Verser dans un récipient :
- 1 kg de farine
Creuser un puits, ajouter :
- 6 œufs un par un, Mélanger et ajouter :
- 1,5 l de lait,
- une pincée de sel,
- une cuillerée à soupe d’huile,
- 3 cuillerées à soupe de fleur d’oranger.
Laisser reposer quelque temps…
1 Quoi de plus banal que cette recette de pâte à crêpes ?
2 A priori, elle ne paraît poser aucune difficulté, chacun d’entre nous associe chaque terme employé à une représentation propre, construite par l’apprentissage et l’expérience au fil des ans.
3 Imaginez à présent, que les mots utilisés dans cette phrase vous soient étrangers.
4 Évidemment vous avez déjà vu de la farine, du lait, des œufs,… mais comment réaliser cette pâte à crêpes si vous n’êtes pas en mesure de déchiffrer les termes employés dans cette recette pour les rattacher à des éléments connus ? Que signifient ces symboles kg, l, derrière les chiffres ?
5 En sciences, comme en cuisine, l’expérience est essentielle, mais ne suffit pas. Pour transmettre une connaissance, pour qu’un apprentissage ou qu’une explication soient profitables aux bénéficiaires il est indispensable de définir et d’analyser les connaissances à transmettre, de relever les éléments susceptibles de présenter une difficulté, puis de mettre en œuvre une démarche réfléchie et construite pour les surmonter. Il convient également de connaître et de prendre en considération les modes de perceptions et de représentations de chacun. Cette démarche très générale, révèle toute son importance face à nos élèves aux besoins éducatifs particuliers.
6 Lorsque j’ai souhaité travailler à l’institut Gustave Baguer, établissement accueillant des enfants sourds et malentendants de la région parisienne, ma connaissance de la surdité était relativement restreinte.
7 Bien sûr j’envisageais dans un futur proche d’apprendre la langue des signes mais en attendant, je pensais naïvement que même si mes élèves n’étaient pas tous en mesure d’entendre ma voix, j’aurais toujours la possibilité d’utiliser le tableau ou de projeter mes cours sur un écran à l’aide d’un rétroprojecteur pour me faire comprendre… Ma surprise fut totale lorsque je m’aperçus que le procédé était inefficace. Beaucoup d’entre eux, ne maîtrisaient pas ou mal le français et ne savaient pas lire. L’apprentissage de la langue des signes devint alors pour moi une priorité. Simultanément à ce constat, l’inquiétude s’empara de moi, lorsque je découvris sur le référentiel que l’acoustique était au programme. Comment aborder l’acoustique avec un public sourd ou malentendant ?
8 Quand j’ai exposé la situation à mes collègues professeurs de physique dans des établissements accueillant des élèves valides puis à mon inspectrice de l’époque, j’ai été gratifié d’encouragements mêlés de compassion, mais rien de plus…
9 Il convient néanmoins de ne pas tirer de conclusions hâtives. Si un enfant sourd profond ne se trouve pas directement confronté au même monde sonore que celui que nous percevons (précisons qu’il est illusoire de croire que chaque entendant perçoit des sons strictement identiques), il ressent néanmoins des vibrations. Pourquoi ne chercherait-il pas lui aussi des réponses aux questions que soulèvent ses interactions avec le monde qui l’entoure ? Ne vous êtes-vous jamais demandé quelle représentation vous auriez du monde sonore, dans lequel nous baignons, si vous n’entendiez rien ? Comme un élève entendant, l’élève sourd a des connaissances parfois incomplètes ou non structurées, souvent accentuées, par un manque de réponses expérientielles. Il convient donc de prendre en compte ses références et l’accompagner dans l’acquisition de nouveaux savoirs.
10 Encore faut-il avoir cerné et défini les concepts à transmettre ! Le référentiel est alors le document officiel essentiel dont l’enseignant doit se rapprocher. Il permet de définir un cadre de travail, imbriqué dans la progression annuelle, établie en concertation avec les enseignants des autres matières. Ainsi, la leçon abordée s’inscrit dans une logique générale. Cette organisation transversale permet de globaliser l’acquisition des connaissances. L’élève ne voit plus son emploi du temps comme une succession de matières sans liens directs les unes avec les autres, mais il sait que les cours de français, de mathématiques, de VSP, de pâtisserie, d’histoire, de géographie ou de sciences physiques, relèvent d’un enseignement homogène qui l’aide à acquérir des connaissances pertinentes entre elles. Ce fonctionnement lui permet de se structurer et l’aide à se projeter dans l’avenir.
11 Revenons à l’acoustique le concept fondamental à définir est bien évidemment celui du son.
12 En face d’élèves sourds, il est important d’associer rapidement le son à la conséquence de vibrations. Ils n’entendent pas ou peu, quelquefois ils ne parlent pas, mais ils émettent des sons.
13 Le lien entre son et vibration s’établit aisément. Lorsque l’on produit un son, nos cordes vocales vibrent, il suffit pour s’en persuader de poser nos doigts sur notre gorge. Le son est donc un phénomène vibratoire.
14 Cette introduction va faciliter l’accès aux notions complémentaires :
15 Comment une vibration se transforme-t-elle en son ?
16 Quelles sont les caractéristiques d’un son ?
17 Est-il suffisant de parler de son, ne serait-il pas plus approprié de parler d’onde sonore ?
18 Dans ce cas qu’est qu’une onde ?
- Comment les ondes se propagent-elles ?
- Les expériences accompagnant ces notions doivent bien évidemment demeurer visuelles. Il est possible, par exemple :
- de faire observer aux élèves le déplacement de l’eau poussée par les ondes sonores en plaçant les baffles d’une chaîne hi-fi diffusant un son de basses, inclinées devant un récipient transparent rempli d’eau,
- de passer de l’élément liquide à l’élément gazeux (air) en installant les élèves devant les baffles et en leur faisant percevoir les vibrations,
- d’intercaler des objets de densités différentes entre eux et les baffles,
- de les interroger sur leur ressenti,
- de les aider en faisant appel à leur esprit de déduction à comprendre ce qui fait qu’une vibration sonore émise à une extrémité de la pièce peut être perçue à l’autre extrémité,
- de leur en faire déduire qu’un son ne peut se propager dans le vide, que ce n’est pas la matière qui se propage mais simplement la perturbation du milieu relative à un équilibre local.
20 Comment mettre en évidence cet élément clef du concept de son alors que l’air qui sépare dans une conversation classique un émetteur d’un récepteur est un milieu invisible ?
21 Si l’enseignant a pris soin, dans ses progressions, de traiter au préalable la notion de molécules composant l’air, il est alors naturel de s’appuyer sur ces acquis et ainsi rappeler que les sciences ne sont pas des îlots de connaissances disséminés sur l’océan des savoirs.
22 Pour compléter les expériences, les logiciels de simulations de phénomènes acoustiques sont des outils précieux, ils permettent de faire le lien avec les exercices concrets réalisés auparavant et de visualiser le mouvement des molécules au sein d’un gaz ou d’un matériau. La perturbation moléculaire locale et la propagation de l’onde acoustique sont alors visibles. Le logiciel permet également de mettre en évidence et de relier visuellement mais aussi auditivement la période, la fréquence et l’amplitude du signal. Ces notions pourront servir de point de départ aux phénomènes électriques périodiques.
23 D’autres logiciels offrent la possibilité de représenter n’importe quel type de son, et ainsi chaque élève peut enregistrer sa voix et visualiser les caractéristiques de l’onde sonore émise : sa propagation, son amplitude et son atténuation avec la distance. Voici quelques pistes qui peuvent conduire à une réflexion didactique. Mais attention à ne pas déraper. Attention à ne pas mettre en avant la surdité, à ne pas s’appuyer sur un vécu thérapeutique comme un inspecteur m’a un jour suggéré de le faire… Aborder la notion d’acoustique à partir des audiogrammes ou autres éléments de diagnostics serait une maladresse, frôlant l’indécence, qui ne vous serait jamais pardonnée par vos élèves. En outre, à l’âge de l’adolescence une hiérarchie se met en place chez les élèves sourds ou malentendants : « Je suis meilleur qu’eux, parce que moi j’entends, je ne suis pas complètement sourd… ». De plus la blessure infligée aux élèves, par le choix d’un tel exemple serait immanquablement source de conflits au sein du groupe, difficile ensuite d’instaurer un cadre de travail serein. Il est vrai que depuis tout petit, les enfants sourds ou malentendants sont familiers de ce type de représentation médicale, mais ne le sont-ils pas trop justement ? Une notion amenée ainsi serait réellement défavorable à une situation d’apprentissage.
24 En classe, comme en laboratoire, il est nécessaire de maîtriser au maximum les paramètres de l’expérience mis en jeu, néanmoins les expériences, le plus souvent induites par l’enseignant, ne sont pas là pour remettre en cause des théories, au mieux elles mettent en évidence ses limites.
25 Au-delà des expériences, se pose le problème du support de cours. Peut-on s’inspirer directement d’un texte extrait tel quel d’un manuel ? Généralement les images, photos, schémas, formules… accompagnant les leçons des livres scolaires, ne sont pas que de simples illustrations, mais viennent en complément du texte et sont parfois même des éléments de conceptualisation. Ces représentations sont nécessaires et suffisantes pour des élèves entendants, mais le sont-elles pour des élèves sourds n’ayant souvent pas accès à la lecture ?
26 En classe, de nouveaux outils comme le vidéo projecteur, couplés ou non avec un tableau tactile permettent au groupe d’interagir directement avec les animations projetées. Si chaque élève dispose d’un ordinateur, l’enseignant peut capturer le travail d’un élève, le projeter à tous, faire participer l’ensemble de la classe à une correction ou à l’explication de la situation relevant du travail de leur camarade. Ces outils se révèlent particulièrement adaptés aux situations de travaux pratiques. Ils permettent dans un premier temps de regrouper aisément les questionnements et les hypothèses individuels de chacun sur le concept à aborder, de les faire partager à l’ensemble du groupe tout en gardant la problématique personnelle. Dans un autre contexte, après une séance de manipulations, lors de l’exploitation des résultats, on peut facilement regrouper ces derniers et revenir sur les interrogations initiales de chacun en vue d’une structuration globale des connaissances sur le concept abordé.
27 La paire de ciseaux et le tube de colle d’autrefois sont dépassés. Depuis plus d’une quinzaine d’années, ils sont avantageusement remplacés par les outils informatiques logiciels de traitement du texte, de l’image,…des appareils dédiés, scanner ou autre appareil photo numérique… On perçoit depuis quelques années l’émergence de nouveaux supports d’informations ou de transmissions des connaissances. Comparée au support papier une page web par exemple, offre de multiples avantages. Entre autres, la possibilité d’inclure dans les préparations de cours des documents animés, des vidéos à usage pédagogique, des descriptions d’expériences, une interprétation des énoncés en langue des signes… Elles permettent également la mise en relation de concepts les uns par rapport aux autres, de façon simple et directe grâce aux liens hypertextes.
28 En ce qui concerne le travail individuel demandé aux élèves, il faut avant tout définir son objectif pédagogique. S’il s’agit uniquement de faire exécuter un exercice, est-ce l’aptitude de l’élève à comprendre un énoncé ou son aptitude à résoudre le problème que nous souhaitons évaluer ? Si c’est la résolution qui nous importe, pourquoi dans ce cas introduire, par un texte complexe une surcharge cognitive inutile pour atteindre l’objectif que nous nous sommes fixé ? Il est vrai qu’en physique, il est relativement plus aisé que dans d’autres matières d’expliciter certains énoncés ou schémas en les accompagnant directement de photographies, symboles mathématiques, grandeurs physiques… Là encore, Internet avec ses moteurs de recherches adaptés à l’image est un outil incontournable.
29 Aujourd’hui, une grande partie des élèves disposent chez eux d’une connexion Internet et dans la majorité des établissements quelques postes sont mis à leur disposition. Ce réseau est très utilisé par la communauté des sourds. Il s’agit là d’un incomparable outil de communication et d’accès à l’information. De nombreux sites sont dédiés à cette communauté, comme le souligne le dossier de financement de matériels pédagogiques adaptés au bénéfice des élèves présentant des déficiences sensorielles ou motrices.
30 Bon nombre d’hébergeurs gratuits fleurissent sur la toile et permettent donc à chacun d’entre nous de mettre en ligne ses cours ou ses exercices de révision.
31 La multiplication des générateurs d’exercices permet d’inclure des images, de la vidéo ou tout autre document dit multimédia qui sont légion sur le web. Certains permettent même de personnaliser à l’intention des élèves, des exercices différents proposés à chaque connexion, de récupérer leurs résultats et d’établir une moyenne par rapport au reste de la classe. Aujourd’hui, la feuille de papier bien que nécessaire, n’est plus suffisante pour rendre notre pédagogie accessible à tous et développer l’autonomie de nos élèves. En effet ils peuvent ainsi retravailler leurs exercices à leur rythme chez eux sans réclamer l’aide d’un tiers. Ils peuvent même le cas échéant poser des questions directement en ligne à leur professeur, sur des éléments du cours qu’ils ont mal assimilés, via une webcam.
32 Comment répondre aux besoins de chacun ?
33 À mon sens il n’existe pas de solution magique, seule une réflexion préalable sur l’analyse des connaissances à transmettre, puis une prise en compte des besoins particuliers de nos élèves peut nous aider à tenter de trouver un élément de réponses. Nous avons à notre disposition de plus en plus d’outils pour enrichir notre pédagogie, mais ne perdons pas de vue que ce ne sont que des outils.
34 N’oublions pas enfin, que nos élèves avant d’être en situation de handicap sont avant tout des adolescents avec tout ce que cela implique…