Notes
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[1]
L’auteur remercie Christian Thuderoz, Arnaud Stimec et les deux évaluateurs anonymes pour leurs suggestions et commentaires.
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[2]
Christophe Dupont (1994, 2008) a proposé de la traduire par « Solution 3A – Alternative en cas d’Absence d’Accord ». Alain Lempereur et Aurélien Colson (2004) préfèrent utiliser l’expression « Solution hors table ».
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[3]
Nous employons ici le terme d’alternatives en son sens anglais (des possibilités, des voies autres, des scénarios de remplacement, etc.), et non dans son acception française (une situation de deux seuls choix possibles).
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[4]
Voir, à ce sujet, François Jullien et son Traité de l’efficacité (1997), ainsi que les travaux de Guy-Olivier Faure (1998) sur le « concept chinois de négociation ».
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[5]
Voir à ce propos l’entretien avec Christian Schmidt, « La neuroéconomie rend compte de cette métamorphose de l’agent au cours même du jeu de négociation », Négociations, volume 2008/2.
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[6]
Ces outils complètent « Les 10 atouts d’une bonne préparation » proposés dans l’ouvrage d’Alain Pekar Lempereur et Aurélien Colson, (2004), Méthode de négociation. On ne naît pas négociateur, on le devient, p. 39-67.
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[7]
Nous résumons par la convention « A. » (majuscule A, suivie d’un point) l’idée de « meilleure alternative ».
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[8]
Le coût d’opportunité est le coût, évolutif, de ce à quoi le négociateur renonce en fixant sa MESORE (par exemple : choisir un responsable politique parmi quatre candidats, c’est renoncer aux qualités des trois autres, que le préféré n’a peut-être pas…). Les coûts de transaction sont les coûts nécessaires, directs et indirects, à la détermination de la MESORE préférée (qui est plus large que la MESORE proprement dite. Exemple : frais de recherche, frais d’investissements, temps, stress, efforts, dépenses diverses se rapportant à la MESORE). Le coût de risque est l’évaluation du degré d’incertitude de la réalisation de la MESORE (soit l’évaluation de la possibilité d’avoir fait le mauvais choix). Le coût par rapport à l’impact est le coût évalué de la plus-value ou de la moins-value de la solution par rapport la situation existante. Le coût du rétablissement de l’asymétrie d’information est le coût nécessaire pour obtenir le même niveau d’information que son ou ses adversaires. Enfin, l’influence du pouvoir généré est une estimation chiffrée du degré de pouvoir (évolutif) perçu par chaque négociateur.
À la mémoire de Christophe Dupont
« Suaviter in modo, fortiter in re »
Claudio Aquaviva (1543-1615)
5e Supérieur général des Jésuites
Introduction
1« Meilleure solution de rechange », ou MESORE [1]. L’expression et son acronyme sont la traduction de ceux proposés au début des années 1980 par Roger Fisher et William Ury : « Best Alternative To a Negotiated Agreement », ou BATNA [2]. Cet outil est présenté dans les manuels comme un moyen efficace de réussir sa négociation, en particulier – c’est dans ce cadre qu’il a été proposé – quand « la partie adverse est plus puissante » : « Un négociateur qui possède une MESORE, écrivent Fisher et Ury dans Comment réussir une négociation (1982), traduction de leur best-seller Getting to Yes (1981), est donc plus apte non seulement à déterminer l’accord minimum qu’il peut accepter mais encore à l’obtenir. Rechercher sa MESORE est certainement la ligne de conduite la plus efficace qu’il puisse adopter quand il affronte un négociateur apparemment plus puissant » (p. 161).
2« La plus efficace ? » C’est l’originalité de l’outil : puisque l’individu qui s’engage dans une négociation, notent Fisher et Ury, cherche à obtenir un résultat supérieur à celui qu’il pourrait obtenir sans négocier, sa MESORE, soit sa solution de rechange en dehors de tout accord, devient un critère pour se prémunir, à la fois contre la signature d’un accord qui lui serait défavorable, et contre le refus d’un accord qu’il aurait intérêt à conclure. « Au lieu de rejeter purement et simplement, poursuivent les auteurs, toutes les solutions qui ne correspondent pas au seuil non négociable qu’on s’est fixé à l’avance, on peut comparer toutes les propositions avec sa MESORE, et retenir celles qui se révèlent plus profitables. » (p. 154). Les inconvénients du seuil non négociable – soit ce point au-delà duquel le négociateur préfère rompre la négociation plutôt que la poursuivre ; son prix maximum, s’il est un acheteur, son prix plancher, en-dessous duquel il refusera de descendre, s’il est vendeur ; autrement dit : son resistance point, pour reprendre le terme usuel dans la littérature depuis Richard Walton et McKersie (1965) – les inconvénients, donc, de ce seuil, sont minorés puisque ce négociateur, pourra « tirer parti de ce qu’on peut apprendre dans le cours même de la négociation » et mobiliser son imagination pour « inventer une solution sur mesure qui permettrait de concilier les intérêts divergents des parties en présence pour leur plus grand bénéfice mutuel » (p. 151). Doté d’une solution de rechange, le négociateur dispose d’une plus grande marge de manœuvre ; il ne doit pas simplement accepter ou refuser la proposition qui lui est faite, en fonction de ce « seuil non négociable » qu’il s’est donné, peut-être arbitrairement, et qui peut s’avérer trop rigide ; il peut à tout moment engager une négociation avec un autre négociateur, ou obtenir ce qu’il désire d’une tout autre façon que par un accord négocié.
3De sorte que quatre éléments clés, énoncent les manuels, sont nécessaires à tout négociateur dans sa phase de préparation : sa cible (ce qu’il peut raisonnablement espérer obtenir par un accord négocié), son point de résistance (le seuil, en deçà duquel il refuse tout accord), l’offre d’ouverture (le meilleur accord qu’il ne pourra jamais obtenir, qu’il énonce en liminaire) et sa meilleure alternative (l’offre, ou l’opportunité qu’il peut saisir, avec un autre négociateur, ou sans recourir à une quelconque négociation). L’apport, décisif, de Fisher et de Ury fut de mettre en lumière ce dernier point d’ancrage et de l’ériger en instrument de mesure du contenu de l’accord.
4Sauf que cette MESORE, dans son déploiement pratique, n’est guère évidente à découvrir ou à manipuler, et sa théorisation reste limitée. Notre projet est de montrer que cette faible théorisation peut cacher des faiblesses conceptuelles. Il semble donc nécessaire, trente ans après sa première formulation, d’ouvrir le dossier de la « meilleure solution de rechange » – et plus largement des alternatives [3] en négociation –, d’en instruire le procès, pour mieux l’intégrer dans le socle conceptuel de la théorie de la négociation. Après l’examen critique de cet outil (I), nous tracerons donc les grandes lignes d’un programme de recherche et proposerons aux négociateurs quelques outils pratiques d’évaluation (II).
Critiques de la mesore
5Trois critiques principales peuvent être adressées à la notion de MESORE. Elles correspondent à autant de défis, théoriques et pratiques, à relever. Lesquels ? La notion est faiblement conceptualisée ; il existe un problème de mesure de cette solution de rechange et d’anticipation de son déploiement ; enfin, elle connote une vision statique et ethno-centrée de la négociation. Examinons ces trois problèmes.
Un flou conceptuel
Trois conceptions distinctes
6Premier problème : la notion apparaît partagée, dans les travaux de ceux qui ont tenté de la théoriser, entre trois conceptions téléologiques distinctes : elle serait un point de rupture, à fixer de façon anticipée ; une solution de rechange, à disposition du négociateur ; enfin, un moyen pour ce dernier d’exercer son pouvoir. Qu’une alternative à un accord négocié revête plusieurs dimensions, ou possède plusieurs caractéristiques, n’est pas en soi dommageable. Mais le flou conceptuel, pour une notion aussi centrale dans l’interest-based negotiation (« la négociation raisonnée », a-t-on traduit en français), pose cependant problème…
7Prenons la première acception : la MESORE, pensée comme un point de rupture, que le négociateur doit fixer de façon anticipée. Le problème est double. D’une part – et c’est une critique souvent formulée à l’encontre de cette notion –, il semble difficile de connaître, avant une négociation avec un individu, sa meilleure alternative, et d’imaginer celle des participants potentiels à ce futur processus, puisqu’incertain, indéterminé est son cheminement ! Nous y reviendrons plus loin. D’autre part, le processus de négociation a probablement de fortes chances de cheminer à coup sûr vers ce point fatidique, puisqu’il est continuellement dans et devant l’esprit des négociateurs. Le niveau d’aspiration et de créativité des négociateurs tendra alors à s’amoindrir, et le processus de concessions réciproques s’en trouvera probablement faussé. Chacun risque en effet de tendre rapidement vers son alternative optimale – sa « meilleure solution de rechange » –, puisque celle-ci, quand elle a été imaginée par le négociateur, se présentait comme un moyen efficace de parvenir à l’objectif qu’il s’était fixé. Daniel Druckman (2009, p. 438) remarque ainsi qu’imaginer des alternatives peut produire des effets négatifs dans la recherche d’un « “bon” accord », en générant des attitudes non empathiques et des solutions sous-optimales.
8La deuxième acception de la MESORE – comme option alternative, comme repli ou comme « plan B » – pose un autre problème : sa possible évolution tout au long du processus de négociation. Lisa Bingham (2006), dans sa notice du Negotiator’s Fieldbook, indique (p. 115) que cette solution de rechange n’est pas statique et qu’elle peut évoluer. Mais elle ne s’attarde pas sur la contradiction sous-jacente : comment le négociateur peut-il se doter d’une solution de repli avant d’entrer en négociation, tout en pouvant modifier cette solution au cours du processus de négociation, selon les circonstances et la trajectoire de ce dernier ?
9David Lax et James Sebenius, dès 1991, conscients que ces solutions de rechange pouvaient être soumises à modification pendant le processus même de négociation, conseillaient aux négociateurs d’investir quelques efforts, temps et moyens afin d’améliorer ou de renouveler constamment leurs alternatives. Cette proposition, paradoxalement, tant elle ouvrait de nouveaux horizons, n’a pas connu de suivi ni d’approfondissement. Les auteurs eux-mêmes, d’ailleurs, n’étayaient pas non plus à l’époque leur raisonnement, notamment par une présentation de critères d’évaluation et la fourniture de méthodes d’établissement ou d’amélioration de ces alternatives. Ces mêmes auteurs, par la suite, (par exemple, dans 3D Negotiation : Powerful tools to Change the Game in Your Most Important Deals, 2006) n’ont pas apporté de nouvelle lumière par rapport à leurs explications antérieures ; ils étaient pourtant les premiers à décrire la MESORE comme un « point de reconfiguration » de la négociation…
10Michael Carrell et Christina Heavrin dans Negotiation Essentials (2008) franchissent un pas décisif et l’indiquent dès le titre du chapitre concerné : « Changes in BATNA During Negotiations ». Se référant aux travaux de Lax et Sebenius, ils notent (p. 112) que le cheminement d’une négociation peut en effet faire émerger de nouvelles alternatives et celles-ci concourir à la production d’accords jugés acceptables.
11La dernière acception de la MESORE – une source et un levier de pouvoir – est très présente dans la littérature. Fisher et Ury l’ont conceptualisée comme telle : « Un moyen fondamental d’augmenter son pouvoir est de se ménager une excellente porte de sortie. Une MESORE séduisante est un bon moyen de persuader l’autre d’offrir plus. (…) Les efforts pour améliorer ses solutions de rechange et dégrader celles de l’autre partie constituent des moyens décisifs d’augmenter son pouvoir en négociation. » (p. 265).
12Leigh Thompson, auteur d’un ouvrage périodiquement réédité, The Mind and the Heart of the Negotiator (2004), estime que l’alternative à un accord négocié est « la plus importante source de pouvoir ». Certes. Mais est-ce toujours et partout le cas ? N’existe-t-il pas d’autres sources de pouvoir, ou plus importantes que ces alternatives ? Et comment s’articulent ces diverses sources et moyens de pouvoir, internes ou externes au processus ? Autant de questions, avouons-le, que la littérature aborde peu ou pas du tout quand elle parle de MESORE…
Définitions imprécises d’une ancienne notion
13L’acronyme sert donc à couvrir des définitions différentes, souvent imprécises. Il existe ainsi, dans la littérature, outre des descriptions par paraphrases – « Qu’est-ce que je vais faire si la négociation échoue ? » (paraphrase pour MESORE, traduite du texte anglais, ce qui est également le cas pour BOZO, « Beste oplossing zonder onderhandelen », l’acronyme en néerlandais) –, une multitude de formulations, selon les auteurs, pour énoncer la même idée. Florilège : « Accord souhaité préférentiel, ou potentiel » ; « Action de gravitation vers le point de rupture » ; « Détermination des points critiques » ; « Meilleur substitutif » ; « Meilleure alternative à un accord proposé » ; « Options en dehors d’un accord » ; « Option alternative plus attractive » ; « Porte de sortie » ; « Point de reconfiguration » ; « Police d’assurance » ; « Sinon… » ; « Solution en dehors de la négociation » ; « Solution de rechange » ; « Solution 3A – Alternative en cas d’Absence d’Accord » ; « Solution hors table » ; « Transaction de substitution » ; « Valeur du rapport coût/bénéfice de ce qu’une partie peut obtenir sans négociation » ; « Valeur à laquelle l’on compare les offres ».
14Que signifie exactement l’expression : « best alternative to a negotiated agreement », dotée d’un article indéfini ? Elle semble indiquer qu’il existe une alternative, jugée « meilleure », à un accord négocié. Mais de quel accord s’agit-il ? Avec qui est-il ou a-t-il été négocié ? Deepak Malhotra et Max Bazerman (2008), conscients du problème, ont ôté l’article. Ils décrivent la BATNA comme la « best alternative to negotiated agreement ». Ce qui est de bon sens : le négociateur évalue ses options au regard de ce qu’il est en train de réellement négocier, non pas par rapport au fait, général, de négocier un accord ! Alvin Goldman et Jacques Rojot (2003) usent également d’un autre acronyme : BAPA, pour « Best Alternative to a Proposed Agreement ». En effet, disent-ils avec justesse, la meilleure option ne peut être dite préférable à « un » accord négocié, mais au « présent accord en cours de négociation ». C’est ce dernier qui pourrait être remplacé par un autre accord, avec d’autres partenaires, ou par une autre solution, non négociée, qui se présenterait opportunément et qui serait aussitôt saisie.
15Rares sont également les auteurs qui inscrivent clairement la notion de MESORE dans son contexte historique et théorique. Tout se passe comme si elle naissait en 1981… Or elle est en quelque sorte la reformulation de celle « d’alternatives », usuelle depuis les premiers travaux académiques dans le champ de la négociation. On trouve ainsi chez l’économiste John Hicks, dès son ouvrage Value and Capital (1939), l’idée de substitution d’une alternative par une autre. Cet « effet de substitution » traduit la recherche dynamique par un consommateur d’une solution équivalente, se substituant au choix auquel il est confronté. William Zartman (2008 p. 83), soulignant la valeur des alternatives dans la construction du bargaining power rappelle, à juste titre, que le terme d’« alternatives » est diversement décliné selon les auteurs, mais qu’un même esprit les rassemble : « security points » chez Zartman (1987), « damage » chez Harsanyi (1977), « reservation price » chez Lax and Sebenius (1986), « threat potential » ou « security level » chez Rappaport (1966), « resistance point » chez Walton et McKersie (1965), et, bien sûr « best alternative to a negotiated agreement » chez Fisher and Ury (1981).
16Notons également que de récents développements, dans plusieurs disciplines, ont élargi le domaine intellectuel des connaissances sur l’action individuelle et collective. Théories de la cognition, théories de la décision (avec les travaux sur les distorsions ou sur les heuristiques), théorie des jeux non coopératifs : autant d’avancées dont les applications pratiques dans le champ d’étude de la négociation sont en train d’émerger. La notion de MESORE ne semble cependant pas avoir été réexaminée à cette aune… Peu de travaux portent également sur la confrontation des notions entre elles. Ainsi, le rapport – la similitude, la différence – entre la MESORE et le « point de rupture, ou de résistance » (ou le « prix de réserve ») est rarement interrogé. Le PR d’un négociateur est-il lié à sa MESORE – et réciproquement ? Comment établit-il ce PR s’il n’a pas envisagé – ce que font nombre de négociateurs ! – ses alternatives ? Comment, à partir des limites qu’il se donne, établit-il ses diverses solutions de rechange et, parmi elles, sa « meilleure » ? Ou encore : qu’apporte de nouveau la notion de MESORE ? Que dit-elle de plus que celle de PR ne disait pas ? Christophe Dupont, dans son ouvrage La Négociation post-moderne (2008) reconnaissait que la notion de BATNA est ainsi « une notion plus complexe et plus délicate qu’il n’y paraît » (p. 160)…
17De même, n’a guère été interrogé le rapport entre la MESORE et le processus de négociation. William Zartman (2009, p. 324) esquisse pourtant une intéressante hypothèse : une MESORE « forte » appelle une négociation distributive (jouer le jeu durement), et une MESORE « faible, ou affaiblissante » favorise, suggère-t-il, un comportement intégratif (si la distance entre le point de sécurité et la protection du bénéfice à acquérir ou la perte à éviter est grande). Mais qu’est-ce qu’une solution « forte » ou « faible » ? Comment la mesurer ?
Un problème de mesure et d’anticipation
18C’est la deuxième série de critiques qu’on peut adresser à la notion de MESORE : la difficulté de son emploi pratique, le flou artistique entourant sa mesure. Trois problèmes, complémentaires, existent : comment connaître sa « meilleure » solution de rechange ? Comment, concrètement, évaluer cette solution ? Et comment en user pratiquement, en négociation, certes, mais aussi en médiation ou en résolution de conflits ? Examinons-les un à un.
19Connaître sa MESORE. Dans le modèle d’origine, la MESORE doit en effet être définie en amont, avant de s’engager dans un processus de négociation – c’est à ce titre qu’elle serait fonctionnelle. « Faute de s’être ménagé à l’avance une roue de secours » (p. 154) ; « disposer d’une réponse provisoire », sans céder « à la tentation de discuter d’abord » (p. 155) ; « armée d’une MESORE bien étudiée » (p. 157) ; « savoir ce qu’on fera en cas de rupture » (p. 159) ; « découvrir sa MESORE et la peaufiner » (p. 161), etc. : autant de phrases, dans l’ouvrage de Fisher et Ury, qui indiquent clairement que ces solutions de rechange s’élaborent ou se découvrent ex ante, et servent de « signaux d’alarme », de « lignes de conduite » et d’« outil d’évaluation ». Comment élaborer un signal, définir une ligne ou construire un outil, si le processus de négociation, au fur et à mesure de son déroulement, modifie le signal, la ligne et l’outil ?
20Évaluer sa MESORE. Comment la mesurer pratiquement ? Peu de travaux nous renseignent à ce sujet. Du coup, si elle est comprise sur le plan théorique, la notion de « meilleure alternative » semble illusoire, non immédiatement applicable pour un négociateur. Elle peut également souffrir de divers biais, dont le biais de la représentation (c’est-à-dire : l’importance exagérée attribuée à des événements rapprochés par rapport à la moyenne statistique). Ces déviations cognitives et heuristiques se présentent plus facilement lorsqu’il s’agit d’une alternative situationnelle plutôt qu’une alternative chiffrée. Or, la plupart des exemples pris par Fisher et Ury concerne des négociations où sont seuls en jeu des items monétaires : vente d’un bien immobilier, montant des impôts versés par une multinationale, etc. Dans le cas de négociations non monétaires, plus grands seront alors les obstacles. Et les difficultés de la mesure directe de leur MESORE, sans outil approprié, conduiront les négociateurs à ne pas s’y intéresser vraiment…
21Mettre en œuvre sa MESORE. C’est le dernier problème : indiquer à l’autre sa MESORE, rompre les négociations, faire accord avec un autre partenaire, etc., se révèlent des options difficiles à exécuter, puisqu’incertaines sont leurs conséquences et invérifiable leur pertinence. Rares sont les auteurs qui se sont obligés à l’objectiver ou à l’évaluer méthodiquement par systématisation ou modélisation au bénéfice des parties négociantes. Le fait qu’à chaque fois, ce sont des exemples concrets qui sont offerts au lecteur montre que la notion souffre d’un réel déficit d’objectivation.
22Howard Raiffa (1982) a inauguré la complexité de la question en montrant que la MESORE ne pouvait vraiment se déployer qu’en cas de négociations multilatérales, avec la possibilité pour le négociateur de quitter une coalition et en choisir une autre pour contracter avec elle. Dans ses Lectures on Negotiation Analysis, Raiffa (2002) évalue et quantifie un grand nombre de situations de négociation. S’il y parle de « créer les meilleures alternatives » et de « faire de sa BATNA sa valeur de réserve », il ne la quantifie pourtant pas, et ne propose ni paramètres ni modèles pour cela. Il renvoie simplement aux problèmes de décision et aux « smart choices » (utiles pour comparer des possibilités de choix). En fait, Raiffa sépare le processus de négociation de la fixation de la MESORE, pour loger celle-ci dans la théorie de la décision. Ne doit-elle pas, cependant, s’insérer en totalité dans une théorie générale de la négociation ?
23Matthias Raith, s’appuyant sur l’ouvrage de Ralph Keeney et Howard Raiffa (1976), s’attache à ce problème de mesure, dans une situation où les objets de négociation ne sont pas monolithiques mais séparables. Il propose, dans ce cadre, une méthode dyadique comparative d’évaluation point par point, accompagnée de pondération par allocation de priorités. Il compare ainsi les différentes options qui se présentent pour calculer et comparer la MESORE de chacune des parties. Le progrès est net ; et nous poursuivrons son effort en proposant nous-mêmes, plus loin, des outils de calcul et de comparaison.
Une vision rationalisante et ethno-centrée
24Dernière critique majeure adressée à la notion de MESORE : le problème de sa cohérence et de son universalité. Les analyses et descriptions de la MESORE semblent en effet manquer de logique, tout en se présentant comme rationnelles. D’une part, elles tiennent insuffisamment compte de la perception subjective avec laquelle les négociateurs approchent la MESORE et, d’autre part, elles négligent sa dynamique, évolutive, du fait des modifications du contexte de négociation.
25Les perceptions que chaque négociateur a de lui-même, de ses besoins et intérêts, et celles qu’il a de l’autre négociateur et de ses besoins et intérêts, influent grandement sur les alternatives qu’ils peuvent tous deux imaginer. Les négociateurs apprennent l’un de l’autre et s’influencent donc mutuellement pendant la négociation, puisque chaque partie évalue subjectivement son alternative et celle que possède l’autre.
26Détricoter et combattre un déséquilibre perceptif est le premier mouvement du négociateur expérimenté. En effet, le négociateur, et surtout le négociateur compétitif, surévalue ce qu’il estime être son alternative. Il négocie avec son ego (une « égociation », pourrait-on dire…), qui s’en trouve ainsi temporairement renforcé. La conséquence est qu’il croit qu’il veut et peut imposer sa volonté, excluant alors tout mouvement coopératif. Aucune négociation ne ressemblant à une autre, les participants à ce type de processus risquent également de se comporter différemment d’une négociation à l’autre.
27Second problème : la prise en compte insuffisante des différences du contexte culturel et historique. Reconnaissons que l’instrument MESORE s’appuie sur une certaine culture : la culture pragmatique et utilitariste propre aux États-Unis.
28L’idée d’une « meilleure solution de rechange » est en effet éloignée de la culture orientale, caractérisée – nous schématisons – par une réflexion circulaire, d’où est absent le principe du déploiement d’une alternative directe, où les termes « oui » et « non » n’ont pas la même force qu’en Europe – c’est d’ailleurs aussi le cas dans certaines cultures d’Europe continentale –, et par une approche plutôt indirecte de la négociation, faite de déplacements en forme de spirale horizontale. Ainsi les concepts taoïstes de Ying et de Yang ne sont pas des éléments opposés ; ils s’imbriquent et forment une entité interactive. Il ne s’agit pas d’une alternative à la façon européenne ou anglo-saxonne [4]. Dans le cadre d’une pensée logique occidentale, le négociateur se concentre sur l’objet qu’il tente d’obtenir rapidement et directement (intérêt immédiat), tandis que l’attention du négociateur oriental serait plutôt dirigée vers la relation (intérêts sous-jacents).
29Pour affirmer l’originalité du raisonnement en termes de MESORE, il fallait également, outre-Atlantique, passer sous silence – à part quelques rares exceptions chez des auteurs au fait de cette tradition – l’acquis historique européen en matière de négociation pilotée par les alternatives – nous pensons ici à Talleyrand, qui créait ses alternatives à partir d’une multitude d’options cadrées, aboutissant à une série imbriquée d’alternatives interconnectées, tactiques et stratégiques, génialement exploitées (De Waresquiel, 2006 ; Dupont, 2008). Cette autarcie intellectuelle se double d’une certaine méconnaissance de l’histoire diplomatique occidentale, dont les approches restent pourtant fondamentalement d’actualité (De Callières, 1716/2002 ; Dupont et Audebert, 2005 ; Goovaerts, 1999).
Relever les défis, théoriques et pratiques, de la MESORE
30Les critiques qui viennent d’être adressées à la notion de MESORE, soulignant ce qui nous semble être son imperfection systémique, dessinent, en creux, les grandes lignes d’un programme de recherche théorique, rapidement décrit ci-dessous, et les linéaments d’une sorte de vade-mecum, valable pour tout négociateur, praticien ou en formation.
Un programme de recherche sur les alternatives en négociation
31Ce programme pourrait comporter les thématiques suivantes (nous les présentons ici sous la forme de questions spécifiques de recherche, soit la déclinaison en six points d’une question plus générale, que nous résumons ainsi : comment construire l’instrument « alternative en négociation » de façon plus rigoureuse ? Comment le doter d’une créativité dynamique ?) :
32La première question concerne la place du concept de MESORE dans la construction d’une théorie globale de la négociation : doit-elle ou non y figurer, et si oui, sous quelle forme ? Il s’agit ici de dépasser la description plutôt rudimentaire qui en est faite dans les manuels, où elle est surtout mentionnée par un renvoi à quelques phrases de l’ouvrage de Fisher et Ury, et de s’attacher à relier la notion avec les concepts centraux de la théorie de la négociation. Prenons, par exemple, le modèle du PIN, Processes of International Negotiation, décrit par Christophe Dupont (1994, p. 47), enrichi par Guy-Olivier Faure (1998) et mis en œuvre dans l’ouvrage coordonné par Victor Kremenyuk (2001), International Negotiation. Analysis, Approaches, Issues. Dupont et Faure y proposent la notion de « système-négociation », soit un ensemble articulé d’acteurs, négociant certains objets dans différents contextes, au cours de processus encadrés par des règles, mobilisant diverses stratégies, en vue d’atteindre certains objectifs, aboutissant à certains résultats. Où loger, dans ce schéma heuristique, la notion de MESORE ? Est-ce un élément de contexte, ou une ressource de l’acteur, ou encore une phase de sa stratégie ? La présence d’une MESORE est-elle liée aux objets négociés, aux éléments culturels du contexte de négociation ? Comment se combinent règles de négociation et usage de la MESORE ? Le processus de négociation est-il rythmé par ce déploiement d’alternatives ? Etc.
33La deuxième problématique de recherche concerne l’articulation entre décision et négociation. Nous résumons le problème ainsi : la notion de MESORE relève-t-elle de la théorie de la décision – et doit-elle être alors traitée dans ce cadre, plus large – ou de la théorie de la négociation ? Le problème est loin d’être anodin : si décision et négociation sont des processus liés – une négociation est en effet « a joint-decision process for resolving conflicts of interest », selon la définition de Richard Walton et Robert McKersie (1965), ou « a joint decision-making process », selon celle de Zartman (1977) – le second (négocier) est une modalité, parmi d’autres possibles, du premier (décider). Il existe en effet d’autres mécanismes de décision que celui de la négociation – la décision unilatérale, le recours au juge, le vote majoritaire, etc. On peut donc imaginer que la question des alternatives relève du champ, plus conséquent, de la décision. Et que les problèmes du choix des acteurs, de leur délibération, de leurs calculs et anticipations sont à instruire plus globalement, dans le cadre d’une réflexion élargie sur les alternatives en situation de décision.
34D’où une troisième piste de recherche : la question des alternatives (et pas seulement l’alternative à un accord négocié), replacée dans l’histoire de l’action humaine. Tout individu, placé devant un choix d’action, même imprécis, évalue en effet, avant d’engager cette action, les solutions de remplacement ou les voies alternatives, à partir des différentes options qui se présentent à lui, pour tenter d’échapper au risque que lui inspire la méconnaissance des conséquences de son choix. L’idée d’alternative est au cœur du raisonnement humain (qu’il soit d’origine religieuse ou philosophique), et s’est développée à travers différentes cultures, partout au monde (même si elle s’y exprime différemment). Le pari de Pascal est une illustration européenne, parmi des milliers d’autres, du libre examen rationnel des alternatives par des acteurs, opposé à des choix non raisonnés, immanents et imposés à ces derniers. Il est donc utile, pour mieux fonder la notion de MESORE, d’examiner sérieusement cette question des alternatives, telle qu’elle a été travaillée dans la littérature, en sciences économiques notamment. Les notions d’asymétries d’information, de coûts d’opportunité, d’utilité espérée, de jeux à somme nulle ou positive, ou encore de stratégie dite « maximin », pourraient être interrogées dans le cadre d’une réflexion approfondie sur les choix en négociation. Sans oublier la notion de rationalité limitée, proposée par James March et Herbert Simon (1958) : comment imaginer des solutions de repli sans accès aux informations nécessaires et sans possibilité d’en évaluer les conséquences ?
35Une quatrième problématique est liée à la précédente : la question des alternatives envisagée sous l’angle du comportement du négociateur. Là, les récents apports au croisement des sciences du comportement, des sciences cognitives et des neurosciences dessinent de fécondes pistes de recherche, par exemple sous l’angle des croyances du négociateur [5], du rôle de son intuition et de ses émotions, ou des limites et possibilités de ses capacités cognitives.
36Cinquième problématique : ouvrir la « boîte noire » de la MESORE et s’interroger sur son usage pratique par un négociateur. Autrement dit : engager un diagnostic approfondi de l’outil et de son déploiement. Est-ce un instrument qu’un négociateur peut et doit déployer au sein même du processus de négociation – à quel moment, sous quelles formes, dans quel objectif ? – ou hors de ce processus – et, dans ce cas, comment l’évoquer, comment en jouer ? La ligne de recherche, ici, concerne ce va-et-vient entre le processus et son contexte, entre le « dedans » d’une négociation et son « dehors ». Elle se prolonge par une réflexion sur la possible construction d’un modèle plus systématique pour combler le hiatus entre la théorie (l’idée d’une meilleure alternative) et la pratique de négociation (la mise en œuvre de cette alternative).
37Dernière problématique : comment affiner, systématiser les modes et facteurs de calcul pour évaluer une meilleure solution de rechange ? L’outil, ici, est fondamental ; il vise à refonder la notion d’alternative par un outillage méthodique et systématique. Une première modélisation est présentée dans la section suivante. Des simulations ou des applications à des cas pratiques permettraient de performer et d’accroître l’efficience de ces outils.
Le vade-mecum du négociateur
38Présentons maintenant ce qui pourrait être une sorte de vade-mecum pour tout négociateur souhaitant mobiliser la notion théorique de MESORE et mettre en œuvre, pratiquement, une action fondée sur ce type de raisonnement. Les outils de mise en œuvre de la MESORE présentés ci-dessous n’ont qu’un but : objectiver la question des solutions de rechange en négociation. Nous sommes cependant conscients que le jeu de la négociation ne peut être en totalité rationalisé, et qu’il se pratique de façon oblique. Mais il convient de le performer et d’aider tout négociateur à mieux le maîtriser. Distinguons la phase de préparation et celle du déroulement de la négociation.
Préparer sa négociation
39Trois outils sont proposés ici [6] : une analyse logique, à partir de la grille SWOT (MOFF, en français, pour « Menaces, Opportunités, Forces et Faiblesses ») ; une analyse emphatique de la MESORE (le cercle emphatique) ; enfin un modèle d’évaluation des coûts, à utiliser sous Excel.
Le tableau des forces et faiblesses
40La découverte d’une alternative aussi précise et pertinente que possible suppose la recherche approfondie des motivations et des intérêts de chacun des négociateurs, ainsi qu’une bonne connaissance de leurs positions et de leurs intérêts. Il s’agit des siennes, de celles de son « arrière-ban » (soit tous ceux qui impactent le processus, de façon plus ou moins indirecte), enfin celles de l’opposant et de son « arrière-ban ». Cette analyse logique pourrait se présenter sous forme du tableau suivant (un pour chaque partie), inspirée de la matrice SWOT, bien connue des gestionnaires :
Le Cercle empathique de perception
41Le contenu des questions, présentes dans le cercle, ci-dessous reproduit, parle par lui-même. L’outil nous semble être, même dans sa nature intuitive, de grande valeur réflexive. Les questions peuvent être traitées dans n’importe quel ordre, étant donné que leur examen ne se terminera qu’au moment de la conclusion de la négociation [7]. Ce type d’outil obligerait le négociateur à prendre à bras-le-corps cette question des alternatives, les siennes et celles de son interlocuteur…
Des modèles d’évaluation des coûts
42Deux techniques de détermination de la meilleure alternative peuvent s’envisager : a) une première technique d’évaluation avec connaissance des facteurs (soit « le modèle additif comparatif simplifié », qui peut être présenté sous la forme d’un dessin déductif ou d’un arbre de décision, et « le modèle additif pondéré », se présentant sous la forme d’un tableau comparatif), b) une seconde technique, en situation d’incertitude. Nous présentons ci-dessous ces outils, dans un même souci d’objectivation.
Le modèle additif comparatif simplifié
43Prenons le cas, par exemple, d’un achat immobilier, avec un choix entre trois immeubles (alternatives retenues). Le décideur a établi et évalué lui-même les variables de son choix. L’événement – l’achat – dépend donc de la volonté exclusive du négociateur. Pour optimaliser sa décision menant au choix d’une alternative, il peut dresser la liste des différentes variables qui interviennent dans la situation. Il construit alors un tableau comparatif, à l’intérieur duquel il sélectionne certaines alternatives. Chacune diffère selon l’évaluation de l’un ou de plusieurs de ces paramètres [8].
44Dans l’exemple ci-dessous, on compare l’évaluation de trois alternatives non-dominées. Dans deux scénarios (2 et 3), le paramètre B (« coûts de transaction ») est évalué à 4. Les solutions 1 et 3 valent chacune un total de 25 points. Afin d’arbitrer entre les deux solutions (de valeur égale), on adapte le paramètre que l’on estime le plus « révisible ». Ainsi le négociateur réévaluera le paramètre B de 4 à 5 dans la solution 3 avec, comme conséquence, le fait que les évaluations 1 et 3 se retrouvent inégales (soit 25 et 26 au lieu de 25 et 25).
Le modèle additif sous forme d’arbre de décision :
Le modèle additif pondéré
45Le négociateur, dans ce cas, établirait son modèle additif en attribuant une cotation à chaque paramètre. Par exemple, allant de 1 (très mauvais) à 10 (excellent). Il procéderait ensuite à la pondération sur la base de l’importance qu’il attribue à chaque variable séparément, comparée à toute autre variable.
L’alternative en situation d’incertitude
46Cet autre modèle de décision est inspiré par le choix ou l’élimination d’hypothèses. Le décideur/négociateur se trouve en effet dans la situation où il ne peut évaluer correctement son alternative puisque celle-ci peut dépendre du temps, de la chance, de l’attitude de tiers et de son « arrière-ban ». Imaginons un décideur devant opter, soit pour un procès en justice, soit pour une négociation avec son adversaire. L’idée est de procéder d’abord au choix de la procédure qu’il juge appropriée (un procès ou un arbitrage ?) et d’établir ensuite un arbre de décision en évaluant ses chances de gain ou de perte. Il attribue alors des pourcentages de chances de gains à chaque branche de l’arbre (dans le cas de quatre branches, il estime, par exemple, qu’il a 10 % de chances d’obtenir 80 % du montant souhaité ; 25 % de chances d’obtenir 60 % de ce qu’il recherche ; ou 30 % de chances qu’il lui faudra se contenter de 40 %, et 35 % de chances, enfin, que le résultat corresponde à 30 %, ou moins, de ses espérances).
Pendant la négociation
47Trois démarches pourraient être proposées au négociateur dans le cadre de ce vade-mecum :
48Rechercher une négociation alternative, ou pratiquer une double négociation, en s’efforçant d’engager des pourparlers, simultanément, avec au moins deux parties différentes. L’idée est de pouvoir comparer, en temps réel, les gains et les opportunités.
49Affaiblir la MESORE de son adversaire, la rendre incertaine, ou impossible à mettre en œuvre. Il s’agit ici de questionner son interlocuteur, lui indiquer les difficultés de la mise en œuvre de sa MESORE, lui énoncer les risques qu’il prend s’il la déploie, bref de rendre son déploiement hasardeux.
50Renforcer et adapter sa propre MESORE, en affinant sans cesse les modèles d’évaluation de coûts, présentés plus haut.
Conclusion
51Le lecteur l’aura compris : la notion de MESORE, meilleure solution de rechange (BATNA, en anglais) nous semble trop importante pour être aussi négligée dans la littérature. Nous lui avons adressé trois critiques : c’est une notion faiblement conceptualisée ; il existe un problème de mesure de cette solution de rechange et d’anticipation de son déploiement ; enfin, elle connote une vision statique et ethno-centrée de la négociation. Nous avons alors proposé de mieux conceptualiser cette notion d’alternative – par un programme de recherches, dûment construit, avec des investigations approfondies – et défini les contours d’une pédagogie et de modèles d’évaluation, dans l’objectif d’outiller les négociateurs. Aux théoriciens et praticiens de la négociation, s’ils le jugent utile et nécessaire, de poursuivre ce travail…
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Mots-clés éditeurs : alternatives, MESORE, BATNA, modèles d'évaluation
Date de mise en ligne : 31/01/2012
https://doi.org/10.3917/neg.016.0075Notes
-
[1]
L’auteur remercie Christian Thuderoz, Arnaud Stimec et les deux évaluateurs anonymes pour leurs suggestions et commentaires.
-
[2]
Christophe Dupont (1994, 2008) a proposé de la traduire par « Solution 3A – Alternative en cas d’Absence d’Accord ». Alain Lempereur et Aurélien Colson (2004) préfèrent utiliser l’expression « Solution hors table ».
-
[3]
Nous employons ici le terme d’alternatives en son sens anglais (des possibilités, des voies autres, des scénarios de remplacement, etc.), et non dans son acception française (une situation de deux seuls choix possibles).
-
[4]
Voir, à ce sujet, François Jullien et son Traité de l’efficacité (1997), ainsi que les travaux de Guy-Olivier Faure (1998) sur le « concept chinois de négociation ».
-
[5]
Voir à ce propos l’entretien avec Christian Schmidt, « La neuroéconomie rend compte de cette métamorphose de l’agent au cours même du jeu de négociation », Négociations, volume 2008/2.
-
[6]
Ces outils complètent « Les 10 atouts d’une bonne préparation » proposés dans l’ouvrage d’Alain Pekar Lempereur et Aurélien Colson, (2004), Méthode de négociation. On ne naît pas négociateur, on le devient, p. 39-67.
-
[7]
Nous résumons par la convention « A. » (majuscule A, suivie d’un point) l’idée de « meilleure alternative ».
-
[8]
Le coût d’opportunité est le coût, évolutif, de ce à quoi le négociateur renonce en fixant sa MESORE (par exemple : choisir un responsable politique parmi quatre candidats, c’est renoncer aux qualités des trois autres, que le préféré n’a peut-être pas…). Les coûts de transaction sont les coûts nécessaires, directs et indirects, à la détermination de la MESORE préférée (qui est plus large que la MESORE proprement dite. Exemple : frais de recherche, frais d’investissements, temps, stress, efforts, dépenses diverses se rapportant à la MESORE). Le coût de risque est l’évaluation du degré d’incertitude de la réalisation de la MESORE (soit l’évaluation de la possibilité d’avoir fait le mauvais choix). Le coût par rapport à l’impact est le coût évalué de la plus-value ou de la moins-value de la solution par rapport la situation existante. Le coût du rétablissement de l’asymétrie d’information est le coût nécessaire pour obtenir le même niveau d’information que son ou ses adversaires. Enfin, l’influence du pouvoir généré est une estimation chiffrée du degré de pouvoir (évolutif) perçu par chaque négociateur.