Mouvements 2001/5 no18

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Article de revue

Les jurys citoyens en Espagne : vers un nouveau modèle de démocratie locale ?

Pages 132 à 137

Notes

  • [*]
    Universitat autónoma de Barcelona. Texte traduit de l’espagnol par Véronique Giraud.
  • [1]
    Pour une analyse détaillée des divers mécanismes participatifs qui sont utilisés en Espagne, voir J. Font (dir.), Ciudadanos y Decisiones Públicas, Ariel, Barcelona, 2001.
  • [2]
    La majorité des expériences en Espagne oscille entre cinquante et cent personnes. L’explication qui sera donnée par la suite sur la méthodologie des jurys citoyens repose sur les expériences espagnoles. Certains aspects ont été envisagés de manière différente dans des pays comme l’Allemagne, les USA, et la Grande-Bretagne, où existent aussi des expériences de ce type.
  • [3]
    J. Font et L. Medina, « Consejos Ciudadanos en España : un despilfarro europeo ? », in J. Font, Ciudadanos…, op. cit.
  • [4]
    J. Fiskin, The Voice of the People, Yale University Press, New Haven, 1995.
  • [5]
    P. Dienel, Die Plannungszelle, Westdeutscher, Opladen, 1997.
English version

1 Ces dernières années, nous avons assisté en Espagne à la multiplication d’expériences novatrices sur le plan de la démocratie locale et à l’éclosion d’un débat riche et intense sur la nécessité et la possibilité de développer la participation citoyenne à la gestion [1]. Les jurys citoyens sont l’un des instruments les plus originaux. Ils sont plus connus en Espagne en tant que Conseils citoyens ou Noyaux d’intervention participative (NIPs).

2 Depuis 1992, une vingtaine d’expériences du type jurys de citoyens se sont déroulées et la tendance est clairement à la hausse. Que sont les jurys citoyens ? Quelles sont leurs caractéristiques de base et comment se sont-ils développés en Espagne ? Telles sont les questions que nous aborderons dans cet article, en réfléchissant sur leurs implications en termes de démocratie locale.

•Que sont les jurys citoyens ?

3 Bien que tout le monde soit d’accord sur la nécessité de renforcer la participation citoyenne dans les processus politiques, les incertitudes commencent dès qu’il s’agit de mettre en marche des expériences et des instruments concrets. Beaucoup disent par exemple que ceux qui participent sont toujours les mêmes et qu’ils sont peu représentatifs de l’ensemble de la population ; ou encore que le citoyen de base n’est pas suffisamment informé des affaires publiques, qu’il a une vision biaisée, individualiste et à très court terme des problèmes qui l’entourent ; ou que les décisions prises par les citoyens ne sont pas le résultat d’un processus de réflexion et de délibération collective, mais plutôt le fruit d’opinions irréfléchies et individualistes.

4 Les jurys citoyens sont un instrument de participation citoyenne qui essaie de donner une réponse à ces critiques. D’une part, à travers le tirage au sort des participants, on vise à ce que les citoyens qui participent soient représentatifs de l’ensemble de la population, qu’ils soient aussi pluriels et hétérogènes que l’ensemble de la population : il faut que participent des hommes et des femmes, des jeunes et des adultes, des autochtones et des émigrés, des universitaires et des personnes n’ayant pas fait d’études… D’autre part, les jurys citoyens offrent un espace où les participants peuvent s’informer et débattre en profondeur du problème posé. En reconnaissant que le citoyen de base ne dispose pas normalement d’éléments complets d’information concernant des affaires publiques spécifiques, la méthodologie des jurys citoyens met l’accent sur l’information en tant qu’élément de base de tout le processus participatif. Enfin, les jurys citoyens ouvrent un espace à la délibération, au débat et à la discussion collective qui permet aux participants de saisir la complexité des intérêts, des préférences et des valeurs qui sont en jeu dans la décision qu’ils doivent prendre. L’idée est la suivante : un groupe relativement réduit de citoyens [2] choisis par tirage au sort sur les listes municipales se réunit pendant deux ou trois jours à temps complet pour s’informer et débattre en commun sur une question d’intérêt public. À l’issue de ce processus délibératif, les citoyens devront se prononcer sur la question à l’ordre du jour. La méthodologie des jurys citoyens se déroule en trois étapes.

La sélection des participants

5 La philosophie qui préside aux jurys citoyens souligne que les processus d’autosélection – de participation volontaire – entraînent normalement de graves déformations, de type sociodémographique et sociopolitique, quant à la représentativité des personnes impliquées. Ces déformations affectent la légitimité démocratique des processus participatifs. Les jurys citoyens sélectionnent au hasard les participants à partir des listes municipales, ce qui implique que seul le critère d’âge (il faut être majeur) est un obstacle pour être désigné. La sélection aléatoire des participants permet que n’importe quel citoyen ait les mêmes chances de faire partie de ce processus participatif (elle préserve le principe d’égalité politique) et elle garantit de plus que ceux qui participent soient réellement pluriels, aussi hétérogènes que l’est en réalité l’ensemble de la population (principe de représentativité). Pour que ces principes puissent être vraiment respectés, on offre aux personnes sélectionnées une série de stimulants et de compensations qui facilitent leur participation : organisation de garde pour les enfants ou les personnes âgées dont s’occupent éventuellement les personnes sélectionnées, gestion des absences au travail, organisation des transports, voire même, dans certains cas, rémunération économique de la participation.

Tenue des jurys citoyens : information et débat

6 La participation d’un nombre prédéterminé de citoyens étant confirmée, on procède à la tenue des jurys citoyens. Normalement, les participants se divisent en deux ou trois jurys qui se déroulent simultanément et séparément en suivant le même agenda de réunions et d’exposés. Durant deux ou trois jours à temps complet, les citoyens seront informés et débattront sur la thématique qui leur a été proposée afin qu’ils disposent de toute l’information nécessaire et d’éléments de réflexion suffisants avant d’adopter une position. Pendant ces journées, les participants reçoivent une information provenant de différentes sources : techniciens de l’administration locale, experts indépendants et représentants du monde associatif. Tout cela a une double finalité : rassembler une information technique exhaustive sur la problématique posée et identifier des critères politiques et moraux sur lesquels reposeront leurs décisions. Les participants bénéficient aussi de divers espaces pour pouvoir délibérer entre eux, échanger des opinions, se mettre d’accord sur les questions à poser aux intervenants et essayer d’arriver à un accord sur les questions débattues. Les assemblées plénières se combinent avec des débats dans des groupes plus restreints de quatre à six personnes, dans lesquels les individus plus timides et moins aptes à prendre la parole trouvent des conditions plus adéquates pour pouvoir exprimer leur opinion. Tous les débats sont modérés par des moniteurs dont la fonction est essentiellement d’équilibrer les discussions, de permettre que tous les participants puissent exprimer leur opinion et d’éviter que personne ne limite la liberté d’expression des autres personnes. Lors de la dernière session des jurys, les participants devront répondre individuellement et de manière anonyme à un questionnaire comportant une vingtaine de questions portant sur le thème des débats.

Rapport citoyen

7 En partant des réponses qui ont été données dans les questionnaires, et en rassemblant les opinions qui se sont manifestées lors des différentes sessions de débats, l’équipe qui a organisé le processus participatif élabore un compte-rendu, qu’elle présentera comme « le Rapport citoyen ». Ce rapport explique les résultats du questionnaire, la dynamique des débats dans les deux ou trois jurys et les conclusions que l’institution promotrice devrait tirer de ce processus délibératif. Afin de compenser la concentration du pouvoir au sein de l’équipe rédactrice lors de l’élaboration du compte-rendu, les jurys citoyens élisent une Commission de participants dont la fonction est de superviser le travail de rédaction, d’introduire toutes les modifications jugées nécessaires et d’approuver le rapport final. Enfin, celui-ci est présenté par la commission lors d’une réunion publique en présence de tous les participants et de l’institution ayant convoqué ce processus consultatif.

•Un panorama des jurys citoyens en Espagne

8 La première expérience de jurys citoyens en Espagne a eu lieu à Idiazabal, une petite localité du Pays basque. Depuis lors, une vingtaine d’expériences de ce type ont eu lieu, la grande majorité en Catalogne et au Pays basque. Dans ces deux régions, les jurys citoyens commencent à jouir d’une certaine popularité et de nombreuses municipalités projettent d’utiliser ce mécanisme pour résoudre de manière participative certaines affaires locales. Au Pays basque, la combinaison entre un climat de violence, une grande polarisation politique et une forte tradition de participation a favorisé la mise en œuvre de nouveaux instruments citoyens dans la prise de décisions locales [3]. Grâce au travail de diffusion de la Diputación de Barcelone et à l’aide technique et financière de la Fondation Jaume Bofill, cette méthodologie a ensuite été utilisée en Catalogne. Le Laboratorio de Estudios et le Citcon (tous deux rattachés à l’Université du Pays basque), la Fondation Jaume Bofill et l’Équipe d’analyse politique de l’université autonome de Barcelone ont été les principales institutions qui ont impulsé et géré ces expériences.

9 La plupart du temps, l’initiative est venue des mairies elles-mêmes qui, convaincues par des informations provenant de ces institutions ou par les expériences réalisées par d’autres municipalités, ont compris que les jurys citoyens pouvaient être une véritable solution participative pour résoudre des affaires locales particulières. Il n’est pas facile de dégager les motivations qui ont amené des municipalités à développer ce type de consultations. Quelques partis politiques de gauche ont adopté la démocratie participative comme nouvelle identité idéologique ; de nombreux responsables politiques locaux ont choisi la participation citoyenne comme solution à des conflits épineux ; beaucoup d’autres y ont vu une manière de renforcer leur popularité moyennant un coût politique modique. Dans un seul cas, celui de Cardedeu, municipalité des environs de Barcelone, l’initiative vint explicitement et formellement d’une entité citoyenne, non institutionnelle. Cependant, dans la quasi-totalité des cas, l’organisation technique a été confiée à une équipe externe, travaillant dans le cadre de l’université et sans relation institutionnelle ou politique avec l’institution demandeuse. En dehors de la thématique et de la date de la consultation, qui sont généralement décidées par les partenaires locaux, l’équipe organisatrice jouit en général d’une grande autonomie de décision en ce qui concerne les aspects clés des jurys citoyens : l’agenda thématique des sessions, les sources d’information, le contenu du questionnaire final ou la rédaction du Rapport citoyen sous le contrôle de la Commission de participants. Normalement, l’équipe externe a utilisé cette autonomie pour négocier toutes ces décisions avec l’ensemble des acteurs associatifs, politiques, institutionnels et privés impliqués. Dans de nombreux cas, une commission politique de suivi du processus consultatif a été créée, dans laquelle étaient représentés les différents partis politiques siégeant dans l’institution et certaines entités citoyennes.

10 La grande majorité des thèmes abordés dans les jurys espagnols ont tourné autour de questions liées à la planification urbaine, à l’utilisation des espaces urbains ainsi qu’à l’aménagement d’équipements et d’infrastructures locaux. On compte cependant quelques expériences dans le champ social, concrètement celui de l’immigration. Dans le cas de Corbera de Llobregat, une petite ville de la banlieue de Barcelone, les participants ont débattu et se sont mis d’accord sur des mesures visant à favoriser l’intégration des émigrés extracommunautaires dans la ville. Dans d’autres cas, les jurys ont eu à se prononcer sur des points relativement concrets : à Montornès del Vallès, les participants durent par exemple choisir entre trois projets alternatifs d’aménagement d’une nouvelle place publique et d’un nouveau parc urbain en centre-ville. À Sant Quirze del Vallès ou Cardedeu, les jurys citoyens ont défini les critères de base qui devraient présider à la planification urbaine de la municipalité.

11 Le point crucial est cependant de savoir jusqu’à quel point l’institution demandeuse suivra les recommandations formulées par les participants. On a assisté à une grande variété de cas. Ils vont des mairies ayant suivi au pied de la lettre les propositions formulées par le jury jusqu’à celles qui n’en ont tenu aucun compte, soit parce qu’elles ont changé de couleur politique et que les nouveaux élus ne reconnaissent pas la légitimité de la consultation, soit parce que la municipalité n’a pas pris en considération les résultats d’un processus qu’elle avait elle-même impulsé. La majorité des cas correspondent à une situation intermédiaire : des processus interminables quant à l’application des résultats (comme à Rubi), des applications partielles et parfois arbitraires des propositions des jurys.

•Vers un nouveau modèle de démocratie locale ?

12 Les jurys citoyens ne sont que l’un des mécanismes fort nombreux que l’on peut utiliser pour organiser la participation citoyenne dans la prise des décisions politiques. Il a quelques avantages, mais aussi quelques défauts, par rapport à d’autres méthodes participatives, comme les conseils de quartier, les référendums, les assemblées… Ses deux principales vertus résident, du moins en théorie, dans la représentativité des participants et dans la volonté d’offrir un véritable espace d’information et de délibération collective. Les jurys citoyens ont cependant rencontré critiques et scepticisme dans certains secteurs, tant conservateurs que progressistes. De façon très schématique, ces critiques peuvent se répartir en trois blocs. Les unes remettent en question la capacité de la méthodologie des jurys citoyens à atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés. Ce qui est mis en question, c’est la capacité des jurys à obtenir un échantillon réellement représentatif de l’ensemble de la population, parce que la participation aux jurys est, en définitive, volontaire, et surtout à cause du nombre réduit de participants. Les évidences empiriques montrent pourtant que malgré quelques distorsions, les jurys citoyens atteignent des niveaux de représentativité incomparablement plus élevés que d’autres mécanismes participatifs.

13 Dans le même ordre d’idées, les critiques ont demandé jusqu’à quel point trois ou quatre jours de débat suffisent à garantir l’assimilation par les participants de toute l’information qui leur est proposée et dans quelle mesure ils auront suffisamment réfléchi à la question posée. Sans prétendre résoudre définitivement la question, les diverses expériences qui ont eu lieu en Espagne montrent que le facteur déterminant est d’adapter le traitement du thème et les questions posées aux conditions dans lesquelles se déroule la consultation. Les participants ont démontré leur capacité à comprendre les axes essentiels du débat et ont pu mettre en œuvre leur propre expérience, leur sens commun et leurs propres valeurs pour se situer de manière réfléchie et raisonnable face aux questions qui leur étaient posées. Les jurys citoyens n’ont jamais eu la prétention de transformer en quelques jours les participants en experts du thème abordé. Pour résoudre les questions techniques, les techniciens sont là. Les jurys citoyens reposent par contre sur l’idée que les décisions politiques sont surtout prises en fonction de valeurs et de choix politiques, et que les citoyens peuvent et doivent jouer un rôle fondamental dans cette dimension. De même que l’on n’exigera jamais d’un homme politique qu’il résolve les aspects techniques d’un plan d’urbanisme, de même on ne peut exiger cette capacité des citoyens. En somme, le citoyen joue dans les jurys à être un homme politique : il écoute les différentes opinions, il rassemble les informations essentielles sur un thème et, finalement, il prend une décision. Les valeurs, les conceptions idéologiques, la sensibilité éthique et morale sont les aspects déterminants de la prise de décision, contrairement à ce que défend l’illusion technocratique.

14 Un autre bloc de critiques, sans doute plus pertinentes, s’attaque aux conditions politiques dans lesquelles se déroulent les jurys citoyens, le point crucial étant : qui contrôle l’agenda politique de la participation ? Qui décide sur quoi, quand et comment il faut consulter les citoyens ? Le contrôle qu’exercent les élus sur l’agenda de la participation réveille une certaine méfiance parmi les citoyens quant aux motivations de la mairie. Les citoyens, n’étant pas habitués à être consultés par leurs représentants politiques, voient avec suspicion l’apparente obsession que beaucoup d’entre eux semblent avoir de les consulter. Même si la présence d’un organisateur extérieur permet de réduire fortement les doutes sur la neutralité politique du processus, il est cependant crucial que cette équipe comprenne qu’elle joue sur un terrain conflictuel et que sa fonction, avant de se soumettre aux intérêts de celui qui paie, est de jouer les médiateurs entre les acteurs en conflit. Le consensus politique et social sur la légitimité du mécanisme participatif est la clé du succès de ces processus.

15 Un autre point épineux est le degré d’effectivité que peuvent avoir les résultats de la consultation sur l’action de la municipalité. D’un côté, il y a ceux qui croient que les résultats ne peuvent et ne doivent pas avoir un caractère contraignant, mais seulement consultatif ; de l’autre se situent ceux qui pensent que cela n’a aucun sens d’organiser un tel processus si l’on ne tient pas compte des propositions des citoyens. En tout cas, les participants exigent la garantie qu’ils ne sont pas en train de perdre leur temps, et c’est pourquoi les mairies rencontrent des difficultés imprévues pour justifier l’organisation d’une consultation dont elles ne tiendraient pas compte par la suite. Alors que certains espèrent que ce type d’expériences aidera à réduire la distance entre les citoyens et les hommes politiques, il est prévisible que si on ne fait pas cas de leurs propositions, le cynisme politique augmentera encore et que l’espoir de réconcilier la politique et les citoyens ne fera que reculer.

16 Le troisième groupe de critiques s’attaque aux principes mêmes des jurys. Ces objections sont les plus sérieuses mais, paradoxalement, ce sont celles qui ont été le moins développées. D’une part, il n’apparaît pas si évident que le problème de la représentation politique soit résolu par le tirage au sort des participants. La représentativité sociodémographique est-elle une valeur indispensable d’un point de vue démocratique ? Peut-on considérer que par le simple fait que des jeunes, des vieux, des femmes, des analphabètes participent, les intérêts de ces groupes seront correctement représentés ? Pousser l’argument de la représentativité à l’extrême pourrait nous amener à conclure que les élections ne sont pas un bon système de représentation démocratique (qui pourrait prétendre que nos représentants élus sont sociodémographiquement représentatifs !) et qu’elles devraient être remplacées par le tirage au sort de nos dirigeants. Sans en arriver à une telle extrémité, le principe de la représentativité sociodémographique entre en tension avec les principes de représentation et d’autorité politique qui sont implicites dans les élections et dans l’organisation politique et sociale. En Espagne, les leaders du monde associatif ont d’ailleurs vu dans les jurys citoyens une menace à leur légitimité en tant que représentants des intérêts des citoyens, alors même que les associations y jouent un rôle clé en donnant de l’information et des critères politiques aux participants.

17 On peut également se demander jusqu’à quel point l’information et le débat sont des principes démocratiques inévitables. La réponse semble a priori affirmative : personne n’oserait affirmer qu’il n’est pas important de s’informer avant de donner un avis. Pourtant, après qu’un groupe a reçu une information et qu’il a débattu, comment peut-on être sûr que l’opinion de ces citoyens informés continuera à être la même que l’ensemble de la population ? À Cardedeu, les résultats d’une enquête portant sur mille habitants différaient par exemple des conclusions des jurys citoyens organisés sur le même thème. Qu’est-ce qui est plus démocratique : tenir compte de l’opinion de citoyens certainement mal informés et qui répondent sans y avoir réfléchi aux questions posées, ou suivre l’avis d’un groupe privilégié de citoyens en possession d’éléments d’information et d’une capacité de raisonnement qui n’est maintenant plus la même que celle de l’ensemble de la population ? Comment peut-on reporter les résultats obtenus par les jurys sur l’ensemble de la population si les participants ne sont plus représentatifs ? Une réponse est que les jurys citoyens nous permettent de connaître quelle serait l’opinion de l’ensemble de la population si elle était suffisamment informée [4]. Il n’est cependant pas facile d’expliquer cela aux citoyens qui n’ont pas pris part à la consultation.

18 Ces critiques et ces interrogations montrent clairement que les jurys citoyens, contrairement à ce que proclament certains de leurs initiateurs [5], ne devraient jamais être compris comme « le » nouveau modèle de démocratie locale. Ils ne sont pas la panacée démocratique et ne résolvent pas tous les dilemmes qui planent sur la démocratie participative. Pourtant, les expériences basques et catalanes témoignent qu’ils peuvent aider à surmonter certaines difficultés qui affectent normalement les processus de participation citoyenne. Ce mécanisme permet en particulier d’introduire dans les décisions publiques la voix de collectifs sociaux que l’on n’écoute pas d’habitude. Néanmoins, d’autres apports intéressants sont perdus et les acteurs organisés ne se contentent pas toujours de jouer un simple rôle d’informateur à l’égard de la population. Le défi qui nous est lancé n’est pas méthodologique, mais dépend au contraire de la volonté et de la conviction politiques qui permettront d’avancer vers une démocratie plus participative et moins délégatrice. Les jurys citoyens peuvent, dans ce sens, être des expériences isolées dans le cadre d’un vide participatif, comme cela arrive si souvent dans les municipalités espagnoles. Ils peuvent aussi être un plus, on peut les considérer comme un instrument parmi d’autres au service d’un nouveau modèle démocratique. Avancer vers une démocratie locale participative exige l’utilisation d’instruments et de mécanismes différents, parmi lesquels les jurys citoyens peuvent être tout à fait utiles. •

Notes

  • [*]
    Universitat autónoma de Barcelona. Texte traduit de l’espagnol par Véronique Giraud.
  • [1]
    Pour une analyse détaillée des divers mécanismes participatifs qui sont utilisés en Espagne, voir J. Font (dir.), Ciudadanos y Decisiones Públicas, Ariel, Barcelona, 2001.
  • [2]
    La majorité des expériences en Espagne oscille entre cinquante et cent personnes. L’explication qui sera donnée par la suite sur la méthodologie des jurys citoyens repose sur les expériences espagnoles. Certains aspects ont été envisagés de manière différente dans des pays comme l’Allemagne, les USA, et la Grande-Bretagne, où existent aussi des expériences de ce type.
  • [3]
    J. Font et L. Medina, « Consejos Ciudadanos en España : un despilfarro europeo ? », in J. Font, Ciudadanos…, op. cit.
  • [4]
    J. Fiskin, The Voice of the People, Yale University Press, New Haven, 1995.
  • [5]
    P. Dienel, Die Plannungszelle, Westdeutscher, Opladen, 1997.
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