Couverture de NAPO_028

Article de revue

Entre rumeur et réalité, la fortune de Paul Barras

Pages 4 à 18

Notes

  • [1]
    Cet article a paru in : La Revue du Trésor, n° 6, juin 2002, p. 354-359.

1 Paul, vicomte de Barras (1755-1829), participa comme officier à la campagne des Indes. Élu député à la Convention où il siégea avec les Montagnards, il fut envoyé comme représentant en mission à l’armée d’Italie et dans le sud-est de la France, où il organisa la répression après le siège de Toulon. Il fut, avec Fouché et Tallien, l’un des principaux responsables de la chute de Robespierre. Directeur en 1795, il devint le premier personnage de l’État jusqu’au coup d’État du 18 Brumaire an VIII. Bonaparte l’obligea à démissionner. Exilé en 1810, il ne fut pas inquiété sous la Restauration. Intrigant, homme de tous les complots, Barras passe pour intelligent et retors, opportuniste et ambitieux, vénal et corrompu. La postérité l’accuse de s’être enrichi frauduleusement pendant son passage aux affaires.

2 Dans ses Mémoires, Barras écrit : « En m’élançant dans l’arène révolutionnaire, mon seul but, mon unique espérance était de réparer les brèches considérables faites à ma fortune. Je connaissais le peuple, je savais que cette fourmilière se mène avec des mots dont ceux qui l’éblouissent font de l’or et des châteaux. Diverses circonstances m’avaient ruiné. Il fallait à tout prix que je m’enrichisse : de l’or, me disais-je, c’est le premier bien de la machine animée, l’homme qui le possède peut prétendre à tout. » Dans ces quelques lignes, le directeur apparaît sans fard, tel qu’en lui-même, c’est-à-dire en aventurier. Il conforte implicitement ce que ses contemporains très tôt lui reprochent, à savoir d’être tout simplement un prévaricateur ou un concussionnaire.

3 Sous l’Ancien Régime, il n’a pas eu le temps ou les moyens de redorer le blason de sa famille. Son mariage lui apporte plus d’espérances que d’espèces sonnantes et trébuchantes. La période révolutionnaire puis directoriale va lui offrir, comme à beaucoup d’autres, l’occasion de gagner de l’argent, de s’enrichir à bon compte. Mais a-t-il édifié la fortune qu’on lui suppose ? Eu égard à d’autres fortunes de l’époque, comme celles de Cambacérès, de Fouché, de Talleyrand ou d’un Ramel – pour ne parler que des hommes politiques réputés enrichis –, celle de Barras est-elle comparable ? Face à la fortune d’un Ouvrard, d’un Hamelin, d’un Haller ou d’un Récamier, que pèse la fortune du directeur ?

4 Barras est-il un homme d’argent ? Certainement. Dans quelles conditions l’a-t-il gardé ou perdu, c’est une autre question. Cependant, il a la discrétion ou la coquetterie des hommes de son temps : il n’en parle jamais. Nulle part dans ses Mémoires, il ne dévoile les noms des affairistes, des banquiers, des fournisseurs ou des gens de finances avec qui il est en relation. Il a pris bien garde de faire disparaître dans ses papiers personnels toutes les traces de ses spéculations financières.

5 Est-il vraiment le modèle de l’enrichi que les historiens présentent sans cesse depuis deux siècles ? A-t-il édifié une fortune de plusieurs millions en un temps record en profitant de sa position ? Ses nombreux détracteurs l’affirment, mais sans preuve. Cependant, les réponses sont beaucoup plus complexes et plus nuancées qu’il n’y paraît. Si l’on considère sa fortune sous l’Ancien Régime et celle qu’il laisse à son décès, on peut dire en effet que Barras s’est enrichi. Mais on constate que c’est d’une façon relativement modeste par rapport à d’autres. Les véritables concussions du directeur ne peuvent être dévoilées que lorsqu’il est pris la main dans le sac, c’est-à-dire en flagrant délit, mais si l’on veut dénoncer les nombreux pots-de-vin qu’il reçoit ou qu’il exige, il faut en apporter des preuves probantes et irréfutables, et ne pas se contenter de l’accuser sans preuve. Les faisceaux de présomptions sont importants.

I. L’héritage de Barras

6 La réalité de la fortune d’un individu se mesure à l’aune de sa succession. Dans ce cas particulier, nous disposons de l’inventaire après décès du directeur. L’inventaire de ses biens meubles et immeubles a été dressé à compter du 5 février 1829, à la requête de sa veuve, Marie Pélagie Templier. C’est Me Damaison, son notaire, qui, pendant plusieurs jours, a procédé à cet inventaire. Le directeur a établi un testament olographe le 30 janvier 1827. Il n’est pas revenu sur ses dispositions testamentaires. La prisée et l’inventaire de ses biens mobiliers est dressé par Me Jean-Baptiste Benou, commissaire-priseur à Paris. Dans cet inventaire, les objets mobiliers qui se trouvent dans la maison de Chaillot sont estimés à 34 263 francs, plus l’argenterie pour une valeur de 10 000 francs.

7 Le défunt laisse un actif de valeurs immobilières sous forme de rentes et d’actions pour un total de 280 000 francs. La maison de Chaillot est estimée sur son prix d’achat, soit 36 000 francs. La fortune du directeur à sa mort est de 360 236 francs. C’est une fortune honnête pour l’époque mais qui est bien loin de celle de Cambacérès qui, à la même époque, est de 7 millions. Celle de Berthier est de plus de 5 millions. La fortune du directeur se situe dans la fourchette des fortunes mobilières moyennes à Paris de l’époque. Pour la province, elle représente une véritable richesse aristocratique.

8 Cet inventaire met en lumière les mécanismes financiers de Barras. Terrien dans l’âme, il a presque toujours été possesseur d’un domaine immobilier sur lequel il vit. Son traitement de directeur est de 150 000 francs par an. Pour se constituer un patrimoine, il procède suivant le principe dit de « de la boule de neige », c’est-à-dire qu’il achète à bas prix un bien et le revend avec une solide plus-value. Il réinvestit cette vente dans un nouveau bien et ainsi de suite. En la matière, il se conduit en véritable spéculateur foncier. La période qui s’étend de 1791 à 1799 est propice au marché immobilier, tant à Paris qu’en province, la dépréciation de l’assignat papier et la dévaluation de la monnaie permettant de fructueuses affaires. Barras passe le plus clair de sa carrière à Paris. Il va donc investir dans de l’immobilier, soit dans la capitale, soit dans la proche couronne pendant une dizaine d’années. Ce n’est qu’une fois retiré de la politique qu’il investit dans des biens en province ou à l’étranger. Sans fortune propre au début de la Révolution, il profite de son ascension politique pour se faire prêter de l’argent par des amis. Il monnaie sa protection ; en échange, ses amis lui servent d’hommes de paille ou de paravents pour ses acquisitions. C’est ainsi qu’il se rend acquéreur du château de Bel-Air à Suresnes, qu’il revend un an après son achat. Le 26 août 1798, il achète une maison rue de Babylone, la « maison Barbançon », pour la somme de 21 600 francs. Il se sépare de ce bien en 1804, toujours grâce au même prête-nom Jean-Baptiste Pirault, un homme de loi parisien, pour la somme de 32 400 francs.

9 L’acquisition du château de Grosbois est une grosse affaire qui dépasse largement ses moyens financiers. Ce sont Ramel, son ministre des Finances, et Ouvrard qui lui conseillent ce placement. Il utilise un nouvel homme de paille, un certain Prévost. Ce dernier achète par procuration le château pour 213 000 francs. Il se sépare de Grosbois au profit du général Moreau le 13 nivôse an XII (4 janvier 1804) pour la somme de 200 000 francs. Moreau, à son tour, revend le château à Fouché, qui s’en sépare un an plus tard ; le nouveau propriétaire est le général Berthier, ministre de la Guerre, qui le paye 400 000 francs. Par quel mécanisme le directeur se porte-t-il acquéreur de Grosbois ? Bien que nous n’en ayons pas la preuve, les archives de son notaire à cette époque ayant brûlé, Barras fait un emprunt auprès de Ramel. Au début de l’Empire, alors qu’il se trouve en exil à Bruxelles, il vend par l’intermédiaire de ses deux fondés de pouvoir, Victor Grand et Dominique Pierrugues, marchand de vin, une forêt à Berthier. Il s’agit des bois des Camaldules qui touchent Grosbois et dont la valeur est de 450 000 francs. Berthier n’ayant pas la somme, c’est la caisse du Trésor qui lui fait le prêt.

10 Lors de son séjour en Belgique, le directeur se porte acquéreur, pour 20 000 francs, de deux fermes et plusieurs portions de terre sur la commune de Vertryck. La vendeuse est la dame Françoise-Rose Renaut, épouse d’Édouard Walkiers, banquier et homme d’affaires, bien connu pour ses immenses spéculations depuis 1775. Lorsqu’il quitte la Belgique, Barras se sépare de ses propriétés pour la somme de 27 000 francs. Ses investissements sont certainement beaucoup plus importants en Belgique que la trace que nous en trouvons dans sa correspondance particulière. Les Archives générales du royaume à Bruxelles n’ont pas encore livré tous leurs secrets.

11 Le 18 janvier 1806, il achète dans l’Hérault différentes exploitations agricoles, les mas de Marcouine, Bayle, Limadier et Loupian. L’ensemble de ces achats représente environ 110 000 francs. Ces achats se font sur les conseils de Ramel et de Cambacérès. D’après quelques comptes de sa main, ses domaines lui rapportent sur six ans environ 144 000 francs, ce qui est pour l’époque un bon placement. C’est vers 1815 qu’il revend le tout pour une somme de 270 000 francs, faisant au passage une sérieuse plus-value.

12 Le 10 septembre 1806, il achète à un certain Jean-François-Melchior Mestre le château des Aigalades, près de Marseille, pour une somme principale de 160 000 francs. Le château et quelques terres coûtent 147 873 francs ; le mobilier meublant lui est vendu pour la somme de 12 127 francs. Il revend le tout le 6 mars 1818 à Henri Legavinet, pharmacien, et à Gérard-Étienne Gourd, négociant, tous deux beaux-frères demeurant à Lyon. La vente se fait sur le pied de 180 000 francs (!), dont 150 000 francs pour les immeubles et 30 000 francs pour le mobilier. Les acheteurs règlent à la signature des actes : 100 000 francs en numéraire, les 80 000 francs restants sont payés sous forme d’une rentre viagère annuelle de 8 000 francs, payables par moitié de six mois en six mois. Cependant, les 100 000 francs n’ayant pas été réglés le jour de la vente mais le 16 août 1818, ils ont produit un intérêt de 2 111 francs sur le pied de 5 % que Barras empoche immédiatement.

13 Dans son inventaire après décès, on trouve aussi six contrats de rentes viagères passés avec le marquis d’Aligre, le comte de Grammont, le baron Godard du Plan pour une valeur qui oscille entre 3 000 et 3 600 francs. Ces rentes sont tardives ; elles sont datées des années 1815-1820. C’est le résultat de ventes immobilières. Par divers recoupements, nous savons qu’il s’est rendu acquéreur de plusieurs maisons dans Paris. Ne bénéficiant d’aucune retraite d’officier général ou de directeur, Barras, l’âge venant, s’est constitué pour lui et son épouse des revenus. Son train de maison est en accord avec ses revenus, ceux d’un grand commis de l’État vivant de son bien. À son décès, il est propriétaire d’un coupé et de trois chevaux. Un valet, Victor Froissard, une cuisinière, Anastasie Boquillon, une gouvernante, Julie Piat, forment son personnel de maison. Son vieux maître d’hôtel, Courtot, avec le temps, est devenu son homme de confiance.

14 Par testament, il lègue environ une somme de 120 000 francs à ses serviteurs, dont 60 000 francs à Courtot. Le reste va à sa veuve.

II. L’administration de sa fortune

15 Barras n’exerce le pouvoir suprême que pendant quatre petites années. Il est sans fortune réelle sous l’Ancien Régime, si ce n’est son traitement de capitaine, puis, sous la Révolution, celui de député et de général à titre temporaire. Il ne connaît l’aisance qu’en devenant directeur. Après le 18 brumaire, il doit réduire son train de vie comme un simple rentier. Alors qu’on le présente comme un grand seigneur dépensant sans compter, au gré de sa correspondance, on découvre un autre personnage, certainement plus proche de la vérité. Revenu à la vie privée, il devient économe, pour ne pas dire pingre. Il est plus proche de l’Avare que de Fouquet.

16 En octobre 1813, alors qu’il se trouve en exil à Rome, il fait part à un correspondant de l’état de sa fortune : « Me voici à Rome, depuis près de six mois, exilé sans savoir quand finira cette persécution de plus de dix ans consécutifs qui a ruiné ma santé et ma fortune. » Sa fortune a fondu comme neige au soleil. Déjà, en 1806, il expédie des lettres vindicatives à Pierrugues, son agent d’affaires, pour connaître combien lui rapporte une obligation de 40 000 francs. Il demande, plus exactement il réclame, des billets à ordre. D’abord de 24 000 francs, puis deux autres de 9 790 francs et de 27 020 francs. En juillet 1809, alors qu’il est à Spa, il envoie un billet à Victor Grand : « Vous savez que j’ai remis à Botot 100 000 francs pour me les placer au Mont de piété. Ce placement fut fait la deuxième ou troisième année que je fus au Directoire. Boto garda la reconnaissance. Je voudrais vous faire vérifier sur les registres s’il fit ce placement sous mon nom ou sous le sien. » La réponse se faisant attendre, il relance Grand qui, enfin, le rassure ; le placement a bien été fait au nom du directeur !

17 Sur la vente de Grosbois, il fait faire à Victor Grand des placements de l’ordre de 75 000 francs en obligation de 5 % chez les receveurs généraux de Bruxelles, Gand et Namur, et ce pour une durée de six mois. Il fait aussi un autre placement de 150 000 francs au Mont de piété à 5 %. Il trouve que ces placements sont d’un faible rendement. Il expédie une lettre d’instruction à Grand. Il le soupçonne au passage d’avoir pris sa commission : « Si les sommes placées chez MM. les receveurs sont insuffisantes ou l’intérêt trop léger, voyez chez les banquiers sur la place ou hors place. Mais je suis pauvre. Le gouvernement me dépouille. » Il a toujours peur de manquer. Cette vie d’exilé l’inquiète. Il fait établir, par Victor Grand, treize lettres de change pour un montant de 54 525 francs sur la banque Veuve Nettine et fils, banquier à Bruxelles. Si la vente de Grosbois entre lui et Moreau a été rapide, en revanche le règlement traîne en longueur. Moreau n’a été propriétaire qu’un laps de temps trop court pour régler les questions financières. Berthier, son successeur, essaie de racheter à Barras les bois qui entourent le château. Berthier, par l’intermédiaire de son intendant, fait des offres à l’ancien directeur : 400 000 francs sur la base de 1 300 francs l’hectare, telle est l’offre. Barras la trouve insuffisante. Berthier propose alors 450 000 francs, dont 300 000 francs comptant, le solde payable en plusieurs fois ; Barras veut un peu plus. Il laisse traîner l’affaire. C’est alors que le maréchal Lefebvre se fait l’intermédiaire entre les deux parties. Berthier, qui a de l’amitié pour Barras, finit par accepter la transaction à 450 000 francs. La correspondance échangée à cette époque montre bien que le directeur n’a pas la prétendue fortune que ses détracteurs lui prêtent. Il écrit à ce sujet à Berthier : « Depuis que j’ai quitté les fonctions publiques, j’ai vainement sollicité le paiement d’arrérages de traitement qui me sont dus, arrérages dont mes quatre collègues ont été soldés par le gouvernement impérial […]. Tant d’infortune, de pertes et des déplacements ruineux m’ont forcé de réduire ma maison […]. Ma modeste fortune est employée en terres qui, dans le Midi, donnent un revenu médiocre et incertain, mais juste suffisant à mes besoins actuels. »

18 Depuis qu’il a quitté le pouvoir en 1799, le directeur passe son temps à geindre sur son manque de fortune apparente. Ses palinodies financières rejoignent les politiques. Pour un homme né sans fortune, on peut considérer qu’il a bien réussi, surtout si l’on considère que l’édification de cette fortune s’est faite en quatre ans.

III. Les pourboires diplomatiques

19 En arrivant au Directoire, Barras renoue avec une tradition d’Ancien Régime, celle des commissions données aux négociateurs des traités de paix.

20 Les directeurs sont tenus réciproquement par des secrets existant entre eux. Aucun ne peut être révélé sous peine que cela entraîne la divulgation de tous les autres. Il est certain que celui d’entre eux qui a le plus à redouter de ces révélations est Barras. Ses collègues n’ignorent pas les actes douteux qu’il commet. Faute d’archives, l’historien ne peut que soupçonner ceux qu’il dissimule avec une habilité souveraine. On sait seulement que son traitement de directeur ne peut, en l’absence de fortune personnelle, suffire au train de millionnaire qu’il mène au Luxembourg ou à Grosbois. La source de ses biens, dans ces conditions, ne peut être que douteuse ou impure. Il a, avec beaucoup d’à-propos, restauré le système du clientélisme si cher à l’Ancien Régime. Il perçoit de nombreux pots-de-vin en échange de ses interventions. Il vend sa protection, comme les princes de l’Église vendaient jadis des indulgences. Malheureusement, il ne reste aucune trace écrite de ses barèmes. Quelques contemporains font des allusions assez vagues aux épices que le directeur s’octroie.

21 L’opinion publique dénonce comme complice du directeur son ami Talleyrand, ministre des Relations extérieures. Pour ce dernier, toute négociation est prétexte à concussion. La diplomatie du Directoire est tiraillée entre les quatre directeurs et la politique personnelle de Barras. Avant l’arrivée de Talleyrand à la tête des Affaires étrangères, les négociations de paix ont déjà donné lieu à des marchandages et des arrangements entre les envoyés étrangers et les représentants du Directoire.

22 Le versement des commissions se fait de façon détournée, grâce à des intermédiaires. Dans ce genre d’opérations, rien n’est consigné dans le marbre. Mais il arrive qu’à la suite d’indiscrétions ou par simple vengeance, ces affaires parviennent à la connaissance du public. C’est la seule façon de prendre Barras la main dans le sac. Dans ses Mémoires, il se défend comme un beau diable de tels agissements. Cependant, l’histoire et les archives gardent en mémoire plusieurs cas précis de « pourboire diplomatique ».

23 En août 1797, après le traité de Paris signé par d’Araujo de Azevedo, ambassadeur du Portugal à Paris, et Talleyrand, le Portugal s’engage à fermer ses ports aux navires anglais. Le gouvernement de Lisbonne s’engage à verser à la France dix millions de francs payables moitié en numéraire et moitié en diamants et en bois précieux. Talleyrand, suivant son habitude, a bâclé le traité de paix. D’Araujo, pour arriver à ses fins, a distribué de grosses sommes d’argent pour obtenir la signature d’un accord qui corresponde à l’intérêt français. Il a distribué des sommes modestes, d’abord à des intermédiaires et des agents de bureau. Mais il a aussi fait des versements beaucoup plus importants à Barras et à Reubell, sans oublier l’incontournable Talleyrand. Ces versements représentent environ un million. La somme devait être apportée à Paris par un certain Wiscowitch. C’est un Dalmate, agent double ou triple utilisé par Barras et Talleyrand pour des trafics d’influences et des spéculations sur les places étrangères. Barras, qui est assez gourmand, demande pour son usage un million ! Mais d’Araujo, après bien des négociations, arrive à obtenir un rabais de 400 000 francs ! La demande de Barras paraît normale au représentant portugais, qui signe des traites sur le banquier anglais Pope. Il signe sans aucune méfiance, tant la réputation de Barras était de « se vendre au plus offrant ». D’Araujo n’ignore pas non plus que seuls d’importants cadeaux au directeur ont permis la signature de traités de paix avec Naples et le pape. Les assemblées, bien entendu, ne sont pas au courant de ces clauses secrètes. Une indiscrétion révèle le pot aux roses. Le gouvernement portugais, dans ces conditions, se drape dans sa dignité et refuse de ratifier le traité ; le Directoire joue les offusqués et décide à son tour, le 26 octobre 1797, de ne pas signer le traité. Le Directoire est mal à l’aise ; la corruption est portée sur la place publique. Afin de faire bonne figure, il rejette la faute sur l’ambassadeur du Portugal à Paris ! Un décret d’expulsion est même signé. C’est Talleyrand qui porte lui-même le document comme si de rien n’était. L’ambassadeur n’est ni plus ni moins accusé d’avoir soudoyé des directeurs ! L’affaire fait grand bruit. D’Araujo a bien versé à Wiscowitch des enveloppes pour Barras et Reubell, mais ils n’ont rien eu. Wiscowitch, escroc d’envergure, a étouffé les sommes à son profit. Le Dalmate est arrêté et jeté à la prison du Temple. Pour se défendre, il se met à table et dénonce le ministre, les directeurs et bien d’autres. Devant l’ampleur du scandale, il y a une conférence discrète et l’affaire est promptement étouffée. Malgré ses dénégations, Barras a bien touché une partie des 600 000 francs réclamés. Quelques mois plus tôt, il avait déjà été mêlé à une autre affaire similaire.

24 Le 18 avril 1797, Bonaparte pour la France, le marquis de Gallo et le comte de Merveldt pour l’Autriche signent le traité de Loeben qui dépèce l’antique république de Venise. Le Directoire doit ensuite ratifier le traité. Les directeurs accueillent la nouvelle différemment. Carnot approuve, Reubell s’indigne, La Ravellière proteste, Barthelemy se tait, enfin Barras louvoie. Cependant, il est peu favorable : mais, contre toute attente, il refuse de s’opposer à la signature. Bizarre ! La raison n’a rien à voir avec la politique. Il vient de recevoir du représentant de la république de Venise à Paris, Querini, 600 000 francs pour défendre Venise contre les attaques de Bonaparte. Mais, par malchance, la correspondance du ministre vénitien vient d’être saisie par celui-ci. C’est le fidèle Botot qui, en secret, a touché les deniers de la trahison ; Barras « avait peur de se compromettre ». Cette affaire, comme la précédente, est étouffée afin de ne pas compromettre la République.

25 Lors des accords entre la France et l’Espagne signés le 22 juillet 1795, Barras agit en coulisse. Notre ambassadeur est le général Pérignon, officier d’Ancien Régime, peu révolutionnaire mais porté sur la vie de société et le beau sexe ; le premier secrétaire est Mangourit, créature de Reubell et protégé de La Révellière. Dans l’espoir d’un rapprochement entre Madrid et Paris, Barras a recours à la diplomatie parallèle moyennant finances. Pour 500 000 francs, il se fait fort d’obtenir de ses collègues un traité en bonne et due forme. Mais l’affaire, une fois encore, échoue ; Barras est trop gourmand. De leur côté, les Espagnols sont peu disposés. Pérignon est rappelé à Paris le 8 octobre 1797. À sa place, la République envoie à Madrid un autre militaire, l’amiral Truguet. Ce dernier vient de quitter le ministère de la Marine. C’est l’homme de Barras et de Reubell, mais pas celui de Talleyrand. En attendant l’arrivée de l’amiral diplomate, Talleyrand expédie à Madrid un de ses hommes, Perrochel. C’est un homme de la double diplomatie ; il est aussi l’agent de liaison entre Talleyrand et Godoy, le puissant Premier ministre espagnol. Talleyrand, homme soupçonneux, trouve un autre agent secret de sa politique en la personne de François Segui. C’est un banquier qui est failli à ces militaires. Il s’installe à Paris comme fournisseur des subsistances militaires. Il est d’origine mahonnaise et vient d’acheter à Paris l’ancien hôtel de Brienne, rue Saint-Dominique. Il a ses bureaux rue Bergère et un château près de Lagny que fréquente assidûment… Botot. Segui accepte la mission d’agent secret, car il espère, en échange, obtenir la commission de fournitures des subsistances de la flotte française en Espagne ainsi que celle de l’expédition sur le Portugal. Bien que non reconnu officiellement par le Directoire, Segui a tous pouvoirs pour négocier le traité de Paix. De son côté, Barras envoie à Madrid un de ses agents, le prince de Carency. Curieux personnage que ce prince. C’est le fils du duc de La Vanguyon, dernier ambassadeur de Louis XVI en Espagne. Émigré à Francfort, Carency escroque sans vergogne un banquier de la ville pour plusieurs centaines de milliers de livres. Il se réfugie à Paris où il travaille pour la police. C’est un des agents secrets de Talleyrand qui vient de lui confier la mission de surveiller et d’espionner le personnel de l’ambassade ainsi que les émigrés. Crancy rencontre Godoy et, au nom de Barras, lui offre de négocier la paix avec le Portugal. Godoy comprend très vite que les agents de l’ambassade ne sont pas au courant de cette négociation. Segui a vent de la mission de Carency ; un imbroglio impossible se déroule. Chacun sur place double son voisin, qui pour le compte de Talleyrand, qui pour celui de Barras. Truguet ne voit rien. Il y a trop de monde sur cette affaire qui se termine lamentablement. Truguet est rappelé à Paris le 1er mai 1798. Segui perd ses illusions du marché des fournitures et Barras ne récolte que quelques miettes financières. Cependant, tout n’est pas perdu pour le directeur. Fin mai, Hervas, représentant de la banque Saint-Charles de Madrid, reçoit l’ordre de mettre à la disposition de la banque Baguenault à Paris, une somme de deux millions pour un objet sur lequel il lui est enjoint d’observer le secret le plus inviolable et d’obéir sans discussion aux consignes de l’ambassadeur d’Espagne à Paris, le marquis del Campo. On se trouve au plus fort de la lutte menée par Barras contre les Jacobins. Tout laisse à penser que le gouvernement espagnol entend mettre à la disposition du directeur les moyens de gagner les élections. Godoy n’a pu être sollicité que par l’ancien directeur de la banque Cabarrus, qui se trouve être le beau-père de Tallien. Barras gagne les élections. Il arrose tous ses alliés, y compris Talleyrand qui, au passage, touche 500 000 francs. On ignore la part de Barras. Segui ne touche rien. Il est même exclu du service des subsistances. Il a voulu jouer dans la cour des grands, mais il ne connaît pas suffisamment la règle du jeu, fort simple, de la grande spéculation. En la matière, Talleyrand, mais surtout Barras, sont les véritables arbitres de ces jeux dangereux.

IV. Spéculateurs et fournisseurs, les ombres de Barras

26 Segui est l’exemple de tout ce nouveau monde de spéculateurs, de fournisseurs et de capitalistes véreux qui, dans le grand bouleversement social et financier du Directoire, s’installe au pouvoir à côté du monde politique ; les affaires, le plaisir, l’argent, la politique se mêlent en un extraordinaire ballet, où les trafics et les pots-de-vin sur les marchés de l’État traités directement et sans publicité sont au centre de la danse. Barras, incontestablement, est l’un des maîtres de ces ballets aux arabesques complexes.

27 La France est en guerre contre le reste de l’Europe à partir de 1792. La pénurie chronique de trésorerie oblige à avoir recours à de nombreux expédients. Depuis cette époque, pouvoir législatif et pouvoir exécutif s’arrogent le financement de la guerre, chacun ordonnant sans aucune concertation l’approvisionnement financier des armées de la République. L’État ne peut faire face à la demande immense de fournitures ; il est rapidement obligé de sous-traiter le ravitaillement des armées avec des compagnies privées, dont le principal objectif est de s’enrichir le plus rapidement possible.

28 Le gouvernement doit procurer aux armées du Nord, du Rhin, des Alpes, d’Italie, des Pyrénées, des côtes de l’Océan et de l’Ouest des armes, de la poudre, des chaussures, des vêtements, de l’équipement, des viandes, du pain et, de surcroît acheminer vers elles ces marchandises. La désignation de ces fournisseurs dépend des ministres. On imagine combien ceux-ci sont sollicités. Afin d’obtenir une de ces fournitures, les professionnels de l’armement ou de l’alimentation ont recours aux bons offices d’intermédiaires ayant l’oreille des membres du gouvernement qui, le plus souvent, exigent en échange une ristourne ou d’importants avantages en espèces.

29 Barras, toujours à l’affût d’argent facile, ouvre largement les portes de ses bureaux ou de ses salons à la fine fleur du monde des affairistes du Directoire.

30 Au premier rang de ses fréquentations, il y a le mythique Gabriel-Julien Ouvrard. Originaire de Nantes, il constate au début de la Révolution qu’il y a une prolifération des journaux. Il achète à crédit tout le papier disponible et la fabrication des deux ans à venir. Devant cette pénurie, les imprimeurs réagissent en achetant au prix fort les stocks d’Ouvrard. Cette ingénieuse spéculation dépasse les 400 000 francs. Il monte à Paris au mois de novembre 1793 : moins d’un an plus tard, sa fortune est de 700 000 francs or. Il spécule sur les produits coloniaux. Le 2 février 1795 (4 pluviôse an III), il épouse Élisabeth Tébaut, fille d’un riche négociant nantais.

31 Les deux hommes sont faits pour se rencontrer, mais aussi pour devenir des alliés, voire des amis. Barras est fait pour retenir l’attention d’Ouvrard. Le directeur est un homme hardi, émergeant enfin du groupe des timides qu’il a rencontré dans les comités. C’est un homme aux idées flottantes, dénué de scrupules, soucieux avant tout de soigner sa fortune. Si Barras reste muet sur leur rencontre, Ouvrard en revanche, dans ses Mémoires, est plus disert : « Le directeur Barras, sur qui mes vues financières paraissaient avoir fait quelques impressions, vint un jour me trouver à Vitry. Cette visite fut à l’origine de mes relations avec le gouvernement et du changement de direction de mes affaires. » Que se passe-t-il lors de cette entrevue ? Le directeur est muet comme une carpe. Notons au passage qu’il ne cite pas une seule fois le nom du munitionnaire dans ses Mémoires. Ce qui est sûr, c’est que les deux hommes, dès leur première rencontre, se sont parfaitement entendus et compris. Tout aboutit chez eux à des chiffres. On peut croire Ouvrard, lorsqu’il écrit à propos du directeur : « L’idée d’embrasser la carrière de fournisseur des armées lui vint au cours de ce tête-à-tête. » En revanche, Ouvrard se trompe quand il écrit que cette rencontre a lieu au début du Directoire. Leurs chemins se croisent dès 1795, époque où Barras est encore député à la Convention. Il s’est fait attribuer par ses collègues la haute main sur la partie administrative des fournitures militaires. C’est une situation prépondérante, surtout depuis que les comités ont été autorisés à traiter de gré à gré et sans contrat avec les munitionnaires les contrats de fournitures militaires. C’est grâce à l’appui du puissant député que le jeune fournisseur honore des marchés plus importants et donc plus lucratifs. La complicité qui les unit permet à Ouvrard de décrocher en 1798, malgré une âpre concurrence, l’exclusivité des fournitures à la Marine jusqu’en 1804. Ce marché est déjà énorme, mais pas encore assez et il excepte le marché de l’approvisionnement de la flotte espagnole. En échange de ce marché, Ouvrard avance 10 millions au Trésor public, qui serviront à rembourser les créances du Trésor. En août 1799, il décroche celui de l’armée d’Italie ! Le traité avec la marine porte sur 64 millions pour une durée de six ans ! Jamais sous l’Ancien Régime fournisseur n’a eu un tel marché. Ouvrard a l’exclusivité des fournitures. En remerciement, il offre au directeur une substantielle commission, dont le chiffre est resté à jamais inconnu. À cette magnifique commission, Ouvrard ajoute le don d’un hôtel rue de Babylone. Le directeur revend cette demeure le 16 février 1799 pour 50 000 francs à une de ses relations, Thérésa Cabarrus-Tallien. En se rendant indispensable au Trésor public, Ouvrard s’impose comme le principal financier du régime, et ce avec l’amicale complicité de Barras.

32 Depuis ses missions dans l’ouest et le nord de la France au temps de la Convention, Barras est très au fait du circuit des approvisionnements en grains et en fourrages pour les armées. Il croise, à cette époque, nombre de fournisseurs qui font leur classe sur des petits marchés. Mais il faut encore remonter plus loin pour trouver les relations entre Barras et le monde des fournisseurs. C’est lors du siège de Toulon qu’il s’est frotté pour la première fois à ce monde qui lui était jusqu’à présent inconnu.

33 Emmanuel Haller, autre grand fournisseur, parfois concurrent, parfois associé à Ouvrard, est de ceux-là. En 1792, il est à la tête d’une compagnie de commerce connue sous le nom de Bouillon, Haller et Compagnie, dont le siège est à Marseille. L’été suivant, nous le retrouvons directeur des transports militaires, puis des subsistances de l’armée des Alpes. Munitionnaire efficace et jacobin à souhait, Haller, malgré les bouleversements politiques sous la Terreur, reste le seul à faire de la fourniture. Il gagne la confiance des commissaires en mission, Ricord, Robespierre jeune et Barras. C’est grâce à l’appui du dernier qu’il est nommé en octobre 1792 directeur des charrois de l’armée d’Italie. En février 1794, il a le monopole des approvisionnements pour cette armée. Il apparaît comme le protégé de Barras. Après le 8 thermidor, il est dénoncé par Cambon : « L’agiotage horrible et la conversion en or de tous les vols de Robespierre cadet qui avait pour agent l’infâme banquier Haller qui convertissait en lingots les fonds destinés à l’entretien de nos armées. » C’est une attaque de pure forme, car Cambon cache les agissements de sa famille qui fait, elle, la fourniture de l’armée des Pyrénées ! Mais « l’infâme » Haller devient le symbole même de la corruption, le prototype du munitionnaire prévaricateur. En réalité, il est l’arbre qui cache la forêt. Barras, fidèle en amitié, prend sa défense et, en juin 1795, après cette mini-tempête, il fait nommer Haller trésorier de l’armée d’Italie. Cette nouvelle carrière du fournisseur appartient à l’histoire. Belle carrière en vérité que celle de Haller. Il a servi sous Calonne, Loménie de Brienne, Robespierre, Barras et enfin Bonaparte. En échange de ses puissantes protections, il a su ouvrir ses caisses sans compter aux hommes politiques. Barras, comme ses prédécesseurs, a touché le prix de sa protection.

34 Édouard Hamelin est un autre fournisseur proche du directeur. C‘est le fils d’un premier commis aux Finances, ancien collaborateur de Terray puis de Necker. Hamelin père, en remerciement de ses services, devient, sous l’Ancien Régime, receveur général à Bourges. Il épouse Jeanne Puissant, fille d’un fermier général. Le jeune Édouard est né avec une cuillère d’argent dans la bouche. Il est ruiné par la Convention et se lance dans les affaires. Protégé par Joséphine de Beauharnais, il part en Italie comme chargé de percevoir les contributions de guerre. Il accepte un pot-de-vin de 200 000 francs de son collègue Collot. Il gagne plus de 500 000 francs sur la confiscation des impôts du duché de Modène. Protégé par Barras, il obtient de nombreux contrats de fournitures. En échange, il fait passer à son protecteur 150 000 francs de dessous de table.

35 Autre relation cachée de Barras, un Belge, Édouard de Walkiers, dit « le magnifique ». C’est un grand seigneur qui joue, de 1787 à 1790, les « Lafayette des Pays-Bas ». Il est à la tête d’une nébuleuse financière avec d’innombrables ramifications dans les milieux de la banque internationale, de la politique et de la franc-maçonnerie européennes. Barras a croisé la route de Walkiers en floréal an II (avril 1794), lorsqu’il a pris la route du Nord pour surveiller la compagnie Paulée, fournisseur de vivres auprès de cette armée. La compagnie Walkiers est en concurrence avec Paulée. Ramel, membre du Comité de salut public, a dénoncé les contrats Paulée-Walkiers au nom des grands principes de la Terreur et de l’orthodoxie financière. Derrière cette belle déclaration se cache une raison plus prosaïque. Ramel, en coulisse, protège une autre compagnie, celle de sa propre famille. En effet, il a épousé Ange-Pauline-Charlotte Panckoucke, fille de Placide-Joseph, le correspondant et associé de la banque Bontemps-Mallet. Il participe activement, avant la Révolution, au trafic de l’or et des piastres. Une alliance secrète est scellée entre Ramel et Barras, les compagnies Walkiers, Paulée et Panckoucke continuent de faire leur prospère commerce, mais sous une autre raison sociale.

36 L’argent fait bon ménage avec la politique. En tout état de cause, Walkiers est éternellement reconnaissant à Barras. Quand l’ancien directeur part en exil à Bruxelles, Walkiers met à sa disposition des fonds. Il fait même des placements fructueux pour le compte de son ancien protecteur.

37 La compagnie Bodin, ayant à sa tête les frères Louis, Charles et Victor, bénéficie de la complicité de Joséphine et du directeur. Originaires de Romans, les frères Bodin ont fondé une compagnie de fournitures aux armées. Après avoir exercé leur activité durant la campagne d’Italie, ils déplacent leurs intérêts dans l’achat et la revente des biens nationaux dans les départements de la Belgique et du nord de la France. Depuis 1796, la compagnie Bodin assure aussi le service des armées dans des conditions très onéreuses pour l’État, très fâcheuses pour les armées et très profitables pour elle-même. Le directeur protège la compagnie, au-delà de toute raison gardée. Il est en échange payé par les frères Bodin, Joséphine servant d’intermédiaire. La correspondance de la future impératrice contient de nombreuses interventions auprès de Barras. Tout le secrétariat politique du directeur, à commencer par Botot lui-même, émarge sur les fonds secrets de la compagnie.

38 Les discrètes acquisitions immobilières du directeur à Paris sont financées par les commissions qu’il reçoit au nom de sa protection. Il est vrai que, dans ce domaine, Cambacérès est appointé par Ouvrard, Reubell par Flachat. La mystérieuse compagnie Ouen, de son côté, embauche Tallien, Réal et Fouché !

39 De par ses fonctions, Barras est en relation avec d’autres fournisseurs ou des banquiers. En raison de son silence et du voile épais qu’il jette sur ses curieuses et douteuses relations, il est difficile d’apprécier jusqu’à quel point il est corrompu. À la lecture des archives, on le soupçonne d’avoir largement favorisé les fructueuses affaires du banquier franco-espagnol Cabarrus, ou du Belge Michel Simon, mais aussi du Suisse Jean-Frédéric Perregaux, futur beau-père du maréchal Marmont. En février 1796, Perregaux s’associe à Récamier pour la création d’une banque d’émission, mais ce projet échoue. Les Cinq-Cents le repoussent. Il s’associe aux principaux banquiers de la place de Paris, Desprez et Récamier, pour ouvrir une caisse des comptes courants destinée à drainer l’épargne disponible dans le pays. Barras protège cette création. Il ne s’agit pas là d’affaires de fournitures militaires, mais d’affaires beaucoup plus subtiles ; la conversion des espèces étrangères et autres matières d’or et d’argent en espèces de France. Barras est peut-être au cœur de la vraie spéculation. Il n’est pas le paysan du Danube qu’il prétend. Au contraire, il est parfaitement initié à ces grandes spéculations.

Notes

  • [1]
    Cet article a paru in : La Revue du Trésor, n° 6, juin 2002, p. 354-359.
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