Couverture de NEG_009

Article de revue

« Vous vous battez sur un front principal, mais en même temps vous devez vous battre avec vos propres alliés... »

Pages 107 à 119

Notes

  • [1]
  • [2]
    Christian Morel, La grève froide, Paris, Les Editions d’Organisation (1ère édition l981) et Toulouse, Editions Octares (2e édition 1994).
  • [3]
    Christian Morel, « La Drôle de négociation », Gérer et Comprendre, mars 1991, p. 77-91.
  • [4]
    Rapporté et commenté dans l’article « La Drôle de négociation ».
  • [5]
    Pour un commentaire par William Zartman soi-même de son concept de « formule », voir son entretien paru dans la revue Négociations, volume 2004/2, « Transférer le conflit d’un niveau militaire à un niveau politique ».
English version

1Christian Morel a été de 1997 à 2007 Directeur des Ressources Humaines de la Division Véhicules Utilitaires Légers d’un grand groupe automobile (appelé Groupe dans l’interview) et à ce titre responsable fonctionnel d’une filiale, la SET (Société d’Emboutissage et de Tôlerie) (pseudonyme), appartenant à cette division et situé en proche banlieue parisienne. De 2005 à 2007 il est également devenu Président de la SET. Pour des raisons de productivité et d’organisation industrielle, la direction du Groupe avait décidé de fermer la SET qui appartenait à une société reprise par le Groupe et dissoute depuis. En tant que DRH de la Division, Christian Morel et le directeur de la SET avaient été chargés de gérer la décroissance de cette filiale. Un accord d’entreprise, signé en 1999 après deux années d’agitation intense et de discussions difficiles, avait permis de faire baisser les effectifs de 1100 en 1997 à 400 vers 2002 par des reclassements internes et externes et des préretraites. Les effectifs étaient ensuite passés de 400 à 70 en 2004 grâce à de nouveaux départs en préretraite. En 2006, à la fois en tant que DRH de la Division et Président de la SET, Christian Morel a conduit une négociation avec les syndicats de la SET ; elle a abouti fin 2006 à un accord de fermeture totale de la SET avec une solution pour chacun des 70 salariés restant âgés de 55 à 57 ans. Ce fut une négociation particulièrement difficile, car il s’agissait d’une fermeture d’entreprise, dans un contexte syndical très typé, avec un personnel âgé alors qu’il n’existait pas de perspectives de préretraite. Nous l’avons interrogé sur cette négociation. Son témoignage et son analyse permettent de mieux comprendre certaines caractéristiques intrinsèques de toute négociation sociale, notamment le rôle du facteur « temps » et l’importance de l’intra-négociation.

2* *

3*

4Revue Négociations : Vous avez conduit une importante négociation pour fermer l’entreprise SET, appartenant à la division dont vous étiez le DRH. Quels étaient les enjeux de cette négociation ? Comment avez-vous procédé ?

5Christian Morel : Ma préoccupation première fut la faiblesse des organisations syndicales du site en termes de capacité à négocier. Je n’avais pas en face de moi des interlocuteurs capables de comprendre une proposition élaborée, d’y répondre et de l’expliquer au personnel. Tous les ténors de la représentation syndicale étaient partis lors des plans précédents de reclassement ou de préretraite. Un seul, le Secrétaire du Comité d’Entreprise, avait une carrure intellectuelle et un charisme permettant de le considérer comme interlocuteur solide. Beaucoup de membres du Comité d’Entreprise, devenu le comité de négociation, avaient des difficultés avec la langue française et la plupart ne prenaient jamais la parole (ce qui ne voulait pas dire qu’ils acquiesçaient, bien au contraire).

6Mon idée est que je n’avais aucun intérêt à exploiter la faible capacité à négocier de la représentation syndicale. Cela aurait pu être une stratégie : faire ce qu’on veut en profitant de la faiblesse de l’adversaire. Mais je savais que cela ne marcherait pas. Le personnel, s’il ne savait pas négocier, était en revanche très fort pour se mobiliser et mettre en œuvre des actions spectaculaires. Dans le passé, il avait à plusieurs reprises mené des manifestations dures – avec, dans certains cas, des halls saccagés et des véhicules renversés. Autrement dit, ils substituaient la manifestation à la négociation, exactement ce que j’avais identifié dans mon livre La Grève froide[ 2]… Ils concevaient la négociation comme un processus consistant à exercer une pression sans proposer de contreparties et en utilisant des pratiques d’interaction plus proches d’une manifestation que d’une négociation – ce que j’ai appelé la « négociation-manifestation ».

7Revue Négociations : C’est-à-dire… ?

8Christian Morel : Dans un article paru au début des années 90, que j’avais intitulé « La Drôle de négociation » [3], j’avais illustré et approfondi ce que j’avais déjà noté dans La Grève froide, à savoir le déploiement par les syndicalistes, quand leurs ressources de pouvoir sont appauvries, ou quand ils refusent de s’engager dans divers compromis, pour des raisons de faiblesse structurelle, tout un arsenal de tactiques – « le tintouin », disais-je – visant à faire semblant de négocier : un nombre élevé de militants dans les réunions avec l’employeur – quand ce ne sont pas des « délégations » de dizaine de personnes…, la répétition des demandes pour tout dialogue, la présentation de revendications totalement en dehors des possibilités, etc.

9Revue Négociations : Comment, à la SET, avez-vous alors procédé ?

10Christian Morel : J’ai fait en sorte qu’un représentant syndical extérieur de haut niveau, incontesté vis-à-vis des syndicats de la SET, fasse partie du comité de négociation. Lors d’une expérience précédente, concernant la fermeture d’un petit site industriel, j’avais été confronté au même problème [ 4]. Je n’arrivais pas à négocier parce que je n’avais pas un représentant solide devant moi. J’avais en face de moi une petite assemblée d’ouvriers non qualifiés hostiles et incapables de comprendre nos propositions. Devant le blocage, le personnel avait fait appel à un syndicaliste extérieur très agressif, connu pour être intraitable. Sur le coup, j’avais jugé que c’était une catastrophe. Mais finalement, nous étions parvenus à un accord. Paradoxalement, cela avait été possible grâce à l’introduction de ce militant dur. Il avait beau être agressif et extrémiste, il était très malin et ainsi parfaitement capable de percevoir ce qui dans nos propositions allait dans l’intérêt du personnel et de s’engager clairement. De plus, son agressivité le rendait très crédible vis-à-vis du personnel. Quand il a dit on signe, ses collègues ont signé les yeux fermés.

11Revue Négociations : Connaissiez-vous vos interlocuteurs syndicaux ? Quelles étaient vos relations avec eux ?

12Christian Morel : On prend toujours le risque d’être psychologisant en insistant sur ce point. Mais il faut reconnaître que les bonnes relations humaines entre négociateurs ont joué un rôle déterminant dans la réussite de la négociation. Les syndicats avaient personnellement confiance en nous, responsables de la SET, car nous étions déjà en poste dix ans auparavant quand nous avions débuté le processus de réduction de l’activité et nous avions respecté tous les engagements qui avaient été déjà négociés : le nombre de reclassements dans la maison mère avait été tenu à l’unité près – de l’ordre de 300 –, les militants extrémistes devant être reclassés dans le Groupe avaient effectivement été repris, etc. Cette confiance s’était cristallisée sur ma personne car j’étais, avec le directeur en titre, le chef de projet de la fin de vie du site. Un épisode illustre cela. Au début du processus de fermeture, une manifestation violente du personnel de la filiale avait eu lieu à l’entrée d’un bâtiment du siège de la maison mère avec début d’occupation. Je m’étais rendu sur place pour discuter avec les manifestants qui avaient finalement quitté les lieux. Un tract avait été diffusé peu de temps après disant ceci : « Des camarades voulaient renverser le véhicule de Morel, mais ça ne sert à rien de s’en prendre à un ambassadeur ! » (Des attaques sur des véhicules de cadres avaient déjà eu lieu). J’ai fini par apparaître comme le seul interlocuteur accepté par les syndicats pour négocier la fermeture ultime. Au moment de son départ en retraite, le directeur de l’usine m’avait dit : « Maintenant, c’est toi et personne d’autre qui doit discuter de la fin du site. » Cela s’est traduit par un détail institutionnel : je n’étais pas directement le responsable de l’usine qui avait un directeur sur place, qui m’était rattaché. Il aurait pu être le Président du Comité d’Entreprise et j’étais prêt à fonctionner de cette façon. Mais les syndicats et la direction locale ont insisté pour que je sois officiellement désigné Président du Comité d’Entreprise.

13Un autre élément de cette construction de la relation fut la proximité culturelle entre le leader syndical et le directeur local de l’usine. Ils étaient tous les deux d’origine maghrébine, échangeaient en arabe, se tutoyaient, observaient le ramadan. Ce qui ne les empêchait pas de tenir chacun clairement leur rôle (ils étaient tous les deux d’une grande intégrité). Evidemment cela a facilité la relation. Au moment où tout fut bloqué et où nous pensions que la négociation était vouée à l’échec, la communication a été maintenue entre le leader syndical et le directeur local. Ce qui a permis à ce dernier de me décoder la situation.

14Ainsi, ce que Walton et McKersie appellent la structuration des attitudes (attitudinal structuring) fut essentiel. Je ne suis pas sûr que la négociation aurait abouti si les interlocuteurs avaient été différents, ce qui aurait très bien pu se produire. Le directeur local et moi-même aurions très bien pu recevoir de nouvelles affectations. Des responsables nouveaux auraient ainsi été parachutés et la structuration des attitudes remise à zéro.

15Il faut préciser que cette dimension psychologique favorable existait dans un contexte d’antagonisme très fort et ne le réduisait pas : l’enjeu était une fermeture de site avec près d’une centaine de suppression d’emplois dans le cadre d’un militantisme dur – le groupe d’extrême-gauche Lutte Ouvrière était bien implanté et la solidarité entre ouvriers immigrés puissante. Les leaders nous disaient qu’ils acceptaient la discussion et les interlocuteurs mais que nous ne devions pas nous attendre à une opposition douce. La structuration des attitudes existe donc même quand la divergence est extrême.

16Revue Négociations : Ce qui souligne le rôle de l’histoire passée…

17Christian Morel : Oui, le fait d’avoir réussi à conclure un accord de réduction importante des effectifs plusieurs années auparavant et d’avoir tenu les engagements de reclassements et de préretraites a été le point d’ancrage pour le personnel et leurs représentants. Ils ont fait confiance à la négociation puisqu’un tel processus avait déjà abouti et ils ont fait confiance aux négociateurs puisque c’était les mêmes.

18Cela confirme l’extrême importance des antécédents dans une négociation. Aussi antagoniste soit-elle, une négociation avec des acteurs qui se connaissent et ont déjà interagi ensemble avec des exemples de compromis passés réussis diffère beaucoup d’une négociation dont les protagonistes ne se connaissent pas et qui n’a pas de précédents réussis – c’est le cas d’une discussion suite à une prise d’otages, par exemple.

19Revue Négociations : Examinons maintenant le processus de négociation lui-même. Quels étaient les enjeux, les contraintes, les possibles ?

20Christian Morel : Nous étions devant une problématique compliquée. L’équation se composait des éléments suivants :

21Du côté du personnel, la demande était triple :

22- Avant tout, refus d’être reclassé dans le Groupe en Région Parisienne (la SET était implanté en banlieue à Paris). Nous nous étions engagés à reclasser tout le monde dans le Groupe lors de la fermeture du site. Mais l’opposition à cette solution était radicale. De fortes pressions s’exerçaient sur les quelques salariés qui auraient accepté une mutation. La raison était l’espoir d’une préretraite et évidemment, plus il y aurait de reclassements, moins l’organisation d’une préretraite collective devenait nécessaire.

23- La seconde partie de cette position était la demande d’une préretraite. Lors de la fermeture de la société mère dissoute dont la SET faisait partie auparavant et lors des départs précédents sur le site, les salariés âgés avaient bénéficié de préretraites, certaines particulièrement avantageuses, et le personnel rêvait d’une mesure identique. Bien que cette position (refus des reclassements et exigence d’une préretraite) aille à contre courant de la politique d’allongement de la vie active, le personnel en était aucunement gêné. Composé essentiellement de travailleurs immigrés, il formait un groupe soudé, peu intégré dans les milieux extérieurs à leur univers, se souciant aucunement de ce que la société française pouvait penser de la légitimité de leurs exigences.

24- Si une préretraite n’était pas possible, le personnel demandait la poursuite de l’activité de l’usine jusqu’à ce que chacun puisse partir normalement en retraite.

25Du côté de la direction, nos contraintes étaient les suivantes :

26- Exclusion absolue d’une solution de préretraite. La direction générale du Groupe ne voulait pas entendre parler de préretraite, parce qu’il avait été décidé, après de nombreuses années de départs en régime FNE (Fonds National de l’Emploi) puis CASA (Cessation d’Activité des Salariés Agés), de ne plus y recourir en raison du coût et de la perte de légitimation politique de ce type de mesures. Il était donc totalement exclu qu’une filiale du Groupe prévoit un système de préretraite qui aurait constitué un précédent.

27- Fermer d’ici fin 2008. Nous étions mi 2006 et l’activité de la SET devenait quasi impossible à compter de fin 2008. Elle produisait des traverses de toit pour le véhicule K1, véhicule monté à l’usine de M. La K1 devait être remplacée par la nouvelle K2. Aucune pièce de la K2 n’avait été prévue pour la SET. Nous devions si possible fermer d’ici 2008.

28- Éviter tout conflit (ni grève ni manifestation). Ceci pour deux raisons : (1) Il ne s’agissait pas de déclencher une agitation qui aurait braqué les projecteurs sur une fermeture de filiale dans le Groupe après l’affaire de la fermeture d’une usine belge et au moment où le nouveau président, avec sa réputation de cost killer, prenait la direction du Groupe. (2) La SET était le seul fournisseur de traverses de toit de la K1. Autrement dit une grève à la SET bloquait la production des véhicules K1 à l’usine de M après les quelques jours de consommation du stock de sécurité. Entre parenthèses : je n’ai jamais compris comment on avait attribué une production stratégique à une filiale qui devait fermer…

29- Prendre en compte une dimension financière particulièrement lourde. La SET n’était pas rentable et elle n’était maintenue en activité que pour assurer l’emploi des 70 séniors qui restaient. Chaque année de fonctionnement de la filiale entraînait une perte de 10 millions d’euros. Toute année de fonctionnement en moins permettait ainsi d’économiser 10 millions d’euros.

30- Ne pas prévoir de portage. Le portage consiste à payer intégralement le salarié comme s’il travaillait mais en le laissant chez lui. C’est encore mieux qu’une préretraite. Le Groupe avait dans le passé pratiqué le portage et la décision avait été prise de ne plus y avoir recours compte tenu de son coût et de sa dimension politique négative (payer les gens à ne rien faire). Il s’agissait de ne pas créer de nouveaux précédents de portage dans le Groupe.

31Voilà l’équation que j’avais en main : fermer un site avec un personnel exigeant un système de préretraite que j’avais l’interdiction d’envisager, dans un contexte où il ne devait se produire ni grève, ni manifestations.

32Revue Négociations : Belle équation, en effet… Comment l’avez-vous résolue ?

33Christian Morel : Étant devant la quadrature du cercle, j’ai dû inventer une solution compliquée et inédite. La solution que j’ai imaginée est un ensemble de mesures apportant les mêmes garanties qu’une préretraite, mais ne pouvant être reconnue institutionnellement comme une préretraite.

34La solution proposée était la suivante : chaque salarié faisait l’objet d’un licenciement économique. On déterminait son indemnité de licenciement et son indemnité de départ propre à la SET (A) et la totalité des indemnités ASSEDIC jusqu’à épuisement de ses droits (B). On calculait la somme totale qu’il aurait perçue s’il avait bénéficié d’une préretraite CASA jusqu’à son départ en retraite à taux plein (C). On comparait A + B et C. Si A + B était inférieur à C, on versait une indemnité complémentaire D de telle façon que A + B + D soit égal à C. Dans le cas contraire, on ne versait pas D. Autrement dit on garantissait à chacun au minimum la même couverture financière qu’une préretraite CASA selon des modalités totalement différentes, puisque le salarié avait le statut de licencié.

35En outre, on proposait, dans le cadre du licenciement, une transaction individuelle à travers laquelle le Groupe s’engageait à compenser la perte au cas où l’équation serait modifiée en cours de route par un changement des règles et des décisions Assedic (les syndicats s’opposaient farouchement à un calcul de l’indemnité complémentaire D qui ne tiendraient pas compte d’éventuelles modifications de l’indemnisation du chômage).

36Revue Négociations : Comment ce projet a été reçu ?

37Christian Morel : Je l’ai présenté à la direction générale du Groupe. Ma proposition a été finalement acceptée. Le secrétaire Général l’a validée parce qu’il comprenait bien qu’en m’interdisant la préretraite et le portage, on me créait une situation impossible et qu’il fallait me laisser à ma disposition cette solution un peu « tordue ». D’autre part, la solution était séduisante financièrement. Si on aboutissait rapidement, on économisait une année de fonctionnement, c’est à dire dix millions de perte, c’est à dire le coût du plan social, qu’on aurait de toute façon dû mettre en place un jour. Autrement dit, je finançais le plan social en économisant les pertes d’une année. Le président a été très sensible à cet aspect et a donné son feu vert.

38Revue Négociations : Et par le personnel ?

39Christian Morel : C’est là que les ennuis ont commencé, mais pour des raisons essentiellement cognitives. Nous avons rencontré un énorme problème de pédagogie. Avant d’ouvrir la négociation, j’avais pris soin de présenter notre solution envisagée au permanent syndical extérieur à qui j’avais demandé de participer à la négociation, compte tenu de la faiblesse de la représentation syndicale. Il avait bien compris notre proposition et m’avait garanti qu’elle était acceptable.

40Mais quand je l’ai présentée au comité de négociation, en dépit du soin particulier que j’avais porté à la pédagogie (avec des exemples individuels fictifs), elle ne fut pas du tout comprise. La comparaison des sommes perçues d’un coup (la prime de départ) et périodiques à venir (les allocations chômage mensuelles) avec un montant théorique (ce qu’aurait apporté une préretraite) et le calcul individuel de la différence conditionnant le versement ou non de la prime complémentaire étaient trop compliqués à saisir. Et quand l’information a été diffusée au personnel, l’incompréhension technique a été encore pire. Le personnel et les représentants parlaient d’usine à gaz…

41Nous avons tout essayé : les séances d’information en petits groupes, des entretiens individuels où on simulait le cas de chacun, des réunions techniques avec les représentants, l’intervention du permanent syndical extérieur. Rien n’y faisait.

42On s’est donc heurté à un blocage technique, un blocage cognitif. Ce qui montre bien que des facteurs cognitifs peuvent bloquer une négociation.

43Revue Négociations : Mais ce blocage était-il purement ou seulement cognitif ?

44Christian Morel : On peut identifier une incompréhension se situant à mi-chemin entre le cognitif et le politique. Une dimension fondamentale de notre proposition était le calcul individuel de la prime complémentaire D. Les seniors les plus jeunes avec peu d’ancienneté liquidant tard leur retraite avaient droit à une prime complémentaire très élevée (il fallait les soutenir après la fin de leur couverture chômage), alors que d’autres plus âgés, pouvant liquider leur retraite tôt, ne percevaient aucune indemnité complémentaire D. Cette problématique individuelle s’est heurtée au principe syndical bien connu du traitement égal pour tous, exacerbé dans cette filiale composée d’immigrés travaillant ensemble depuis des années. Le personnel n’acceptait pas que certains perçoivent une indemnité complémentaire digne d’un gain au Loto et d’autres aucune (alors que des personnes privées d’indemnité complémentaire pouvaient se trouver dans une situation très avantageuse, quand elles basculaient immédiatement dans une retraite à taux plein, l’indemnité commune de licenciement étant alors « tout bénéfice » pour eux.

45Il nous a fallu beaucoup de discussions pour passer de la problématique (ou de la « formule » pour reprendre les mots de Zartman [5]) du traitement égal pour tous à la problématique du traitement individualisé. Nous avons passé du temps pour démontrer que notre proposition était plus équitable que le versement d’une somme uniforme, qui aurait sanctionné ceux qui, à la fois, étaient jeunes et partaient tard à la retraite. Le permanent syndical extérieur qui participait aux négociations nous a beaucoup aidés. Il a mis en avant le principe de solidarité, en soulignant auprès de ses camarades qu’il était aussi fort et légitime que le principe du traitement égal pour tous : ceux sans prime complémentaire étaient solidaires de ceux qui bénéficieraient d’une prime élevée. Lors d’une réunion où cette question a été à nouveau longuement débattue, les représentants nous ont demandé une suspension de séance. A notre retour en salle, ils nous ont annoncé qu’ils acceptaient le principe de solidarité et que le débat était clos sur le sujet. Pour moi et mon directeur, ce fut une grande victoire. Cela signifiait qu’enfin, les représentants acceptaient le principe – ou la « formule » – de l’individualisation de la solution.

46Cela montre bien que dans une négociation, la discussion des principes directeurs est fondamentale, par rapport aux échanges de marchands de tapis. Avant de négocier une paix, il faut se mettre d’accord sur le système international qu’on veut. Pour avancer, il a fallu amener les militants à opérer une révolution culturelle : substituer au traitement égal pour tous la ségrégation positive. Donner plus aux moins chanceux.

47Revue Négociations : Comment la situation s’est-elle finalement débloquée ?

48Christian Morel : Petit à petit, les esprits se sont familiarisés avec la proposition et les salariés ont peu à peu compris l’intérêt de celle-ci. Mais il a fallu du temps. Nous pensions achever la négociation en trois semaines et il nous a fallu plus de trois mois.

49Mais un autre blocage a surgi. Au fur et à mesure que le personnel comprenait mieux le projet de solution, il a réalisé que la situation administrative serait celle d’un licenciement et de l’inscription au chômage. Autrement dit, la couverture financière était équivalente à ce qu’aurait apporté un statut de préretraite en bonne et due forme, mais sous un statut administratif beaucoup moins confortable psychologiquement et administrativement. Certains ont découvert qu’ils ne seraient pas dispensés de recherche d’emploi (le problème était théorique car le « risque » de trouver un emploi était faible).

50Les salariés les plus hostiles ont alors mené campagne contre le projet négocié sur le thème : « Ils veulent nous mettre à l’ASSEDIC. » « On va être obligé de reprendre un emploi. » « C’est une vraie préretraite que nous voulons. » En fait nous étions au cœur du sujet. Nous ne pouvions pas accorder une préretraite et nous avions élaboré un projet qui était une préretraite sur le plan financier et n’en était pas une sur le plan statutaire. La question était : est-ce que ça va passer ou pas ? A ce moment là, l’agitation est montée à son maximum et nous avons vraiment cru que la négociation échouerait.

51Revue Négociations : Pourquoi le personnel et les syndicats ont finalement accepté ce compromis ?

52Christian Morel : C’est là qu’il faut insister sur le facteur temps. J’ai beaucoup joué la dessus. C’est une carte qui nous est arrivée du fait des circonstances. Nous avions lancé la négociation au retour des congés d’été 2006 et nous pensions terminer mi-octobre. Mais du fait des différents blocages dont j’ai parlé plus haut, nous sommes entrés dans le mois de décembre alors que l’agitation était à son maximum et le front du refus fort actif. Mais en même temps, se situer en décembre était pour nous une grande chance. Décembre, c’est le mois de départ en vacances de fin d’année, la fin d’une année budgétaire et la veille du lancement de nouvelles organisations et nominations. C’est une frontière au delà de laquelle les cartes sont brassées à nouveau et où tout peut arriver.

53J’ai utilisé cet atout avec le maximum d’intensité possible. J’ai dit que de nouvelles organisations étaient prévues en 2007 et que moi et mon directeur local aurions peut-être une nouvelle affectation, que le personnel aurait en 2007 des interlocuteurs de la direction beaucoup plus durs que nous. J’ai fait passer discrètement le message que des membres de la direction du Groupe trouvaient notre offre trop généreuse et attendaient ma mutation éventuelle pour en découdre. J’ai déclaré que la proposition avait été inscrite dans le budget 2006, mais qu’elle n’était pas prévue dans le budget 2007, beaucoup plus serré que celui de 2006. Tout cela était très crédible car de fortes rumeurs circulaient sur des changements d’organisation dans le Groupe et sur ses difficultés financières. Finalement, j’ai formalisé la menace en disant que notre proposition n’était valable que si elle était signée au plus tard le jour de départ en vacances de fin d’année, soit le 22 décembre 2006. Au delà notre proposition tombait et on repartait à zéro. J’ai senti que cet argument pesait très fort. Le risque de tout perdre, notamment le contenu financier qui était conséquent, a été pris très au sérieux par le personnel et ses représentants. De plus, l’idée de partir en congés de fin d’année sans être enfin fixés sur leur sort étaient pour beaucoup insupportable. Deux jours avant la fermeture de fin d’année, le 20 décembre, durant un comité de direction, je recevais de mon directeur local un texto m’annonçant que toutes les organisations syndicales avaient signé le projet d’accord.

54On n’imagine pas à quel point une deadline peut être un facteur structurant dans une négociation…

55Revue Négociations : Certes. Mais il ne s’agissait pas ici seulement de temps. Car même si votre « formule » avait été validée par le Groupe, les « menaces » que vous indiquez auraient pu être réelles – ou l’ont-elles été… N’y avait-il pas là en germe une autre négociation, une « intra négociation » ?

56Christian Morel : Bonne question. Une de mes grandes surprises dans cette négociation a été l’importance de l’intra négociation et son caractère chaotique, envahissant, stressant.

57Les choses avaient bien commencé. J’avais essayé d’organiser l’intra négociation de façon rationnelle. J’avais élaboré un projet mis noir sur blanc sous forme de planches Powerpoint. Je l’avais d’abord testé auprès de mon directeur sur place de la SET. Ensuite je l’avais présenté au directeur de la grande division opérationnelle du Groupe dont j’étais le DRH et dont la SET faisait partie. Ce directeur avait validé mon projet. J’avais pu donc le soumettre à une réunion de l’état major du Groupe, ce que j’avais fait. Le projet avait été accepté, puis expliqué au Président du Groupe, qui avait donné son feu vert. Les pouvoirs publics avaient également été mis dans le coup, afin qu’ils ne soient pas surpris d’apprendre la fermeture d’un site et qu’ils soient au courant des modalités prévues. Je croyais alors être tranquille dans mon propre camp. Mais cela n’a pas été le cas. D’abord, après les autorisations accordées, des acteurs importants comme le DRH du Groupe et le Directeur des Relations Sociales (qui dépendaient du secrétaire général) estimaient qu’on en faisait trop pour le personnel de la SET et ont réagi vivement sur des mesures secondaires ou sur des dépassements de budget qui faisaient partie de ma marge de manœuvre, alors que j’avais le feu vert de mon supérieur hiérarchique (le Directeur de la Division), du Secrétaire Général et du Président du Groupe. Je devais alors traiter avec ces opposants internes. Ensuite, de nouveaux acteurs sont entrés sur scène. Une nouvelle organisation du Groupe avait été déployée entre temps, donnant du pouvoir aux grandes régions mondiales. Ainsi le DRH de la région France s’est tout à coup intéressé au dossier et m’a demandé des comptes sur le plan financier (les pertes de la SET pesaient sur la marge opérationnelle de la région) et sur le calendrier. A chaque fois que j’avançais dans la négociation, je devais donc rediscuter avec le DRH du Groupe, le directeur des relations sociales, les DRH France, en plus du Secrétaire Général et du Directeur de la Division.

58Revue Négociations : Comment cette intra négociation s’est-elle finalement décantée ?

59Christian Morel : J’avais trop d’interlocuteurs qui tiraient dans des sens différents. Excédé, j’ai déclaré au Directeur de la Division, qui m’a soutenu sans réserve, que je ne traiterais plus ce dossier en interne qu’avec le Secrétaire Général. J’ai donc fonctionné comme ça. Mais le Secrétaire Général lui même, voulant m’aider, s’est lancé dans une tentative de demande exceptionnelle aux pouvoirs publics de dispense de recherche d’emploi pour les licenciés de la SET de 56 ans, puisque c’était ce point qui bloquait dans la dernière étape. Mais pour moi, nous n’avions aucune chance d’obtenir cela et le seul résultat était de donner aux syndicats un prétexte pour faire traîner les discussions. Il m’a fallu négocier avec le Secrétaire Général l’abandon de cette illusion.

60Je pensais en avoir fini avec l’intra négociation quand l’accord a été signé, mais ce ne fut pas le cas, car cette fois ce sont les pouvoirs publics qui sont entrés dans la danse. La Délégation à l’Emploi, informée, n’avait pas validé officiellement notre projet puisque nous utilisions l’indemnisation du chômage sans l’associer à de la recherche d’emploi. Mais elle l’avait tacitement béni, car c’était un moyen de fermer une entreprise sans vagues. En revanche, mon directeur d’usine et moi avons été très mal accueillis quand nous sommes allés présenter l’accord signé à l’Inspecteur du Travail. Bien que tous les cas individuels aient été réglés par un accord signé par toutes les organisations syndicales, l’Inspecteur du Travail n’a pas admis que notre solution ne soit pas un projet de reclassement (je rappelle que le personnel refusait catégoriquement des reclassements dans le Groupe). Il nous a menacés de ne pas accorder d’autorisations de licenciement de salariés protégés si nous ne faisions pas des propositions de postes. Nous avons donc du mettre en place tout un système de reclassement (antenne emploi, offres de poste, convocations à des entretiens, etc.), alors que nous savions qu’aucun salarié n’accepterait ne serait-ce que de se rendre à un entretien de mobilité. D’ailleurs le personnel a cru que nous remettions en cause l’accord quand il a vu tout ce déploiement de propositions de poste.

61Nous avons eu aussi des ennuis quand nous avons adressé l’accord à la Direction Départementale du Travail et de l’Emploi. Nous sommes tombés sur un collaborateur du directeur qui sans doute voulait mettre en difficulté des patrons fermant une entreprise. Il a utilisé la seule arme qu’il possédait, c’est à dire la légalité de la procédure. Bien qu’il y ait un accord signé, il a contesté la validité des consultations du comité d’entreprise (ce qui était du légalisme pur, car toute la négociation avait été menée avec une délégation composée de l’ensemble des membres du comité d’entreprise, et ceux-ci avaient été non seulement consultés, mais aussi de fait associés à la décision). Nous avons du faire intervenir un collaborateur haut placé de la DRH du Groupe, ancien Directeur Départemental du Travail, auprès du Ministère du Travail pour nous sortir de cette enquête tatillonne qui n’avait pour seul but que de mettre des patrons en difficulté.

62Revue Négociations : Les représentants des salariés ont-ils vécu aussi de leur côté une intra négociation ?

63Christian Morel : Oh combien ! La prévoyant, je m’étais efforcé de faire en sorte qu’elle se déroule rationnellement. J’avais d’abord présenté le projet de négociation au permanent syndical extérieur de la CFDT. Ce dernier avait sondé les quelques leaders syndicaux de l’usine, puis on était passé à la discussion elle-même avec l’ensemble du Comité d’Entreprise transformé en comité de négociation. Et on prévoyait des séances d’information au personnel. Mais cette belle mécanique s’est grippée car des petits groupes se sont constitués, avec chacun des intérêts particuliers qu’ils souhaitaient défendre devant le permanent syndical et le secrétaire du comité d’entreprise, puis la direction. Nous avons ainsi été confrontés à une demi douzaine de groupes : les jeunes seniors qui réclamaient la dispense de recherche d’emploi ; les immigrés qui demandaient une procédure administrative leur permettant de retourner vivre au pays ; les anciens de l’entreprise C dissoute, à laquelle appartenait la SET autrefois, qui exigeaient la reprise de leur ancienneté ; les employés, techniciens et agents de maîtrise de la CGC qui recherchaient à obtenir le plus d’argent possible au détriment de la solidarité ; les nostalgiques de Lutte Ouvrière, jadis bien implantée dans la SET, qui s’opposaient de façon radicale au projet pour des raisons politiques. A chaque fois que nous faisions un pas, un de ces groupes, parfois composés de deux ou trois personnes, réagissait pour mettre en avant sa demande. Le permanent syndical CFDT revenait vers moi pour m’annoncer navré que ça bloquait à nouveau avec tel groupe.

64Revue Négociations : Quels enseignements tirez-vous de cette intra négociation que vous avez vécu de tous les côtés ?

65Christian Morel : Je tire de cette expérience trois caractères majeurs de l’intra négociation : elle est continue, chaotique et doctrinale.

66Elle est continue en ce sens qu’elle ne s’exerce pas selon un schéma rationnel où l’intra négociation se situerait en amont de la négociation elle-même, ainsi cadrée. En fait, en permanence, de l’intra négociation vient perturber la négociation. Bien qu’ayant le feu vert du Secrétaire Général du Groupe et du Président lui-même, cela n’a pas empêché que certains acteurs majeurs du Groupe interviennent pour contester mon action. Par exemple, le DRH de la région France a voulu un moment remettre en cause le calendrier conclu en amont avec le Secrétaire Général. L’intra négociation s’est même poursuivie après la signature de l’accord puisque l’Inspecteur du Travail et la Direction Départementale du Travail ont voulu alors contester tout le processus, pourtant tacitement validé par la Délégation à l’Emploi.

67L’intra négociation est chaotique car de nombreux acteurs, disposant de pouvoir, entrent en jeu alors qu’ils n’étaient pas prévus, à des moments totalement inattendus avec des exigences difficiles à imaginer au départ (par exemple le DRH de la Région France ou les salariés réclamant la reprise de leur ancienneté de l’entreprise C).

68Enfin, quand je dis que l’intra négociation est doctrinale, je veux dire qu’elle porte autant sur les grands principes directeurs que sur des points d’application. On pourrait dire aussi qu’elle est axée sur la formule pour reprendre le terme de William Zartman. Cela est normal quand l’intra négociation se situe en amont pour cadrer la discussion principale. Cela ne l’est plus quand la discussion des principes au sein d’un camp réapparaît alors qu’on s’était pourtant mis d’accord dans ce camp en amont. Par exemple le Directeur des Relations Sociales me demanda une politique plus dure pendant que je négociais en contradiction avec la feuille de route (ou la formule) qu’on avait discutée en interne et qui avait été décidée.

69La conséquence de ces trois caractères de l’intra négociation est qu’elle est complexe, usante, stressante. On doit mener deux processus parallèlement : la négociation avec l’adversaire et une discussion permanente, chaotique et doctrinale dans votre propre camp. Vous vous battez sur un front principal, mais en même temps vous devez vous battre avec vos propres alliés. Le Secrétaire du Comité d’Entreprise a tellement mal vécu plusieurs épisodes d’intra négociation dans son propre camp syndical qu’il a même été au bord d’une dépression nerveuse.

70Le caractère continu, chaotique et doctrinal de l’intra négociation vient du nombre important de centres de pouvoir dans le camp où elle se produit, soit parce que l’organisation est complexe comme dans un grand groupe de construction automobile, soit parce que l’organisation est faible comme c’est le cas du syndicalisme en France, ou pour d’autres raisons. L’intra négociation reflète ainsi la structure du pouvoir des parties en présence.

71Ces traits difficiles de l’intra négociation viennent aussi de ce qu’il est paradoxalement plus difficile souvent de traiter avec son ami qu’avec son ennemi. Avec l’ennemi, les situations sont dures mais claires. Avec l’ami, c’est plus flou. Vous ne pouvez pas vraiment menacer, vous avez quand même besoin de lui, etc.

72Quand je fais le bilan, ce qui a été le plus difficile pour moi a été l’intra négociation dans mon propre camp et les problèmes posés par l’intra négociation au sein le camp adverse. L’intra négociation a consommé autant mon temps et mon énergie que la négociation centrale.

73Revue Négociations : Quelles conclusions générales tirez-vous de cette expérience sur le plan de l’analyse de la négociation ?

74Christian Morel : La première conclusion que je tire est qu’une négociation, dans des organisations complexes et multipolaires (centres de pouvoir multiples), est tout sauf linéaire. On n’est pas du tout dans le chemin rationnel de type « diagnostic, formules, détails ». Par exemple, alors qu’on discutait de détails comme la compensation ou non des trois mois de carence en matière d’indemnisation du chômage, la formule globale est revenu sur le tapis. Beaucoup se sont rendus compte peu à peu que l’équivalent de la préretraite impliquait le statut de chômeur et se sont opposés alors au principe même de la solution. L’intra négociation qui s’immisce à tout moment et dans tous les sens joue un rôle important dans cette non linéarité. En résumé, des acteurs multiples interviennent à des moments différents, avec des préoccupations variées (fondamentales ou accessoires) directement dans la négociation ou à sa périphérie et tout ceci bouleverse l’agencement linéaire du processus. C’est la raison pour laquelle la conduite d’une négociation est en permanence et à la fois stratégique et tactique.

75Ma seconde conclusion est l’importance du facteur temps. Je pensais clore la négociation en trois semaines et il a fallu près de quatre mois. A l’issue des quatre mois, l’accord final n’était pas substantiellement différent de ce qui avait été proposé au départ. Seuls quelques montants financiers avaient été augmentés et nous avions accordé des garanties supplémentaires en retardant la date du licenciement d’un certain nombre de salariés. Les quatre mois de discussion ont beaucoup servi en fait à faire comprendre la proposition, à faire en sorte que chacun se l’approprie et à nous faire souffrir avant d’acquiescer. Je pense que toute négociation possède un temps technique : c’est le nombre de réunions matériellement nécessaires. Elle suppose aussi un temps politique : c’est le temps accordé à la parole, à l’appropriation, à la compréhension et à faire souffrir l’adversaire. Pour devenir légitime, une négociation a besoin d’un temps politique qui va bien au delà du temps technique. La négociation entre un marchand de tapis et son client n’aura pas la même force si elle est réglée en cinq minutes ou en une heure de palabres, même si dans les deux cas le prix final est identique. Les managers et hommes politiques qui veulent, pour des raisons d’efficacité, réduire la durée d’une négociation au temps technique, commettent une erreur stratégique. Je n’ai pas été loin de la commettre moi-même.

76Entretien réalisé en octobre 2007.


Date de mise en ligne : 31/03/2008

https://doi.org/10.3917/neg.009.0107

Notes

  • [1]
  • [2]
    Christian Morel, La grève froide, Paris, Les Editions d’Organisation (1ère édition l981) et Toulouse, Editions Octares (2e édition 1994).
  • [3]
    Christian Morel, « La Drôle de négociation », Gérer et Comprendre, mars 1991, p. 77-91.
  • [4]
    Rapporté et commenté dans l’article « La Drôle de négociation ».
  • [5]
    Pour un commentaire par William Zartman soi-même de son concept de « formule », voir son entretien paru dans la revue Négociations, volume 2004/2, « Transférer le conflit d’un niveau militaire à un niveau politique ».

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.9.173

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions