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Article de revue

Rémunération des décideurs facteur de comportement responsable, un effet en période de crise ?

Pages 108 à 123

Notes

1 Des recherches ou études académiques, appuyées par les lois nationales (Grenelle 1 et 2 en France) et les normes ou labels internationaux (ISO 26000, SD 21000, SA 8000…) abordent les principes de précaution, de responsabilité, de prévention et de correction (Fuller, 1999). Néanmoins, Frederick (1994) précise qu’une acceptation volontaire des fondements de responsabilités est toujours préférable à la réglementation ou à l’intervention contraignante des pouvoirs publics. Le paradigme théorique de la RSE postule, par ailleurs, qu’un comportement responsable n’est pas incompatible avec une meilleure performance financière. Dans ce contexte, peu d’études à notre connaissance, se sont intéressées au principe de participation responsable des décideurs organisationnels en lien avec leur rémunération, généralement liée à la performance financière de l’entreprise. Pourtant, c’est d’un intérêt capital pour comprendre le comportement des entreprises en termes de responsabilité sociale.

2 Ainsi, Charles Handy (2002) reconnu comme l’un des 50 membres les plus éminents au monde en matière de gestion des entreprises et de management des équipes, écrit : « En ne poursuivant que des objectifs de croissance économique et d’efficience, nous risquons d’oublier que c’est nous, hommes et femmes pris individuellement, qui devrions être la mesure de toute chose et non pas servir à mesurer autre chose ».

3 Mais la question peut se poser à ce sujet en période de crise financière. En effet, alors qu’en 2015, la zone euro connait l’austérité à cause d’une crise de la dette, que le monde est confronté à une inflation faible, des mauvaises perspectives chinoises, un prix du pétrole trop bas et la menace d’une « guerre des monnaies » [1], les chiffres indiquent que les rémunérations des dirigeants selon des critères RSE ont explosé chez les grands groupes du CAC40. Il est, donc, question, ici de tester les liens entre la rémunération sur des critères RSE des cadres dirigeants en entreprise et leurs décisions responsables dans un contexte qui pourrait paraitre défavorable à une préoccupation de la RSE.

4 Dans ce questionnement deux éléments nous interpellent. D’une part, la notion de participation et d’autre part, la notion de l’individu-responsable au travail, qui n’a, à notre connaissance, pas non plus été l’objet de beaucoup d’études quantifiées. Le décideur responsable a bien été investigué par le truchement d’études en science sociale lorsqu’il s’est agi d’avoir une représentation de l’individu socialement responsable (Berkowitz et Lutterman, 1968), en marketing afin de comprendre le comportement socialement responsable du consommateur (Webster, 1975 ; Roberts, 1995 ; François-Lecomte, 2006) ou encore en management stratégique (Bowen, 1953) pour tenter de moraliser « l’homme d’affaires » et décrire le manager responsable. Wood (1991), quant à lui, décline la responsabilité individuelle et morale des dirigeants et des managers, sous trois niveaux de responsabilité pour l’entreprise. Ces derniers doivent, selon lui, utiliser leur pouvoir discrétionnaire dans le choix stratégique de RSE et les moyens de les mettre en œuvre.

5 Marais (2011) démontre l’influence positive de l’ancienneté des dirigeants sur l’engagement dans la RSE de leur entreprise. Ferguson et al. (2011) montrent que la volonté de performer en soutenabilité et les fortes croyances dans ce domaine peuvent être appuyées par un ‘jeu’ de comparaison positive des groupes entre eux. Plus proche de notre questionnement, les résultats de Cai et al. (2011), comme ceux de l’étude de Dardour et Husser (2014) montrent que la part à long terme de la rémunération incitative est associée positivement au score environnemental de l’entreprise. Leur étude repose sur l’effet de l’engagement des sociétés cotées dans la divulgation d’informations concernant la responsabilité sociale des entreprises (RSE) sur la rémunération de leurs dirigeants. D’une façon similaire, il s’agit dans notre étude de tester la dépendance des rémunérations des décisions RSE déclarées par l’entreprise selon la base de données Vigeo. Notre étude choisit, ainsi, d’étudier le comportement du décideur, en tant que membre rémunéré de l’entreprise et responsable des choix réalisés par l’entreprise en Europe de l’Ouest lors d’une période de turbulences mondiales. Il est à préciser que notre étude est ancrée dans la théorie de l’agence. La responsabilité de l’entreprise repose, ainsi, sur ses dirigeants qui sont des « agents » en relations contractuelles explicites ou implicites avec plusieurs catégories d’acteurs actionnaires, créanciers, mais aussi salariés, clients et consommateurs, fournisseurs, collectivités, ONG, etc. L’éthique et le comportement citoyen sont vus comme l’expression de choix (de société, d’organisation, de valeurs…) dont il nous faut tester le lien avec une rémunération censée les favoriser. Leur rémunération selon des critères RSE forme, alors, une mesure d’incitations destinées à réduire les divergences entre agent et principal (entreprise) à l’instar de l’information diffusée (Capron, 2009). Selon l’observatoire de l’information extra-financière des entreprises [2], 65 % des entreprises françaises du CAC 40 ont intégré les critères RSE dans la rémunération variable des dirigeants (40 % si on élargit au SBF 120) dès 2015. Rappelons que la France impose un rapport annuel du développement durable depuis 2001 [3]. En 2019, si certains dirigeants du CAC 40 ont renoncé à une part de leurs dividendes, selon l’observatoire des multinationales [4], les critères extra financiers sont de plus en plus considérés dans la rémunération des dirigeants [5], selon une étude Deloitte. Cette tendance suivrait celle de 2018 pendant laquelle 80% des entreprises du SBF 120 ont intégré ces critères dans la rémunération des dirigeants.

6 Tous les constats précédemment exposés nous amènent à poser l’hypothèse suivante : il existe un lien entre la rémunération des hauts dirigeants et leurs décisions responsables.

7 Pour répondre à ces questions, cet écrit, dans une première partie, fait l’inventaire des comportements pouvant être considérés comme « responsables » en s’appuyant sur la littérature en sciences humaines et en comportement du consommateur. Dans une seconde partie, il s’agit de présenter un modèle de recherche et ses hypothèses. Une troisième partie consiste à présenter les résultats obtenus par l’étude de la base Vigeo. Enfin, une discussion analyse les résultats obtenus, leurs apports et ouvre des voies de recherche futures sur une évolution suite à la crise sanitaire de 2019-2020.

Décisions responsables et rémunération

8 Nous portons, dans cet écrit, notre intérêt sur le concept du décideur socialement concerné ou responsable (en référence au concept de consommateur socialement concerné sur lequel nous nous appuyons) et du lien qui peut être établi avec sa rémunération. Cet attrait est conséquent du fait que de nos jours, le décideur est devenu le reflet de la culture de son organisation, le miroir de sa marque, le contact avec les parties prenantes de l’organisation. En cela, il doit s’envisager comme acteur de la responsabilité sociale par ses actes, sa participation et son interaction (Levet, 2005), en un mot ses décisions. Il doit convenir au principe d’autonomie développé au sein des organisations (Marzano, 2008) et traduire l’image défendue par ces dernières auprès de leurs parties prenantes. Ce décideur-acteur a des droits et des devoirs. Il réclame, tel un consommateur, des efforts de fidélisation, de la sécurité (physique ou morale), une confiance de son entreprise et de ses parties prenantes et une rémunération attractive, motivante et dépendante des résultats de l’entreprise. En contrepartie, il se doit d’agir tel un citoyen [6] préoccupé non seulement par les agissements de son entreprise, mais surtout, responsable de ses propres décisions.

9 Pour expliquer les devoirs du décideur et inciter et faire adopter les comportements attendus, de nombreuses entreprises ont développé des codes de conduites, des chartes éthiques des affaires ou encore des accords de responsabilités sociales. De cette façon, elles espèrent induire des comportements fidèles à la fois à la culture de l’organisation et aux lois. En fait, ces « tables » éditent ce qui est bien et ce qui ne l’est pas au sein de l’organisation. Mais ceci a ses limites en particulier en Europe où l’éthique présente un caractère moins utilitariste qu’en Amérique. Les chartes et autres documents « éthiques » sont perçus pour beaucoup tels des réglementations de polices softlaw, qui, il est vrai, ont conduit à des abus managériaux dans certaines entreprises (Salmon, 2009). Ainsi, ces règles peuvent conduire à la défiance par la multiplication d’actes contraires à ceux recherchés.

Du comportement à la prise de décision responsable

10 Malgré cette défiance probable, selon Naudet [7] de l’institut Turgot, l’éthique de l’entreprise n’a pas d’existence concrète, seuls les hommes qui composent l’organisation, ces « êtres doués de raison, capables de prendre des décisions libres, capables d’exercer leurs responsabilités, ont une éthique ». Acceptant ce principe, la responsabilité sociale ne peut être qu’une pratique relevant d’une volonté managériale et de son acceptation par les décideurs de l’entreprise. Néanmoins, comme le précise Marzano (2008), la responsabilité de chacun se limite à son propre niveau d’autonomie et à son propre pouvoir de négociation. Au sein de l’organisation, l’ensemble des membres doit se plier à des normes et règles garantissant son fonctionnement.

11 Malgré cet état de fait, toute organisation ou entreprise laisse suffisamment de liberté afin que chacun de ses membres puisse exprimer un tant soit peu des principes socialement responsables et cela quel que soit son niveau hiérarchique. Les organisations sont un lieu autonome de production d’éthique parmi d’autres, et la logique managériale, économique dont elles sont porteuses génère une forme d’éthique spécifique, au même titre que d’autres groupes sociaux. La conception qu’un individu (ou un groupe d’individus) se fait de l’éthique, de la morale, va influencer les actions dans lesquelles il va s’engager, la manière dont il va le faire c’est-à-dire les conduites et les attitudes qu’il va adopter, et les décisions qu’il va prendre (England, 1967). Aussi, cette partie a pour ambition d’explorer deux principes antagonistes et pourtant indissociables des décideurs, leur comportement citoyen et leurs prises de décisions responsables.

Le comportement de citoyenneté organisationnelle

12 Lorsque nous abordons le terme de citoyenneté [8], nous faisons référence à l’état ou la qualité d’une personne qui a le droit de cité et participe à la vie « politique », à la vie civique d’une communauté (démocratique). La citoyenneté donne accès à l’ensemble des droits et des devoirs permettant cette participation. Il s’agit d’une des composantes du lien social car « le citoyen est un être éminemment politique qui exprime non pas son intérêt individuel mais l’intérêt général. Cet intérêt général ne se résume pas à la somme des volontés particulières mais la dépasse » (Rousseau, 1762).

13 Cette définition fait référence à la citoyenneté d’un individu dans une société civile, mais qu’en est-il de la notion de comportement de citoyenneté organisationnelle ?

14 C’est à Smith et al. (1983) que revient la paternité du concept de comportement de citoyenneté organisationnelle. Néanmoins, Katz (1964) constatait déjà que la performance de l’employé n’était pas uniquement due à la réalisation de la tâche pour laquelle il avait passé un contrat avec l’organisation, mais à « une activité spontanée et innovante dans la réalisation des objectifs allant au-delà des spécifications du rôle » (p.132). À partir de ce constat, Organ (1988) établit une première définition du concept (Bateman et Organ, 1983) : « conduites au travail qui ne relèvent pas du rôle ou des tâches prescrites de l’emploi occupé mais d’un choix personnel, de sorte que leur omission n’implique pas de sanction ». Ainsi, d’après Borman et Motowidlo (1993) se détachent, dans ce cadre, deux types de performances en organisation : l’efficacité au travail et l’efficacité contextuelle. La première est relative à la « bonne » exécution de la tâche qui a été donnée à l’employé par un tiers et la seconde aux efforts individuels « volontaires » qui favorisent « la lubrification de la machinerie sociale de l’organisation » (Podsakoff et al., 1997, p.135) pouvant s’apparenter au résultat de comportements de citoyenneté organisationnelle du salarié.

15 De ce domaine, il est possible d’extraire plusieurs concepts tels que ceux de comportements de civisme organisationnel (Bateman et Organ, 1983), de comportements organisationnels pro-sociaux (Brief et Motowidlo, 1986) ou encore de comportements extra-rôles (van Dyne et al., 1995). À partir de l’ensemble de ces travaux, Ivanchak (2008) propose la terminologie suivante : « Comportements actifs, discrétionnaires (non-imposable par l’organisation et dont le défaut n’est généralement pas punissable), réalisés volontairement et fonctionnels du point de vue de l’entreprise. Ces comportements permettent globalement de pallier les imperfections de l’organisation formelle du travail et/ou de faciliter l’accomplissement des objectifs organisationnels. Distincts du travail prescrit et de la performance sur les tâches prescrites, ils peuvent être considérés comme l’aspect informel de la performance au travail » (p.38).

16 Ce comportement de citoyenneté se décompose en deux principales dimensions : celle orientée vers l’organisation (la conscience professionnelle) et l’autre dirigée vers les personnes (l’altruisme). La première orientation, selon Paillé (2009), désigne le civisme et l’esprit d’équipe et la seconde orientation, les comportements d’entre-aide. Le civisme dans ce cadre détermine le niveau élevé de préoccupation et d’intérêt d’un décideur pour les domaines plus généraux de l’entreprise. L’esprit d’équipe pour Podsakoff et al. (2000) permet de maintenir chez un décideur une attitude positive globale à l’égard de son organisation, en particulier lors de situations nécessitant abnégation et relégation des intérêts personnels au profit de ceux de l’organisation. L’entre-aide, quant à elle, s’incarne à travers l’altruisme et la conciliation, la courtoisie et le réconfort. À ces deux orientations, Borman et al. (2001) ajoutent une orientation personnelle, qui se définit par la prise d’initiative et le développement de ses compétences. De ces constats, Ivanchak (2008) s’appuyant sur Borman et al. (2001) retient la composition suivante du comportement de citoyenneté organisationnelle :

  • Une dimension « soutien interpersonnel » composée par des comportements d’aide, de coopération, d’encouragement et de la courtoisie ;
  • Une dimension « soutien organisationnel » se déclinant par la volonté de représenter l’organisation, la loyauté, le rayonnement, et le fait d’être force de proposition d’amélioration ;
  • Une dimension « soutien personnel » désignant la capacité du décideur à prendre des initiatives et à développer ses compétences.

18 Cette vision à trois dimensions aboutit finalement pour la première à un facteur orienté vers les autres, pour la seconde à un facteur orienté vers l’organisation, et enfin pour la troisième à un facteur orienté vers soi. Ce dernier peut paraître, à première vue, antinomique à l’égard du concept, néanmoins, les éléments qui le caractérisent désignent des comportements facilitateurs des relations interpersonnelles et de la bonne marche de l’entreprise. La définition de ce comportement n’est pas sans importance comme le montre Werner (1994) lors d’une étude qu’il entreprit sur l’évaluation des salariés. En effet, il aboutit à la conclusion que les managers évaluent formellement la capacité de leurs collaborateurs à réaliser les tâches confiées, mais évaluent également, peut-être parfois de façon inconsciente, leur efficacité contextuelle, soit leur capacité à prendre des initiatives et à se développer.

19 À ce propos, Organ et Ryan (1995), Motowidlo et al. (1997) et Ivanchak (2008) ont fait le lien entre la personnalité des individus au travail et le comportement de citoyenneté organisationnel. Ils s’appuient sur les « Big Five » que sont les cinq traits centraux (extraversion, névrosisme, agréabilité, caractère consciencieux, ouverture à l’expérience) de la personnalité retenue par la recherche en psychologie (Goldberg, 1990). Trois de ces cinq variables de personnalité ressortent en particulier de leurs analyses : le caractère consciencieux, l’extraversion, et l’agréabilité. Le caractère consciencieux traduit l’autodiscipline, le respect des obligations, l’organisation plutôt que la spontanéité ; l’extraversion désigne la tendance à rechercher la stimulation et la compagnie des autres ; et l’agréabilité consiste en une tendance à être compatissant et coopératif plutôt que soupçonneux et antagonique envers les autres.

20 Finalement et quelle que soit la vision, selon Arvai et al. (2012) [9], le comportement de citoyenneté organisationnelle donne au décideur le choix de prendre des décisions dites éthiques ou socialement responsables ou dites liées à la soutenabilité.

Les décisions socialement responsables

21 Parce que, selon Capron (2009), la RSO oblige les entreprises à rendre compte d’éléments spécifiques dans leur stratégie et leur gestion, cela implique une responsabilité vis-à-vis des impacts des décisions de ses dirigeants pour : contribuer au développement durable, considérer la santé et le bien-être de la société, prendre en compte les attentes des parties prenantes, respecter les lois en vigueur et être en accord avec les normes internationales de comportement, s’intégrer dans l’ensemble de l’organisation et les mettre en œuvre dans ses relations. (Capron, 2009).

22 De ce point de vue, la décision soutenable représente une décision complexe, long-termiste et ajustable qui présuppose de penser en plusieurs dimensions (Kurkovsky, 2006). Selon Martinet (1993), cette dernière est difficile à situer dans son type de complexité : soit complexité d’abondance (beaucoup de solutions, moyens d’exploration limités) ou complexité de sens (peu de solutions, points de vue sur les choix divers, antagonistes et puissants).

23 Néanmoins, on peut affirmer, dans la majorité des cas, qu’il s’agit d’une décision (1) de 3ème ordre (Scherpereel, 2006), i.e. cumulant incertitude, complexité et dynamiques ; (2) non programmée, i.e. qui implique des éléments intangibles (Simon, 1960) ; (3) faiblement structurée, avec prédominance d’une information incomplète, de l’incertitude, de la nouveauté, de l’itération et du jugement (March et Olsen, 1975). Dans le même sens, Mann et al. (1998) y ajoutent un partage de caractéristiques : 1) information incomplète ; 2) problèmes impliqués à multiples objectifs conflictuels ; 3) plusieurs pouvoirs d’influence du résultat ; 4) problèmes complexes reliés entre eux ; 5) environnement dynamique et turbulent ; 6) des engagements qui sont très coûteux et irréversibles.

24 De fait, face à une situation complexe et non programmée, le décideur cherche généralement à la réduire en sous-décisions, aux-quelles il applique un but général, composé d’ensembles interchangeables de procédures ou de routines (Mintzberg et al., 1976). Enfin, en tant que décision complexe, la décision soutenable est issue de deux types de stimulus, ‘l’opportunité’, i.e. volontaire afin d’améliorer une situation déjà considérée comme satisfaisante, et de « crise » vue comme un facteur impulsif de la décision contrainte, coercitive. (Mintzberg et al., 1976).

25 Outre ses multiples caractéristiques, la décision liée à la soutenabilité possède une particularité. Il est attendu qu’elle réponde aux cinq critères suivants : l’interdisciplinarité, la prise en compte des incertitudes, les effets à long terme, la possibilité d’articuler des niveaux différents (« glocalité »), et l’organisation de la participation des parties prenantes (Capron, 2009).

26 Ce type de décision, s’il est soumis à de nombreux biais, à l’instar de la décision traditionnelle (Arvai et al., 2004), est influencé par de nombreux facteurs, d’ordre individuel, organisationnel et lié aux conditions attachées au poste occupé.

27 Ce sont les études réalisées autour de la prise de décision éthique, largement plus nombreuses, qui permettent d’en établir un tour d’horizon.

La décision soutenable et éthique : un facteur de rémunération

28 Selon la méta-analyse réalisée par O’Fallon et Butterfield (2005), la prise de décision éthique est influencée par des facteurs individuels, tels que le genre, le développement moral cognitif (Bass, 1999 ; Cohen et al., 2001), les facteurs organisationnels, tels que les codes éthiques, le climat et la culture organisationnels (Treviño et al., 1998), les facteurs d’intensité de la morale, tels que la magnitude des conséquences et le consensus social (Jones, 1991) et les facteurs liés à l’occupation du poste, tels que la satisfaction, le statut du poste, l’expérience (Larkin, 2020). C’est dans cette dernière catégorie que se situe notre étude, considérant que la diffusion des décisions de pratiques RSE dans les organisations doivent permettre la réduction de certains risques, d’ordre juridique, réputationnel, de capital humain et d’efficacité opérationnelle (Vigeo…). Aussi, subordonner, en partie, la rémunération des dirigeants au suivi d’une démarche RSE peut s’avérer profitable pour l’organisation.

29 Un exemple de décision soutenable est d’implanter une rémunération variable fonction de critères extra-financiers. Voici l’exemple de FrED du Crédit Agricole [10] :

30

« FReD est, depuis le 1er janvier 2012, la démarche qui permet au groupe Crédit Agricole S.A. d’organiser, dynamiser ses engagements RSE et de mesurer ses progrès. FReD couvre l’ensemble du champ de la RSE : économique, social et environnemental vis-à-vis de tous FReD est une démarche globale de promotion et d’amélioration continue des actions du Groupe en matière de RSE. C’est un référentiel commun à toutes les entités participantes, suffisamment souple pour s’adapter à l’environnement et aux priorités de chacun. »

31 Selon le site du groupe, cette pratique est décentralisée, chaque entité détermine ses projets RSE librement, au sein d’un cadre commun à toutes. Les progrès y sont auto évalués. La démarche est participative, collective et dynamique.

32 Nous pouvons donc nous demander si cela est efficace. Valoriser la RSE dans la rémunération doit aboutir, in fine, à une réduction des risques exposés. Ainsi, c’est la raison pour laquelle il est question de tester le lien entre la rémunération des décideurs, hauts dirigeants et leurs décisions responsables. Mais, peut-on réellement envisager que le type de rémunération dont bénéficie le décideur soit en lien avec son comportement décisionnaire responsable ? Les résultats d’une étude sur des entreprises appartenant à l’indice SBF 120 sur une période de dix ans, allant de 2003 à 2012, indiquent que la performance du marché n’affecte pas la rémunération (Dardour et Husser, 2014). En parallèle, la part à long terme de la rémunération incitative est associée positivement au score environnemental de l’entreprise. Un problème se pose alors : la rémunération incitative pourrait contenir des critères RSE, dépendants d’une performance extra-financière, indépendante de la performance du marché.

33 En effet, en France, le phénomène se développe de plus en plus dans les grands groupes cotés : en 2013, plus de la moitié (57,5 %) des sociétés du CAC40 indexent la rémunération variable de leurs dirigeants sur des critères RSE, ce qui représente 6 fois plus qu’en 2008 (source : baromètre Capitalcom). Ces éléments pèsent en moyenne 15 % de la part variable « mais peuvent monter à un tiers », précise Capitalcom [11]. Novethic [12] détaille qu’en moyenne, la rémunération d’un dirigeant du CAC 40 est réparti entre 25 % de salaire de base, 30 % de bonus et 45 % de plan d’intéressement à long terme. Les critères RSE, tels l’empreinte carbone, note ESG globale, indices extra-financiers type DJSI (Dow Jones Sustainable Index), peuvent compter pour 20 à 40 % du total.

34 Ceci est conforté par PWC qui étudie en 2012, l’intégration de critères RSE dans la rémunération des cadres. En 2017, près du trois quarts (73 %) du CAC 40 est converti contre seulement 10 % 10 ans plus tôt, avec une nette progression en 2015 [13]. C’est une tendance de fond mondiale, en 2018, 80 % des entreprises du SBF 120 ont adopté ce mode de rémunération. Néanmoins, dans un tel contexte, les décideurs n’ont pas ce que l’on pourrait appeler un comportement empreint de prises de décisions responsables, mais sont soumis à une contrainte pour favoriser leur rémunération personnelle.

35 En effet, les quatre étapes décrites par Rest (1986) sur la prise de décision éthique ne sont pas suivies : 1) conscience morale – capacité à interpréter la situation comme morale ; 2) jugement moral – décider quel choix est moralement acceptable ; 3) intention morale – priorisation de valeurs morales sur d’autres valeurs ; 4) comportement moral – exécution et mise en œuvre d’intentions morales. Cette décision complexe est alors issue du coercitif (Mintzberg et al., 1976).

36 Elle peut permettre d’éviter le dysfonctionnement comportemental des décideurs. Le comportement dysfonctionnel, aussi appelé comportement déviant, est, en effet, contreproductif, antisocial, de délinquance et de vengeance (retaliatory behavior) (Pearson et Anderson, 1999). Elle ne favorise pas automatiquement le comportement responsable. Selon Bratt (1999) d’une part, la variable ‘normes sociales’ n’est pas directement reliée au comportement responsable, mais davantage aux normes individuelles, d’autre part, il n’existe pas de médiation par un comportement altruiste entre les normes personnelles et les conséquences du comportement. S’interroger au sujet de l’impact de la rémunération sur la prise de décision responsable des dirigeants décideurs permettra, ainsi, d’explorer une hypothèse principale :

37 H: les décisions responsables sont liées à la rémunération des décideurs

38 Qui peut être détaillée ainsi :

39 Ha : Il y a une relation entre les décisions en matière de gouvernance et la rémunération des décideurs.

40 Hb : Il y a une relation entre les décisions en matière environnementale et la rémunération des décideurs.

41 Hc : Il y a une relation entre les décisions en matière d’implication dans la communauté et la rémunération des décideurs

42 Hd : Il y a une relation entre les décisions en matière de ressource humaine et la rémunération des décideurs.

43 He : Il y a une relation entre les décisions en matière de droit humain et la rémunération des décideurs.

44 Hf : Il y a une relation entre les décisions en matière de comportement d’affaire et la rémunération des décideurs.

Méthodologie

45 Comme déjà précisé, l’objectif de cet article est de montrer la participation et le poids de la RSE sur la rémunération des dirigeants. Pour y répondre, la première partie décrit l’échantillon retenu et la seconde partie le modèle empirique étudié.

L’échantillon

46 L’échantillon est tiré de la base de données de Vigéo Eiris de 2016. Seules les entreprises d’Europe de l’Ouest présentant suffisamment d’informations ont été retenues. Seuls trois de ces pays ont mis en place avant 2016 une loi pour obliger à un rapport RSE : France, Danemark et Pays-Bas. En France, l’engagement en faveur des stratégies de développement durable date de 2001 avec la NRE et s’est renouvelé avec la publication des décrets d’application de la loi Grenelle 2 en 2010.

47 Au Danemark, les 1100 plus grandes entreprises ainsi que les compagnies publiques, les investisseurs institutionnels, les fonds communs de placement et les établissements financiers cotés doivent présenter des informations sur leur politique RSO dans leur rapport financier annuel. Aux Pays-Bas, les rapports sur les questions de RSO, présentés par les conseils d’administration des sociétés cotées, sont devenus obligatoires en 2008 sur la base de l’approche « se conformer ou s’expliquer » pour toutes les compagnies publiques, les entreprises cotées en Bourse immatriculées aux Pays-Bas et dont le bilan dépasse les 500 millions d’euros.

48 Néanmoins, la concentration sur ces entreprises doit permettre une certaine homogénéité culturelle. Au final, 825 d’entre-elles composent la base de traitement.

Tableau 1

Synthèse de l’échantillon

PaysFréquencePourcentage
Italie475,7
Norvège161,9
Autriche212,5
Allemagne12214,8
Espagne485,8
France11113,5
Royaume-Uni20925,3
Luxembourg121,5
Suède425,1
Finlande212,5
Irlande161,9
Danemark222,7
Portugal81,0
Belgique222,7
Suisse526,3
Grèce70,8
Hollande495,9
Total825100
tableau im1

Synthèse de l’échantillon

49 Pour HRSscore représentant la variable Res-sources humaines, Envscore pour l’environnement, CetS pour comportement d’affaires, CGV pour la gouvernance, CIN pour l’implication dans la communauté et HRT pour les droits humains. Ces différentes variables sont décrites dans le tableau 2.

50 L’ensemble des indicateurs utilisés proviennent de cette base de données. Cela inclus les 6 critères de RSE qui sont :

  • Le comportement d’affaires qui mesure le comportement éthique des entreprises dans les relations d’affaires ;
  • La gouvernance d’entreprise : respect des actionnaires, transparence ;
  • L’implication dans la communauté soit l’aspect sociétal ;
  • L’environnement : prise en compte de l’environnement naturel ;
  • Les ressources humaines : amélioration des relations et des conditions de travail ;
  • Droits humains : égalité de traitement (non-discrimination), liberté syndicale, etc.

52 Pour la variable rémunération, il a été retenu le score de « executive remuneration » soit l’indicateur de rémunération des dirigeants.

Modèle empirique

53 Il est étudié la possibilité que la rémunération dépende en partie de l’adoption d’une démarche RSE par les dirigeants. Pour cela il est envisagé que le modèle suive le schéma suivant :

54 Rémunération =α11(HRSscore)i+β2(Envscore)i+β3(CetS)i+β4(CGV)i+β5(CIN)i+β6(HRT)i+εi

Tableau 2

Variables étudiées

HRSSCOREENVSCORECetSCGVCINHRTRémunération
Moyenne36,6038,5339,1949,0634,5341,4039,10
Ecart-type15,4317,3012,6215,3316,2114,7118,72
tableau im2

Variables étudiées

55 La partie suivante présente les résultats

Résultats

56 Un des premiers traitements que nous avons réalisés sur les données de Vigeo consistait à vérifier la qualité de l’échelle de mesure de RSE. Pour ce faire, nous avons réalisé une analyse en composante principale (ACP) afin d’assoir l’unidimensionnalité de la mesure et son pouvoir explicatif.

57 En reprenant les 6 « dimensions » proposées, nous obtenons bien une dimension avec une valeur propre de 4,08 et une variance expliquée de 68 %. Ces résultats démontrent une bonne qualité de la mesure confirmée par la mesure de fidélité au travers d’un alpha de Cronbach à 0,897. Pour autant, en creusant plus profondément, la variable gouvernance est assez peu corrélée aux autres variables (corrélation entre 0,300 et 0,450). Ce fait est confirmé par un score d’extraction du tableau des communalités lui aussi très faible (0,285). En supprimant cette variable (gouvernance), la variance augmente à 76 % et l’échelle demeure à une seule dimension pour un Alpha de Cronbach de 0,921. Ce constat laisse à penser que la gouvernance et les items retenus par Vigeo semblent plus expliquer un autre construit que celui de la RSE.

58 Après une analyse suivant une régression linéaire multiple ce constat est sans appel. Seule la variable gouvernance apparaît établir une relation avec la rémunération (seul résultat significatif du modèle). Sachant que le R2 du modèle est de 0,688 nous pouvons imaginer la significativité de la force qu’il exerce sur la rémunération.

Tableau 3

Régressions intégrant toutes les variables

ModèleβtSig.
(Constante)-6,003-4,066,000
HRSSCORE-,043-,904,366
CetS-,078-1,508,132
ENVSCORE-,031-,874,382
CGV1,05938,031,000
CIN,027,752,452
HRT-,049-1,046,296
tableau im3

Régressions intégrant toutes les variables

59 Choisissant d’extraire la gouvernance (CGV) du modèle, nous obtenons des résultats bien différents. Avec un R2 à 0,117 nous voyons bien la faible relation entre les autres variables relatives à la RSE et la rémunération des managers exécutifs.

60 Si la plupart des variables sont significativement associées à la rémunération, nous constatons que le respect des droits humains (HRT) est exclu du modèle. De la même façon nous pouvons voir que les bonnes pratiques en matière de ressources humaines (HRSscore) sont négativement reliées.

Tableau 4

Régressions sans la variable gouvernance

ModèleβtSig.
(Constante)23,95511,411,000
HRSSCORE-,336-4,296,000
CetS-,3273,856,000
ENVSCORE-,1412,417,016
CIN,2734,615,000
HRT-,006-,080,937
tableau im4

Régressions sans la variable gouvernance

61 Les meilleurs scores sont obtenus sur le comportement dans les affaires (CetS), l’engagement sociétal (CIN) et dans une moindre mesure l’implication pour l’environnement (ENVscore).

62 À la vue des corrélations entre la rémunération et les variables RSE réalisées uniquement sur les entreprises françaises de la base de données, nous pouvons constater que celles-ci sont un peu supérieures que celles que nous obtenons lorsque nous faisons le traitement sur toutes les entreprises européennes de la base. Ceci peut laisser à penser que la rémunération dans les entreprises françaises intègre plus souvent des critères RSE. Néanmoins, lorsqu’on passe par une procédure de régression, aucun des vecteurs n’apparaît significatif (ceci en partie dû au faible échantillon : 108 entreprises).

Tableau 5

Corrélations de la rémunération avec les variables

HRSSCOREENVSCORECetSCGVCINHRT
r (pearson),408,344,422,811,376,411
Sig.,000,000,000,000,000,000
tableau im5

Corrélations de la rémunération avec les variables

Tableau 6

Résultats selon les hypothèses

DécisionHypothèse
Gouvernancevalidée (colinéarité)
Comportement d’affairevalidée
Environnementvalidée mais faible
Ressource humainevalidée mais inversée
Implication sociétalevalidée
Droit humainnon-validée
tableau im6

Résultats selon les hypothèses

Discussion

63 Nos résultats indiquent un lien effectif, significatif et élevé entre la gouvernance et la rémunération. Ce résultat paraît plus qu’attendu, puisque la gouvernance a pour rôle de fixer la politique de rémunération qu’elle laisse gérer à la direction des Ressources Humaines, qu’elle soit variable ou fixe. (Cloutier et al., 2010). La variable gouvernance de la base de données Vigeo est mesurée selon 4 critères : Board of directors, Audit and Internal Controls, Shareholders’ Rights, Executive Remuneration. La présence même de la dimension rémunération dans cette variable induit la colinéarité. Aussi cette variable a nécessité d’être supprimée de l’analyse.

64 Après avoir extrait la variable gouvernance (CGV) du modèle, une corrélation significative entre la RSE et la rémunération des managers exécutifs se dessine et vient finalement confirmer les résultats de Cai et al. (2011) sur l’effet de la RSE sur la rémunération des dirigeants. Il semblerait donc bien que la rémunération des dirigeants soit en partie fondée sur le respect des grands principes de RSE.

65 Néanmoins, nous relevons quelques nuances. Les scores négatifs avec la variable Ressources Humaines, composée de : Promotion of labor relations, Encouraging employee participation, Career Development, Training and Development, Responsible management of restructurings, Career management and promotion of employability, Quality of remuneration systems, Improvement of health and safety conditions, Respect and management of working hours ; et avec la variable Droits humains : Respect for human rights standards and prevention of violations, Respect for freedom of association and the right to collective bargaining, Elimination of Child Labour, Abolition of forced labour, Non-discrimination et Elimination of child labor, conduisent à réflexion.

66 Ces deux avancées peuvent être finalement le reflet d’une certaine conception de la RSE par les entreprises européennes de la base de données qui excluent les variables ‘droit humain’ et ‘RH du principe’. Il est vrai que bien des dimensions de ces variables sont déjà juridiquement reconnues ou socialement organisées par les États, ce qui peut être un début d’explication. Cependant, les scores positifs de la corrélation entre rémunération et le comportement dans les affaires (CetS), l’engagement sociétal (CIN) et l’implication pour l’environnement (ENVscore) indiquent un lien significatif entre la rémunération et certains comportements responsables, tels que l’éthique des affaires (économique), la considération de l’environnement (environnement), corroborant les résultats obtenus par Dardour et Husser (2014), et l’implication dans la communauté (sociétal). Ces trois variables, certainement plus en phase avec la conception de la RSE par les entreprises étudiées, représentent finalement à elles seules les trois piliers généralement retenus pour définir la RSE.

67 Pour autant, le point faible porte sur la force de la relation. S’il y a un lien significatif, les résultats obtenus restent encore très faibles. C’est ce qui permet à des observatoires et organisations à visée critique de pouvoir douter des intentions réellement responsables, sans volonté de favoriser une réputation des entreprises dans ces années 2015 à 2017.

68 Comme expliqué ci-avant, certains changements se sont imposés pendant cette crise et semblent conduire à intégrer dans la rémunération des dirigeants des objectifs en termes de RSE. Ainsi, nous constatons, en 2018, une hausse de 80 % des entreprises de SFB 120 en France qui ont implanté une rémunération variable en fonction de critères RSE pour les dirigeants. Une autre étude, cette fois-ci en Allemagne, a été réalisée par Deutsche Bank [14]. Elle compare la performance boursière des entreprises ayant un plan de rémunération indexé sur des critères ESG (Critères Environnementaux et Sociaux de Gouvernance) avec celle des entreprises qui n’en n’ont pas. Pour éviter les biais sectoriels, la comparaison par secteur montre que parmi les 11 secteurs étudiés, des surperformances ont été observées à l’intérieur de six secteurs qui sont l’énergie, les biens de consommation de base, la santé, le service financier, les technologies de l’information et l’immobilier. Les résultats de l’étude présentée s’appuyant sur les données de Vigéo recensées lors d’un essoufflement de la croissance économique mondiale entre 2015 et 2017 et de celles menées par ailleurs tendent à aller dans un même sens : introduire des objectifs RSE dans la rémunération afin de réduire par là-même le poids de l’aspect financier.

69 Néanmoins, ce qui pose question c’est l’importance de ces objectifs. Pour le moment, il est plus avantageux, financièrement parlant pour un dirigeant de se concentrer sur la performance financière de l’organisation qu’il dirige que de se focaliser, au moins en partie, sur des objectifs relevant de la responsabilité sociale et environnementale. Des exemples récents vont dans ce sens. Un fond activiste d’actionnaires a conduit le PDG du groupe Danone à être évincé. La raison invoquée : ses prises de décisions trop responsables ? Il serait accusé de ne pas avoir géré au mieux l’équilibre entre rentabilité pour les actionnaires et développement durable.

70 Pour autant, il est possible d’espérer, aux détours de la crise actuelle, la crise sanitaire de 2019-2021, un changement paradigmatique. En 2020, des entreprises françaises ont décidé d’elles-mêmes une baisse de la distribution des dividendes, voire l’annulation de toute distribution des dividendes (ex : groupe Auchan).

71 De plus, une question commence à agiter les milieux économiques et financiers en Allemagne depuis cette crise : est-il normal que de grandes entreprises distribuent des milliards d’euros à leurs actionnaires, tout en percevant des aides de l’État ? Malgré l’investissement étatique dans le chômage partiel, BMW ne remet pas en question les dividendes, alors qu’Airbus en annule le versement.

72 Ces décisions contradictoires sont liées à un effet collatéral de la crise. Au vu de ces mutations, qui semblent fondamentales, une réflexion est nécessaire : sommes-nous en face d’une diffusion, voire d’une contagion de bonnes pratiques décisionnelles en termes de RSE, comme le montrent Piré-Lechalard et van Hoorebeke (2021), où les résultats de nos corrélations entre rémunération et décisions responsables seront effectivement plus élevés, et positifs pour les critères, tels que les Ressources Humaines et les Droits Humains, post-crise sanitaire ?

Conclusion

73 Dès 2016, la rémunération des décideurs voit apparaître un conditionnement aux décisions responsables en matière d’environnement, d’implication sociétale et d’éthique des affaires. Il est bien entendu encore très faible car naissant. Cependant, il est constaté que les dimensions relevant de la politique sociale et managériale (droit humain et RH) sont peu considérées dans les décisions. Elles semblent encore apparaitre comme une contrainte dans les affaires, même si l’éthique de l’altérité et la justice organisationnelle, source d’inclusivité interne, marquent une condition à la responsabilité sociétale des organisations (Bruna et al., 2018) et sont recherchées et attendues par les jeunes managers et futurs dirigeants (Bruna et Jahmane, 2020). À l’inverse, avoir de bonnes relations avec ses parties prenantes externes, telles que ses clients, ses fournisseurs, ses partenaires, les communautés et la société civile, et investir en matière environnementale sont déjà en partie valorisées. Il s’agit sans doute de critères d’opportunités permettant la réduction de certains risques tels que la réputation ou encore juridiques.

74 Si l’étude valide, dans l’ensemble, l’hypothèse de la relation entre les décisions responsables et la rémunération des décideurs, il faut pour autant rester prudent. L’exemple de l’évincement du PDG de Danone semble malheureusement montrer qu’il n’y a pas d’évidence. Le croisement avec d’autres données comme les données ESG telles qu’utilisées par d’autres auteurs permettrait d’améliorer les observations.

75 Pour avoir aussi une vision plus étendue de cette question, une recherche en longitudinal devrait permettre de montrer l’évolution de la prise en compte de la responsabilité en matière de RSE et son impact effectif sur les décisions. Si cette étude a permis de montrer des relations significatives, bénéfiques aux entreprises selon l’étude de la Deutsche Bank (2017), il sera intéressant de voir si la crise de la Covid, espoir pour certains d’un nouveau monde, fera bouger les consciences, les comportements et les décisions RSE au travers des rémunérations des décideurs mais aussi de tous les salariés.

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Notes

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