Notes
-
[*]
Professeur à l’université de Strasbourg, détaché à l’université de Lausanne (Unil - Faculté des sciences sociales et politiques - ISSUL).
-
[1]
L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) refuse 92 % des dossiers, mais la commission de recours des réfugiés ramène ce chiffre à 83 %.
-
[2]
J. Valluy, Rejet des exilés. Le grand retournement du droit d’asile, Éditions du Croquant, Bellecombe-en-Bauges, 2009.
-
[3]
C. Fouteau, « Immigration : l’état d’expulsion », in E. Plenel (dir.), N’oubliez pas ! Faits et gestes de la présidence Sarkozy, Don Quichotte, Paris, 2010, p. 160-166.
-
[4]
O. Bonnet, Sarkozy, la grande manipulation – Dénonciation d’une imposture, Les Points sur le I, Paris, 2008.
-
[5]
S. Slama, « Politique d’immigration : un laboratoire de la frénésie sécuritaire », in L. Mucchielli (dir.), La Frénésie sécuritaire, La Découverte, Paris, 2008, p. 64-76.
-
[6]
S. Slama, ibid.
-
[7]
R. Lévy et R. Zauberman, « La police et les minorités visibles : les contradictions de l’idéal républicain », in Y. Cartuyvels, F. Digneffe, A. Pirès, P. Robert (dir.), Politique, police et justice au bord du futur, L’Harmattan, Paris, 1998, p. 287-300 ; L. Mucchielli, « Délinquance et immigration en France : un regard sociologique », Criminologie, vol. 36, n° 2, p. 27-55.
- [8]
-
[9]
Le candidat Nicolas Sarkozy avait déclaré, lors d’un meeting à Bercy le 29 avril : « À chaque femme martyrisée dans le monde, je veux que la France offre sa protection en lui donnant la possibilité de devenir française »
-
[10]
J. Valluy, Rejet des exilés, op. cit.
-
[11]
Cette politique semble, selon Olivier Bonnet (op. cit.), enfreindre la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui stipule : « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. » Son article 7 précise : « Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente Déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination. »
-
[12]
La circulaire de décembre 2007 précise les 150 métiers réservés à l’immigration intercommunautaire et les métiers proposés aux autres migrants, soit une trentaine, de niveau universitaire.
-
[13]
Dans le même registre, la loi du 30 avril 2003 instaurait un fichier permettant de conserver les empreintes digitales des demandeurs de visas, instituait un contrôle plus sévère des attestations d’accueil et renforçait le contrôle des mariages mixtes. Le fichier « Eloi », promulgué par arrêté le 30 juillet 2006, permettait de « conserver trois ans après l’expulsion des données sur les étrangers en situation irrégulière, ainsi que sur les hébergeants en cas d’assignation à résidence, et sur les visiteurs en cas de placement en rétention administrative » (http://www.legavox.fr/blog/etrangers-sans-droit/chronique-legislative-histoire-immigration-710.htm). Le Conseil d’État annulera finalement cet arrêté le 12 mars 2007.
-
[14]
T. Deltombe, L’Islam imaginaire. La construction médiatique de l’islamophobie en France, 1975-2005, La Découverte, Paris, 2007 ; A. Boubeker, Histoire politique des immigrations (post)coloniales. France, 1920-2008, Éditions Amsterdam, Paris, 2008 ; M. Rigouste, L’Ennemi intérieur. La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine, La Découverte, Paris, 2009.
-
[15]
Y. Reza, L’Aube le soir ou la nuit, coll. « J’ai lu », Paris, 2009 ; B. Le Maire, Des hommes d’État, Grasset et Fasquelle, Paris, 2008.
-
[16]
http://www.gisti.org/spip.php?article1814. Ces dispositions ont été condamnées par la Halde en 2009 qui soulignait le traitement discriminatoire imposé aux étrangers non communautaires et stipulait que « la condition de résidence préalable de 2 ans au moins pour pouvoir soumettre un dossier à la commission chargée de la procédure DALO, condition de résidence préalable imposée aux seuls ressortissants non communautaires, apparaît comme un traitement défavorable fondé sur la nationalité, qui n’apparaît pas justifié et proportionné à l’objectif poursuivi par la loi DALO qui est de garantir le droit à un logement décent pour les personnes les plus démunies ».
-
[17]
N. Demiati, « Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur et pompier-pyromane », in L. Mucchielli et V. Le Goaziou (dir.), Quand les banlieues brûlent… Retour sur les émeutes de novembre 2005, La Découverte, Paris, 2006, p. 58-76.
-
[18]
In L’Express, « Banlieues : changeons de cap », interview de Nicolas Sarkozy, 17 novembre 2005.
-
[19]
A. G. Hargreaves, « Quel bilan ? Les révoltes des banlieues à travers les livres », Le Monde diplomatique, novembre 2006, p. 28.
-
[20]
« Décret d’attribution du 31 mai 2007 relatif aux attributions du ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement », JO n° 125 du 1er juin 2007, p. 9964, texte n° 11.
-
[21]
J. Valluy, « Quelles sont les origines du ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration ? », Cultures & Conflits, n° 69, 2008, p. 7-18.
-
[22]
S. Slama, « Politique d’immigration… », art. cit. Voir également Gérard Noiriel, À quoi sert l’« identité nationale » ? Agone, Paris, 2007.
-
[23]
Cette dérive s’illustre par la réaction d’Éric Raoult, député UMP de Seine-Saint-Denis, dans un projet de lettre au ministre de la Culture Frédéric Mitterrand, visant à intimer à Marie NDiaye, prix Goncourt, un « devoir de réserve » : « Monsieur Éric Raoult attire l’attention de M. le ministre de la Culture et de la Communication sur le devoir de réserve, dû aux lauréats du prix Goncourt. En effet, ce prix, qui est le prix littéraire français le plus prestigieux, est regardé en France, mais aussi dans le monde, par de nombreux auteurs et amateurs de la littérature française. À ce titre, le message délivré par les lauréats se doit de respecter la cohésion nationale et l’image de notre pays. Les prises de position de Marie NDiaye, prix Goncourt 2009, qui explique, dans une interview parue dans la presse, qu’elle trouve “cette France [de Sarkozy] monstrueuse”, et d’ajouter “Besson, Hortefeux, tous ces gens-là, je les trouve monstrueux”, sont inacceptables. » Jamais les lauréats du Goncourt n’ont été soumis à un « devoir de réserve »; ce qui est significatif est que Marie NDiaye est noire et qu’il apparaît que ce devoir de réserve s’impose d’autant plus à elle qu’elle a bénéficié des « largesses » de la République et devrait, sa vie durant, faire profil bas et rester dans l’ombre, sinon pour chanter les louanges de la patrie…
-
[24]
Cette glorification du national est particulièrement visible dans l’instrumentalisation politique de l’histoire de France ; à ce sujet Sylvie Aprile, « L’histoire par Nicolas Sarkozy : le rêve passéiste d’un futur national-libéral », CVUH, http://cvuh.free.fr/spip.php?article82, 30 avril 2007 ; L. De Cock, F. Madeline, N. Offenstadt, S. Wahnich, Comment Sarkozy écrit l’histoire de France, Agone, Paris, 2008. Le projet d’un futur musée de l’histoire de France semble s’inscrire dans cette stratégie, cf. N. Bancel et H. Lebovics, « The Future of the French Past? President Nicolas Sarkozy’s Plan for a Museum of French History », French Postcolonial Studies, à paraître.
-
[25]
« Ce n’est pas un problème social, ce qui s’est passé. C’est un problème de truands. Ce sont des valeurs qui sont en train de disparaître. »
-
[26]
« Enfin, il faut le reconnaître… et je me dois de le dire… Nous subissons les conséquences de 50 années d’immigration insuffisamment régulée, qui ont abouti à un échec de l’intégration. Nous sommes si fiers de notre système d’intégration. Peut-être faut-il se réveiller pour voir ce qu’il a produit. Il a marché, il ne marche plus. » On retrouve, presque mot pour mot, la déclaration de Nicolas Sarkozy de janvier 2007, déjà évoquée.
-
[27]
G. Carcassonne, « La déchéance de nationalité est inconstitutionnelle », Le Nouvel Observateur, 6 septembre 2010.
-
[28]
Patrick Weil : « Nicolas Sarkozy fait perdre à la droite républicaine ses valeurs. » Propos recueillis par Arnaud Leparmentier, Le Monde, 3 août 2010.
-
[29]
Ibid.
-
[30]
Statistiquement et d’après L. Mucchielli (« Délinquance et immigration en France : un regard sociologique », art. cit.), le taux d’étrangers mis en cause pour des crimes et délits – hormis ceux inhérents à leur condition (travail au noir, faux papiers, infractions au séjour, etc.) – est remarquablement stable depuis plus de 15 ans, soit un total de 12 à 13 % des personnes mises en cause. 87 à 88 % des crimes et délits sont donc imputables à des Français. Si la proportion d’étrangers dans la population totale se situe entre 5 et 6 % sur cette période, le taux des crimes et délits au sein de la population étrangère est deux fois plus élevé que pour la population totale. Des facteurs sociologiques suffisent bien évidemment à expliquer cette surreprésentation.
-
[31]
J. Valluy, Rejet des exilés, op. cit.
-
[32]
M. Rigouste, L’Ennemi intérieur, op. cit. Voir également N. Bancel et alii, Ruptures postcoloniales, La Découverte, Paris, 2010.
-
[33]
Explication que l’on retrouve aussi bien chez Ralph Schor, Patrick Weil ou encore dans mes écrits.
-
[34]
J. Valluy, « Du retournement de l’asile (1948-2008) à la xénophobie de gouvernement : construction d’un objet d’étude », Cultures & Conflits, n° 69, 2008, p. 81-111.
- [35]
-
[36]
J. Valluy, Rejet des exilés, op. cit.
-
[37]
P. Simon, « “Race”, ethnicisation et discriminations : une répétition de l’histoire ou une singularité postcoloniale ? », in N. Bancel et alii (dir.), Ruptures postcoloniales, op. cit., p. 357-368 ; N. Guénif Souilamas, La République mise à nu par son immigration, La Fabrique, Paris, 2006 ; P. Blanchard, N. Bancel, S. Lemaire, La Fracture coloniale. La société française au prisme de l’héritage colonial, La Découverte, Paris, 2005.
1Cette contribution vise à éclairer le discours public sur les étrangers et l’immigration, sur la période comprise entre l’accession de Nicolas Sarkozy au poste de ministre de l’Intérieur, en 2002, jusqu’au récent discours de Grenoble en juillet 2010. Ce discours semble marquer une forme de rupture, tant par la violence des propos tenus sur les étrangers que par la radicalité des propositions en matière sécuritaire et, surtout, par une approche ethnicisée de la « délinquance étrangère » et du « problème rom ». Nous analyserons comment ce discours finit par légitimer deux axes majeurs de l’idéologie nationale et sécuritaire que sont le lien établi explicitement entre immigration et délinquance et la stigmatisation de minorités – que nous nommerons ici des « groupes cibles ». Dans le discours du gouvernement français, ces groupes cibles sont tenus pour responsables de « l’insécurité » et des déstructurations sociales, mais aussi d’une déchéance culturelle des « valeurs de la nation », conduisant à son éventuelle désagrégation. Pour comprendre ce qui s’est passé à Grenoble, il faut donc revenir en arrière et éclairer ce qui apparaît depuis 2002 comme une logique de radicalisation – observable sur plusieurs fronts – qui gouverne à la fois les politiques menées et les discours tenus envers les réfugiés et les immigrés, s’entretenant dans une logique circulaire. C’est dans cette perspective que nous avons choisi d’explorer congrûment d’une part l’inclinaison des politiques d’immigration – comprenant la politique d’asile, la politique de lutte contre l’immigration clandestine et les choix opérés en matière de politique légale d’immigration – ; et, d’autre part, l’évolution des discours publics tenus depuis 2002 sur l’immigration. Les composantes du premier axe – asile, immigration clandestine, politique migratoire – loin d’être indépendants les uns des autres, apparaissent au contraire liés par une politique générale, restrictive et policière. Enfin, l’analyse des deux axes évoqués – politiques et discours publics – se révèlent nécessaires lorsque l’on cherche à comprendre leurs articulations, dans la mesure où nous posons l’hypothèse, précisément, que ces articulations créent les conditions d’une dynamique de radicalisation.
Radicalisation juridique et institutionnelle
2La politique envers les réfugiés constitue un point de repère intéressant quant aux transformations, sur le long terme, de la perception de « l’étranger ». Les chiffres sont particulièrement éloquents : en 1976, le taux de rejet des demandes de réfugiés était de 5 %, il est aujourd’hui de 83 % [1]. Ce taux très élevé de refus n’est pas récent puisque son augmentation est continue depuis la fin des années 1970 et atteint le seuil des 80 % dès la fin des années 1980 [2]. La politique d’asile actuelle ne fait ainsi que poursuivre et accentuer cette tendance lourde. Le durcissement est cependant sensible et logique. Logique, car le candidat Sarkozy a bâti une partie de sa campagne sur la promesse d’une réduction drastique des flux migratoires (incluant donc les réfugiés) et d’une répression implacable de l’immigration clandestine [3] ; sensible, car l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a été transféré en 2007 du ministère des Affaires étrangères au ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, dont la vocation est de limiter l’immigration (en particulier clandestine), notamment par le refus massif des demandes d’asile. Dans ce cadre, la loi du 20 novembre 2007 sur les seuils de ressources et la maîtrise de la langue française a encore accru les difficultés des demandeurs d’asile pour faire accepter leur dossier. Le taux extrêmement élevé des refus de demandes d’asile, aujourd’hui, interroge le sens même de la « politique d’asile ».
3Dans la même perspective, la réduction et le contrôle de l’immigration passe par une politique d’expulsion accrue. Pour atteindre les objectifs chiffrés, l’arsenal institutionnel et juridique s’est considérablement renforcé depuis une décennie. Ainsi, la création d’une juridiction statuant uniquement sur les contentieux concernant les étrangers et la suppression de l’intervention conjointe du procureur et du juge de la liberté et de la détention révèlent l’édification d’une juridiction d’exception, dont il est aisé d’imaginer l’indépendance [4]. La création, par ailleurs, d’une commission préalable chargée de filtrer les recours devant le Conseil d’État, la possibilité offerte depuis le décret du 29 juillet 2004 à un juge administratif de déclarer irrecevables les requêtes contre les arrêtés de reconduite à la frontière, la compétence accordée – également depuis juillet 2004 – au tribunal où est situé le centre de rétention administrative et non à celui du domicile du détenu, toutes ces mesures ont contribué d’une part à une criminalisation sans précédent de l’immigration clandestine, d’autre part à un effondrement des possibilités de se défendre pour l’immigré clandestin, enfin à l’érection d’une juridiction parallèle qui s’affranchit dans les faits de l’équilibre traditionnellement visé par les institutions judiciaires, préservant les possibilités de recours et de défense.
4À ces mesures s’ajoutent désormais l’extension de la durée possible des détentions administratives, la multiplication et l’externalisation des camps… Toutes ces modifications législatives et institutionnelles attestent du caractère répressif de la politique d’immigration.
5Serge Slama révèle le nombre de personnes déférées devant la justice pour un délit dépendant de la police des étrangers est passé de 62 233 en 2002 à 111 842 en 2007 [5]. Malgré cette augmentation spectaculaire, il faut ajouter qu’un peu plus de 100 000 « Obligations de quitter le territoire français » (OQTF) concernant des étrangers en situation irrégulière ont été exécutées durant la même période. Par ailleurs, sur 48 000 OQTF prononcées en 2007 à l’encontre des étrangers ayant demandé un titre de séjour, seules 2 % ont été honorées [6]. C’est dans ce contexte que le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy a cherché à renforcer les moyens d’exécuter ces reconduites à la frontière. La durée de rétention d’un clandestin a ainsi été portée, par la loi du 30 avril 2003, de 12 à 32 jours. Les places dans les centres de rétention administrative, sont passées de 780 en 2002 à plus de 3 500 en 2008. En 2006 plus de 13 000 étrangers en situation irrégulière, ont été placés en détention dans l’attente d’une reconduite à la frontière.
6Ces dispositifs juridiques et policiers sont désormais bien renseignés. La politique du chiffre imposé au ministère de l’Intérieur (25 000 reconduites prévues en 2008 et en 2009) a des conséquences pratiques très sensibles. Les préfets qui n’atteignent pas les résultats chiffrés attendus sont régulièrement convoqués place Beauvau, et leur poste s’en trouve considérablement fragilisé. Cette pression est transmise aux services de police compétents, qui doivent impérativement réaliser les objectifs du ministère. Cette situation engendre notamment un durcissement de la procédure d’expulsion, depuis l’arrestation des contrevenants, en passant par leur rétention, jusqu’à l’expulsion elle-même.
Surveiller et punir : le contrôle comme politique
7Ce phénomène de brutalisation nous renseigne sur une dynamique à l’œuvre, qui articule la stigmatisation publique des clandestins et des immigrés, comme nous allons le voir, à l’imprégnation des conduites d’action policière par un racisme institutionnel rampant [7]. L’inhumanité des rafles de clandestins est devenue banale ; elle est pourtant un indicateur phénoménologique essentiel et significatif de ce processus. Évoquons quelques exemples pour mieux le saisir [8]. Ce sont tout d’abord toutes les « ruses » déployées par les forces de police pour satisfaire à la politique du chiffre : « planques » devant les écoles pour arrêter des parents clandestins d’enfants scolarisés, convocations à la préfecture sous divers motifs, repérage des refuges, arrestations sur les sites des « Restos du cœur », etc.
8L’exemple de Sviatlana Tchibissova est révélateur : fuyant son mari condamné à trois mois de prison avec sursis pour menaces de mort envers son épouse, elle trouve refuge dans un foyer pour femmes battues. On vient la chercher dans ledit foyer pour « rupture de la vie conjugale » (!), motif qui la rend expulsable. Cette traque conduit à la déscolarisation de son fils de six ans, francophone, et ce n’est qu’à la suite d’une longue mobilisation qu’elle obtient sa régularisation en 2008 [9]. Par ailleurs, les centres de rétention administrative déclenchent des drames humains : l’enfermement de ce bébé de quinze mois, né en France, avec sa mère sans papiers, durant dix-sept jours en 2008 ; de cet autre bébé de dix-huit mois, enfermé pendant trente-deux jours à Lyon, en 2006, avant d’être renvoyé avec toute sa famille (pourtant menacée), en 2008 ; ou encore de ce nourrisson de trois semaines enfermé avec ses parents durant quinze jours en 2007. Ces cas, en contradiction flagrante avec la Convention internationale des droits de l’enfant dont la France est signataire, témoignent de ce phénomène de brutalisation que la France, comme d’autres pays européens, exporte ou tente d’exporter désormais vers des pays tiers méditerranéens [10]. Ce processus général de brutalisation contribue à l’affirmation de schémas présentant ces populations comme une menace, premier pas vers une ethnicisation de cette menace.
9Dans cette même perspective, une politique de quotas concernant l’immigration tente de se mettre en place. Cette politique, incomplètement appliquée, envisageait de subordonner le nombre d’étrangers aux besoins de l’économie nationale (ce que font tous les pays européens), mais en imposant des quotas selon les origines géographiques [11], favorisant une émigration à forte valeur ajoutée technique et intellectuelle des pays du tiers-monde [12]. L’objectif déclaré du gouvernement était d’atteindre 50 % d’immigration « choisie », économique, au détriment de l’immigration familiale. Ce thème de l’« immigration choisie » versus l’« immigration subie » avait déjà été évoqué en juin 2005, d’une part par Dominique de Villepin, alors Premier ministre, dans sa déclaration de politique générale, puis par Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, qui avait alors ouvertement mentionné la politique des « quotas ». Dans la foulée était mis en place le Comité interministériel de contrôle de l’immigration.
10C’est dans ce cadre qu’a été promulguée la loi du 24 juillet 2006, qui durcit les conditions du regroupement familial, renforce le contrôle des mariages mixtes et conditionne l’accès à un titre de séjour à la signature préalable d’un contrat de travail et à l’obtention d’un visa de long séjour. Le principe d’une régularisation systématique après dix ans de séjour sur le territoire français est supprimé. Dans le prolongement de cette loi, la loi du 4 juillet 2007 institue les seuils de ressources (dépendant de la taille de la famille) et les tests de maîtrise de la langue française, de même que la signature d’un « contrat d’accueil et d’intégration » qui conditionne l’obtention et le maintien des allocations familiales. Rappelons aussi qu’avait été élaboré le projet de loi instituant des tests ADN de filiation, afin de découvrir les « fraudeurs » du regroupement familial. Ce projet de loi posait plusieurs problèmes, dont l’un – et non des moindres – était de réduire la famille à sa dimension biologique au mépris de sa constitution sociale. Mais il impliquait également la mise en œuvre d’une « biopolitique » de contrôle dont les conséquences étaient imprévisibles [13]. Il a finalement été abandonné en 2009. La traque aux « fraudeurs » de l’immigration familiale se poursuit cependant, notamment à travers le contrôle souvent tatillon imposé aux conjoints de Français, portant sur la véracité de leur relation intime. L’objectif de majorer l’immigration économique « choisie » au détriment de l’immigration familiale s’avère être globalement un échec, puisqu’en 2009 moins de 20 % de l’immigration provient du système des quotas par secteur économique et origine géographique.
11Ces différents processus – juridique, institutionnel et policier – favorisent la stigmatisation dans l’espace public de certaines catégories de populations, en l’occurrence les étrangers « clandestins » et les immigrés d’origine extra-européenne, construites comme des « problèmes » qui appellent des mesures sécuritaires et policières. Associées à la question des « quartiers », également construite comme un problème sécuritaire majeur – ces « quartiers » désignant dans le discours public les populations d’origine extra-européenne, et particulièrement postcoloniale [14], on peut faire l’hypothèse que de multiples facteurs convergents aujourd’hui pour rendre possible des stigmatisations politiques plus radicales à l’égard de ces populations. Cette hypothèse est d’autant plus plausible que les nouveaux dispositifs juridiques et institutionnels et la brutalisation des conduites d’action policière s’inscrivent dans un même processus de radicalisation. La production des discours qui ont accompagné et légitimé ces mesures contribue à une fuite en avant vers les extrêmes.
Rétraction nationaliste et racialisation des figures de l’étranger
12La campagne de 2007 a été marquée par l’omniprésence des thèmes de la sécurité et de l’immigration. Le candidat Nicolas Sarkozy [15] a ouvertement misé sur le ralliement d’une partie des sympathisants du Front national vers l’UMP, en favorisant ces deux thèmes propres à les séduire. Cependant, lors de la campagne, il était malaisé de détecter des propos explicitement stigmatisants ou discriminatoires envers les étrangers ou les Français d’origine étrangère, attestant d’une « racialisation » d’une partie des discours publics. Mais des prémices apparaissent, moins appuyés durant cette conjoncture, mais prophétiques. Ainsi, le 11 janvier 2007, le candidat de l’UMP proposait-il que le droit au logement opposable ne s’applique pas à tous les étrangers résidant en France : « Il va de soi que les sans-papiers ne doivent pas y avoir accès. […] Je ne souhaite pas non plus que tous les étrangers en situation régulière y aient droit. » Le décret du 8 septembre 2007 définit les conditions dans lesquelles les étrangers pouvaient avoir recours au droit au logement opposable : il est ouvert pour les étrangers non communautaires titulaires d’une carte de résident de dix ans, ou pour les étrangers en situation régulière justifiant d’au moins deux ans de présence ininterrompue sur le territoire français, sous couvert d’un titre de séjour de un an renouvelé au moins deux fois [16]. La perspective d’un traitement juridique et institutionnel discriminatoire était donc une perspective ouverte en 2007, et elle sera effectivement confirmée par la suite. Elle contribue à ouvrir la brèche que nous évoquions : constituer politiquement des groupes marginalisés et traités de manière discriminatoire, favorisant une dynamique de radicalisation institutionnelle et discursive. Sur ce dernier plan, là aussi, la stigmatisation politique de ces groupes était dans l’air.
13Il faut à cet égard rappeler que, juste avant l’éclatement des émeutes de 2005, le ministre de l’Intérieur avait évoqué, à propos des deux jeunes morts dans un transformateur EDF, une « tentative de cambriolage » et qu’« ils ne fuyaient pas la police ». Deux affirmations fausses qui établissaient l’intention délictuelle de deux enfants d’origine extra-européenne. Le ministre de l’Intérieur avait également nié toute dimension sociale des émeutes, n’y voyant que la manifestation d’une « voyoucratie ». Le jour de l’instauration de l’état d’urgence, selon une procédure utilisée pendant la guerre d’Algérie (ouvrant l’hypothèse du caractère postcolonial de l’événement), le ministre avait également demandé que les étrangers, en situation régulière ou irrégulière, qui avaient commis une infraction soient immédiatement expulsés, réactivant le mythe d’une « cinquième colonne » prête à tout pour briser la nation. En janvier 2007, il déclarait : « Qui ne voit qu’il y a un lien évident entre la politique d’immigration non maîtrisée depuis 30 ou 40 ans et l’explosion sociale de nos quartiers ? Ça crève les yeux qu’il y a une liaison entre les deux. » Reprenant une vieille antienne du Front national, le ministre de l’Intérieur désignait dès lors explicitement l’immigration et les descendants d’immigrés comme la cause centrale du « malaise des quartiers », substituant au passage une lecture ethnique à une lecture sociale dudit malaise. La dialectique xénophobe était, dès lors, clairement devenue un des ressorts du discours politique du candidat à l’élection présidentielle.
14Qui ne se souvient de la violence des termes qui, entre 2004 et 2006, désignent l’activité illicite dans les quartiers ? Promettant de débarrasser la France des « voyous », Nicolas Sarkozy usa de plusieurs métaphores (« bande de racailles », « nettoyer au Kärcher »), tout en insistant sur l’impossible intégration de certaines catégories de populations – ici les « jeunes de banlieues [17] ». Durant les émeutes de 2005, le ministre de l’Intérieur affirmait que les émeutiers « sont tout à fait français juridiquement. Mais disons les choses comme elles sont : la polygamie et l’acculturation d’un certain nombre de familles font qu’il est plus difficile d’intégrer un jeune originaire d’Afrique noire qu’un jeune Français d’une autre origine [18] ».
15Cette violence verbale visait explicitement d’une part à établir une catégorie politique d’une population perçue comme éminemment dangereuse et incontrôlable, nouvel ennemi intérieur agrégeant tous les dangers de la déstructuration sociale, d’autre part à disqualifier toute signification sociale qui serait donnée aux émeutes de 2005 [19]. En criminalisant ainsi les émeutiers, le ministre de l’Intérieur opérait aussi sur un autre plan, celui d’une mise en garde contre la dissolution des « valeurs » et de l’identité nationale, réputées mises en péril par le profil culturel des immigrants extra-européens ou leurs descendants (et, tout particulièrement, postcoloniaux, dans ce cas d’espèce et comme en atteste, entre autres, la référence à la « polygamie », qui aura une utilité toute spéciale par la suite).
La création du ministère de l’Immigration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire : un analyseur
16La création de ce ministère constitue un moment charnière dans la formalisation institutionnelle des dispositifs précédents, mais aussi – et peut-être surtout – dans l’affirmation d’une relation de causalité entre les phénomènes migratoires et les menaces qu’ils constituent pour sur « l’identité nationale ». Les finalités répressives de ce nouveau ministère ne sont pas occultées. Après une introduction portant sur les fonctions du ministère, qui ne laisse rien présager de sa principale vocation, les trois premiers articles stipulent que : « [1] en liaison avec le ministre de l’Intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales, de la lutte contre l’immigration illégale et la fraude documentaire intéressant des ressortissants étrangers [c’est nous qui soulignons] ; [2] en liaison avec le ministre de l’Intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales et le ministre du Travail, des relations sociales et de la solidarité, de la lutte contre le travail illégal des étrangers [ibid.] ; [3] conjointement avec le ministre des Affaires étrangères et européennes, de la politique d’attribution des visas… [20] »
17On voit donc d’une part que ce ministère est avant tout chargé de fonctions de contrôle et de police [21] ; d’autre part qu’il institutionnalise clairement le lien entre identité nationale et immigration, rapprochement qui a vocation dans les discours politiques, depuis la fin du XIXe siècle, à présenter l’immigration comme une menace diffuse ou directe de « l’identité nationale [22] ». Si le discours n’est pas nouveau – quoiqu’il fût jusqu’au milieu des années 1990 utilisé avec une certaine prudence, si l’on exclut les marges les plus radicales de la droite « de gouvernement » et le Front national, il devient un étendard de ladite droite « de gouvernement » dès le début du quinquennat en 2007, reprenant ainsi les propositions du Front national ou des franges les plus extrêmes de ses propres composantes, mais surtout qu’il s’inscrit clairement dans le paysage institutionnel par la création d’un ministère aux pouvoirs très étendus puisqu’il a autorité sur les services de police et de gendarmerie pour tout ce qui concerne le respect de la réglementation portant sur les étrangers, de même que sur les politiques d’intégration.
18Avec la création de ce ministère, le gouvernement a franchi un Rubicon idéologique, en prenant le risque d’autoriser – voire de légitimer – des schèmes (immigration/insécurité, différence culturelle/chaos, étrangers/dissolution de « l’identité nationale ») dont les effets sociaux et politiques sont difficilement contrôlables. En novembre 2009, le débat sur « l’identité nationale », organisé par le ministère, visait le même but politique : impulser une dynamique idéologique autour de l’idée d’un ressourcement de la nation par ses propres racines, dans une optique qui opposerait la « vraie France » à sa multiculturalité contemporaine. Ce « débat » était piégé dès l’origine par son initiateur (un ministère associant « immigration » et « identité nationale »). Les multiples dérapages occasionnés par ce débat soulignèrent clairement cette stratégie, au risque de la régression nationaliste, de l’essentialisme identitaire et du prurit xénophobe [23]. Très loin de toute réalité sociale, l’opération « identité nationale » est aussi un procès en déréalisation, cherchant à éloigner les Français parcourus du frisson identitaire des réalités plus triviales et moins glorieuses de la situation économique et sociale française. Cette stratégie de déréalisation et de promotion de la passion nationaliste s’établit curieusement au cœur d’un gouvernement qui a acté les grandes catégories transnationales du libéralisme (réduire les dépenses publiques, défiscaliser le droit du travail, favoriser les plus fortunés, précariser le travail…), ce qui, en toute logique, aurait dû l’amener au minimum à relativiser les grandeurs fanées du « national [24] ». Au contraire, à la manière des néo-conservateurs américains, ce gouvernement a choisi de n’entretenir qu’un rapport équivoque à la vérité : la stratégie du rassemblement autour de la nation – au détriment, nous l’avons vu, de groupes cibles perçus comme « allogènes » ou insuffisamment « intégrés » – fait désormais partie des ressources politiques possibles.
Grenoble : un tournant ?
19Après les violentes émeutes de Grenoble en 2009 et les tirs à balles réelles essuyés par les forces de police, le président de la République avance plusieurs dispositions visant à renforcer les mesures sécuritaires. À cette occasion, il réaffirme d’une part que le « problème des banlieues » n’est pas social, mais provient d’une « voyoucratie [25] », et d’autre part que cette situation est le fait d’une immigration « mal maîtrisée ». Autrement dit le problème vient des étrangers ou des Français d’origine étrangère [26]. Suivent les mesures proprement dites : « Dès le 7 septembre prochain, les peines planchers, qui fonctionnent bien, mais qui ne s’appliquent qu’aux multirécidivistes – 24 000 peines planchers ont été prononcées –, seront désormais étendues à toutes les formes de violences aggravées, c’est-à-dire notamment les violences sur des personnes dépositaires d’une autorité publique. […] Je souhaite notamment que les magistrats puissent condamner automatiquement les multirécidivistes au port du bracelet électronique pendant quelques années après l’exécution de leur peine » L’extension des peines planchers, qui poursuit la frénésie législative sécuritaire depuis 2002, n’est pas réellement une surprise. « […] La délinquance actuelle ne provient pas d’un mal-être comme je l’entends trop souvent, elle résulte d’un mépris des valeurs fondamentales de notre société. La question de la responsabilité des parents est clairement posée. Les parents manifestement négligents pourront voir leur responsabilité engagée sur le plan pénal. » C’est une première nouveauté puisque la responsabilité pénale des parents signifie, en quelque sorte et comme le suggérait alors Michel Rocard, de passer d’une responsabilité pénale individualisée à une responsabilité collective.
20Mais l’innovation majeure vient d’une proposition volontairement extrême : la déchéance de la nationalité doit pouvoir être prononcée contre des étrangers et des Français d’origine étrangère coupables de crimes contre policiers et gendarmes. Cette mesure phare provoque un grand trouble, notamment chez les constitutionnalistes [27]. Elle contribue, à notre sens, à édifier cette brèche que le pouvoir s’efforce d’élargir, en construisant des groupes cibles incarnant la menace.
21Avant que ne soient éclaircies ses conditions d’application (seuls les étrangers récemment naturalisés pourraient être touchés), le plus grand flou règne autour des « Français d’origine étrangère » évoqués par le président de la République. S’agit-il de Français par le droit du sol et dont les parents (ou un seul des parents ?) seraient étrangers ? Doit-on remonter aux grands-parents ? Ce flou initial contribue à enfermer les « étrangers » et les « Français d’origine étrangère » dans une métacatégorie politique auréolée de l’ombre menaçante d’une inclinaison criminogène qui leur ferait « mériter » un traitement juridique singulier, les distinguant radicalement des « Français de souche ».
22Certes, la déchéance de la nationalité existe depuis fort longtemps : la peine peut être prononcée dès 1848, dans le cadre de la lutte contre les esclavagistes ; mais c’est la loi de 1927 qui inscrit la déchéance de la nationalité de manière permanente dans le code civil. Il s’agit alors du corollaire d’une loi très libérale portant sur la naturalisation d’étrangers (Patrick Weil signale que seules 16 dénaturalisations furent prononcées contre 260 000 naturalisations, de 1927 à 1940 [28]). Si l’on exclut le sinistre épisode vichyssois durant lequel plus de 15 000 naturalisés (dont 40 % de Juifs) furent déchus de leur nationalité par une loi rétroactive, on remarque que la déchéance de la nationalité fut étendue, entre 1945 et 1998, à des personnes naturalisées depuis moins de dix ans et condamnées à plus de cinq ans de prison (clause supprimée en 1998 par la loi Guigou). En pratique, cette possibilité fut utilisée durant l’épuration, après 1945, pour être totalement abandonnée par la suite. Il est prévu cinq cas débouchant sur une possible déchéance de la nationalité, en particulier « pour un crime ou un délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou un acte de terrorisme [l’acte de terrorisme fut ajouté à la loi en 1996] », ou que la personne se soit livrée « au profit d’un État étranger à des actes préjudiciables aux intérêts de la France ». Les possibilités de déchoir un individu de la nationalité française sont extrêmement encadrées, puisque, depuis la loi Guigou de 1998, celle-ci ne peut d’une part – et conformément aux traités internationaux – déboucher sur l’apatridie (le mis en cause doit donc obligatoirement avoir une double nationalité) ; d’autre part, les faits reprochés doivent avoir eu lieu avant l’acquisition de la nationalité française ou dans un délai de dix ans après cette acquisition ; enfin la mesure doit être validée par le Conseil d’État. D’après Patrick Weil [29], la loi de 1996 a contribué à réactiver les mesures de déchéance, à raison de une ou deux par an, pour des affaires de terrorisme et dans le cadre très restrictif que nous venons d’évoquer.
Le clivage ethnique ou les dessous du discours officiel
23Il est donc à peu près certain que la promulgation d’une extension des mesures de déchéance ne déboucherait que sur des condamnations extrêmement rares, ce qui signifie que l’effet visé ne s’inscrit pas dans la recherche d’une éventuelle efficacité de la mesure quant à la sécurité publique, mais bien comme un « dispositif discursif », visant à désigner ou plutôt à essentialiser les « étrangers » et les « Français d’origine étrangère » comme des « fauteurs de troubles [30] ». Mais l’opération n’est pas que discursive, elle tend également à réaliser une scission concrète, d’ordre juridique, entre « Français de souche » et « Français d’origine étrangère », catégorie que l’extrême droite depuis Maurras désigne sous le vocable de « Français de papier » et qui auront à prouver leur attachement sans faille à la « mère patrie ».
24Se dessine alors un imaginaire de purification de la société de ses éléments « allogènes », nécessairement à l’origine de la dilution du national et de la déstructuration sociale. On comprend sans peine l’usage politique qui peut être fait d’un tel imaginaire, lorsque les transformations extrêmement rapides de notre société conditionnent des angoisses sociales aujourd’hui très vives. Cette utilisation s’inscrit dans la logique de radicalisation cumulative évoquée au début de cette contribution, elle poursuit le travail d’élargissement de la brèche visant à séparer des groupes de populations vivant en France du reste de la société.
25Les propositions de Brice Hortefeux, dans le sillage du discours de Grenoble (même si elles furent finalement « rejetées » par Nicolas Sarkozy, prenant pour l’occasion la pose avantageuse de Salomon), visant à élargir de nouveau les critères ouvrant la possibilité d’une déchéance de la nationalité – la polygamie et l’excision en particulier –, précisent, les sous-groupes plus particulièrement visés par ce dispositif juridique et discursif : les ressortissants postcoloniaux du Maghreb et d’Afrique noire. Mais ce ne sont pas les seuls.
26En effet, l’autre proposition majeure du discours de Grenoble vise explicitement les Roms. En effet, le président de la République déclare à cette occasion que « les clandestins doivent être reconduits dans leur pays. Et c’est dans cet esprit d’ailleurs que j’ai demandé au ministre de l’Intérieur de mettre fin aux implantations sauvages de campements de Roms. Ce sont des zones de non-droit qu’on ne peut pas tolérer en France […] ». Autre groupe social cible, tout aussi démunis que les sans-papiers et véritable damnés de l’Europe, malgré la sollicitude que devrait leur valoir leur statut de victimes du nazisme, les Roms constituent une population particulièrement vulnérable et exposée, sujette dans toute l’Europe à de nombreux stéréotypes et à un rejet quasi général. La désignation explicite des Roms comme autre groupe cible, là encore essentialisé comme intrinsèquement criminogène, la médiatisation des expulsions de camps, la publication d’une circulaire du ministère de l’Intérieur visant explicitement les Roms comme groupe cible d’actions de police, tout signale les récentes avancées de la radicalisation cumulative du pouvoir envers les représentants de « l’ennemi intérieur ». La stigmatisation des Roms indique aussi clairement que la désignation de groupes cibles ne concernent pas exclusivement les populations d’origine postcoloniale.
Conclusion
27L’un des analyseurs privilégiés du renforcement du contrôle et de la répression vis-à-vis des étrangers demeure la politique du droit d’asile. Jérôme Valluy montre qu’il s’est opéré un « retournement » en la matière et que l’exilé, auparavant considéré comme une victime digne de sollicitude, est devenu un « problème », intégré dans la question plus large de la maîtrise des flux migratoires [31]. Ce changement de statut a érigé l’exilé en figure potentiellement menaçante, au même titre qu’ont été construites, depuis des décennies, certaines figures de l’immigration extra-européenne, en particulier postcoloniales [32]. La thèse de J. Valluy est de rejeter les explications habituelles quant aux raisons de ce retournement, soit d’une part la montée en puissance des flux migratoires à partir des années 1970, et d’autre part – et corrélativement – l’impact de la crise économique de 1974. Pour l’auteur, la fermeture progressive des frontières aux exilés serait antérieure à ces événements et tiendrait à la recomposition des administrations des ministères des Affaires étrangères, de l’Intérieur et des Affaires sociales par le redéploiement, au cours des années 1960, d’une technocratie coloniale réemployée en métropole après les indépendances, que l’on retrouverait à pratiquement tous les postes des directions concernées par les politiques migratoires, exilés compris. Son hypothèse est que cette technocratie, profondément marquée par les indépendances et surtout par la guerre d’Algérie, va convertir dans ce domaine les techniques de contrôle utilisées dans le cadre colonial et contribuer à ériger la question de l’exil – et plus généralement de l’immigration extra-européenne – en « problème » de société, mis progressivement au premier plan de l’agenda politique. À rebours des explications sur la montée de la xénophobie depuis le milieu des années 1970, dont l’émergence politique significative du Front national en 1983 serait le symptôme – explications corrélant étroitement « crise économique », fermeture des frontières et montée d’une xénophobie « populaire [33] » – J. Valluy soutient au contraire que ce sont ces élites technocratiques d’origine coloniale qui sont probablement à l’origine de la légitimation de la thématique du « problème de l’immigration [34] ».
28Cette thèse interroge le schéma d’explication qui stipule que la « crise » génère la xénophobie populaire, mais il met également en question cette idée que les éruptions xénophobes surgiraient du « peuple » comme autant de pulsions ataviques et irraisonnées – dédouanant ainsi les « élites » perçues comme rationnelles et enclines à maîtriser les passions populaires. Au contraire, ces dernières déterminent consciemment, sciemment devrait-on dire, les priorités de l’agenda politique et du débat public, comme le démontrent de nombreuses études de sociologie politique [35].
29À cet égard, la mise en place progressive d’institutions et de dispositifs publics, depuis la Direction de la population et des migrations au sein du ministère des Affaires sociales en 1966 jusqu’au récent ministère de l’Immigration, de l’Identité nationale et du développement solidaire (2007), témoigne de cette mobilisation d’une technocratie vouée prioritairement à lutter contre l’immigration illégale, à limiter les flux migratoires et à borner sévèrement l’asile. Ces structures bureaucratiques s’adjoignent des institutions tierces, tels l’Ofpra, l’Office du haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés (HCR), comme un certain nombre d’associations devenues des « partenaires » participant, bon gré mal gré, à la mise en œuvre des politiques restrictives d’immigration et d’asile [36].
30Cette hypothèse ne résout pas la question de la « passion populaire ». En effet, une crise xénophobe, même anticipée, voire provoquée par une inscription prioritaire sur l’agenda politique des thématiques susceptibles de la déclencher, n’explique pas pour autant pourquoi elle se déclenche. Pour que les passions xénophobes, plus encore racistes, se mettent en mouvement, des conditions culturelles doivent être réunies, à savoir des systèmes de représentations collectifs, des archétypes profondément insérés dans la culture, faisant appel à un répertoire de signifiants qui permettent d’identifier l’immigré comme un problème ou le « Rom » comme un facteur de désordre ou le Maghrébin comme un délinquant, etc. Or, ce répertoire est focalisé aujourd’hui sur les immigrés postcoloniaux [37], mais il s’étend bien sûr à d’autres catégories, comme l’atteste l’affaire récente concernant les Roms.
31S’il faut avancer avec prudence sur ce terrain, force est de constater qu’on observe dans le cas qui nous occupe une convergence assez remarquable d’effets postcoloniaux (mais qui ne doivent pas être pris, bien entendu, comme la reproduction de situations coloniales, comme en atteste le cas de la stigmatisation des Roms) : d’une part, le redéploiement de la haute administration coloniale dans les années 1960 ; d’autre part, des systèmes de représentations des différentes populations colonisées façonnés par l’histoire coloniale, et dont les effets à long terme sont loin d’être épuisés. Cette perspective, répétons-le, ne tarit pas le sujet, et d’autres facteurs interviennent aussi et seraient à explorer plus avant, tels que la convergence européenne des politiques d’asile et d’immigration, la part des traditions politiques xénophobes dissociées de la configuration coloniale (le cas des Roms est exemplaire à ce sujet), la focalisation sur la sécurité et l’immigration comme l’un des derniers secteurs où l’action publique peut opérer de manière spectaculaire, ou encore le rôle des nouvelles stratégies de communication politique.
32Quoi qu’il en soit, l’actuelle politique migratoire et d’asile, caractérisée par une frénésie législative, par une approche résolument policière et répressive, comme par une forte stigmatisation de certaines catégories de populations immigrées ou d’origine immigrée (d’origine postcoloniale principalement mais pas exclusivement), est l’aboutissement d’un processus de longue haleine, initié au début des années 1970. Et il apparaît aussi clairement qu’entre 2002 et 2010, la définition du « problème de l’immigration » comme priorité politique, et jusqu’à la stigmatisation des Roms, procède d’une volonté politique d’État, puisque ce sont bien les autorités les plus éminentes de l’État qui orchestrent et mettent en scène ces thématiques, au risque – on peut l’envisager – de favoriser les passions xénophobes ou racistes.
33Pour autant, le dernier volet de cette politique – la stigmatisation explicite des groupes cibles, postcoloniaux ou non, tel que le discours de Grenoble a pu l’éclairer – a désormais franchi une étape supplémentaire en ouvrant une brèche inédite, celle d’une possible racialisation des discours publics. Le problème avec un processus de radicalisation cumulatif en cours, tel que nous venons de l’analyser, est qu’il interdit toute conclusion. Jusqu’où peut-il mener ? Quel nouveau chemin peut-il emprunter ? La dynamique suit son cours. Il est impossible de savoir à quoi elle peut aboutir.
Bibliographie
- P. Blanchard, N. Bancel, S. Lemaire, La Fracture coloniale. La société française au prisme de l’héritage colonial, La Découverte, Paris, 2005.
- O. Bonnet, Sarkozy, la grande manipulation – Dénonciation d’une imposture, Les Points sur le I, Paris, 2008.
- L. De Cock, F. Madeline, N. Offenstadt, S. Wahnich, Comment Sarkozy écrit l’histoire de France, Agone, Paris, 2008.
- N. Demiati, « Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur et pompier-pyromane », in L. Mucchielli et V. Le Goaziou (dir.), Quand les banlieues brûlent… Retour sur les émeutes de novembre 2005, La Découverte, Paris, 2006, p. 58-76.
- C. Fouteau, « Immigration : l’état d’expulsion », in E. Plenel (dir.), N’oubliez pas ! Faits et gestes de la présidence Sarkozy, Don Quichotte, Paris, 2010.
- A. G.Hargreaves, « Quel bilan ? Les révoltes des banlieues à travers les livres », Le Monde diplomatique, novembre 2006, p. 28.
- N. Guénif Souilamas, La République mise à nu par son immigration, La Fabrique, Paris, 2006.
- R. Lévy et R. Zauberman, « La police et les minorités visibles : les contradictions de l’idéal républicain », in Y. Cartuyvels, F. Digneffe, A. Pirès, P. Robert (dir.), Politique, police et justice au bord du futur, L’Harmattan, Paris, 1998.
- L. Mucchielli (dir.), La Frénésie sécuritaire, La Découverte, Paris, 2008.
- L. Mucchielli, « Délinquance et immigration en France : un regard sociologique », Criminologie, vol. 36, n° 2, p. 27-55.
- M. Rigouste, L’Ennemi intérieur. La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine, La Découverte, Paris, 2009.
- P. Simon, « «Race», ethnicisation et discriminations : une répétition de l’histoire ou une singularité postcoloniale ? », in N. Bancel et alii (dir.), Ruptures postcoloniales. Les nouveaux visages de la société française, La Découverte, Paris, 2010.
- S. Slama, « Politique d’immigration : un laboratoire de la frénésie sécuritaire », in L. Mucchielli (dir.), La Frénésie sécuritaire, La Découverte, Paris, 2008, p. 64-76.
- J. Valluy, Rejet des exilés. Le grand retournement du droit d’asile, Éditions du Croquant, Bellecombe-en-Bauges, 2009.
- J. Valluy, « Quelles sont les origines du ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration ? », Cultures & Conflits, n° 69, 2008, p. 7-18.
Notes
-
[*]
Professeur à l’université de Strasbourg, détaché à l’université de Lausanne (Unil - Faculté des sciences sociales et politiques - ISSUL).
-
[1]
L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) refuse 92 % des dossiers, mais la commission de recours des réfugiés ramène ce chiffre à 83 %.
-
[2]
J. Valluy, Rejet des exilés. Le grand retournement du droit d’asile, Éditions du Croquant, Bellecombe-en-Bauges, 2009.
-
[3]
C. Fouteau, « Immigration : l’état d’expulsion », in E. Plenel (dir.), N’oubliez pas ! Faits et gestes de la présidence Sarkozy, Don Quichotte, Paris, 2010, p. 160-166.
-
[4]
O. Bonnet, Sarkozy, la grande manipulation – Dénonciation d’une imposture, Les Points sur le I, Paris, 2008.
-
[5]
S. Slama, « Politique d’immigration : un laboratoire de la frénésie sécuritaire », in L. Mucchielli (dir.), La Frénésie sécuritaire, La Découverte, Paris, 2008, p. 64-76.
-
[6]
S. Slama, ibid.
-
[7]
R. Lévy et R. Zauberman, « La police et les minorités visibles : les contradictions de l’idéal républicain », in Y. Cartuyvels, F. Digneffe, A. Pirès, P. Robert (dir.), Politique, police et justice au bord du futur, L’Harmattan, Paris, 1998, p. 287-300 ; L. Mucchielli, « Délinquance et immigration en France : un regard sociologique », Criminologie, vol. 36, n° 2, p. 27-55.
- [8]
-
[9]
Le candidat Nicolas Sarkozy avait déclaré, lors d’un meeting à Bercy le 29 avril : « À chaque femme martyrisée dans le monde, je veux que la France offre sa protection en lui donnant la possibilité de devenir française »
-
[10]
J. Valluy, Rejet des exilés, op. cit.
-
[11]
Cette politique semble, selon Olivier Bonnet (op. cit.), enfreindre la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui stipule : « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. » Son article 7 précise : « Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente Déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination. »
-
[12]
La circulaire de décembre 2007 précise les 150 métiers réservés à l’immigration intercommunautaire et les métiers proposés aux autres migrants, soit une trentaine, de niveau universitaire.
-
[13]
Dans le même registre, la loi du 30 avril 2003 instaurait un fichier permettant de conserver les empreintes digitales des demandeurs de visas, instituait un contrôle plus sévère des attestations d’accueil et renforçait le contrôle des mariages mixtes. Le fichier « Eloi », promulgué par arrêté le 30 juillet 2006, permettait de « conserver trois ans après l’expulsion des données sur les étrangers en situation irrégulière, ainsi que sur les hébergeants en cas d’assignation à résidence, et sur les visiteurs en cas de placement en rétention administrative » (http://www.legavox.fr/blog/etrangers-sans-droit/chronique-legislative-histoire-immigration-710.htm). Le Conseil d’État annulera finalement cet arrêté le 12 mars 2007.
-
[14]
T. Deltombe, L’Islam imaginaire. La construction médiatique de l’islamophobie en France, 1975-2005, La Découverte, Paris, 2007 ; A. Boubeker, Histoire politique des immigrations (post)coloniales. France, 1920-2008, Éditions Amsterdam, Paris, 2008 ; M. Rigouste, L’Ennemi intérieur. La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine, La Découverte, Paris, 2009.
-
[15]
Y. Reza, L’Aube le soir ou la nuit, coll. « J’ai lu », Paris, 2009 ; B. Le Maire, Des hommes d’État, Grasset et Fasquelle, Paris, 2008.
-
[16]
http://www.gisti.org/spip.php?article1814. Ces dispositions ont été condamnées par la Halde en 2009 qui soulignait le traitement discriminatoire imposé aux étrangers non communautaires et stipulait que « la condition de résidence préalable de 2 ans au moins pour pouvoir soumettre un dossier à la commission chargée de la procédure DALO, condition de résidence préalable imposée aux seuls ressortissants non communautaires, apparaît comme un traitement défavorable fondé sur la nationalité, qui n’apparaît pas justifié et proportionné à l’objectif poursuivi par la loi DALO qui est de garantir le droit à un logement décent pour les personnes les plus démunies ».
-
[17]
N. Demiati, « Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur et pompier-pyromane », in L. Mucchielli et V. Le Goaziou (dir.), Quand les banlieues brûlent… Retour sur les émeutes de novembre 2005, La Découverte, Paris, 2006, p. 58-76.
-
[18]
In L’Express, « Banlieues : changeons de cap », interview de Nicolas Sarkozy, 17 novembre 2005.
-
[19]
A. G. Hargreaves, « Quel bilan ? Les révoltes des banlieues à travers les livres », Le Monde diplomatique, novembre 2006, p. 28.
-
[20]
« Décret d’attribution du 31 mai 2007 relatif aux attributions du ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement », JO n° 125 du 1er juin 2007, p. 9964, texte n° 11.
-
[21]
J. Valluy, « Quelles sont les origines du ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration ? », Cultures & Conflits, n° 69, 2008, p. 7-18.
-
[22]
S. Slama, « Politique d’immigration… », art. cit. Voir également Gérard Noiriel, À quoi sert l’« identité nationale » ? Agone, Paris, 2007.
-
[23]
Cette dérive s’illustre par la réaction d’Éric Raoult, député UMP de Seine-Saint-Denis, dans un projet de lettre au ministre de la Culture Frédéric Mitterrand, visant à intimer à Marie NDiaye, prix Goncourt, un « devoir de réserve » : « Monsieur Éric Raoult attire l’attention de M. le ministre de la Culture et de la Communication sur le devoir de réserve, dû aux lauréats du prix Goncourt. En effet, ce prix, qui est le prix littéraire français le plus prestigieux, est regardé en France, mais aussi dans le monde, par de nombreux auteurs et amateurs de la littérature française. À ce titre, le message délivré par les lauréats se doit de respecter la cohésion nationale et l’image de notre pays. Les prises de position de Marie NDiaye, prix Goncourt 2009, qui explique, dans une interview parue dans la presse, qu’elle trouve “cette France [de Sarkozy] monstrueuse”, et d’ajouter “Besson, Hortefeux, tous ces gens-là, je les trouve monstrueux”, sont inacceptables. » Jamais les lauréats du Goncourt n’ont été soumis à un « devoir de réserve »; ce qui est significatif est que Marie NDiaye est noire et qu’il apparaît que ce devoir de réserve s’impose d’autant plus à elle qu’elle a bénéficié des « largesses » de la République et devrait, sa vie durant, faire profil bas et rester dans l’ombre, sinon pour chanter les louanges de la patrie…
-
[24]
Cette glorification du national est particulièrement visible dans l’instrumentalisation politique de l’histoire de France ; à ce sujet Sylvie Aprile, « L’histoire par Nicolas Sarkozy : le rêve passéiste d’un futur national-libéral », CVUH, http://cvuh.free.fr/spip.php?article82, 30 avril 2007 ; L. De Cock, F. Madeline, N. Offenstadt, S. Wahnich, Comment Sarkozy écrit l’histoire de France, Agone, Paris, 2008. Le projet d’un futur musée de l’histoire de France semble s’inscrire dans cette stratégie, cf. N. Bancel et H. Lebovics, « The Future of the French Past? President Nicolas Sarkozy’s Plan for a Museum of French History », French Postcolonial Studies, à paraître.
-
[25]
« Ce n’est pas un problème social, ce qui s’est passé. C’est un problème de truands. Ce sont des valeurs qui sont en train de disparaître. »
-
[26]
« Enfin, il faut le reconnaître… et je me dois de le dire… Nous subissons les conséquences de 50 années d’immigration insuffisamment régulée, qui ont abouti à un échec de l’intégration. Nous sommes si fiers de notre système d’intégration. Peut-être faut-il se réveiller pour voir ce qu’il a produit. Il a marché, il ne marche plus. » On retrouve, presque mot pour mot, la déclaration de Nicolas Sarkozy de janvier 2007, déjà évoquée.
-
[27]
G. Carcassonne, « La déchéance de nationalité est inconstitutionnelle », Le Nouvel Observateur, 6 septembre 2010.
-
[28]
Patrick Weil : « Nicolas Sarkozy fait perdre à la droite républicaine ses valeurs. » Propos recueillis par Arnaud Leparmentier, Le Monde, 3 août 2010.
-
[29]
Ibid.
-
[30]
Statistiquement et d’après L. Mucchielli (« Délinquance et immigration en France : un regard sociologique », art. cit.), le taux d’étrangers mis en cause pour des crimes et délits – hormis ceux inhérents à leur condition (travail au noir, faux papiers, infractions au séjour, etc.) – est remarquablement stable depuis plus de 15 ans, soit un total de 12 à 13 % des personnes mises en cause. 87 à 88 % des crimes et délits sont donc imputables à des Français. Si la proportion d’étrangers dans la population totale se situe entre 5 et 6 % sur cette période, le taux des crimes et délits au sein de la population étrangère est deux fois plus élevé que pour la population totale. Des facteurs sociologiques suffisent bien évidemment à expliquer cette surreprésentation.
-
[31]
J. Valluy, Rejet des exilés, op. cit.
-
[32]
M. Rigouste, L’Ennemi intérieur, op. cit. Voir également N. Bancel et alii, Ruptures postcoloniales, La Découverte, Paris, 2010.
-
[33]
Explication que l’on retrouve aussi bien chez Ralph Schor, Patrick Weil ou encore dans mes écrits.
-
[34]
J. Valluy, « Du retournement de l’asile (1948-2008) à la xénophobie de gouvernement : construction d’un objet d’étude », Cultures & Conflits, n° 69, 2008, p. 81-111.
- [35]
-
[36]
J. Valluy, Rejet des exilés, op. cit.
-
[37]
P. Simon, « “Race”, ethnicisation et discriminations : une répétition de l’histoire ou une singularité postcoloniale ? », in N. Bancel et alii (dir.), Ruptures postcoloniales, op. cit., p. 357-368 ; N. Guénif Souilamas, La République mise à nu par son immigration, La Fabrique, Paris, 2006 ; P. Blanchard, N. Bancel, S. Lemaire, La Fracture coloniale. La société française au prisme de l’héritage colonial, La Découverte, Paris, 2005.