Mouvements 2017/4 n° 92

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Article de revue

Autodétermination et police communautaire : Guerrero-Mexique

Pages 125 à 136

Notes

  • [1]
    Cet article reprend des éléments d’un mémoire de maîtrise en science politique intitulé « Autodétermination des peuples indigènes et autogestion : le cas de la police communautaire dans l’état de Guerrero (Mexique) », de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), 2013 [http://www.archipel.uqam.ca/5735/].
  • [2]
    Dans S. Serrano, El proceso de construcción de la identidad politica y la creación de la Policía comunitaria en la Costa-Montaña de Guerrero, thèse de doctorat, Université nationale autonome de Mexico (UNAM), 2006, p. 1.
  • [3]
    M.-A. Bartolomé, « Movimientos etnopolíticos y autonomías indígenas en México », in América Indígena, nos. 1-2, vol. 3, 1995, p. 375.
  • [4]
    Les seules statistiques officielles quant aux peuples indigènes au Mexique sont comptabilisées par rapport à la population âgée de plus de 5 ans parlant une langue indigène.
  • [5]
    Rapport annuel sur la pauvreté et le retard social (État de Guerrero), 2017, https://www.gob.mx/cms/uploads/attachment/file/186861/Guerrero.pdf
  • [6]
    Nous choisissons de traduire ici l’expression « agua entubada » qui signifie littéralement « eau entubée » par « eau courante » plutôt que « eau potable ».
  • [7]
    On se réfère également à la région haute de la côte comme étant la basse montagne ou « montaña baja » ; il s’agit de la partie montagneuse de la région de la Petite Côte.
  • [8]
    Fiches techniques des municipalités de l’État de Guerrero disponible en ligne à : http://www.municipios.com.mx/guerrero/mexico-12.html
  • [9]
    On témoigne de l’existence d’au moins deux communautés avec des groupes de policiers communautaires constitués informellement avant le Forum sur la sécurité et les services du 2 octobre 1995, soit dans les communautés d’Horcacitas et de Cuanacaxtitlán.
  • [10]
    Mirada desde las mujeres, 2009, p. 2.
  • [11]
  • [12]
    Certaines personnes ont acquis dans leur communauté, de par leur âge et expérience, un statut privilégié de « sage ». On s’y réfère habituellement en tant que « ancianos », qui n’a pas ici de connotation péjorative. Dans le cadre de la Police communautaire et de la CRAC, certains d’entre eux sont également officiellement nommés conseillers.
  • [13]
    L’Agence du Ministère Public, communément appelé « MP », est l’équivalent du bureau du Procureur général.
  • [14]
    Ces accusations mènent à l’incarcération par le Ministère Public d’un commandant régional, Agustin Barrera et d’un commissaire régional, Gelasio Barrera, et à la mise en accusation sans détention des commandants et policiers Faustino Pacheco, Ladislao Evangelista et Marciano Moreno.
  • [15]
    G. David, Cornélius Castoriadis : Le projet d’autonomie. Paris, Éditions Michalon, 1998, p. 95-98.
  • [16]
    E. Malatesta, L’anarchie, Montréal, Lux, 2004, p. 85.
  • [17]
    Les détenus sont appelés à travailler du lundi au samedi, ayant une journée de repos le dimanche.
  • [18]
    Le recensement est celui effectué dans le rapport « Criminalización de los defensores de derechos humanis y de la protesta social en México » et actualisé à travers les bulletins d’information diffusés sur le site www.policiacomunitaria.org.
  • [19]
    La criminalisation des membres de la PC-CRAC n’a pas mené à des sentences contre ceux-ci, mais il y a eu plusieurs dizaines d’arrestations et détentions de courte durée.
  • [20]
    Il s’agit dans le code criminel mexicain d’une infraction moindre reliée à l’enlèvement.
  • [21]
    Les commandants régionaux racontent avoir exigé que la table se tienne à l’extérieur, car ils craignaient d’être arrêtés s’ils entraient dans le bureau. Ils restent convaincus que leur seule défense contre l’arrestation arbitraire était l’appui des milliers de personnes et des centaines de policiers présents.
  • [22]
    On se réfère évidemment aux cartels narcotrafiquants, mais on ne pourrait réduire leurs activités au trafic de stupéfiants.
English version
« Nous avons appris à nous donner sécurité et justice avec les rares lois qui nous protègent en tant qu’indigènes. Nous savons que la construction de notre avenir est entre nos mains. »
Sosimo Avilés, ex-coordonnateur, Coordination régionale des autorités communautaires (CRAC) [2]

1La Police communautaire (PC) et la Coordination régionale des autorités communautaires (CRAC) de l’État de Guerrero, au sud du Mexique, offre un exemple d’expérience pratique d’une prise en charge autonome des enjeux de sécurité et de justice par la population. Leur existence oblige par ailleurs à remettre en question le rôle de l’État en matière de sécurité et de justice. Ma connaissance de cette expérience découle de ma présence sur le terrain pendant environ six mois, en 2006 et en 2007, en plus de mon travail de formation auprès de membres de la CRAC, de mes observations d’assemblées communautaires et régionales, de ma participation aux activités de la Commission juridique et de la consultation de divers documents internes, dont des procès-verbaux d’assemblées. Je suis aussi retournée à plusieurs reprises dans la région et j’ai eu l’opportunité de travailler avec la PC-CRAC sur l’enjeu de la criminalisation des personnes qui défendent les droits humains de 2008 à 2011, en raison de mon emploi dans l’organisation non-gouvernementale spécialisée dans les questions de droits humains et d’accès à la justice, Due Process of Law Foundation, basée à Washington D.C.

Autonomie indigène

2En Amérique latine, les revendications pour l’autodétermination s’inscrivent dans l’histoire longue du continent, mais elles sont de plus en plus marquées par la logique de la défense des droits des peuples indigènes. Elles apparaissent souvent comme une lutte juridique pour obtenir une certaine reconnaissance de la part de l’État postcolonial, au détriment de la possibilité de constituer des mouvements autonomes et de lancer des initiatives indépendantes de l’État, par exemple des projets autogérés ou des autogouvernements locaux. L’autodétermination apparaît alors comme un droit octroyé par l’État aux peuples indigènes, et le processus reste donc entre les mains du pouvoir étatique. Il est vrai cependant que ces appels au pouvoir étatique s’appuient souvent aussi sur des instances et des normes internationales, par exemple l’Organisation internationale du travail (OIT) et sa Convention 169 relative aux peuples indigènes et tribaux, pour légitimer les revendications indigènes face à l’État.

3Au Mexique, le soulèvement zapatiste de 1994 a provoqué une nouvelle dynamique régionale en réaction à l’approche néolibérale qui proposait de considérer la terre comme une marchandise, même celle cultivée par les indigènes. La réforme constitutionnelle de l’article 27 de la Constitution mexicaine en 1992 avait déjà incorporé au marché légal les terres en propriété collective (ejidos), mouvement de privatisation qui n’a fait que s’accentuer avec l’avènement de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) entré en vigueur le 1er janvier 1994. Il n’est d’ailleurs pas anodin que cette journée soit choisie par les Zapatistes pour déclencher leur soulèvement. Ce conflit s’inscrivait dans une longue tradition de lutte au Mexique autour de l’autogouvernement, lutte incarnée par trois courants principaux : l’autonomie régionale, l’autonomie communale et l’autonomie municipale.

4Le projet de l’autonomie régionale a été mis en avant par l’Assemblée nationale indigène plurielle pour l’autonomie (ANIPA), un acteur important du mouvement indigène national, fondée en 1995 à l’initiative du Front indépendant des peuples indigènes (FIPI), lui-même lancé au Chiapas en 1987. Ce modèle propose de regrouper les communautés indigènes et métisses à l’intérieur d’un territoire déterminé peuplé d’une majorité indigène.

5L’autonomie communale s’est développée en réponse au projet d’autonomie régionale, pour favoriser la reconnaissance de l’autonomie communautaire de fait. Selon cette approche, l’autonomie doit naître au sein de la communauté, avant de se projeter dans une structure régionale. La proposition d’autonomie communale est surtout défendue par des organisations indigènes des peuples mixes, zapotecas et mixtecas de l’État de Oaxaca et par des anthropologues de la région. Elle a trouvé un écho favorable au sein du Forum national indigène à San Cristóbal de Las Casas au Chiapas, en janvier 1996.

6Le projet d’autonomie municipale propose pour sa part d’inscrire l’autonomie à un niveau intermédiaire, entre la communauté et la région [3], pour tenir compte des profonds liens historiques, linguistiques et géographiques qui unissent les communautés entre elles. La proposition municipale valorise donc les réseaux intercommunautaires et ethnoculturels basés sur des affinités communes.

7L’espoir d’autonomie s’incarne aussi dans la production économique, par exemple à Guerrero par la formation de coopératives de café regroupant de petits producteurs·rices en grande majorité indigènes, mises en place suite à la disparition des services et des subventions étatiques offertes par l’Institut Mexicain du Café (INMECAFE), instauré en 1958 et remplacé en 1993 par le Conseil Mexicain du Café (CMC), dont la seule tâche était de faire la promotion du café mexicain. La création de coopératives de café en réaction au néolibéralisme a été l’occasion pour les indigènes de la région d’interagir au-delà des limites de leurs communautés. Sans idéaliser la démocratie au sein de ces coopératives, elles témoignent tout de même d’une capacité à s’organiser à l’extérieur de et sans les structures de l’État. Les coopératives de café ont ainsi servi de modèle d’organisation intercommunautaire pour les communautés indigènes de la région.

8Guerrero a également une longue tradition de lutte paysanne, syndicale et armée et, parallèlement, de répression étatique. Dans les années 1960 et 1970, deux guérillas y étaient particulièrement actives : le Parti des pauvres, dirigé par Lucio Cabañas, et l’Association civique nationale révolutionnaire, de Genaro Vázquez Rojas. Ces leaders avaient tous deux été formés comme enseignants à l’École normale rurale de Ayotzinapa. À cette époque, l’État de Guerrero est au cœur de la « guerre de basse intensité » menée contre les mouvements sociaux et les organisations paramilitaires d’extrême-gauche. Ces expériences de militance et de groupes armés intercommunautaires ont également eu des impacts sur les organisations subséquentes.

Autonomie et police communautaire

9L’apparition de la Police communautaire (PC) d’abord, puis de la Coordination régionale des autorités communautaires (CRAC), s’inscrit dans le cadre général de ces projets d’autonomie indigène – et métisses – de la région de la côte méridionale et de la montagne de l’État de Guerrero, au sud-ouest du Mexique. La PC et la CRAC se sont en partie inspirées des expériences des coopératives de café et de leurs propres us et coutumes pour organiser de manière autonome et coopérative la prise en charge de la sécurité par la population locale. Ces institutions peuvent être considérées comme un système autonome de sécurité, de justice et de rééducation indigène.

10L’État de Guerrero compte une population dont 17 % parle une langue indigène [4] et 4 % ne parle pas l’espagnol. Économiquement, la population de Guerrero est plus rurale que la moyenne mexicaine. L’État est l’un des plus pauvres du pays ; entre 2000 et 2015, il est passé du troisième au deuxième rang, au niveau national, en matière de retard social [5]. En 2000, 40 % de la population n’avait d’ailleurs pas accès à l’eau courante [6], ce chiffre étant toujours de 15 % en 2015. La région est également au cœur du narcotrafic qui engendre une violence inouïe. La Police Communautaire opère dans deux régions de Guerrero, la Costa Chica (côte méridionale entre Acapulco et la frontière avec l’État de Oaxaca) et la Montaña. La région haute (alta) de la Costa Chica [7] et la région de la Montaña sont les plus pauvres de Guerrero et celles où on retrouve les populations les plus marginalisées. Les municipalités de la Costa Chica et de la Montaña où opère la Police Communautaire sont de population indigène à 75 % [8].

11Une violence particulièrement intense y sévissait depuis les années 1980, liée à la délinquance organisée – braquage, vols de bétail, violences sexuelles, meurtres. Cette violence a provoqué parmi les habitants de la région une peur de se déplacer librement dans la montagne et de fréquenter le marché principal de la région, dans la petite ville de San Luis Acatlán, de crainte de se faire voler les marchandises en chemin vers le marché ou les recettes des ventes sur le chemin du retour. L’État mexicain n’a pas su ou voulu réagir adéquatement, sans doute en raison de la difficulté d’accès à la région et du manque d’intérêt économique ou électoral. Au milieu des années 1990, divers événements ont marqué les esprits de la population : l’assassinat de vingt-quatre paysans dans la communauté de Huautla le 9 février 1993 ; l’attaque du Père Mario Campos Hernández en 1994 ; le massacre par la Police motorisée de dix-sept paysans membres de la Organización Campesina de la Sierra del Sur (OCSS) à Aguas Blancas (dans la région Costa Grande) le 28 juin 1995 ; le viol collectif et le meurtre d’une fillette de douze ans revenant de l’école à San Luis Acatlán, en 1995 et le massacre dans la communauté de El Charco, le 7 juin 1998.

12Une première assemblée a été convoquée par la paroisse de la communauté de Santa Cruz El Rincon à l’été 1995, pour faire connaître aux autorités la situation et demander – en vain – qu’elles interviennent. Le 2 octobre de la même année est organisé un Forum sur la sécurité et les services (Foro sobre Seguridad y Servicios), à San Luis Acatlán, qui sera l’occasion de former de manière informelle quelques groupes de policiers communautaires [9]. Finalement, lors de l’assemblée régionale tenue dans la communauté de Santa Cruz el Rincón le 15 octobre 1995, les vingt-deux communautés présentes ont décidé officiellement de former la Police Communautaire. La Police communautaire répondait également à un besoin de sécurité accrue des coopératives pour faciliter le commerce dans la région.

13Plusieurs femmes racontent [10] qu’à l’été 1995 une série de vols et d’agressions sexuelles sur la route principale les avait contraintes à s’organiser pour demander à leurs commissaires municipaux de mettre en place une commission spéciale qui s’était rendue à Chilpancingo, la capitale de l’État de Guerrero, pour exiger de la police de l’État davantage de soutien dans leur région. Les femmes ont été un moteur pour la conformation de la Police communautaire. Elles ont participé activement aux efforts de mobilisation : porte-à-porte, collecte de fonds et assemblées de fondation. Plusieurs femmes ont également rempli des tâches d’appui importantes, particulièrement les conjointes et filles de policiers, commandants et coordonnateurs. D’emblée toutefois, le rôle principal de policier communautaire a longtemps été réservé aux hommes, puisqu’il s’agit d’un travail associé à des stéréotypes masculins et des références à la force physique.

14Malgré son caractère autonome, cette initiative restait en cohérence avec la Loi organique de la municipalité libre de l’État de Guerrero (« Ley Organica del Municipio Libre del Estado de Guerrero[11] »), dont l’Article 61 stipule que les municipalités ont la responsabilité de « maintenir la tranquillité, la sécurité et l’ordre public à l’intérieur de la municipalité » (Par. VI) ; de « prévenir la commission de délits et protéger les personnes, leurs propriétés et leurs droits » (Par. VII) ; d’« appuyer le Ministère public et les autorités judiciaires quand celles-ci le requièrent » (Par. VIII) et d’« appréhender les délinquants » (Par. IX et X). La Police communautaire a été la première composante d’un système communautaire de sécurité, de justice et de rééducation basé sur les us et coutumes indigènes. Promu par plus de 80 communautés indigènes, la Police communautaire comptait plus d’une vingtaine d’années après sa création près de 900 policiers opérant sur un territoire peuplé par environ 100 000 habitantes et habitants.

15Au départ, chacune des assemblées communautaires de la majorité des vingt-deux communautés a nommé un groupe de six à dix policiers supervisé par un commandant local et un commandant-suppléant, et leur ont assigné des mandats d’un an. La police communautaire est donc issue de la démocratie directe indigène, puisque c’est l’assemblée régionale qui nomme les coordonnateurs régionaux et les commandants régionaux, les policiers qui se chargeront de la coordination des trois régions. L’assemblée régionale reste la plus haute instance de la police communautaire : cette assemblée est formée des commissaires et des policiers de chaque communauté, mais tous les membres des communautés peuvent y participer et s’y retrouvent surtout des paysans, des professeurs, des militants actifs de mouvements sociaux et des partis politiques ainsi que des ancianos (personnes âgées) [12] impliqués dans la résolution des conflits communautaires et porteurs de la mémoire collective.

16Ces unités de police assuraient la sécurité à proximité de leurs communautés, effectuaient des patrouilles et « rondes » à pied et accompagnaient les camionnettes de transport collectif local entre leurs communautés et les centres municipaux. Les autorités civiles communautaires ont avisé le Secrétariat des affaires indigènes (Secretaria de Asuntos Indígenas) de Guerrero et le Gouverneur de l’État de la création de cette police communautaire, une initiative qui est initialement apparue relativement inoffensive aux yeux des autorités puisqu’elle n’impliquait pas de coûts pour l’État. En 1996 et 1997, des commandants de la Police de l’État et le 48e Bataillon d’infanterie de Cruz Grande ont même offert à certains groupes de policiers communautaires des formations sur la loi, la sécurité et le maniement d’arme. Le 48e Bataillon a remis à la police communautaire quelques armes de chasse déclassées et a validé le registre des armes à feu que possédaient les policiers communautaires. La Police communautaire répond éventuellement à certaines demandes du Ministère public et capture des personnes soumises à des mandats d’arrêt émis par les procureurs de l’État. De 1995 à 1998, la Police communautaire permet de diminuer la délinquance et la violence, arrêtant les délinquants pris en flagrant délit et les remettant à l’Agence du Ministère Public [13]. La Police communautaire jouait donc, informellement, un rôle de soutien au Ministère Public.

17Les groupes locaux de policiers communautaires ont commencé à se coordonner à partir de 1997 en créant un commandement régional – le « Comité exécutif » – qui permettait de coordonner de manière rotative la sécurité sur les axes principaux et s’est alors doté d’un système de radio à ondes courtes. La Police communautaire a aussi commencé à effectuer de nouvelles tâches, par exemple assurer la sécurité lors de fêtes traditionnelles des communautés voisines, patrouiller de manière préventive dans des quartiers de la ville de San Luis Acatlán et près de rivières pour empêcher la pêche illégale ou le vol de sable, assurer la sécurité de fonctionnaires et de présidents municipaux lors de réunions dans leur région, éradiquer des plantations de marijuana à proximité de communautés, surveiller les entrepôts de certaines coopératives de café de la région, tenir des barrages de contrôle routier avec les forces policières motorisées et judiciaires et le 48e Bataillon d’infanterie.

Rendre la justice

18À ses débuts, la police communautaire (PC) agit donc de manière autonome, mais sans se confronter directement à l’État, voire en collaborant avec les autorités. Cela dit, l’autonomie relative a aussi pour effet de placer la PC dans des rapports conflictuels avec les autorités officielles, en particulier le système de justice. En 1998, par exemple, la PC a été aux prises avec un cas important de corruption lors de l’arrestation d’Emiliano González Navarrete, un propriétaire terrien de la municipalité de San Luis Acatlán arrêté pour vol de bétail et remis aux autorités du Ministère Public, mais aussitôt relâché. Arrêté de nouveau par la Police communautaire, une assemblée communautaire spéciale a jugé de son cas, décrété sa culpabilité et ordonné sa détention. Il fugua toutefois et porta plainte contre la Police communautaire auprès des autorités de l’État, pour privation illégale de liberté [14].

19Ce cas spectaculaire a convaincu les communautés indigènes de la région que les plus privilégiés du pays avaient les moyens d’« acheter la justice », en conséquence de quoi elles ont décidé de fonder, lors de l’assemblée régionale d’octobre 1998, la Coordination régionale des autorités communautaires (CRAC), un nouvel organe autonome de justice qui respectera les us et coutumes indigènes en collaboration avec la PC. Les commissaires de la CRAC sont chargé·e·s des enquêtes, des entrevues avec les victimes, témoins et accusé·e·s et de l’analyse des faits, ils établissent l’innocence ou la culpabilité d’un·e accusé·e et contribuent à la médiation quant à la négociation pour la réparation des dommages et à la détermination de la sentence. Tant au niveau local que régional, les mandats sont rotatifs et sans salaire. Dans certains cas, les mandataires reçoivent un per diem, un montant forfaitaire ou un panier d’épicerie, mais ces rétributions restent assez marginales et souvent symboliques. Il y a habituellement peu de compétition pour occuper les postes de responsabilité mais, parallèlement, il est très rare qu’une personne mandatée se désiste de son mandat et refuse d’occuper ses fonctions. Cela dit, plusieurs communautés semblent préférer la nomination de commissaires sachant lire et écrire, et les femmes sont trop souvent exclues des postes de responsabilité.

20Les commissaires ne sont pas omnipotents, puisque les assemblées locales communautaires restent un lieu d’appel. Les parties peuvent alors exposer leur point de vue à l’assemblée. La collectivité forme à la fois le fondement du système de justice et son autorité suprême, transformant la pyramide judiciaire hiérarchique en un cercle communautaire démocratique. L’assemblée régionale est quant à elle l’autorité suprême du système communautaire, l’instance d’adoption des décisions définitives et sans appel. Elle est la seule instance en mesure de reconnaître l’adhésion de nouvelles communautés ; d’adopter des réformes au Règlement interne de la Police communautaire et de la CRAC ; ou d’accorder de nouvelles responsabilités aux coordonnateurs régionaux. L’assemblée régionale, plus qu’un simple mécanisme de freins et contrepoids (check and balance), est au cœur du système.

21Le système de justice se base sur les us et coutumes des communautés indigènes membres, ce qui ne signifie pas que les principes en soient figés dans la tradition, bien au contraire. Premièrement, les us et coutumes peuvent changer ou être interprétés différemment d’une communauté à l’autre ou d’un Peuple indigène à l’autre, même s’il y a suffisamment de similarités dans la région pour constituer une base commune pour fonder le système. De plus, ce processus de justice est l’« expression de l’interrogation permanente » des communautés, considérant qu’« une société juste n’est pas une société qui a adopté, une fois pour toutes des lois justes, mais une société où la question de la justice reste constamment ouverte [15] ».

22Les décisions ne se prennent pas nécessairement par consensus au sein des assemblées, communautaires et régionale, mais il reste très important de satisfaire l’ensemble des membres de la communauté dans la résolution d’un conflit, et non seulement les parties impliquées. En effet, tous les membres de la communauté, y compris les membres du système de sécurité et de justice, qui participent à une assemblée régionale sont appelés à se prononcer et à décider collectivement de la résolution d’une affaire qui pourrait paraître, en droit positif, comme une affaire privée. La présence d’avocats ou d’avocates est interdite, pour éviter la professionnalisation et la bureaucratisation de la justice et surtout des frais considérés inutiles, mais chaque partie peut toutefois être accompagnée par une personne de confiance à toutes les étapes du processus. De manière générale, de nombreuses personnes évoquent l’importance de prendre des décisions qui maintiennent le tissu social de la communauté. On aperçoit ainsi un concept de consensualisme qui n’est pas sans rappeler la prise de décision par consensus connue dans les milieux anarchistes. En effet, on privilégiera la participation de tous ceux et de toutes celles qui souhaitent intervenir, souvent sans considération pour la longueur des discussions ; on avantagera une approche basée sur le compromis plutôt que sur le vote majoritaire ; et on essaiera de prendre des décisions – par consensus ou par vote à la majorité – qui satisfont le plus grand nombre de membres. Enfin, tous les services de la CRAC sont accessibles dans les langues indigènes parlées dans les communautés membres et lors de la nomination des commissaires régionaux, une attention est portée à la conformation d’un groupe de commissaires pouvant s’exprimer tant en Nahualt, en Na savii (Mixteco) et en Mee’phaa (Tlapaneco).

23En ce qui a trait à l’application des sanctions, au contraire des juges, les commissaires régionaux n’ont pas la responsabilité d’établir la durée de la détention de l’accusé déclaré coupable. La sanction a une fonction punitive, mais il importe avant tout de réintégrer le ou les coupables. Le processus prend donc en considération la reconnaissance de l’erreur, les remords exprimés, l’amélioration du comportement, la motivation au travail, l’engagement auprès de la communauté, etc. La prononciation de sanction sans durée déterminée a mené certains juristes et des institutions gouvernementales à dénoncer la CRAC comme imposant des peines arbitraires. Le droit indigène tel qu’exercé par la CRAC se base fondamentalement sur le précepte que l’erreur est humaine et que la personne coupable a la responsabilité de cheminer pour retrouver le droit chemin ; en conséquence, la durée de la sanction – par exemple, effectuer des travaux communautaires – ne peut être fixée à l’avance. Cette approche rappelle des conceptions anarchistes de la criminalité, par exemple lorsque Errico Malatesta avançait que chez « celui qui commet des actes antisociaux, nous ne verrions pas l’esclave révolté, comme le fait le juge aujourd’hui, mais un frère malade ayant besoin de soin ». Il n’y aurait ainsi « aucune haine dans la répression » et il ne serait pas question de se venger, mais de soigner par la « réhabilitation sociale [16] ».

24Dans le système de la CRAC, la résolution s’effectue principalement selon six principes : la conciliation, la responsabilisation devant la communauté, la réparation des dommages (si possible), le travail communautaire, le pardon et la réinsertion sociale. À titre d’exemple, des méfaits mineurs comme un petit larcin ou une voie de fait mineure peuvent entraîner des travaux communautaires et une détention de quelques jours, en plus de la réparation des dommages ; des crimes plus graves comme des agressions sexuelles et des homicide ou tentatives d’homicide peuvent entraîner la confiscation de biens, des travaux communautaires et de la détention, en plus de la réparation des dommages. Les hommes condamnés à la rééducation sont réunis et détenus dans les communautés sous la garde des policiers communautaires du village. Ils sont sous la responsabilité de la communauté qui doit assurer leur alimentation. Les anciens de la communauté sont quant à eux responsables de discuter avec les personnes sanctionnées pour les aider à réfléchir sur leur comportement et les dommages encourus. Lors de leur détention, ils effectuent quotidiennement [17] des travaux communautaires pour appuyer les communautés, principalement des travaux de construction, la réfection des routes ou l’aide pour les récoltes. Toutes les deux semaines, un commandant régional de la Police communautaire assure leur transfert vers une autre communauté. Dans le cas des femmes condamnées, celles-ci sont habituellement assignées au bureau de la PC-CRAC et effectuent la préparation des aliments et d’autres tâches ménagères.

Femmes et justice

25Le rapport des femmes à ce système autonome de police et de justice est influencé par les normes patriarcales et la division sexuelle du travail. Par exemple, lors d’assemblées régionales, les femmes quittent souvent la réunion pour préparer des repas pour plus d’une centaine de personnes – après s’être d’abord mobilisées pour faire le porte-à-porte pour collecter la nourriture. Les femmes offrent aussi souvent la nourriture et le gîte aux policiers déployés sur leur territoire. La participation de leur conjoint comme policier ou comme coordonnateur implique aussi des coûts additionnels pour les femmes, même si cela peut leur permettre d’accomplir des tâches plus prestigieuses, par exemple les communications radiophoniques.

26Cela dit, une « Commission des femmes » a été mise sur pied en 1999 pour que des commissaires femmes puissent participer au processus d’enquête et d’administration de la justice dans les cas spécifiques où des femmes étaient mises en cause, en particulier lors d’accusations d’adultère, d’agression sexuelle et d’infanticide. En 2005, la Rencontre du 10e anniversaire de la Police communautaire a été l’occasion d’organiser une première Table de discussion des femmes (Mesa de Mujeres) pour traiter de la participation des femmes et de leurs droits dans le système de sécurité, de justice et de rééducation. En 2009, un groupe de femmes s’est constitué en « Promotrices de justice » (Promotoras de justicia) pour valoriser la contribution des femmes et sensibiliser les membres de la PC-CRAC au problème d’absence de participation féminine.

Confrontation et cooptation

27Depuis l’instauration de la Coordination régionale des autorités communautaires en 1998, près d’une cinquantaine de membres [18] de la PC-CRAC ont été victimes de répression judiciaire de la part des autorités officielles mexicaines, pour des actes réalisés en lien avec leurs fonctions. Des policiers, commandants et coordonnateurs ont été arrêtés et accusés [19] principalement pour privation illégale de liberté [20] et abus de pouvoir. Plusieurs de ces mandats d’arrêt ont été établis en vertu de plaintes déposées par des membres des familles de personnes détenues et condamnées par la CRAC. Ces familles ont aussi reproché à la CRAC de ne pas accepter les mordidas (pots-de-vin) en échange de la libération de prisonniers.

28L’un des événements majeurs de ce genre fut l’arrestation de tous les coordonnateurs régionaux en février 2002, et leur détention dans la prison municipale (CERESO) de San Luís Acatlán, suite à des accusations de privation illégale de liberté dans le cadre de leurs fonctions. Dès le lendemain, les communautés membres de la PC-CRAC manifestèrent contre ce qu’elles dénonçaient comme une violation éhontée de leur droit à administrer la justice selon leurs us et coutumes et la Agencia del ministerio publico, l’équivalent du bureau du procureur, fut encerclée par près de 500 policiers communautaires armés et près de 4 000 personnes. Une table de négociation fut érigée sur le parvis [21] du bureau du procureur et les commandants régionaux négocièrent la libération des détenus avec le procureur adjoint, et signèrent le premier Accord de coopération et de respect des instances judiciaires de la CRAC.

29Les tensions entre la police autonome et les autorités officielles ont également été palpables le 28 août 2012, alors que le coordonnateur régional Máximo Tranquilino Santiago a été détenu par la Police d’enquête ministérielle, également suite à des accusations de privation illégale de liberté pour son rôle dans la détention d’une femme condamnée pour avoir proféré des menaces de mort. Les 800 policiers de la Police communautaire se sont mis en état d’alerte et une commission spéciale de négociation de la PC-CRAC s’est rendue au bureau du Tribunal de première instance pour rencontrer le juge et lui expliquer que, selon l’interprétation de la CRAC, les actes du coordonnateur régional n’étaient pas des infractions criminelles en vertu de la Loi 701 sur la reconnaissance des droits et de la culture des peuples et communautés indigènes de l’État de Guerrero, adoptée en avril 2011. Devant son indifférence, les membres de la commission spéciale ont décidé de détenir le juge, son secrétaire et le fonctionnaire du bureau du procureur et son adjoint qui se trouvaient avec lui pour la négociation de la libération du coordonnateur. Ces quatre représentants du pouvoir judiciaire ont été transférés dans une communauté de la montagne et une assemblée régionale urgente a été convoquée le lendemain matin. Le 29 août, le coordonnateur régional a été relâché, le procureur reconnaissant qu’il n’y avait pas d’éléments suffisants pour sa détention et les quatre fonctionnaires furent libérés par la CRAC.

30Depuis 1998, plusieurs autorités, tant municipales qu’au niveau de l’État de Guerrero, ont proposé la « légalisation » de la Police communautaire. Les autorités municipales de San Luis Acatlán et Metlatonoc ont proposé aux policiers communautaires de s’intégrer au rang de la police préventive municipale, leur assurant ainsi un emploi et un salaire. En février 2007, le Congrès de l’État de Guerrero a adopté la Loi de sécurité publique de l’État de Guerrero qui proposait un plan d’intégration de la Police communautaire aux forces policières locales. Depuis l’adoption en 2011 de la Loi 701 sur la reconnaissance des droits et de la culture des peuples et communautés indigènes de l’État de Guerrero, les tentatives de cooptation de la Police communautaire et de la CRAC ont eu peu d’écho au sein de ces instances autonomes.

31Au tournant des années 2010, la Police communautaire comptait près de 900 policiers répartis dans 80 communautés. Depuis, ces communautés se sont fractionnées en diverses initiatives locales, au gré d’un processus de décentralisation, face à certaines luttes quant au leadership et en lien avec leurs alliances respectives avec divers partis politiques, mouvements sociaux ou autres groupes. La PC-CRAC compte aujourd’hui 200 policiers opérant dans quinze communautés.

32La Police communautaire et la Coordination régionale des autorités communautaires restent à ce jour un système de sécurité et de justice qui tente de répondre aux impératifs des communautés plutôt qu’aux intérêts des pouvoirs étatiques et capitalistes. Ces initiatives provoquent toutefois certaines tensions, tant à l’interne (par exemple, les luttes intestines entre la PC-CRAC et l’Union des peuples et organisations de l’État de Guerrero, UPOEG) que face à l’État qui criminalise les leaders locaux pour tenter de mater les organisations sur le terrain. Dans le contexte politique et social du Mexique aux prises avec un État central corrompu et en pleine déchéance d’un côté, et de l’autre un niveau élevé de crime organisé lié aux cartels [22] et à leurs luttes pour le contrôle territorial, les initiatives locales autonomes permettent d’assurer une certaine protection tout en respectant les us et coutumes des Peuples indigènes.

Notes

  • [1]
    Cet article reprend des éléments d’un mémoire de maîtrise en science politique intitulé « Autodétermination des peuples indigènes et autogestion : le cas de la police communautaire dans l’état de Guerrero (Mexique) », de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), 2013 [http://www.archipel.uqam.ca/5735/].
  • [2]
    Dans S. Serrano, El proceso de construcción de la identidad politica y la creación de la Policía comunitaria en la Costa-Montaña de Guerrero, thèse de doctorat, Université nationale autonome de Mexico (UNAM), 2006, p. 1.
  • [3]
    M.-A. Bartolomé, « Movimientos etnopolíticos y autonomías indígenas en México », in América Indígena, nos. 1-2, vol. 3, 1995, p. 375.
  • [4]
    Les seules statistiques officielles quant aux peuples indigènes au Mexique sont comptabilisées par rapport à la population âgée de plus de 5 ans parlant une langue indigène.
  • [5]
    Rapport annuel sur la pauvreté et le retard social (État de Guerrero), 2017, https://www.gob.mx/cms/uploads/attachment/file/186861/Guerrero.pdf
  • [6]
    Nous choisissons de traduire ici l’expression « agua entubada » qui signifie littéralement « eau entubée » par « eau courante » plutôt que « eau potable ».
  • [7]
    On se réfère également à la région haute de la côte comme étant la basse montagne ou « montaña baja » ; il s’agit de la partie montagneuse de la région de la Petite Côte.
  • [8]
    Fiches techniques des municipalités de l’État de Guerrero disponible en ligne à : http://www.municipios.com.mx/guerrero/mexico-12.html
  • [9]
    On témoigne de l’existence d’au moins deux communautés avec des groupes de policiers communautaires constitués informellement avant le Forum sur la sécurité et les services du 2 octobre 1995, soit dans les communautés d’Horcacitas et de Cuanacaxtitlán.
  • [10]
    Mirada desde las mujeres, 2009, p. 2.
  • [11]
  • [12]
    Certaines personnes ont acquis dans leur communauté, de par leur âge et expérience, un statut privilégié de « sage ». On s’y réfère habituellement en tant que « ancianos », qui n’a pas ici de connotation péjorative. Dans le cadre de la Police communautaire et de la CRAC, certains d’entre eux sont également officiellement nommés conseillers.
  • [13]
    L’Agence du Ministère Public, communément appelé « MP », est l’équivalent du bureau du Procureur général.
  • [14]
    Ces accusations mènent à l’incarcération par le Ministère Public d’un commandant régional, Agustin Barrera et d’un commissaire régional, Gelasio Barrera, et à la mise en accusation sans détention des commandants et policiers Faustino Pacheco, Ladislao Evangelista et Marciano Moreno.
  • [15]
    G. David, Cornélius Castoriadis : Le projet d’autonomie. Paris, Éditions Michalon, 1998, p. 95-98.
  • [16]
    E. Malatesta, L’anarchie, Montréal, Lux, 2004, p. 85.
  • [17]
    Les détenus sont appelés à travailler du lundi au samedi, ayant une journée de repos le dimanche.
  • [18]
    Le recensement est celui effectué dans le rapport « Criminalización de los defensores de derechos humanis y de la protesta social en México » et actualisé à travers les bulletins d’information diffusés sur le site www.policiacomunitaria.org.
  • [19]
    La criminalisation des membres de la PC-CRAC n’a pas mené à des sentences contre ceux-ci, mais il y a eu plusieurs dizaines d’arrestations et détentions de courte durée.
  • [20]
    Il s’agit dans le code criminel mexicain d’une infraction moindre reliée à l’enlèvement.
  • [21]
    Les commandants régionaux racontent avoir exigé que la table se tienne à l’extérieur, car ils craignaient d’être arrêtés s’ils entraient dans le bureau. Ils restent convaincus que leur seule défense contre l’arrestation arbitraire était l’appui des milliers de personnes et des centaines de policiers présents.
  • [22]
    On se réfère évidemment aux cartels narcotrafiquants, mais on ne pourrait réduire leurs activités au trafic de stupéfiants.
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