Notes
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[1]
Cet article est ma traduction de « The Fragmentation of Gender in Post-invasion Iraq », que j’ai publié dans The Oxford Handbook of Contemporary Middle-Eastern and North African History, un livre dirigé par Amal Ghazal et Jens Hanssen (Oxford Handbooks Online, 2017). Je les remercie, ainsi que les Presses de l’Université d’Oxford, de m’avoir autorisée à publier cette traduction dans NQF. Je remercie aussi chaleureusement Patricia Roux pour son aide dans la réécriture de cet article depuis sa traduction française originale.
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[2]
Il s’agit d’une recherche de terrain approfondie, menée principalement à Baghdad et de manière secondaire à Erbil et Sulaymaniyah (Kurdistan d’Irak) entre octobre 2010 et juin 2012. À travers cette ethnographie de l’activisme politique des femmes irakiennes, j’ai conduit 80 entretiens avec des militantes irakiennes (la plupart sous la forme de récits de vie) de tous bords politiques, ethniques, confessionnels et religieux – de gauche, laïques, islamistes, arabes, kurdes, chrétiennes, sunnites, chiites, etc. – et j’ai mené un travail d’observation participante de leurs mobilisations, actions et initiatives. Plus récemment, mon terrain de recherche a été centré sur les dynamiques de la société civile à Baghdad, Najaf-Koufa, Karbala et Nassiryah, en mars-avril 2016 et mai 2017.
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[3]
L’Irak post-2003 ou l’Irak post-invasion fait référence au contexte qui a suivi l’invasion de la coalition militaire menée par les forces américaines début mars 2003, laquelle a mis fin au régime baathiste et imposé un régime d’occupation militaire dirigé par l’administration américaine.
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[4]
Qui deviendra quelques années plus tard la Ligue de la femme irakienne.
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[5]
Cette mesure sera abolie dès le premier coup d’État baathiste en 1963.
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[6]
Al-hewar al-mutamaden, 2 mars 2014.
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[7]
Entretien effectué à Baghdad en 2012.
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[8]
Ahtissaari, Martti, «Report to the Secretary-General on Humanitarian Needs in Kuwait and Iraq in the Immediate Post-Crisis Environment». New York, UN Report n° S122366, mars 1991.
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[9]
Entretien effectué à Baghdad en 2010.
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[10]
Estimation du Lancet (2004), Iraq Body Count: www.iraqbodycount.org et Iraq: the Human Cost. En ligne: http://web.mit.edu/humancostiraq/ (consultés le 3 février 2017).
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[11]
D’après l’UNHCR, la guerre de 2006-2007 a fait plus de 1000 morts par semaine et a déplacé à l’intérieur et à l’extérieur du pays plus de 2,5 millions d’individus.
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[12]
Entretien effectué à Baghdad en 2011.
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[13]
Entretien effectué à Baghdad en 2010.
1Depuis que l’État islamique (EI) a envahi la région nord et ouest de l’Irak, les images de femmes victimes des violences indicibles qu’il a perpétrées ont fait le tour du monde à travers les médias et les réseaux sociaux. Elles montrent les atrocités commises par les soldats de ce groupe terroriste : viol et asservissement systématiques des femmes et des jeunes filles des minorités ethniques et religieuses telles que les Yézidis. Caractérisant l’une des formes les plus horribles de violence sexuelle, ces images pourraient favoriser une lecture simpliste des questions liées aux droits des femmes et au genre en Irak, qui les réduirait au fondamentalisme religieux. Or, plutôt que de limiter la lecture du contexte irakien à l’émergence de l’EI, il me paraît essentiel de porter un regard minutieux sur les dimensions structurelles sociales, économiques et politiques qui ont permis l’existence de cette version extrême de fondamentalisme religieux. La problématique des droits des femmes et du genre en Irak doit être analysée à travers une grille de lecture complexe et une historicité qui débute, au moins dans les limites de cet article, à l’établissement de la première République irakienne en 1958. L’imbrication des questions de genre et d’ethnicité dans le traitement des femmes yézidis par l’EI révèle l’importance d’une analyse approfondie des dynamiques sociales, économiques et politiques.
2Le fait de considérer le fondamentalisme islamique en Irak, ou ailleurs dans les pays à population majoritairement musulmane, comme l’origine de l’oppression des femmes et des violences fondées sur le genre est peut-être une manière de dire que la supposée « culture islamique » est patriarcale par définition et explique en elle-même l’oppression des femmes. Cela signifie aussi considérer une variable – la religion – comme l’unique vecteur de ces violences. Dans la continuité d’une riche littérature féministe postcoloniale (Abu-Lughod, 2013, 1998 ; Kandiyoti, 1996, 1991 ; Joseph, 2000 ; Ahmed, 1992, 1982 ; Mohanty, 2003 ; 1988), la première remarque qui s’impose est que ladite culture islamique n’existe pas sous la forme d’une réalité homogène et dans un vacuum, tout comme le fondamentalisme islamique. De plus, l’islam – si l’on veut utiliser ce terme pour faire référence à un cadre culturel et religieux très divers – a été pratiqué et interprété de manière très différente à travers le temps et l’espace, et dans des contextes sociaux et économiques très variés (Zubaida, 2011, 1989). Clairement, la religion n’est pas extérieure au monde social, politique et économique et à ses transformations, mais plutôt en relations complexes et multiples avec elles.
3À cet égard, l’Irak est un cas très intéressant pour illustrer comment l’islam a été mobilisé et traduit sous la forme de jurisprudence dans le contexte de la formation d’un État postcolonial. J’ai mené en ce sens une recherche sur les femmes et le genre en Irak [2], montrant comment le religieux est imbriqué, de façon éminemment genrée, aux questions d’identités communautaires (ethniques, confessionnelles et religieuses) et aux sentiments d’appartenance. Avec cette approche intersectionnelle et historique qui vise à mieux comprendre les problématiques relevant du genre en Irak aujourd’hui, le présent article explore les droits juridiques et la militance politique des femmes. Mon analyse repose sur une double démarche : ethnographique, en m’appuyant sur mes recherches de terrain à l’intérieur des groupes de militantes pour les droits des femmes en Irak, et historique, à travers une étude de l’évolution de la situation sociale, politique et économique des femmes depuis les années 1950. Je défends ici l’idée que pour analyser les mobilisations sociales et politiques sur les droits des femmes dans l’Irak post-2003 [3], il est essentiel d’explorer la réalité concrète que celles-ci vivent et les contextes sociaux, économiques et politiques plus généraux qui forgent leurs expériences, plutôt que de présupposer un argumentaire qui impliquerait un islam indifférencié. Mon article propose de porter l’attention sur trois dimensions primordiales : d’abord, pour appréhender l’évolution des luttes concernant les droits juridiques des femmes en Irak, je montre l’importance de dépasser une analyse qui associe les questions de genre à la religion musulmane. Ensuite, j’insiste sur la nécessité de prendre en compte le développement de la violence politique, économique et militaire en Irak, en particulier depuis 1980, et d’analyser son impact sur les normes et les relations de genre. Puis, en examinant le contexte spécifique dans lequel les Irakiennes vivent et se mobilisent depuis 2003, nous pourrons saisir des éléments clés pour comprendre la fragmentation sociale et politique générale du pays et ses dimensions de genre.
Au-delà du « genre en islam » : l’évolution des droits juridiques des femmes en Irak
4Le Code du statut personnel (CSP), également connu sous le nom de Code de la famille, est le cadre juridique principal fondé sur les jurisprudences musulmanes et adopté dans la plupart des États à majorité musulmane au moment de leur indépendance des pouvoirs impériaux européens. Ce code regroupe la législation portant sur des droits personnels tels que le mariage, le divorce, la garde des enfants et l’héritage, définissant ainsi la plupart des droits juridiques des femmes (Efrati, 2012). Comme l’ont montré les recherches de Mounira Charrad (2011, 2001), le CSP représente un « champ de lutte » entre les différents groupes sociaux et politiques : l’État, les ‘ulémas, les chefs tribaux et les différentes forces politiques, notamment communistes et féministes. Ces groupes s’opposent quant à la définition des droits des femmes.
5En Irak, l’adoption d’un CSP ouvertement pro-femmes en 1959 (sous la forme de la Loi n° 188) n’a pas été simplement le produit de la culture politique de l’élite révolutionnaire qui a pris le pouvoir à travers le coup d’État d’Abd al-Karim Qasim (1914-1963) en 1958, mais elle représente aussi la remise en question des prérogatives des ‘ulémas et des chefs tribaux sur les droits personnels. De manière cruciale, l’adoption du CSP marque le début de l’intégration des militantes féministes dans le processus de négociation des droits des femmes. À titre d’exemple, Naziha al-Dulaymi (1923-2007), gynécologue de formation et importante figure de la Ligue de défense des droits des femmes [4], première femme ministre en Irak et dans le monde arabe, et militante communiste, a participé à l’écriture du CSP. Notamment, ce dernier a placé l’article concernant certains droits d’héritage pour les hommes et les femmes sous l’autorité du Code pénal plutôt que sous celle de la jurisprudence musulmane, permettant ainsi, à travers un mécanisme indirect, une relative égalité des sexes dans l’héritage [5]. Il s’agit là de l’une des questions les plus sensibles et sacro-saintes au sein des fiqhs (jurisprudences musulmanes) sunnite et chiite. Ainsi, avec en outre la sévère limitation de la polygamie et l’adoption de l’âge minimum légal du mariage à 18 ans pour les deux sexes, le CSP a représenté une déclaration politique forte de la nouvelle République irakienne, qui a explicitement mis en cause le pouvoir des ‘ulémas dans les villes. En ce qui concerne les zones rurales, l’abolition de la loi tribale, qui octroyait aux chefs tribaux le pouvoir de déterminer les droits personnels, a constitué aussi une part importante du projet de modernisation du nouvel État.
6Le texte de la Loi n° 188 a été clairement inspiré des différentes écoles de fiqh et a opéré à l’intérieur des lois musulmanes communément appelées charias, éliminant tout traitement différencié entre musulmans sunnites et chiites. Aujourd’hui, le CSP continue à constituer le cadre juridique à partir duquel le juge nommé et formé par l’État peut appliquer la loi sur le statut personnel sans avoir à consulter les ‘ulémas ou les chefs tribaux (Efrati, 2005, 2012). Réunissant les jurisprudences sunnites et chiites, le Code est applicable à tous et toutes les Irakiennes musulmanes. La Loi n° 188 est donc un symbole à la fois d’une certaine unité nationale, puisqu’elle a su dépasser les lignes ethno-confessionnelles, et de l’intégration des revendications des militantes des droits des femmes, à travers leur participation au processus juridique lui-même. Cette imbrication entre l’unité ethno-confessionnelle et les aspirations pro-droits des femmes révèle la relation forte que l’Irak postcolonial a établie entre les questions d’identités communautaires et les questions de genre, dans une période où la culture politique était marquée par la gauche anti-impérialiste.
Évolution des droits des femmes au gré des changements politiques et idéologiques
7En comparaison avec la plupart des sociétés majoritairement musulmanes, il est crucial d’appréhender le CSP comme un champ de lutte entre les nouveaux États indépendants, leurs élites politiques nationalistes et les mouvements sociaux et politiques. Ce champ de lutte s’inscrit dans un contexte postcolonial, c’est-à-dire qui conteste l’impérialisme européen. En l’occurrence, la contestation se déploie sous la forme d’un discours d’authenticité et de résistance aux modèles européens. Durant la période du début des indépendances, l’élite nationaliste urbaine tente de construire un État fort, capable d’arbitrer toutes les questions relatives au Code civil afin d’affaiblir les chefs tribaux et les ‘ulémas. Toutefois, la place réservée aux femmes et à la famille dans ces questions est problématique. En effet, dans un contexte postcolonial marqué par l’opposition discursive modernité occidentale/indigène, les femmes sont considérées comme porteuses de la nation et de ladite authenticité culturelle. Cela a pour conséquence que la sphère de la famille et des droits juridiques des femmes demeure, dans le CSP, l’unique domaine soumis à la pseudo-authenticité de la religion. En d’autres termes, l’authenticité et l’indigénéité de la nation émergente reposent sur l’idée que les questions liées aux femmes et à la famille doivent être compatibles avec l’islam. Les féministes irakiennes ont donc été obligées d’agir dans un espace situé entre les projets de construction de l’État et ceux visant à construire la nation. Elles étaient, et sont toujours, coincées entre ces projets à la fois liés et séparés, lesquels réinscrivent ou reproduisent les structures et les pratiques patriarcales légitimées à travers un pseudo-islam utilisé comme un symbole d’authenticité culturelle.
8Les recherches de Suad Joseph (1991) ont montré qu’entre 1970 et la fin des années 1980, le pouvoir politique irakien centralisé – unifié autour du Parti Baath, qui a dirigé l’Irak de 1968 à 2003, parti autoritaire et soutenu par les revenus du pétrole – a imposé l’autorité de l’État à tous les niveaux de la société, y compris communautaire et familial. Joseph met en parallèle le contexte irakien avec le Liban, qui est un pays dont la population est aussi multiple sur le plan ethnique et religieux. La République libanaise a adopté un CSP fondé sur l’identité communautaire, et les questions liées aux femmes et à la famille ont été reléguées aux institutions religieuses. En Irak, au contraire, le régime baathiste subordonne la famille à l’État en prenant en charge des fonctions familiales et communautaires telles que la socialisation des enfants, la santé et le contrôle social, engendrant ainsi une transformation de la famille : initialement unité de production, elle devient une unité de consommation des biens étatiques (Joseph, 1991 ; Ismael J. et Ismael S., 2000).
9Jusqu’au milieu des années 1980, le régime baathiste subventionne la famille nucléaire afin d’influer sur les relations tribales et religieuses. Dans les années 1970, les féministes qui se mobilisent pour leurs droits juridiques, bien que ce soit au sein d’un régime dont le pluralisme politique est très limité et dont l’autoritarisme ne fait que croître, réussissent tout de même à obtenir des réformes progressistes du CSP. Leurs efforts pour améliorer les droits juridiques des femmes sont alors accompagnés par l’essor économique du pays, qui connaît le plein-emploi, et par le discours idéologique du régime, qui fait la promotion d’un socialisme séculier et pro-femmes. Toutefois, à partir du milieu des années 1980, alors que le pays est en guerre avec l’Iran, le mouvement féministe irakien se réduit à la Fédération générale des femmes irakiennes (FGFI), laquelle devient rapidement le porte-parole et l’organe politique féminin du Parti Baath. Dans ce contexte de militarisation, le régime se tourne vers une idéologie plus conservatrice, notamment sur les questions liées à la famille et au genre. Il concentre la plus grande partie de son budget sur l’effort de guerre, ce qui l’affaiblit au niveau économique, et les femmes sont invitées à regagner l’espace domestique et à s’atteler à donner naissance aux « futurs soldats de la nation » (Efrati, 1999 ; Rohde, 2010). Ainsi, les politiques qui relevaient d’une forme de féminisme d’État s’inversent complètement : avec la première guerre du Golfe en 1991, les six semaines de bombardement intensif de la coalition menée par les États-Unis, la répression du régime baathiste des insurrections du nord et du sud du pays ainsi que l’embargo dévastateur imposé par l’ONU auront raison des avancées en faveur des femmes. Tous ces facteurs vont signifier la fin de l’Irak en tant que pouvoir régional, la diminution drastique de sa classe moyenne plongée dans la pauvreté, la destruction de ses infrastructures et de ses systèmes sociaux, éducatifs et de santé.
10Réputé jusqu’à la fin des années 1980 comme étant le pays où les femmes sont les plus éduquées, doté du système éducatif et universitaire le plus développé et performant dans la région, l’Irak des années 2000 est sur la liste des pays avec le plus haut taux d’illettrisme et de mortalité infantile. Le démantèlement du système éducatif, du secteur public et des services de l’État à la suite de l’embargo a notablement péjoré la vie quotidienne des Irakiennes. Celles-ci sont en effet majoritairement employées par le secteur public et dépendent étroitement des services de santé, de maternité et de garde des enfants (Al-Jawaheri, 2008 ; Al-Ali, 2007 ; Ali, à paraître en 2018). Dans son étude analysant l’impact de l’embargo sur les femmes, Yasmine Al-Jawaheri (2008) a relevé qu’un contexte de pauvreté extrême, où les femmes sont particulièrement vulnérables, favorise de nouvelles formes de patriarcat. Et c’est bien dans ce contexte que le Parti Baath s’aligne sur l’islam politique émergeant dans la région et qu’il forge une nouvelle idéologie islamo-tribale. Saddam Hussein lance al-hamlay al-imanyah (la « Campagne pour la foi »), ajoutant Allahu Akbar (« Dieu est le plus grand ») sur le drapeau du pays et se définissant comme un pieux musulman, diffuse des portraits de lui en prière, islamise son discours public et finance la construction de mosquées-cathédrales. De plus, il impose des mesures ciblant directement les droits des femmes : un mahram (homme de la famille) est requis pour le voyage des femmes à l’étranger, la criminalisation de la prostitution est poussée à l’extrême et les crimes commis « au nom de l’honneur » sont décriminalisés (Al-Jawaheri, 2008 ; Efrati, 2005).
Les enjeux confessionnels et politiques de la redéfinition du CSP
11L’invasion de l’Irak menée par les États-Unis en 2003 va exacerber la crise sociale, économique et politique dans laquelle le pays est plongé depuis 1991, et lui donner une orientation ethno-confessionnelle. L’institutionnalisation des identités ethno-religieuses qui en résulte implique un affaiblissement généralisé de l’État irakien. Une fois encore, le CSP prendra une place centrale dans les débats autour de l’identité nationale et de l’État. L’administration de l’occupation américaine a mis au pouvoir des groupes politiques ethno-confessionnels qui ont toujours été à la marge du pouvoir sous le régime baathiste : les partis islamistes chiites et les nationalistes kurdes. Dans l’Irak arabe, la politique menée par l’Autorité provisoire de la coalition (APC) – autorité dirigée par l’administration américaine – est marquée par l’institutionnalisation d’un système politique communautaire, par la marginalisation des autorités politiques sunnites ainsi que par la destruction des institutions de l’État baathiste, notamment la police et l’armée. Cette politique a conduit à une guerre confessionnelle, que la contestation politique de l’occupation elle-même par la population irakienne a également alimentée. Ainsi, le contexte post-2003 se caractérise par un État extrêmement faible, un régime politique largement contesté, la fragmentation des sentiments d’appartenance nationale à travers les séparations kurdes et arabes, et la division politique sunnite-shiite.
12De leur côté, à partir de leur territoire autonome, le Kurdistan irakien, les nationalistes kurdes ont traité la question du CSP dans des termes nationalistes et ont mis en place leur propre législation, qui diffère de celle régissant le reste du pays. Les islamistes chiites, cherchant à défendre leur identité politico-confessionnelle, ont fait plusieurs propositions contestant l’idée d’un CSP unifié sur des bases confessionnelles tel que formalisé par la Loi n° 188 : le Décret 137 proposé en 2003, l’article 41 de la nouvelle Constitution adopté en 2005 et, plus récemment, en 2014, le projet de loi Jaafari. Cette dernière, fondée sur la jurisprudence chiite Jaafari, majoritaire en Irak, abaisserait l’âge légal du mariage pour les filles à 9 ans – considéré comme l’âge de maturité (sin al-balagha) – et autoriserait des mariages précaires dans lesquels les jeunes filles et les jeunes femmes ne bénéficieraient d’aucune protection légale. Les militantes du Réseau des femmes irakiennes (RFI), la plateforme principale des militantes des droits des femmes en Irak depuis 2003, se sont fermement opposées à toutes ces mesures, défendant la Loi n° 188 pour son caractère inclusif, unissant sunnites et chiites. Les membres du RFI, de même que nombre de militant·e·s de la société civile, ont exprimé leur crainte vis-à-vis de l’adoption d’un système fondé sur une lecture régressive et conservatrice de la jurisprudence musulmane et sur la confessionnalisation des questions liées à la famille et aux femmes.
13Les islamistes sunnites s’opposent aussi à toutes ces propositions, prenant le parti de la préservation d’un code unifié qui facilite les mariages interconfessionnels et un traitement plus égalitaire des différentes composantes du pays. Ainsi, ce désaccord autour du réaménagement du CSP n’a pas que des fondements confessionnels, ceux-ci sont aussi politiques. En effet, d’une part, les propositions législatives avancées par les islamistes chiites sont une manière de répondre aux décennies de répression anti-chiite exercée par le régime baathiste : ils affirment par là leur liberté de pratiquer un islam chiite et promeuvent un code confessionnel qui leur donne plus de pouvoir. D’autre part, ce sont les islamistes chiites des partis arrivés au pouvoir en 2003 qui soutiennent la loi Jaafari, et non l’ensemble des autorités religieuses chiites : par exemple, le représentant religieux chiite Hussein al-Sadr déclare que l’État doit adopter une législation civile alignée sur les conventions internationales et laissant les questions proprement religieuses à ses autorités : « Nous voulons que l’Irak soit un État civil [madani] et civilisé [mutahadhar]. » [6] De même, une large partie de la population chiite ne soutient pas non plus un réaménagement rétrograde du CSP : selon une étude menée par une organisation de femmes dans le sud de l’Irak, la majorité de la population chiite (70 %) considère l’article 41 comme une menace pour l’unité du pays (Bint al-Rafidain/UNIFEM, 2006) – une observation confirmée par mes propres recherches. En d’autres termes, le fait que la grande majorité de la population et des autorités religieuses chiites s’oppose à la confessionnalisation du CSP montre combien la question ne divise pas sunnites et chiites sur des bases strictement confessionnelles, mais sur des lignes politico-confessionnelles.
14Cette brève évocation des mobilisations autour des droits juridiques des femmes met en évidence la manière dont les questions de genre sont imbriquées dans les questions d’appartenances communautaires et, de manière prépondérante, confessionnelles. Le régime post-invasion repose sur des identités communautaires, et les droits des femmes sont instrumentalisés par cette politique de confessionnalisation. L’idéologie baathiste n’est pas en reste dans cette instrumentalisation du genre et des femmes : passant du socialisme arabe à un tribalisme qui a pris les couleurs de l’islam, le régime baathiste n’a cessé d’adapter les politiques de genre aux changements économiques et politiques qu’a connus le pays.
15Jusqu’ici, mon analyse de l’évolution des droits juridiques des femmes a montré que celle-ci ne peut être réduite à une perspective ne considérant que le « genre en islam ». L’interprétation de cet islam en faveur de conceptions plus égalitaires des droits des femmes entre les années 1950 et 1970 fut le produit de conjonctures sociales, économiques et politiques dans lesquelles un discours genré de gauche séculière dominait la culture politique irakienne. Ce même islam est interprété de manière plus conservatrice au cours des années 1980 et, plus encore, 1990, dans un contexte de militarisation et d’appauvrissement généralisé. Depuis 2003, la violente fragmentation du pays affecte l’existence même d’un cadre juridique unifié sur les droits des femmes, et l’islam est interprété à travers une lecture conservatrice et confessionnelle. À l’appui de mes recherches et notamment de mes entretiens, je reviens dans la partie suivante sur cette généalogie en me focalisant sur les différentes formes de violence – militaire, politique et économique – qui structurent la violence fondée sur le genre, pour mieux comprendre les déchirements que connaît l’Irak d’aujourd’hui.
Revenir sur la généalogie militaire, politique et économique de la violence fondée sur le genre en Irak
16L’Irak est l’un des pays les plus brutalisés au monde. Non seulement sa population a vécu sous un régime très autoritaire, mais elle a en outre été engagée dans des guerres dévastatrices, et ce, depuis le début des années 1980 avec la guerre contre l’Iran. La violence militarisée n’a cessé de caractériser la vie quotidienne des Irakien·ne·s depuis lors. Notamment, l’embargo de l’ONU qui a suivi l’invasion du Koweït par l’Irak (1990) a eu un impact terrible, toujours visible aujourd’hui, sur leurs conditions de vie. Les représentations et les pratiques de genre ont été profondément marquées par cette militarisation que symbolise la célébration de la figure du soldat protégeant « femmes et enfants » et la normalisation de la violence militarisée a aussi pris des dimensions ethniques et confessionnelles (Khoury, 2013). Cette violence est genrée et ethno-confessionnelle, et l’imbrication de ces dimensions a créé une fragmentation de l’Irak depuis 2003, que l’émergence de l’EI n’a rendue que plus visible.
La violence du régime baathiste
17Déjà avant l’invasion et l’occupation américaines, le régime autoritaire baathiste avait normalisé la violence politique et lui avait donné une teinte ethnique et confessionnelle. Depuis 1975 au moins, l’existence même des 4 millions de Kurdes irakiens était menacée. En particulier, 250 000 à 300 000 Kurdes ont été déportés de Kirkuk au sud du pays, afin de les « arabiser ». Cette politique d’arabisation du pays, menée par le Parti Baath, a mis en œuvre une « redistribution interne de la population » fondée sur des critères ethniques, déportant des milliers de Yézidis de Sulaymaniyah et de Sinjar. Entre les années 1970 et 1980, la répression sanglante des mouvements chiites et des nationalistes kurdes fait du régime baathiste l’une des dictatures les plus violentes qui soit. Sous prétexte de nationalisme arabe et de lutte contre l’influence iranienne, le régime a entrepris de vastes campagnes de répression. Les tasfiraat, politiques de déportation massive de centaines de milliers de familles et d’individus irakiens supposés être d’origine iranienne, capturés à leur domicile et envoyés en Iran, ont ainsi marqué l’histoire politique irakienne.
18C’est dans ce contexte très violent que le discours de genre du régime change radicalement, se tournant vers des conceptions normatives de masculinité et de féminité renforcées (Khoury, 2013 ; Rohde, 2010, 2006). La rhétorique du « bon citoyen irakien et de la bonne Irakienne, éduqués et participant à la force de travail nationale » va complètement se transformer. Dans les années 1980, l’État s’engage dans une glorification de la masculinité militarisée et insiste sur le rôle et les responsabilités reproductives des femmes. Être une bonne citoyenne irakienne devient synonyme d’être mère de futurs soldats de la nation. Dans plusieurs de ses discours, Saddam Hussein insiste : « Une femme qui ne met pas au monde au moins cinq enfants trahit la nation » (Al-Ali, 2007 ; Efrati, 1999). Pour augmenter le taux de natalité, le régime exerce une pression sur les femmes en interdisant les moyens de contraception autrefois encouragés, en criminalisant l’avortement et en mettant en place un système de privilèges sociaux liés à la maternité, parmi lesquels la gratuité de la nourriture pour bébés. Pour ce qui est des hommes, le discours étatique les présente comme des soldats prêts à combattre, les protecteurs des femmes et des enfants de la nation. La force nationale est masculinisée, tandis que la terre serait féminine, des rôles de genre normés apparaissent dans la poésie et la littérature de propagande du régime. À mesure que l’effort de guerre progresse, les représentations faisant la promotion du devoir reproductif des femmes sont encouragées, notamment sous la forme d’un discours islamisé les présentant comme des mères (Khoury, 2013 ; Rohde, 2006). Même la littérature pour enfants est militarisée et déshumanise les Irakien·ne·s (Rohde, 2010).
19Par ailleurs, la définition excluante de l’identité irakienne que le régime baathiste impose est également genrée, du fait qu’elle affecte directement la législation liée au mariage et à l’organisation de la vie familiale. Au début des années 1980, le régime a en effet mis en place une législation spécifique pour pousser au divorce les couples dits mixtes, c’est-à-dire ceux dont l’un·e des partenaires est considéré·e comme d’origine iranienne (Ali, à paraître en 2018). Dima M., née à Baghdad en 1955, a été victime de la campagne contre les taba‘iyya – personnes d’origine supposément ou réellement iranienne – lorsque son époux fut emprisonné pour avoir déserté en 1980. Elle raconte comment il fut forcé à « divorcer d’elle » pour obtenir sa libération, la loi récompensant celui ou celle qui se sépare de son partenaire d’origine iranienne, réelle ou supposée :
Ce fut quand Saddam donnait 2000 dinars à ceux qui divorcent des personnes taba‘iyya. À l’époque, 2000 dinars représentaient une somme énorme. On gagnait 100 dinars par mois, donc tu peux imaginer combien cette somme était importante. Saddam essayait de détruire les familles de l’intérieur, de pousser les gens à trahir leur propre famille. Mon mari a obtenu sa libération en 1984 en divorçant, et je l’ai revu pour la première fois en 1991. [7]
21Les années qui ont suivi l’invasion du Koweït ont été les épisodes de violence d’État les plus atroces qu’ait connus l’histoire contemporaine irakienne, à travers la répression des soulèvements des populations du nord et du sud du pays. Entre 1988 et 1989, des attaques chimiques à Halabja – connues sous le nom de la campagne al-Anfal – ont tué plus de 180 000 Kurdes, principalement des civil·e·s (Kutschera, 2005 ; Bozarslan, 2009, 2008). La répression sanglante de l’insurrection de 1991 des nationalistes kurdes au nord du pays a interpellé la communauté internationale, si bien qu’en avril 1991 est menée l’opération Safe Haven pour protéger les populations kurdes de l’armée baathiste. La répression de l’insurrection du sud du pays, principalement chiite, n’a en revanche pas suscité autant d’attention et même si l’administration américaine avait promis son soutien aux populations mobilisées contre le régime baathiste, celles-ci ont été livrées aux forces baathistes sans protection. Des centaines de milliers de personnes ont été exécutées par le régime baathiste, torturées, emprisonnées ou portées disparues. La mémoire de ces atrocités représente alors un tournant dans les relations confessionnelles du pays et sera l’un des vecteurs de la guerre opposant sunnites et chiites en 2006-2007 (Haddad, 2014, 2010).
La violence de l’embargo
22Du côté de la coalition dirigée par l’administration américaine, les semaines de bombardement menées par ses forces armées en janvier-février 1991 ont détruit les structures étatiques et économiques de l’Irak. Un rapport de l’ONU en atteste, indiquant qu’après ces bombardements, l’Irak est passé d’un État moderne, hautement urbanisé et d’une économie industrialisée à une société pré-industrielle [8]. L’imposition par l’ONU de sanctions drastiques a fait perdurer cet état de guerre marqué par la destruction de toutes les infrastructures permettant à un État et à une société de fonctionner. Les coups les plus durs se sont abattus sur les secteurs sur lesquels les femmes comptent : les services publics et sociaux, les systèmes d’éducation et de santé. Le régime de Baghdad a tenté de répondre à la crise en imposant des mesures d’austérité extrême : réduction du nombre d’employé·e·s gouvernementaux, démobilisation de milliers de soldats et de personnel civil, restriction de l’emploi des femmes dans le secteur même qui était pourtant leur principal employeur – le secteur public. La société tout entière fut contrainte à vivre dans une « économie de survie », les individus occupant plusieurs emplois, vendant leurs biens personnels, cousant leurs propres vêtements. Les femmes ont joué un rôle primordial dans cette économie de survie et ont été plongées dans une précarité accrue en raison du démantèlement des services publics, notamment éducatifs : non seulement leurs possibilités d’emploi, comme enseignantes ou infirmières par exemple, ont fortement diminué, mais, en outre, leurs salaires sont devenus si insignifiants que nombre d’entre elles ont renoncé au travail salarié. À titre d’illustration, un salaire mensuel dans le secteur public ne pouvait couvrir une semaine de transports en commun. De plus, les Irakiennes n’ont pas pu investir des métiers alternatifs tels que chauffeur de taxi ou vendeur ambulant, du fait qu’ils sont considérés comme masculins, ce qui a également limité leurs possibilités de contribution économique au foyer et précipité leur retour à la vie domestique (Al-Jawaheri, 2008). Iman A., âgée d’une vingtaine d’années à l’époque de l’embargo, employée dans le secteur de la production, mariée et mère de deux enfants, raconte la réduction astronomique des salaires et la démission forcée de ses collègues femmes, ainsi que les difficultés qu’elle a dû surmonter dans son travail, liées au manque de matériaux de base :
Les femmes portaient toutes les charges du foyer sur les épaules quand les hommes étaient au front. Beaucoup d’entre elles trouvaient d’autres types de revenus en échangeant des objets, en vendant des plats cuisinés et des friandises faites maison, en donnant des cours de soutien pour enseignantes, infirmières, ou en travaillant comme femmes de ménage à domicile (Al-Ali, 2007 ; Al-Jawaheri, 2008). Dans ce contexte de pauvreté extrême, des formes nouvelles de patriarcat ont émergé, marquées par le conservatisme social et religieux et l’idée que les femmes ont « besoin de protection » (Al-Ali, 2007 ; Rohde, 2010).L’embargo nous a beaucoup appris. Comment faire face aux difficultés, comment être autonome ? J’ai décidé de continuer à travailler, même si mon salaire ne dépassait pas les 6000 dinars (soit une vingtaine de dollars), donc presque rien. Cela n’était même pas suffisant pour payer l’abonnement mensuel de bus pour me rendre au travail. Mais j’ai choisi de continuer à travailler, même si toutes les femmes autour de moi démissionnaient parce que c’était du temps perdu vu l’insignifiance du salaire. Je ne travaillais évidemment pas pour le salaire, mais pour avoir quelque chose à faire, pour supporter moralement et psychologiquement cette terrible période des années 1990. Les femmes autour de moi finissaient à la maison, elles ne pouvaient pas trouver de travail alternatif comme les hommes. Cela a détruit moralement et psychologiquement tellement de femmes. [9]
Patriarcat et violence politique
23La Campagne pour la foi du régime baathiste soutenait les représentations faisant des femmes des individus à protéger plutôt que des citoyennes à part entière ; celles-ci ont été forcées à faire des choix de vie dégradants pour survivre. La prostitution des femmes et des enfants ainsi que la pornographie devinrent rampantes, le nombre de kidnappings de filles pour rançon a augmenté et de jeunes filles ont été poussées à épouser des hommes plus âgés pour survivre. De même, les mariages informels, alors qu’ils ne garantissent aucune protection juridique, se sont multipliés. C’est un changement profond qu’a alors connu la société irakienne : corruption, détérioration des relations de voisinage et de famille au profit des stratégies individuelles de survie, et prolifération des groupes de type mafieux imposant leur loi à la population. Cette période va restructurer la fabrique sociale et culturelle de la société irakienne, altérant ses valeurs de sociabilité et de moralité (Rohde, 2010 ; Ali, à paraître en 2018 ; Al-Ali, 2007 ; Al-Jawaheri, 2008). Notamment, le choix d’un époux ne repose plus sur son éducation ou ses qualités morales, mais sur sa situation économique, sa richesse. Ainsi, dans l’ensemble de cette restructuration de la société irakienne, les liens entre le genre et la violence politique, militaire et économique de l’Irak baathiste sont doubles : les nouvelles formes de patriarcat sont un effet de cette violence et, conjointement, le genre l’a structurée, ce qui montre bien que la violence n’a pas reposé uniquement sur des lignes ethno-confessionnelles. C’est précisément cette imbrication entre genre, ethnicité et confessionnalisme qui est au cœur de la fragmentation de l’Irak post-invasion. Garder cette réalité terrible en tête est essentiel lorsque l’on souhaite appréhender l’émergence du fondamentalisme islamique du type EI dans l’Irak d’aujourd’hui.
Vivre et se mobiliser dans un pays occupé et fragmenté
24L’invasion de l’Irak et son occupation par la coalition militaire menée par les forces américaines ont causé la mort de plus de 150 000 civils [10] lors des bombardements et des campagnes militaires entre les mois de mars et mai 2003. Le régime de l’occupation n’a fait qu’augmenter la violence marquant la vie des Irakien·ne·s. En particulier, sa politique a exacerbé les tensions communautaires existantes sous le régime baathiste et a provoqué une guerre confessionnelle qui continue de hanter l’Irak d’aujourd’hui. Plusieurs moments de cette politique sont particulièrement révélateurs (voir Ismael Y. et Ismael S., 2015 ; Arato, 2009 ; Dodge, 2005, 2013) : la campagne dite de débaathification, qui a licencié plus de 400 000 soldats irakiens et membres subalternes du Parti Baath, minant ainsi un des piliers de l’État ; la marginalisation des forces sunnites ; l’établissement de l’identité communautaire comme base du système politique irakien ; la répression des soulèvements contre l’occupation, notamment à Fallujah ; et l’émergence de milices armées politiques et partisanes. Tout a pris une forme confessionnelle (Dodge, 2013).
25L’exacerbation du conflit confessionnel a atteint son paroxysme pendant la guerre de 2006-2007. Cette guerre civile et tous les événements qui lui sont associés ont représenté un second tournant, après celui de 1991, dans les relations sunnites-chiites en Irak (Haddad, 2014, 2010). La guerre confessionnelle a réorganisé la société et le territoire irakien est désormais fragmenté selon des lignes ethno-confessionnelles [11]. Cette fragmentation est visible dans la division même de Baghdad en quartiers sunnites et chiites, séparés par des checkpoints et des murs de béton (Damluji, 2010 ; Pieri, 2014). Ainsi, la dimension confessionnelle de la retribalisation sociale de l’Irak qui a débuté dans les années 1990 a été poussée encore plus loin après l’invasion de 2003.
26La violence confessionnelle est clairement genrée. Toutes les militantes irakiennes que j’ai interrogées, à commencer par les figures publiques et médiatiques, ont reçu des menaces de mort et ont été directement la cible de violences telles que des tentatives d’attentat à la voiture piégée devant leur domicile ou les locaux de leurs organisations. Beaucoup ont fui le pays, et celles restées à Baghdad ont souvent dû s’installer dans les quartiers correspondant à leur confession. Ibtihal I., début de la quarantaine, militante très active de la Ligue de la femme irakienne, raconte que sa maison familiale a explosé à la suite d’un attentat à la bombe en 2007 orchestré par un groupe d’hommes armés qui tentaient de la tuer. Cette tentative d’assassinat s’est produite après qu’elle ait reçu plusieurs menaces de mort sous la forme d’appels et de messages téléphoniques provenant de milices associées à des groupes islamistes conservateurs. Par chance, la maison était vide à l’heure de l’attaque, mais Ibtihal insiste sur le climat d’impunité et de non-droit qui règne dans le pays. Elle raconte l’incompétence des autorités et leur manque de volonté quant au traitement de l’affaire, au jugement des coupables et à la protection de sa vie et de celle de sa famille. Elle décrit l’atmosphère qui règne à Baghdad en 2006-2007 :
Tu sais, en 2006-2007, après 2 heures de l’après-midi, les rues de Baghdad étaient vides. Il n’y avait pas de vie à Baghdad. Le matin, tout ouvrait à 8 heures mais les gens avaient peur de sortir trop tôt ou après 2 heures de l’après-midi. La violence était partout. Les groupes armés, les menaces de mort, les milices, la vie quotidienne était terrible, effrayante. Même aujourd’hui, la vie humaine n’a plus de valeur en Irak. N’importe quel désaccord entre leaders politiques finit sous forme de violences dans les rues. On affronte la mort chaque jour, tout Irakien qui sort de chez lui n’est pas certain de rentrer vivant. L’Irak s’est transformé en scène de mort. Même quand nous avons des moments de joie, on a l’impression qu’on a volé ces moments et alors on se reprend en disant Allah yesterna [Que Dieu nous protège]. Le pire, c’est que nous n’avons même pas un État, un gouvernement à qui demander protection ou nous plaindre. [12]
28Outre l’insécurité générale qui a conduit à la mort de nombreuses féministes irakiennes, toutes les militantes ont abordé l’impact du renforcement des normes de genre sur leur vie quotidienne. Le conservatisme social et religieux limite notamment leur liberté de se vêtir et de circuler comme elles veulent. Dans les quartiers, dont beaucoup sont contrôlés par des milices et des groupes armés associés à des partis islamistes conservateurs et confessionnels, de nombreuses femmes ont témoigné d’incidents relatifs à leurs choix vestimentaires ou à leurs comportements, entre autres lors des passages aux checkpoints. Des militantes féministes chrétiennes ont exprimé le fait qu’elles préfèrent se couvrir la tête d’un châle quand elles circulent entre différents quartiers de la ville, par peur des milices et des hommes armés qui tiennent les checkpoints.
29La tenue des femmes obéit à des normes de genre et de confession : dans les villes à dominante sunnite, les femmes portent la jubbah – sorte de grand manteau couplé d’un foulard –, alors que dans les zones chiites, notamment les villes du sud du pays, les femmes portent la ‘abayah noire – long et large tissu noir qui couvre tout le corps – et couvrent leurs pieds de chaussettes noires. Beaucoup de militantes ont décrit des incidents comme la fermeture de salons de coiffure ou la pose de bombes sous les voitures pour inciter les femmes à arrêter de conduire. Plus généralement, une tension permanente domine, en conséquence de la violence et de la prégnance des groupes armés qui s’affrontent dans les rues. Ce sentiment de suffocation et de peur constante est exprimé de manière fréquente par les militantes que j’ai interrogées : « Avant, nous avions un Saddam, maintenant nous avons des Saddam au coin de chaque rue. » Mon observation ethnographique montre que la militarisation de l’espace public a transformé la capitale irakienne en une « ville d’hommes » : des checkpoints gardés par des hommes armés à toutes les intersections et des murs de béton séparant les quartiers et les résidences d’officiels gardées par des hommes de sécurité. De nombreux lieux ne sont plus accessibles pour les femmes. Des cafés et des espaces qui faisaient la fierté de la vie sociale baghdadie sont réservés aux hommes après 17 heures, y compris dans des quartiers connus pour leur ouverture et leur diversité, comme al-Kerrada.
30À cette fragmentation ethno-confessionnelle genrée s’ajoutent les effets de l’appauvrissement généralisé de la population irakienne. En 2007, il a été estimé que plus de la moitié de la population irakienne vivait avec moins d’un dollar par jour (Dawisha, 2009). La malnutrition aiguë a plus que doublé depuis 2003, affectant pas moins de 43 % des enfants âgés de 6 mois à 5 ans. Près de 50 % des foyers irakiens ne possèdent pas d’équipements sanitaires permettant un minimum d’hygiène. Le manque de médicaments et d’équipements médicaux de base, ainsi que l’assassinat, le kidnapping ou l’exil de plus de 15 000 médecins depuis la guerre civile de 2006-2007 ont des conséquences importantes sur le système de santé dans le pays (Dawisha, 2009). Même dans la capitale, l’État ne pourvoit pas à plus de cinq heures d’électricité par jour. L’absence d’institution de contrôle et de stabilité depuis 2003, ainsi que la privatisation et la libéralisation de l’économie irakienne ont provoqué la hausse drastique des prix des aliments de première nécessité. Ainsi, la majorité des Irakien·ne·s sont des pauvres qui vivent dans un pays riche en pétrole. Aucune politique majeure n’a été mise en place par le nouveau régime pour traiter la crise sanitaire et humanitaire que traverse le pays. La faiblesse structurelle du nouvel État, son incapacité à garantir la sécurité et à répondre aux besoins les plus basiques de la population, comme l’accès à l’eau potable, à l’électricité ou à des logements dotés du minimum sanitaire, à l’emploi, ainsi que son incompétence et sa corruption généralisée ont poussé les Irakien·ne·s à s’appuyer sur des sources alternatives de protection et de service. Les chefs tribaux, les groupes religieux et les entreprises privées sont préférés à l’État pour subvenir aux besoins quotidiens de la population.
31Dans ce contexte, les féministes irakiennes qui se sont mobilisées depuis 2003 autour de la Constitution et des droits juridiques des femmes ont aussi été dans les premiers rangs des manifestations demandant la mise en place de protection et d’aide sociale, contre la corruption institutionnalisée – comme les salaires des membres du parlement et du gouvernement – et pour la promotion de la liberté d’expression. La plupart des militantes irakiennes de la société civile ont participé à l’Initiative civile pour la préservation de la Constitution, lancée en 2010 pour faire pression sur le gouvernement, ainsi qu’aux manifestations dénonçant le terrorisme, le confessionnalisme et l’incompétence de l’État. Le Réseau des femmes irakiennes a pris une position ferme contre les ingérences étrangères qui menacent l’indépendance de l’Irak, s’est exprimé en faveur du fédéralisme et a dénoncé les violations des droits humains en Irak. Certaines féministes irakiennes se sont engagées pour défendre la cause des disparus et des prisonniers détenus sans jugement, victimes de la violence policière et des forces de sécurité légitimées par la « guerre contre le terrorisme » (Ali, à paraître en 2018). La situation est si chaotique et fragmentée que même les femmes ayant pu accéder à des instances représentatives comme le parlement ou le conseil provincial se retrouvent face à d’insurmontables défis sur le terrain. Bétoul M., une militante d’une organisation de femmes et membre du courant islamiste chiite Tayar al-Islah fondé par Ibrahim al-Ja‘fari, qu’elle représente au Conseil provincial de Baghdad, raconte les difficultés qu’elle affronte :
Nous avons tellement de problèmes au Conseil provincial de Baghdad. Le plus gros problème, c’est que le système est fondé sur un quota communautaire. […] J’ai lutté pour accéder au Comité des organisations de la société civile, parce que je sentais qu’en tant que femme militante de la société civile, j’avais ma place dans ce comité. Mais une fois que je l’ai rejoint, je me suis retrouvée à affronter le responsable du comité. Cet homme, dès qu’il a pris la tête du comité, il s’est cru le roi de Baghdad. On a tous les deux été élus, il a ses responsabilités et moi les miennes. Je lui ai proposé qu’on divise Baghdad en différentes zones pour pouvoir fonctionner de manière efficace. Il a imposé les zones où il voulait travailler et celles où il ne voulait pas travailler. Soyons honnêtes, le problème c’est le confessionnalisme. Il m’a dit : « Toi, tu prends al-Sadr, al-Kazmyah, al-Istiqlal, al-Kerrada et Tesa’Nisan, etc. [toutes des zones chiites] et moi je prends Abu Ghraib, Tarmyah, Mayadeen et al-A‘dhamyah, etc. [toutes des zones sunnites]. » J’ai dû finalement me plier à son point de vue, parce que la réalité fait que je ne peux pas accéder à ces zones avec ma carte d’identité et mon ‘abayah. La ‘abayah est le signe le plus visible, comme tu le sais. À l’époque en 2005, c’était tellement difficile. Mais même aujourd’hui [2010], je ne connais plus ces zones et je n’y vais plus. Je ne peux plus y accéder. […] Avant la chute du régime, en 2003, ne vivait-on pas tous ensemble, sunnites et chiites, tous voisins ? […] En tout cas, dans ce contexte où l’État est trop faible, où les gens ont tellement de besoins, c’est normal que les citoyens se tournent vers leurs représentants pour se plaindre, voire les attaquent. […] Aujourd’hui, c’est plus simple de travailler et de demander des fonds à une ONG qu’au gouvernement […], à cause de tout le processus de contrôle administratif qui s’ensuivrait lié à la corruption, ça prendrait des années pour obtenir quoi que ce soit. Ça serait tellement compliqué et long, or j’ai besoin de régler des problèmes urgents. C’est une approche pragmatique. On a trop d’urgences : l’accès à l’eau, à l’électricité et aux besoins les plus élémentaires. On ne peut pas attendre que le gouvernement construise des logements sociaux, on doit trouver des solutions concrètes et rapides. [13]
33Dans ce contexte caractérisé par la violence et la faiblesse de l’État, qui oblige les individus à recourir à d’autres sources de protection et de service, les chefs tribaux ont gagné en pouvoir et celui-ci a pris une forme confessionnelle. Cette réalité permet de comprendre pourquoi un grand nombre de chefs tribaux et politiques ont rejoint les rangs de l’EI en juin 2014 lors de la capture de Mossoul par les djihadistes. La prise de Mossoul a conduit l’ayatollah Sistani, le plus grand marja’de l’islam chiite en Irak, à lancer un appel à un « djihad pour préserver l’Irak », lequel a incité des milliers de civils, principalement chiites, à rejoindre l’effort militaire contre l’EI.
34Dans ce contexte, des citoyen·ne·s ordinaires, mais aussi des militantes féministes et activistes de la société civile, ont lancé un mouvement populaire à l’été 2015. Depuis la place Tahrir de Baghdad et s’étendant dans toutes les grandes villes du pays, ce mouvement exprime l’exaspération générale de la population irakienne vis-à-vis de la corruption et de l’incompétence politique du régime post-2003, révélées notamment par les coupures d’électricité durant l’été, quand les vagues de chaleur atteignent 60 °, et dans l’absence totale de service public. Les manifestations lancées à la toute fin du mois de juillet 2015 par dix jeunes hommes de la société civile se sont rapidement transformées en un vaste mouvement de protestation populaire qui a traversé tout le pays. L’ayatollah Sistani a immédiatement déclaré son soutien aux manifestant·e·s qui critiquaient le nouveau régime et demandaient des réformes radicales. Depuis, tous les vendredis, les manifestant·e·s se réunissent sur les places principales des grandes villes d’Irak, notamment à Najaf, Nassiriyah et Bassorah, en scandant : Bi-ism il-din bagunah alharamiyya (« Au nom de la religion, nous avons été volé·e·s par des bandits ») et Khubz, Huriyya, Dawla Medeniya (« Pain, Liberté et État civil »).
35À travers ces slogans, les manifestant·e·s dénoncent la corruption et le confessionnalisme du nouveau régime comme responsables de l’émergence de l’EI. Le mouvement de la société civile sera très vite rejoint par le courant sadriste, guidé par Moqtada al-Sadr, notamment lors du sit-in de mars 2016 sous les tentes plantées devant les murs de béton de la Green Zone – une zone où se situent la nouvelle élite politique et la plupart des institutions irakiennes depuis 2003, ainsi que les ambassades étrangères. Si de nombreuses féministes sont critiques quant au partenariat de la société civile avec un mouvement islamiste chiite conservateur et le risque de récupération politique, d’autres sont plus nuancées sur la question. Henaa Edwar, figure de l’organisation Al-Amel et du RFI, est très optimiste quant à l’évolution du mouvement de protestation et s’est jointe à une délégation de féministes se rendant dans les tentes devant la Green Zone. Tout en demeurant critique envers le populisme et le conservatisme des Sadristes, notamment en relation aux questions de genre, Edwar exprime son soutien à cette alliance de la société civile avec un mouvement ayant une forte base populaire, notamment au sein de la population la plus pauvre d’Irak, celle des centres urbains surpeuplés. Elle considère que la présence de Moqtada al-Sadr dans le mouvement incite sa base prolétaire à prendre la rue avec des revendications d’unité nationale et de citoyenneté civile. Comme beaucoup de féministes en Irak, Edwar insiste sur le lien essentiel entre la question de l’égalité des sexes et la lutte pour l’égalité confessionnelle, ethnique et religieuse. Les militantes du RFI considèrent que ces luttes sont indissociables et qu’il est nécessaire de se battre pour une citoyenneté égalitaire sur tous les plans.
Conclusion
36Comme démontré de manière éloquente par Nadje Al-Ali et Nicola Pratt dans leurs travaux (2009), l’instrumentalisation néocoloniale du discours sur les droits des femmes permet de justifier des interventions politiques militaires impérialistes – stratégie bien connue dans le cas de l’Irak. La réalité actuelle du pays rend clairement compte d’une contradiction radicale entre le plaidoyer de l’administration américaine prétendant « sauver les femmes irakiennes » et la politique néocoloniale et néolibérale qu’il a mise en place. Le système ethno-confessionnel imposé par le gouvernement de l’occupation depuis 2003 a eu pour conséquence une violence généralisée et la fragmentation tant de la vie sociale et politique que du territoire irakien.
37La présence de l’EI et les violences terribles qu’il commet sont aussi un facteur à prendre en considération pour comprendre les dynamiques actuelles du pouvoir en Irak. En effet, ce facteur explique pourquoi les leaders politiques américains et européens ne sont pas les seuls à adopter un discours justifiant l’action militaire par la nécessité de « sauver les femmes » : le nouveau régime irakien tient le même discours. Ce nouveau régime a désigné l’EI comme son « ennemi principal » et légitime toutes formes de violence sous le couvert de la « lutte contre le terrorisme ». Depuis 2014, le gouvernement central, dominé par les chiites conservateurs, a lancé une campagne massive avec des clips vidéo qui, passés toutes les heures à la télévision d’État, montrent des soldats irakiens en pleine action contre les terroristes. Ces vidéos révèlent une réelle célébration de la violence militaire masculinisée, doublée d’une définition exclusive de la citoyenneté irakienne dans laquelle la figure du chef tribal sunnite est associée à celle des combattants de l’EI ou au Parti Baath.
38La militarisation et la violence politique qui a débuté sous l’ancien régime sont des vecteurs centraux de la violence à la fois genrée et confessionnelle que vit quotidiennement l’Irak d’aujourd’hui. La politique conservatrice et confessionnelle du nouveau régime remet en question le cadre juridique garantissant des droits aux femmes. Ce cadre était déjà minimal, mais dans les territoires occupés par l’EI, les femmes n’en bénéficient même pas, elles sont juste considérées comme mineures et inférieures. Il est clair que la détérioration des droits juridiques et des conditions de vie des femmes en Irak aujourd’hui n’est pas le simple produit d’une mauvaise lecture de l’islam, mais bien davantage la conséquence directe d’une série de guerres, d’interventions militaires, de crises sociales et économiques aux dimensions multiples qui ont fragmenté la réalité du pays et ont conduit à l’émergence de force sociales et politiques conservatrices, dont les Irakiennes sont les premières victimes. L’invasion et l’occupation menées par les États-Unis ont exacerbé les divisions ethno-confessionnelles et la crise économique dans laquelle le pays est plongé depuis 1991. Malgré tout, des femmes activistes de la société civile se réunissent chaque vendredi place Tahrir depuis l’été 2015 et insistent sur le fait que seul un projet de société qui met à égalité les femmes et les hommes, les confessions et les religions peut représenter un avenir pour l’Irak. Pour les manifestant·e·s, l’EI est le produit de l’oppression confessionnelle et de la corruption du nouveau régime mis en place par l’administration américaine en 2003.
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- Rohde, Achim (2006). « Opportunities for Masculinity and Love : Cultural Production in Baathist Iraq during the 1980s ». In Lahoucine Ouzgane (éd.), Islamic Masculinities. Londres / New York : Zed Books.
- Zubaida, Sami (2011). Beyond Islam : a new understanding of the Middle East. Londres / New York : I. B. Tauris.
- Zubaida, Sami (1989). Islam, the people and the state. Londres : Routledge.
Notes
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[1]
Cet article est ma traduction de « The Fragmentation of Gender in Post-invasion Iraq », que j’ai publié dans The Oxford Handbook of Contemporary Middle-Eastern and North African History, un livre dirigé par Amal Ghazal et Jens Hanssen (Oxford Handbooks Online, 2017). Je les remercie, ainsi que les Presses de l’Université d’Oxford, de m’avoir autorisée à publier cette traduction dans NQF. Je remercie aussi chaleureusement Patricia Roux pour son aide dans la réécriture de cet article depuis sa traduction française originale.
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[2]
Il s’agit d’une recherche de terrain approfondie, menée principalement à Baghdad et de manière secondaire à Erbil et Sulaymaniyah (Kurdistan d’Irak) entre octobre 2010 et juin 2012. À travers cette ethnographie de l’activisme politique des femmes irakiennes, j’ai conduit 80 entretiens avec des militantes irakiennes (la plupart sous la forme de récits de vie) de tous bords politiques, ethniques, confessionnels et religieux – de gauche, laïques, islamistes, arabes, kurdes, chrétiennes, sunnites, chiites, etc. – et j’ai mené un travail d’observation participante de leurs mobilisations, actions et initiatives. Plus récemment, mon terrain de recherche a été centré sur les dynamiques de la société civile à Baghdad, Najaf-Koufa, Karbala et Nassiryah, en mars-avril 2016 et mai 2017.
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[3]
L’Irak post-2003 ou l’Irak post-invasion fait référence au contexte qui a suivi l’invasion de la coalition militaire menée par les forces américaines début mars 2003, laquelle a mis fin au régime baathiste et imposé un régime d’occupation militaire dirigé par l’administration américaine.
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[4]
Qui deviendra quelques années plus tard la Ligue de la femme irakienne.
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[5]
Cette mesure sera abolie dès le premier coup d’État baathiste en 1963.
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[6]
Al-hewar al-mutamaden, 2 mars 2014.
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[7]
Entretien effectué à Baghdad en 2012.
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[8]
Ahtissaari, Martti, «Report to the Secretary-General on Humanitarian Needs in Kuwait and Iraq in the Immediate Post-Crisis Environment». New York, UN Report n° S122366, mars 1991.
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[9]
Entretien effectué à Baghdad en 2010.
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[10]
Estimation du Lancet (2004), Iraq Body Count: www.iraqbodycount.org et Iraq: the Human Cost. En ligne: http://web.mit.edu/humancostiraq/ (consultés le 3 février 2017).
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[11]
D’après l’UNHCR, la guerre de 2006-2007 a fait plus de 1000 morts par semaine et a déplacé à l’intérieur et à l’extérieur du pays plus de 2,5 millions d’individus.
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[12]
Entretien effectué à Baghdad en 2011.
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[13]
Entretien effectué à Baghdad en 2010.