Notes
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[1]
— Conseiller pour le livre et la lecture à la Direction Régionale des Affaires Culturelles des Hauts-de-France (DRAC).
-
[2]
— Cité dans le mémoire d’Anne-Marie Chaintreau, La Légende des bibliothécaires, bibliothèques et écrivains, ENSSIB 1976.
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[3]
— L’État a classé entre 1931 et 1972 54 bibliothèques municipales principalement en raison de l’importance des fonds conservés. Dans les Hauts-de-France, 7 bibliothèques sont classées : Lille, Amiens, Compiègne, Valenciennes, Douai, Cambrai, Roubaix, Boulogne-sur-Mer. Mais d’importantes bibliothèques n’ont pas été classées : Saint-Omer ou Arras par exemple. Roubaix a été classé en 1972 pour des raisons différentes.
-
[4]
— En 1847, un rapport parle d’« un amas de livres dépareillés qui ne sera pas plus une bibliothèque qu’un amas de briques n’est un palais ».
-
[5]
— Elle a subi en 2015 une cure de jouvence qui l’a transformée en une Grand Plage, une médiathèque à la page du xxie siècle !
-
[6]
— Citons le numéro consacré à Louis Decottignies, poète-ouvrier roubaisien.
-
[7]
— Les 343 titres référencés comportant souvent une présentation et l’histoire du titre sont disponibles sur le portail www://presselocaleancienne-hdf.fr.
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[8]
— Il date d’avril 1997. C’est curieusement le seul qui soit signé de Bernard Grelle, les autres jusqu’en 2003 sont de sa plume mais non signés. Roland Cuvelier est décédé en 2010. On trouve quelques-uns de ces dessins sur divers sites.
-
[9]
— Il y a non seulement des livres et des imprimés, mais aussi des disques, des diapositives, des cassettes, des vidéocassettes, etc. Et c’est pourquoi nous l’appelons maintenant médiathèque. Exergue de Médiathèques publiques, n°49, 1979.
-
[10]
— Médiathèques publiques, n°49, janvier-mars 1979.
-
[11]
— La création des communautés de communes ou communautés d’agglomérations ne date que de la toute fin des années 90. Leur développement, et celui de réseaux de lecture publique intercommunaux, obligent aujourd’hui les BCP devenues BDP à une redéfinition de leur mission. Comme si les sectoristes avaient eu raison trop tôt !
-
[12]
— Je fus moi-même témoin d’une rencontre à Lille en 1983 entre Jean Le Garrec, député du Cambrésis, sensible aux thèses de Michel Bouvy, et à ce moment ministre, et Louis Yvert, venu tout exprès de Paris, pour le dissuader d’empêcher le développement de la BCP du Nord qui venait d’être créée.
-
[13]
— Médiathèques publiques, n°42, 1977.
-
[14]
— Louis Seguin.
-
[15]
— URDLA, Villeurbanne, 2001.
-
[16]
— Béatrice Seguin, Valentine Hugo : écrits et entretiens radiophoniques, Actes Sud, 2002.
-
[17]
— Béatrice Seguin, Le Théâtre du hareng saur : le monologue selon Charles Cros et Coquelin Cadet, anthologies de monologues, éditions La Fontaine, 2009.
-
[18]
— Dans la première des Cinq Grandes Odes.
1Un chignon, une robe à fleurs, revêche comme de la toile émeri, ne le niez pas, ça ressemble au portrait robot de la bibliothécaire. Des binocles, des manches de lustrine, un tablier hors d’âge et aussi bourru qu’elle, voilà pour lui. Dans l’imaginaire commun comme dans la littérature, le ou la bibliothécaire est un être souvent mystérieux, aux prises avec des cordillères livresques, des océans de papier dont il émerge comme par miracle. On peut considérer qu’exercer un tel métier relève de l’apostolat, du sacrifice ou a contrario qu’il permet aux misanthropes de trouver un lieu protégé où ils peuvent cultiver à loisir, tout en époussetant de vieilles reliures, leur haine du lecteur. Voilà pour le caractère. Mais qu’en est-il de leurs compétences ? Ça n’est guère plus reluisant. Est doctor inter bibliothecarios, sed bibliothecarius inter doctores, dit-on du bibliothécaire de Côme III, grand duc de Toscane. Andersen confirme le trait : « Des problèmes d’argent le tourmentaient à l’époque… il posa sa candidature à la Bibliothèque Royale où on lui dit sans mentir qu’il avait bien trop de talent pour un tel poste [2] ».
2On en conviendra, parler des bibliothécaires dans une revue de critique littéraire risquerait bien de ressembler à un chemin de croix. Heureusement nord’ est une revue ancrée dans son terroir, ce qui permet de dépasser le stéréotype. Grâce à quelques-uns de ceux qui ont marqué l’histoire bibliothéconomique de notre région. Il convient illico de confesser les lacunes de notre travail. On eût aimé, sinon un panorama exhaustif des grandes figures, à tout le moins une sorte de carottage des strates historiques. Mais non, la place, le temps nous manquaient. Il s’agira donc plutôt ici d’une sorte de divagation poétique au gré des rencontres ou d’épisodes professionnels, et, le plus souvent, d’admirations pour des personnalités passionnées et des combats opiniâtres.
La lente émergence des bibliothèques
3Il faut dire qu’il ne serait guère aisé d’évoquer les figures de bibliothécaires du xviiie ou du xixe, voire du premier xxe. Sur nos territoires, comme partout ailleurs dans les provinces françaises, les bibliothèques de ces époques sont rares, peu décrites.
4Jusqu’à la Révolution et à ses trois vagues de confiscations révolutionnaires. Elles vont amener dans des dépôts – ils deviendront pour la plupart nos bibliothèques classées [3] – des millions de livres. Peu à peu, les villes organiseront comme elles le peuvent ce gigantesque bric-à-brac [4]. Des générations de bibliothécaires se succéderont pour gérer tant bien que mal et dans une indifférence presque totale, ces collections aujourd’hui souvent inestimables. Et c’est la « société civile », associations et syndicats, qui va se retrouver en première ligne pour promouvoir en cette fin du xixe où la lecture devient une passion partagée dans toutes les classes sociales, un lieu plus accueillant et des collections plus accessibles. Jean Macé écrit :
Le complément de l’école primaire, c’est la bibliothèque populaire. La première est la clef, mais l’autre est la maison. Avoir la clef sans la maison, on ne peut pas appeler cela être logé.
6Quelques bibliothécaires intrépides et précurseurs rejoignent ce combat. Et notamment Eugène Morel, bibliothécaire et écrivain qui, revenant d’un voyage aux États-Unis, écrit, parlant des bibliothèques qu’il y a vues :
Cet organe nouveau de la société moderne fonctionne actuellement dans toute cité des États-Unis ou de l’Angleterre capable d’entretenir une église et une école. Nous ne le connaissons pas en France et n’avons rien qui le remplace. Nous n’avons pas eu à inventer de mot pour désigner ce rouage essentiel de la civilisation anglo-saxonne. Son nom est français, et nous l’écrirons en français : librairie publique.
8Si le nom proposé par Morel n’est pas resté, la lecture publique, elle, était née. Et c’est au bord des champs de bataille de l’Aisne qu’elle va faire ses premières armes. Grâce au Comité américain pour les régions dévastées (CARD) qui fait arriver en 1919 dans ces champs de ruines, de pimpants bibliobus newyorkais accompagnés de quelques bibliothécaires yankees. La jonction avec les conservateurs modernistes s’opéra et la conquête put commencer. Une conquête des esprits d’abord, ceux des gouvernants. Elle fut lente, connut quelques heures glorieuses sous le Front Populaire, en 1945 également, mais n’atteint son but qu’à partir des années 60 jusqu’à ce que Georges Pompidou déclare en 1966 : « En matière de lecture publique, tout est à faire et je m’y emploierai». Et depuis, surtout à partir des années 80, pas un mois ne passe sans que l’on annonce quelque part en France la création d’une nouvelle médiathèque. Elles portent désormais des noms enchanteurs : L’Escale, la Rose des Vents, la Grand Plage, L’Odyssée, l’Octogone… et les bibliothécaires d’aujourd’hui, même si elles ou ils ont parfois un chignon ou des lunettes, ont aussi fait leur révolution et se veulent avant tout des médiateurs, des passeurs.
Roubaix ou l’invention du patrimoine
9La toile de fond étant désormais dressée, il n’est que temps de plonger dans notre sujet. Prenons par exemple la bibliothèque de Roubaix. Celle-ci connut un sort étrange. Créée par la commune en 1856, elle fut donnée en 1890 à l’École nationale supérieure des arts et industries textiles pour obtenir de l’État la création de cette école. La municipalité recréa bien une bibliothèque publique dans les années 30 mais ce n’est qu’en 1979 que sera inaugurée la grande bibliothèque telle que nous la connaissons [5] aujourd’hui. Trois conservateurs s’y sont succédé. Anne-Marie Bertrand l’avait ouverte, puis très vite c’est Bernard Grelle qui la géra jusqu’en 2003, avant de laisser la place à Esther de Climmer. De cette bibliothèque sans patrimoine ou presque, Bernard Grelle n’eut de cesse que de la rétablir aussi dans cette fonction, parvenant même à récupérer les fonds partis à l’ENSAIT. Sans méconnaître son rôle social, il voulut qu’elle puisse être ce point de passage entre le patrimoine, les traditions, l’histoire et la ville d’aujourd’hui. Bernard Grelle avait publié en 1975 aux éditions Syros un travail universitaire sur l’histoire de la naissance de la fédération du Nord du Parti Socialiste Unifié (PSU). C’est d’ailleurs grâce à ce travail qu’on dispose aujourd’hui d’un fonds d’archives de militants, acteurs de cette période féconde et agitée. Arrivé à la tête de la bibliothèque de Roubaix après un séjour en Guadeloupe où il s’efforça d’aider à la publication d’ouvrages en créole, ainsi que de livres pour enfants parlant de la réalité antillaise, il ouvrit de multiples fronts. La musique par exemple, en constituant peu à peu une discothèque de référence, faisant la part belle aux musiciens régionaux et notamment roubaisiens. Mais la curiosité de Bernard Grelle n’a pas de borne ! Il lance Au vrai Polichinelle roubaisien, revue consacrée à la tradition de la marionnette populaire, les Cahiers roubaisiens [6] et consacre un catalogue à l’histoire de la presse roubaisienne [7]. Il est aussi le créateur de ces fameux fonds de poche, mini-expositions de documents patrimoniaux accompagnées d’une « feuille-catalogue », qui durent aujourd’hui depuis plus de 20 ans et dont l’incroyable diversité des thèmes abordés montre la pertinence de la politique menée. On cherche en vain dans les textes de présentation une expression personnelle de l’auteur. Bernard Grelle cultive la distanciation, s’efface constamment devant le sujet. Pourtant çà et là, on parvient à le débusquer. Par exemple quand il est question du dessinateur Roland Cuvelier qui fit notamment les beaux jours de La Voix du Nord. Le fonds de poche n°21 [8] est consacré à Cuvelier, illustrateur de Van der Meersch. Bernard Grelle note que
le dessin tout rond de Cuvelier semble de prime abord mal s’accorder à l’œuvre de Van der Meersch […]. Mais quelle vue d’ensemble et comme l’atmosphère est bien rendue… Les amateurs y liront le roman presque entièrement. Les autres illustrateurs peuvent avoir plus de force, plus d’expression brutale. Aucun ne réussit en un seul dessin à mettre toute l’œuvre sous les yeux des lecteurs.
11Dans un autre fonds consacré cette fois au poète chansonnier patoisant Bodart-Timal, il prend la défense de ce patois :
Longtemps on a cru que cette langue du peuple n’était faite que de vulgarités et de barbarismes. En vérité notre patois, relevant du dialecte picard, n’est que la langue que parlaient nos ancêtres. Ses expressions ont une saveur, une image, que ne saurait refléter une langue ordinaire.
Cambrai et la médiathèque de secteur
13D’un patois à l’autre, d’une cité textile du xixe à une autre de la fin du Moyen Âge, de Roubaix à Cambrai, l’histoire qu’on veut conter maintenant apparaît un peu comme le contraire de l’histoire roubaisienne. Cette fois, c’est d’une bibliothèque patrimoniale particulièrement riche que son directeur va partir pour la transformer en un exemple national de ce qu’il appelle la médiathèque et dont Cambrai peut s’enorgueillir d’avoir abrité la première du genre. Il s’appelle Michel Bouvy. Il arrive en 1963 et doit gérer bibliothèque et musée. Il va délaisser le musée pour lequel la ville n’envisage aucun projet pour se consacrer à la bibliothèque. Il fait partie d’un petit groupe de professionnels qui veulent renouer avec Eugène Morel, promouvant à la fois un nouveau type de bibliothèque, la médiathèque donc – qui offre des supports variés [9], dispose d’une salle où projeter, présenter de petits spectacles – et aussi leur maillage sur le territoire. Ils baptisent ce second aspect de leur projet du nom de bibliothèque de secteur :
Il ne doit pas y avoir une lecture publique urbaine et une bibliothèque publique rurale. Tous les citoyens quel que soit leur âge, leur situation sociale ou familiale, leur lieu de travail, de repos, de loisir, leur niveau de culture générale, doivent avoir un accès aux livres et autres moyens de formation et de distraction dans les mêmes conditions, avec les mêmes facilités [10].
15La bibliothèque de secteur, c’est donc autour d’une bibliothèque centrale (celle de la ville centre), un réseau d’annexes et de bibliobus desservant entre 70 000 et 150 000 habitants.
16Cette conception d’un réseau très structuré se heurte à d’importantes difficultés. D’une part, il n’y a pas à l’époque de cadre institutionnel [11] qui permette à des collectivités de s’associer pour créer un tel réseau qui devrait donc reposer sur les moyens de l’État. Mais celui-ci n’a pas les moyens de lancer ce vaste projet. Il a certes créé en 1945 des bibliothèques centrales de prêt (les BCP), autrement dit les fameux bibliobus qui desservent, à partir du chef-lieu de département, les communes qui ne disposent pas de bibliothèques, c’est-à-dire dans ces années presque toutes. Le bibliobus passe ainsi une ou deux fois dans l’année, s’arrête quelques heures… et repart ! L’efficacité d’un tel système est assez limitée et Michel Bouvy et les sectoristes demandent son abandon au profit de leur modèle. Les directeurs des BCP et surtout l’administration centrale qui les gère vont le défendre becs et ongles. On n’imagine pas aujourd’hui la violence du combat qui parcourt alors la profession. Louis Yvert, le principal représentant du courant « BCPiste » dénonce ainsi en 1985 le national-sectorisme de Michel Bouvy. Les sectoristes lui répliquent, le traitant de crypto-communaliste. Les sectoristes avaient en 1975 obtenu le ralliement du Parti socialiste à leur thèse. Mais en 1982, parvenu au pouvoir et sur fond de décentralisation, ce dernier abandonnera la bibliothèque de secteur [12].
17C’est dans la revue Médiathèques publiques que Michel Bouvy et ses amis diffusent les analyses de leur courant. Il y signe de nombreuses réflexions qui témoignent de son engagement militant. On peut y lire la volonté tenace d’un homme de terrain soucieux d’expliquer en permanence ses conceptions et de refuser la vulgate consensuelle qui règne et les faux-semblants qu’elle véhicule.
Notre but est de faire de l’excitation culturelle, en facilitant l’accès de tous aux spectacles culturels (confort, horaires, prix modérés…) en tentant de développer les virtualités extrêmement différentes de chacun, grâce à une très grande variété en sujet, en niveau, en forme, en point de vue, et sans surtout privilégier un certain avant-gardisme, un certain intellectualisme comme on le voit faire en maints endroits sous le prétexte fallacieux qu’il faut être « de son temps » [13].
Retour à la Révolution à Boulogne-sur-Mer
19La bibliothèque de Boulogne-sur-Mer doit elle aussi sa naissance à la Révolution. Mais dans des circonstances particulières où s’illustra l’un de ses enfants : Pierre-Claude Daunou. Ce prêtre, professeur de philosophie, né à Boulogne en 1761, avait publié quelques essais dont un Mémoire sur l’origine, l’étendue et les limites de l’autorité paternelle en 1788. Le département du Pas-de-Calais l’envoie bientôt à la Convention où il va affirmer ses convictions sur l’éducation et présenter un programme d’instruction publique qui donne naissance dans chaque département à une école dite centrale, ancêtre de notre enseignement secondaire. C’est à ces écoles que vont être confiés les livres confisqués regroupés jusque-là dans des « dépôts littéraires », avant qu’ils n’échoient aux villes lors de la disparition de ces écoles en 1802. Daunou n’oublie pas sa ville d’origine et c’est elle qui va donc recevoir l’école centrale du Pas-de-Calais. Un professeur de sciences, Jean-Baptiste Isnardi, est chargé de constituer sa bibliothèque et de choisir dans les dépôts d’Arras, de Saint-Omer, Béthune, Montreuil, les ouvrages les plus intéressants. Il va s’acquitter de cette tâche avec brio (mais au détriment des villes susmentionnées !) et constituer un fonds qui « offre un choix raisonné où l’on retrouve en quelque sorte la bibliothèque d’un honnête homme [14]. » Juste reconnaissance, Isnardi sera ensuite nommé bibliothécaire de la ville. Louis Seguin que nous venons de citer fut l’un de ses successeurs. Il dirigea la bibliothèque durant près de 35 ans, de 1959 à 1994. Ce fut une personnalité éclectique. Sa santé fragile et sa passion pour le cinéma vont faire de lui l’un des membres du groupe de critiques dit des tuberculeux du sanatorium de Saint Hilaire de Touvet (!) qui rejoignent la revue Positif dès ses débuts. Il croise le fer avec Jean-Luc Godard (« À bout de souffle, piège à cons ») avant d’enterrer la hache de guerre en 1968… et de faire l’acteur dans certains de ses films. Toute sa vie, il poursuivra son activité de critique, notamment à la Quinzaine littéraire et à Trafic. Il réalisera même deux courts-métrages. En 2001, il publie Pourquoi pleure-t-elle ? [15], une singulière réflexion à partir de deux cires anatomiques d’une jeune femme anonyme réalisées par un chirurgien du xviiie siècle. Le visage serein de l’une esquisse un sourire, tandis que l’autre, tout aussi sereine et qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau a une expression pathétique.
Sa chevelure est à demi dénouée sur son épaule, le profil est levé, elle regarde le ciel et, surtout, une larme cristalline coule, ou plutôt commence à couler, de biais, entre la joue et l’aile du nez. […] Pourquoi pleure-t-elle ?
21Louis Seguin entreprend de résoudre l’énigme des larmes, racontant leur histoire, esquissant leur théorie, folâtrant entre philosophes, écrivains, psychanalystes. Et tout à coup nous parle de la lecture :
La lecture n’a que faire de la contemplation […]. Elle se souvient de la révolution copernicienne et de ce que l’homme a compris alors, terrifié, que c’était lui qui avait inventé Dieu et non pas, comme le voulait la Foi, le contraire. Elle en appelle au « vice », à défaut, à la rupture de pente, à ce qui se creuse pour que ça puisse couler. Pour qu’il y ait lecture, il faut qu’il y ait transgression.
23Dans la famille Seguin, il y a aussi Béatrice, bibliothécaire chargée du fonds ancien de la bibliothèque de Boulogne et épouse de Louis. Elle va se passionner pour la Boulonnaise Valentine Gros devenue Valentine Hugo, peintre et illustratrice, amie des surréalistes [16], mais aussi pour un autre enfant du pays, Coquelin Cadet, acteur célèbre de la fin xixe qui, avec le fameux hareng-saur de Charles Cros, va s’illustrer dans la vogue du monologue comique et même le théoriser [17].
24Cette promenade s’achève. Et apparaissent alors, comme autant de regrets, les noms de tous ceux qu’on aurait aimé citer. Des regrets mais aussi un paradoxe : dans cette profession fortement féminisée, on a peu parlé d’elles, par exemple de Geneviève Tournouer à Lille, de Michèle Demarcy ou de Françoise Bruno à Douai, de Bénédicte Térouanne à Cambrai. Discrètes, modestes, elles ont fait traverser à ces bibliothèques, en cette fin de xxe siècle, le courant de la modernité.
25C’est avec ces quelques lignes de Paul Claudel consacrées à Mnémosyne, la gardienne des temples de la Mémoire [18], que nous aimerions rendre hommage à tous ces professionnels passionnés, à ce métier de l’ombre, à ceux et celles qui l’inventent aujourd’hui :
Notes
-
[1]
— Conseiller pour le livre et la lecture à la Direction Régionale des Affaires Culturelles des Hauts-de-France (DRAC).
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[2]
— Cité dans le mémoire d’Anne-Marie Chaintreau, La Légende des bibliothécaires, bibliothèques et écrivains, ENSSIB 1976.
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[3]
— L’État a classé entre 1931 et 1972 54 bibliothèques municipales principalement en raison de l’importance des fonds conservés. Dans les Hauts-de-France, 7 bibliothèques sont classées : Lille, Amiens, Compiègne, Valenciennes, Douai, Cambrai, Roubaix, Boulogne-sur-Mer. Mais d’importantes bibliothèques n’ont pas été classées : Saint-Omer ou Arras par exemple. Roubaix a été classé en 1972 pour des raisons différentes.
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[4]
— En 1847, un rapport parle d’« un amas de livres dépareillés qui ne sera pas plus une bibliothèque qu’un amas de briques n’est un palais ».
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[5]
— Elle a subi en 2015 une cure de jouvence qui l’a transformée en une Grand Plage, une médiathèque à la page du xxie siècle !
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[6]
— Citons le numéro consacré à Louis Decottignies, poète-ouvrier roubaisien.
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[7]
— Les 343 titres référencés comportant souvent une présentation et l’histoire du titre sont disponibles sur le portail www://presselocaleancienne-hdf.fr.
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[8]
— Il date d’avril 1997. C’est curieusement le seul qui soit signé de Bernard Grelle, les autres jusqu’en 2003 sont de sa plume mais non signés. Roland Cuvelier est décédé en 2010. On trouve quelques-uns de ces dessins sur divers sites.
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[9]
— Il y a non seulement des livres et des imprimés, mais aussi des disques, des diapositives, des cassettes, des vidéocassettes, etc. Et c’est pourquoi nous l’appelons maintenant médiathèque. Exergue de Médiathèques publiques, n°49, 1979.
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[10]
— Médiathèques publiques, n°49, janvier-mars 1979.
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[11]
— La création des communautés de communes ou communautés d’agglomérations ne date que de la toute fin des années 90. Leur développement, et celui de réseaux de lecture publique intercommunaux, obligent aujourd’hui les BCP devenues BDP à une redéfinition de leur mission. Comme si les sectoristes avaient eu raison trop tôt !
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[12]
— Je fus moi-même témoin d’une rencontre à Lille en 1983 entre Jean Le Garrec, député du Cambrésis, sensible aux thèses de Michel Bouvy, et à ce moment ministre, et Louis Yvert, venu tout exprès de Paris, pour le dissuader d’empêcher le développement de la BCP du Nord qui venait d’être créée.
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[13]
— Médiathèques publiques, n°42, 1977.
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[14]
— Louis Seguin.
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[15]
— URDLA, Villeurbanne, 2001.
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[16]
— Béatrice Seguin, Valentine Hugo : écrits et entretiens radiophoniques, Actes Sud, 2002.
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[17]
— Béatrice Seguin, Le Théâtre du hareng saur : le monologue selon Charles Cros et Coquelin Cadet, anthologies de monologues, éditions La Fontaine, 2009.
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[18]
— Dans la première des Cinq Grandes Odes.