Plus de quarante ans après les Khmers rouges, hormis les quelques sites mémoriaux comme S-21 ou bien comme Choeung Ek, les traces des massacres sont peu visibles dans les paysages cambodgiens. Les charniers qui parsèment par milliers le pays sont des lieux d’oubli, ils n’apparaissent nulle part sur les cartes officielles. Dépourvus de signes distinctifs, ils finissent par disparaître de la mémoire des hommes. Comment un paysage qui a connu des crimes d’une grande ampleur peut-il offrir une visibilité de l’Histoire ? Comment donner à voir, par la création, un « paysage de mémoire » – paysage entendu à la fois comme espace à la fois physique et psychique, et mémoire comme entrelacement de l’histoire collective et de l’histoire individuelle ?
Ce qui différencie la nature du paysage, c’est que ce dernier n’existe que dans la mesure où il est observé par quelqu’un. Selon Alain Corbin, « le paysage est manière de lire et d’analyser l’espace, de se le représenter, au besoin en dehors de la saisie sensorielle, de le schématiser afin de l’offrir à l’appréciation esthétique, de le charger de significations et d’émotions. En bref, le paysage est une lecture, indissociable de la personne qui contemple l’espace considéré ». Le paysage est donc une portion de la nature qui est transformée en représentation, en image à regarder ou à méditer. Il n’est pas un lieu d’objectivité ou de rationalité. Notre regard sur le paysage diffère selon les époques et les cultures… il est un « entrelacs de lectures dont la diversité peut susciter le conflit »…