Couverture de NRAS_041

Article de revue

Chercher des solutions pour les autres, c’est en trouver pour soi-même

Pages 49 à 57

Notes

  • [1]
    J. Hamel, Étude de cas et sciences sociales, Collection outils de recherche, L’Harmattan, 1997.
  • [2]
    Ibid., p. 104.
  • [3]
    J. Hamel, Précis d’épistémologie de la sociologie, L’Harmattan, Paris-Montréal, 1997.
  • [4]
    J. Leplat, « De l’étude de cas à l’analyse de l’activité », Pistes, Vol. 4, « Réflexion sur la pratique », 2002.
  • [5]
    R. Pagés, « L’analyse codée, technique documentaire en psychologie sociale et en sciences humaines », Documentaliste : Sciences de l’information, volume 29, 1992.

1 On peut formuler que l’analyse de pratiques vise à aider l’enseignant en formation à prendre conscience de ses représentations du métier et à ce que la confrontation avec celles des autres l’amène à les faire évoluer. Dans le cadre d’une meilleure adaptation de l’enseignant aux spécificités des élèves handicapés, l’analyse de pratiques doit répondre à plusieurs besoins :

2

  • le besoin de dire, de mettre des mots en rapportant le vécu plus ou moins problématique,
  • le besoin de réflexion personnelle et collective sur des cas concrets, exprimés par d’autres mais toujours en rapport, plus ou moins lointain mais toujours existant, avec le vécu de chacun.

3 L’organisation des séances doit mettre en confiance tous les participants en leur donnant le sentiment de ne pas être jugés. Tout doit être mis en place pour y parvenir : incitations préliminaires, modération du débat. Il doit leur être donné le temps suffisant pour pouvoir s’exprimer pleinement et proposer ou demander des explications supplémentaires, de réfléchir aux problèmes soulevés. Ils doivent pouvoir également, a posteriori, analyser le déroulement de la séance et évaluer son intérêt. Ainsi doivent pouvoir émerger des idées, des perspectives fécondes sur l’action professionnelle à venir.

4 À l’expérience d’une analyse de situation, que constate-t-on ? Les objectifs sont-ils atteints ? Analyser une situation vécue par quelqu’un d’autre apporte-t-il des réponses à ses propres problèmes ? Pour répondre à ces questions et avancer sur l’émergence des idées, nous allons commenter une séance vécue.

Le contexte de la séance

5 La séance s’est déroulée dans le cadre d’un stage rassemblant des stagiaires du second degré. Ces stagiaires exercent dans différentes régions de France métropo­litaine dans des établissements ordinaires – collège, lycée – ou dans des institutions spécialisées. De statuts différents comme enseignant ou inspecteur, ils sont aussi d’âges différents et de spécialités différentes comme EPS, français, gestion, etc. Pour la séance commentée, deux formateurs étaient présents ; l’un d’eux conduisait l’analyse, l’autre y participait à égale intervention avec les stagiaires. Durant la séance, des traces des échanges ont été prises. La confidentialité concernant les lieux et les personnes est assurée aux participants et cette condition est jugée nécessaire à une expression libre. Pour le travail de reprise de la séance fait ici, la confidentialité a été respectée. Les échanges sont anonymes et le prénom donné a été inventé ; certains éléments des échanges ont également été ignorés.

6 Les formateurs suivent un protocole selon plusieurs étapes, limitées dans le temps et précisées en début de séance.

7

  • Après quelques instants de réflexion, chaque participant expose une situation professionnelle vécue personnellement qu’il souhaite voir analyser par l’ensemble du groupe (entre 5 et 10 personnes).
  • Il est procédé au choix par les participants de la situation estimée la plus pertinente ; l’animateur veille au choix afin que celui-ci s’inscrive bien dans une pratique professionnelle.
  • La situation choisie est développée plus largement par la personne l’ayant vécue.
  • Afin que celle-ci soit bien comprise par tous, le récit est complété suite aux questions posées.
  • S’étant fait une opinion, le groupe demande à cette même personne de se retrancher pour écouter les commentaires sur les éléments tirés des étapes précédentes.
  • Il est fait le point sur le déroulement de la séance et ses apports.

La situation factuelle. Premiers éléments d’analyse

8 Sophie relate une situation de tension entre elle et une éducatrice à propos d’une élève que nous appelons Amélie. Les principaux éléments du récit qui seront retenus sont les suivants : « Amélie a des difficultés relationnelles avec ses professeurs et ses camarades. Son handicap ne se voit pas. L’éducatrice ne vient pas rencontrer les enseignants, elle rencontre seulement le conseiller d’éducation. Sophie souhaiterait contacter les parents, mais se demande comment, étant donné qu’ils ne voient que l’éducatrice. Ça se passe bien avec l’orthophoniste mais comment collaborer avec l’éducatrice qui semble se sentir la seule capable d’aider l’élève ? Comment travailler alors avec cette éducatrice alors que les relations lui apparaissent impossibles ? ».

9 La situation exposée apparaît d’emblée comme un empêchement à agir et une tension avec une personne qui semble nier le rôle de l’enseignante. Cette situation est ressentie amèrement par Sophie qui se voit dépossédée injustement des relations indispensables avec les parents de l’élève. À ce moment de la séance, les torts sont considérés comme exclusivement du côté de l’éducatrice puisque « ça se passe bien avec l’orthophoniste ». Ce serait donc une question de personne, la situation est bloquée. Cela préoccupe Sophie et elle attend manifestement de l’aide.

10 D’emblée, les stagiaires donnent leur avis et engagent une discussion avec Sophie. Il n’y a pas de questions visant à compléter le récit. Chacun pense probablement avoir assez d’informations et déjà toutes les clés en main.

11 Stagiaire 1 : « Quand il y a un éducateur c’est que la famille ne peut pas assurer un suivi correct de leur enfant. C’est un cas social, c’est donc difficile ». Le stagiaire 1 assimile la présence de l’éducatrice à une défaillance constatée de la compétence des parents ; il pense que l’éducatrice prend de fait la place des parents car ceux-ci ne seraient pas compétents. Il est donc normal de ne pas pouvoir entrer en contact avec ces parents. Cette opinion tranchée du stagiaire indique probablement qu’il connaît une situation de ce type ; il en fait une généralité et l’applique au cas de Sophie.

12 Sophie : « Les partenaires extérieurs ne doivent pas s’effacer totalement mais les parents ne doivent pas se cacher derrière eux. Quand l’éducatrice entre dans ma classe pour me réprimander, je la chasse, c’est normal ». Là aussi, Sophie répond d’abord au niveau général de l’équilibre dans les rôles partenaires extérieurs et parents puis donne une information nouvelle : « L’éducatrice entre dans ma classe pour me réprimander, je la chasse, c’est normal ». Au moment où Sophie évoque l’entrée de l’éducatrice dans sa classe, elle manifeste à la fois la colère et la détresse. Elle est au bord des larmes et son expression physique est aussi violente que les mots. Ici, on mesure encore davantage l’intensité de la tension avec l’éducatrice tout en observant qu’il s’agit de la narration d’un fait et qu’on ne peut établir la part de subjectivité. Néanmoins l’intrusion dans sa classe est ressentie douloureusement par Sophie. On observe ensuite chez Sophie une satisfaction à s’être exprimée ainsi. Apparemment, cela lui a permis de diminuer l’émotion qui était liée à l’intrusion.

13 Stagiaire 2 : « Le CPE ou le chef d’établissement devrait demander aux parents de rencontrer les profs ». Voici une proposition précise de solution de déblocage. Elle implique une tierce personne, de surcroît pouvant faire autorité. L’argument apparaît recevable au groupe.

14 Stagiaire 3 : « Dans mon établissement, c’est un peu la même chose puisque les enfants sont scolarisés en IEM et le collège les prend pour un certain nombre de cours. Les établissements ne communiquent pas, c’est un problème de dispositif. Or, depuis la loi de 2005, ce fonctionnement n’est plus légal. Elle nous donne des droits et des obligations : nous devons avoir un rôle plus large ». Ici, la réaction est placée à un niveau général qui justifie la réaction précédente ; celui du contexte juridique. Ce niveau plus large dépasse, tout en le légitimant, le cadre d’action d’une tierce personne ou même de l’établissement. Puis une généralité sur les conflits entre institutions est donnée : ce stagiaire révèle à la fois la nécessité de travailler avec d’autres établissements et les difficultés que cela représente. En évoquant les changements de prérogative des enseignants, cela conforte probablement Sophie dans le rôle qu’elle estime devoir jouer. Celle-ci exprime d’ailleurs son contentement en souriant.

Une problématique identifiée. Poursuite de l’analyse

15 Sophie : « L’IME, le Sessad, constituent un monde à part qui ignore les enseignants. Il n’y a pas de discussion possible. Tout ce monde qui gravite autour de l’enfant devrait pouvoir travailler ensemble. Mais comment faire ? ». Le problème est posé à l’échelle des institutions et non plus à celle d’une personne. Reste que la solution est encore à venir.

16 Stagiaire 3 : « Les parents ont souvent l’habitude de se reposer sur l’équipe médicale et éducative mais il faut remettre l’enfant au milieu. Pour cela, quand il y a un problème, il faut en discuter directement avec les parents ». Une solution est donnée, « discuter directement avec les parents », et elle est assortie d’un argument implicite : tout conflit est préjudiciable à l’enfant. En notant, « l’enfant au milieu », ce stagiaire rappelle que, du fait même de son handicap, l’enfant est placé à la croisée de plusieurs mondes : le familial, l’éducatif et le médical.

17 Stagiaire 7 : « En EPS, on voit bien que les enfants qui ne veulent pas venir sont facilement dispensés. Or, nous avons notre mot à dire, il faut en parler avec les parents pour leur faire comprendre que dans notre mode de fonctionnement, on peut proposer quelque chose à l’enfant. La loi dit bien qu’il y a obligatoirement de l’EPS dans le programme scolaire ». Le stagiaire corrobore la nécessité du dialogue enseignant-parents et l’argumente à la fois du point de vue de l’aide qu’un enseignant peut apporter à l’enfant du fait même de son enseignement et du point de vue du cadre juridique qui l’impose.

18 Animateur : « Les personnels concernés sont-ils mal intentionnés ? ». L’animateur relance le possible problème au niveau des personnes. À cette question, l’ensemble des stagiaires manifeste que non et montre que, à ce moment de la séance, chacun a dépassé la question d’un affrontement de personnalités pour s’interroger sur les rapports parfois conflictuels entre des institutions.

19 Animateur : « Il peut y avoir un conflit de territoires. Est-ce que le chef d’établissement est au courant ? ». L’animateur resitue alors le débat au niveau des institutions et en parlant de « territoire », il évoque une confusion possible des rôles et des fonctions. Il poursuit cette hypothèse de « conflit de territoires » en interrogeant le rôle d’une fonction particulière, celle de « le chef d’établissement ».

20 Sophie : « Il ne l’était pas. Il entendait les élèves, c’est tout. Et il m’est arrivé que l’éducatrice, sans me prévenir, soit venue chercher l’élève en classe. C’est une intrusion inadmissible ». Sophie élude rapidement l’intervention possible du chef d’établissement tout en disant : « Il entendait les élèves, c’est tout ». Deux informations peu précises sont données ; il semblerait qu’il y ait eu des échanges entre le chef d’établissement et les élèves et l’éducatrice viendrait chercher l’élève en classe sans prévenir. Une autre problématique pourrait être abordée : au-delà des conflits de territoires, celle de la relation intersubjective qui participe probablement à la tension. D’ailleurs, en évoquant « l’éducatrice dans la classe », Sophie affirme : « Intrusion inadmissible ».

21 Stagiaire 5 : « Mais est-ce qu’en faisant remonter les choses vers le chef d’établissement, est-ce qu’en essayant de regrouper toutes les personnes concernées, il n’y a pas une solution ? » Le stagiaire revient à l’intervention possible du chef d’établissement et envisage concrètement une rencontre des différentes personnes.

22 Sophie : « On essaie de le faire mais c’est difficile. Est-ce que j’ai le droit de dire au chef d’établissement : je ne veux plus que cela se reproduise ? C’est à lui de voir ce qui se passe ». Sophie note que « on essaie de le faire », parle de difficultés, évoque son rôle vis-à-vis du chef d’établissement et donne en même temps son idée du chef d’établissement… « à lui de voir ».

Les modalités d’une réponse à la situation. Fin de l’analyse

23 Stagiaire 1 : « Moi, dans mon établissement, il y a plusieurs handicapés qui ne voulaient plus venir mais le chef d’établissement a enfin décidé de nous réunir. J’attends beaucoup de cette réunion mais il va falloir bien la préparer, pour les enfants concernés. C’est une surcharge de travail et d’énergie mais on espère que cela ira mieux. On sent bien que ces problèmes vont se poser de plus en plus avec l’arrivée de handicapés plus nombreux et qu’il va falloir s’entendre avec des personnes qui sont très opposées. Mais il faut, pour le bien des élèves, travailler en partenariat ».

24 Ce stagiaire affirme l’intérêt du rôle du chef d’établissement et souligne cette possibilité au problème que rencontre Sophie. Son témoignage est probablement crucial pour Sophie mais aussi pour lui car, en affirmant ce rôle du chef d’établissement, il en prend probablement encore davantage conscience. Il pose également la rencontre entre les différentes personnes comme difficile mais incontournable. Hormis le rôle joué par le chef d’établissement dans la rencontre, il donne une autre clé de la réussite de la rencontre : sa préparation.

25 Stagiaire 2 : « Les difficultés sont dues au fait que les personnes ne se connaissent pas. Nous, dans notre établissement, on mange avec le personnel des équipes médicales et paramédicales et tout se passe bien. Il n’y a pas de rivalité ». Cet autre témoignage donne une autre explication aux difficultés : la non connaissance des uns et des autres favoriserait les tensions. En témoignant ainsi, cette stagiaire réaffirme la nécessité d’établir des espaces de communication entre les différentes équipes. La rencontre, voire les rencontres, sont à ce moment de la séance, considérées par tous indispensables.

26 Suivent plusieurs réactions qui reviennent sur les rôles.

27 Stagiaire 6 : « Il faut que la structure s’organise et définisse le rôle de chacun ».

28 Stagiaire 2 : « Chez nous, il n’y a qu’un directeur pour tout le monde. Donc les rôles sont bien définis, par lui ».

29 Stagiaire 1 : « Il suffirait qu’en début d’année, on fasse une réunion avec tout le monde et qu’on redéfinisse les rôles de chacun, que ça soit clair pour tout le monde, y compris pour les parents ».

30 Stagiaire 2 : « Il faut faire en début d’année une réunion, non seulement pour rappeler le rôle de chacun mais surtout pour faire une synthèse sur l’évolution de chaque élève et décider de ce que chacun fera. Bien sûr, avec sa personnalité mais il faut bien l’admettre ».

31 À ce moment de la séance, l’idée de rencontre est acquise et les échanges sont déjà sur un contenu qui fait consensus pour cette rencontre : « Définir les rôles ».

32 Animateur : « Est-ce que vous essayez de communiquer avec les autres, par téléphone, courriel… ? ». L’animateur ouvre à d’autres possibilités de communication.

33 Stagiaire 3 : « Moi, ça m’est arrivé de téléphoner à l’éducateur, quand il y a eu un souci avec un élève. Et j’ai prévenu mon chef d’établissement qui a prévenu les parents. Mais les éducateurs ne m’appellent jamais. Il y a donc quelque chose à construire, en faisant attention à la confidentialité ».

34 Le stagiaire 3 expose ici une idée nouvelle pour organiser la rencontre : l’initiative personnelle.

35 Sophie : « Le système nous demande de pallier ses défauts. Par exemple, j’ai demandé à l’IEM d’être reçue, de discuter avec le personnel et essayer de maintenir des contacts. Par contre, on n’est jamais venu me voir. Mais je vais demander à l’éducatrice de venir ».

36 À la fois pessimiste, « le système a des défauts » et « on n’est jamais venu me voir », Sophie envisage cependant la possibilité de prendre l’initiative d’un dialogue avec l’éducatrice.

Retour du groupe sur l’analyse. La méta-analyse

37 Une fois l’analyse de la situation terminée, le groupe revient sur ce temps et ce qui a été dit.

38 Chacun considère être impliqué dans ce type de situation et pense devoir dégager des solutions aux problèmes qui se posent. Un propos revient : « Ça nous a renvoyé plein de choses que nous vivons. Il faut que chacun agisse en proposant des solutions ».

39 Les témoignages ont permis de dire ce qui avait été vécu dans des circonstances analogues ou d’extrapoler à partir de circonstances plus éloignées mais avec au moins quelques points communs : le monde de l’éducation ou du travail en général avec la nécessité de travailler en équipe.

40 Sophie se dit satisfaite de la séance et note avoir compris qu’il était nécessaire de prendre l’initiative pour organiser des réunions de concertation entre les différents personnels : « Il est grand temps qu’on tape du poing sur la table et qu’on demande des réunions de concertation ». Les autres stagiaires se disent aussi satisfaits car le problème de communication entre différents personnels se pose à tous. Ils ont réfléchi, à partir de la situation de Sophie, mais ce qui a été dit et développé vaut aussi pour eux-mêmes. Les analyses et les solutions ne sont donc pas uniquement liées à la situation de Sophie.

Une première observation : l’analyse de pratiques entre général et particulier

41 L’analyse de pratiques s’appuie sur l’expression d’expérience vécue par un participant et elle renvoie à une étude de cas telle que la définit Hamel : « L’étude de cas consiste […] à rapporter un événement à son contexte et à le considérer sous cet aspect pour voir comment il s’y manifeste et s’y développe. En d’autres mots, il s’agit, par son moyen, de saisir comment un contexte donne acte à l’événement que l’on veut aborder »[1]. Ici, l’événement que l’on aborde est la difficulté de communication entre fonctions dans un contexte de scolarité d’élèves handicapés. Plus généralement, sur le terrain des séances, on remarque que les diverses situations exposées renvoient à des cas récurrents comme par exemple :

42

  • la prise d’initiative dans un collectif,
  • la part des affects dans les cas douloureux vécus au sein du milieu professionnel (maladie, décès d’élèves…),
  • la prise en compte des contraintes de l’environnement (limiter certaines exigences en fonction des réelles possibilités des personnes concernées, en particulier ici des élèves handicapés),
  • etc.

43 La singularité d’une expérience renvoie à un cadre général. À l’inverse, dans ce cadre général, chacun se sent concerné car le propos renvoie le plus souvent à une situation vécue du même type.

44 C’est dans ce retour à la singularité que se trouve l’intérêt de la réflexion collective. Les débats, souvent animés et vécus avec une forte implication et un retentissement affectif, montrent que chacun vit sa propre histoire à travers celle de l’autre. L’intérêt vécu et exprimé par les stagiaires pour ces séances réside dans le fait que, par la réflexion collective, ils ont pu s’approcher des réponses à leur questionnement personnel, comme le montre une des interventions en fin de séance : « Il suffirait qu’en début d’année, on fasse une réunion avec tout le monde et qu’on redéfinisse les rôles de chacun, que ça soit clair pour tout le monde, y compris pour les parents ».

45 De plus, comparer sa situation et ses questions à celle des autres, c’est aussi contribuer à lui donner une solution. Ainsi, comme écrit Hamel, « les méthodes sont choisies dans le but de placer l’objet d’étude sous le feu d’éclairages différents dans l’espoir de lui donner tout son relief »[2]. Les données recueillies « peuvent ainsi se recouvrir et s’éclairer réciproquement pour mieux mettre en relief le cas ciblé »[3]. En effet, puisque l’organisation de la séance permet un débat en toute confiance, la situation étudiée provoque les échanges de points de vue et se trouve donc « sous le feu d’éclairages différents ». Ces éclairages élargissent la pensée en même temps qu’ils mettent à distance des contraintes surestimées. Sophie constate par exemple que, dans des situations semblables, la communication entre différents personnels existe, qu’elle est possible et nécessaire.

Une deuxième observation : l’analyse de pratiques au-delà des disciplines d’enseignement

46 Dans le cadre des analyses de pratiques inscrites dans la formation au 2CA-SH, on objecte parfois que les problèmes pédagogiques sont d’une nature qui diffère sensiblement selon la discipline exercée par le stagiaire considéré. Or, ces séances regroupent des personnels enseignant des disciplines différentes. On peut alors répondre, comme l’écrit Leplat : « L’étude de cas, comme celle de l’activité, échappe à une vue purement disciplinaire. Le cas est au confluent de déterminants multiples qui ne relèvent pas tous du même champ »[4].

47 Les témoignages des participants, pendant ou après les séances, expriment clairement cette confluence : ils sont surpris, souvent, par la similarité des points de vue. Parfois parce que les activités relèvent du même champ (psychologique, psychopédagogique, par exemple) ce qui aide à comprendre les situations concrètes. Mais souvent elles n’en relèvent pas, mais à travers des situations en apparence différentes, il y a des similitudes dans l’expression des problèmes posés – « dans mon établissement, c’est un peu la même chose » – et bien sûr dans les voies conduisant à leur résolution. De façon comparable, Pagès écrit : « La pratique décloisonne […] les spécialités et les contraint à s’articuler entre elles, en cassant les structures de différents champs de connaissances […], toute technique appliquée à une situation réelle porte sur des mécanismes complexes et multiples, à l’interférence de plusieurs domaines de connaissances »[5].

48 Les mécanismes de résolution sont en effet à l’interférence de plusieurs domaines. Dans la séance décrite plus haut, il ne s’agit pas seulement d’enseigner. Il faut aussi savoir amorcer une dynamique de collaboration avec des personnels appartenant à des institutions différentes par leur organisation, les statuts de chacun, leur mission, leur culture. Il faut savoir s’en approcher, avec l’aide et l’aval des responsables. Face à ce type de problématique, courante dans tous les milieux professionnels, chacun peut apporter sa contribution dans la réflexion collective.

49 Enfin, si « la pratique décloisonne », chaque expertise confère une orientation aux propositions de résolution. Elles ont toute chance de dégager de nouvelles pistes de résolution auxquelles une personne seule ou plusieurs de même expertise n’auraient peut-être pas pensé. En témoignant : « En EPS, on voit bien que les enfants qui ne veulent pas venir sont facilement dispensés. Or, nous avons notre mot à dire, […] leur faire comprendre que dans notre mode de fonctionnement, on peut proposer quelque chose à l’enfant », ce stagiaire parle certes de sa situation précise d’enseignement mais Sophie peut entendre que les relations avec le personnel soignant posent question au-delà de la spécialité même de l’enseignant, mais aussi que la spécificité d’une spécialité vaut pour argument dans ce partage des aides à l’enfant. La diversité des champs de connaissances peut donc apparaître comme une complémentarité dans la réflexion collective.

50 En conclusion, l’analyse de pratiques, quand elle s’appuie sur la diversité des champs de connaissances, peut favoriser la complémentarité dans la réflexion collective. En retour, celle-ci permet de faire émerger des solutions pour soi-même.


Mots-clés éditeurs : Adaptation aux élèves handicapés, Analyse de pratiques, Travail en équipe, Vie scolaire, Formation, Réflexion collective, Étude de cas

Mise en ligne 20/05/2015

https://doi.org/10.3917/nras.041.0049

Notes

  • [1]
    J. Hamel, Étude de cas et sciences sociales, Collection outils de recherche, L’Harmattan, 1997.
  • [2]
    Ibid., p. 104.
  • [3]
    J. Hamel, Précis d’épistémologie de la sociologie, L’Harmattan, Paris-Montréal, 1997.
  • [4]
    J. Leplat, « De l’étude de cas à l’analyse de l’activité », Pistes, Vol. 4, « Réflexion sur la pratique », 2002.
  • [5]
    R. Pagés, « L’analyse codée, technique documentaire en psychologie sociale et en sciences humaines », Documentaliste : Sciences de l’information, volume 29, 1992.
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