Couverture de NRAS_036

Article de revue

La prévention des difficultés scolaires en milieu plurilinguistique et pluriculturel : sur une expérimentation à Madagascar

Pages 89 à 98

Notes

  • [1]
    Un compte rendu analytique plus détaillé en a été réalisé dans le cadre du travail universitaire réalisé pour le DU « Diversité des langues et des cultures à l’école primaire », Université virtuelle des Pays-de-Loire. http://www.uvpl.org/
  • [2]
    Le lycée français de Tamatave est un établissement privé de droit local, géré par une association parentale, ayant signé une convention avec l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE). Il a pour première mission d’apporter aux enfants français de Madagascar un enseignement correspondant aux programmes métropolitains et bénéficie au titre de la convention avec l’AEFE de la mise à disposition d’enseignants titulaires de l’Éducation nationale.
  • [3]
    Sur ce thème on peut se reporter à Josiane Hamers et Michel Blanc, Bilinguisme et Bilingualité, Mardaga, Bruxelles, 1983 ou au Colloque sur le bilinguisme et l’interculturalité, organisé par le vice-rectorat de Mayotte en mars 2006 – les communications sont disponibles en ligne sur :
    http://www.ac-mayotte.fr/spip.php?rubrique61
  • [4]
    La notion de conflit de loyauté a été adaptée pour le domaine qui nous intéresse par Ivan Boszormenyi-Nagy, psychiatre, pionnier dans le domaine de la thérapie familiale et l’approche systémique. Pour cet auteur l’enfant, par filiation, se fabrique d’emblée un devoir éthique de loyauté envers ses propres parents, devoir dont il veut s’acquitter. Les conflits de loyauté se produisent lorsque les valeurs transmises à l’enfant par l’institution scolaire sont en contradiction avec celles de sa famille d’origine.
  • [5]
    Centres d’accueil et de scolarisation des élèves nouvellement arrivés. Par exemple Comparons nos langues : démarche d’apprentissage du français auprès d’enfants nouvellement arrivés, CRDP du Languedoc-Roussillon, collection « Ressources formation vidéo/multimédia », 2005.
  • [6]
    Soutenu par la Commission européenne dans le cadre des actions Socrates-Lingua, le programme Evlang s’est déroulé sur trois ans, de 1997 à juin 2001. Il a réuni des partenaires autrichiens, espagnols, italiens et français.
  • [7]
    Les langues du monde au quotidien: observation réfléchie des langues: cycle 2 et cycle 3, ouvrages (incluant un cédérom) coordonnés par Martine Kervran, CRDP de Bretagne, 2006. Martine Kervran travaille aussi sur le projet Ja Ling, conduit de 2000 à 2003 avec le soutien du Conseil de l’Europe et de 2001 à 2004 avec le soutien de l’Union européenne, pour la promotion de la diversité des langues dans les systèmes éducatifs et de la citoyenneté démocratique. Ce projet vise à mettre en œuvre un accueil des élèves dans la diversité des langues, dans la diversité de leurs langues : à les accompagner dans le monde de l’apprentissage des langues. On peut consulter à ce sujet avec profit le site « Ja Ling : la porte des langues » sur http://jaling.ecml.at/
  • [8]
    Rappelons :
    - que la prévention est dite primaire lorsqu’elle s’adresse à tous les élèves d’une classe et à pour but d’éviter l’apparition d’une difficulté, à l’expérience prévisible,
    - que la prévention secondaire vise un public particulier, jugé à risque. On cherche alors à éviter l’installation ou l’amplification d’une difficulté émergente, et on privilégie le travail avec de petits groupes d’élèves.
  • [9]
    Michel Candelier, L’éveil aux langues à l’école primaire, Evlang: bilan d’une innovation européenne, De Boeck, Paris, 2003, p. 39.
  • [10]
    Cf. Équipe du Lidilem (Centre de didactique des langues, Grenoble), équipe de Genève et Équipe de Paris V–Évreux, Des langues de l’enfant… aux langues du monde, Université Stendhal–Grenoble 3, Lidilem.
  • [11]
    Voir à ce sujet par exemple De la didactique des langues à la didactique du plurilinguisme. Hommage à Louise Dabène, ouvrage collectif dirigé par Jacqueline Billez, Presses universitaires de Grenoble, 1998.
  • [12]
    Diglossie : état dans lequel se trouvent deux systèmes linguistiques coexistant sur un territoire donné et dont l’un occupe, le plus souvent pour des raisons historiques, un statut socio-politique inférieur. La situation diglossique est dès lors parfois une situation conflictuelle.
  • [13]
    Michel Candelier, L’éveil aux langues à l’école primaire, Evlang: bilan d’une innovation européenne, op. cit., p. 54.
  • [14]
    C’est moi qui avais apporté l’outil, et il aurait peut-être fallu que nous discutions plus, au début, de son adaptation à la logique de classe qui était celle de l’enseignante.
  • [15]
    Cf. Christiane Perregaux, « L’école, espace plurilingue », Revue Lidil, n° 11, Lidilem (Université Stendhal-Grenoble 3), 1994, p. 125-139.
  • [16]
    Programmes officiels, 2002, MEN.
  • [17]
    Cf. par exemple Christiane Blondin, Michel Candelier, Peter Edelenbos et. al., Les langues étrangères dès l’école primaire ou maternelle : quels résultats, à quelles conditions ? De Boeck, Bruxelles, 1998. Pour une présentation générale de cette étude, on peut se reporter à la communication de Michel Candelier disponible sur le site Eduscol : http://eduscol.education.fr/D0033/langviv-acte5.htm
  • [18]
    Le site « Plurilangues - Toutes les langues à l’école » propose des ressources pédagogiques variées : http://plurilangues.univ-lemans.fr/

1 Affecté en septembre 2003 à l’école primaire du lycée français de Tamatave [2], à Madagascar, en tant que maître spécialisé de l’option E, j’ai été rapidement confronté à des difficultés liées à la diversité culturelle et linguistique des élèves fréquentant cet établissement. Les établissements français de Madagascar accueillent une population scolaire très hétérogène, tant du point de vue social que culturel et linguistique. Certains élèves sont issus de milieux sociaux favorisés (malgaches, français, chinois, indiens), pouvant assumer des frais de scolarité relativement élevés pour le pays et utilisant parfois le français comme langue familiale. D’autres viennent de familles beaucoup plus modestes, voire très pauvres mais qui, possédant la nationalité française, peuvent recevoir des bourses leur permettant de bénéficier du même enseignement que n’importe quel enfant français. Ces familles n’ont toutefois souvent plus aucun lien linguistique ou culturel avec la France. Le français est donc pour ces enfants une deuxième, voire une troisième langue, dont la fonction est essentiellement liée à l’enseignement.

La situation linguistique de Madagascar

2 Si l’État malgache ne reconnaît qu’une seule langue nationale dans sa Constitution – le malgache – en réalité, le français et le malgache officiel se partagent les situations à caractère officiel, c’est-à-dire liées aux institutions : administration, enseignement, justice… Dans ce domaine l’usage des variétés dialectales est exclu pour tous les documents écrits, mais peut survenir à l’oral en fonction de la situation de communication et de l’appartenance ethnique des locuteurs. Néanmoins il n’existe pas de répartition stricte entre le français et le malgache officiel. Le Journal officiel est ainsi publié dans les deux langues. Et au bac, pour certaines matières, les candidats ont le choix de composer indifféremment dans l’une ou l’autre langue. Les médias utilisent également conjointement ces deux langues : les chaînes de télévision diffusent généralement le même journal d’informations successivement en malgache et en français. Les quotidiens pratiquent eux-mêmes une véritable alternance de langues à l’intérieur de chaque journal en fonction des articles, le français restant largement utilisé.

3 En 1972, un réflexe nationaliste poussera les autorités à tenter de faire de la langue malgache la langue d’enseignement. Mais le succès de cette malgachisation fut relatif, ce qui a permis au français de retrouver peu à peu sa place comme deuxième langue officielle du pays.

4 Aujourd’hui par exemple à l’école primaire du lycée français de Tamatave la langue française sert d’une façon naturelle à tous les échanges formels ou informels, y compris dans la cour de récréation. Cependant le betsimisaraka, langue majoritaire dans la région, sert à communiquer avec certains parents, à l’accueil, au secrétariat et pendant les réunions de début d’année. La langue et la culture malgache sont enseignées dès la maternelle (une enseignante intervient en betsimisaraka auprès des élèves de maternelle) tandis que le malgache officiel est enseigné à partir du CP.

5 Paradoxalement, pour l’apprentissage du français, cette diversité linguistique semble vécue par la communauté scolaire davantage comme un handicap qu’une richesse, alors que l’on reconnaît aujourd’hui un peu partout les avantages liés au bilinguisme à l’école [3]. Il m’est donc apparu nécessaire de l’intégrer aux finalités des actions menées en matière de remédiation ou de prévention. Ainsi, dans le projet d’aide aux élèves en difficulté élaboré en 2005, l’équipe pédagogique souhaitait-elle réduire, par un dialogue fructueux, l’écart entre l’espace familial, privé et concret, et l’espace scolaire, public et abstrait, pour permettre une réelle complémentarité et éviter d’éventuels conflits de loyauté[4].

6 Outre le recours à des démarches inspirées du français de scolarisation en direction des primo-arrivants élaborées par les Casnav [5], l’approche de l’éveil aux langues dans une optique de prévention des difficultés scolaires m’est apparue particulièrement féconde.

L’éveil aux langues

7 Selon le programme européen d’innovation pédagogique et de recherche Evlang [6], on parle d’éveil aux langues « lorsqu’une part des activités porte sur des langues que l’école n’a pas l’ambition d’enseigner (qui peuvent être ou non les langues maternelles de certains élèves) ». Il ne s’agit pas d’apprentissage de ces langues, la langue étrangère (ou langue non familière) n’étant utilisée que comme outil et non comme finalité. Pour aller plus loin on peut dire que l’éveil aux langues favorise l’ouverture face à la diversité des langues et des cultures, contribue ainsi à l’acceptation de l’autre dans sa diversité en développant chez les élèves des compétences transversales et en aidant à atteindre des objectifs relatifs à d’autres disciplines.

8 Dans ce cadre le programme Evlang a eu pour objectif de vérifier, sur un grand nombre d’élèves et avec une méthodologie de recherche contrôlée, si les activités d’éveil aux langues à l’école primaire conduisaient bien aux effets espérés : attitudes de tolérance et d’ouverture à la diversité linguistique et culturelle, accroissement de l’intérêt pour les langues et développement des aptitudes susceptibles de faciliter l’apprentissage d’une langue étrangère. L’activité déployée s’est répartie sur trois domaines : la production de supports didactiques destinés à alimenter un cursus d’un an à un an et demi, impliquant des élèves de la fin de l’école élémentaire ; la formation d’enseignants susceptibles de mettre en œuvre ces cursus dans leur classe habituelle ; l’évaluation quantitative et qualitative de ces cursus.

9 Les supports didactiques ont été élaborés en coopération étroite avec des enseignants et validés en classe. Ils sont aujourd’hui publiés par le CRDP de Bretagne, sous la direction de Martine Kervran [7]. Ils s’inscrivent dans des thématiques très diverses. On peut relever la présence de plus de cinquante langues dans l’ensemble de ces supports. Autant que leur nombre, il faut noter la diversité des statuts de ces langues : langues officielles (officiellement reconnues par l’État), langues peu courantes, langues anciennes (qui ne sont plus parlées, tel le latin), langues maternelles (parlées au quotidien dans l’environnement familial) et langues d’école (d’enseignement).

10 Dans une optique de prévention, j’ai opté pour une première expérimentation de ces démarches en CM2 car la mise en œuvre nécessitait une certaine autonomie des élèves, notamment dans les moments de recherche et parce que ces actions les préparaient à l’entrée au collège où ils seraient confrontés à l’apprentissage d’une nouvelle langue vivante. Dans un deuxième temps, elles devaient être mises en œuvre au cycle 2, cycle privilégié pour les actions de prévention du maître E, qu’elles soient primaires et/ou secondaires [8].

11 Comme le souligne Michel Candelier, coordinateur européen des projets Evlang et Ja ling, « la caractéristique des approches d’éveil aux langues est d’accompagner les apprentissages dans diverses disciplines, notamment dans l’enseignement/apprentissage des langues, que celles-ci soient langue première, seconde ou troisième, en proposant un élargissement des connaissances dans le domaine langagier » [9].

Déroulement de l’action

12 Quatre des modules élaborés dans le cadre du programme Evlang ont été mis en œuvre lors de cette expérimentation au cycle 3.

13

  • Des langues de l’enfant… aux langues du monde : ce module [10] permet aux élèves de prendre conscience de la diversité des situations sociolinguistiques. Au lieu de traiter l’existence d’une langue maternelle différente de la langue de scolarisation comme un handicap, je souhaitais que les élèves se rendent compte des potentialités que leur offre la réalité plurilingue et pluriculturelle de leur environnement [11], la classe apparaissant alors comme un microcosme de la société plurilingue scolaire. Ce module est aussi destiné à favoriser la connaissance mutuelle des élèves, notamment au travers de la découverte de leurs différentes histoires. Enfin ce module introductif propose une sensibilisation des élèves aux familles de langues, à la variété des fonctions linguistiques, aux questions liées à la diglossie [12].
  • 1, 2, 3… 4 000 langues : prolongeant le travail précédent, ce second module porte sur la question des familles de langues, en particulier des familles indo-européennes. L’élève est invité à classer un lexique donné (des séries de chiffres de 1 à 8 dans 9 langues) selon des critères qu’il devra déterminer en accord avec les camarades de son groupe. La discussion collective en groupe-classe montre qu’en fonction des ressemblances et des différences observées entre les séries de mots il est possible de proposer un classement ayant une pertinence au niveau linguistique. Selon leur histoire langagière, les élèves font des hypothèses sur le bien-fondé des propositions. Comme le premier module, celui-ci met en avant les interactions entre élèves, pour élaborer un nouveau savoir co-construit.
  • Faire la pluie et le beau temps : le choix de ce module est lié, notamment, à la présence de la langue malgache dans le support. Pour citer le support didactique, « l’objectif est de rendre l’élève capable de repérer des régularités dans le fonctionnement des langues observées, de repérer que les langues expriment le temps qu’il fait de façon différente, de repérer que les diverses façons de le représenter [constituent] le signe d’un découpage différent de la réalité ».
  • Faut-il donner sa langue au chat ? Ce module porte sur les proverbes et locutions imagées du monde entier. La démarche consiste à faire découvrir, à travers la comparaison de proverbes et de locutions imagées en différentes langues, le lien qui existe entre une langue et la culture qui lui correspond : il s’agit de montrer les points de divergence et de convergence entre l’expression d’une même idée dans des langues différentes, et de faire reconnaître que les langues ne se traduisent pas généralement terme à terme. L’accent est mis sur l’importance du contexte culturel.

14 En ce qui concerne l’organisation des interventions nous avons décidé, avec la maîtresse de la classe, que j’animerais les séances alors qu’elle aurait pour mission d’observer le comportement des élèves en se centrant particulièrement sur les élèves en difficulté en français. Elle pouvait également être amenée, comme les élèves, à intervenir en tant qu’experte de sa langue d’origine.

15 Pour permettre à l’élève de se construire une trace de cette action, un document spécifique a été mis en place. Pour Michel Candelier, « le Journal ou Cahier d’éveil aux langues a comme objectif principal de [procurer un espace individuel aux élèves] pour noter leurs découvertes concernant les langues »[13]. Il fut ainsi décidé que chaque élève aurait dans une chemise Éveil aux langues les fiches proposées par cet auteur : une fiche sur les langues que l’élève a entendues pour le rendre attentif au plurilinguisme dans son espace de vie ; une autre sur des textes écrits dans différentes langues pour lui permettre de s’intéresser aux écrits qui l’entourent ; une autre encore sur les mots et les phrases apprises pour lui permettre de rendre compte d’éléments en diverses langues ; une dernière fiche sur ses découvertes à propos des langues, représentant un espace de mémoire pour les découvertes individuelles et/ou collectives.

16 Ayant constaté que de nombreuses difficultés en français étaient liées au transfert de règles grammaticales implicites en langue maternelle vers la langue de scolarisation, nous avons également décidé de prolonger les activités en faisant des liens avec la langue malgache et la langue française, permettant ainsi un travail de prise de conscience et de création de liens entre les deux langues. Éventuellement, des liens supplémentaires pouvaient être faits avec d’autres langues maternelles (par exemple le chinois) ou d’autres langues d’apprentissage (par exemple l’anglais).

Exemple d’activité : Faut-il donner sa langue au chat ?

Bilan de l’expérience

17 Au terme de cette expérience l’élément le plus marquant pour moi fut le grand investissement des élèves. On peut regretter par contre que la coanimation soit restée limitée, les différentes missions de l’enseignante de la classe comme les miennes ne nous ayant pas permis de dégager suffisamment de temps pour les concertations nécessaires à un travail véritablement interactif. L’éveil aux langues est en fait principalement resté de mon ressort et la participation de l’enseignante de la classe s’est cantonnée à m’aider au niveau de la connaissance de la langue malgache, du groupe classe et de ses modalités de fonctionnement. Tout cela certes était essentiel, mais l’idée d’arrière-plan, celle d’une démultiplication de l’action par les maîtres eux-mêmes, n’a pu s’incarner.

18 En ce qui concerne l’action globale, mon bilan est donc mitigé. L’objectif était de permettre à l’élève de conduire une réflexion sur ses apprentissages, de raconter sa démarche d’apprentissage et de s’auto-évaluer. À ces dimensions métacognitives correspondaient une réflexion métalinguistique sur la prise de conscience par l’élève de son répertoire langagier, mais aussi la valorisation de ce dernier. Il me semble que mon intervention, à caractère trop ponctuel, a parfois manqué d’articulation avec le quotidien de la classe et que par conséquent ce dossier n’a pu être suffisamment investi par les élèves. Il en aurait peut-être été différemment si l’éveil aux langues avait pu être conjointement mis en œuvre par la maîtresse de la classe. Il aurait alors été possible de prolonger les séances mises en œuvres dans le cadre des matières scolaires pour permettre un travail de liaison et accroître l’investissement des élèves dans ce dossier. Une telle démarche aurait vraisemblablement aussi renforcé le transfert des acquis. Le manque de temps, peut-être aussi la dissymétrie des positions [14] ne nous a pas permis d’analyser plus en profondeur ces questions, ce qui, a posteriori, m’est apparu d’autant plus regrettable qu’il arrivait souvent aux élèves d’apporter des documents dans d’autres langues que leur langue maternelle.

19 En conclusion il me semble, en tant qu’enseignant spécialisé affecté auprès d’élèves dont le français est la langue de scolarisation, que les démarches d’éveil aux langues sont intéressantes dans une approche de prévention mais peuvent également faire l’objet d’actions de remédiation. On constate que les élèves en difficulté ont tendance à fonctionner de manière clivée, qu’ils n’élaborent que peu de liens entre les différents domaines du savoir et ne font pas suffisamment le transfert de ce qu’ils ont appris par ailleurs. La démarche d’éveil aux langues pourrait les amener à se décentrer culturellement et linguistiquement ; à créer des liens entre les différentes langues et cultures de l’univers multilingue et multiculturel dans lequel ils sont amenés à évoluer. Elle pourrait favoriser le dialogue entre l’univers scolaire, francophone et abstrait, et l’univers familial, malgachophone et concret.

20 Comme on l’a dit plus haut, dans le cadre d’une action de prévention primaire, l’adaptation de l’éveil aux langues au cycle 2 permettrait de lutter contre l’ethnocentrisme et d’offrir à l’élève, au moment où se construisent les apprentissages fondamentaux, spécifiquement en maîtrise de la langue, des outils de réflexion métalinguistique [15]. C’est en effet à ce stade qu’intervient le repérage des différents éléments constitutifs de la phrase, des différents types de phrases [16]… L’éveil aux langues constitue une démarche permettant à l’enfant de faire un détour par d’autres langues et de poser un autre regard sur la langue de l’école. Sur un plan institutionnel, on peut également noter que les orientations du plan Langues vivantes au cycle 2 convergent vers les objectifs définis dans le cadre d’Evlang au cycle 3 tant d’un point de vue des attitudes que des aptitudes et des savoirs. Il en ressort en effet la volonté de favoriser une démarche de type éveil aux langues au cycle 2 pour aborder au cycle 3 l’apprentissage d’une langue vivante. On sait aujourd’hui [17] que ce n’est pas l’apprentissage précoce d’une autre langue qui apporte un réel bénéfice, mais les retours sur la langue d’apprentissage induits par la comparaison avec une deuxième (voire plusieurs autres) langue(s). Ainsi, mener, dès le cycle 2 et en continuité lors du cycle 3, des activités d’éveil aux langues [18] peut être profitable car par exemple l’attitude réflexive sur le fonctionnement des langues, ou encore le développement de l’écoute, constitutent des acquis transférables. L’éveil aux langues offre donc au maître E la possibilité de mettre en œuvre une pédagogie de détour pour amener l’élève à construire une réflexion personnelle sur les langues par une démarche comparative. L’orientation est métalinguistique avant d’être métacognitive, ce qui permet à l’élève en difficulté de mettre à distance l’objet langagier et de l’analyser.

21 Mettre sur un pied d’égalité toutes les langues du monde, dominantes ou minoritaires, permet également un travail d’acceptation de l’altérité et de la diversité culturelle. On peut penser qu’en cela la démarche contribue à l’acceptation des différences linguistiques et culturelles.


Mots-clés éditeurs : aides aux élèves en difficulté, aides spécialisées à dominante pédagogique, enseignants spécialisés, pédagogie adaptée, adaptations scolaires, langue de scolarisation, langues familiales, multilinguisme, plurilinguisme, éveil aux langues, métalinguistique (réflexion)

Date de mise en ligne : 14/06/2015

https://doi.org/10.3917/nras.036.0089

Notes

  • [1]
    Un compte rendu analytique plus détaillé en a été réalisé dans le cadre du travail universitaire réalisé pour le DU « Diversité des langues et des cultures à l’école primaire », Université virtuelle des Pays-de-Loire. http://www.uvpl.org/
  • [2]
    Le lycée français de Tamatave est un établissement privé de droit local, géré par une association parentale, ayant signé une convention avec l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE). Il a pour première mission d’apporter aux enfants français de Madagascar un enseignement correspondant aux programmes métropolitains et bénéficie au titre de la convention avec l’AEFE de la mise à disposition d’enseignants titulaires de l’Éducation nationale.
  • [3]
    Sur ce thème on peut se reporter à Josiane Hamers et Michel Blanc, Bilinguisme et Bilingualité, Mardaga, Bruxelles, 1983 ou au Colloque sur le bilinguisme et l’interculturalité, organisé par le vice-rectorat de Mayotte en mars 2006 – les communications sont disponibles en ligne sur :
    http://www.ac-mayotte.fr/spip.php?rubrique61
  • [4]
    La notion de conflit de loyauté a été adaptée pour le domaine qui nous intéresse par Ivan Boszormenyi-Nagy, psychiatre, pionnier dans le domaine de la thérapie familiale et l’approche systémique. Pour cet auteur l’enfant, par filiation, se fabrique d’emblée un devoir éthique de loyauté envers ses propres parents, devoir dont il veut s’acquitter. Les conflits de loyauté se produisent lorsque les valeurs transmises à l’enfant par l’institution scolaire sont en contradiction avec celles de sa famille d’origine.
  • [5]
    Centres d’accueil et de scolarisation des élèves nouvellement arrivés. Par exemple Comparons nos langues : démarche d’apprentissage du français auprès d’enfants nouvellement arrivés, CRDP du Languedoc-Roussillon, collection « Ressources formation vidéo/multimédia », 2005.
  • [6]
    Soutenu par la Commission européenne dans le cadre des actions Socrates-Lingua, le programme Evlang s’est déroulé sur trois ans, de 1997 à juin 2001. Il a réuni des partenaires autrichiens, espagnols, italiens et français.
  • [7]
    Les langues du monde au quotidien: observation réfléchie des langues: cycle 2 et cycle 3, ouvrages (incluant un cédérom) coordonnés par Martine Kervran, CRDP de Bretagne, 2006. Martine Kervran travaille aussi sur le projet Ja Ling, conduit de 2000 à 2003 avec le soutien du Conseil de l’Europe et de 2001 à 2004 avec le soutien de l’Union européenne, pour la promotion de la diversité des langues dans les systèmes éducatifs et de la citoyenneté démocratique. Ce projet vise à mettre en œuvre un accueil des élèves dans la diversité des langues, dans la diversité de leurs langues : à les accompagner dans le monde de l’apprentissage des langues. On peut consulter à ce sujet avec profit le site « Ja Ling : la porte des langues » sur http://jaling.ecml.at/
  • [8]
    Rappelons :
    - que la prévention est dite primaire lorsqu’elle s’adresse à tous les élèves d’une classe et à pour but d’éviter l’apparition d’une difficulté, à l’expérience prévisible,
    - que la prévention secondaire vise un public particulier, jugé à risque. On cherche alors à éviter l’installation ou l’amplification d’une difficulté émergente, et on privilégie le travail avec de petits groupes d’élèves.
  • [9]
    Michel Candelier, L’éveil aux langues à l’école primaire, Evlang: bilan d’une innovation européenne, De Boeck, Paris, 2003, p. 39.
  • [10]
    Cf. Équipe du Lidilem (Centre de didactique des langues, Grenoble), équipe de Genève et Équipe de Paris V–Évreux, Des langues de l’enfant… aux langues du monde, Université Stendhal–Grenoble 3, Lidilem.
  • [11]
    Voir à ce sujet par exemple De la didactique des langues à la didactique du plurilinguisme. Hommage à Louise Dabène, ouvrage collectif dirigé par Jacqueline Billez, Presses universitaires de Grenoble, 1998.
  • [12]
    Diglossie : état dans lequel se trouvent deux systèmes linguistiques coexistant sur un territoire donné et dont l’un occupe, le plus souvent pour des raisons historiques, un statut socio-politique inférieur. La situation diglossique est dès lors parfois une situation conflictuelle.
  • [13]
    Michel Candelier, L’éveil aux langues à l’école primaire, Evlang: bilan d’une innovation européenne, op. cit., p. 54.
  • [14]
    C’est moi qui avais apporté l’outil, et il aurait peut-être fallu que nous discutions plus, au début, de son adaptation à la logique de classe qui était celle de l’enseignante.
  • [15]
    Cf. Christiane Perregaux, « L’école, espace plurilingue », Revue Lidil, n° 11, Lidilem (Université Stendhal-Grenoble 3), 1994, p. 125-139.
  • [16]
    Programmes officiels, 2002, MEN.
  • [17]
    Cf. par exemple Christiane Blondin, Michel Candelier, Peter Edelenbos et. al., Les langues étrangères dès l’école primaire ou maternelle : quels résultats, à quelles conditions ? De Boeck, Bruxelles, 1998. Pour une présentation générale de cette étude, on peut se reporter à la communication de Michel Candelier disponible sur le site Eduscol : http://eduscol.education.fr/D0033/langviv-acte5.htm
  • [18]
    Le site « Plurilangues - Toutes les langues à l’école » propose des ressources pédagogiques variées : http://plurilangues.univ-lemans.fr/

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