Couverture de NRAS_050

Article de revue

L'école de la vie

Pages 99 à 106

Notes

  • [1]
    L’ordinateur me fit défaut à 14 ans, lorsque mon handicap s’aggrava, au point que je dus quitter l’école, à mon grand désespoir.
  • [2]
    Je n’aborderai pas ici la problématique très spécifique de l’insertion en milieu scolaire des personnes dites handicapées mentales ou psychiques. Car il est évident, face à ce type de handicap ou de maladie, qu’une formation et qu’un accompagnement des enseignants sont nécessaires.
  • [3]
    Par parenthèse, d’après le site Reynier [http://www.reynier.com/Anthro/Interethnique/Integration.html], « Étymologiquement le mot intégration vient du verbe intégrer qui signifie rendre complet, achever ; au cours du XXe siècle il prend le sens complémentaire de faire entrer dans un ensemble en tant que partie intégrante. […] 2. en philosophie : établissement d’une interdépendance plus étroite entre les parties d’un être vivant ou les membres d’une société […] Or dans le domaine des relations interethniques, l’intégration est devenue un enjeu politique dans les années 1980. Les sociologues lui ont alors préféré le terme d’insertion. […] D’autre part, ce n’est pas l’individu qui décide de son intégration, mais la société dans laquelle il vit qui décide ou non de l’intégrer. »
    Je préfère également parler d’insertion car en quoi, moi personne dite handicapée, française de naissance, ne serais-je pas d’office intégré ou intégrable dans ma société ? N’est-ce pas plutôt la société qui aurait du mal à « s’intégrer » à moi, personne différente, et à toute forme de différence en général ? En tant que citoyen de cette société, j’en suis une « partie intégrante », que je dérange ou non, que je pose un problème ou non. Par contre, je revendique le droit d’être inséré, c’est-à-dire d’avoir les moyens de m’approprier « des normes et règles de ce système ».
  • [4]
    Dans un rapport écrit pour le ministre délégué Philippe Bas, en 2007, et publié chez Dunod sous le titre Former à l’accompagnement des personnes en situation de handicap en 2008, j’avais proposé de remplacer le terme « auxiliaire » par celui d’« accompagnant(e) » qui a, depuis, été repris par la Fnaseph [Fédération nationale des associations au service des élèves présentant une situation de handicap] dans ses documents officiels. Pourquoi avoir proposé ce virage sémantique ? Parce que le mot « auxiliaire » a une connotation d’assistance, il induit implicitement un rapport d’inférieur à supérieur. Alors que le mot « accompagnant(e) », et ses dérivés, induit un rapport d’égalité et d’autonomie proclamé par la loi du 11 février 2005.
  • [5]
    Ce fut mon cas. Je dus quitter l’école à 14 ans à cause de l’aggravation de mon handicap. Ce fut un drame pour moi qui entraîna une grosse dépression.
  • [6]
    Lire à ce sujet du même auteur « Accompagnants et accompagnés : un chemin de vie », La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, n° 45, Éditions de l’INS HEA, Suresnes, 2009.
  • [7]
    Je n’angélise pas les enfants car la culture de l’apparence/image a aussi envahi les cours d’école. Il est donc probable que cela ait une certaine répercussion dans le rapport à un enfant différent, d’autant qu’ils mettent en scène et répètent ce qu’ils entendent de leurs parents et/ou de leur famille sur leur camarade « handicapé ».
  • [8]
    C’est bien de culture dont il s’agit, car le regard porté sur la personne qui a un handicap est très différent en Angleterre et dans les pays nordiques de celui porté sur la même personne dans les pays latins, par exemple, ou en Afrique. Les Anglo-Saxons sont spontanés, « naturels » avec une personne dite handicapée, quand les Français sont le plus souvent empruntés et mal à l’aise.

Bon sens en panne

1 Dans les années 1960, je fus scolarisé dans une école « inaccessible ». Il y avait au minimum quatre marches pour accéder aux salles de classe. Pourtant, cela n’avait pas empêché le directeur de m’accepter dans son école. Les instituteurs ou les camarades me portaient dans mon fauteuil roulant manuel, m’aidaient à enlever mon anorak en hiver et me donnaient les livres et les cahiers au fur et à mesure ; il n’y avait ni Auxiliaires de vie scolaire [AVS], ni matériel adapté (ordinateur par exemple  [1]), c’était le temps de la solidarité et de la débrouille. Le handicap physique ne posait pas encore de grands problèmes de conscience, il était abordé comme une spécificité à laquelle il fallait s’adapter, et en raison de laquelle on me demanda en contrepartie certaines concessions comme de ne pas aller systématiquement en récréation (lorsqu’il pleuvait ou faisait froid) ou de passer l’heure de sport dans une autre salle de classe.

2 Et ceci arriva encore à la fin des années 1980 puisque, dans la Loire, un élève en fauteuil roulant manuel bénéficia du même traitement, comme me le confia une amie qui fut sa camarade à l’époque.

3 Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui et ça ne le sera probablement plus jamais. Désormais, si l’école n’est pas architecturalement accessible, il y a de fortes chances que les esprits ne le soient plus non plus. Aujourd’hui, on ne fait plus fi des barrières architecturales, on les invoque afin de justifier le refus d’insérer un enfant dit handicapé physique. On ne prend plus le risque de l’accepter malgré tout !

4 En fait, l’insertion se fait au cas par cas, elle est le plus souvent le résultat d’une intelligence du cœur, donc de prises de conscience et de volontés individuelles, avec les exclusions que cela entraîne par ailleurs. Par conséquent, tant qu’il n’y aura pas de révolution culturelle, donc du changement de regard sur la différence, l’insertion restera parcimonieuse et aléatoire, voire contrainte par la loi.

5 Pourquoi ce recul, cette panne de bon sens (de mon point de vue) ? Pourquoi ce changement de posture face au handicap moteur, par conséquent face à l’enfant présentant ce handicap  [2] ? Qui prend-on vraiment en compte : le handicap ou l’enfant ? Et quel risque, quelle difficulté « majeure » y a-t-il à prendre un enfant ayant un handicap physique dans sa classe ?

L’ère du risque zéro

6 Il me semble que, face au handicap physique, nous sommes dans une phase de régression bien plus que de progression en matière d’« intégration en milieu scolaire ordinaire ». Et je pense que cette régression est le résultat d’une obsession sécuritaire apparut dans les années 1990, à tous les niveaux.

7 Dans un tel contexte le bon sens a difficilement sa place. Tout devient source à problèmes qu’il faut solutionner, formater et encadrer, dès qu’il s’agit de la scolarisation d’un enfant dit handicapé. Ou, plus exactement, de son « intégration en milieu ordinaire ». Ce qui est aberrant. Puisque cela signifie qu’il n’est pas naturellement intégrable  [3], donc que sa présence suscite des problèmes et/ou des inquiétudes du fait de présupposés et/ou de préjugés générés par des peurs ataviques.

8 La loi du 11 février 2005, en affirmant le droit pour chaque élève en situation de handicap à une scolarisation en milieu scolaire ordinaire au plus près de son domicile, et à un parcours continu et adapté, a ouvert une boîte de Pandore. Certes, l’« intégration en milieu scolaire ordinaire » est une avancée notable mais à condition d’être bien réfléchie. Lorsque le droit devient un dû, il y a un grand risque de radicalisation qui se profile.

9 Or, j’ai parfois le sentiment que certains enfants sont scolarisés en dépit du bon sens, au détriment de leur équilibre psycho-affectif.

10 Pourquoi ? Parce que, pour certains parents, la « scolarisation » de leur enfant en milieu ordinaire est, depuis la promulgation de la loi de 2005, devenue un dû davantage inspirée par la souffrance que par une réflexion pragmatique. Dans ce cas, l’enfant est l’otage involontaire d’une blessure parentale narcissique, dont tout le monde finalement sera plus ou moins la victime : enfant, enseignants et parents.

11 Mais l’enfant (comme ses parents d’ailleurs) est également victime, de mon point de vue, d’une crainte démesurée d’« instituteurs » angoissés.

12 Nous nous retrouvons donc face à une sorte de dés-intégration qui ne dit pas son nom, dans laquelle les parents vivent un parcours du combattant parfois humiliant, les enseignants sont confrontés à leurs propres projections et contradictions d’un côté, le souci et le devoir d’enseigner à tout le monde et, de l’autre, la peur d’assumer une certaine spécificité, quant aux enfants, ils sont ballottés entre les deux. Et pour finir personne ne s’y retrouve, à commencer par l’inclusion elle-même qui perd la boussole dans cette tempête sécuritaire. En fait, nous sommes ici confrontés à la problématique très délicate de l’adaptation de l’enseignant et de la classe à une personne particulière ayant des difficultés spécifiques. Ce qui interroge nécessairement la question de la justice : continue-t-on à être juste en s’adaptant à tel enfant plutôt qu’à tel autre ? Toute la complexité de la situation réside dans l’importance de ne pas créer un déséquilibre entre les élèves, même les élèves n’ayant apparemment aucun problème. L’enfant qui a un handicap n’est ni moins ni plus que ses camarades, il est simplement autre. Mais s’il ne faut pas se focaliser sur le handicap d’un élève, il est néanmoins essentiel de ne pas l’oublier.

13 Pourtant, l’intégration en milieu scolaire ordinaire était conçue, dans l’esprit du législateur, dans un but de normalisation très citoyen. Il n’empêche que la réalité est encore très fréquemment tout autre. Ainsi, nous nous retrouvons régulièrement devant des situations « d’anormalisation » dans lesquelles l’élève ayant un handicap physique a du mal à se retrouver, à se sentir à sa place. Cela se passe comme si on ne scolarisait pas des enfants mais des cas, comme si le handicap de l’enfant empêchait de voir l’enfant lui-même. Attention risques, a-t-on l’impression de lire au fronton de certaines écoles rien qu’à l’idée d’accueillir un enfant n’ayant qu’un handicap physique, serais-je tenté de dire. Alors même qu’il suffirait d’être soi-même, d’accueillir cet élève comme tout autre élève, d’autant plus qu’il est désormais accompagné d’un(e) Auxiliaire de vie scolaire [AVS], lorsque le handicap le nécessite.

14 Enfant, je me souviens que, lorsque l’enseignant était impressionné par mon handicap, j’en profitais allègrement pour faire le minimum d’efforts. Alors que, lorsque l’enseignant me traitait comme mes camarades, comme un élève et rien qu’un élève, lorsqu’il était exigeant avec moi, je donnais le meilleur de moi-même, je travaillais assidûment, car je respectais et/ou je craignais le second mais pas le premier. Dans le premier cas, j’étais dans une position d’anormalité enveloppée d’indulgence condescendante ou d’inquiétude. Tandis que, dans le second cas, j’étais dans une position de normalité très stimulante.

L’accompagnement en milieu scolaire

15 Avant l’arrivée des ordinateurs et des accompagnant(e)s à la vie scolaire  [4], l’enfant qui voyait son handicap trop s’aggraver devait se résigner à cesser sa scolarité, par manque de force et/ou de mobilité [5]. La propagation des ordinateurs et des AVS est donc un progrès indéniable.

16 Néanmoins, pour moi, il y a un problème majeur : la non-polyvalence des AVS. En effet, actuellement l’enfant est disséqué entre accompagnants à la vie scolaire et accompagnants à la vie sociale (ou auxiliaire à la vie sociale), ce qui ne tient absolument pas de son équilibre affectif, de son besoin de continuité et de stabilité dans l’accompagnement, au moins jusqu’à l’adolescence, comme le défend et l’expérimente l’association Cap intégration Marne, dont le siège est à Reims. Cette expérience a fait ses preuves. Pourtant l’Éducation nationale et les ministres, avec le soutien de certaines associations, continuent à mettre un frein à cette professionnalisation polyvalente  [6].

17 Mais comment accepter son handicap, être en « harmonie » avec lui, quand on est constamment ballotté d’un accompagnant(e) à un autre, donc psychologiquement stigmatisé ? On pourrait au moins lui demander ce qu’il préfère plutôt que de lui imposer un système. A-t-on peur que l’enfant s’attache trop à son accompagnant(e) ?

18 Quoi qu’il en soit, si la présence d’AVS est utile et même importante, il n’en demeure pas moins que, en l’état actuel, ces accompagnants scolaires sont aussi et peut-être surtout des interfaces entre l’enseignant et l’élève en situation de handicap. L’AVS protège en quelque sorte l’enseignant d’une « confrontation » trop directe avec l’enfant et son handicap. De ce fait, la relation enseignant/élève « handicapé » ne peut être que plus ou moins tronquée en fonction de l’investissement personnel de la maîtresse ou du maître d’école à son égard.

19 Alors que dans les années 1960, mes enseignants ont toujours été en prise directe avec moi et ont assumé mes limites imposées par mon handicap, tout en déléguant la plupart des tâches à mes camarades.

20 Comment ne pas s’interroger, dans ces conditions, sur le fait que tant d’enseignants soient désormais inquiets à l’idée d’accueillir un élève dit handicapé, physique de surcroît, c’est-à-dire un enfant comme les autres à part qu’il ne marche pas ? De quoi ou de qui ont-ils peur ? Puisque, face à un enfant ayant un handicap moteur, il suffit normalement de dialoguer pour savoir ce qu’il y a et comprendre ce dont il a besoin, pas besoin d’une formation particulière pour cela, ni pour le réprimander, l’encourager, lui donner un livre ou un cahier, par exemple, sauf à penser que ce n’est pas un enfant normal, un enfant comme les autres. Mais, dans ce cas, qu’a-t-il de différent, de tellement différent qu’il soit difficile ou impossible de le traiter et de le considérer comme tout enfant ?

21 Cette distanciation est d’autant plus interpellante qu’une majorité d’enseignants sont parents. Donc on peut se demander en quoi l’élève ayant un handicap diffère de leur(s) propre(s) enfant(s).

Le corps du délit

22 Le handicap (moteur) semble être l’image dérangeante du corps du délit à moins que ne ce soit celle du corps du déni. Une sorte de déni d’humanité. Par parenthèse, vers 11 ans, dans un supermarché, j’ai vu une femme musulmane se signer en me voyant. Étais-je une personnification du diable ou un enfant d’Allah, une représentation du Bien ou du Mal, pour elle ? Que voyait-elle pour être choquée à ce point ? Je n’étais pourtant qu’un enfant dans un fauteuil roulant poussé par son petit frère.

23 Lorsque son corps, son apparence donc, pose autant de problèmes à autrui, agresse autant les regards comment se construire une identité d’homme ou de femme, plus exactement de garçon ou de fille ? Entre autres dans une cour d’école.

24 Pour approfondir le débat, il me semble qu’il faut élargir la réflexion. Car l’école n’est qu’une partie d’un tout que l’on appelle le corps social. Et dans ce tout, il faut inclure la famille, les parents, qui participent pour beaucoup dans la construction identitaire de l’enfant dit handicapé.

25 La construction identitaire est protéiforme. Elle se déploie en cercles concentriques, dont l’épicentre serait les parents. Et, en fonction du degré d’acceptation ou de refus du handicap, chez ces derniers, l’inscription dans le corps social se fera plus ou moins naturellement et facilement pour l’enfant ayant un handicap. Son rapport à soi puis à l’autre se fera sans conteste à partir du regard que ses parents vont poser sur lui, c’est-à-dire de la façon dont ils vont accepter le handicap de leur enfant, dont ils vont pouvoir intégrer le retour catastrophique, chaotique et le plus souvent accusateur, donc culpabilisant de ce handicap. Si ce handicap, le handicap de leur enfant, est mal intégré, ingéré et même incorporé, l’enfant pourra difficilement s’incarner, donc s’humaniser au sens profond du terme. Et son « intégration » sociale en sera forcément influencée. Elle ne pourra pas se faire naturellement, ce sera un combat plus ou moins violent constant, reposant fréquemment sur une quête incessante et désespérante de reconnaissance sociale. Qui n’est que l’écho d’une quête de reconnaissance parentale, très souvent sans espoir, sauf si les parents ont pu faire un travail d’élaboration dans le cadre d’une thérapie. Ce qui suppose un accompagnement et un suivi psychologiques encore trop rares sous nos latitudes.

Un regard ouvert

26 Mais qu’en est-il de l’insertion en milieu scolaire ordinaire ? Comment le handicap de l’enfant est-il perçu par ses camarades ?

27 En fait, une fois la phase de curiosité naturelle passée, les camarades d’école, et les enfants en général, intègrent « sans difficulté [7] » la présence du handicap dans leur univers de vie et de jeux. L’adaptation est spontanée et rapide, le plus souvent.

28 Le problème de l’insertion dans le corps social et, en particulier, dans le milieu scolaire ordinaire, ne réside donc pas au niveau des enfants, des camarades de classe, eux-mêmes. Il réside uniquement au niveau des adultes dont le regard est comme perverti par des a priori, des idées préconçues, des présupposés et des tabous éducatifs, culturels et socioculturels ataviques. Le rapport à la différence se transmet de génération en génération. Il est généralement spontané et sans préjugés chez les enfants, du moins jusqu’à l’adolescence environ. Ce n’est que le regard de ses parents et de son environnement social qui va peu à peu transformer son propre regard et faire naître des a priori source d’angoisses et de rejets, de prise de distance devant tout ce qui sort du cadre de la norme sociale, et dont les handicaps font partie.

29 Pour l’enfant ayant un handicap, la démarche est presque identique. Au départ, son handicap est vécu naturellement. Ce n’est que le regard environnemental qui va rendre ce handicap invivable, stigmatisant et culpabilisant. Ce regard environnemental, ou regard du corps social, a pour conséquence de surhandicaper progressivement et insidieusement l’enfant, le réduisant à son handicap et l’y enfermant durablement. En somme, le corps social handicape bien plus que la maladie ou l’accident.

30 Ce n’est pas un problème d’avoir un handicap. On peut très bien vivre avec un handicap si la société a une vraie démarche citoyenne et d’insertion, c’est-à-dire si elle se met à la portée de chaque personne ayant un handicap. Ce qui implique une authentique démarche de mise en accessibilité des cadres bâtis et de compensation des handicaps.

31 En fait, l’enfant est plus handicapant qu’il n’est handicapé. Car ce qu’il renvoie c’est l’image d’une imperfection insupportable, d’incapacités rédhibitoires et non de capacités spécifiques. L’enfant n’est pas autrement capable, mais définitivement incapable. Il est l’image d’une faute lorsque son handicap est inné. D’où son interpellation permanente.

32 Pourtant, si l’on s’attachait avant tout à ses capacités, l’aborder et l’insérer ne poseraient guère de problèmes majeurs. Si l’on adoptait la spontanéité et la naïveté des enfants face à ce qui est différent, l’AVS ne serait pas une interface mais le prolongement de l’enfant dit handicapé, l’accompagnant dont il a besoin car il a un handicap qui le limite dans l’accomplissement de son cursus scolaire.

Mon école idéale

33 L’idéal n’existe pas mais l’on peut s’en rapprocher, à condition d’écouter et de dialoguer avec son prochain.

34 Depuis 2008, la France a son premier sous-préfet « nécessitant un accompagnement constant ». Jean-Christophe Parisot a une myopathie et est sous assistance respiratoire permanente. Ce qui ne l’empêche pas d’assumer un poste à responsabilité très épuisant même pour quelqu’un qui n’a pas un handicap physique, ni d’avoir fait des hautes études tout comme sa sœur, ayant également une myopathie, devenu assistante parlementaire. Et leur « cas » est loin d’être unique. De plus en plus de personnes dites handicapées suivent une scolarité très poussée. Ce qui, en soi, est déjà une révolution. Car cela bouscule les a priori et les regards compatissants, voire apitoyés, posés sur une population jusqu’alors dérangeante et assistée, parfois à outrance, dont on découvre les capacités, entre autres intellectuelles, et la volonté d’autonomisation, à condition qu’on leur en donne les moyens.

35 Un corps handicapé peut être un frein mais pas un empêchement à vivre, donc à être et, par voie de conséquences, à faire, si les bonnes compensations et un accompagnement adapté sont mis en œuvre.

36 La société et les regards sont le plus souvent stigmatisants car craintifs, si ce n’est angoissés par cet autre si semblable et si différent à la fois que, culturellement, on ne sait pas insérer naturellemen [8].

37 La loi du 11 février 2005 a ouvert une brèche dans l’édifice sensible de l’« intégration » des personnes dites handicapées en leur reconnaissant le droit « à l’égalité des droits, des chances, de la participation et de la citoyenneté ». Mais une loi n’a aucun pouvoir sur le psychisme, elle peut rendre accessible une école, pas les esprits ni les regards.

38 Or tout regard posé sur des personnes dites handicapées sous-tend des projections et des représentations plus ou moins prégnantes selon l’éducation et d’histoire de celle ou de celui qui porte ce regard.

39 Il est donc primordial de former, d’informer et sensibiliser les regards, si l’on veut vraiment aller vers une authentique insertion des personnes « en situation de handicap », notamment en milieu scolaire ordinaire.

40 C’est-à-dire qu’il faut dédramatiser, rendre naturel ce qui semble tellement compliqué pour tant de gens, et entre autres des enseignants : accueillir un enfant, rien qu’un enfant, même s’il paraît différent en apparence. S’il est différent en apparence, et en apparence seulement.

41 Malheureusement, c’est cette difficulté voire cette incapacité à se détacher de l’apparence, au point d’en faire « une affaire d’État », qui surhandicape pernicieusement l’enfant, puis l’adulte en situation de handicap. Le regard et les comportements qu’il induit, porté sur la personne dite handicapée, a le pouvoir de l’incarner et de l’humaniser ou de le désincarner et de le déshumaniser, d’en faire un citoyen responsable et autonome ou un assisté à vie.

42 Certes, vivre avec un handicap physique est difficile, frustrant en cour de récréation entre autres, voire douloureux, mais cela n’empêche personne de vivre avec, encore moins un enfant qui a des facultés d’adaptation incroyables, tout comme ses camarades de classe, lesquels savent spontanément se mettre « à la portée » du handicap. Mais un enfant s’adapte aussi facilement qu’il s’habitue à « n’être que handicapé ». Tout réside dans le positionnement de son entourage face à son handicap.

43 Par conséquent, la construction identitaire de l’enfant pâtira immanquablement de toute distanciation angoissée, ainsi que son insertion sociale à l’âge adulte, par le manque de confiance et la dévalorisation que cela suscitera en lui à force d’être confronté à la répétition de ces attitudes négatives et culpabilisantes à son égard, même si cette répétition est involontaire.

44 En milieu scolaire ordinaire, cela implique que les enseignants aient vis-à-vis de ces enfants « autrement capables » la même approche qu’ils ont avec leurs propres enfants et/ou avec les élèves « normaux ».

45 Un enfant qui présente un handicap est une richesse dans une salle de classe, au même titre qu’un enfant de race, de couleur et/ou de religion différentes. Cela n’empêche pas les enseignants d’être formés mais cela relativise le « problème » de l’insertion. Tant que cette relativisation ne sera pas effective l’insertion ne sera pas culturelle, donc elle restera plus ou moins contrainte, en fonction de l’enseignant et/ou du directeur d’établissement scolaire.

46 Enfin, à mon sens, cela passera aussi par une reconsidération de l’accompagnement en milieu scolaire et par une professionnalisation des AVS. On ne peut pas apporter un équilibre à un enfant en le « dispersant » affectivement. Un cadre sécuritaire repose nécessairement sur un accompagnement sécurisant inscrit dans la continuité, de par mon expérience, j’en suis persuadé.

47 Avant d’avoir peur, commençons par engager une relation d’égal à égal. Faisons reposer la relation avec l’enfant qui a un handicap sur un préjugé favorable et un regard sans complaisance. Tout le monde ne s’en portera que mieux. Et l’insertion en milieu scolaire ordinaire deviendra une réalité concrète.

Notes

  • [1]
    L’ordinateur me fit défaut à 14 ans, lorsque mon handicap s’aggrava, au point que je dus quitter l’école, à mon grand désespoir.
  • [2]
    Je n’aborderai pas ici la problématique très spécifique de l’insertion en milieu scolaire des personnes dites handicapées mentales ou psychiques. Car il est évident, face à ce type de handicap ou de maladie, qu’une formation et qu’un accompagnement des enseignants sont nécessaires.
  • [3]
    Par parenthèse, d’après le site Reynier [http://www.reynier.com/Anthro/Interethnique/Integration.html], « Étymologiquement le mot intégration vient du verbe intégrer qui signifie rendre complet, achever ; au cours du XXe siècle il prend le sens complémentaire de faire entrer dans un ensemble en tant que partie intégrante. […] 2. en philosophie : établissement d’une interdépendance plus étroite entre les parties d’un être vivant ou les membres d’une société […] Or dans le domaine des relations interethniques, l’intégration est devenue un enjeu politique dans les années 1980. Les sociologues lui ont alors préféré le terme d’insertion. […] D’autre part, ce n’est pas l’individu qui décide de son intégration, mais la société dans laquelle il vit qui décide ou non de l’intégrer. »
    Je préfère également parler d’insertion car en quoi, moi personne dite handicapée, française de naissance, ne serais-je pas d’office intégré ou intégrable dans ma société ? N’est-ce pas plutôt la société qui aurait du mal à « s’intégrer » à moi, personne différente, et à toute forme de différence en général ? En tant que citoyen de cette société, j’en suis une « partie intégrante », que je dérange ou non, que je pose un problème ou non. Par contre, je revendique le droit d’être inséré, c’est-à-dire d’avoir les moyens de m’approprier « des normes et règles de ce système ».
  • [4]
    Dans un rapport écrit pour le ministre délégué Philippe Bas, en 2007, et publié chez Dunod sous le titre Former à l’accompagnement des personnes en situation de handicap en 2008, j’avais proposé de remplacer le terme « auxiliaire » par celui d’« accompagnant(e) » qui a, depuis, été repris par la Fnaseph [Fédération nationale des associations au service des élèves présentant une situation de handicap] dans ses documents officiels. Pourquoi avoir proposé ce virage sémantique ? Parce que le mot « auxiliaire » a une connotation d’assistance, il induit implicitement un rapport d’inférieur à supérieur. Alors que le mot « accompagnant(e) », et ses dérivés, induit un rapport d’égalité et d’autonomie proclamé par la loi du 11 février 2005.
  • [5]
    Ce fut mon cas. Je dus quitter l’école à 14 ans à cause de l’aggravation de mon handicap. Ce fut un drame pour moi qui entraîna une grosse dépression.
  • [6]
    Lire à ce sujet du même auteur « Accompagnants et accompagnés : un chemin de vie », La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, n° 45, Éditions de l’INS HEA, Suresnes, 2009.
  • [7]
    Je n’angélise pas les enfants car la culture de l’apparence/image a aussi envahi les cours d’école. Il est donc probable que cela ait une certaine répercussion dans le rapport à un enfant différent, d’autant qu’ils mettent en scène et répètent ce qu’ils entendent de leurs parents et/ou de leur famille sur leur camarade « handicapé ».
  • [8]
    C’est bien de culture dont il s’agit, car le regard porté sur la personne qui a un handicap est très différent en Angleterre et dans les pays nordiques de celui porté sur la même personne dans les pays latins, par exemple, ou en Afrique. Les Anglo-Saxons sont spontanés, « naturels » avec une personne dite handicapée, quand les Français sont le plus souvent empruntés et mal à l’aise.
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