Notes
-
[1]
Muriel Salmona (2013). Le livre noir des violences sexuelles. Paris : Dunod, 360 pages.
-
[2]
Geraldine Brown est doctorante à l’Institut des Études genre, Université de Genève.
-
[3]
Louis Crocq et al. (2007). Traumatismes psychiques : prise en charge des victimes. Paris : Masson.
-
[4]
[http://memoiretraumatique.org/accueil.html], consulté le 13 avril 2015.
-
[5]
Voir le rapport de l’association « Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte », publié en mars 2015 : [http://memoiretraumatique.org/assets/files/doc_violences_sex/Rapportenquete-AMTV_mars-2015_BD.pdf], consulté le 13 avril 2015.
-
[6]
Voir notamment son article avec Patrice Louville (2013) : « Traumatismes psychiques : conséquences cliniques et approche neurobiologique ». Santé mentale, 176 (mars), Dossier thématique « Le traumatisme du viol ». En ligne sur [www.memoiretraumatique.org/assets/files/Documentspdf/Louville-Salmona-syndrome-sychotraumatique.pdf], consulté le 13 avril 2015.
-
[7]
Voir par exemple son blog sur Mediapart : [http://blogs.mediapart.fr/blog/muriel-salmona], consulté le 13 avril 2015.
-
[8]
Se référer à la bibliographie en fin d’ouvrage, notamment la section « rapports » (pp. 341-342).
-
[9]
Avec des psychiatres comme Lucien Bonnafé. Voir Armand Olivennes (1991). « Pratiques et principes théoriques de la désaliénation chez Lucien Bonnafé ». In LucienBonnafé (éd.), Désaliéner ? : folie(s) et société(s) (pp. 29-43). Paris : Presses universitaires du Mirail.
-
[10]
Pour une conceptualisation des violences en termes de rapports de domination, voir Jalna Hanmer (1977). « Violence et contrôle social des femmes ». Questions Féministes, 1, 69-88.
1Dre Muriel Salmona, psychiatre et psychothérapeute, est spécialiste en victimologie – la science de la prise en charge des victimes d’un traumatisme – et en psychotraumatologie. Celle-ci traite des psychotraumatismes, définis comme des « phénomène[s] d’effraction du psychisme et de débordement de ses défenses par les excitations violentes afférentes à la survenue d’un événement agressant ou menaçant pour la vie ou pour l’intégrité (physique ou psychique) d’un individu qui y est exposé comme victime, comme témoin ou comme acteur » (Crocq et al., 2007, cité p. 72) [3]. Muriel Salmona est également présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie, créée en 2009 [4], qui effectue de la recherche sur les suites psychotraumatiques engendrées par les violences [5], et vise à diffuser au plus large public possible ses résultats, dans un but de meilleure prise en charge des victimes. L’ouvrage discuté ici poursuit ce même objectif, en se focalisant sur une forme de violences particulièrement occultées, les violences sexuelles. Salmona poursuit ainsi son travail de recherche [6] et son travail politique [7]. L’ouvrage ne s’inscrit pas dans un registre académique, mais se veut avant tout être un Livre noir, une dénonciation explicite à l’encontre du corps médical et, plus largement, de la société qui « adhèr[e] aux stéréotypes, à la loi du silence, et au déni [des] violences sexuelles » (p. 3). Il se divise en sept chapitres consacrés à « la réalité des violences sexuelles et de leurs conséquences » (1), à « la fabrique des psychotraumatismes » (2), au « déni » et à la « mystification » qui entourent les violences (3), à une description des victimes (4), à la fabrique des auteurs (5), aux manquements de la prise en charge des victimes (6) et, enfin, aux voies possibles de traitement (7). Précisons que si nous avons choisi ici de ne pas effectuer un commentaire par chapitre, c’est que la structure de l’ouvrage, plus confuse que ce que la clarté des intitulés de chapitres laissait entendre, n’invite pas à une telle discussion.
2Salmona se demande pourquoi, alors que les savoirs en matière de prévalence et de conséquences des violences sur la santé sont bien connus [8], les professionnel·le·s de la santé continuent de les ignorer (p. 2). L’hypothèse est double : c’est parce que, d’une part, une société patriarcale crée forcément des représentations sexistes qui façonnent la prise en charge médicale des victimes ; et parce que, d’autre part, la profession médicale, sous couvert d’œuvrer « pour le bien » de ses patient·e·s, exerce une forme spécifique de domination. On rencontre ce jeu de miroir entre domination masculine et domination médicale, qui perpétuent ensemble une double victimisation (voir pp. 7 et 11), dans l’introduction de l’ouvrage déjà (voir les sous-titres « L’enfermement des victimes » et « La psychanalyse » pp. 11-15). L’auteure y montre comment deux « cultures » de la prise en charge des troubles psychiques, celle de l’hospitalisation et celle de la psychanalyse, renvoient ces derniers à des « conflits psychiques intérieurs » (p. 14). Malgré le développement d’une psychiatrie [9] « beaucoup plus humaine, centrée sur la personne en tant que sujet de droit et repensant la « folie » en termes politiques et sociologiques comme le symptôme d’un dysfonctionnement produit par des systèmes aliénants » (p. 12), ce sont les pratiques coercitives de l’internement – dont la description faite par l’auteure n’est pas sans rappeler celles d’un milieu carcéral – et une vision freudienne de la sexualité, avec son lot de « pulsions violentes », qui ont dominé le champ de la prise en charge des patient·e·s souffrant de troubles psychiques. Une lecture individualisante des symptômes efface leur dimension sociétale, rendant par là même les patient·e·s responsables de leur vécu (pp. 4-5). « Les symptômes et les signes de souffrance qui [sont la traduction d’un psychotraumatisme] seront minimisés ou banalisés et mis sur le compte de l’âge […], du sexe féminin […], ou bien à l’inverse dramatisés et étiquetés psychose maniaco-dépressive ou schizophrénie […] [sont] traités abusivement comme tels » (p. 53). Le fait de rapporter les symptômes à une « histoire personnelle » est renforcé, selon l’auteure, par le serment d’Hippocrate que se doit de faire tout médecin : « Admis à l’intérieur des maisons mes yeux ne verront pas ce qu’il s’y passe » (p. 6). En se définissant comme féministe (p. 15), Salmona légitime son analyse des violences en termes de rapports de domination [10] : « Les violences sexuelles faites aux femmes et aux filles sont une violence sexiste ancrée dans les traditions patriarcales, ces traditions ont trouvé leur expression dans les lois, les institutions, les attitudes et les mentalités » (p. 39). Elles sont en outre un exercice de la « toute-puissance, dans le cadre d’une prise de possession du corps d’autrui, d’une érotisation de la haine et de la violence » (p. 55). Concernant les mécanismes de la violence, Salmona en montre le fonctionnement en termes psychologiques et neurobiologiques. Pourtant, on retrouve là aussi le cadrage féministe de l’auteure : l’exercice de la violence découle en fin de compte d’un désir de domination, quand bien même le moyen d’y parvenir consiste en une sorte « d’anesthésie émotionnelle [qui permet] d’éliminer une détresse et un mal-être jugés très contraignants » (p. 59). Cette idée d’une volonté de domination est centrale dans l’argumentation de Salmona. C’est en effet l’intentionnalité qui distingue victimes et agresseurs : si les deux subissent, ont subi, sont ou ont été témoins de violences, les seconds deviennent agresseurs en désignant des victimes plus vulnérables (p. 152). Il faut ici esquisser le modèle théorique médical de Salmona qui est au cœur de l’ouvrage. Au centre de ce modèle se trouve le concept de la « mémoire traumatique », présentée aux pages 22-24, et à laquelle est consacré le chapitre 2 en particulier. Si on ne reviendra pas sur les explications mécaniques de cette mémoire traumatique (voir pour cela le chapitre 2), on en reproduira ici la définition : « Cette mémoire traumatique qui s’installe après les violences est une mémoire émotionnelle et sensorielle ‹fantôme› intrusive et incontrôlable des violences subies. Quand elle n’est pas traitée, elle revient hanter les victimes traumatisées pendant de longues années après les violences et parfois même toute leur vie, leur faisant revivre ‹éternellement› et à l’identique, quand elle envahit le psychisme, le ‹film› des violences avec les mêmes sentiments d’effroi, de détresse, de mort imminente, d’impuissance et de sidération ressentis lors de celles-ci » (pp. 22-23). Nombre de symptômes ou de comportements constituent une tentative des victimes de violences d’échapper à ce « fantôme », en s’anesthésiant. Il en est ainsi aussi bien pour les « conduites à risque » que pour les violences sur autrui – qui se distinguent, comme indiqué plus haut, par l’intentionnalité de dominer. C’est à enrayer cette mémoire traumatique qu’est consacré le modèle thérapeutique que l’auteure développe dans son septième chapitre (voir pp. 308-322).
3Pour un lectorat qui se revendique des sciences sociales (ce qui n’est pas le cas de Salmona), l’utilisation occasionnelle du langage de la « nature » – qu’on retrouve par exemple dans l’idée de l’humain « naturellement » prédisposé à être empathique envers autrui (p. 58) – est quelque peu irritante. Toutefois, on retiendra avant tout la tentative de conjuguer explications neurobiologiques et contexte social, tentative qu’il convient de saluer parce qu’elle permet de dépasser une lecture trop souvent individualisante des violences. Car c’est bien la société dans son ensemble qui est mise en cause par l’auteure, une société qui prône « la vertu de la violence pour éduquer, hiérarchiser, préserver l’ordre et la sécurité. D’où la diffusion d’un discours mensonger sur la nature humaine, violente par essence […] alors qu’il ne s’agit que de légitimer la possibilité de dresser, de soumettre, de dominer et d’instrumentaliser » (p. 59). Ainsi, malgré le style polémique de l’ouvrage qui, au demeurant, rend l’argumentation parfois redondante, et bien que l’on s’interroge sur son impact politique, le livre de Muriel Salmona est un exemple original de travail médical sur les violences dans une perspective féministe.
Notes
-
[1]
Muriel Salmona (2013). Le livre noir des violences sexuelles. Paris : Dunod, 360 pages.
-
[2]
Geraldine Brown est doctorante à l’Institut des Études genre, Université de Genève.
-
[3]
Louis Crocq et al. (2007). Traumatismes psychiques : prise en charge des victimes. Paris : Masson.
-
[4]
[http://memoiretraumatique.org/accueil.html], consulté le 13 avril 2015.
-
[5]
Voir le rapport de l’association « Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte », publié en mars 2015 : [http://memoiretraumatique.org/assets/files/doc_violences_sex/Rapportenquete-AMTV_mars-2015_BD.pdf], consulté le 13 avril 2015.
-
[6]
Voir notamment son article avec Patrice Louville (2013) : « Traumatismes psychiques : conséquences cliniques et approche neurobiologique ». Santé mentale, 176 (mars), Dossier thématique « Le traumatisme du viol ». En ligne sur [www.memoiretraumatique.org/assets/files/Documentspdf/Louville-Salmona-syndrome-sychotraumatique.pdf], consulté le 13 avril 2015.
-
[7]
Voir par exemple son blog sur Mediapart : [http://blogs.mediapart.fr/blog/muriel-salmona], consulté le 13 avril 2015.
-
[8]
Se référer à la bibliographie en fin d’ouvrage, notamment la section « rapports » (pp. 341-342).
-
[9]
Avec des psychiatres comme Lucien Bonnafé. Voir Armand Olivennes (1991). « Pratiques et principes théoriques de la désaliénation chez Lucien Bonnafé ». In LucienBonnafé (éd.), Désaliéner ? : folie(s) et société(s) (pp. 29-43). Paris : Presses universitaires du Mirail.
-
[10]
Pour une conceptualisation des violences en termes de rapports de domination, voir Jalna Hanmer (1977). « Violence et contrôle social des femmes ». Questions Féministes, 1, 69-88.