1Lille, Isla, Insula, est née sur les rives de la Deûle. Descendue de l’Artois pour s’écouler vers le bas pays flamand, cette modeste rivière creuse son lit dans une dépression au contact de trois pays : le dôme crayeux du Mélantois au sud, l’étroite plate-forme des Weppes taillée dans les sables et les argiles à l’ouest, les collines et les vallées du Ferrain au nord. Divaguant au milieu de marais, les eaux de la Haute-Deûle se rassemblent après une chute de quelques douze pieds pour former la Basse-Deûle. On a là la convergence de plusieurs éléments contribuant à la naissance de la ville : le contact entre les riches plateaux limoneux du sud, appelés à devenir un véritable grenier à blé, et le bas pays flamand qui va leur servir de débouché, la chute obligeant à une rupture de charge et favorisant le développement d’une étape pour le commerce. Mais de quand date la ville ?
Aux origines
La légende
2Pendant longtemps, la tradition a attribué la fondation de Lille à Lydéric de Buc, fils du prince de Bourgogne Salvaert assassiné par le cruel géant Phinaert, maître des marais de la Deûle. Le 15 juin 640, Lydéric aurait affronté Phinaert lors d’un duel judiciaire, au lieu-dit le pont de Fins. Vainqueur, il se serait alors vu attribuer les biens de Phinaert par le bon roi Dagobert. Pourvu du titre de forestier de Flandre, il aurait fondé Lille. Attirés par la sécurité que Lydéric leur offrait, les habitants de la contrée seraient venus s’installer autour de son château. Touchante histoire dont les historiens ont démontré l’inanité.
Que dit l’archéologie ?
3Si les fouilles archéologiques attestent la présence de diverses populations sur l’actuel territoire lillois dès le viie millénaire avant Jésus-Christ, pas de cité gauloise, pas de cité gallo-romaine, pas de traces non plus comme à Bavay de grandes voies rectilignes reliant les cités gallo-romaines du nord de la Gaule entre elles et aux autres cités de l’Empire.
Lille au Moyen Âge
Lille sort de l’ombre (xie siècle)
4L’histoire de Lille prend forme au xie siècle avec la première mention authentique de la ville figurant dans le récit d’une expédition de l’empereur Henri contre Baudouin V, comte de Flandre, réfugié dans son Castrum Islensis (château de Lille), en 1054. C’est donc comme place forte que Lille apparaît dans l’histoire. Douze ans plus tard, en 1066, le même Baudouin V et son épouse sont à l’origine d’une importante fondation en faveur de la collégiale Saint-Pierre qu’ils avaient établie dans le lieu que « les anciens appelaient Isla (Lille) ». Ce terme « anciens » signifie qu’une agglomération porte le nom de Lille depuis deux générations au moins. C’est un organisme complexe comprenant un oppidum d’environ 25 hectares avec son forum vers lequel convergent trois voies venant des ponts de Fins, de Weppes et du château établi sur la Deûle, un suburbium (faubourg) dénommé Fins qui va se doter rapidement d’un solide noyau de population, et le castrum avec sa motte et son château, le palais de la Salle, un atelier monétaire et la collégiale Saint-Pierre. Si l’ensemble constitue déjà une ville importante, ce premier épisode de l’histoire de Lille reste cependant modeste.
La ville prend son essor (xiie-xiiie siècles)
5Au cours des deux siècles suivants la ville connaît une prodigieuse expansion qui se lit à travers la multiplication des paroisses. On en compte trois aux environs des années 1144, six à la fin du xiiie siècle, sept à l’aube du siècle suivant sur un territoire atteignant 100-110 hectares. De 700 habitants vers 900, la ville atteint 40 000 âmes en 1318. Le ressort de cette formidable croissance démographique tient aux avancées de l’économie. D’abord le commerce des grains venant des riches campagnes du Mélantois pour gagner la Basse-Deûle et être redistribués ensuite en Flandre. Ensuite la draperie produite dans les ateliers où maîtres et valets tissent et teignent des draps de qualité moyenne exportés dans tout le monde connu. Au commerce du blé et des draps s’ajoutent toutes les activités propres à une ville. Les échanges commerciaux connaissent leur apothéose lors de la grande foire du mois d’août où affluent les marchands étrangers.
6L’expansion fait naître une société de classes dominée par les riches marchands monopolisant le pouvoir municipal reconnu par la charte de 1225, convention passée entre la comtesse Jeanne de Flandre et la ville. Décrivant les institutions communales, des historiens ont parlé jadis d’une démocratie lilloise. La réalité est bien différente. Le pouvoir est confisqué par les élites mettant en place un véritable système d’autorecrutement que la charte a bien essayé de limiter. En vain !
7Parmi les six paroisses que compte la ville, la paroisse Saint-Pierre est la plus importante avec sa collégiale, riche d’un important patrimoine foncier et de redevances perçues dans les campagnes voisines et jusqu’en Flandre.Les fondations religieuses et hospitalières qui se multiplient au cours du xiiie siècle témoignent aussi de la vitalité de la vie religieuse. La plus célèbre est incontestablement l’hôpital Comtesse érigé en 1233 par la comtesse Jeanne qui dote aussi richement l’hôpital Saint-Sauveur. Significatives d’une prise de conscience de la pauvreté, ces fondations accueillent des malades, des infirmes incurables et sans ressources. La comtesse Jeanne et sa sœur Marguerite ne sont pas seules à se soucier des pauvres. Des « charités paroissiales », les chanoines de la collégiale, de riches particuliers font des distributions de pain, de poissons, parfois de viande, de souliers et de vêtements aux pauvres.
8De grandes cérémonies religieuses rassemblent les fidèles. La plus célèbre, objet d’innombrables descriptions, est celle organisée en relation avec les premières manifestations du culte de Notre-Dame de la Treille (1254). En 1270, à l’initiative de la comtesse Marguerite, une procession est organisée faisant le tour des remparts de la ville. Le chapitre de la collégiale, les curés des paroisses, les ordres religieux, les membres du Magistrat, et, à partir du xve siècle, les corps de métiers groupés autour de leur torche défilent derrière la statue de la Vierge. Ce jour-là, des représentations dramatiques reprenant des scènes de la Bible sont données. Mais au grand plaisir des Lillois, il y a aussi des pièces comiques altérant quelque peu la nature religieuse de la fête.
9Contrairement à d’autres villes de Flandre, Lille ne connait pas une vie intellectuelle dynamique. Certes, on peut citer pour le xiie siècle les noms d’Alain de Lille et de Gauthier de Châtillon ; mais leur carrière se déroule loin de Lille. En revanche, il faut retenir le nom de Jacquemars Giélée, auteur d’un Renard le novel en 8 000 vers, mettant en scène une créature rusée capable de triompher de la force brutale. En même temps, l’auteur retient l’attention du lecteur par un réel talent de conteur et l’observation fine des mœurs villageoises, des hommes et de la société de son temps.
Lille face aux ambitions françaises
10à la fin du xiie siècle, les Capétiens soucieux de contrôler les territoires de leurs vassaux entendent mettre à la raison les comtes de Flandre. Cette politique exige de s’emparer de Lille qui occupe une position clé au sud du comté de Flandre. Commence alors l’histoire militaire de Lille ponctuée de nombreux sièges. En juin 1213, Philippe-Auguste fait incendier la ville. L’année suivante, l’ost capétien ravage le plat pays avant de livrer la célèbre bataille de Bouvines. Mais cette fois, Lille est épargnée et sous le gouvernement des comtesses Jeanne et Marguerite qui en font leur résidence préférée, la ville se reconstruit.
11La prospérité retrouvée est interrompue au tournant des xiiie et xive siècles avec tout d’abord l’offensive de Philippe le Bel qui se conclut par le rattachement de la châtellenie de Lille au royaume de France en 1312. Ce premier transport de Lille à la France ne dure que quelques décennies. En 1369, Louis de Mâle, comte de Flandre, donne son unique fille en mariage à Philippe le Hardi, frère du roi de France, moyennant la rétrocession de la Flandre wallonne. La bannière de Flandre flotte à nouveau sur la ville.
12Ces péripéties politiques s’accompagnent de toute une série de malheurs avec le déclenchement de la guerre de Cent Ans et les ravages du plat pays en 1339, 1340 et 1346 par les Anglais. Deux autres calamités s’abattent sur la ville : la famine due à une succession de mauvaises récoltes, la peste bubonique aux conséquences dramatiques : à la fin du xive siècle, la population de la ville est réduite des deux tiers.
Lille, ville bourguignonne
13Au lendemain de la mort de Louis de Mâle en 1354, le comté de Flandre revient à son gendre Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, faisant de Lille une ville bourguignonne jusqu’en 1482. Ce siècle qui voit Lille devenir une des résidences préférées des ducs de Bourgogne est une période faste. Ils y installent la Chambre des Comptes chargée de gérer leurs possessions, font construire une nouvelle résidence, le palais Rihour, donnent des fêtes de toutes sortes. Les plus célèbres sont les deux chapitres de la Toison d’Or (1431, 1436), et surtout, en 1454, le Banquet du Faisan au cours duquel Philippe le Bon entouré de ses chevaliers annonce son projet de croisade pour reprendre Constantinople.
14La présence, même épisodique, de la cour ducale stimule l’économie. Trois secteurs bénéficient d’une réelle prospérité : le commerce de l’argent, la draperie et la tapisserie, l’industrie du lin. La croissance démographique est à nouveau à l’ordre du jour.
15La mort de Charles le Téméraire en 1477 change à nouveau le destin de la ville en faisant entrer par le jeu des successions le comté de Flandre dans le monde des Habsbourg. à l’abdication de Charles Quint, le comté de Flandre passe sous l’autorité de Philippe II, roi d’Espagne. Mais la Flandre dépendant du gouvernement de Bruxelles, Lille a peu de rapports avec les Espagnols.
L’Ancien Régime
Prospérité et troubles du xvie siècle
16« Lille est belle et riche ville… de grand nombre de grands marchands… Cette ville pour la marchandise et pour les arts qui s’y exercent est tenue après Anvers et Amsterdam pour la principale des Pays-Bas ». Ces quelques lignes extraites de La description des Pays Bas (1560) du Florentin Guichardin rend compte de la prospérité de la ville reposant essentiellement sur la croissance de la manufacture textile et en particulier de la sayetterie (étoffe légère de laine peignée) dont Lille se voit attribuer par Charles Quint le privilège au détriment des petites villes voisines. Plus de deux mille métiers battants font vivre une bonne partie de la population dont la croissance est remarquable en dépit de la peste qui frappe la ville à six reprises.
17La prospérité n’empêche pas le maintien voire le développement du paupérisme que le Magistrat tente de combattre en jetant les bases d’une politique d’assistance. Prenant exemple sur la ville d’Ypres, il fonde la Bourse commune des Pauvres chargée de venir en aide aux vrais pauvres. Les autres, ceux qui ne peuvent prétendre à l’assistance ou qui refusent de travailler, sont considérés comme de mauvais sujets qu’il faut chasser de la cité.
18Tout à sa description de la bonne santé économique de la ville, Guichardin en oublie de noter que Lille est une ville conviviale et festive où la sociabilité élit domicile dans les cabarets, refuge souvent de la violence.
Lille et les protestants
19Mai-juin 1533 : deux Lillois sont brûlés sur la place du Marché, plusieurs autres décapités. Leur crime : avoir adhéré au mouvement de critique de l’Eglise romaine initié par Luther. La répression n’empêche pas le protestantisme de prendre pied dans la ville où se développe une forte communauté calviniste connue sous le nom d’église de la Rose. Elle est bien vite réduite au silence par le Magistrat qui se voit reconnaitre le droit de poursuivre et de châtier les hérétiques. Quand les iconoclastes parcourent le plat pays en 1566 pour ravager les églises, la ville ne bouge pas et reste fidèle à l’église de Rome.
20Sa fidélité au catholicisme est cependant remise en cause par la politique de Philippe II et de son représentant le duc d’Albe. La présence de troupes logées chez l’habitant, l’annonce du sac d’Anvers en 1576 et surtout la levée de nouveaux impôts décident le Magistrat à rejoindre le soulèvement des Pays-Bas contre Philippe II. Mais, profondément catholique, inquiet de la progression du calvinisme, le Magistrat rejoint en 1559 les villes de Douai, d’Orchies et celles de l’Artois et du Hainaut pour conclure la paix d’Arras (17 mai 1579). Fidèle à l’Espagne, Lille l’est aussi au catholicisme. Elle le prouve en se livrant à une épuration drastique des milieux calvinistes ou soupçonnés de sympathie à l’égard des Réformés : 300 familles sont chassées de la ville en octobre 1579.
21Dans les années suivantes, les Lillois ont une nouvelle occasion de témoigner de leur fidélité à l’Espagne et au catholicisme en chassant les Hurlus, noms donnés à des bandes calvinistes, qui à plusieurs reprises lancent des coups de mains contre la ville. En 1582, leur dernière tentative pour s’emparer de la ville donnera naissance à la légende de Jeanne Maillotte, cabaretière de son état, prévenant les archers de la confrérie de Saint Sébastien et les menant au combat.
De la Joyeuse entrée des Archiducs espagnols au retour à la France
226 février 1600 : les Archiducs Albert et Isabelle, neveu et fille de Philippe II qui leur a accordé la gouvernance des Pays-Bas, font leur entrée dans Lille au milieu d’une foule en liesse qui espère en des jours meilleurs au lendemain d’une période troublée.
23Sous le gouvernement des Archiducs (1600-1633), la ville se transforme. Deux agrandissements, le premier en 1603-1604, le second en 1617-1622, lui font gagner une cinquantaine d’hectares. De nouvelles rues sont percées, des portes sont édifiées. L’équipement public se rénove et se complète avec en particulier la construction en 1652-1653 de la Bourse des Marchands qui au fil des temps subira de nombreuses modifications avant qu’une restauration contemporaine complète lui rende sa jeunesse et son harmonie.
24La ville ainsi transformée sans que la salubrité y gagne devient dans la première moitié du xviie siècle une citadelle du catholicisme tridentin. L’installation des Jésuites qui ouvrent leur collège en 1592 en est une des manifestations. Mais il en est bien d’autres : multiplication des couvents d’hommes et de femmes, d’écoles dominicales et catéchèse des enfants, multiplication des dévotions, consécration de la ville à la Vierge en 1634. Le catholicisme ainsi rénové met l’accent sur l’amour du prochain et l’obligation de venir en aide aux pauvres. On a pu parler pour cette période des « hautes eaux de la charité » dont témoignent le doublement du produit des quêtes de la Bourse des pauvres, les legs testamentaires et les fondations.
25Le temps des Archiducs qui s’achève en 1633, année où la ville repasse sous le gouvernement direct de l’Espagne, a souvent été regardé comme un Âge d’or pour la population. Il faut y regarder de plus près. La prospérité dissimule toujours beaucoup de misère. Aux effets de la peste qui fait plusieurs incursions dans la ville (1603-1604, 1617-1618, 1622-1627, 1635-1638) s’ajoutent ceux de plusieurs crises de subsistances (1607-1608, 1622-1627, 1630-1632).
26Avec l’entrée en guerre de la France contre l’Espagne en 1635, Lille se trouve à nouveau plongée au cœur des conflits européens pour plusieurs décennies. Sa position stratégique entre la France et l’Espagne la met en première ligne du conflit. Plusieurs fois menacée, Lille, fidèle à l’Espagne, accueille avec joie la paix des Pyrénées en 1659.
La conquête française
27Le temps des Espagnols est cependant compté. Le 20 mai 1667, prenant prétexte du non versement de la dot de 50 000 écus à son épouse l’infante Marie-Thérèse, Louis XIV réclame en compensation les Pays-Bas. Quelques jours plus tard, ses troupes entrent en Flandre. La campagne est très rapide. Après avoir pris Armentières, Charleroi, Tournai, les Français investissent Lille le 18 août. Le 27 août, la ville capitule. Habilement, Louis XIV lui accorde la conservation de ses privilèges, franchises, immunités et accepte de ne pas faire appliquer l’édit de Nantes. Le 28 août, il entre dans la ville et après avoir assisté au Te-Deum célébré dans la collégiale Saint-Pierre, il prête l’ancien serment des comtes de Flandre et reçoit en retour celui du Magistrat. Pour la seconde fois de son histoire, Lille redevient française.
Des Lillois d’abord méfiants
28Comme le montrent diverses chroniques du temps, les Lillois font preuve d’une certaine méfiance, voire d’une réelle hostilité envers les Français. Avec le temps, les relations se détendent. Les visites faites par le roi en 1670, 1671, 1677, accompagnées de fêtes somptueuses, sa politique hostile aux protestants, le choix de la ville pour y installer le siège de l’intendance de la Flandre wallonne, les faveurs consenties aux notables contribuent à dissiper les inquiétudes des Lillois. En faisant appel à des Lillois, dont le maître maçon Simon Vollant, pour construire la Citadelle ainsi que la porte de Paris et pour aménager le nouveau quartier Saint-André, gagné par un septième agrandissement, Vauban joue un rôle décisif dans cette politique de francisation de la ville.
Une fin de siècle difficile
29Avec la guerre de Succession d’Espagne (1702-1713), les Lillois subissent de nouvelles souffrances. La ville est occupée par les Hollandais d’octobre 1708 à avril 1713. Le chômage et la misère aggravés par le terrible hiver 1709-1710 font des ravages dans la population qui souffre aussi du prosélytisme protestant des occupants. La paix d’Utrecht est accueillie avec des manifestations d’allégresse. Le 13 juin 1713, quand les troupes françaises pénètrent dans la ville, leur chef, le maréchal de Montesquiou, est impressionné par l’accueil des Lillois qui, cinquante ans après le rattachement à la France, sont désormais bien français.
Au temps des Lumières
30Redevenue française, la ville est plus que jamais une place de négoce qui entretient un commerce florissant « non seulement avec les états voisins, mais aussi avec l’Espagne, le Portugal, l’Angleterre, l’Irlande, l’Italie, la Savoie et les Indes » (Expilly, Dictionnaire géographique des Gaules, 1762-1770). En revanche la décision prise en 1762 d’accorder aux villes et villages du plat pays le droit « de filer toutes sortes de matières et de fabriquer toutes sortes d’étoffes » entraîne la décadence de l’activité lainière. Mais d’autres activités, la filterie du lin, la filature du coton qui démarre dans les années 1770, la fabrication de la dentelle, la production du linge de maison… prennent le relais.
31Combien de Lillois au xviiie siècle ? Les dénombrements qui pourraient nous renseigner font défaut. Selon les évaluations, en 1789, la population oscillerait entre 58 000 et 66 000 habitants. Elle est traversée par de profonds écarts sociaux. Peu nombreuse et coupée de la réalité économique, la noblesse monopolise le Magistrat. La riche bourgeoisie des manufacturiers et des négociants, toute puissante au sein de la Chambre de commerce, est largement minoritaire dans le Magistrat alors qu’elle aspire à exercer un rôle dans le gouvernement de la ville. Viennent ensuite les artisans dont la situation est très variable et une abondante population ouvrière dont la condition se dégrade au cours du siècle. L’importance des écarts sociaux se reflète dans l’habitat. Les chefs de famille exemptés de la capitation, environ 20 000 en 1764, s’entassent dans les logements insalubres des paroisses Saint-Maurice, Saint-étienne, Saint-Sauveur. Le temps des courées, des caves et des chambres où l’on s’entasse à sept ou huit personnes est venu.
32Tout au long du siècle, l’équipement culturel de la ville se renforce avec ses deux collèges, collège de la ville et collège Saint-Pierre, de taille moyenne mais ouverts aux innovations pédagogiques du temps, avec une Académie des Arts composée d’une école publique et gratuite de dessin où enseignent Louis Watteau et son fils François, une école d’architecture et un cours de mathématiques, avec un cours de botanique et un cours d’accouchement. La librairie et l’imprimerie sont fort actives. En 1761, André Joseph Panckoucke publie une gazette, les Annonces, Affiches et avis divers pour les Pays-Bas français. Sa disparition en 1763 ne décourage pas le chevalier Paris de Lespinard de publier à partir de 1781 les Annonces, Affiches et Avis divers dont le tirage sous la dénomination de Feuilles de Flandres atteint le millier d’exemplaires en 1789.
33La ville possède aussi une salle de spectacles, rue de la Comédie, que Voltaire honore de sa présence le 25 avril 1741 pour la première représentation de Mahomet. La Société du Concert fondée en 1726 fait découvrir les grandes œuvres musicales du temps. Emmenant les Lillois vers des formes de sociabilité populaire, François Cottignies dit Brûle-Maison divertit le public populaire avec ses chansons tournant en dérision les corps de métiers, les cocus, les Tourquennois et les Flamands.
34L’intérêt des Lillois pour les choses de l’esprit ne doit cependant pas dissimuler leur peu d’intérêt pour les Lumières. Peu de souscripteurs à l’Encyclopédie, pas d’Académie. En revanche, la franc-maçonnerie prend ses quartiers dans la ville avec la création de plusieurs loges. Les membres de l’une d’elles fondent en 1784 le Collège des Philalètes. Ses membres, 40 au total, se réunissent chaque mois pour discuter de questions portant sur les sujets traités dans les grandes académies du temps. En 1788, ils sollicitent les lettres patentes leur permettant de constituer une Académie. La Révolution empêche cette transformation.
Lille et la Révolution 1789-1799
Premiers changements
35De passage à Lille en 1788, Arthur Young note dans son Journal que Lille « est une des villes les plus commerçantes et les plus industrielles de la France ». Cette prospérité est en trompe l’œil. L’industrie lilloise souffre de la concurrence des produits anglais favorisés par le traité de commerce de 1786. Les faillites se multiplient, le chômage accable la population, « le méchant hyver » 1788-1789 laisse prévoir de mauvaises récoltes et le prix des grains s’envole.
36C’est donc dans une conjoncture bien maussade que le Tiers état lillois se réunit et rédige le 21 mars son cahier de doléances. Son originalité réside dans l’offensive que la bourgeoisie d’affaires mène contre le Magistrat pour réclamer un changement des institutions lilloises à son profit. Les émeutes frumentaires du printemps 1789 qui culminent au lendemain de la nouvelle de la prise de la Bastille sont une belle occasion pour quelques bourgeois « amis de l’ordre » de se substituer au Magistrat incapable de mettre fin aux désordres. Les premières élections municipales de janvier 1790 consacrent leur triomphe en portant au pouvoir des édiles promettant de « se vouer au repos, à la sécurité et à la garde des propriétés des citoyens ». Pendant quelques mois la nouvelle municipalité connaît un véritable état de grâce auquel mettent fin la mise en application de la Constitution civile du clergé et les difficultés économiques persistantes. La Société des Amis de la Constitution exploite ce malaise pour appeler la population à se mobiliser contre les ennemis de la Révolution que sont les nobles et les membres du clergé qui refusent la Constitution civile. La tension monte dans la ville alors que les bruits de guerre se multiplient.
Lille a bien mérité de la Patrie
3720 avril 1792 : la France déclare la guerre au roi de Bohême et de Hongrie. à l’atmosphère de panique qui règne dans la ville au lendemain de l’échec des offensives déclenchées sur la frontière du Nord succède un sursaut civique pour défendre les acquis de la Révolution. Sous la conduite du maire André, les Lillois subissent du 29 septembre au 8 octobre 1792 un siège éprouvant. 700 maisons sont détruites, l’église Saint-étienne est incendiée… Mais Lille fait front et le 7 octobre, les troupes autrichiennes informées de la victoire française à Valmy se replient sur Tournai. La Convention nationale jusqu’alors méfiante à l’égard du civisme des Lillois vote à l’unanimité que Lille a bien mérité de la Patrie. Commence alors la construction d’un mythe conforté en 1845 par l’érection de la colonne de la Déesse et en 1892 par de grandes manifestations républicaines.
Du triomphe des sans-culottes à la stabilisation bourgeoise
38Une fois le danger éloigné, à nouveau les Lillois se divisent. Les modérés qui dominent la municipalité doivent composer avec la « Société populaire » qui voit le jour en novembre 1792. Soucieux de gagner la ville à la jeune République, ses membres dénoncent la tiédeur des élus et des différentes administrations. Avec le triomphe des Montagnards en mai-juin 1793, l’affrontement entre « modérés » et « avancés » tourne à l’avantage de ces deniers. En septembre 1793, les sans-culottes mettent la Terreur à l’ordre du jour. Les manifestations de déchristianisation se multiplient et connaissent une véritable apothéose avec l’organisation de la fête de la Régénération le 30 novembre 1793. Cet extrémisme révolutionnaire dure peu de temps. Et contrairement à Arras et Cambrai, Lille ignore les excès de la Terreur. La seule victime de la guillotine est un pauvre mouton utilisé pour s’assurer du bon fonctionnement de la machine.
39Des manifestations de joie accueillent la nouvelle de la chute de Robespierre. La bourgeoisie reprend rapidement le pouvoir. Négociants et manufacturiers sont à nouveau les maîtres de la municipalité. En août 1795, la Société populaire est dissoute. Lille en a fini avec la Révolution.
Contrastes du premier xixe siècle
La vie politique
40Au lendemain du coup d’état de Brumaire (18 et 19 brumaire an VIII-18 et 19 novembre 1799), les Lillois accueillent favorablement Bonaparte et ratifient à l’unanimité les trois plébiscites instaurant le Consulat (1800), puis le Consulat à vie (1802) et enfin l’Empire (1804). En rétablissant la paix religieuse (Concordat de 1801), la paix civile (possibilité pour les émigrés de rentrer en France), en signant la paix d’Amiens avec les Anglais (1802), en faisant de la ville la préfecture du département au détriment de Douai (1804), Bonaparte gagne le cœur des Lillois. Mais, les années passant, le désenchantement s’installe dans la population. Le Premier Consul avait su gagner les cœurs, l’Empereur les perd. Que reprochent les Lillois à Napoléon ? Les entraves apportées au commerce avec le Blocus continental, l’augmentation de la fiscalité indirecte avec l’établissement d’un impôt sur le sel rappelant de mauvais souvenirs et surtout la conscription. La crise économique des années 1810-1811, la mauvaise récolte de blé de 1811, l’augmentation du prix du pain et le mauvais hiver 1811-1812 se conjuguent pour rendre l’Empire encore plus impopulaire. L’abdication de 1814 est accueillie avec joie. Le retour de l’île d’Elbe ne soulève guère l’enthousiasme de la population et la défaite de Waterloo (18 juin 1815) réjouit les Lillois heureux de retrouver la paix, une paix dont ils attendent pour les uns la reprise des affaires, pour d’autres le retour des soldats démobilisés.
41Le retour des Bourbons donne lieu à des manifestations d’allégresse. De 1815 à 1830, la municipalité multiplie les manifestations d’allégeance à Louis XVIII, puis Charles X. Est-ce à dire que Lille bascule dans le camp de l’ultra-royalisme ? Il n’en est rien. Les Lillois sont attentifs. Le comportement des ultras suscite la naissance d’une opposition libérale qui l’emporte aux élections de 1828. Le scrutin organisé au lendemain de la dissolution de la Chambre par Polignac est un nouveau succès pour les libéraux partisans de la Charte et hostiles à la monarchie soupçonnée de vouloir en revenir à l’Ancien Régime. Aussi la révolution de juillet 1830 est-elle favorablement accueillie par la bourgeoisie qui va confisquer à son profit l’administration municipale pendant les dix-huit années de la Monarchie de Juillet.
42Si la vie politique peut paraitre bien calme sous Louis-Philippe, une réalité d’avenir se manifeste avec la naissance d’un mouvement républicain. Adolphe Alexandre Bianchi en est la figure emblématique. Dans son journal, Le Messager du Nord, publié à partir de 1844, il dénonce la corruption du ministère Guizot et promeut l’idée d’une démocratie sociale, ce qui lui vaut de nombreux procès.
43Si l’annonce des journées de février 1848 et de l’abdication de Louis-Philippe surprend les Lillois, Lille connait d’abord l’union sacrée. Les représentants des milieux d’affaires et des diverses confessions religieuses se félicitent de l’avènement de la République et se retrouvent avec les présidents des clubs républicains et socialistes pour planter un arbre de la Liberté le 9 avril 1848.
44Mais la crise économique, le chômage et l’agitation ouvrière font voler en éclats l’union sacrée au lendemain des journées de juin 1848. L’espoir d’une République émancipatrice défendu par Bianchi et Testelin se dissipe. Les modérés dont le mot d’ordre tient en deux mots, ordre et économie, approuvent les mesures prises contre les clubs et les journaux démocrates.
45Le coup d’état du 2 décembre 1851 est accueilli dans le calme et personne ne réagit lors des saisies du Messager. Lille serait-elle ralliée au prince-président ? En donnant 11 530 des 13 917 non du département au plébiscite du 21 décembre 1851, Lille apporte un cinglant démenti.
Naissance d’un grand foyer industriel
46Ralentie par la crise révolutionnaire, la vie économique, une fois la paix retrouvée, reprend rapidement et connaît une réelle accélération. En quelques décennies, la ville devient un puissant foyer industriel consacré au textile. Délaissant la laine, chasse gardée de Roubaix et de Tourcoing, les Lillois se spécialisent dans la filature du lin et du coton. En 1850, plus de 25 000 ouvriers et ouvrières, soit 85 % de la main d’œuvre, gagnent leur vie dans les fileteries et les filatures. Deux mondes s’opposent : d’un côté, le coton modernisé par un patronat manufacturier dynamique adoptant très tôt la machine à vapeur et les métiers mécaniques ; de l’autre, le lin avec ses petites unités de production disséminées dans les caves et les chambres et fidèles aux techniques du passé.
Un espace immobile, insalubre, menacé d’asphyxie
47Si la vitalité économique est réelle, la ville ne bouge guère. 52 324 habitants y sont confinés sur ses 411 ha en 1800. Ils sont 74 430 en 1850. Sa croissance démographique, 18 %, est bien médiocre comparée à celles de Roubaix, 322 %, et de Tourcoing, 155 %. Septième ville de France en 1800, Lille rétrograde à la huitième place en 1840. La topographie urbaine bouge peu. Il faut attendre la Monarchie de Juillet pour que les édiles, soucieux du prestige de leur cité, développent un timide programme de constructions avec la réalisation d’un Hôtel de Ville, d’un Hôtel des Archives, d’une Halle au blé sous la direction de l’architecte César Benvignat, auteur aussi de la Colonne de la Déesse. Rien de très original dans son œuvre qui fait dire à un contemporain : « Des millions de briques qui auraient dû s’écrouler sous les rires de la population ».
48Si l’Ancien Régime s’était efforcé d’améliorer le cadre de vie des habitants, les municipalités qui se succèdent de 1800 à 1850 regardent ailleurs et ne tiennent pas compte des avis du corps médical. L’insalubrité causée par l’humidité du site marécageux, par les multiples canaux, véritables égouts à ciel ouvert, par l’incurie du service de voirie, règne dans la ville. Elle est à son comble dans les quartiers populaires de Saint-Maurice et de Saint-Sauveur. En 1832, en 1839 et en 1848, le choléra y fait des ravages et les caves de Lille que Victor Hugo dénonce en 1851 paient un lourd tribut à la mort.
49Autour de la ville, au-delà des remparts, un nouveau monde éclot. Dans les villages de Fives, de Wazemmes et de Moulins, les espaces libres sont occupés par les manufactures textiles et par de sordides habitations peuplées de prolétaires arrivant en masse de la Belgique voisine. Encerclée par une banlieue dynamique qui risque d’absorber ses forces vives, Lille s’inquiète. De leur côté, les communes sœurs se plaignent des servitudes militaires qui gênent leur développement tout en souhaitant la protection de solides remparts. L’idée d’un nouvel agrandissement est à l’ordre du jour.
La vie culturelle
Le commerce envahit tout jusqu’à la mansarde,
La poésie a peur d’y venir s’y loger,
C’est toujours à regret qu’elle s’y hasarde.
51Ces quelques vers du poète César Faucompret en donnent une image bien négative. Lille n’a pas de facultés, pas de lycée. Son collège communal ne devient royal qu’en 1830, et encore n’est-il que de 3e classe. La ville cependant ne baisse pas les bras. Sous l’impulsion de la Société des Sciences, de l’Agriculture et des Arts s’ouvrent des cours de botanique, de chimie, de dessin linéaire répondant aux besoins de l’industrie. La musique et le théâtre connaissent un grand succès. Lille se passionne pour l’opéra. On y donne la première représentation française du Freischutz de Weber, de la Dame de Pique de Boieldieu. La scène lilloise accueille des artistes réputés comme la Malibran qui, le 24 septembre 1832, y interprète les variations de la Cenerentola. D’autres initiatives méritent d’être signalées : un festival de musique attirant chaque année de nombreux spectateurs, la parution d’une revue la Revue du Nord (1833). Au total, Lille n’est pas pendant cette période un désert culturel.
Lille capitale provinciale 1850-1914
Un nouveau paysage urbain
52Le 13 octobre 1858, les partisans de l’agrandissement de la ville obtiennent satisfaction : les communes de Wazemmes, Esquermes, Moulins et Fives sont supprimées et rattachées à Lille. La superficie de la ville passe de 411 hectares à 2 110 hectares. Cet agrandissement s’accompagne d’un profond travail de restructuration et d’assainissement de la ville. Selon le modèle haussmanien, de grandes avenues rectilignes sont ouvertes sur les terrains récupérés par la destruction des anciennes fortifications. Elles accueillent de vastes hôtels particuliers occupés par les chefs d’industrie. Le paysage de la vieille ville change aussi avec l’aménagement d’une percée entre la gare de voyageurs et la place du Théâtre. Des travaux d’assainissement sont menés pour faire disparaître les canaux, véritables égouts à ciel ouvert. Les voies publiques sont pavées et munies de l’éclairage au gaz. Des bâtiments publics sont édifiés : palais des Beaux-Arts, facultés des Lettres, de Droit qui quittent Douai, facultés de Médecine, des Sciences, écoles primaires publiques appelées palais scolaires par l’opposition cléricale. Avec cet agrandissement, le petit peuple lillois était en droit d’attendre une amélioration sensible des conditions de vie. Il n’en est rien. à la veille de la Première Guerre, les courées de Saint-Sauveur n’ont pas disparu et à Wazemmes les ouvriers venus chercher du travail dans la capitale des Flandres s’entassent dans des logements sordides.
Prospérité et inégalités
53Le plan représentant Lille en 1900 avec ses monuments et ses usines en perspective cavalière donne à lire la prospérité d’une ville s’affirmant comme un des grands, sinon le plus grand centre de l’industrie textile au moins dans la filature du coton, où travaillent plus 15 000 ouvriers en 1900. Sa prospérité ne doit pas faire oublier d’autres activités en plein essor : la métallurgie de transformation avec en particulier la Compagnie de Fives-Lille, la chimie, la confection, la brasserie.
54Dans cette ville d’ateliers et d’usines règne une profonde inégalité sociale : 9 % des habitants réunissant industriels, négociants, propriétaires-rentiers, membres des professions libérales et hauts fonctionnaires accumulent près de 91 % des patrimoines. Les classes moyennes réunissant artisans, fonctionnaires, petits commerçants soit 27 % de la population détiennent 9,3 % de la richesse lilloise. Enfin il y a les 64 % des Lillois qui n’en possèdent que 0,9 %. L’inégalité sociale est en 1914 le trait fondamental de la société lilloise.
Les affrontements politiques
55Si l’accueil réservé à Napoléon III venu visiter Lille en 1853 et en 1867 peut laisser croire au ralliement des Lillois au bonapartisme, il n’en est rien. Sous le Second Empire, Lille est un haut lieu de l’opposition républicaine avec les Legrand père et fils (Pierre et Géry), avec Gustave Masure, fondateur du Progrès du Nord. Et lors du dernier plébiscite de l’Empire, le 8 mai 1870, les non l’emportent largement.
56Bastion de la défense républicaine pendant la guerre de 1870, Lille se montre encore à la pointe du combat républicain lors de la crise de mai 1877. C’est à Lille que Gambetta prononce son célèbre discours enjoignant à Mac-Mahon qui vient de prendre parti pour la monarchie de se soumettre ou de se démettre quand les urnes auront parlé.
57Mais ce qui marque la vie politique au cours de cette période, c’est la montée dans la décennie 1880 d’un puissant mouvement socialiste dirigé par Gustave Delory qui s’empare de la mairie en 1896 mettant ainsi fin à vingt années de domination des républicains modérés. Est alors développée une politique de socialisme municipal – aide aux vieillards, créations de crèches, de cantines solaires, consultations juridiques gratuites, dégrèvements des denrées de première nécessité – profitant aux classes populaires. Cette expérience se termine en 1904. Une nouvelle majorité rassemblant notables modérés et radicaux hostiles au collectivisme l’emporte aux élections. L’élan socialiste est loin d’être brisé, comme l’avenir le montrera.
D’une guerre à l’autre : 1914-1945
Quatre années de souffrance 1914-1918
583 octobre 1914 : des cavaliers allemands sont signalés aux portes de la ville. Au terme de plusieurs journées de résistance héroïque sous le feu de l’artillerie allemande, Lille doit capituler le 13 octobre. Pendant 1 465 jours, les Lillois subissent un véritable calvaire. Obligés de vivre à l’heure allemande, privés de tout contact avec l’extérieur, réquisitionnés pour des corvées ponctuelles puis des travaux permanents, les Lillois connaissent la faim et le froid. Bravant l’ennemi, nombre d’hommes et de femmes, Louise de Bettignies, Léon Trulin et plusieurs de ses amis, Eugène Jacquet, Ernest Deconninck… vont se lever contre l’occupant. Quand les troupes anglaises pénètrent dans Lille le 17 octobre 1918, le bilan des quatre années d’occupation est très lourd. Lille est une ville qui « ressemble à une ville morte à l’extrémité d’un désert ».
L’entre-deux-guerres
59Revenus aux affaires, les socialistes, conduits d’abord par Gustave Delory, puis par Roger Salengro, entreprennent de restructurer la ville. En dépit de la grande crise économique de 1929, la ville est un véritable chantier : construction d’un nouvel Hôtel de ville, aménagement des bâtiments de la Foire commerciale, développement d’une Cité hospitalière, construction de logements sociaux, d’écoles, de résidences universitaires, création d’espaces verts. Le bilan est impressionnant. Roger Salengro n’en verra pas la fin. Ministre du Front populaire, objet d’une ignominieuse campagne de calomnies, il se suicide le 17 novembre 1936.
60Dans la ville ainsi transformée, les Lillois marqués par l’occupation ont faim de distractions. C’est tout d’abord le cinéma qui conquiert la ville et en particulier la rue de Béthune. C’est aussi le sport spectacle avec les combats de boxe, le cyclisme et surtout le football avec ses deux équipes phares, l’Olympique lillois et le Sporting club fivois. En 1927, Radio PTT Nord s’implante dans la ville et les Lillois peuvent écouter les deux comédiens patoisants, Line Dariel et Simons, mais aussi des concerts de musique classique.
1940-1945 : une nouvelle épreuve
61Avec l’entrée des Allemands dans la ville le 31 mai 1940, Lille est de nouveau occupée. Comme en 14/18, pillages, réquisitions, spoliations, violences, arrestations d’otages se multiplient. Mais les Lillois ne baissent pas les bras et la ville devient un haut lieu de la résistance à l’occupant. Des réseaux se constituent, tel celui de La Voix du Nord, pour éditer des journaux clandestins, pour cacher des aviateurs alliés, pour se livrer à des actions de sabotage. Leurs membres traqués par la Gestapo sont nombreux à tomber sous les balles des pelotons d’exécution ou à être déportés. La ville est aussi l’objet dans les mois qui précèdent le débarquement allié de bombardements meurtriers. Le 5 septembre 1944, ce sont de nouveau des troupes anglaises qui entrent dans la ville. Le 1er octobre, les Lillois se massent sur la place de la République pour acclamer le général de Gaulle. Une nouvelle période s’ouvre.
De 1945 à l’aube du xxie siècle.
Deux fortes personnalités politiques
62Si de 1945 à 1955, la ville est aux mains des gaullistes, Lille est au cours de la seconde moitié du xxe siècle une place forte du socialisme municipal avec deux fortes personnalités, Augustin Laurent de 1955 à 1973, puis Pierre Mauroy de 1973 à 2001, pour l’incarner.
63Né en 1896, fils de mineur, mineur lui-même, Augustin Laurent entre en politique à l’âge de 16 ans. Très vite repéré au sein de la SFIO pour ses qualités d’organisateur, conseiller général en 1931, puis député en 1936, il entre en résistance au sein du réseau L’Homme Libre qu’il contribue à fonder. Au lendemain de la guerre, ministre dans le premier gouvernement provisoire de de Gaulle, député, président du Conseil général du Nord, il devient maire de Lille en 1955 au prix d’une alliance avec la droite reconduite à deux reprises. En 1971, la donne change et les socialistes doivent leur succès au désistement des communistes. C’en est fini de l’alliance avec la droite. Commence le temps de l’union à gauche.
64Au lendemain de ce scrutin, Augustin Laurent annonce son intention de se retirer. C’est chose faite en 1973 avec le passage de flambeau à Pierre Mauroy, élu maire à l’unanimité.
65Né en 1928, Pierre Mauroy est un inconnu pour les Lillois. Jeune enseignant, il entre à la SFIO et fonde la fédération Léo Lagrange appelée à devenir un puissant instrument d’éducation populaire. élu conseiller général du canton du Cateau, il ambitionne de devenir maire du Cateau quand Augustin Laurent l’appelle à ses côtés pour mener la bataille des municipales de 1971. Il faut peu de temps à Pierre Mauroy pour gagner le cœur des Lillois. à la tête de listes rajeunies, féminisées, intégrant aux côtés des socialistes des radicaux, des personnalités et des communistes, Pierre Mauroy est réélu à cinq reprises. En 2001, la gauche plurielle l’emporte à nouveau.
De profondes mutations économiques
66La prospérité retrouvée des industries textiles et métallurgiques dans les années 1950-1970 ne résiste pas à la crise des années quatre-vingt. En quelques années, 40 000 emplois industriels sont perdus. Lille surmonte les difficultés en faisant le pari du tertiaire. à l’aube des années 2000, Lille n’est plus une ville d’ateliers et d’usines mais une cité de bureaux et de services. Cette reconversion est à mettre au compte des dirigeants économiques bénéficiant de l’appui efficace d’Augustin Laurent et de Pierre Mauroy. Au premier, on doit la naissance de la Communauté urbaine (1967) devenue Lille-Métropole en 1997. Son successeur s’est battu pour boucler le dossier du tunnel sous la Manche et pour obtenir que les TGV transmanche et européens se croisent à Lille dans la gare Lille-Europe (1997). Au seuil du xxie siècle, Lille acquiert ainsi une vocation de carrefour international.
Une ville transformée
67Sous les majorats d’Augustin Laurent et de Pierre Mauroy, la rénovation du quartier Saint-Sauveur, la destruction de grands ensembles dégradés à Wazemmes, à Moulins-Lille, la construction d’équipements collectifs, la restauration de monuments anciens, la création d’un nouveau quartier autour de Lille-Europe, l’installation de monuments, de fresques et de sculptures dans les rues, les squares et les places transforment la ville qui mérite le label de « ville touristique » en 2000.
68Dans la ville ainsi transformée, la culture occupe désormais une place de choix. La ville avec l’aide de l’état, de la région et du département mais aussi de mécènes privés comble son retard en matière d’équipements, ce qui a incontestablement pesé dans sa désignation avec Gênes comme capitale de la culture européenne pour l’année 2004.
L’entrée dans le xxie siècle
69Depuis 2001, Lille a un nouveau maire et pour la première fois de son histoire c’est une femme : Martine Aubry, que Pierre Mauroy avait fait venir de Paris en 1994. Elle est réélue en 2008 et en 2014.
70Avec les opérations Lille 2004, Lille 3000 déclinée en plusieurs phases, l’entrée de la ville dans le xxie siècle est marquée par une profonde modification de son visage à l’étranger. En témoignent les nombreux articles parus dans des journaux anglophones ne tarissant pas d’éloges sur la capitale des Flandres, le flot de touristes attirés des manifestations comme Lille Fantastic en 2012 avec deux millions de visiteurs.
71Sous l’impulsion de Martine Aubry, la ville a créé le dispositif « Lille, ville de la solidarité », a initié un programme de partage de l’espace public entre voitures, piétons, cyclistes. Dans le droit fil de la politique menée par ses prédécesseurs, Martine Aubry a aussi engagé un processus d’aménagement de l’espace urbain à Lille-Sud et sur l’emplacement de l’espace Saint-Sauveur.
Bibliographie
- - Alexandre de SAINT-LÈGER, Histoire de Lille des origines à nos jours, Lille, Raoust, 1942 (réédition en 2019).
- - Louis TRéNARD, (dir), Histoire de Lille (nombreux collaborateurs). Tome I, Giard, 1966 - tome II, Toulouse, Privat, 1981 - tome III, Toulouse, Privat, 1991-tome IV, Y.-M. HILAIRE co-directeur, Paris, Perrin, 1982.
- - Alain GéRARD, Les Grandes Heures de Lille, Paris, Perrin, 1991.
- - Philippe MARCHAND (dir.), Lille d’un Millénaire à l’autre, Paris, Fayard, 1999.
- - Philippe MARCHAND, Histoire de Lille, Paris, Gisserot, 2003.
- - Alain LOTTIN, Lille d’Isla à Lille-Métropole, Lille, La Voix du Nord, 2003.