Notes
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Voir notamment les travaux menés sur la Ville de Lille au titre de l’évaluation du dispositif de Réussite éducative ou sur la mise en œuvre sur Paris d’un système d’évaluation de la Réussite éducative.
1 On ne peut que faire preuve de modestie lorsque l’on aborde un sujet qui a, d’ores et déjà, été aussi débattu et fouillé que celui de l’accueil de la diversité des élèves en maternelle, et ce au travers de regards aussi riches que diversifiés : celui de psychologues, de pédagogues, de chercheurs en sciences de l’éducation, psychosociologues, historiens, enseignants…
2 Il n’est pourtant peut être pas inutile d’apporter un énième regard sur cette question, celui de l’évaluateur en politiques publiques et du consultant en ingénierie territoriale , ne serait ce que pour :
- Resituer la problématique de l’accueil de l’enfant dans une perspective sociale et territoriale.
- Apporter un regard extérieur à celui des intervenants en maternelle sur les diversités qui sont aujourd’hui manifestement peu ou mal prises en compte.
- Ouvrir le champ des possibles par-delà la seule action de l’Éducation nationale, en questionnant notamment ce que pourrait être le rôle des crèches, des associations et des communes pour aider à la prise en compte de ces diversités.
Combiner deux objectifs de manière dynamique
4 En préalable, on ne saurait trop insister, à la suite de nombreux chercheurs, praticiens et enseignants, sur l’enjeu de la prise en compte de la diversité des élèves à l’école maternelle. En effet, si l’école maternelle est le premier palier pour réduire les écarts culturels et sociaux entre les élèves, il est aussi celui où ces mêmes écarts peuvent lourdement se creuser. Du même coup, ce sont bien deux objectifs qui sont potentiellement poursuivis au travers d’une prise en compte de la diversité des élèves en maternelle :
- Celui de la prise en compte effective de la diversité des élèves dans leurs apprentissages et de l’adaptation en conséquence des modes d’intervention en leur direction.
- Celui de la réduction des écarts existants à l’entrée en maternelle entre ces mêmes élèves.
6 Il va de soi que si ces objectifs peuvent se rejoindre, l’atteinte du premier n’entraîne pas nécessairement l’atteinte du second, et vice versa. La combinaison dynamique de ces deux objectifs est sans doute au final l’enjeu de la prise en compte de la diversité des élèves en maternelle.
Quelles diversités pour quelles finalités ?
7 Il existe une tendance persistante à considérer comme allant de soi que la diversité à prendre en compte en maternelle est celle des élèves. Or la situation tout à fait atypique de l’école maternelle, par rapport aux autres « écoles » (le collège, l’université), est que l’on ne peut attendre de tous les enfants qu’ils soient d’ores et déjà à proprement parler des « élèves ». La constitution de l’école comme « école » va de pair avec la constitution de l’enfant comme « élève ».
8 Les évaluations que nous avons été amenés à réaliser à l’occasion de la mise en œuvre du dispositif de Réussite éducative montrent comment, à l’école primaire, il existe d’importantes disparités entre les enfants sur ce point. De nombreux enseignants, relayés par des Inspecteurs d’académie ou de circonscription, insistent ainsi, sur de nombreux sites en Réussite éducative, sur le fait que l’un des signes de fragilité pouvant mériter, en primaire, la mise en œuvre d’actions dans le cadre du programme de Réussite éducative serait précisément le fait que l’enfant ait ou non développé ses compétences au « métier d’élève » (sic) : écoute, concentration, participation à une classe, ponctualité…
9 Poser la question de la diversité à prendre en compte dans l’accueil en maternelle qu’en lien à la seule question des apprentissages, pourrait déboucher sur d’importantes illusions, tant par rapport au deuxième objectif (« Réduire les écarts existants entre enfants d’un point de vue culturel et social ») que par rapport au premier, tel qu’il est postulé par les textes (« Prendre en compte la diversité des enfants dans leurs apprentissages »). Dit autrement, il est essentiel de prendre en compte non seulement la diversité des enfants dans leur rapport aux apprentissages et au savoir, mais dans leurs rapports à l’institution scolaire et ce qu’ils induisent sur leur comportement d’élèves.
10 Or, on relève déjà sur ce dernier point d’importantes « inégalités », ou plutôt disparités, entre les enfants dans la compréhension de ce qu’est l’école en fonction des représentations symboliques qui leur ont été transmises dans leur famille : obligation pour les uns, lieu de garde pour les autres, lieu de socialisation, lieu d’apprentissages pour les autres (plus ou moins conçus dans le milieu d’origine en tant que « savoirs »), voire première marche vers une réussite scolaire et sociale… Un vrai travail de scolarisation de la diversité des enfants – et non pas de la diversité des élèves – est nécessaire. Il est opportun sur ce point, de bien considérer les premiers pas à la maternelle comme une forme de pré-scolarisation, ce à quoi de nombreux enseignants – nous avons failli écrire « éducateurs » – sont de fait attentifs.
11 Plus largement, la prise en compte des diversités « réelles » suppose de considérer la scolarité de l’enfant non pas du seul point de vue de son rapport aux apprentissages et à l’institution scolaire, mais au sens « large » : la place donnée à sa scolarité dans les temps passés hors l’école, les actions complémentaires de l’école qui contribuent à sa socialisation…
12 Cette acception large de la scolarité de l’enfant désigne tout ce qui dans sa vie quotidienne détermine son rapport aux apprentissages scolaires, à l’institution scolaire, et plus largement pèse sur son devenir en tant que sujet social ou que «citoyen ». Au fond, la description des diversités à prendre en compte est inséparable d’une réflexion sur les finalités de cette prise en compte : pourquoi prendre en compte la diversité des enfants en maternelle ? Certes, et pourquoi pas de manière ultime pour favoriser les apprentissages de chacun. Mais, en amont, n’est-ce pas aussi pour faciliter l’intégration de la diversité des enfants au sein de l’institution scolaire (et du même coup le bon fonctionnement de l’école) ? Et en amont, encore, pour favoriser leur socialisation et leur « intégration » sociale dans le respect de leurs droits fondamentaux ?
13 La question de l’accueil des enfants en situation de handicap à l’école et du droit opposable est à ce titre instructive, dans la mesure où elle amène impérativement, et d’un point de vue « théorique », à resituer la question de la prise en compte de la diversité dans le cadre d’un service public d’éducation, dans une perspective où ce ne sont pas les individus qui doivent s’adapter à l’école, où ce seraient « eux » qui seraient en difficulté, mais bien l’institution scolaire, son fonctionnement et ses moyens. On assiste malheureusement dans les faits aujourd’hui à une tendance contraire, où, sous prétexte de détection précoce des difficultés de l’enfant, la médicalisation et la psychologisation de ses difficultés prennent le pas sur une approche sociologique et psycho-sociologique, ou psychocognitive, plus à même de prendre en compte les diversités réelles et de considérer l’enfant comme un être en construction, parmi d’autres enfants.
Quelques suggestions pour une prise en compte de ces diversités
14 La prise en compte des diversités à l’école s’avère à partir de là une question très complexe d’un point de vue à la fois méthodologique, pédagogique, organisationnel et pratique. Les expériences auxquelles nous avons été associés sur ce point [1] montrent comment la prise en compte de ces diversités suppose de mettre en place une approche systémique.
15 Quatre sous systèmes sont à considérer :
- Le processus de scolarisation de l’enfant au sein de l’école. Nous l’avons largement évoqué ci-dessus. Il est à considérer du point de vue des apprentissages de l’enfant, de l’apprentissage de l’école et du métier d’élève, de la socialisation de l’enfant au sein de l’école maternelle, de la contribution de l’école à l’ouverture de l’enfant sur les autres et sur le monde.
- L’enfant, sa santé, son bien être, ses éventuels handicaps et/ou déficiences motrices ou psycho-motrices, sa relation à l’effort et à la contrainte.
- Le cadre de vie familial. Celui-ci est à considérer de différents points de vue. L’habitat et le logement sont, par exemple, des variables qui peuvent fortement peser sur la scolarité de l’enfant. Les aspects économiques sont, également, extrêmement importants, ne serait-ce que parce qu’ils vont ou non permettre que l’enfant bénéficie du temps de la cantine. Les relations au sein du couple et de la fratrie pèsent également, on s’en doute, sur la scolarité de l’enfant et sur ses apprentissages. La dimension culturelle est également une des variables qui pèse le plus sur les apprentissages et la scolarité de l’enfant, mais ce, bien sûr, en intégration avec d’autres variables. La fonction symbolique de l’école, la compréhension de ce qui s’y passe, du sens des activités qui y sont pratiquées,… connaissent d’importantes variations en fonction des cultures d’origine. Plus encore, c’est sur la spécificité des modes d’apprendre qui y sont pratiqués que l’on constate le plus grand nombre de variations : si le recours à l’expérimentation, l’action et l’imaginaire, la recherche, la compréhension, sont considérés dans certains milieux, en lien avec une certaine représentation symbolique du savoir et du discours scientifique, comme étant des modes d’apprentissages positifs, ils sont dans d’autres cas minorés, au profit de la croyance, de la tradition… La plus grande prudence et l’absence de vision déterministe sont indispensables sur ce point. Que de représentations sociales et simplifications abusives à ce sujet, y compris du côté des enseignants et éducateurs, quant au « poids » respectif des différents modes d’apprendre en fonction des origines sociales, religieuses et ethniques des enfants ! Non, chaque cas est unique et dépend de l’histoire familiale et des premiers pas de l’enfant au sein de cette histoire.
- L’environnement urbain ou le cadre de vie « social » de l’enfant. Au-delà de ce qui touche aux questions d’environnement urbain et social à proprement parler (les relations de voisinage, l’insertion ou non de la famille dans des réseaux sociaux, la nature de ces réseaux, … la qualité de l’habitat), une variable décisive est relative aux modalités de prise en charge de l’enfant en dehors du temps scolaire et en dehors du cadre familial, au sens strict : garde par un des parents, garderie péri-scolaire, garde par un membre de la fratrie, centre de loisirs matériels. Ce que fait l’enfant dans ces différents temps, les représentations qu’il y construit et les expériences auxquelles il a accès, vont fortement peser, au final, sur la capacité de l’école élémentaire à prendre en compte la diversité des situations des enfants.
17 J’entends déjà certains lecteurs reculer devant la complexité de la prise en compte de la diversité des enfants, d’autres plaider pour une individualisation et une personnalisation extrêmes des apprentissages et des parcours ou, à l’autre extrême, préconiser que ce ne soit pas l’école maternelle qui s’adapte aux enfants, mais bien les enfants et les familles qui s’adaptent au système scolaire.
18 Concernant le premier point, d’une certaine manière « nous n’y pouvons rien ». Les parcours de vie sont uniques – ce que révèlent toutes les enquêtes qualitatives auprès des parents et des enfants – et la plus grande individualisation du diagnostic de la situation de l’enfant, de la situation des enfants, à leur entrée en maternelle, est indispensable. Chacun aura compris que ce(s) diagnostic(s) suppose(nt) d’associer, outre l’enfant, les parents et l’ensemble des professionnels qui interviennent auprès de la famille.
19 Mais le fait que le diagnostic soit personnalisé ne signifie nullement que les actions doivent, elles, être personnalisées !
20 En fait, il semble pertinent de travailler en premier lieu à adapter les formes d’animation de la classe, du groupe, les interactions au sein du groupe, en fonction de la composition des classes. Mieux épauler les enseignants dans ces démarches, renforcer leur formation en matière d’analyse et d’animation des groupes d’enfants, reste une priorité, de par la difficulté rencontrée aujourd’hui par de nombreux enseignants au sein de certaines maternelles, à « gérer les enfants ».
21 Il semble pertinent, en second lieu, de travailler à mettre en place des actions « compensatrices », sur des thématiques ciblées, en direction de groupes d’enfants ou de parents ciblés. Des actions sur la culture et le suivi de la scolarisation de l’enfant sont particulièrement nécessaires. Mais pas seulement. Il est important de travailler sur le processus de séparation de l’enfant vis-à-vis des parents, organiser en direction des parents des temps de propédeutique à la scolarisation de l’enfant (des actions menées avec le soutien de la CAF, visant à établir des passerelles entre la crèche et l’école maternelle, sont à ce titre extrêmement intéressantes). On le comprend du même coup, l’accueil de la diversité des enfants en maternelle est inséparable d’un engagement de la collectivité territoriale, des partenaires institutionnels en charge de l’enfant et de sa famille, avant et en dehors du temps scolaire, des professionnels du social et acteurs associatifs intervenant ou pouvant être amenés à intervenir auprès de l’enfant et de sa famille.
22 Plus largement, il semble nécessaire de resituer l’action de l’école au sein de la cité. Il ne s’agit pas ici de plaider pour une énième ouverture de l’école – dont on parle pourtant trop peu à propos de l’école maternelle – sur son environnement. Il s’agit d’inciter à ce que soient systématisées les actions visant à inscrire, au sein de la cité, l’école maternelle, certes en tant que lieu repère et qu’institution, mais également dans les apprentissages, la culture et les valeurs dont elle est porteuse : le livre, l’écriture, l’expression, l’expérimentation, … le savoir.
23 La prise en compte au titre d’une politique territoriale de la diversité dans l’accueil des enfants en maternelle serait enfin largement aidée par la mise en place de démarches d’évaluation des effets des actions menées.
24 Dans l’état actuel des expérimentations en cours, l’évaluation doit être envisagée de deux points de vue :
- Au plan individuel. Il s’agit de s’intéresser aux effets des actions menées sur les apprentissages, concernant le processus de scolarisation, la socialisation et l’intégration de l’enfant dans le cadre scolaire. Ce travail est aujourd’hui relativement bien conduit. Il gagnerait à ce que les évaluations réalisées soient explicitement partagées – sous réserve de l’application de règles déontologiques claires – avec les familles et avec les autres professionnels intervenant en direction des enfants. Il gagnerait à s’étoffer de quelques indicateurs concernant l’implication des parents dans la scolarisation de l’enfant. Il gagnerait enfin à s’étoffer d’une prise en compte des effets des actions « compensatrices », sur ces trois dimensions. La faiblesse actuelle des démarches d’évaluation concernant les actions « collectives » menées dans les quartiers n’incite pas à l’optimisme sur ce point.
- Au plan collectif, ou, plutôt, des « systèmes acteurs ». De nombreux travaux sont aujourd’hui menés sur ce point, mais de manière relativement disparate. Les critères et les indicateurs sont de qualité variable. Enfin, on manque cruellement de données de contexte permettant de mesurer des évolutions. Trois types d’impacts seraient ici à particulièrement évaluer : les impacts sur la réussite du processus de scolarisation de l’enfant dans la dernière année de maternelle et en termes d’apprentissages, les impacts sur le fonctionnement de l’école et son ancrage dans la vie de la cité, les impacts sur la place du savoir dans la cité.
26 Le lecteur l’aura compris. Il existe aujourd’hui un fourmillement d’initiatives visant à favoriser la prise en compte de la diversité des enfants en maternelle.
27 De nombreuses pistes sont explorées.
28 Pour autant, par défaut de démarches de projet en la matière et de mise en place de l’ingénierie éducative et territoriale suffisante, il y a de bonnes chances que ces initiatives restent ponctuelles, partielles, et de peu d’effets.
Notes
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[1]
Voir notamment les travaux menés sur la Ville de Lille au titre de l’évaluation du dispositif de Réussite éducative ou sur la mise en œuvre sur Paris d’un système d’évaluation de la Réussite éducative.