecoles/stockage/docs/pdf/1495_1.pdf (consulté le 24?septembre 2009).
  • [2]
    Expertise collective, « Troubles des conduites chez l’enfant et l’adolescent », septembre?2005, site de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale : http://ist.inserm.fr/basisrapports/trouble_conduites/trouble_conduites_synthese.pdf (consulté le 31?mars 2007). Collectif, Pas de 0 de conduite pour les enfants de 3 ans?!, Erès, Ramonville Saint-Agne, 2006. Collectif, Enfants turbulents : l’enfer est-il pavé de bonnes préventions ?, Actes du 2e colloque « Pas de 0 de conduite » du 10?novembre 2007, Erès, Ramonville Saint-Agne, 2008, site : http://www.pasde0deconduite.ras.eu.org/
  • [3]
    En référence à B. Stiegler, La télécratie contre la démocratie, Flammarion, Paris, 2006. P. Meirieu, « L’école mise au pas », conférence lors du Forum des Psys, « Quelle politique de civilisation ? « Réhumaniser » la société : comment ? Cognitivisme ou psychanalyse, vivre sous Sarkozy?», 9-10 février 2008, site de Philippe Meirieu : http://www.meirieu.com/ARTICLES/colloque_psys.pdf (consulté le 1er avril 2008).
  • [4]
    Ceux qui favorisent les apprentissages des élèves en proposant des situations tenant compte de leurs modes de pensée et de leurs stratégies, en présentant les contenus de savoirs selon des formes et des modalités variées, en veillant à la présentation et à la structuration de contenus de savoirs sensibles (enseignement de la Shoah ou de l’histoire coloniale, des origines de l’univers et de l’homme, éducation à la sexualité…).
  • [5]
    M. Tozzi, « «L’autorité démocratique »?: une provocation conceptuelle ? », Les cahiers de Cerfee, n°?21, 2006.
  • [6]
    B. Robbes, « Les pratiques institutionnelles : réponses actualisées pour l’autorité de l’enseignant ? », mai?2006, site du Ceepi : http://ceepi.org/article.php3?id_article=287 (consulté le 2 février 2007).
  • [7]
    F. Oury, A.?Vasquez, Vers une pédagogie institutionnelle, Maspéro, Paris, 1967, p.?202-203, 210-213, 241-248. C.?Pochet, F.?Oury, J.?Oury, « L’année dernière, j’étais mort… » signé Miloud, Matrice, Vigneux, 1986, p.?135-136.
  • [8]
    Cet ensemble d’informations est repris dans nos interventions.
  • [9]
    B.?Robbes, L’autorité éducative dans la classe, ESF, Paris, 2010, p.?59.
  • [10]
    G. Mendel, Pour décoloniser l’enfant. Sociopsychanalyse de l’autorité, Payot, Paris, 1971.
  • [11]
    Cette évolution commence en fait à la Renaissance.
  • [12]
    P. Legendre, Filiation. Fondement généalogique de la psychanalyse (Leçon IV, suite 2), Fayard, Paris, 1990.
  • [13]
    D. Marcelli, L’enfant chef de la famille. L’autorité de l’infantile, Albin Michel, Paris, 2003.
  • [14]
    P. Meirieu, « Quelle autorité pour quelle éducation ? » Rencontres internationales de Genève, septembre?2005, site de Philippe Meirieu : http://www.meirieu.com/ARTICLES/L%27AUTORITE.pdf (consulté le 6 janvier 2006).
  • [15]
    P. Jeammet, dir., Adolescences : repères pour les parents et les professionnels, Syros, Paris, 2004.
  • [16]
    B. Robbes, 2010, p. 59.
  • [17]
    M.-C. Blais, M. Gauchet, D. Ottavi, Conditions de l’éducation, Stock, Paris, 2008.
  • [18]
    Ibid., p. 106. C’est en ce sens, et en référence à la définition que Philippe Meirieu donne de l’éducation (« une relation dissymétrique nécessaire et provisoire, visant à l’émergence d’un sujet »), que nous considérons qu’autorité et éducation sont synonymes. P. Meirieu, « Penser l’éducation et la formation », non daté, site de Philippe Meirieu : http://www.meirieu.com/COURS/PENSEREDUCFOR.pdf (consulté le 20?janvier 2006).
  • [19]
    Nous nous interrogeons sur la portée éducative de deux savoirs d’action mobilisés avec une relative efficience, l’entretien duel et la fausse alternative. Dans la situation 7 (ibid., p.?136-139), l’entretien duel semble permettre au professeur de réinstaurer une certaine asymétrie dans la relation. Mais cette pratique est-elle généralisable et tenable, compte tenu de ce que la pédagogie institutionnelle nous enseigne de la relation duelle et de la nécessaire visibilité de l’autorité enseignante devant le groupe ? Dans cette même situation et dans la situation 10 (p.?148-154), la fausse alternative est utilisée : le professeur propose deux choix à l’élève qui, quelle que soit sa décision, ne lui donnent que la possibilité de se soumettre à lui. En quoi ce savoir d’action interroge-t-il notre conception de l’autorité éducative ? Ne sommes-nous pas là dans des situations à la limite de son exercice ?
  • [20]
    Ces savoirs d’action sont d’abord d’ordre spatial (se positionner stratégiquement dans l’espace, se repositionner au bureau, clore ou ouvrir l’espace de la classe). L’usage du registre verbal n’arrive qu’ensuite (se référer à la dimension statutaire de l’autorité enseignante). Dans la situation 12 (p.?158-162), le respect inconditionnel de la personne de l’élève initié par l’enseignant s’est avéré particulièrement efficace.
  • [21]
    Situation 5 (p.?130-132).
  • [22]
    Situation 8 (p.?140-144).
  • [23]
    Situations 5, 10 (p.?148-154).
  • [24]
    Situations 5, 12.
  • [25]
    Situation 8 (p.?140-144).
  • [26]
    Situations 1 (p.?121-123), 2 (p.?123-124), 9 (p.?144-148), 12.
  • [27]
    Situations 3 (p.?125-127), 8.
  • [28]
    Nous en avons un exemple dans la situation 6 (p.?132-136), à travers ce qu’une professeure dénomme « va-et-vient », alors qu’elle cherche à faire travailler un élève de Segpa très perturbateur. Quatre ensembles de savoirs d’action se combinent : les actions de montrer, les positionnements et les déplacements, les actions de surveillance, les interventions verbales.
  • [29]
    À titre d’exemple, des formulations possibles de ces lois de la classe : interdit de parasitage : « Ici, c’est une classe, le professeur enseigne, l’élève apprend »?; interdit de meurtre : « Ici, on échange, mais pas n’importe comment. On est entre êtres humains et on est là pour vivre ensemble »?; interdit de l’inceste : « Ici, je ne suis l’enseignant d’aucun élève en particulier, mais celui de tous les élèves ».
  • [30]
    D. Ginet, « Aux racines de l’autorité… », in G. Chappaz, L’autorité en pannes… Entre besoin de soumettre et désir d’éduquer, Université de Provence, Aix-Marseille, 2004, p.?41-56. D.?Ginet, « La portée structurante de l’interdit : éléments pour une “clinique“ de l’autorité », Tréma, n°?27, 2007. C. Herfray, Les figures d’autorité, Erès, Ramonville Saint-Agne, 2005.
  • [31]
    Cette monographie (reprise ici avec l’autorisation de son auteur que nous remercions vivement), a été publiée et analysée selon une approche clinique d’orientation psychanalytique. N. De Smet, Au front des classes, éditions Talus d’approche, Soignies (Belgique), 2005, p.?122-130.
  • [32]
    Cette hypothèse est développée par A. Marchive, « Effets de contrat et soumission à l’autorité. Un cadre explicatif des difficultés scolaires », in L. Talbot, Pratiques d’enseignement et difficultés d’apprentissage, Erès, Ramonville Saint-Agne, 2005, p.?190-191.
  • [33]
    B.?Robbes, 2006, p.?3, 4.
  • [34]
    N.?De Smet, op. cit., p.?125.
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