Couverture de NEG_012

Article de revue

Penser la négociation en science politique : retour aux sources et perspectives de recherche

Pages 93 à 106

Notes

  • [*]
    Aurélien Colson est professeur associé de science politique et de négociation à l’ESSEC, où il dirige l’Institut de recherche et d’enseignement sur la négociation en Europe (IRÉNÉ – www.essec-irene.com). Il est également maître de conférences à l’ENA, où il coordonne les enseignements de négociation (colson@essec.fr). Cet article reprend une communication présentée lors du colloque de Cerisy-la-Salle, « Penser la négociation en modernité avancée », 29 mai-3 juin 2008.
  • [1]
    À l’image du Program on Negotiation établi à la Harvard Law School, du réseau P.I.N. (Processes of International Negotiation Project) ou de l’Institut de recherche et d’enseignement sur la négociation en Europe, IRÉNÉ, accueilli à l’ESSEC depuis 1996.
  • [2]
    Cf., par exemple, les contributions de Jean-Pierre Jouyet, Alain Lamassoure, Alain Plantey et Hubert Védrine in Lempereur Alain et Colson Aurélien, dir. (2008).
  • [3]
    Cf. le numéro spécial de Négociations dirigé par Valérie Rosoux, « Négociation et réconciliation », 2008/1.
  • [4]
    Constat réitéré lors du colloque international « Enjeux et transformations de la négociation sociale », CRIMT-Négociations-HEC Montréal, Montréal, 4-5 avril 2007.

1Fernand Braudel plaidait pour « l’abaissement des droits de douane entre les différentes disciplines » (1969 : 90). Cette démarche est particulièrement souhaitable pour la négociation. Celle-ci forme ce que l’on pourrait appeler un objet académique non identifié : elle ne constitue pas une discipline universitaire établie, mais un champ exploré par des spécialistes venus d’horizons pluriels, parfois rassemblés par des revues – à l’instar de Négociations – ou dans des centres de recherche ad hoc permettant, le cas échéant, des échanges avec des praticiens [1]. Cette variété des analyses reflète l’ubiquité de la négociation, activité qu’estiment mener des professionnels aussi différents qu’un diplomate, un syndicaliste ou un cadre de la grande distribution. Indispensables, les travaux sur la négociation étroitement insérés dans les frontières assurées d’une discipline – le droit, la sociologie, l’économie, la psychologie – trouvent un surcroît de sens dans leur mise en relation à travers des démarches transdisciplinaires.

2Tout en gardant cette perspective de fertilisation croisée à l’esprit, le propos est ici de visiter la contribution particulière que la science politique – discipline universitaire jeune mais champ intellectuel aux racines anciennes – peut apporter à la réflexion sur la négociation aujourd’hui. Il s’agira, dans un premier temps, d’examiner un certain nombre de connections, d’origines communes, de conjugaisons, de filiations, entre négociation et science politique, et qui invitent à approfondir la réflexion sur la première à partir du point de vue de la seconde (section 1). Ce lien étant tissé, la seconde partie de la contribution propose une réflexion critique, utilisant le prisme de la science politique, sur la notion « d’Âge de la négociation » en France : « Notre époque est celle de la négociation. Les positions figées et les valeurs établies du passé semblent s’effacer, et de nouvelles règles, de nouveaux rôles, de nouvelles relations doivent s’établir. […] La négociation devient non pas une transition mais un mode de vie » (Zartman, 1976, notre trad.). Que la tendance soit favorable au négocié, nul ne le conteste ; mais le changement d’ère est-il si assuré, si définitif ? Sans doute aurait-on tort de sous-estimer les critiques, éminemment politiques, qui visent la négociation, à la fois comme pratique et comme objet de recherche, notamment en France (section 2). Notre collègue William Zartman l’indiquait en ouvrant le colloque de Cerisy : « je suis en train de prêcher les convaincus ». Sans doute faut-il aussi mieux comprendre le point de vue de ceux que la négociation ne convainc pas, ou que « l’Âge de la négociation » n’a pas encore convertis.

La trame commune de la négociation et de la science politique

3Dans la pluralité des regards disciplinaires qui se portent sur la négociation – l’économie industrielle, la théorie des jeux et la micro-économie, la psychologie sociale, la sociologie des organisations, le droit, l’histoire, notamment –, la science politique apparaît, même si elle n’occupe pas le cœur. Politiste de formation, Zartman est une figure essentielle de cette approche. Des contributions de diplomates s’y inscrivent naturellement : citons en particulier John Burton, à l’origine diplomate australien, sur la résolution des conflits internationaux ; Fred Charles Ikle (1964) ; ou Johan Kaufmann (1968) sur la négociation diplomatique de conférence ; Francis Walder, diplomate belge (1958) ; et en France, Alain Plantey, ancien conseiller diplomatique du général de Gaulle (1994). D’ailleurs, pour combler le fossé entre praticiens et chercheurs, il faudrait convaincre des grands diplomates d’écrire sur la négociation [2].
Plusieurs raisons nous invitent à approfondir l’étude de la négociation du point de vue de la science politique. Du point de vue historique, négociation et science politique ont un creuset commun à travers la diplomatie. D’un point de vue épistémologique, en tant que domaines de savoir, la « négociation » et la « science politique » offrent d’intéressantes ambivalences communes. Du point de vue de la recherche, la négociation renvoie à des enjeux pratiques, convoque des acteurs ou interroge des concepts qui sont explorés par la science politique.

Un creuset historique commun invite à ce retour aux sources

4Justifions, tout d’abord, l’intérêt méthodologique qu’il y a à joindre une approche historique à la réflexion sur la négociation. Braudel, l’historien de la longue durée, nous a appris à rechercher, derrière l’écume de l’évènement, le courant de fond (1958). « L’incompréhension du présent naît fatalement de l’ignorance du passé », a écrit Marc Bloch (1949 : 47). Au-delà des historiens, Pierre Rosanvallon, dans sa leçon inaugurale au Collège de France, nous invite à « refaire la généalogie longue des questions politiques contemporaines pour les rendre pleinement intelligibles » (2003 : 17). D’ailleurs, l’histoire concourt à la définition de ces structural contexts qu’Anselm Strauss juge indispensables à la compréhension de la négociation : « L’étude d’un tel contexte [structurel], pour tout type de négociations analysées, suppose donc un regard historique et, dans ce cadre, un regard sur les jeux sociaux qui ont, au fil du temps, construit la situation observée » (1978 : 62). Cette exigeante approche nous semble pleinement devoir s’appliquer à la question de la négociation. Celle-ci, en effet, vient de loin. La négociation porte une histoire, laquelle n’est pas sans intérêt pour le chercheur attaché à comprendre aujourd’hui des questions importantes pour demain.

5Contrairement aux associations d’idées que le mot suscite à partir d’un fondement étymologique connu – neg otium, négoce : la négociation relèverait surtout du champ commercial –, la négociation fut longtemps synonyme, avant tout, d’affaires publiques : « Par le terme de négociation, on entend communément l’art de manier les affaires d’État », définissait-on au xviiie siècle (Felice, 1770-1778 : 3). Cette profondeur historique qui lie intimement la négociation à la chose politique vaut, en particulier, pour la négociation internationale (Hamilton & Langhorne, 1995 : 1-28). En anglais, « jusqu’à ce que Edmund Burke invente le mot “diplomacy” à la fin du xviiie siècle, “negotiation” était le mot normalement employé pour décrire le travail des ambassadeurs » (Berridge, Keens-Soper & Otte, 2001 : 5, notre trad.). En France, de même, le mot « diplomatie » n’est attesté qu’à partir de 1790 (Rey, 1998) ; il n’apparaît, par exemple, ni dans François de Callières (1716) ni dans Antoine Pecquet (1737). Jusqu’à la Révolution française, c’est bien le mot « négociation » qui désigne la diplomatie. Surtout, de cette pratique diplomatique ancienne proviennent les premiers textes écrits sur la négociation, où se mêlent relations d’expériences directes et premières tentatives de généralisation théorique. De ces textes des xviie et xviiie siècles, que nous devons à Richelieu, Wicquefort, Callières ou Pecquet, résulte une sagesse de la négociation toujours digne d’intérêt aujourd’hui. Jean-Daniel Reynaud, soulignant que la négociation est continue, fait ainsi écho au leitmotiv de Richelieu expliquant dans son Testament politique qu’il faut « négocier sans cesse » (1688 : 265-272).

6Historiquement, la négociation est inséparable de la diplomatie, laquelle est au cœur de la science politique à travers l’étude des relations internationales. Étudier « la négociation » dans le cadre de la science politique constitue donc un juste retour aux sources du concept même. Encore en 1939, dans son ouvrage classique sur la diplomatie, Harold Nicolson relevait que « négociations », « politique extérieure » et « diplomatie » étaient considérées comme des synonymes, ce qui entraînait à l’époque où il écrivait des confusions entre la définition d’une politique étrangère puis sa mise en œuvre à travers la négociation. Si elle ne décide pas du contenu de la politique étrangère, prérogative du pouvoir politique qu’elle sert, la négociation reste un instrument privilégié de mise en œuvre des rapports entre puissances souveraines. Il n’est donc pas fortuit, par exemple, que l’un des moments les plus critiques de ces relations entre puissances – la Guerre froide – ait vu la négociation susciter un intérêt renouvelé chez les politistes attachés à décrypter la compétition bilatérale entre les États-Unis et l’URSS, sur fond de dissuasion puis de détente (Rapoport, 1960 ; Osgood, 1962).
Par ce lien historique et maintenu entre négociation et relations internationales, il est juste que la première soit un objet d’études privilégié des secondes, devenues discipline universitaire. Discipline à part entière dans le monde anglo-saxon depuis 1919, date de la création de la première chaire à l’université du Pays de Galles à Aberystwyth, les relations internationales forment en France un champ que la science politique veille « à ne pas laisser sortir de son orbite » (Battistella, 2003 : 12). En dépit de sa « faiblesse institutionnelle », la recherche y fait preuve d’un dynamisme croissant salué par les observateurs étrangers (Groom, 2002 : 108-117 ; 1994).

Trois ambivalences épistémologiques communes

7En outre, d’un point de vue épistémologique, en tant que domaines de savoir et comme objets de recherche, « science politique » et « négociation » présentent d’intéressants points de rencontre, qui contribuent encore à tisser leur trame commune. Pour cerner le champ de la science politique, Jean Baudouin signale trois « dualités » devenues classiques (2004 : 2-3) ; or celles-ci valent aussi pour la négociation.

8Tout d’abord, « l’opinion commune » de la politique se scinde entre deux interprétations : la première, « noble », fait de la politique l’art du commandement social, l’activité pacificatrice permettant à une société divisée d’organiser un vouloir vivre-ensemble ; la seconde interprétation, « vulgaire », ne voit dans la politique qu’un stérile jeu de pouvoir ou le choc d’ambitions intéressées. N’en va-t-il pas de même pour la négociation ? Celle-ci est perçue par les uns comme une noble occupation, permettant de ramener la paix entre les hommes – la négociation est « l’instrument de la réconciliation entre les princes » (Pecquet, 1737 : 15) –, de développer les échanges, de progresser vers des projets communs, de gérer concrètement l’interdépendance des intérêts au sein de la trame sociale. Pour d’autres, au contraire, la négociation s’apparente à une activité « vulgaire », fondée sur le marchandage, l’astuce, la manipulation ou la tromperie d’autrui, voire la compromission. Inséparable de la négociation, la diplomatie souffre, elle aussi, d’une valorisation ambivalente, tantôt art ou don, tantôt rouerie ou subterfuge. Ainsi, Nicolson rappelle que les émissaires de l’Antiquité étaient placés sous la protection du dieu Hermès ; ce choix ayant « an unfortunate effect upon the subsequente repute of the Diplomatic Service », puisqu’Hermès symbolise « charm, trickery and cunning » (1939 : 7). Mais il faut aujourd’hui ajouter que l’emblème d’Hermès est le caducée : un jour, rencontrant deux serpents qui se battaient, Hermès tendit vers eux son bâton d’or ; aussitôt les deux serpents se réconcilièrent en s’entourant autour du bâton. Hermès le négociateur est donc aussi celui qui rapproche : la négociation sert la réconciliation [3].

9Deuxième dualité, « l’opinion savante » oppose une thèse restrictive du champ politique, selon laquelle « la politique demeure un compartiment singulier de la société » (Baudouin, 2004 : 4) centré autour de l’État, et une thèse extensive qui soutient que « la politique est omniprésente dans la société ». La négociation connaît la même ambivalence. Les uns la cantonnent à des espaces identifiés strictement, tels ceux de la négociation collective ou les enceintes internationales de la diplomatie, entre lesquels ils n’établissent d’ailleurs guère de ponts. D’autres constatent au contraire son ubiquité et la considèrent, à l’instar de Strauss, comme une activité sociale générique, conjuguant des formats explicites à des situations implicites de négociation (Lempereur & Colson, 2004 : 1-7), qu’il s’agisse de la cellule familiale, de la vie des organisations, du dialogue social, du combat politique. Pour reprendre une autre terminologie, la négociation « institutionnalisée » se distingue ainsi de la négociation « ordinaire » (Bourque & Thuderoz, 2002 : 74).
En troisième lieu, la recherche en science politique semble osciller ou se partager entre ce que la langue anglaise distingue en deux termes : politics – soit les processus liés à la conquête puis à l’exercice du pouvoir avec leurs différentes strates : idéologique, stratégique, électorale – et policy – soit les politiques publiques résultant de ces processus. Il en va de même en négociation : la recherche s’est d’abord intéressée aux résultats des négociations, avant de s’interroger sur les processus concrets y menant. Cette dernière dualité est à rapprocher de la distinction faite par Georges Burdeau puis Philippe Braud, qui séparent le politique – un système de régulations et ses résultats – de la politique – sa scène, son personnel, ses partis en compétition (Braud, 2001 : 6-7). Le substantif négociation ne permet pas une distinction de genre ; mais du point de vue du sens, on pourrait distinguer le négocié – les champs dans lesquels la négociation constitue le mode de régulation et de décision – et la négociation – un processus d’interactions entre acteurs autonomes mais interdépendants.

La négociation, objet de recherche en science politique par ses enjeux, ses acteurs, ses concepts

10Au-delà, la négociation en tant que champ de recherche est profondément politique. En fait, elle est en prise directe avec les quatre « sous-disciplines » distinguées par Braud au sein de la science politique (2001 : 8-9).

  • La première vient d’être évoquée : la diplomatie, au cœur de l’étude des relations internationales.
  • La théorie politique – qui touche à la philosophie politique – s’intéresse à des catégories générales, renvoie à des enjeux ou convoque des concepts qui structurent la négociation, quel que soit le champ auquel elle s’applique : le pouvoir et ses sources, la légitimité et ses critères, le mandat et les théories de la représentation, les motivations et les notions de valeurs ou d’identité, la répartition et les enjeux d’équité et de justice, entre autres points de correspondance. Chacun d’entre eux correspond à un véritable programme de recherche dans lequel des ponts entre science politique et négociation sont nécessaires.
  • La négociation étant essentiellement une interaction créatrice de lien social (Thuderoz, 2000), son étude procède d’une sociologie politique. Elle met souvent en présence, ou aux prises, des acteurs dont la science politique est familière : élus nationaux ou locaux, responsables politiques.
  • Enfin, la science politique s’intéresse au fonctionnement des administrations publiques : appareils administratifs centraux, déconcentrés ou décentralisés, organisations internationales ou régionales intégrées, qui forment autant d’instances de négociation.
Pouvoir, autorité, gouvernance, régulation, décision : autant de thèmes classiques en science politique et qui ne peuvent faire l’économie d’une réflexion sur la négociation. Celle-ci constitue une modalité de l’action politique, distincte de la décision unilatérale, laquelle subit au plan international l’essor de la régulation multilatérale, l’intégration d’ensembles régionaux au premier rang desquels figure l’Union européenne, enfin la montée en puissance de nouveaux pouvoirs échappant au moins en partie à la souveraineté – grandes entreprises, ONG, médias. Au plan national, la montée en puissance du contrat comme mode de relation entre personnes publiques ou entre personnes publiques et privées constitue un phénomène désormais pleinement reconnu (Colson, 2006). À l’acte unilatéral, qui lui permettait de manifester son autorité de façon exécutoire, l’administration préfère de plus en plus des procédés contractuels : l’évolution des hommes et des sociétés, des cultures et des méthodes fait que contraindre est de moins en moins efficace, convaincre de plus en plus nécessaire. Ce mouvement de contractualisation connaît une telle ampleur que l’on a pu s’interroger, de façon critique, sur cette nouvelle action publique qui semblait vouloir « gouverner par contrat » (Gaudin, 1999).

11On le voit : ces multiples points de contacts, conjugaisons et filiations plaident en faveur d’une contribution approfondie de la science politique à la réflexion sur la négociation. Une piste principale sera ébauchée ici.

Pour une lecture politique et critique de « l’âge de la négociation » en France

12Nul ne conteste le caractère visionnaire, et accompli, de la formule de William Zartman. Mais, en France tout au moins, n’en reste-t-il pas pour autant un hiatus, une dichotomie à surmonter entre cette formule et le constat désabusé que faisait par exemple le syndicaliste Jean-Paul Jacquier (CFDT), selon lequel « la France est un pays qui n’aime pas négocier » (Thuderoz et Giraud-Héraud, 2000) [4] ? Quelques éléments de constat précèderont une proposition de typologie des critiques politiques adressées à la négociation, avant d’ouvrir – ouvrir seulement – une discussion sur les conditions politiques dans lesquelles « l’Âge de la négociation » pourrait trouver ses limites.

« L’exception française », ou « un pays qui n’aime pas négocier » ?

13La notion d’exception française permet d’explorer « la généalogie longue » de cette formule : « un pays qui n’aime pas négocier ». L’objet ici n’est pas de reprendre un constat dressé ailleurs, touchant parfois au cliché. Force est cependant de constater la difficile acclimatation de la négociation en France, à la fois comme pratique et comme discipline.

14Comme pratique sociale, « l’activité de négociation en France est peu valorisée », ont souligné Bourque et Thuderoz (2002). A quoi est-ce dû ? À un ensemble de schémas profondément ancrés dans notre histoire politique, aboutissant à ce que Furet, Julliard et Rosanvallon (1988) ont appelé « l’exception française » – exception qui, tel le Phénix, n’en finit pas de réapparaître au lendemain de chaque fin annoncée. Analysons-en rapidement les principales composantes. Les événements de 1789 ont introduit dans le tempérament politique français une mystique de la révolution et de la rupture – ce mot était encore employé en 2009 au plus haut niveau de l’État. De cette crise fondatrice, elle-même de statut singulier dans l’Histoire, découlent quatre traits spécifiques qui perdurent – cette longue durée chère à Braudel –, dont aucun n’est favorable à la négociation, et dont la bonne compréhension semble nécessaire à toute réflexion sur l’Âge de la négociation en France.

  • Une culture d’affrontement et de rupture constitue le cœur de l’héritage de cette mystique révolutionnaire. Les antagonismes radicaux n’ont pas manqué dans notre histoire : entre monarchie et république, entre laïcité et religion, entre classes sociales, entre la capitale et les régions, entre droite et gauche. Cette dynamique d’affrontement engendre des ruptures récurrentes (la Commune, le 16 mai 1877, le 13 mai 1958, Mai 68) ; l’alternance ne se conçoit que dans une forme extrême – le changement de régime et « la valse des constitutions » (Duverger, 1955 : 58-100). La politique est un théâtre où le drame le dispute à l’emphase, et où gauche et droite se partagent « un patrimoine de passions transmises, de haines recuites et d’angoisse profonde » (Winock, 1986 : 388). Enfin, la réforme n’est pas considérée comme une option honorable, le compromis est volontiers confondu avec la compromission, le centre politique s’avère une position intenable. Chacun connaît la formule de Gérard Adam et Jean-Daniel Reynaud : le conflit est « la poursuite de la négociation par d’autres moyens » (1978 : 127) ; en France, souvent, la négociation constitue la poursuite du conflit par d’autres moyens.
  • Une conception jacobine de l’État a tenté de transcender cette dynamique. L’État républicain, placé en arbitre et en protecteur au sommet de la mêlée, fournit aux Français « de quoi cimenter leur unité politique autour de leurs conflits » (Furet et al., 1988 : 53). Cette unité, voire cette uniformité, a produit une tradition ancienne de méfiance envers les corps intermédiaires. Dès la Révolution, la loi Le Chapelier et le décret d’Allarde interdisent les corporations, puis le code pénal instaure en 1810 un délit de coalition, lequel empêche l’avènement de syndicats représentants les salariés et les entreprises. De cette méfiance ancienne résulte aujourd’hui une faiblesse structurelle des corps constitués – patronats, syndicats, mais aussi associations de consommateurs, etc. – qui sont les partenaires naturels de la négociation. L’administration de l’État s’est développée sur un mode centralisé et interventionniste. Contrairement au système anglo-saxon, la Loi a, en France, longtemps eu – jusqu’à la mise en place d’un véritable contrôle de constitutionnalité – prééminence sur les droits (Carré de Malberg, 1931). Tout cela a fortement évolué, bien sûr. Mais il en reste un juridisme dominant les relations du travail et les autres aspects de la vie sociale : la France se caractérise par une préférence prononcée pour la loi, le décret, au détriment du contrat.
  • La Nation constitue le réceptacle de cet effort de transcendance voulu par l’État, concentré sur un impératif d’unité – véritable fil rouge de notre histoire, de la monarchie à la République en passant par l’Empire. La nation est devenue ce « bloc indécomposable » (Rosanvallon, in Furet et al., 1988 : 166-168), façonné par une passion pour l’égalité et le refus des traitements différenciés – d’où les débats sur la discrimination positive –, clairement à rebours de la négociation, fondée sur la capacité à distinguer les situations pour trouver des solutions singulières, ad hoc.
  • L’exemplarité proclamée de la France, enfin, achève d’en faire une exception, « l’exceptionnel étant non pas ce qui la sépare des autres nations (…), mais ce qui la constitue en modèle » (Furet, 1988 : 54). Au nom des messages hérités de 1789, la France se veut particulière, exemplaire et investie d’une mission universelle. L’exception française se confond ainsi avec « une certaine idée de la France ». Ce qui, allié à un mode de réflexion et d’argumentation très cartésien, ne la prédispose pas particulièrement au jeu habituel de la négociation internationale, comme le démontre Charles Cogan (2003).
Une si lourde hérédité ne pouvait être sans conséquences sur la reconnaissance en France de la négociation comme champ de recherche et d’enseignement. Certes, les signes d’enracinement et d’institutionnalisation ne manquent pas – le colloque de Cerisy en est un. Que l’Agence nationale de la recherche ait introduit la notion de « gouvernement négocié » dans sa campagne d’appels à projet 2008 en est un autre. Mais bien des éléments de constat modèreraient l’enthousiasme, surtout si l’on compare avec l’ampleur et la vivacité démontrées par le champ de la négociation au sein du monde universitaire anglo-saxon. Qu’on ne se méprenne pas : à rebours de l’approche habituelle qui consiste à mesurer le chemin parcouru par la négociation en France, en général pour s’en réjouir, le choix pourrait être fait de réfléchir a contrario au chemin qui reste à parcourir. Dans cette optique s’inscrirait une exploration – laquelle dépasse les limites de cet article – de quelques « marqueurs » permettant d’apprécier plus objectivement l’essor académique, en France, de l’étude de la négociation et des conflits : par exemple le nombre d’articles et d’ouvrages scientifiques publiés ; l’existence de collections dédiées au sein de l’édition universitaire ; la présence de sujets touchant à la négociation et aux MARC dans les agrégations de droits public et privé, de sciences de gestion, de sociologie ; le nombre de thèses et d’habilitations à diriger des recherches délivrées ; etc.
Bien sûr, à chacun de juger si le verre est à moitié plein ou à moitié vide ; l’essentiel, en tout cas, est qu’il semble se remplir avec la montée en puissance de la contractualisation dans la plupart des domaines. L’héritage historique et culturel s’estompe sans disparaître. Sans parvenir à empêcher l’acclimatation de la négociation en France, comme pratique ou comme objet de recherche, il nourrit cependant plusieurs critiques d’ordre politique qui restent particulièrement vivaces, dans notre pays, envers la négociation. Il convient de les analyser.

Une typologie des critiques politiques adressées à la négociation

15Observant et analysant les critiques habituellement opposées à la négociation, en tant que pratique mais aussi comme objet de recherche et d’enseignement, nous pouvons les ordonner au sein de la typologie suivante – distinguant des critiques républicaine, souverainiste, sociale, libérale et esthétique de la négociation – laquelle n’interdit pas d’autres classifications.

16Une critique républicaine de la négociation – La négociation, espace de transactions singulières, porterait en elle la négation des principes d’unité et d’égalité de tous devant la norme, lesquels sont au fondement de la conception française de la République. Et il est vrai que la négociation soutient une rationalité distincte : la négociation « permet d’ajuster les solutions aux problèmes : elle remplit les blancs des règles légales, nécessairement incomplètes » (Bourque & Thuderoz, 2002 : 15) :

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Les administrations passent ainsi d’une gestion « impérativiste » (faire se conformer à la norme quiconque y est assujetti) à une gestion « négociatrice » (au cas par cas, avec de multiples dérogations, en prenant en compte les demandes des usagers). Cette plus grande indétermination de la règle, à son tour, produit de nouvelles négociations, et le cycle s’accélère.

18Cette critique républicaine transcende le clivage gauche/droite. Elle est, philosophiquement, un conservatisme. Une illustration dans le champ de la pédagogie est donnée par la réaction, un temps négative, qui a marqué l’introduction d’une formation à la négociation dans le saint des saints de la République : l’ENA (Colson, 2005).

19Une critique souverainiste de la négociation – Comme la précédente, cette deuxième critique dépasse largement le clivage gauche/droite. Elle est propre à une certaine droite comme à une certaine gauche. Dans cette optique, la négociation ouvrirait la voie, face au monde extérieur et notamment à l’Union européenne, à des abandons successifs de parcelles de souveraineté nationale. Inséparable de la négociation serait le compromis, lui-même inséparable de la compromission et du renoncement – et la France ne saurait renoncer. En bref, la négociation apparaît comme l’insidieux cheval de Troie d’une adaptation molle à un supposé consensus anglo-saxon et libéral. Cela vaut en particulier en direction de l’Union européenne : le refus d’étendre la règle de la majorité au détriment de la règle d’unanimité peut être interprété comme un avatar de cette critique. On pourrait croire que l’unanimité force au compromis, donc à la négociation ; c’est vrai en apparence, mais c’est surtout donner un pouvoir sans équivalent à la décision unilatérale – le « non » d’un seul. La règle majoritaire, au contraire, oblige à constituer par la négociation des majorités, pour convaincre comme pour bloquer. S’opposer à la négociation dans son principe, garder sa primauté à la décision unilatérale, c’est donc bien, de ce point de vue là, protéger la souveraineté nationale.

20À gauche surtout, une critique sociale de la négociation – La négociation serait un nouvel emballage pour mieux prolonger un même vieux système de domination sociale. Cette critique nous est inspirée par la démonstration de Luc Boltanski et Eve Chiapello dans leur somme consacrée en 1999 au Nouvel Esprit du capitalisme. Rappelons-en l’argument principal. En tant que système de production, le capitalisme s’est vu opposer une critique spécifique – que les auteurs qualifient d’« artiste » – culminant en Mai 1968. Cette critique portait les thèmes suivants, dont on remarque aussitôt la parenté avec les valeurs sous-jacentes de la négociation : la dilution de l’autorité, l’effacement des hiérarchies, le libre choix de chacun, la créativité et l’imagination, l’autonomisation du travailleur, l’épanouissement de la personne humaine en dehors de toute structure uniformisante. Chacun de ces thèmes heurtait de front la structure contemporaine de l’entreprise capitaliste, c’est-à-dire la grande usine fordiste, centralisée et hiérarchisée, planifiée et tayloriste. Or, à partir des années 1970, les thèmes dominants du management, c’est-à-dire les principes d’organisation des entreprises, « sont directement empruntés au répertoire de Mai 1968 ». La tendance de fond est au « rejet de la bureaucratie », de l’autorité hiérarchique, du taylorisme et du gigantisme. Ainsi, dans les années 1980, a-t-on pu passer du « capitalisme », cause d’aliénation des masses, à « l’entreprise », source supposée d’épanouissement des individus. Ce « nouvel esprit du capitalisme » se fonde sur les relations personnelles, « la flexibilité » grâce à la « créativité » des individus. Pour Boltanski et Chiapello, cette « formidable récupération » a permis au capitalisme d’intégrer à son profit des aspirations « initialement associées à une critique radicale du capitalisme ». Les thèmes de 1968 ont été « mis au service des forces dont ils entendaient hâter la destruction ». Selon le même mécanisme, ce que j’appelle la critique sociale de la négociation soupçonne cette dernière de « récupération ». La négociation serait instrumentalisée afin de prolonger les mêmes systèmes de domination et d’exploitation, mais selon un mode plus acceptable, mieux adapté à l’air du temps. De ce point de vue, notons l’ambivalence qui a entouré le « Grenelle de l’environnement » : proposer une instance de concertation – au sein de laquelle des négociations bien réelles se sont déroulées – mais ne pas en reprendre les conclusions principales. C’est créer une espérance en la négociation pour mieux la frustrer, ou bien sacrifier à l’air du temps – « l’Âge de la négociation » – pour mieux continuer à faire passer en force une loi sur les OGM contestée.

21À droite surtout, et paradoxalement, une critique libérale de la négociation – Jean-Luc Cazettes, dirigeant aujourd’hui décédé de la CGE-CGC, déclarait (Libération, 10/09/2004) : « Sous un gouvernement de gauche, le MEDEF ne jurait que par le contractuel ; sous un gouvernement de droite, il ne veut plus négocier, car il espère que la loi lui sera plus favorable ». Ne craignant pas le paradoxe, une certaine droite française considère que le meilleur moyen d’avancer la libéralisation de l’économie consiste à l’imposer. En arguant du traditionnel : « avec les syndicats qu’on a, mon cher Monsieur, comment voulez-vous faire… ». Cette critique s’appuie d’ailleurs volontiers sur la suivante.
Une critique esthétique de la négociation – Au sein d’une partie de la droite, mais aussi de la gauche, domine une conception esthétique du pouvoir que l’on pourrait qualifier, selon les cas, de romantique, de volontariste, voire d’autoritaire. Soigneusement mise en scène (Balandier, 1992), cette esthétique du pouvoir, façonnée par notre histoire monarchique puis impériale, considère volontiers la négociation comme une faiblesse, voire une émasculation. À droite, un exemple récent en fut donné avec le contrat première embauche (CPE). Le processus retenu par le Premier ministre de l’époque, Dominique de Villepin, fut une forme de précipitation solitaire, aboutissant dans un enlisement collectif. En supprimant toute possibilité de débat – ni entre experts au sein du ministère du Travail, ni au sein du cabinet du Premier ministre, ni au sein du collège gouvernemental, ni avec les partenaires sociaux au Conseil économique et social, ni au Parlement grâce au recours à l’article 49.3 de la Constitution – on a voulu décider vite pour éviter la contestation. On n’a fait que la provoquer et la nourrir. Puis, face à la rue envahie, on a fait mine de s’étonner. Et de reprendre l’antienne selon laquelle la France serait irréformable. De l’autre côté de l’échiquier politique, cette critique esthétique de la négociation se retrouve dans le discours de la gauche radicale – cf. l’essor du Nouveau Parti Anticapitaliste. Ce discours repose sur une valorisation romantique de la contestation et du rapport de forces, au détriment de la négociation et de la recherche du compromis. En témoigne un slogan observé dans plusieurs manifestations récentes, en forme de pancarte reproduisant le graphisme des mentions anti-tabac sur les paquets de cigarette : « négocier tue ».
À travers cet essai de typologie des critiques, un point commun émerge : la négociation s’inscrit dans la tradition politique du libéralisme, laquelle court de John Locke à Tocqueville en passant par Montesquieu et Benjamin Constant, mais qui reste profondément étrangère à la culture politique française, à gauche comme à droite (Manent, 1986). Et c’est bien là l’écueil majeur face à « l’Âge de la négociation » dans notre pays.

Conclusion : de quoi se nourrirait un retour de balancier ?

22Il est difficile d’estimer dans quelle mesure ces critiques politiques pourraient freiner le plein avènement de « l’Âge de la négociation » en France. Mais la réflexion gagnerait déjà à anticiper une autre question, valable en France comme dans les pays où la négociation connaît depuis longtemps sa pleine maturité. Quels facteurs pourraient engager une sortie de cet « Âge de la négociation » ? De même qu’il y a des cycles en économie – cf. ceux de Kondratieff ou Schumpeter –, des cycles politiques – tel système d’idées travaillant, à travers sa mise en œuvre, à son propre épuisement –, des cycles artistiques – une avant-garde cesse de l’être à mesure qu’elle rencontre le succès –, pourquoi n’y aurait-il pas un cycle en négociation ? L’hypothèse ne devrait-elle pas être explorée d’une fin de cycle, d’un retournement ou d’une interruption du cycle, sur le mode : « la négociation, on a lui donné sa chance, mais cela ne marche pas » ? La question mérite d’autant plus d’être creusée que les chercheurs et spécialistes de la négociation peuvent être sensibles à un biais : on peut raisonnablement supposer que l’essor croissant de la négociation, vers un âge éponyme, arrange bien la communauté des chercheurs en négociation – lesquels ne voudraient pas connaître la délicate reconversion professionnelle des spécialistes du bloc soviétique après 1989-90.

23Or la science politique est coutumière de ces retournements. Alliée à l’histoire, elle étudie des tendances, des cycles, des ruptures. Plusieurs « fins » nous ont déjà été annoncées, toujours pour convenir quelques temps plus tard qu’il n’en était rien : la « fin de l’Histoire » (Fukuyama, 1992), la « fin du travail » (Rifkin, 1996), la « fin des classes sociales » – qui ne disparaissent en rien, mais se transforment, etc. En ira-t-il de même avec la « fin » de la décision unilatérale imposée, cet « Âge de la négociation » ? Cet avènement serait-il sans retour possible ?

24Sans doute faut-il donc réfléchir aux conditions politiques et idéologiques qui pourraient fragiliser ou remettre en question « l’Âge de la négociation ». En voici quelques pistes : le culte de l’action, de l’acte courageux, du volontarisme, du passage en force ; le rythme toujours plus rapide de la vie politique, lui-même impulsé par le rythme médiatique, en tout cas peu compatible avec le rythme des processus négociés ; ou encore la généralisation des situations d’urgence ou de crise – militaire, de sécurité, de santé publique, énergétique, ou environnementale. Un trait paradoxal de notre postmodernité est la montée en puissance des risques et des crises systémiques : la négociation est-elle la mieux armée pour produire une décision en temps de crise ? De même que la postmodernité marque un retournement à propos de la notion de progrès, d’automaticité du progrès – tout changement ne représente plus forcément un bien –, de même en viendra-t-on à considérer que tout surcroît de négociation ne représente pas forcément un bien ? Est-il sans excès envisageable ? À partir de quel point préférer, et au nom de quoi, d’autres modes de décision ? Penser la négociation aujourd’hui, ne serait-ce pas accepter d’envisager l’hypothèse que « l’extension du domaine de la négociation » puisse ne pas automatiquement marquer un progrès ? C’est là une perspective de recherche pour une communauté académique attachée à analyser les mérites de la négociation, mais aussi ses limites et ses critiques.

Bibliographie

Références

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Mots-clés éditeurs : critique, science politique, négociation

Mise en ligne 01/01/2010

https://doi.org/10.3917/neg.012.0093

Notes

  • [*]
    Aurélien Colson est professeur associé de science politique et de négociation à l’ESSEC, où il dirige l’Institut de recherche et d’enseignement sur la négociation en Europe (IRÉNÉ – www.essec-irene.com). Il est également maître de conférences à l’ENA, où il coordonne les enseignements de négociation (colson@essec.fr). Cet article reprend une communication présentée lors du colloque de Cerisy-la-Salle, « Penser la négociation en modernité avancée », 29 mai-3 juin 2008.
  • [1]
    À l’image du Program on Negotiation établi à la Harvard Law School, du réseau P.I.N. (Processes of International Negotiation Project) ou de l’Institut de recherche et d’enseignement sur la négociation en Europe, IRÉNÉ, accueilli à l’ESSEC depuis 1996.
  • [2]
    Cf., par exemple, les contributions de Jean-Pierre Jouyet, Alain Lamassoure, Alain Plantey et Hubert Védrine in Lempereur Alain et Colson Aurélien, dir. (2008).
  • [3]
    Cf. le numéro spécial de Négociations dirigé par Valérie Rosoux, « Négociation et réconciliation », 2008/1.
  • [4]
    Constat réitéré lors du colloque international « Enjeux et transformations de la négociation sociale », CRIMT-Négociations-HEC Montréal, Montréal, 4-5 avril 2007.
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