Notes
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[1]
Association des groupes de soutien au soutien
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[2]
Jacques Lévine, Michel Develay, Pour une anthropologie des savoirs scolaires. De la désappartenance à la réappartenance, ESF, 2003.
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[3]
Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté.
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[4]
Jacques Lévine, Faut-il détruire le CP pour protéger la maternelle et le CP lui-même ? Propos sur la difficile gestion de l’hétérogénéité, Actes du colloque n° 2, « Les 2-7 ans à l’heure de l’Europe », 1991.
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[5]
René Kaës, Le groupe et le sujet du groupe, Dunod, 2000.
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[6]
Protection maternelle infantile.
1 Je reprends dans le titre de cet article la formulation de Winnicott qui pose les conditions de ce que peut être une mère « suffisamment bonne », c’est-à-dire, un être humain qui propose à un enfant des défaillances transitoires qui ne sont jamais supérieures à ce qu’il peut éprouver. Je tenterai alors de définir ce que pourrait être une école maternelle qui offre un environnement relationnel qui permette à l’enfant de grandir, d’apprendre, de renforcer son Moi cognitif et social. Pour se séparer de son univers familier et découvrir que son univers peut s’agrandir, l’enfant a besoin de retrouver des repères fiables et facilement identifiables pour comprendre ce lieu école et y trouver sa place.
2 Le sort de toute l’école n’est-il pas influencé par ce qui se joue à l’école maternelle, qu’il s’agisse du problème des apprentissages, du problème de la violence, ou des difficultés du lien social ?
3 Il y a une véritable méconnaissance de ce qui se joue dès les premiers moments de la vie scolaire. Il nous faut réfléchir à l’importance de cette école et voir si une prise en compte de certains comportements ne permettrait pas d’éviter l’installation ou la pérennisation des difficultés. C’est tout l’enjeu d’une politique de prévention qui est souhaitable à l’école maternelle, mais qui, hélas, n’a pas les moyens de sa mise en œuvre.
4 L’hétérogénéité est au fondement de l’école de la République, nous ne pouvons pas nier les différences interindividuelles. La ligne de conduite de l’école maternelle repose sur le respect de la diversité des enfants et de la diversité des besoins de développement. Pour Jacques Lévine, le problème majeur se définit ainsi : « Nous avons à inventer les stratégies et les détours nécessaires pour développer des enfants, pas pareils au départ, qui ne seront pas nécessairement pareils ou égaux au terme du parcours, mais à qui auront été données, entre-temps, des chances pareilles en matière de compétences diversifiées [2].»
Une école pour tous les enfants : l’accueil de l’hétérogénéité
5 L’école maternelle est bien une école, lieu de culture et d’apprentissages, où il s’agit d’accueillir, d’éduquer, de socialiser, de faire apprendre à des sujets humains tous différents. L’école maternelle qui accueille des enfants de deux à six ans ne peut se limiter à la transmission de connaissances, car elle prend en compte l’âge des jeunes qu’elle accueille, pour les aider à apprendre en mobilisant leurs capacités, à s’investir dans une tâche, à imaginer, à créer, à prendre des initiatives, à coopérer. On assigne à l’école maternelle une finalité de socialisation, en oubliant que toute une série de difficultés à ce niveau s’expliquent par le fait que l’on cherche à bâtir sur des fondations fragiles ou lézardées, sans chercher à y remédier. Comment être attentif à la fois à l’universalité des savoirs et à la singularité des apprenants ? L’hétérogénéité concerne le cognitif, mais aussi la socialisation, les images de soi, les zones de souffrance et de bonheur, avec lesquelles les enfants arrivent en classe. Les différences ne doivent pas être banalisées, car elles risquent de générer de la violence, du découragement, de l’inhibition, de la souffrance. Nous devons prendre en compte les écarts entre enfants pour traiter la question de l’hétérogénéité. Ces écarts nécessitent des dispositifs adaptés que les enseignants peuvent mettre en place en collaboration avec les personnels des Rased [3]. Qu’en sera-t-il avec la diminution annoncée du nombre des enseignants spécialisés ?
6 Jacques Lévine déclarait qu’il fallait « protéger la maternelle », car ce qui fait sa renommée est cette « pédagogie de l’échange » qui repose le respect actif des différences. Voici ce qu’il écrivait :
« Le respect de la différence consiste à rencontrer l’enfant tel qu’il est, avec les moyens et les motivations qu’il a. Les ateliers diversifiés correspondent à cette volonté. Ils encouragent à égalité les savoir-faire, dire, gérer, penser, réaliser, imaginer… Et il s’agit d’un respect actif de la part de l’enseignant s’il sait pointer et mettre en développement ce qui émerge de positif au cours de ces activités, notamment le goût de la découverte.
Le respect de la différence, c’est aussi la capacité, pour l’enseignant, de ne pas en rester aux relations de groupe et de promouvoir, si nécessaire, des relations duelles personnalisées qui sécurisent et consolident le narcissisme de l’enfant. Ce respect devient actif lorsque la relation duelle étant bien établie, elle est utilisée pour ramener l’enfant aux activités de groupe [4]. »
8 Jacques Lévine nous mettait en garde : nous avons trop vite tendance à nous intéresser au devenir d’un Moi scolaire et social, sans penser qu’il se construit sur la base d’un Moi familial. Il est indispensable que soient engagés avec les parents les échanges nécessaires afin de les informer et de les associer à toute démarche de prévention, de repérage, de dépistage et de diagnostic ainsi qu’à toute démarche d’aide.
Les étayages multiples dont l’écolier a besoin
9 Comment aider l’enfant à grandir ? Nous devons ajuster notre pas au rythme qu’il peut suivre, nous le précédons légèrement, garants de son projet éducatif. Nous l’aidons à franchir des seuils, nous élargissons les passages qui paraissent difficiles, et nous ouvrons des impasses pour désenclaver les obstacles à son développement.
10 Le risque serait que nous, adultes, courrions trop loin devant ou que nous restions en arrière. Nous allons nous situer dans ce que Vygotsky appelle une « Zone proximale de développement ».
11 Selon Vygotsky, chaque fonction psychique apparaît deux fois au cours du développement :
- d’abord comme activité collective, sociale et donc comme fonction interpsychique,
- puis comme activité individuelle, comme fonction intrapsychique. Le rôle de l’enseignant consiste à :
- construire des dispositifs d’aide qui se situent dans le prolongement de ce que le sujet est capable de faire, très légèrement en avance (étayage) ;
- travailler à la disparition progressive de ces dispositifs pour faire accéder le sujet à la capacité de mettre en œuvre ces opérations mentales et intellectuelles tout seul et à sa propre initiative (desétayage).
13 Dans mon travail avec les enseignants d’école maternelle, j’ai privilégié une approche proposée par Monique Pinol-Douriez et Marie-Claude Hurtig. Dans le cadre d’une recherche sur la « Construction de l’identité chez l’enfant durant ses trois premières années », elles ont observé des enfants en crèche, de cinq mois à trois ans. Reprenant le terme d’étayage de René Kaës (corps, code, groupe), elles nous décrivent des processus d’étayage, sur lesquels l’enfant prend appui pour se développer.
14 Un enfant de trois ans qui s’est développé de manière à peu près harmonieuse peut s’appuyer sur quatre formes d’étayage : son propre corps, les adultes, les pairs et les objets. J’ai pu voir combien les enfants en difficulté à l’école que je rencontrais avaient des difficultés avec une ou plusieurs formes de ces étayages. Leurs apprentissages s’en trouvaient par conséquent entravés. Nous verrons que ce qui pose problème, c’est un étayage exclusif à l’un des appuis possibles, ainsi que le refus de l’un de ces étais, à l’école maternelle, comme à l’école élémentaire et au collège.
15 Il n’est pas toujours aisé pour l’enseignant de travailler sur cet investissement des étayages multiples. Les enseignants spécialisés des Rased, dans leurs actions de prévention, peuvent proposer des dispositifs où ils accompagneront les enfants qui n’investissent pas ces étayages multiples fondamentaux pour s’engager dans les apprentissages à l’école.
L’étayage au corps
16 Nous pouvons proposer aux enfants des espaces pour qu’ils apprennent à maîtriser leurs pulsions, mais, dans le même temps, il faut les amener à un glissement vers d’autres formes d’étayages, en proposant des médiations qui vont donner forme aux mouvements du corps, en les conduisant vers d’autres formes de représentation. La meilleure façon de grandir est peut-être de jouer, de « faire comme si », de stimuler sa créativité à travers des expériences multiples, ce qui est à la base du processus d’apprentissage.
L’étayage à l’adulte
17 Certains enfants ne peuvent réaliser une tâche dans la classe que lorsque l’enseignant interagit directement. Ce besoin d’étayage tient d’un manque de confiance et sûrement du fait qu’ils n’ont pas intériorisé l’autre avec lequel on apprend (Vygotsky, 1985). Nous avons alors à interroger la « capacité pour l’enfant à être seul en présence de l’autre » (D. W. Winnicott). Si l’enfant à l’école maternelle n’a pas installé cette capacité, tout au long de sa scolarité, il sollicitera son environnement pour s’engager dans la moindre action, il aura besoin de recourir à tout moment au substitut maternel. Nous constatons même des « incapacités à être seul » qui perdurent tout au long de la vie et qui peuvent se manifester par des addictions, des attitudes dépressives. Certains enfants qui arrivent en petite section nous montrent cette grande dépendance à l’adulte, qui est à la fois une impuissance à être seul, mais aussi une impossibilité d’être seul. Nous voyons alors comment introduire d’autres étayages, en même temps que nous accompagnons l’enfant, comment nous allons mettre entre lui et nous des pairs, mais aussi des objets culturels, des « objeux », comme dit René Roussillon. Un travail avec les parents s’avère nécessaire aussi pour qu’ils puissent s’adapter progressivement aux besoins changeants de l’enfant.
Étayage aux pairs
18 En reprenant les travaux du psychanalyste hongrois Geza Roheim, René Kaës [5] nous invite à penser comment faire passer l’enfant de l’agrippement à sa mère, à l’adulte, à un agroupement, se joindre aux autres, ce qui est à la base de la socialité.
19 Se connaître soi-même, nous l’avons vu, est une difficulté pour beaucoup d’enfants qui ne peuvent s’installer dans le Moi social, le Moi groupal décrit par Wallon. Ces enfants naviguent entre égocentrisme et socialité, mais le curseur reste parfois « grippé » du côté de l’égocentrisme, ce qui rend la rencontre difficile avec les autres et les apprentissages, ou alors, le curseur reste « grippé » du côté de la socialité, ce qui rend l’engagement personnel impossible et bloque le processus d’apprentissage.
Étayage à l’objet
20 Les objets « autres que soi » ou objets transitionnels participent au cheminement de l’enfant du subjectif à l’objectivité. Les jeux de cache-cache, de cacher-trouver permettent d’explorer cette capacité pour l’enfant de se représenter un objet ou un sujet absents. Cette expérience est à la base de l’activité de symbolisation. Quand le domaine de l’expérience s’agrandit, l’enfant utilise les objets extérieurs pour les mettre au service de sa réalité personnelle, et se prépare à entrer dans l’expérience culturelle.
21 La manipulation des objets a permis à l’enfant d’acquérir la notion de « permanence de l’objet » et de mieux connaître son environnement. L’expérimentation, les manipulations sont essentielles. J’ai pu constater l’importance des objets « malléables » à l’école maternelle (le sable, la pâte à modeler, l’eau…), où l’enfant expérimente l’indestructibilité et la capacité de transformation, par l’intermédiaire de ses propres actions.
22 Ce que nous pouvons observer à l’école maternelle doit interroger la manière dont l’enfant investit l’objet, car tout objet transitionnel est précurseur de cette aide transitionnelle décrite par Winnicott qui ouvrira vers l’expérience culturelle et les apprentissages.
Restaurer l’estime de soi pour lutter contre l’identité négative
23 Les enfants auront toujours besoin de trouver en dehors d’eux-mêmes la confirmation de leur valeur personnelle. L’estime de soi se construit dans des relations sécurisantes.
24 À la maison, comme à l’école, cette confiance en soi ne peut s’établir que si l’enfant éprouve un sentiment de sécurité physique et psychologique. L’estime de soi, c’est la valeur positive qu’on se reconnaît comme individu. Les enfants apprennent à se voir d’abord et avant tout à travers les yeux des personnes importantes pour eux : leurs parents, leurs frères et sœurs, la famille élargie, leurs enseignants et enseignantes et aussi leurs camarades.
25 La confiance en soi joue un rôle important dans la conquête de l’autonomie et dans la construction de l’identité ; or, cette confiance vient en premier lieu des sentiments positifs que les parents peuvent éprouver à l’égard de leurs enfants. Certains n’arrivent pas à obtenir cette certitude de la part de leurs parents. Ils ont besoin qu’un autre adulte, investi d’une relation d’autorité, les approuve pour leur donner confiance en eux-mêmes.
26 Beaucoup d’élèves en difficulté ont une estime de soi défaillante. L’enfant éprouve un sentiment de sécurité quand il a des repères stables dans le temps et dans l’espace et, surtout, quand les personnes significatives pour lui, sont fiables. Nous rejoignons là le concept de résilience développé par Boris Cyrulnik.
27 L’enfant investira l’école s’il réussit à trouver un équilibre entre ses besoins, sa satisfaction personnelle et les exigences du monde extérieur. Hubert Montagner nous décrit des enfants « insécures » que nous rencontrons à l’école, qui possèdent un faible niveau d’estime de soi et qui manquent de confiance dans leur habileté à réussir. Ce fait peut se traduire par une attitude timide et effacée ou par un comportement agressif, selon les tempéraments individuels.
28 L’enfant doit être encouragé à être producteur, interlocuteur, régulateur, en même temps que récepteur et demandeur de savoirs. Le problème est de s’adresser de façon plus vivante à la fois à l’écolier-élève et à l’élève-personne.
Pour une école des quatre langages ou des quatre intelligences
29 Jacques Lévine préconisait une école des quatre langages qui correspond à une solution de respect du pluralisme des projets de croissance. Ces quatre langages sont de valeurs équivalentes, et l’école devrait y faire appel de manière équitable, chaque jour. L’école des quatre langages est fondée sur le développement de toutes ces intelligences et non sur la valorisation de performances immédiates.
Le deuxième langage c’est celui des réalisations. Par sa production, l’enfant révèle une partie de ce qu’il vit, de ce qu’il est. Il s’agit de permettre la mise en place de projets dans lesquels l’enfant va se sentir producteur efficace. On se construit en construisant. L’enfant a besoin de se regarder dans le miroir de ses œuvres pour y lire sa valeur.
Le troisième langage c’est celui de la réflexion sur les relations. C’est l’écoute, la parole, le regard, la sensibilité, le comportement. Cette forme d’intelligence correspond à la nécessité de relations groupales plus maîtrisées. Il n’est pas normal que la violence, à l’école et ailleurs, l’individualisme forcené, le spectacle des injustices et de la misère, de même que les petits et grands exploits, ne fassent pas l’objet d’échanges en profondeur, reliés, d’ailleurs, aux réflexions des grands auteurs sur les mêmes sujets.
Le quatrième langage c’est celui de l’inventivité ludique, des curiosités scolaires. Il s’agit de mettre en évidence et en valeur, les talents de chacun. C’est aussi : s’ouvrir aux savoirs en acceptant la culture et prendre conscience de la diversité de chacun.
La « maison des petits et des parents » dans l’école
30 D’abord, quelques mots d’explicitation sur l’expression : « Maison des petits et des parents dans l’école » que nous avons tenté de définir avec Jacques Lévine. La juxtaposition du mot « maison » au mot « école » est une manière de montrer que les enfants fragiles ont plus besoin d’une structure maison que d’une structure classe. Les qualités de l’étayage ne sont pas les mêmes, selon que nous pensons
- en termes de maison, avec une approche globale de l’enfant,
- ou en termes de classe, où notre regard se centrera sur l’écolier, l’élève.
32 La plupart du temps, tout se passe bien, l’enfant occupe la classe, pièce habitée par son Moi social, mais, parfois, ça se passe mal. Il est important alors de ne pas stigmatiser sur un aspect, mais d’envisager la situation dans sa complexité, d’apprivoiser cet espace-temps de l’accueil de l’autre. C’est ce que permet cette approche métaphorique de la maison dans l’école.
33 En parlant de la « Maison des petits et des parents dans l’école », l’objectif essentiel est de situer dans l’école, un espace qui puisse déboucher sur une analyse, aussi fine que possible, des facteurs précoces de déliaison qui affectent les enfants les plus fragiles. Ils auront alors du mal à s’inscrire comme écoliers et ensuite comme élèves.
34 La métaphore de la maison nous permet de souligner cette nécessité de faire vivre à l’enfant « le sentiment continu d’existence » décrit par D.W. Winnicott en lui donnant des repères dans un environnement que nous espérons « suffisamment bon ».
Le partenariat pour répondre aux difficultés rencontrées par les élèves
35 L’Éducation nationale aurait tendance à circonvenir l’altérité en classant, en catégorisant la différence, en la contenant. C’est peut-être pour cela que la médicalisation a si bonne presse : elle classe, met des étiquettes, enferme dans des tableaux cliniques. Nous avons tout intérêt à définir avec la PMI [6] et la médecine scolaire ce qui relève de l’évaluation, du repérage et du dépistage. Qui fait quoi ? Pourquoi ? En direction de quels enfants ? Avec quel partenariat ? Avec quelle complémentarité ? Il y a des alternatives aux dépistages intempestifs et massifs, même si la prévention n’exclut pas le dépistage, et réciproquement.
36Pour chaque élève qui rencontre des difficultés, l’équipe éducative a à conduire une réflexion en partenariat, et les professionnels des Rased ont des dispositifs à proposer aux élèves pour lesquels les enseignants se posent toutes ces questions. C’est quand ils ont eux-mêmes mis en place des aides qui se sont avérées inopérantes qu’ils sollicitent les Rased. Il serait illusoire de croire que les difficultés rencontrées par les élèves ne trouveraient que des réponses techniques avec une vision unilatérale des causes possibles.
37 L’enfant est un sujet pensant, désirant, parfois souffrant, membre d’une famille qui a sa propre histoire. L’institution qui l’accueille a aussi son histoire, ses mouvements, et entre les parents et l’école, il y a aussi une histoire, des histoires, qui facilitent ou entravent l’accès aux apprentissages.
38 L’enfant n’apprend pas pour apprendre, mais il apprend pour répondre à des questions qu’il se pose, pour grandir. « Placer l’élève au centre des apprentissages, nous dit Michel Develay, c’est parvenir à mieux comprendre les liens que ce dernier tisse ou ne tisse pas avec les savoirs, afin de parvenir à les apprécier en gourmet, en gourmand, et non pas en anorexique ou en boulimique. »
39 L’instabilité émotionnelle, les troubles de l’attention, tout désordre de l’environnement risquent de perturber l’acquisition des connaissances et l’investissement de l’élève dans les activités proposées par l’école. Il lui a fallu abandonner son omnipotence pour laisser un espace à la pensée et accepter de différer l’action au profit de la pensée et de l’imagination.
40 Toutes sortes de tentatives pédagogiques peuvent être vouées à l’échec s’il ne s’instaure pas une certaine coopération avec les parents. La valorisation de l’enfant par l’enseignant, pour être efficace, nécessite que les parents se sentent eux-mêmes vécus, indépendamment même des problèmes que pose leur enfant à l’école, comme des interlocuteurs valables pour l’enseignant. D’autre part, il semble nécessaire que d’autres adultes que l’enseignant prennent place à l’école dans l’univers de l’enfant : les personnels de service, les membres des Rased…
41 Un élève qui rencontre des difficultés questionne l’ensemble de la communauté éducative, ainsi que les parents. Les interventions des uns et des autres peuvent s’avérer inefficaces et il est important d’échanger entre intervenants engagés auprès de l’enfant. En travaillant en complémentarité, nous nous aidons les uns les autres à trouver des solutions aux difficultés posées, nous pouvons parler de toutes ces situations que nous jugeons « difficiles ». Il n’est pas UNE réponse, mais DES réponses qui naissent de l’échange : « Comment, chacun de notre place, allons-nous aider Quentin, Léa… ? »
42 La mise en commun de nos approches permet :
- de prévenir les difficultés scolaires,
- d’améliorer les aides par le partage des compétences,
- d’assurer la cohérence des interventions.
Conclusion : l’école, pays d’éveil ou pays des merveilles ?
44 Réussir sa croissance n’est pas une entreprise facile. L’entrée à l’école peut s’apparenter au récit de Lewis Carroll qui plonge Alice dans un univers étonnant, parfois effrayant. En deçà de la difficulté de grandir, on voit se multiplier dans le conte, des transformations corporelles, des rencontres curieuses, le temps et l’espace y sont déstructurés, le langage, lui-même, y est constamment subverti.
45 Alice découvre la réalité du monde des adultes telle qu’un petit enfant peut l’appréhender. Qu’en est-il de l’enfant quand il arrive à l’école ? L’univers ne lui apparaît-il pas aussi instable que dans le pays des merveilles ?
46 Dans un autre conte de Lewis Caroll, À travers le miroir, Alice exprime le souhait de traverser le miroir du salon pour voir ce qui se cache derrière. Elle pénètre dans un monde où les personnages rencontrés sont les pions d’un jeu d’échecs. C’est un autre sentiment que peut ressentir l’enfant. Son désir de grandir se heurte aux réticences, parfois à l’hostilité des grandes personnes. Alice se voit à la fois enseignée et critiquée par ses interlocuteurs, ambivalence que vivent aussi les élèves. Une épreuve plus cruelle attend Alice : la mise en question de son identité. Ce n’est pas ce que nous souhaitons pour les enfants que nous accueillons. Ils doivent vivre l’école comme une expérience de « plus-value », et non comme une atteinte possible de leur intégrité.
Bibliographie
Bibliographie
- Lévine (J.) et Moll(J.), Je est un Autre, Pour Un Dialogue Pedagogie-Psychanalyse, ESF, 2001.
- Metra (M.), La première rentrée. Les enjeux d’une prévention précoce à l’école maternelle, EAP, 2000.
- Metra (M.), « Un grand pas : franchir le seuil de l’école », Les premiers pas vers l’autre, Erès, Mille et un bébés, 2008, p. 89-108.
- Vygotsky (L.S.), Pensée et langage, Éditions sociales, 1985.
- Wallon (H.), L’évolution psychologique de l’enfant, A. Colin, 1968.
- Winnicott (D.W.), Jeu et réalité, l’espace potentiel, Folio-essais, 2002.
Notes
-
[1]
Association des groupes de soutien au soutien
-
[2]
Jacques Lévine, Michel Develay, Pour une anthropologie des savoirs scolaires. De la désappartenance à la réappartenance, ESF, 2003.
-
[3]
Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté.
-
[4]
Jacques Lévine, Faut-il détruire le CP pour protéger la maternelle et le CP lui-même ? Propos sur la difficile gestion de l’hétérogénéité, Actes du colloque n° 2, « Les 2-7 ans à l’heure de l’Europe », 1991.
-
[5]
René Kaës, Le groupe et le sujet du groupe, Dunod, 2000.
-
[6]
Protection maternelle infantile.