Notes
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Sociologues, respectivement à l’Université de Paris 8 et à l’EHESS.
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Tous les comptages qui suivent ont été calculés pour un jour de semaine à 8 h du matin. Merci beaucoup à la RATP pour son site internet très utile. www.ratp.fr
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Cela étant, la Sorbonne prend sa part de communes extérieures, la moyenne étant située à 41. Si on ne tient pas compte de l’annexe de Paris 2 à Melun, le « top 3 » des universités les moins ouvertes à la banlieue nous donne : Paris 2 avec seulement 8 communes sectorisées, suivie de Paris 7 (11) et Paris 10 (32). Les 3 universités les plus soumises à la sectorisation sont : Paris 13 (62), Paris 8 (57) et Marne la Vallée (52).
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[3]
Merci beaucoup à Louis Bertrand et à ses étudiants de nous avoir fourni ses données sur Paris 12.
« La capitale est, sans jeu de mots, au moins dans le cas de la France, le lieu du capital, c’est-à-dire le lieu de l’espace physique où se trouvent concentrés les pôles positifs de tous les champs et la plupart des agents qui occupent ces positions dominantes : elle ne peut donc être pensée adéquatement que par rapport à la province (et le « provincial ») qui n’est rien d’autre que la privation (toute relative) de la capitale et du capital. »
1En effet, et contrairement aux idées reçues, dès la 1re année, les universités sélectionnent et cette sélection tend à redoubler la ségrégation sociale et scolaire dont les premières victimes sont les élèves de classes populaires. En dehors des IUT qui se sont multipliés et qui recrutent sur dossier et/ou entretien un public de plus en plus dotés socialement et scolairement, de l’existence des doubles et bi-licence, qui permettent de créer des classes de niveau en attirant notamment les élèves de classes préparatoires, et des pratiques de l’ancienne université Paris Dauphine – bien connue pour les recours déposés au tribunal administratif par ses candidats malheureux –, etc. les bacheliers désirant entrer à l’université sont en premier lieu tenus de se soumettre à la sectorisation des universités. Une procédure qui introduit une sélection sur un critère d’abord, géographique. Nous étudions ici les effets de ce dispositif en Île-de-France pour les étudiants en économie et gestion.
Les principes d’une discrimination
2Mise en place au début des années 1990, c’est-à-dire dans un contexte de forte augmentation des effectifs étudiants et de création de plusieurs universités, la sectorisation des inscriptions en Île-de-France organise l’orientation des bacheliers selon deux critères : les capacités d’accueil des universités pour les disciplines demandées et le temps de transport des futurs étudiants. Le principe est simple : lorsqu’une discipline est tout particulièrement demandée et que les capacités d’accueil risquent de s’avérer insuffisantes, le nouveau bachelier doit s’en remettre à une nomenclature lui offrant « chaque fois que cela s’avère possible, le choix entre deux voire trois universités ». Quand on sait que le taux de réussite en premier cycle est très variable d’une université à l’autre, que le taux de chômage des non diplômés est deux fois plus élevés que celui des diplômés du supérieur et qu’à niveau de diplôme égal, le taux de chômage est très supérieur dans les quartiers populaires, cette procédure aurait de quoi séduire. On peut se dire qu’un tel dispositif pourrait être l’occasion de réduire, dans une certaine mesure, les inégalités. Ce ne fut pas la direction choisie par les différents gouvernements, recteurs d’académies et présidents d’universités.
3En effet, par la sectorisation, un nouveau bachelier qui souhaite s’inscrire en économie a des chances très variables d’intégrer les formations les plus prestigieuses. Surtout s’il est issu de milieu populaire et qu’il n’a pas eu le privilège d’avoir été scolarisé à Paris ou dans une banlieue chic de l’Île de France. Si on écarte d’emblée le cas des écoles et grandes écoles de commerce dont les recrutements, très élitistes ne sont pas soumis à la procédure, précisons tout de suite que les lycéens de la capitale- et les lycéens de la capitale seulement- ne sont pas sectorisés en économie. À la différence des élèves situés à la périphérie, les Parisiens n’ont ainsi que l’embarras du choix puisqu’ils ont le privilège d’être prioritaires dans toutes les facs parisiennes. Cela étant, tous les banlieusards ne sont pas non plus logés à la même enseigne. Lorsqu’on analyse les facs d’économie proposées par exemple aux bacheliers des Hauts-de-Seine, on constate qu’ils ne sont pas les plus mal lotis. De tous les départements de la région, le 92 est celui qui compte la part la plus élevée de communes sectorisées à Paris 1-Panthéon-Sorbonne, Paris 2-Assas, ou encore Paris 10-Nanterre, c’est-à-dire dans des universités parmi les plus reconnues en économie. Les bacheliers de Seine-Saint-Denis (93), et dans une certaine mesure ceux du Val-d’Oise (95), sont nettement moins chanceux puisque leur offre d’université est non seulement moins étendue que celle des lycéens des Hauts-de-Seine, mais surtout parce qu’elle se concentre principalement sur deux établissements très peu réputés pour leurs filières d’économie, à savoir Paris 8 et Paris 13. Au final, c’est 80 % des communes du 93 qui sont sectorisées dans ces deux universités, contre seulement 10 % des communes du 92. Inversement, 57 % des communes des Hauts-de-Seine sont rattachées à Paris 1, Paris 2 ou Paris 10, contre aucune de Seine-Saint-Denis et seulement une du Val-d’Oise.
Universités franciliennes proposées aux étudiants selon la localisation géographique de leur lycée au moment du baccalauréat
Universités franciliennes proposées aux étudiants selon la localisation géographique de leur lycée au moment du baccalauréat
4Ces différences ont leur importance quand on sait que la population des départements d’Île-de-France présente un profil social et scolaire très contrasté. Sans développer ici le cas de Paris dont la population est beaucoup plus favorisée que la moyenne nationale, les autres départements d’Île-de-France forment, à eux seuls, un espace social et scolaire à part entière. Pour s’en tenir aux deux zones les plus clivées – car on peut dessiner, à l’intérieur de chaque académie, un continuum allant des départements les plus favorisés aux plus populaires – on sait que la part de cadres supérieurs dans la population active varie presque du simple au triple du 93 au 92. Il en est de même de la part des diplômés du supérieur dans la population non scolarisée. Quant au taux de chômage, au sens du recensement, il est de 10,2 % chez les premiers et de 17,2 % chez les seconds. Or, l’origine sociale étant toujours étroitement corrélée à la réussite scolaire, ces différences se répercutent logiquement sur le profil des lycéens de chaque département. Alors que la Seine-Saint-Denis produit majoritairement des bacheliers technologiques et professionnels, les Hauts-de-Seine sont, de tous les départements d’Île-de-France après Paris, celui qui compte le plus de bacheliers généraux et le taux de réussite (toutes filières confondues) y est de 13 points supérieur à celui de la Seine-Saint-Denis. Autrement dit, les lycéens du 92 et du 93 n’ont pas vraiment le même profil. Et étant donné les universités qui leur sont proposées, ils ne partent pas avec les mêmes chances de succès.
Quelques indicateurs socio-économiques des départements d’Île-de -France
Quelques indicateurs socio-économiques des départements d’Île-de -France
Le petit commerce des « marchands de tapis »
5Alors certes, pour intégrer une université dite prestigieuse, il vaudrait mieux avoir un père cadre, diplômé du supérieur, et être titulaire d’un bac général obtenu dans les Hauts-de-Seine ou à Paris. Mais après tout, on peut encore faire preuve d’ouverture d’esprit et chercher une logique à cela. On peut se dire qu’on s’est soucié ici du confort des étudiants, en calculant leur temps de transport, et que, finalement, les relégués dans les universités les moins réputées ont au moins la contrepartie d’arriver plus rapidement sur leur lieu d’étude.
6Quand on y regarde de plus près, il n’est pas évident que ce fut le critère retenu. Prenons quelques exemples. Trois communes des Hauts-de-Seine sont tout de même sectorisées à Paris 8 et Paris 13. Si on s’intéresse à celles qui font partie des villes les plus populaires du 92 (Gennevilliers, Villeneuve-la-Garenne et Clichy-la-Garenne), on constate, d’après le site de la RATP, qu’il faut au départ de Clichy 36 minutes pour se rendre à Paris 8 [1] et 56 minutes pour se rendre à Paris 13. Soit un temps de transport en commun plutôt long pour ces futurs étudiants. D’autant plus long que pour se rendre à Paris I (métro Tolbiac, où sont « délocalisés » les 1er cycles), il ne leur faudrait que... 35 minutes, et pour se rendre à Paris 2, 33 en s’arrêtant à Port Royal, voire 29 minutes à condition de descendre au métro Saint-Placide. Les lycéens de Levallois-Perret sont plus chanceux que ceux de Clichy. On leur propose Paris 2 (à 37 minutes), Paris 10 (à 38 minutes) et la Sorbonne (à 43 minutes). S’ils considèrent que le temps est de l’argent – et que la réputation des établissements importe peu – ces derniers gagneraient pourtant 1 minute de transport en faisant leurs études à Saint-Denis (42 minutes). Mais Paris 8 ne leur est pas proposé. Autres exemple, les lycéens de Saint-Cloud, sectorisés à Paris 10-Nanterre (24 minutes), mais aussi à Paris 2 (39 minutes) et à Paris 1 (50 minutes). Pour une minute de moins (49 minutes), ces derniers seraient arrivés au pied de l’université Paris 8 et auraient pu contribuer à réduire, au moins pour quelques heures, la ségrégation sociale et « ethnique ». Et pour moins de 40 minutes de transport, on aurait pu proposer aux lycéens de Garges et Sarcelles, ou encore de Villiers-Le-Bel d’aller rue d’Assas.
7Sachant, en outre, que le maillage des transports dans la capitale est bien plus dense que celui de la banlieue parisienne, on aurait pu en profiter, au moins par souci d’efficacité, pour sectoriser certains Parisiens dans les universités périphériques. Du centre de Paris (Châtelet-les-Halles RER), il faut environ 46 minutes pour se rendre à l’université d’Évry, 45 minutes pour celle de Cergy, 42 minutes pour Paris 12, 36 minutes pour Paris 13 et seulement 35 minutes pour rejoindre Paris 8. Au départ des arrondissements périphériques, on aurait pu à coup sûr réduire considérablement le temps de transport de certains Parisiens, parfois condamnés à traverser tout Paris. Par exemple, on aurait pu penser aux bacheliers du 16e et 8e arrondissement, enclavés à l’Ouest, et souvent contraints de faire leurs études à la Sorbonne, faute d’avoir réussi à intégrer Dauphine ou une grande école de commerce. Pour se rendre à Tolbiac, il leur faut en moyenne 34 minutes de transport en commun à partir de la bien connue « rue de la Pompe », 36 minutes de Ranelagh, 37 minutes de la Muette ou Boulainvilliers, voire 41 minutes du métro Eglise d’Auteuil. À ce compte-là, autant envoyer les bacheliers des quartiers de La Courneuve et d’Aubervilliers à Paris 2 (25 minutes). Une opportunité qui leur aurait d’ailleurs été profitable puisqu’on leur propose Paris 8 Saint-Denis et Paris 13-Villetaneuse qui nécessite pour s’y rendre 45 minutes de transport... C’est sans aucun doute les vertus socialisatrices de transports en commun qui ont été prises en compte pour ces jeunes du 93.
8Ces quelques exemples illustrent bien les enjeux sociaux de la sectorisation et le chemin tracé par ses instigateurs. D’après « Monsieur Ravel », comme on l’appelle dans les CIO, « Si on avait voulu réellement faire une sectorisation, au grand sens du terme et prendre tout en considération, il aurait fallu qu’on tienne compte des lignes de train de la SNCF, des RER, des métros, et de tout le maillage des bus de l’ensemble de la région parisienne. Ca ne s’est jamais fait. Donc c’était un peu au feeling des universités de se dire « ah bah tient celui là, il habite là... enfin telle commune m’intéresse, elle n’est pas trop loin de chez nous, on va la prendre ». Mais concrètement, ça n’a jamais été chiffré combien de temps il fallait pour se rendre d’un point à un autre. Tout a été fait un petit peu au feeling. » Un partage du gâteau « au feeling », qui fut surtout l’occasion pour certaines universités de tirer leur épingle du jeu. En effet, si le découpage des communes sectorisées semble profiter autant aux lycéens des communes les plus favorisées, c’est certes parce qu’il existe une ségrégation urbaine concomitante d’une ségrégation sociale et scolaire mais c’est aussi parce que les universités parisiennes intra-muros les plus connues et reconnues ont cherché à préserver, voire à améliorer, leur recrutement social et scolaire : « Quand on faisait les réunions globales pour voir qui prenait quoi, comme ils ne s’étaient pas mis d’accord ensemble avant, c’était je dirais... un petit peu la guerre : « pourquoi tu me prends cette commune alors que moi je la veux ». C’était ça hein. De façon un peu virulente à certains moments. Mais seulement avec certaines universités. Ce ne sont pas les universités de la périphérie qui se sont battues, ce sont celles qui étaient à l’intérieur de Paris intra muros. Je vous l’ai dit, ça a été une période marchand de tapis. »
Ségrégation et reproduction
9Après avoir élucidé le principe de la sectorisation et sur les intentions de certains « marchands de tapis » (auquel il faudrait ajouter la contribution des différents acteurs politiques locaux, pris aussi dans des enjeux notamment électoraux), on peut essayer d’évaluer de façon plus systématique l’efficacité de ce petit marché. En fait, du côté des universités, l’analyse des communes qui leur sont rattachées nous donne un premier indicateur de leur ouverture relative aux populations périphériques à la capitale.
Répartition des communes sectorisées pour chaque établissement enquêté
Répartition des communes sectorisées pour chaque établissement enquêté
10Des quatre établissements enquêtés – une université dite « prestigieuse », située au centre de Paris (la Sorbonne), une université « nouvelle » en grande couronne (Évry-Val d’Essonne) et deux universités localisées dans la petite couronne (Paris 12-Créteil et Paris 8 Saint-Denis)-, on observe déjà que Paris I est la moins ouverte sur l’extérieur dans la mesure où elle ne compte que 42 communes sectorisées contre 57 à Paris 8 [2]. Alors certes, elle a le privilège d’accueillir d’abord les bacheliers parisiens qui ne sont pas sectorisés. Mais lorsqu’on examine les communes qui lui sont rattachées, on constate que son recrutement est moins concentré sur chaque département d’Ile-de-France, notamment sur le plus populaire d’entre eux – la Seine-Saint-Denis- puisqu’aucune de ses communes n’y sont rattachées. Les autres universités, en particulier l’université d’Évry qui compte 91 % de ses communes sectorisées dans l’Essonne, ont un recrutement moins dispersé, ce qui tend a priori à homogénéiser le profil de leur public de 1re année selon celui de la population de chaque zone géographique rattachée.
11Il est possible de le vérifier pour les 4 universités enquêtées [3]. Les deux tableaux suivant nous donnent le profil social et scolaire des étudiants en 1re année d’économie, présents en cours, sectorisés dans chaque université. Les différences sont plutôt fortes. La part d’enfants de cadres supérieur passe 3 % à Paris 8 à... 39 % à la Sorbonne. Paris 12 et Évry occupant une position intermédiaire. Inversement, la part d’enfants d’ouvriers varie du simple au quadruple de la Sorbonne à Paris 8, et la part d’étudiants boursiers varie du simple au double. Mais cette ségrégation n’est pas seulement économique et sociale. La Seine-Saint-Denis étant aussi le département d’Île de France comptant le plus d’étrangers et d’immigrés-émigrés, elle est aussi « ethnique » : plus de la moitié des parents des étudiants sectorisés à Paris 8 sont de nationalité étrangère contre environ un quart à la Sorbonne et à Évry, et moins de 20 % à Créteil. Si on compare maintenant le type de bac, on observe que les bacheliers généraux forment plus de 97 % des étudiants sectorisés à la Sorbonne, contre 88 % à Paris 12, 80 % à Évry et seulement 53 % à Paris 8. Et si on rentre dans le détail des bacs généraux, on observe que le bac qui donne aujourd’hui le plus de chance de réussir ses études supérieures est très largement surreprésenté à la Sorbonne puisque la part des titulaires d’un bac S varie du simple au triple quand on va de Paris 8 à Paris 1. Inversement, les titulaires des baccalauréats les plus dévalués et qui préparent le moins bien à l’université, c’est-à-dire les bacs technologiques et professionnels, forment presque la moitié des étudiants de Paris 8 contre seulement 2 % à la Sorbonne, un établissement manifestement peu ouvert à ces nouveaux bacheliers. Quant à l’âge au baccalauréat, autre indicateur des chances survie dans l’enseignement supérieur, pas de surprise : la part de bacheliers à l’heure ou en avance parmi les étudiants sectorisés varie de 64 % à la Sorbonne (et 67 % à Paris 12) à... 20 % à Paris 8. Ce qui signifie que 80 % des étudiants d’économie sectorisés dans cet établissement ont redoublé au moins une fois durant le secondaire. Dans ces conditions, on ne s’étonnera pas que la probabilité d’obtenir sa licence en 3 ans passe de 76 % à la Sorbonne à 41 % à Paris 8.
Origine sociale des étudiants sectorisés
Origine sociale des étudiants sectorisés
Type de bac et âge au bac des étudiants sectorisés
Type de bac et âge au bac des étudiants sectorisés
12Les résultats sont donc nets. Telle que la sectorisation est appliquée, c’est-à-dire selon un critère géographique discriminatoire auquel ont contribué les marchandages de certains présidents d’université, elle tend à tenir chacun à sa place en concentrant les publics les plus dominés dans les institutions les plus dominées.
13Mais on peut aller plus loin. On peut chercher à mesurer l’effet propre de la sectorisation sur le recrutement global de chaque université. En effet, les étudiants sectorisés ne forment qu’une partie du public de première année. Il y a aussi tous les non-sectorisés c’est-à-dire, dans les établissements enquêtés, tous les bacheliers de province, ceux des lycées français à l’étranger, de même que les titulaires d’un titre étranger, auxquelles s’ajoutent aussi les réorientés, les personnes en reprises d’études, ainsi que les élèves, souvent de milieux populaires, qui n’ont pas formulé leurs « vœux » lors de la préinscription sur internet. Au final, cela représente tout de même du monde : 21 % du public présent en cours à Évry, 29 % à la Sorbonne (en comptant les parisiens comme sectorisés), 31 % à Paris 12 et 57 % à Paris 8... Ceux-là aussi sont sélectionnés, l’université n’étant d’ailleurs pas obligée de justifier son refus.
14Pour connaître l’impact de la sectorisation sur le recrutement global de chaque institution, une façon simple de procéder est de comparer le profil des étudiants sectorisés à celui des étudiants non sectorisés et de mesurer les écarts. La réponse apparaît nuancée. Plus précisément, les effets de la sectorisation semblent différenciés selon l’université, et finalement selon le degré de ségrégation sociale et scolaire des communes qui leur sont rattachées. À la Sorbonne la sectorisation, telle qu’elle a été négociée, semble ne pas avoir d’incidence sur le recrutement global, le profil des étudiants sectorisés étant très proche de celui des étudiants non sectorisés. Ce qui signifie que, du point de l’institution, « l’ouverture » à la banlieue a été opérée en limitant les dégâts... À Paris 12 et Évry, les effets sont plus ambigus : la sectorisation tend à réduire la part d’enfants de cadres supérieurs ainsi que la part de bacheliers scientifiques. Mais en même temps, elle tend à réduire la part de boursiers et à augmenter la part de bacheliers à l’heure ou en avance. En fait, c’est surtout pour Paris 8 que les effets apparaissent les plus nets et les plus importants puisque la sectorisation tend très fortement à augmenter la part d’enfants d’ouvriers, de boursiers, de bacheliers technologiques et professionnels et réduisant très fortement le poids des enfants de cadres sup, des bacheliers scientifiques et, plus généralement, de bacheliers à l’heure ou en avance. Autrement dit, c’est dans l’institution enquêtée la plus dominée que la sectorisation semble le plus accentuer la ségrégation sociale, scolaire et spatiale.
15Néanmoins, il convient de nuancer un peu ces résultats. En effet, on saisit ici les effets de la sectorisation à partir de l’affectation effective des étudiants. Or on sait que certaines familles mettent en place des stratégies pour ne pas être reléguées dans certains établissements. Ces pratiques d’évitement, bien connues dans l’enseignement de niveau secondaire, rappellent l’existence d’une autre forme de sélection dans l’orientation scolaire : le sens du placement, lequel reste inégalement distribué selon les milieux sociaux.
Écart entre le profil des étudiants sectorisés et non sectorisés
Écart entre le profil des étudiants sectorisés et non sectorisés
16Étant donné les effets négatifs que semble avoir la sectorisation, celle-ci apparaît comme une arme potentiellement efficace pour qui voudrait réduire les inégalités sociales devant l’école. Et ce d’autant plus, lorsque l’on sait que la composition sociale de l’établissement a un impact sur les aspirations sociales et scolaires des élèves. À l’heure de la mise en concurrence généralisée des formations du supérieur et de ses étudiants, la procédure de sectorisation pourrait donc constituer le cheval de Troie d’une politique volontariste musclée qui dépasse la « discrimination positive » démagogique de certaines grandes écoles. Reste qu’il faudrait pour cela s’opposer collectivement aux réformes en cours, et en premier lieu au processus de Bologne et à la fameuse « économie de la connaissance » qui, en prônant la création de « pôles d’excellence », contribuera inévitablement à hiérarchiser davantage les différentes institutions de l’enseignement supérieur. Une hiérarchisation qui, on l’a vu, profite souvent aux mêmes étudiants.
Notes
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Sociologues, respectivement à l’Université de Paris 8 et à l’EHESS.
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Tous les comptages qui suivent ont été calculés pour un jour de semaine à 8 h du matin. Merci beaucoup à la RATP pour son site internet très utile. www.ratp.fr
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Cela étant, la Sorbonne prend sa part de communes extérieures, la moyenne étant située à 41. Si on ne tient pas compte de l’annexe de Paris 2 à Melun, le « top 3 » des universités les moins ouvertes à la banlieue nous donne : Paris 2 avec seulement 8 communes sectorisées, suivie de Paris 7 (11) et Paris 10 (32). Les 3 universités les plus soumises à la sectorisation sont : Paris 13 (62), Paris 8 (57) et Marne la Vallée (52).
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Merci beaucoup à Louis Bertrand et à ses étudiants de nous avoir fourni ses données sur Paris 12.