NECTART 2021/2 N° 13

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Article de revue

Remettre en perspective les fake news. Le mensonge en politique

Pages 68 à 73

Notes

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Loin d’être un phénomène nouveau, les fake news, certes accélérées dans leur propagation par les réseaux sociaux, ne sont pas réservées aux seuls internautes. Elles s’inscrivent dans une longue histoire de diffusion d’informations mensongères de la part des autorités pour renforcer ou maintenir leur pouvoir.

1Infox, fake news, post-vérité, infodémie : de nombreux termes sont apparus dans les médias français pour désigner des pratiques de production et/ou de diffusion de contenus mensongers. Celles-ci sont considérées comme nouvelles, liées aux réseaux sociaux numériques. Pourtant, la production et la diffusion d’informations mensongères font partie de l’histoire de notre société, bien avant la récente existence d’Internet. Ces mots-valises, souvent utilisés par leurs locuteurs pour disqualifier, accuser ou clore un débat, sont-ils tout de même représentatifs d’une tendance de fond concernant l’information en politique ?

2En France, le phénomène des fake news est fréquemment associé à l’ancien président des États-Unis Donald Trump, notamment parce qu’il a employé cette terminologie pour décrédibiliser ou renier des informations qui ne lui convenaient pas. Les fake news sont aussi parfois perçues de manière caricaturale comme un outil de déstabilisation de pays qualifiés de démocratiques [1], comme le Royaume-Uni, par d’autres pays déclarés peu démocratiques, telle la Russie, dans le sens où leur est attribuée une capacité à influer sur les votes (Brexit). Dans ce contexte a surgi l’expression « usines à fake news », tantôt pour désigner des hackers basés en Russie, tantôt pour y associer des médias financés par le Kremlin implantés en Europe et notamment en France, comme RT (Russia Today). Aussi, dans l’usage du terme, les fake news sont toujours celles d’autrui, et celui – quel qu’il soit et d’où qu’il soit – qui assigne ce qualificatif à un discours se place lui-même dans le camp de la vérité.

3Si le mandat de Donald Trump incarne aujourd’hui le mensonge assumé comme mode de gouvernance – et de communication –, ses prédécesseurs en ont aussi fait usage, tel celui, connu, de George W. Bush sur la présence d’armes de destruction massive en Irak. En France, le cas emblématique du discours des autorités au sujet du nuage de Tchernobyl qui se serait arrêté aux frontières de l’Hexagone prête aujourd’hui à sourire. Il constitue toutefois un cas de désinformation publique, faisant écho, plus récemment, à l’inutilité du port du masque contre la contamination par le Covid-19, alléguée, entre autres, par la porte-parole du gouvernement en conférence de presse. Le recours au faux ou au flou pour gérer une situation ou se dédouaner de critiques est particulièrement problématique, car cela laisse à penser que l’exercice normal du pouvoir s’accompagne de mensonges et de dissimulations envers la population. Ce choix de communication suggère aussi l’existence d’un présupposé selon lequel les citoyens ne seraient pas en mesure de se comporter de manière pertinente dans une situation donnée, soulignant un manque de confiance des gouvernants envers les gouvernés.

4Enfin, la place du mensonge comme constante de la vie politique pourrait aussi être étudiée au regard de ces élus et ministres qui ont été condamnés par la justice dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions [2] et ont dans un premier temps nié leurs actes. Le mensonge qu’illustreraient certains discours d’élus – ou membres du gouvernement – condamnés par la justice française porte alors sur leur ethos d’homme politique au service de tous les citoyens. Cet ethos se trouve ainsi démenti par certaines actions qui serviraient leurs intérêts personnels, ou ceux de leur groupe social, au détriment de l’intérêt public.

5Ainsi, l’usage du mensonge en politique n’est l’apanage ni de discours circulant sur les réseaux sociaux, ni de hackers étrangers souhaitant interférer dans la politique française. Cela n’exclut pas de les distinguer selon divers critères, voire d’en établir une typologie.

Les spécificités de la désinformation à l’ère du numérique

6Si l’information mensongère en politique n’est pas une problématique cantonnée au numérique, il reste néanmoins utile de s’interroger sur ce que la période actuelle a de plus spécifique ou de plus marqué par rapport aux précédentes à ce sujet, sans pour autant postuler une rupture radicale. Plusieurs éléments liés à ce que permettent aujourd’hui le numérique et les algorithmes sont à relever : l’échelle de diffusion des contenus mensongers, la rapidité de leur diffusion, ou encore la capacité de ciblage dans l’adresse des contenus en fonction du profil sociologique, voire des idées des internautes.

7Les techniques de ciblage employées ont pour conséquence principale que tout le monde n’a pas accès aux mêmes informations et ne peut pas savoir à quelles informations ont accès les autres internautes. Avec les journaux imprimés, certains lecteurs ne lisaient que leur journal, mais ils pouvaient aisément connaître le contenu des autres par les unes affichées dans l’espace public ou en les feuilletant en kiosque. Lorsqu’un internaute se rend sur le site Internet d’un média, il peut encore lire l’ensemble des titres et des débuts d’articles même s’il n’est pas abonné, et ce sans que le média affiche uniquement certains articles en fonction de l’identité du lecteur perçue par les algorithmes. Actuellement, sur les sites de certains médias journalistiques, seule la publicité, qui participe au modèle économique de nombre d’entre eux, est ciblée en fonction des données de chaque lecteur. À l’inverse, sur les réseaux sociaux, chaque utilisateur ne verra que les informations journalistiques sélectionnées spécifiquement pour lui. Ce phénomène rend plus difficile l’évaluation d’une information car l’utilisateur n’a pas accès aux débats et dissensus qui favorisent un recul critique, voire une démarche de recherche et d’investigation autour de l’information mise en doute.

Un phénomène aux multiples enjeux

8Le phénomène des fake news voit son importance et sa gravité invoquées par les médias historiques et les personnalités politiques de manière non désintéressée. Enjeu de légitimité, il s’agit d’apparaître du bon côté, celui de la vérité, quitte à avoir une vision manichéenne de la réalité. Différents acteurs (partis politiques, institutions, journalistes, réseaux sociaux…) s’approprient ainsi cette question pour faire valoir ou renforcer leur autorité propre. Pourtant, le faux vient aussi de ceux qui dénoncent les fake news, bien qu’il soit difficile de déterminer si une information fausse est déclarée ou diffusée en connaissance de cause, comme dans le cas de ces journalistes de BFM TV ayant affirmé qu’un manifestant, visible sur les images diffusées à l’antenne, avait de la peinture rouge sur le visage alors qu’il avait été blessé par la police [3].

9L’accent mis sur la crédulité des internautes et sur la nécessité de protéger ces derniers des fake news tend à éloigner encore davantage les citoyens des pôles de décision et d’un rôle démocratique plein. Ce manque de confiance dans leur esprit critique et leur capacité de jugement disqualifie leur aptitude à participer à la vie publique et à prendre des décisions politiques. Ce qui est problématique pour la démocratie, ce ne sont pas les fake news en elles-mêmes, mais la stigmatisation et l’infantilisation que véhiculent les discours sur les fake news et le complotisme, consolidant et augmentant la rupture avec une partie de la population et remettant en question la légitimité de la voix politique de chacun.

10Il y a pourtant bien un problème constant au niveau des usages du langage dans les champs politique et informationnel, et cette tendance déjà ancienne ne montre pas de signes de résolution : cela consiste à vider les mots de leur sens, de sorte que l’on ne puisse presque plus en montrer la fausseté. Les exemples en sont nombreux, notamment dans les textes de loi. Pour ne citer que le domaine universitaire : le plan gouvernemental qui discrimine les étudiants étrangers en leur imposant de payer des frais d’inscription supplémentaires élevés s’intitule « Bienvenue en France » ; quant à la loi qui consacre, via Parcoursup, la sélection des lycéens et leur échec à obtenir la formation universitaire de leur choix, elle se nomme « loi orientation et réussite ». Cette vacuité des discours politiques, notamment institutionnels, étiole la confiance et ne permet pas de penser en termes de vérité. Dans cette insignifiance discursive continuellement renouvelée, la mise en exergue des fake news comme un problème public, tel un puits sans fond de faits divers, fait diversion.

Une régulation qui pose question

11Les discours alarmistes sur les fake news et les tentatives de régulation vont à l’inverse de la relation de confiance et d’échange souhaitable en démocratie, car ils déconsidèrent la capacité des citoyens à s’informer et à penser par eux-mêmes. En effet, la régulation, telle qu’elle est prévue actuellement, octroie le pouvoir de juger et la décision aux plates-formes, alors que celles-ci reposent sur un modèle économique enclin à laisser circuler les fake news pour faire plus d’audience et, de ce fait, mieux vendre leurs annonces publicitaires.

12Souvent associées dans les projets législatifs, la question de la régulation des fake news et celle de la régulation des discours de haine ne sont pourtant pas équivalentes. Limiter la circulation de ces derniers est important pour que chacun puisse prendre part à l’espace public et aux discussions, quel que soit son profil social, sans être discriminé en retour. Néanmoins, la focalisation sur les discours de haine émis par des internautes anonymes fait oublier que ceux-ci se nourrissent, se renforcent et se banalisent au contact de discours haineux à peine plus dissimulés, présents dans des proportions variées dans les journaux, à la radio et à la télévision, la chaîne CNews constituant un exemple non isolé [4]. De surcroît, ces projets de loi visent à soumettre tous les sites aux mêmes règles alors qu’ils ont un fonctionnement très différent et que beaucoup n’ont pas les moyens de financer des modérateurs.

13Le cas de Wikipédia est pertinent à évoquer pour son contraste avec la manière dont les réseaux sociaux fonctionnent. Le contenu affiché est le même quel que soit le lecteur, et il est possible de le comparer dans diverses langues car tous les articles sont reliés entre eux. Tout le monde peut vérifier (avec un peu de temps et de persévérance, certes) quelles informations en ont été retirées et par quel contributeur. L’encyclopédie en ligne se trouve ainsi « modérée » de manière plus efficace que des réseaux sociaux comme Facebook, alors qu’elle est gérée par les internautes eux-mêmes, bénévoles, et non de manière opaque à l’instar des plates-formes privées.

14Ainsi, plutôt que de dénoncer la supposée crédulité des internautes ou leur participation à la diffusion de fake news, il serait plus instructif de s’intéresser à leur manière de construire une information fiable. Et plutôt que de se focaliser sur le mensonge en ligne, il serait utile de questionner collectivement nos propres pratiques langagières et la dissonance que nous acceptons, au quotidien, dans les domaines de la politique, de l’information et du travail, entre les mots employés et ce à quoi ils sont employés.

Mémo

LES CAS CÉLÈBRES DE FAKE NEWS DE LA PART DES AUTORITÉS : le nuage de Tchernobyl s’arrêtant aux frontières de l’Hexagone ; la présence d’armes de destruction massive en Irak affirmée par George W. Bush ; l’accusation par Donald Trump d’une fraude électorale orchestrée par les Démocrates ; le discours du gouvernement français sur l’inutilité du port du masque contre la contamination par le Covid-19.
LES SPÉCIFICITÉS DE LA DÉSINFORMATION À L’ÈRE DU NUMÉRIQUE : l’échelle de diffusion des contenus mensongers ; la rapidité de leur diffusion ; la capacité de ciblage dans leur adresse.

Bibliographie

À lire

  • Romain Badouard, Les Nouvelles Lois du Web. Modération et censure, Paris, Seuil, 2020.
  • Cyrille Bodin et Mikaël Chambru, « Fake news ! Pouvoirs et conflits autour de l’énonciation publique du “vrai” », Études de communication, n° 53, 2019.
  • Marion Brétéché et Évelyne Cohen (dir.), La Fausse Information de la Gazette à Twitter, Le Temps des médias, n° 30, 2018.
  • Marie-Noëlle Doutreix, Wikipédia et l’actualité. Qualité de l’information et normes collaboratives d’un média en ligne, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2020.
  • Sandra Laugier et Albert Ogien, Antidémocratie, Paris, La Découverte, 2017.

Notes

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