Nord' 2014/2 N° 64

Couverture de NORD_064

Article de revue

Émile Verhaeren, un poète dans la Grande Guerre

Pages 93 à 107

Notes

  • [1]
    — Le Temps, 5 décembre 1916.
  • [2]
    — C. Prochasson & A. Rasmussen, Au nom de la patrie. Les intellectuels et la Première Guerre mondiale (1910-1919), Paris, 2010, 316 p. ; F. M. Frémeaux, Écrivains dans la Grande Guerre. De Guillaume Apollinaire à Stefan Zweig, Paris, 2012, 376 p. ; N. Mariot, Tous unis dans la tranchée ? 1914-1918, les intellectuels rencontrent le peuple, Paris, 2013, 496 p. ; E. Godo, Pourquoi nous battons-nous ? 1914-1918 – Les écrivains face à leur guerre, Paris, 2014, 384 p.
  • [3]
    — J. Marx, Verhaeren. Biographie d’une œuvre, Bruxelles, 1996, 675 p. ; P. Servaes, Émile Verhaeren. Vlaams dichter voor Europa, Berchem, 2012, 1075 p.
  • [4]
    — F. Van de Kerckhove, « Verhaeren, une affection passionnée », in : L. Richard (e.a.), Stefan Zweig, nouveaux regards, Paris, Le Magazine littéraire, 2012, p. 137-148.
  • [5]
    — P. Servaes, op. cit., p. 852-853.
  • [6]
    — É. Verhaeren, Notes, été 1914. AML, FS XVI 1181.
  • [7]
    — « Au Reichstag », in É. Verhaeren, Les Ailes rouges de la Guerre, Paris, 1916, p. 17-21.
  • [8]
    — É. Verhaeren, L’Esprit belge, s.d. (1914), AML FS 1123
  • [9]
    — Voir aussi : J. Marx, « Autopsie d’un poète national », in Textyles, n°11, 1994, p. 21-34.
  • [10]
    — « Les Exodes », in É. Verhaeren, Les Ailes rouges de la Guerre, Paris, 1916, p. 51-56.
  • [11]
    — Lettre de R. Sadler à É. Verhaeren, Londres, 11 août 1914. AML, FS XVI 148/1085.
  • [12]
    — É. Verhaeren, The Sunlit Hours, translated by Charles R. Murphy, Londres, 1916 ; É. Verhaeren, Afternoon, translated by Charles R. Murphy, Londres-New York, 1917 ; É. Verhaeren, The Love Poems, translated by F. S. Flint, Londres-Boston-New York, 1916 ; É. Verhaeren, The Evening Hours, translated by Charles R. Murphy, New York, 1918 ; É. Verhaeren, Poems, translated by Alma Strettell, Londres-New York, 1915 ; É. Verhaeren, The Plays, Londres-Boston-New York, 1916.
  • [13]
    — S. Zweig, Émile Verhaeren, Londres-Boston-New York, 1914.
  • [14]
    — Lettre de Marthe Verhaeren à Theo Van Rysselberghe, Londres, 23 octobre 1914, AML FS XVI 148/1614-1615.
  • [15]
    — J. Marx, op. cit., p. 505. « Les Crimes », in É. Verhaeren, La Belgique sanglante, Paris, 1915, p. 23.
  • [16]
    — É. Verhaeren, Belgium’s Agony, translated by M. T. H. Sadler, Londres, 1915, p. 3-7.
  • [17]
    — É. Verhaeren, « Les Pays sanglants », in Les Annales politiques et littéraires, 8 juillet 1915, nr. 1673.
  • [18]
    — «Verhaeren verleumdet », in Frankfurter Zeitung, 6 novembre 1914. « Émile Verhaeren, der Schmäher », in Vossische Zeitung, 16 novembre 1914.
  • [19]
    — Die Schaubühne, 19 novembre 1914. Traduit et intégralement publié dans Mercure de France, 1er avril 1915, n°412, p. 813-816.
  • [20]
    — Lettre de R. Rolland à É. Verhaeren, Genève, 23 novembre 1914. AML, FS XVI 148/1050.
  • [21]
    — Union sacrée, dans : Le Figaro, 1er juin 1915.
  • [22]
    — « Au Front en Flandre », in Les Annales politiques et littéraires, 3 janvier 1915, n°1645.
  • [23]
    — « Mon Âme, elle est là-bas… », in É. Verhaeren, Les Ailes rouges de la guerre, Paris, 1916, p. 59-61.
  • [24]
    — King Albert’s Book. A tribute to the Belgian King and People from representative Men and Women throughout the World. Londen, The Daily Telegraph, 1915, p. 73.
  • [25]
    — S. de Schaepdrijver, « “O faiseuse de crépuscule” : Deutschlandbilder in Belgien im Grossen Krieg », in M. Beyen, G. Daye en H. Roland (eds), Deutschlandbilder in Belgien, 1830-1940, Münster-New York, 2011, p. 292-296.
  • [26]
    — « L’Âme moderne », in É. Verhaeren, La Belgique sanglante, Paris, 1915, p. 151-152.
  • [27]
    — Le Temps, 13 mars 1915.
  • [28]
    — É. Verhaeren, « La Belgique de Demain », in Les Annales politiques et littéraires, (n° consacré à la Belgique libre), 20 juin 1915, n°1871.
  • [29]
    — P. Servaes, op. cit., p. 911-912.
  • [30]
    — É. Verhaeren, La Belgique sanglante, Paris, 1915, 152 p. Le livre est également traduit en anglais, en russe et en italien.
  • [31]
    — Lettre de R. Rolland à É. Verhaeren, Genève, 23 novembre 1914. AML FS XVI 148/1050.
  • [32]
    — F. Van de Kerckhove, Verhaeren – Zweig, Correspondance. Bruxelles, 1996, p. 506.
  • [33]
    — Ibidem, p. 80-82.
  • [34]
    — P. Servaes, op. cit., p. 888-891. J. Marx, op. cit, p. 521-522.
  • [35]
    — Lettre de G.-Ch. Cros à É. Verhaeren, Gardelegen, 27 juin 1916. AML FS XVI 148/227.
  • [36]
    — Lettre de T. Roosevelt à É. Verhaeren, New York, 10 juillet 1915. AML FS XVI 148/1057.
  • [37]
    — Lettre de A. Heuman à É. Verhaeren, Paris, 13 juin 1915. AML FS XVI 148/541.
  • [38]
    — Lettre de E. Key à É. Verhaeren, Alvastra, 8 mai 1915. AML FS XVI 148/581.
  • [39]
    — Lettre de R. Rolland à É. Verhaeren, Genève, 14 juin 1915. AML FS XVI 148/1051.
  • [40]
    195 — R. Rolland, Au-dessus de la mêlée, Paris, 1915, 163 p. ; B. Duchatelet, Romain Rolland, une œuvre de paix, Paris, 2010, 224 p.
  • [41]
    — Paul Hyacinthe Loyson, Êtes-vous neutres devant le crime ? par un pacifiste logique, Paris, 1916, 237 p.
  • [42]
    — L. Dumont-Wilden, « Le Prix Nobel. On le demande pour Verhaeren », in Le Matin, 30 novembre 1915. AML FS XVI 148/1335.
  • [43]
    — Lettre d’É. Verhaeren à J. Mesnil, 3 décembre 1915, in Les Cahiers idéalistes, n°1, février 1917, p. 9.
  • [44]
    — F. Van de Kerckhove, Verhaeren – Zweig, Correspondance, op. cit., p. 82-82. P. Servaes, op. cit., p. 905.
  • [45]
    — É. Verhaeren, Les Ailes rouges de la guerre, Paris, 1916, 252 p.
  • [46]
    — G.D., « Le Poète et la Patrie », in Le Temps, 5 décembre 1916.
  • [47]
    — « Une prétendue déclaration de lassitude du poète belge Émile Verhaeren », Curiosités de guerre belges, n°9, s.d. (1916), 2 p. (AML-Bruxelles, ML 09177/0001).
    [« De Belgische dichter Émile Verhaeren zou kort voor zijn dood moeheid hebben bekend » (« Le poète belge Émile Verhaeren aurait avoué sa fatigue quelque temps avant sa mort »), Belgische oorlogszeldzaamheden, n°9, Pamflet, s.d. (1917). Archief PMEV].
  • [48]
    — P.-H. Loyson, Les Maquilleurs de cadavres. Sur la tentative de conversion posthume d’Émile Verhaeren, s.d. (1917). AML, 6050/11.
  • [49]
    — S. Zweig, Souvenirs sur Émile Verhaeren, Bruxelles, 1931, p. 25.
  • [50]
    — Affiche, L’Œuvre Nouvelle, Séance commémorative Émile Verhaeren, Bruxelles, 11 février 1917 (PMEV).
  • [51]
    — Gazette des Ardennes, Charleville, 1er août 1918, édition illustrée, n°75.
  • [52]
    — Der Hahn, Die Aktions-Lyrik, Übertragungen aus dem Französischen von T. Däubler, Berlin, 1917, p. 57-62.
  • [53]
    — G. Pico, Poèmes de Poilus. Anthologie de poèmes français, anglais, allemands, italiens, russes, 1914-1918, Paris, 2014. G. Beulens, Het lijf in slijk geplant : gedichten uit de Eerste Wereldoorlog, Amsterdam, 2008.
  • [54]
    — P. Jacobs, « Schrijvers in Oorlog », in De Standaard, 8 novembre 2013, p. L12-L13.
Le poète ne doit pas planer au-dessus de la mêlée,
mais se jeter dans la mêlée avec l’arme dont il dispose, le verbe… [1]

1Par son ampleur et ses destructions comme par la misère humaine qu’elle engendra, la Première Guerre mondiale marqua l’une des grandes césures du xxe siècle. La confrontation militaire avait été sans précédent : les grandes puissances européennes de l’époque avaient engagé tous les moyens imaginables en hommes et en matériel pour assurer ou pour étendre leur pouvoir géopolitique. Le conflit prit des dimensions mondiales lorsqu’elles jetèrent leurs colonies dans le combat et réussirent à entraîner les États-Unis dans la guerre. Au nom de la patrie, des millions de soldats se lancèrent à l’assaut. Ce fut la première grande guerre mécanisée, mais ce fut également la première grande guerre idéologique : les intellectuels, les artistes et les écrivains se virent engagés dans une guerre de propagande incessante [2]. Il fallait choisir son camp. Émile Verhaeren (1855-1916) n’y échappa pas, dans la mesure où il était l’un des poètes les plus en vue de son époque.

2Depuis 1900, la renommée littéraire de ce poète belge francophone s’était de plus en plus affirmée. En tant que héraut d’une foi inébranlable dans l’idéal du Progrès, il reçut le surnom de « Walt Whitman européen ». À partir de Paris, ses recueils furent diffusés partout et on les traduisit dans les langues européennes les plus importantes telles que l’allemand, le russe et l’anglais. Le poète fit des tournées littéraires à travers l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, la Suisse, la Pologne et la Russie. On présenta même sa candidature au prix Nobel de littérature. On le considéra comme l’une des personnalités incarnant la conscience intellectuelle de son temps. Plus qu’aucun autre, il défendit l’idée d’une Europe unie [3]. L’une de ses maximes fut : « Admirez-vous les uns les autres ». Dans les pays germanophones, sa réputation était au zénith et on le considéra comme l’intermédiaire entre les cultures germanique et latine. C’est dans la personne de Stefan Zweig, écrivain autrichien, qu’il avait trouvé un ami personnel et le traducteur infatigable de son œuvre [4]. Les conférences que fit Verhaeren en mars 1912 à travers l’Allemagne et l’Autriche étaient placées à l’enseigne de l’interaction culturelle entre la France, la Belgique et les pays de langue allemande.

Poète national

3Quand la Première Guerre mondiale éclata, ce fut pour Verhaeren comme pour la plupart de ses contemporains un choc inouï. Que l’Allemagne osât déclarer la guerre à la Belgique, pays neutre, horrifia tout le monde. Ce cataclysme dévastateur bouleversa de fond en comble la vision du monde de Verhaeren. Offusqué par la brutale invasion allemande et la violence inédite de la guerre, il se range tout de suite aux côtés du roi et de la patrie menacée. Dans les premiers jours de la guerre, il rencontre le roi sur les marches du palais royal à Bruxelles et l’assure de son appui. Quelques jours plus tard, le roi, se trouvant dans son quartier général à Louvain, prend même le temps de remercier le poète pour son amitié et sa fidélité [5]. L’écrivain de 59 ans ne peut être mobilisé – il n’avait d’ailleurs jamais accompli le service militaire – mais il mettra sa plume au service du combat contre l’envahisseur. Pendant les années de guerre, Verhaeren jouera avec verve son rôle de poète national de la Belgique.

4Sympathisant socialiste, Verhaeren avait espéré à l’époque que l’Inter­nationale socialiste serait à même de stopper l’escalade militaire [6]. Mais ce rêve fut brutalement rompu d’une part par l’assassinat, le 31 juillet 1914, de Jean Jaurès, chef socialiste, et d’autre part par le vote d’une grande majorité de socialistes allemands en faveur des crédits de guerre. Dans son poème Au Reichstag, Verhaeren exprime sa déception par rapport aux idéaux socialistes [7]. Il ne pouvait plus qu’embrasser éperdument le patriotisme, le roi et la patrie. Après coup, il dira le bouleversement mental qu’il subit dans ces journées estivales du mois d’août :

5

Nous vivions un de ces moments d’histoire où l’on sent comme une âme nouvelle naître et tout à coup grandir. On fait partie de la multitude ; on la sent penser et vouloir à travers soi. L’individu s’abolit et la collectivité s’affirme en chacun de nous. Un même cri sortit des lèvres de mon ami et des miennes. Tous les deux nous nous dîmes : « À cet instant, la Belgique une et indivisible naît [8] ».

6La rapidité avec laquelle se fit le bouleversement mental de Verhaeren est remarquable, sans doute, mais on ne peut dire qu’elle fut surprenante. Depuis ses recueils Toute la Flandre, Verhaeren s’était positionné comme l’un des poètes nationaux qui rendent compte du génie et de l’identité du peuple flamand. L’affirmation de cette identité n’était d’ailleurs aucunement en contradiction avec le sentiment patriotique belge : elle en faisait partie intégrante. Le recueil Les Héros (1908) chantait l’éloge des grandes figures qui avaient modelé l’histoire belge. Lorsque, en 1909, on édite Notre Pays, La race et le milieu belge, livre somptueux, on insère une contribution de Verhaeren à propos de La Flandre. C’est à cette époque que Verhaeren perce définitivement sur le plan littéraire et que, du coup, il reçoit la reconnaissance officielle. Fin novembre 1908, une manifestation d’hommage national à Verhaeren avait été organisée et, quelques mois plus tôt, il avait reçu également le titre d’officier dans l’Ordre de Léopold. Cette reconnaissance officielle avait été suivie par un beau geste du couple princier, Albert et Élisabeth. Avant même qu’Albert fût couronné roi (décembre 1909), lui et son épouse avaient déjà noué des liens personnels avec le poète. Ensuite, Verhaeren leur enverra ses recueils et le couple, désormais royal, l’invitera au château de Ciergnon ou à la villa royale à Ostende. C’est surtout avec la reine Élisabeth que le poète développe une relation de solide amitié. Régulièrement, on s‘envoie des lettres. Dans ces circonstances, il ne faut pas s’étonner que Verhaeren se soit placé immédiatement aux côtés du Roi-Chevalier [9].

Exilé en Grande-Bretagne

7Dans les premiers jours d’août 1914, tout le monde est convaincu que les troupes belges pourront stopper l’invasion allemande. Mais, malgré une résistance acharnée, spécialement des forteresses aux environs de Liège, les Belges sont impuissants face à la suprématie foudroyante de la machine de guerre allemande. La population, horrifiée par les récits sur des atrocités que les Allemands avaient commises, s’enfuit en masse, dans l’espoir d’échapper à la violence militaire. Dans son poème Les Exodes, Verhaeren dresse un tableau apocalyptique de la population en fuite :

8

  De toutes parts
 Les gens partent vers les hasards :
Il en est qui s’en vont poussant sur leur charrette
Le lit, le matelas, le banc, la chaufferette,
Et la cage déserte où mourut le pinson ;
D’autres chargent leur dos de vieilles salaisons
Qu’un voile épais et gris défend contre les mouches.
J’en ai vu qui tenaient une fleur à la bouche
Et qui pleuraient, sans rien se dire, atrocement.
Des vieux passent, serrant leur deuil et leur tourment,
Et les mères sont là, pauvres, mornes, livides,
Laissant mordre l’enfant à leur poitrine vide… [10]

9Quand la guerre éclate, Émile et Marthe, sa femme, logent chez Constant et Gabrielle Montald à Woluwe, près de Bruxelles. Au début, l’idée de fuir ne les effleure même pas : ils refusent gentiment une invitation à passer en Angleterre [11]. Mais quand les troupes allemandes menacent la capitale, les Verhaeren se décident tout de même à partir. On passe d’abord chez la sœur de Verhaeren, à Bornhem, puis on file vers la côte belge, plus exactement à Wendune et Knocke, auprès de la famille Van Rysselberghe. Entretemps, les combats se sont concentrés vers la ceinture des forteresses autour d’Anvers : les troupes belges y résistent avec le courage du désespoir. La situation en Belgique devient dramatique et les autorités britanniques mettent des bateaux à la disposition des personnalités belges désireuses de passer en Grande-Bretagne. Verhaeren n’hésite pas et accepte la proposition. Ainsi, début septembre 1914, les Verhaeren font la traversée de la Manche. À bord se trouvent également des artistes tels qu’Émile Claus, George Minne, Valerius De Saedeleer, Pierre Paulus, Armand Rassenfosse et Jules Destrée, futur ministre. Après un bref séjour à Londres, Émile et Marthe sont accueillis, à partir de la fin du mois d’octobre 1914, à Llwynarthen près de Cardiff au pays de Galles. Ils y resteront jusqu’au début de février 1915. À cette date, ils retraversent la Manche pour se fixer à leur domicile à Saint-Cloud, près de Paris.

10En Grande-Bretagne, comme plus tard en France, Verhaeren pourra jouer à plein son nouveau rôle : celui du premier poète de la brave petite Belgique. Verhaeren s’y démène comme jamais il ne l’avait fait et il se laisse entraîner dans un carrousel interminable de conférences, de présentations et d’événements publics. L’université de Leeds l’honore même du titre de doctor honoris causa. Après Albert Ier, le Roi-Chevalier, Verhaeren est sans conteste la personnalité la mieux connue en territoire britannique. Son séjour dans l’île déterminera un nouveau flot de publications et de traductions de son œuvre. Ainsi, les recueils de poésie amoureuse seront édités en anglais, l’un après l’autre ; un florilège établi par Alma Strettell ainsi que ses pièces de théâtre sont réédités [12]. Même l’ouvrage de Stefan Zweig sur Verhaeren est remis en circulation à Londres durant les années de guerre [13]. Sa pièce, Le Cloître, y est montée, en français, et recueille un franc succès.

11Selon le témoignage de son épouse, Verhaeren doit pourtant avoir passé une période de grands troubles au cours de ces premiers mois de la guerre :

12

Vous connaissez la violence du petit vieux. – Elle ne faiblit pas… Mais si maintenant, tout paraît mieux, quels mauvais jours nous avons passés il y a quelques semaines – J’ai bien cru un moment qu’il ne pourrait plus se secouer du plus profond chagrin. Souvent, je l’ai surpris pleurant et ne s’était-il pas mis en tête qu’il aurait dû s’enrôler pour défendre Anvers. C’était devenu une idée fixe et maladive, presque… [14]

La Belgique sanglante

13La personnalité de Verhaeren poète a subi à ce moment une transformation totale. Les nouvelles concernant la destruction des villes culturelles historiques (Louvain, Termonde, Malines, Lierre, Anvers…) et les crimes de guerre perpétrés contre la population belge (à Dinant, Aerschot, Louvain…), il les a reçues comme autant d’atteintes à ses sentiments les plus profonds de beauté, de culture, d’humanité et d’équité. Sa transformation est totale et radicale. Il ne s’affirme plus comme le poète sublime qui exalte l’idée européenne, l’avenir de l’humanité et la faisabilité du monde, non, il se pose comme le poète de la haine, plus exactement de la haine des Allemands et de tout ce qui est allemand. L’amour et la haute estime qu’il portait jadis à la culture allemande se sont changés en une haine viscérale. Et pourtant, il connaissait l’art allemand mieux que personne : il avait publié sur Grünewald. En Allemagne, il avait trouvé un public de lecteurs et Rilke et Zweig étaient devenus des amis intimes. Mais la haine s’était convertie en un devoir moral : « l’instinct de conservation nationale nous prescrit désormais la haine, comme un devoir ». Son biographe Jacques Marx estime même que la haine était devenue chez lui à partir de cette date la seule ambition de sa vie [15].

14L’un des premiers poèmes qu’il écrit en cette période, La Belgique sanglante, est une accusation furieuse contre les crimes de guerre allemands et un règlement de compte brutal avec l’Allemagne militariste. C’est surtout le passage dans lequel il évoque le mythe des soldats allemands qui auraient coupé les pieds des enfants qui fera du bruit. Voici la fin de ce poème :

15

Oh ! Quel triste soleil fut le témoin, en Flandre,
Et des hameaux en feu, et des villes en cendre
Et de la longue horreur et des crimes soudains
Dont avait faim et soif le sadisme germain !

16Ces vers donnent le ton pour toute la poésie de guerre de Verhaeren. Ce poème voit le jour le premier octobre 1914 à la une de La Métropole, pendant les derniers jours dramatiques du siège d’Anvers. Il paraîtra par la suite également en Angleterre dans The Observer, dans L’Écho de France et dans l’édition anglaise de Belgium’s Agony[16]. Une version remaniée sera publiée début juillet 1915 dans Les Annales politiques et littéraires, sous le titre Les Pays sanglants[17].

17Dans la presse allemande, le poème La Belgique sanglante provoque des réactions très vives. Le journal libéral Frankfurter Zeitung et le Vossissche Zeitung déclarent sans ambages que Verhaeren profère des calomnies [18]. L’écrivain allemand Julius Bab formule sa déception dans une lettre ouverte : « Je ne veux pas cesser de croire à la beauté et à la force de l’âme poétique et agissante de Verhaeren. Mais je serai désormais un étranger dans sa maison, – en chassant mes frères allemands, Verhaeren m’a expulsé de son cœur [19]. » L’écrivain français Romain Rolland incitera également Verhaeren à renoncer à son discours haineux [20], mais celui-ci persiste et signe.

18C’est que les visites qu’il avait faites au front l’avaient raidi dans sa position. Après la chute d’Anvers (le 10 octobre 1914), l’armée belge s’était repliée vers la côte. Elle avait réussi, avec l’appui des troupes françaises et britanniques, à établir une nouvelle ligne de défense derrière l’Yser. Finalement, elle put stopper l’offensive allemande en inondant la plaine des polders de l’Yser. Le 7 novembre 1914 – quelques jours à peine après le premier engagement sur l’Yser – Verhaeren reçoit une invitation de la part du roi Albert pour rendre une visite au front. En tant que poète national, il est la personne toute désignée pour remonter le moral des soldats belges et pour porter témoignage de la lutte féroce qui se déroule dans le « Westhoek ». Le 13 novembre, Verhaeren se trouve déjà à La Panne et, trois jours durant, il visite avec le roi et le secrétaire de celui-ci, un certain nombre d’endroits au front. L’expédition passe par Pervyze, Furnes, Ramskapelle et Coxyde. On visite les tranchées et les villages détruits par le feu ennemi sur la seconde ligne du front. De loin, on assiste aux bombardements de Nieuport, Stuivekenskerke et Dixmude. L’arrivée de Verhaeren est un événement : il se laisse même photographier pendant une visite aux tranchées. Lors du séjour à la villa royale à la Panne il y eut également une rencontre avec les leaders socialistes Émile Vandervelde et Camille Huysmans. En quelque sorte Verhaeren devient ainsi le trait d’union poétique entre les socialistes et la maison royale. La presse présenta ensuite la rencontre comme la confirmation de l’union sacrée [21].

19La visite-éclair a totalement exalté le poète et, dans son imagination, il se voit déjà escalader lui-même une dune pour affronter l’ennemi : « l’amour du danger devient une passion, aussi forte que celle de l’amour tout court. […] On a comme honte de ne pouvoir immédiatement, comme les autres, risquer sa vie [22]. » Dans plusieurs articles et conférences, Verhaeren fera le récit de ses visites au front. Ces impressions lui inspirent aussi des vers tels que :

20

Mon âme elle est là-bas
Mon âme en joie et en alarmes,
Elle est là-bas
Où l’on s’élance, où l’on se bat,
Mon âme elle est là-bas,
Dans les clameurs et dans les armes.

Elle s’exalte et pleure et rit au long du jour.
L’annonce des combats lui est lueur et flamme ;
Mon âme,
Au long des heures et des jours,
N’est plus qu’une pensée et n’est plus qu’un amour [23].

21La visite au front a pour effet que Verhaeren s’identifie encore davantage avec la Belgique sacrifiée et la résistance aux troupes allemandes. Son admiration pour Albert et Élisabeth n’a plus de limites : dans plusieurs poèmes, il évoque le couple royal. Lorsque The Daily Telegraph prend l’initiative, en 1915, de composer un King Albert’s Book, Verhaeren donne libre cours à son enthousiasme : « Vous êtes, à cette heure, le seul roi au monde que ses sujets à l’unanimité, sans exception aucune, aiment et admirent de toute la force de leur âme [24]. » En août 1916, il écrira encore une préface ampoulée à l’ouvrage de Maria Biermé, Albert et Élisabeth de Belgique.

Anti-allemand

22Le patriotisme de Verhaeren et ses déclarations de soutien au couple royal vont de pair avec une répugnance viscérale pour tout ce qui est allemand. Au cours de la guerre, cette position se durcira et se transformera petit à petit en un système idéologique à proprement parler. Verhaeren s’est finalement tout à fait intégré dans la guerre idéologique, dans la culture de la guerre [25]. À vrai dire, il faut reconnaître que du côté allemand on l’avait un peu provoqué. Le 23 octobre 1914, 93 intellectuels de renom publient leur Aufruf an die Kulturwelt. Ils y affirment leur soutien aux efforts de guerre allemands et déclarent que la culture allemande et le militarisme sont indissolublement liés. Ils repoussent avec la derrière violence les accusations selon lesquelles les troupes allemandes auraient commis des crimes de guerre. Plusieurs personnes avec lesquelles Verhaeren avait collaboré avant la guerre – Dehmel, Reinhardt… – avaient signé le manifeste. La guerre des cultures, « die Kulturkrieg », avait éclaté. Verhaeren se sent directement impliqué et trempe sa plume dans l’encre la plus venimeuse pour démentir les assertions allemandes. Il ne répugne même pas à donner une tournure raciste et même antisémite à son argumentation. Dans L’Allemagne incivilisable, il affirme sans sourciller : « L’Allemagne est la nation dangereuse, parce qu’elle est la nation incivilisable… (C’est) le réservoir inépuisé, et peut-être inépuisable, de la férocité humaine ». Dans un autre article, « L’Allemagne asiatique », il écrit : « l’esprit israélite […] épouse très intimement l’esprit prussien. Mille affinités unissent leurs tendances. »

23Face au modèle allemand tendant à la suprématie et à la tyrannie, Verhaeren dresse le modèle européen pluraliste dans lequel plusieurs pays et cultures participent. Il va sans dire qu’il voit dans la Belgique, avec ses cultures latine et germanique, l’incarnation de ce modèle pluraliste [26]. Toutefois, il est clair que la foi de Verhaeren dans une défaite finale allemande, va de pair avec un certain sentiment de supériorité français. Il est sûr qu’après la guerre, l’influence française sera prédominante : « après la guerre l’influence française s’élèvera rayonnante sur les débris du pangermanisme » [27]. Quant à l’après-guerre en Belgique, il est sûr qu’on y refoulera les influences allemandes [28]. Bien qu’il ne se soit jamais exprimé de façon explicite sur le Mouvement flamand, il est d’avis que celui-ci doit se retirer de la sphère d’influence allemande. Dans ces conditions, on ne s’étonne pas que Verhaeren signe, en septembre 1916, la pétition qui proteste contre l’université flamande que l’occupant allemand venait de créer. Cette prise de position demande pourtant un commentaire : la pétition n’était pas dirigée contre l’établissement d’une université néerlandophone à Gand, elle s’opposait au fait que l’initiative émanait des Allemands. En même temps, elle protestait contre la déportation de deux professeurs gantois : Paul Fredericq et Henri Pirenne [29].

24Verhaeren a réuni la plupart de ses essais sur la guerre dans le recueil La Belgique sanglante, qui paraît en juin 1915 [30]. La dédicace servant d’introduction peut être lue comme une note explicative concernant sa transformation idéologique : « Celui qui composa ce livre où la haine ne se dissimule point, était jadis un vivant pacifique. […] il dédie avec émotion ces pages à l’homme qu’il fut autrefois. » Le titre renvoie au fameux poème de Verhaeren, mais ce poème n’était pas repris dans le volume. Faut-il y voir une concession à l’égard du camp des pacifistes ? C’est peu probable. Tout ce que nous savons, c’est que Romain Rolland avait insisté pour que le passage sur les pieds d’enfants coupés soit modifié [31]. De toute façon, le texte intégral a été repris sans modification aucune dans la version anglaise de Belgium’s Agony. Comme nous l’avons déjà dit, une version modifiée a été publiée en juin 1915, dans Les Annales politiques et littéraires, sous le titre Les Pays Sanglants. Mais dans cette version aussi la strophe sur les pieds d’enfants coupés reste inchangée.

25Verhaeren se rend parfaitement compte que son réquisitoire anti-allemand rend désormais impossible tout contact amical avec le territoire germanophone. Dans Le Temps du 13 mars 1915, il déclare entre autres : « Jadis j’ai estimé la culture allemande, j’avais des amis de l’autre côté du Rhin, qui me ménagèrent dans plusieurs villes des réceptions extrêmement cordiales. Aujourd’hui, ces gens-là, je les exècre [32]. »

26Quelqu’un qui se sent personnellement lésé par les déclarations et la prose haineuse de Verhaeren est l’écrivain autrichien Stefan Zweig. Dans les premiers jours de la guerre, Zweig aussi s’était laissé emporter par le sentiment patriotique allemand. Bien qu’il n’eût pas signé le manifeste des 93, il ne pouvait ajouter foi aux nouvelles relatives aux crimes de guerre perpétrés par les Allemands en Belgique. Il avait dit adieu à ses amis étrangers, mais il conservait son estime pour Verhaeren. Par Romain Rolland, Zweig apprend que Verhaeren est à ce moment-là en Angleterre et qu’il est rongé par des sentiments de haine. La découverte du poème La Belgique sanglante (Neue Freie Presse, 9 novembre 1914) est pour Zweig un premier coup dur. Mais c’est surtout la lecture de L’Allemagne incivilisable et l’interview dans Le Temps qui anéantissent complètement son idée de Verhaeren comme une figure de proue [33].

27En effet, Verhaeren s’est transformé de fond en comble : désormais il sera le grand poète patriotique. Le rôle qu’il s’était assigné en Angleterre, il continuera à le jouer en France à partir de février 1915. Son engagement en faveur d’une Belgique qui, bien que terrassée, ne cède pas, reste total. Du 3 au 5 août 1915, Verhaeren est à nouveau l’hôte du roi Albert et de la reine Élisabeth à La Panne. Il assiste aux exercices militaires sur la plage et Élisabeth le promène dans l’hôpital militaire L’Océan ; on visite une école à Booitshoeke ; avec le roi, il fait une tournée d’inspection le long du front de Fortem à Alveringem. Mais, malgré la menace des hostilités, ils se permettent un moment de délassement : la reine Élisabeth et Verhaeren font une promenade sur la plage, de La Panne à Saint-Idesbald [34]. Cette fois-ci aussi, des photos sont prises, en présence d’Albert et d’Élisabeth. Voilà consommée la consécration de Verhaeren.

28Il continue à donner des conférences, à publier articles et poèmes. Après La Belgique sanglante (1915) paraissent encore deux recueils, contenant surtout des réflexions sur les villes flamandes dévastées : Parmi les Cendres. La Belgique dévastée (1915) et Villes meurtries de Belgique (1916). Le poème Le Crime allemand (1915), édité dans une édition de luxe ornée d’une illustration d’Alméry Lobel-Riche, exploite les sentiments antiallemands et sera republié sous le titre Au Reichstag. Grâce à ces écrits de guerre, Verhaeren est devenu une célébrité que l’on s’arrache. Plusieurs auteurs lui demandent une préface pour leurs écrits sur la guerre. Des soldats lui écrivent pour obtenir l’autorisation de publier ses poèmes dans les feuilles paraissant au front. Les soldats emprisonnés à Gardelegen lui demandent même une épitaphe pour un monument funéraire établi dans leur camp [35]. Vu sa position et ses contacts, il se voit sollicité pour intervenir auprès des autorités en faveur de certains auteurs et artistes. Ainsi, il est intervenu avec d’autres pour que l’artiste belge Rik Wouters puisse quitter le camp de Zeist en Hollande. Verhaeren contacte aussi le sculpteur Rodin pour que celui-ci fasse le buste d’Albert Ier. Rodin acquiesce à la fin, mais l’agenda surchargé du roi et la mort du sculpteur en novembre 1917 empêcheront la réalisation du projet. En outre, plusieurs personnes – des intimes et des inconnus – lui écrivent, soit pour le remercier d’une préface dans leur livre, soit pour lui faire part de leur soutien à ses thèses. L’une de ces personnes est l’ancien président américain Théodore Roosevelt : après avoir lu La Belgique sanglante, il exprime l’horreur et l’indignation qu’il éprouve devant les crimes de guerre allemands [36].

Critiques

29Pourtant, quelques voix critiques se font entendre aussi. Albert Heumann réfute les thèses antijuives de L’Allemagne asiatique[37]. La correspondante suédoise de Verhaeren, Ellen Key, souligne qu’il faut faire la distinction entre « l’Allemagne de Goethe » et « l’Allemagne prussienne » [38]. Romain Rolland aussi est déçu à la lecture de La Belgique sanglante. Dans une lettre à Verhaeren, il insiste sur le fait que le poète n’est pas fait pour la haine ; et qu’en Allemagne et en Autriche il y a aussi des auteurs, tels Stefan Zweig, que l’on tente d’astreindre au silence [39]. Il est peu probable que Verhaeren à ce moment-là fut sensible à cette sorte d’arguments.

30Il semble bien que Verhaeren soit devenu le prisonnier de son propre discours de guerre. Ainsi, non seulement il s’était lui-même laissé embrigader par les ultranationalistes et les partisans forcenés de la guerre, mais on aimait aussi l’opposer à la figure de Romain Rolland. Depuis le début des hostilités, celui-ci avait été convaincu que les écrivains et les intellectuels d’Europe devaient se placer au-dessus du conflit. De cette façon, l’écrivain pacifiste, qui avait cherché refuge en Suisse, se profila comme la conscience de l’Europe. En novembre 1915, il s’oppose à la guerre dans un livre qui fait sensation : Au-dessus de la mêlée[40]. Immédiatement, une campagne se déclenche dans la presse française, dirigée contre « le cas Romain Rolland ». Ainsi, Paul Hyacinthe Loyson s’adresse directement à Verhaeren et lui demande d’écrire la préface à son pamphlet : Êtes-vous neutres devant le crime ? Cette préface est des plus claire : « Il ne faut pas tenir en main une balance quand l’adversaire tient en main une épée. Je suis donc avec vous, et malgré toute l’amitié que j’ai pour Romain Rolland, je me défends de me ranger du côté de son erreur [41]. » Du coup, dans la presse, on se plaît à confronter les deux auteurs. Quand des rumeurs circulent selon lesquelles Romain Rolland (« internationaliste, pacifiste et germanophile ») pourrait recevoir le prix Nobel de littérature, on lui oppose tout de suite la candidature de Verhaeren : « un grand poète pacifique, un grand poète de l’amour, à qui la violation du droit a appris la haine [42] ». Verhaeren s’inquiète du tour acerbe que prend le débat. Dans une réponse à un ami anarchiste, il affirme être dégoûté à l’idée d’être opposé à Rolland : « Bien que je ne partage pas les idées actuelles de Rolland, il me répugne de me voir opposé à lui à cause de nos attitudes différentes. Le prix Nobel est un prix littéraire. […] Cela dit, j’ajoute qu’à mes yeux, Romain Rolland reste un être au-dessus des calomnies et de la haine, et je lui conserve toute mon amitié [43] ».

31Il se peut que la dispute avec Romain Rolland ait entraîné chez Verhaeren un certain revirement. Restant fidèle à son image de grand poète national, il préparait un nouveau recueil de poésie de guerre. Ainsi, ses poèmes continuaient à être édités pour soutenir l’aide aux réfugiés ou les soldats blessés. Quand sa santé le lui permettait – pendant l’hiver 1915 il dut garder la chambre pendant quelques semaines sur ordre du médecin – il ne redoutait aucun effort pour faire des conférences là où on le demandait. Pour les autorités françaises et belges, il restait l’enseigne littéraire à soigner avec tous les égards. L’un de ses moments de gloire fut la fête solennelle qui se tint à la fin du mois de mai 1916 : un portrait de Verhaeren, peint par Théo Van Rysselberghe, était présenté au public au Musée du Luxembourg à Paris, en présence de deux cents personnalités, artistes et écrivains. Les fonds nécessaires à l’achat du tableau furent réunis à l’aide d’une liste de souscription publique. Les premiers noms figurant sur cette liste étaient ceux du roi Albert et de la reine Élisabeth. En revanche, il semble bien que Verhaeren ait renoncé petit à petit à ses déclarations antiallemandes les plus virulentes. Depuis quelque temps, il avait cessé de publier ses points de vue dans les grands magazines français. Lors d’une tournée en Suisse, début septembre 1916, le public se rendit compte que Verhaeren était devenu bien plus calme et n’avait plus proclamé son anti-germanisme forcené. Dans les coulisses, on aurait même esquissé les premiers pas pour tenter une ouverture vers le camp de Romain Rolland. Ainsi, Verhaeren avait consenti à publier quelques-uns de ses poèmes dans la revue suisse Le Carmel, revue à laquelle Zweig et Rolland collaboraient. Par le biais de l’éditeur de la revue, il aurait même avoué son admiration pour l’essai La Tour de Babel de Stefan Zweig [44].

Les Ailes rouges de la guerre

32Début novembre 1916 paraît le recueil de poésie de guerre, attendu depuis si longtemps : Les Ailes rouges de la guerre[45]. D’un point de vue littéraire, ce n’est pas le meilleur publié par Verhaeren : les vers consacrés à la guerre sonnent par moments bien datés. Mais à l’occasion de telle ou telle formule poétique dans telle ou telle strophe, on perçoit encore une lueur du grand poète qu’il a été. Si ce recueil n’est pas très important du point de vue littéraire, il l’est d’autant plus du point de vue historique et biographique. La succession des poèmes nous livre un commentaire poétique sur les différentes phases de la guerre. Mais il nous fournit également une image de l’état d’esprit du poète. Le recueil est essentiellement un cri d’indignation morale et une condamnation de l’esprit belliqueux des Allemands. Le sentiment anti-allemand est très présent dans certains poèmes : un titre comme « L’Allemagne, exterminatrice de races » se passe de commentaire. Dans « Le Cri », la haine de l’Allemagne retentit comme un cri parcourant le monde depuis ses origines :

33

ô cri
Qui retentis, ici,
Monde, l’écoutes-tu à travers tes ruines
Gronder et s’exalter de poitrine en poitrine ?
Ce n’est plus le grand cri d’amour miraculeux
Que les peuples jadis se renvoyaient entre eux ;
C’est le cri d’aujourd’hui,
Qui fait courir, immensément, de plaine en plaine,
La haine.

34En même temps, ce recueil est une ode en l’honneur de la résistance courageuse des troupes belges et un hommage au couple royal. « Un Lambeau de Patrie », l’hymne de Verhaeren à la résistance belge au front de l’Yser, est de loin le poème le plus cité. Les poèmes les plus émouvants sont sans doute ceux qui évoquent les soldats tombés devant l’ennemi : « Soldats morts à la guerre », « Un deuil » et « La Patrie aux soldats morts ». Une citation du dernier poème :

35

Vous ne reverrez plus les monts, les bois, la terre,
Beaux yeux de mes soldats qui n’aviez que vingt ans
Et qui êtes tombés, en ce dernier printemps,
Où plus que jamais douce apparut la lumière.

36La guerre et les soldats sont au centre du recueil, mais Verhaeren n’oublie ni les infirmières (« Hôpitaux ») ni les activités fébriles dans les usines (« Les Usines de Guerre »). Rupert Brooke, le poète-soldat tombé au front, reçoit un poème à part. Parfois, Verhaeren surprend tout le monde. Dans À Ras de terre, poème consacré aux combats parfois chimériques dans le no man’s land, il lance un appel à la paix : « Oh ! Les moments de trouble et les heures d’ennui /[…]/ Il est même des jours / Où l’on se sent si las, si lourd, / Et d’humeur si contraire, / Que l’on voudrait soudainement / Peu importe comment / Finir la guerre ». Dans le poème final, « Les Tombes », on perçoit une dimension utopique et humanitaire. Mais là encore, il est clair que l’Allemagne payera : « … C’est vous qui châtieriez l’Allemagne superbe / Et dont l’Europe attend immensément debout / La paix organisée et sereine, c’est vous, / Belges, Anglais, Français, Italiens et Serbes… ».

37Verhaeren avait sans doute espéré un accueil triomphal pour ses Ailes rouges de la guerre. Il se considérait toujours comme un candidat éventuel au prix Nobel de littérature. Pour appuyer cette candidature, on fit même des projets pour une nouvelle tournée littéraire à travers le Danemark et les pays scandinaves. Mais ces rêves sont stoppés net quand la nouvelle arrive, le 13 novembre 1916, que le comité du Prix Nobel suédois a accordé son prix de littérature pour l’année 1915 à… Romain Rolland. Pour l’écrivain français, conspué par tout l’establishment français, ce prix doit avoir signifié une réhabilitation improbable et une victoire morale. En outre, le prix accordé à Rolland était perçu comme une verte réprimande adressée aux ultranationalistes qui l’avaient pris pour cible. Et, nous l’avons vu, Verhaeren n’avait pas manqué de jouer son rôle dans ce concert. Nous ne disposons pas de documents écrits sur le sujet, mais on peut être sûr que Verhaeren a reçu la nouvelle de cette attribution avec des sentiments pour le moins ambigus.

38Mais les événements prennent une tournure tragique : le 27 novembre 1916, Verhaeren perd la vie dans un accident de train en gare de Rouen. Il s’était rendu dans cette ville pour y donner une conférence lors de l’ouverture de l’exposition franco-belge au Musée des Beaux-Arts. C’était une des multiples formalités qu’entraînait son statut de poète national. Dans la gare, sur le point de rentrer à Paris, il fut happé par un train entrant en gare au milieu d’une foule massée sur le perron. Le poète décéda sur place.

Un symbole après sa mort

39La mort de Verhaeren mit fin à une vie mouvementée. Mais le symbole et le mythe « Verhaeren » prirent tout de suite la place laissée vide. La rumeur selon laquelle le poète aurait soupiré, juste avant de mourir, « Ma femme ! Ma patrie ! », cadrait parfaitement avec l’image du Verhaeren grand poète patriotique. Son enterrement aussi devint un événement chargé de significations nettement symboliques. Étant donné les circonstances de guerre, on estima qu’il fallait enterrer le poète au cimetière d’Adinkerke, le dernier morceau de patrie non occupée : Un Lambeau de Patrie. Au cours de la cérémonie d’adieu, on fit encore allusion au différend avec Rolland : « Le poète ne doit pas planer au-dessus de la mêlée, mais se jeter dans la mêlée avec l’arme dont il dispose, le verbe [46]. »

40Mais pour les parties adverses aussi, le poète resta un symbole. Par la suite, Paul Zech fit paraître dans la presse allemande une lettre de Verhaeren qui devait montrer que le poète non seulement avait renoué les contacts avec ses amis allemands d’avant la guerre, mais aussi qu’il avait été las de la guerre. Le poète patriotique aurait été un défaitiste… La Belgique officielle réagit immédiatement en publiant une protestation de Marthe Verhaeren : elle y nia de la façon la plus formelle que son mari eût jamais écrit une lettre pareille. La déclaration fut rendue publique par les services de la propagande belge [47]. Pour Loyson aussi, les assertions de Zech apportaient de l’eau au moulin de son discours anti-neutraliste [48].

41Les amis pacifistes d’avant la guerre ne manquèrent pas non plus l’occasion de récupérer le souvenir de Verhaeren en leur faveur. Après son décès, la revue Les Humbles consacra un numéro spécial à Verhaeren, où figura également un texte de Romain Rolland. En mars 1918, Les Cahiers idéalistes publièrent la totalité de la correspondance que les deux écrivains avaient échangée au cours de la guerre. Toute sa vie, Rolland est resté intimement convaincu que Verhaeren, s’il avait pu vivre, aurait fini par adopter son point de vue à lui. L’adieu le plus émouvant, c’est Stefan Zweig qui le formula. En hommage ultime au poète décédé, il publia en 1917, à compte d’auteur, ses Erinnerungen an Émile Verhaeren. Il fit abstraction des différends qu’ils avaient eus pendant la guerre et laissa parler son cœur :

42

Jamais je n’ai rencontré personne qui m’ait donné une plus belle réalité du Poète, une plus belle unité de l’homme et de l’œuvre [49].

43Dans ses écrits, Verhaeren s’était présenté comme un adversaire acharné des Allemands. Mais on aurait tort de croire que cela ait entraîné l’interdiction absolue de publier ses poèmes en Allemagne ou en Belgique occupée. En février 1917, on put, sans problème, organiser une rencontre à Bruxelles en mémoire du poète décédé [50]. « Le Passeur d’eau », le poème célèbre de Verhaeren, figura même à la une d’une feuille de propagande allemande, avec une illustration de Ramah [51]. Dans les milieux de l’opposition gauchiste allemande, les vers de Verhaeren restèrent populaires : Die Aktion de Franz Pfemfert accueillit même, dans une anthologie de poésie française, le poème Der Aufruhr, la traduction allemande de La Révolte[52]. Ainsi, la poésie de Verhaeren continua à servir des objectifs divergents.

Conclusion

44On estime généralement que la Première Guerre mondiale a sonné la fin d’une époque. Pour Verhaeren aussi, elle a été une césure, dans sa vie comme dans son œuvre. Les années de guerre ont fait surgir un Verhaeren qu’on aurait difficilement pu s’imaginer avant : le poète aux sympathies socialistes qui travaillait à l’entente entre les peuples, s’est transformé en un patriote déclaré et un partisan du Roi-Chevalier. C’est la Grande Guerre qui a créé l’image d’un Verhaeren grand poète national. Devenu prisonnier de son rôle, il n’a plus été capable de prendre ses distances à l’égard de l’idéologie nationaliste. Ce faisant, il s’est détourné de ses partisans d’avant-guerre, Romain Rolland et Stefan Zweig, qui eux avaient rejoint le camp du pacifisme et de la neutralité. Ils marquèrent ainsi les deux pôles les plus importants de l’engagement littéraire : le patriotisme et le pacifisme. Pendant la guerre, Verhaeren a sans doute atteint le sommet de sa gloire. Ses poèmes de guerre étaient alors omniprésents. On doit tout de même reconnaître que plusieurs d’entre eux, surtout ceux où la haine anti-allemande et le patriotisme prennent le dessus, sont passablement datés. À une époque animée par l’unification de l’Europe, ils ont même quelque chose d’anachronique. Mais il y en a d’autres qui ont gardé une pertinence : et que l’on accueille toujours dans les anthologies contemporaines de poésie de guerre [53]. Par ailleurs, on peut constater qu’au fil des années, l’image de Verhaeren s’est modifiée petit à petit : récemment, en parlant des écrivains de la guerre un journal flamand lui décerna même une étiquette de pacifiste [54]. On dirait que nous ne pouvons plus nous imaginer que quelqu’un ait pu être simplement un poète belge patriote.

Notes

  • [1]
    — Le Temps, 5 décembre 1916.
  • [2]
    — C. Prochasson & A. Rasmussen, Au nom de la patrie. Les intellectuels et la Première Guerre mondiale (1910-1919), Paris, 2010, 316 p. ; F. M. Frémeaux, Écrivains dans la Grande Guerre. De Guillaume Apollinaire à Stefan Zweig, Paris, 2012, 376 p. ; N. Mariot, Tous unis dans la tranchée ? 1914-1918, les intellectuels rencontrent le peuple, Paris, 2013, 496 p. ; E. Godo, Pourquoi nous battons-nous ? 1914-1918 – Les écrivains face à leur guerre, Paris, 2014, 384 p.
  • [3]
    — J. Marx, Verhaeren. Biographie d’une œuvre, Bruxelles, 1996, 675 p. ; P. Servaes, Émile Verhaeren. Vlaams dichter voor Europa, Berchem, 2012, 1075 p.
  • [4]
    — F. Van de Kerckhove, « Verhaeren, une affection passionnée », in : L. Richard (e.a.), Stefan Zweig, nouveaux regards, Paris, Le Magazine littéraire, 2012, p. 137-148.
  • [5]
    — P. Servaes, op. cit., p. 852-853.
  • [6]
    — É. Verhaeren, Notes, été 1914. AML, FS XVI 1181.
  • [7]
    — « Au Reichstag », in É. Verhaeren, Les Ailes rouges de la Guerre, Paris, 1916, p. 17-21.
  • [8]
    — É. Verhaeren, L’Esprit belge, s.d. (1914), AML FS 1123
  • [9]
    — Voir aussi : J. Marx, « Autopsie d’un poète national », in Textyles, n°11, 1994, p. 21-34.
  • [10]
    — « Les Exodes », in É. Verhaeren, Les Ailes rouges de la Guerre, Paris, 1916, p. 51-56.
  • [11]
    — Lettre de R. Sadler à É. Verhaeren, Londres, 11 août 1914. AML, FS XVI 148/1085.
  • [12]
    — É. Verhaeren, The Sunlit Hours, translated by Charles R. Murphy, Londres, 1916 ; É. Verhaeren, Afternoon, translated by Charles R. Murphy, Londres-New York, 1917 ; É. Verhaeren, The Love Poems, translated by F. S. Flint, Londres-Boston-New York, 1916 ; É. Verhaeren, The Evening Hours, translated by Charles R. Murphy, New York, 1918 ; É. Verhaeren, Poems, translated by Alma Strettell, Londres-New York, 1915 ; É. Verhaeren, The Plays, Londres-Boston-New York, 1916.
  • [13]
    — S. Zweig, Émile Verhaeren, Londres-Boston-New York, 1914.
  • [14]
    — Lettre de Marthe Verhaeren à Theo Van Rysselberghe, Londres, 23 octobre 1914, AML FS XVI 148/1614-1615.
  • [15]
    — J. Marx, op. cit., p. 505. « Les Crimes », in É. Verhaeren, La Belgique sanglante, Paris, 1915, p. 23.
  • [16]
    — É. Verhaeren, Belgium’s Agony, translated by M. T. H. Sadler, Londres, 1915, p. 3-7.
  • [17]
    — É. Verhaeren, « Les Pays sanglants », in Les Annales politiques et littéraires, 8 juillet 1915, nr. 1673.
  • [18]
    — «Verhaeren verleumdet », in Frankfurter Zeitung, 6 novembre 1914. « Émile Verhaeren, der Schmäher », in Vossische Zeitung, 16 novembre 1914.
  • [19]
    — Die Schaubühne, 19 novembre 1914. Traduit et intégralement publié dans Mercure de France, 1er avril 1915, n°412, p. 813-816.
  • [20]
    — Lettre de R. Rolland à É. Verhaeren, Genève, 23 novembre 1914. AML, FS XVI 148/1050.
  • [21]
    — Union sacrée, dans : Le Figaro, 1er juin 1915.
  • [22]
    — « Au Front en Flandre », in Les Annales politiques et littéraires, 3 janvier 1915, n°1645.
  • [23]
    — « Mon Âme, elle est là-bas… », in É. Verhaeren, Les Ailes rouges de la guerre, Paris, 1916, p. 59-61.
  • [24]
    — King Albert’s Book. A tribute to the Belgian King and People from representative Men and Women throughout the World. Londen, The Daily Telegraph, 1915, p. 73.
  • [25]
    — S. de Schaepdrijver, « “O faiseuse de crépuscule” : Deutschlandbilder in Belgien im Grossen Krieg », in M. Beyen, G. Daye en H. Roland (eds), Deutschlandbilder in Belgien, 1830-1940, Münster-New York, 2011, p. 292-296.
  • [26]
    — « L’Âme moderne », in É. Verhaeren, La Belgique sanglante, Paris, 1915, p. 151-152.
  • [27]
    — Le Temps, 13 mars 1915.
  • [28]
    — É. Verhaeren, « La Belgique de Demain », in Les Annales politiques et littéraires, (n° consacré à la Belgique libre), 20 juin 1915, n°1871.
  • [29]
    — P. Servaes, op. cit., p. 911-912.
  • [30]
    — É. Verhaeren, La Belgique sanglante, Paris, 1915, 152 p. Le livre est également traduit en anglais, en russe et en italien.
  • [31]
    — Lettre de R. Rolland à É. Verhaeren, Genève, 23 novembre 1914. AML FS XVI 148/1050.
  • [32]
    — F. Van de Kerckhove, Verhaeren – Zweig, Correspondance. Bruxelles, 1996, p. 506.
  • [33]
    — Ibidem, p. 80-82.
  • [34]
    — P. Servaes, op. cit., p. 888-891. J. Marx, op. cit, p. 521-522.
  • [35]
    — Lettre de G.-Ch. Cros à É. Verhaeren, Gardelegen, 27 juin 1916. AML FS XVI 148/227.
  • [36]
    — Lettre de T. Roosevelt à É. Verhaeren, New York, 10 juillet 1915. AML FS XVI 148/1057.
  • [37]
    — Lettre de A. Heuman à É. Verhaeren, Paris, 13 juin 1915. AML FS XVI 148/541.
  • [38]
    — Lettre de E. Key à É. Verhaeren, Alvastra, 8 mai 1915. AML FS XVI 148/581.
  • [39]
    — Lettre de R. Rolland à É. Verhaeren, Genève, 14 juin 1915. AML FS XVI 148/1051.
  • [40]
    195 — R. Rolland, Au-dessus de la mêlée, Paris, 1915, 163 p. ; B. Duchatelet, Romain Rolland, une œuvre de paix, Paris, 2010, 224 p.
  • [41]
    — Paul Hyacinthe Loyson, Êtes-vous neutres devant le crime ? par un pacifiste logique, Paris, 1916, 237 p.
  • [42]
    — L. Dumont-Wilden, « Le Prix Nobel. On le demande pour Verhaeren », in Le Matin, 30 novembre 1915. AML FS XVI 148/1335.
  • [43]
    — Lettre d’É. Verhaeren à J. Mesnil, 3 décembre 1915, in Les Cahiers idéalistes, n°1, février 1917, p. 9.
  • [44]
    — F. Van de Kerckhove, Verhaeren – Zweig, Correspondance, op. cit., p. 82-82. P. Servaes, op. cit., p. 905.
  • [45]
    — É. Verhaeren, Les Ailes rouges de la guerre, Paris, 1916, 252 p.
  • [46]
    — G.D., « Le Poète et la Patrie », in Le Temps, 5 décembre 1916.
  • [47]
    — « Une prétendue déclaration de lassitude du poète belge Émile Verhaeren », Curiosités de guerre belges, n°9, s.d. (1916), 2 p. (AML-Bruxelles, ML 09177/0001).
    [« De Belgische dichter Émile Verhaeren zou kort voor zijn dood moeheid hebben bekend » (« Le poète belge Émile Verhaeren aurait avoué sa fatigue quelque temps avant sa mort »), Belgische oorlogszeldzaamheden, n°9, Pamflet, s.d. (1917). Archief PMEV].
  • [48]
    — P.-H. Loyson, Les Maquilleurs de cadavres. Sur la tentative de conversion posthume d’Émile Verhaeren, s.d. (1917). AML, 6050/11.
  • [49]
    — S. Zweig, Souvenirs sur Émile Verhaeren, Bruxelles, 1931, p. 25.
  • [50]
    — Affiche, L’Œuvre Nouvelle, Séance commémorative Émile Verhaeren, Bruxelles, 11 février 1917 (PMEV).
  • [51]
    — Gazette des Ardennes, Charleville, 1er août 1918, édition illustrée, n°75.
  • [52]
    — Der Hahn, Die Aktions-Lyrik, Übertragungen aus dem Französischen von T. Däubler, Berlin, 1917, p. 57-62.
  • [53]
    — G. Pico, Poèmes de Poilus. Anthologie de poèmes français, anglais, allemands, italiens, russes, 1914-1918, Paris, 2014. G. Beulens, Het lijf in slijk geplant : gedichten uit de Eerste Wereldoorlog, Amsterdam, 2008.
  • [54]
    — P. Jacobs, « Schrijvers in Oorlog », in De Standaard, 8 novembre 2013, p. L12-L13.
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