Diversité… ethnique : question de terminologie
1 Depuis quelques années au travers du discours politique ou médiatique, émerge la question de la différence en France, de manière souvent polémique. Certains, au nom du droit à la différence, dénoncent la politique de l’amalgame et du bouc émissaire alors que règnent discriminations, humiliations et racisme. D’autres, au nom d’une déliquescence de l’identité nationale, cause de bien des maux sociaux et économiques, fustigent les reconnaissances mémorielles, culturelles ou religieuses accordées aux minorités ethnico-raciales françaises. Cette question cristallise le débat public autour des notions d’identité nationale, de laïcité ou d’universalisme républicain, en s’interrogeant sur la place à accorder à l’expression de différences d’ordre culturel et religieux portées par un certain nombre de citoyens. Se repose alors la question – que l’on aurait pu penser caduque – de l’intégration de populations désormais plutôt françaises et non immigrées, mais continuellement désignées sous le terme « ?d’origine ». Cette catégorisation peut s’établir, sur un mode isolé ou cumulatif et sur la base de critères ethniques, nationaux, culturels, raciaux ou religieux. Le débat oscille entre deux positions extrêmes, d’un côté la vision d’une improbable France multiculturaliste au sens d’une institutionnalisation de l’ethnicité et de l’autre, celle du retour à un assimilationnisme mythifié du xixe siècle comme seul remède à l’anomie montante. Entre ces deux jalons, dont le premier se traduirait par la reconnaissance et la gestion officielle des appartenances et des identités ethniques et le second par une politique du nivellement qui entraînerait leur négation totale, s’intercalent de multiples configurations. Certaines s’inscrivent dans le paradigme du pluralisme culturel qui, pour en résumer l’esprit, considère que la diversité ethnique n’est pas incompatible avec la fierté nationale et la participation citoyenne de tous à la société. Toujours est-il que depuis quelques années émerge, notamment en France, un débat sur la question de la reconnaissance des identités culturelles, religieuses, ethniques, etc., et des discriminations qui touchent les membres des minorités françaises. Face à ce phénomène, le chef de l’État a émis le souhait en janvier?2008 que le terme de diversité soit élaboré en catégorie juridique, afin de l’introduire dans le préambule de la Constitution. Dès lors, le sociologue Michel Wieviorka est missionné par la ministre de la Recherche et de l’Enseignement supérieur pour étudier scientifiquement cette notion, afin d’éclairer les autorités dans l’élaboration d’une politique de la diversité. Le premier objectif consiste en « la recherche d’une voie tempérée, articulant les valeurs universelles du droit et de la raison, et le respect des différences, dans l’esprit de ce que les Québécois appellent “accommodement raisonnable“ » (Wieviorka, 2008, p.?9). Mais le terme de diversité « n’appartient pas au registre du vocabulaire conceptuel [et] cesse d’être vague lorsqu’il est complété, par exemple par un qualificatif qui en délimite l’espace d’application : en devenant ethnoraciale, linguistique, culturelle, religieuse, etc., la diversité devient une catégorie importante dans nos débats » (idem, 2008, p.?19). En définitive, il semblerait qu’il soit progressivement entré dans le registre du langage politiquement correct, bénéficiant ainsi d’une charge positive tendant à atténuer les aspérités terminologiques de notions bien plus polémiques.
2 Tout au long de cet article, la diversité sera donc… ethnique et c’est tout naturellement qu’il sera question d’ethnicité. À partir de la théorie sociale majeure de Fredrik Barth (1969), dite des frontières ethniques, il s’agira de considérer l’ethnicité comme une forme d’organisation sociale et politique basée sur une logique de différenciation et d’inégalité structurelle. Elle repose « sur une attribution catégorielle qui classe les personnes en fonction de leur origine supposée, et qui se trouve validée dans l’interaction sociale par la mise en œuvre de signes culturels socialement différenciateurs » (Poutignat, Streiff-Fenart, 1995, p.?154). La notion d’appartenance ethnique renvoie alors à un mode de différenciation sociale qui se construit à partir de l’origine supposée et du sentiment d’appartenir ou que d’autres appartiennent à une communauté qui a des racines communes profondes (Lorcerie, 2002). En cela, les identités ethniques se construisent en tension entre des processus de désignation exogènes, qui tendent à assigner des appartenances spécifiques, et d’autodésignation endogènes, basés en partie sur la conservation, la protection ou la (re)construction de singularités. Les phénomènes ethniques émergent généralement dans des contextes (actuels ou consécutifs) de colonisation, d’esclavage ou d’immigration. Ils engendrent habituellement des rapports de domination entre un groupe majoritaire et des minorités, ce qui n’empêche nullement l’ethnicisation du premier (Bruneaud, 2011).
3 Nous allons, à travers cet article, présenter une partie des résultats d’une recherche plus large portant sur la diversité ethnique, religieuse et culturelle en milieu scolaire aquitain. En se centrant sur la perception du climat scolaire de l’établissement par les élèves, il s’avère que les deux collèges bénéficiant des plus mauvais scores sont par ailleurs, sur le plan ethnique, les plus fortement ségrégués. Partant de ce constat, il s’agira alors d’examiner le poids de l’origine ethnique dans ce phénomène.
À propos de méthodologie
4 Six établissements urbains ont été enquêtés dans trois départements aquitains. Trois le furent en Gironde au sein de la Communauté urbaine de Bordeaux (CUB), deux dans les principales agglomérations du Lot-et-Garonne et un dans une importante ville des Pyrénées-Atlantiques. Le nombre d’élèves initialement interrogés est de 869. Après avoir invalidé 85 observations, l’échantillon est finalement constitué de 784 individus. Le tableau 1 présente succinctement les établissements en les identifiant par un code afin d’en conserver l’anonymat :
Tableau 1 : établissements enquêtés.
Tableau 1 : établissements enquêtés.
5Le but n’était pas d’obtenir une représentativité parfaite du panorama des collèges aquitains, mais plutôt un échantillon contrasté sur le plan de la composition ethnique et sociale des élèves. Depuis les travaux de Felouzis (2005), nous savons que 10 % des collèges de l’académie de Bordeaux scolarisent 26 % des élèves allochtones. Dans ces mêmes établissements, 48 % des élèves sont de milieu défavorisé et 46 % d’entre eux sont en retard d’un an, voire de deux.
6 Une analyse plus fine montre que seulement 10 % des collèges de l’académie scolarisent 40 % des élèves allochtones avec une origine au Maghreb, en Afrique noire et en Turquie, 52,9 % des élèves de ces collèges étant de milieu défavorisé.
7 Pour qu’il y ait une égale répartition ethnique et sociale des élèves dans l’ensemble des collèges de l’académie, il faudrait alors changer d’établissement près de 90 % des élèves originaires du Maghreb, d’Afrique noire et de Turquie et environ 60 % des autres allochtones. Sur le plan socio économique, un peu plus de 30 % des élèves de milieu défavorisé et sur le plan scolaire, environ 30 % des élèves ayant deux ans de retard.
8 C’est pour cette raison que nous avons choisi deux collèges urbains classés ZEP et intégrés dans le dispositif « Réseaux ambition réussite » (RAR). Ces deux établissements garantissent la variété à la fois socio-économique et ethnique de notre échantillon. Le graphique 1 (et le tableau 2) qui représente la répartition ethnique des élèves en fonction des établissements de notre échantillon corroborent les résultats de Felouzis (op. cit., 2005). Alors que les quatre collèges présents dans le cadran ouest sont regroupés autour d’élèves majoritairement autochtones ou allochtones d’origine européenne, c’est à l’opposé que figurent les deux établissements de ZEP rassemblant des élèves allochtones essentiellement maghrébins, africains et turcs. Ces derniers sont très largement présents dans le collège 33L.
Graphique 1 : Analyse factorielle des correspondances (AFC) : de l’origine par établissement.
Graphique 1 : Analyse factorielle des correspondances (AFC) : de l’origine par établissement.
9Les données ont été recueillies par questionnaires distribués aux élèves des classes de 4e et de 3e. La passation s’est effectuée en face à face dans les classes, en l’absence des enseignants. Un chercheur, après avoir présenté et distribué le questionnaire aux élèves, restait présent durant la séance pour apporter son aide et son assistance. Le questionnaire, d’une centaine de questions, doit permettre d’étudier plusieurs phénomènes liés à la diversité ethnique, culturelle et religieuse en milieu scolaire. Pour cet article, nous nous concentrerons essentiellement sur la question du climat scolaire et de l’ethnicité. Dans ce cadre, nous nous appuierons principalement sur des tableaux de contingence en procédant à des tests de chi2 d’indépendance.
Tableau 2 : climat scolaire en fonction de l’origine par établissement.
Tableau 2 : climat scolaire en fonction de l’origine par établissement.
La dépendance est très significative. chi2 = 202,90, ddl = 45, 1-p = >99,99%. Les cases grisées en gras ou en italique sont celles pour lesquelles l’effectif réel est nettement supérieur/inférieur à l’effectif théorique.Mesurer le climat scolaire
10 Pour cela, il a fallu mesurer le climat scolaire ou, plus exactement, sa perception par les élèves. Debarbieux (1996, p.?69) rappelle les différents travaux menés en la matière dès 1963 à Chicago puis en Grande-Bretagne et enfin en France. L’esprit méthodologique repose, dès le début, sur la présentation d’échelles dans une enquête par questionnaire. Debarbieux (idem, 1996) a choisi huit échelles pour tester l’intensité des sentiments portés par les élèves à l’égard de leur établissement. En optant pour la continuité de cette tradition méthodologique, nous avons décidé de mesurer la perception du climat scolaire à partir des réponses à sept questions à échelle de type Likert à quatre degrés. Cette opération permet de produire un indice de climat scolaire perçu par les élèves. Celui-ci est déterminé à partir d’un score obtenu par le calcul de la moyenne de sept indicateurs :
- Réputation de l’établissement ;
- Respect du règlement intérieur par les élèves ;
- Niveau scolaire général de l’établissement ;
- État des locaux ;
- L’attachement à son établissement ;
- Le sentiment par les élèves d’être respecté par les adultes de l’établissement ;
- Le sentiment par les élèves d’être respecté par les pairs de l’établissement.
12 Pour chacun de ces indicateurs il est demandé de positionner sa réponse sur une échelle à 4 degrés : Tout à fait d’accord ; plutôt d’accord ; plutôt pas d’accord ; pas d’accord du tout.
13 Le barème suivant a été respectivement attribué à ces modalités :
14 +2 ; +1 ; -1 ; -2.
15 Cette variable permet de comparer à la fois des moyennes (indice de climat scolaire de -2 à +2) et des fréquences (ex : proportion d’élèves déclarant un bon climat). Afin de qualifier le degré de climat scolaire, une variable « climat scolaire » a été créée, en proposant 5 modalités déterminées par la méthode des centres mobiles :
16 Très bon ; bon ; moyen ; mauvais ; très mauvais.
Appréhender l’origine ethnique
17 Ainsi que le stipule Felouzis (2003, p.?418), l’approche quantitative de la mesure de l’ethnicité ne fait pas appel à la subjectivité des acteurs. Pourtant, malgré notre questionnaire qui, en la matière, ne laissait guère de place à la subjectivité, à l’occasion de la question sur leurs nationalités et celles de leur père et mère, quelques individus ont répondu Guadeloupéenne, Martiniquaise, Mahoraise, Réunionnaise, Gitane ou encore Basque ou Bretonne. D’un point de vue objectif, c’est-à-dire ici purement formel, la réponse aurait a priori consisté à déclarer « Française ». Mais il arrive parfois à la subjectivité de prendre le dessus, que les raisons soient du côté d’une affirmation identitaire, du registre de l’affectif ou d’une banale provocation adolescente.
18 C’est donc essentiellement à partir de six questions que nous avons bâti notre indicateur : la nationalité et le lieu de naissance de l’enquêté, de son père et de sa mère. Concernant la nationalité, il est possible d’en proposer jusqu’à trois par individu dans le cas des bi-ou multinationaux. Cette ouverture évite l’écueil de la nationalité absente, en limitant un individu dans sa réponse. Quant au lieu de naissance, il peut apporter des informations en terme d’origine ethnique, notamment concernant les Français des territoires ultra-marins. Mais du point de vue du champ de l’ethnicité, ce n’est pas la nationalité en elle-même qui nous intéresse, mais le fait que, croisée avec le lieu de naissance, elle puisse fournir des indications sur une origine. C’est donc à partir des nationalités de l’élève et/ou de ses parents et, si besoin, de leur lieu de naissance que nous avons pu reconstruire, a posteriori, des catégories ethniques. Il s’agit bien évidemment d’une construction qui ne prend pas en compte l’avis des acteurs et qui se base sur une origine déclarée à travers la nationalité et/ou le lieu de naissance. Les catégories proposées relèvent d’une taxinomie couramment employée et restent bien évidemment aléatoires. Toutefois, nous prenons le parti de ne pas y adjoindre la formule « d’origine » dans la mesure où nous considérons que les phénomènes de désignation et de nomination des groupes ethniques sont étroitement liés aux contextes sociaux, historiques et politiques dans lesquels ils naissent. Par exemple, nous n’utiliserons pas le terme « d’origine maghrébine » mais de Maghrébins, dans la mesure où cette appellation tend à désigner une catégorie ethnique française, autrement dit des Français avec une origine plus ou moins lointaine en Afrique du Nord (Bruneaud, 2005, p.?89). C’est que les Maghrébins sont Français ou Belges, mais beaucoup moins Danois ou Anglais. Quant à l’Afrique du Nord, elle est plutôt constituée de Marocains, d’Algériens ou de Tunisiens que de Maghrébins. Pour en finir avec cette démonstration, notons que le fait qu’une partie des Canadiens soit désignée sous l’appellation de Québécois, ne fait pas moins de ces Québécois des Canadiens. Enfin, dans les cas de double origine, nous avons, pour ne pas avoir à trancher a priori le choix d’une appartenance ou d’une autre, opté pour des catégories mixtes. L’ensemble de cet appareillage méthodologique a permis de catégoriser 95,5 % des individus de notre échantillon.
Climat scolaire global
19 D’un point de vue général, le climat scolaire de l’échantillon se repartit assez équitablement entre les différents degrés de perception. Seule la catégorie « très mauvais » présente une fréquence significativement inférieure aux autres. Un peu plus d’un cinquième des élèves déclarent un climat moyen et 44,0 % d’entre eux le trouvent bon et très bon, contre 33,8 % mauvais et très mauvais.
Tableau 3 : climat scolaire – échantillon total.
Tableau 3 : climat scolaire – échantillon total.
20D’autre part, filles et garçons se retrouvent sensiblement au même niveau lorsqu’ils déclarent un bon ou très bon climat, la césure s’opère à partir de la catégorie « moyen » au sein de laquelle la gent masculine est sous-représentée. Ce sont aussi les mêmes qui affichent la perception la plus négative, avec 38,3 % d’entre eux déclarant un mauvais ou très mauvais climat, contre 29,5 % des filles. Celles-ci sont d’ailleurs sous-représentées dans la catégorie « très mauvais », alors que les garçons y sont sur-représentés.
Tableau?4 : climat scolaire en fonction du sexe – échantillon total.
Tableau?4 : climat scolaire en fonction du sexe – échantillon total.
La dépendance est significative. chi2 = 9,81, ddl = 4, 1-p = 95,62%. Les cases grisées en gras ou en italique sont celles pour lesquelles l’effectif réel est nettement supérieur/inférieur à l’effectif théorique.21 La perception du climat scolaire est globalement plus mauvaise chez les élèves de 3e (tableau 5). La catégorie « mauvais » se distingue par une opposition qui se traduit par leur sur-représentation et la sous-représentation de leurs camarades de 4e. Outre le fait que les individus évoluent dans leur transformation tant physiologique que psychologique, la classe de 3e annonce la fin d’un cycle, de surcroît marqué par le passage d’un premier examen. On peut alors faire l’hypothèse qu’un sentiment de lassitude et d’usure entraîne une dégradation de la perception du climat scolaire.
Tableau 5 : climat scolaire en fonction du niveau de classe – échantillon total.
Tableau 5 : climat scolaire en fonction du niveau de classe – échantillon total.
La dépendance est significative. chi2 = 10,56, ddl = 4, 1-p = 96,81%. Les cases grisées en gras ou en italique sont celles pour lesquelles l’effectif réel est nettement supérieur/inférieur à l’effectif théorique.Entre bon et moins bon climat scolaire, une inégale répartition
22 Le tableau 6 révèle l’inégale répartition du climat scolaire en fonction des établissements. Le fait est connu, et la sociologie de l’école montre depuis plusieurs décennies la récurrence de ces phénomènes qui s’inscrivent dans des logiques économiques et sociales inégalitaires (Bourdieu, Passeron, 1970).
Tableau 6 : climat scolaire en fonction de l’établissement scolaire.
Tableau 6 : climat scolaire en fonction de l’établissement scolaire.
La dépendance est très significative. chi2 = 153,21, ddl = 20, 1-p = >99,99%. Les cases grisées en gras ou en italique sont celles pour lesquelles l’effectif réel est nettement supérieur/inférieur à l’effectif théorique.23 Le graphique 2 montre la répartition des collèges le long d’un axe horizontal sur lequel, d’Ouest en Est, se décline, du meilleur au moins bon, le degré de climat scolaire. Les deux établissements figurant dans la zone « mauvais – très mauvais » se situent en ZEP/RAR. La très nette répulsion entre les collèges 33B et 64A, observable sur le graphique par la distance qui sépare les deux carrés, se retrouve dans les moyennes (tableau 7) avec un score moyen de 0,92 pour le premier et de -0,15 pour le second.
Graphique 2 : (AFC) : climat scolaire en fonction de l’établissement scolaire
Graphique 2 : (AFC) : climat scolaire en fonction de l’établissement scolaire
Tableau 7 : climat scolaire.
Tableau 7 : climat scolaire.
Minimum = -2,00, Maximum = 2,00.24 Le tri croisé entre les établissements et la qualité de climat scolaire suffit à montrer cette inégale répartition entre les collèges intégrés dans des dispositifs d’éducation prioritaire et les autres. Le tableau 8 indique clairement la faiblesse des établissements classés en ZEP/RAR dans la catégorie « très bon » et leur sur-représentation dans les deux plus mauvaises qui, à elles seules, cumulent plus de la moitié des effectifs avec 50,5 %.
Tableau?8 : climat scolaire en fonction de la catégorie d’établissement.
Tableau?8 : climat scolaire en fonction de la catégorie d’établissement.
La dépendance est très significative. chi2 = 58,71, ddl = 4, 1-p = >99,99%. Les cases grisées en gras ou en italique sont celles pour lesquelles l’effectif réel est nettement supérieur/inférieur à l’effectif théorique.Climat ethnico-scolaire, mythe ou réalité ?
25 Plus haut dans le texte (graphique 1), il a été montré que l’inégale répartition ethnique des élèves dans les collèges de notre échantillon, correspondait assez bien avec les résultats de Felouzis (2003, 2005). Il s’avère que les deux établissements les plus ethniquement ségrégués (33L – 66A) sont aussi les moins bien classés en matière de climat scolaire (respectivement -0,09 et -0,15). Ils se situent dans des banlieues urbaines qui, à partir des années 1980, ont accueilli les travailleurs immigrés et leurs familles ainsi qu’une frange de la population autochtone « déclassée » par la crise économique et le chômage. Comme c’est souvent le cas, une partie non négligeable de la population de ces quartiers cumule un certain nombre de difficultés sociales et économiques (Lapeyronnie et Courtois, 2008 ; Thin, 1998) qui interagissent avec le milieu scolaire local. Cela entraîne des phénomènes défensifs et protecteurs sous la forme de stratégies d’évitement (Duru-Bellat et Van Zanten, 2006), particulièrement au sein du collège qui représente une étape fondamentale dans le cursus des élèves et de leur orientation.
26 Ces mouvements consistant à fuir les établissements scolaires des quartiers et des banlieues populaires sont avant tout opérés par les parents des classes sociales bénéficiant de capitaux sociaux et culturels non négligeables. Ces stratégies transcendent le statut d’immigré (et des descendants), dans la mesure où elles sont déployées par les familles de ces quartiers pour peu qu’elles disposent des atouts sociaux, économiques et culturels suffisants pour contourner l’offre scolaire locale et inscrire leurs enfants dans des établissements – publics ou privés – considérés de meilleure qualité. Cela a pour conséquence la fuite de ces populations et la concentration dans les établissements de ces quartiers des élèves issus des familles les plus déshéritées. L’immigration française de ces cinquante dernières années est à la fois liée à l’histoire coloniale et aux fastueuses « trente glorieuses » d’après guerre qui ont entraîné une demande de main d’œuvre pour (re)construire les infrastructures routières, immobilières et assurer la production industrielle et agricole. Pour cela, il a été fait appel en grande partie à des travailleurs originaires des anciennes colonies, peu ou pas qualifiés et souvent issus des plus basses couches sociales rurales ou ouvrières des pays d’émigration. Par conséquent, ce sont majoritairement ceux-là, qui, lors des vagues de regroupement familial qui se déroulèrent à partir du milieu des années 1970, furent installés dans les banlieues populaires urbaines. Si une partie des enfants de ces premiers immigrés est parvenue, notamment par l’école, à intégrer de meilleures positions sociales et à quitter ces quartiers, les plus défavorisés d’entre eux y sont restés. Dès lors, ces zones urbaines se sont, dans un même mouvement, paupérisées et ethnicisées. La production de faits sociaux engendrée par cette situation a entraîné des lectures confuses de ces phénomènes en amalgamant des causes socioéconomiques, ethnoraciales et culturelles (Fassin & Fassin, 2006). L’analyse des problématiques de ces quartiers peut alors prendre des tournures idéologiques et s’appuyer soit sur la question sociale et économique, soit sur celle de l’origine culturelle et des appartenances ethniques et religieuses. Face à cela, il semble important de traiter concurremment ces phénomènes loin de toute fièvre politico-médiatique.
27 Dans ce cadre, lorsque nous nous intéressons au sein de notre échantillon, à l’origine ethnique, nous constatons que cette variable n’intervient pas de manière significative dans la construction de la perception du climat scolaire par les élèves (tableau 9).
Tableau 9 : climat scolaire en fonction de l’origine ethnique.
Tableau 9 : climat scolaire en fonction de l’origine ethnique.
La dépendance n’est pas significative. chi2 = 39,64, ddl = 36, 1-p = 68,90.Graphique 3 : climat scolaire en fonction de l’origine ethnique.
Graphique 3 : climat scolaire en fonction de l’origine ethnique.
28D’autre part, le tableau?10 montre que l’origine n’a aucune incidence sur la perception du climat scolaire même si un écart léger apparaît dans la distribution des moyennes en fonction de celle-ci. Ainsi figure à une extrémité le groupe minoritaire turc détenteur du plus faible score et, à l’opposé, le groupe majoritaire français, en-tête du classement. Mais la différence entre l’un et l’autre n’est en réalité que 0,3 points. Cette absence de significativité se confirme d’ailleurs si l’on compare les moyennes des catégories d’origines entre elles. Aucune comparaison ne s’avère en effet significative, à l’exception de celles effectuées entre les catégories les plus éloignées en matière de score : « France » par rapport à « Turquie » (t = 1,46, 1-p = 85,8%) et France par rapport au « Maghreb » (t = 1,78, 1-p = 92,8%). Toutefois, nous le constatons, ces deux résultats restent peu significatifs, et ne permettent pas de considérer la variable ethnique comme un élément important dans l’élaboration de la perception du climat scolaire chez les élèves.
Tableau 10 : moyennes de climat scolaire par origine.
Tableau 10 : moyennes de climat scolaire par origine.
Les valeurs du tableau sont les moyennes calculées sans tenir compte des non-réponses.Aucun critère ne permet de discriminer les catégories.
Résultats du test de Fisher : ClimaScoler : V_inter = 0,45, V_intra = 0,55, F = 0,82, 1-p = 40,23%.
29 Cette absence de significativité liée à l’appartenance ethnique se retrouve également dans les représentations que les collégiens se font de la configuration ethnique de leur établissement. Celle-ci est mesurée à l’aide d’une variable qui tend à sonder la perception du degré de mixité ethnique de leur collège auprès des élèves. L’idée sous-jacente à cette variable repose sur l’hypothèse que, suivant la sensation d’une homogénéité ou au contraire d’une hétérogénéité ethnique des publics scolaires, la perception du climat en serait significativement affectée. Pour cela, les enquêtés ont été interrogés sur la composition ethnique des publics d’élèves, d’enseignants et de surveillants de leur établissement. L’opération a ainsi permis de classer les réponses en trois catégories de degré de mixité ethnique qui, tel que le montre le tableau 11, n’influent pas sur la nature du climat scolaire ressentie par les élèves.
Tableau 11 : climat scolaire en fonction de la perception du degré de mixité ethnique du collège.
Tableau 11 : climat scolaire en fonction de la perception du degré de mixité ethnique du collège.
La dépendance n’est pas significative. chi2 = 5,60, ddl = 8, 1-p = 30,80%.30 Cette analyse montre que la question de l’ethnicité, qu’elle soit appréhendée du point de vue de l’origine ou du degré de mixité dans l’enceinte de l’établissement, n’apparaît pas comme suffisamment pertinente pour expliquer la perception du climat scolaire par les élèves.
Conclusion
31 Il s’agissait de se pencher sur le rôle de la variable ethnique dans la construction de la perception du climat scolaire chez les collégiens d’établissements aquitains. Il a été montré que celle-ci ne constitue pas un élément influant. Ainsi, quelle que soit la configuration des établissements sur le plan de la répartition ethnique de leurs élèves et accessoirement des personnels enseignants et de vie scolaire, la question de l’ethnicité n’intervient pas de manière significative.
32 Nous avons également confirmé, dans la mesure où cela a déjà été démontré, l’importance, pour le climat scolaire, de l’établissement en général et plus particulièrement de son intégration ou non dans un réseau d’éducation prioritaire et, dans une moindre mesure, l’impact du niveau de classe et du sexe.
33 Pour autant, il ne faut pas perdre de vue le constat que les établissements de l’échantillon les plus ségrégués ethniquement se situent, en matière de climat scolaire, en dernière position du classement (tableau 7). Il conviendra donc de continuer à chercher les causes de ce phénomène, en proposant de nouvelles hypothèses qui pourraient prendre appui tant sur la question socio-économique que sur celle de l’exclusion ou de la ségrégation.
Bibliographie
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- Bourdieu (P.) & Passeron (J.-C.), La reproduction : éléments pour une théorie du système d’enseignement, Les éditions de Minuit, Paris, 1970.
- Bruneaud (J.-F.), Chroniques de l’ethnicité quotidienne chez les Maghrébins français, L’Harmattan, Paris, 2005.
- Bruneaud (J.-F.), « Le Métro martiniquais : une impossible désethnicisation », Hommes & Migrations (1 289), 2011, p. 92-104.
- Debarbieux (É.), La violence en milieu scolaire : 1- État des lieux, ESF, Paris, 1996.
- Debarbieux (É.), La violence en milieu scolaire : le désordre des choses, ESF, Paris, 1998.
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- Fassin (D.) & Fassin (E.), De la question sociale à la question raciale ? La Découverte, Paris, 2006.
- Felouzis (G.), « La ségrégation ethnique au collège et ses conséquences », Revue Française de Sociologie (44-3), 2003, p. 413-447.
- Felouzis (G.), L’apartheid scolaire : Enquête sur la ségrégation ethnique dans les collèges, Seuil, Paris, 2005.
- Lapeyronnie (D.) & Courtois (L.), Ghetto urbain : ségrégation, violence, pauvreté en France aujourd’hui, Robert Laffont, Paris, 2008.
- Lorcerie (F.), « Enseigner en milieu ethnicisé ; Face à la discrimination », VilleÉcole- Intégration, Hors-série n° 6, 2002, p. 6-9.
- Poutignat (P.) & Streiff-Fenart (J.), Théories de l’ethnicité, PUF, Paris, 1995.
- Thin (D.), Quartiers populaires : l’école et les familles, PUL, Lyon, 1998.
- Wieviorka (M.), La diversité, Robert Laffont, Paris, 2008.
Mots-clés éditeurs : Climat scolaire, Minorités ethniques, Ethnicity, École, Education, Éducation, School, Ethnic minorities, Ethnicité, School climate
Date de mise en ligne : 06/02/2015
https://doi.org/10.3917/nras.053.0067