Notes
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[*]
Juriste, spécialiste du droit international à l’université Paris VII. Ce travail est tiré d’une participation au séminaire 2000-2001 du Centre d’études du vivant de l’université Paris VII-Denis Diderot.
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[1]
On notera toutefois (dans une perspective critique) M. Veuille, La sociobiologie, Presses universitaires de France (Que sais-je ?), 1997. Et « Le comportement entre génétique et politique. », L’aventure humaine. Savoirs, libertés, pouvoirs, n°11, 2001.
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[2]
E. O. Wilson, L’unicité des savoirs. De la biologie à l’art, une même connaissance, Robert Laffont, 2000. Aux États-Unis, le livre a reçu le prix Pulitzer.
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[3]
Ibid., p.238.
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[4]
Idem, p.227.
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[5]
Idem, p.364.
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[6]
Idem, p.350.
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[7]
Idem, p.18.
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[8]
Idem, p.125.
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[9]
Edward O. Wilson prétend avec la consilience détenir la clé de l’unification du savoir. Citant W. Whewell (The philosophy of the inductive sciences, 1840), il y voit une sorte de saut du savoir, lié par les faits et la théorie empirique, par-dessus les différentes disciplines et visant à créer une base commune d’explication. Idem, p.15.
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[10]
B. Chantebout, L’État, Consortium de la Librairie et de l’Édition, 1975, p.7.
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[11]
E. O. Wilson, L’unicité des savoirs… op. cit., p.22.
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[12]
Voir le compte-rendu dans Le Monde du 13 Février 2001.
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[13]
E. O. Wilson, L’unicité des savoirs… op. cit., p.334.
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[14]
Ibid., p.224.
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[15]
Voir R. Dworkin, L’empire du droit, Presses universitaires de France, 1994.
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[16]
E. O. Wilson, L’unicité des savoirs… op. cit., p.333.
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[17]
Cité par J. Rifkin, Le siècle biotech. Le commerce des gènes dans le meilleur des mondes, La Découverte, 1998, p.161.
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[18]
Condorcet, Esquisse d’un tableau des progrès de l’esprit humain, Flammarion (Collection GF), 1988, p.296.
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[19]
Voir E. Laclau, La guerre des identités. Grammaire de l’émancipation, La Découverte/MAUSS, 2000.
1 La sociobiologie n’intéresse en France que des cercles restreints. Il est vrai que ce courant y est peu représenté du côté des biologistes et, de ce fait, n’a que peu d’échos dans les autres branches du savoir [1]. On ne peut toutefois tenir cette doctrine pour quantité négligeable dès lors qu’elle continue son chemin de l’autre côté de l’Atlantique avec un succès insoupçonné ici. Mis en garde aux États-Unis mêmes, les partisans de ce que je considère comme une idéologie pernicieuse ont tenté récemment une seconde percée qui, pour être plus feutrée, n’en apparaît pas moins comme inacceptable. Les enjeux idéologiques sont d’une telle nature qu’il semble nécessaire d’introduire le débat en Europe car il permet d’approfondir certains aspects de la réflexion sur le politique.
2 On pourra utilement centrer notre réflexion sur l’ouvrage d’Edward O. Wilson, L’unicité des savoirs, puisque l’on y trouve des thèses de sociobiologie qu’il est possible de qualifier de soft, alors que dans la même démarche l’auteur somme les représentants des autres sciences, notamment les sciences sociales, de se couler dans le moule méthodologique construit par les chercheurs dans le champ des sciences de la nature [2]. L’ensemble de ces thèses provoque un véritable sentiment de malaise sur lequel il est nécessaire de s’interroger.
3 Sans me laisser impressionner par le succès de librairie que connaît l’ouvrage de Wilson, je dirais brutalement qu’il est dans l’ensemble bavard, très complaisant avec son auteur et marqué d’une lourde obstination à convaincre de thèses inachevées dans lesquelles, faute d’expérimentation suffisante, les intuitions se font passer pour des résultats scientifiques. Le biologiste qui s’exprime alors marque une réserve extrême, teintée d’hostilité, à l’égard des sciences sociales, dont il révèle d’ailleurs par la manière dont il en parle qu’il les connaît bien mal. Il n’est pas inutile de s’attarder un instant sur le fait qu’un célèbre biologiste américain décrive la situation dans les sciences sociales comme désespérante. On attend du médecin, dit-il, qu’il soigne le cancer et corrige les malformations génétiques à la naissance. De même on attend des spécialistes des sciences sociales « qu’ils nous disent comment atténuer les conflits ethniques, faire accéder à la démocratie les pays en voie de développement, optimiser le commerce international [3] ». Or, poursuit-il, si les progrès sont nets et décisifs dans les sciences médicales, ils sont très faibles dans les sciences sociales et noyés sous un déluge de disputes idéologiques. Les chercheurs (qui apprendront avec satisfaction qu’ils sont considérés comme très capables intellectuellement) refusent de reconnaître que la connaissance est régie par un ordre hiérarchique. Ils aiment le chaos qu’ils prennent pour un ferment créateur et prônent pour certains d’entre eux, un activisme social militant. Ils ne sont pas parvenus à fonder leurs récits sur les réalités physiques de la biologie et de la psychologie humaines, alors qu’il « est certain que la culture vient de là et ne tombe pas du ciel ». Paradoxalement, ces appréciations sont elles-mêmes avancées à partir d’anticipations prophétiques plus que de conclusions scientifiques. L’hymne au progrès humain est entonné à partir du progrès des sciences, considéré par une analogie implicite comme une hypothèse d’ensemble valant progrès des sociétés. Les situations politiques et sociales de guerres, d’inégalités, de famines et massacres ou génocides, amplifiées dans leurs formes contemporaines, sont laissées de côté comme si elles pouvaient être reléguées dans un « ailleurs » sans relation avec le progrès. C’est à propos de la liberté que les contradictions sont les plus marquées. On peut lire dans le même ouvrage : « On n’a pratiquement pas établi de liens directs entre des gènes particuliers et les comportements sous-tendant les caractères universels [4] ». « Nous sommes la première espèce vraiment libre [5] ». Mais quelques pages auparavant il était affirmé : « Tous les phénomènes tangibles, des étoiles aux institutions sociales, reposent sur des processus matériels réductibles à des lois physiques [6] ». Et lorsque la jonction entre les sciences aura eu lieu, « On comprendra que c’est un ensemble d’algorithmes dont l’activité conjointe guide l’esprit dans ses humeurs et ses choix ». Entre une vision dans laquelle la liberté humaine garde toute sa place et une autre où les déterminismes génétiques deviennent envahissants puisque « rien de fondamental ne sépare le cours de l’histoire humaine de celui de l’histoire physique [7] », le lecteur est désemparé puisque rien n’est dit de cette liberté des humains qui marque l’histoire des sociétés jusqu’à la rendre profondément différente de l’histoire physique. Reconnaissant la rareté des informations pertinentes et assumant la difficulté, Wilson assène : « Il restera à livrer l’assaut final contre les systèmes encore plus complexes que sont l’esprit et le comportement [8] ». Le doute n’est plus permis. Avec l’assaut final, il s’agit bien d’une guerre. Menée à partir de résultats reconnus comme clairsemés et insuffisants, elle a pour objectif cependant la soumission méthodologique des sciences sociales aux sciences de la nature.
• L’irréductible indépendance méthodologique de chaque science
4 Une injonction est formulée à l’adresse des sciences sociales, celle d’un passage de tous les savoirs à la mathématisation dans un cadre réductionniste. Ce réductionnisme, ignoré dans les matières qualifiées de pseudo-sciences, tient au découpage de la nature en ses constituants naturels. À partir de quoi, par des mesures utilisant des échelles universellement acceptées, il serait possible de dégager des généralisations qui ne seraient pas ambiguës et qui réalisent la seule manière de rentrer dans des systèmes complexes qui autrement seraient impénétrables. Ainsi, nous devrions en sociologie politique ou en théorie du droit, nous conformer à cette démarche qui est la condition de la « consilience » attendue [9]. On aura relevé cependant que c’est la nature qu’il faut découper en ses constituants naturels. Si les sociétés ne se réduisent pas à des phénomènes naturels, comment s’y prendre ? Sans doute peut-on faire du réductionnisme sur des phénomènes culturels. Toute la prospective politique à partir de ce que certains nomment la science des sondages s’y emploie. Mais les lois dégagées sont incertaines, la quantité des paramètres et leur variabilité étant considérables. De ce fait, les résultats sont, nous le savons, bien hasardeux. Dans le même sens, toute la science économique et financière s’efforce à la prévisibilité. Mais l’influence d’Alan Greenspan sur les fluctuations de la bourse, et par là sur l’économie américaine, est-elle le fruit d’un savoir des experts de la Réserve fédérale ou est-elle due à une sorte de charisme qui s’épuiserait après lui ou même peut-être avec lui ? L’on conviendra que dans ces deux cas, les chercheurs doivent s’obstiner et affiner leurs modèles d’analyse. Mais la naturalisation systématique des phénomènes sociaux n’est pas convaincante. Les déconvenues des prévisionnistes électoraux ou boursiers sont là pour modérer les ardeurs. Et les déterminants « naturels » des phénomènes politiques sont à prendre en considération avec prudence. Certains politologues, entraînés par les travaux de Laborit, ont bien avancé l’idée que le siège de l’instinct de domination aurait été repéré dans l’hypothalamus sous les couches optiques [10]. Mais cela a semblé une boutade plus qu’une opinion scientifique. En réalité, une série de difficultés méthodologiques propres aux sciences sociales et plus particulièrement au domaine du droit et du politique sont ignorées par la sociobiologie et ne sauraient recevoir d’elle aucun appui.
5 On évoquera d’abord le cas du positivisme juridique, ce courant pour lequel l’analyse de la norme juridique peut être menée dans le champ réduit de la norme elle-même sans prendre en considération l’ensemble de ses déterminants extérieurs. Les juristes dans l’ensemble s’y complaisent. Pour ce qui est des politologues, les courants qui campent sur les résultats expérimentaux de la recherche ont trouvé leurs limites. On ne méconnaîtra pas la nécessité d’aller au bout des méthodes scientifiques les plus rigoureuses, mais leurs résultats ne sont pas exploitables sans l’apport des théories. Et dans les théories, il y a des postulats de valeur. Il est impossible de développer une discipline seulement avec des constats de réalité.
6 L’injonction de Wilson conduit alors à un paradoxe : fondée elle-même sur un positivisme scientifique totalitaire en raison de son exigence d’une subordination hiérarchique des autres sciences (donc de la science politique et du droit) aux conclusions des sciences de la nature, elle force le positivisme juridique à se dénaturer. La validité de la norme n’est plus sa conformité à une norme formellement supérieure : le décret à la loi, la loi à la constitution. La validité de la norme est surdéterminée à sa conformité substantielle aux conclusions scientifiques. Pour ne pas légiférer contre nature, le législateur devrait s’enquérir des fondements naturels du comportement. Naturellement, la co-évolution gènes/culture qui est l’hypothèse développée par Wilson dans son dernier travail, loin de clarifier les choses, renforce la difficulté parce qu’elle introduit une dimension temporelle. Comment savoir qu’un processus précis d’évolution est en cours et que par une influence de la culture sur les comportements, une transformation génétique se développe ? Et quelles conclusions en tirer pour le législateur ? S’il y a un mécanisme génétique de l’usage de la drogue, quel que soit le moment de son apparition dans l’évolution génétique, le législateur peut-il encore interdire l’usage de la drogue ? Peut-on déclencher un mécanisme inverse, introduire un gène d’aversion pour la drogue ? La loi peut-elle être à l’origine de cette inversion ? Voilà qui ne peut pas faire l’affaire des juristes positivistes qui n’intègrent pas les référents extérieurs au droit dans leurs analyses.
• Les temps des sciences
7 Il est en revanche un point d’ordre méthodologique sur lequel il est possible de se trouver en accord au moins partiel avec Wilson, c’est dans le souhait que soient établis davantage de rapports entre sciences sociales et sciences de la nature. Mais lorsqu’il affirme que l’on est arrivé à un stade où elles ne communiquent plus entre elles, il y a là une forte ignorance des situations concrètes, celles du droit de l’environnement notamment. Souhaiter qu’elles communiquent davantage entre elles (à quoi l’on souscrira), n’est pas nécessairement vouloir les fusionner sous un principe de domination des unes sur les autres ni cautionner que l’existence de deux cultures scientifiques soit un handicap.
8 La vraie difficulté est aujourd’hui dans la confrontation dramatique entre le savoir et le pouvoir et leur rapport au temps. De l’interdépendance de la sphère scientifique et de la sphère juridico-politique dans l’incertitude et le doute est né le principe de précaution. Et alors on ne peut plus dire que des deux côtés des grands domaines scientifiques, l’on ne se parle pas. Mais les conditions de ce dialogue restent laborieuses car le décideur doit décider. Il est sommé par la société de le faire, alors même que le scientifique n’a pas encore établi son savoir avec certitude. Sans compter avec le fait que le même savoir scientifique, dans un mouvement permanent, à la fois réduit les risques antérieurement repérés mais aussi augmente le potentiel de risques en ouvrant de nouvelles possibilités de l’intervention humaine aux conséquences imprévisibles. Sciences sociales et sciences de la nature se parlent donc, mais leurs rythmes s’entrechoquent. Et l’on pourrait décliner à ce propos toutes les grandes questions de notre temps, notamment celle des changements climatiques ou des organismes génétiquement modifiés.
9 L’exemple des changements climatiques et des décisions politiques en matière d’émissions de gaz à effet de serre illustre les limites du réductionnisme scientifique. Avant la conférence de Kyoto en 1997, où une urgente nécessité politique pressait d’ébaucher un règlement de ce problème, une démarche réductionniste a été tentée : analyser les situations de chaque État, et même de chaque entreprise, à la fois du point de vue des réalités concrètes (les émissions produites) et des potentialités (quelles réductions sont possibles ? Quelles augmentations sont inévitables en fonction des nécessités du développement ?). Mais les données de la science manquent pour le plus grand nombre de pays pour ce qui est des émissions effectives. Quant à celles qu’il serait juste d’autoriser pour chaque pays, où se trouvent les critères permettant de les fixer ? Aussi les quotas établis par pays sont-ils en grande partie arbitraires ou absents. Et le raisonnement qui a conduit à autoriser un commerce des permis négociables manque singulièrement de bases scientifiques. Les pays émettant peu (par rapport à quoi ?) peuvent désormais vendre des droits d’émission (supposés non utilisés) à des pays dont il est pour le coup certain qu’ils dépassent largement les émissions raisonnables. La justice ne gagne guère à cela. Surtout celle que nous devons établir avec les générations futures.
10 Apparaît ici un autre aspect des difficultés méthodologiques : vérité scientifique ou vérité juridico-politique doivent affronter la question de l’objectivité. La difficulté est criante dans l’exemple que l’on vient d’évoquer, mais elle affleure à tous moments dans les pratiques sociales qui mènent à la décision juridique ou politique, comme dans les analyses scientifiques faites à leur sujet. Il y a un abîme à ce propos entre les postulats de Wilson et les relations très complexes entre objectivité et subjectivité au sein des sciences sociales. Il soutient qu’il est possible d’atteindre la vérité objective. Il l’escompte des découvertes à venir sur le fonctionnement du cerveau humain. Or, la question de l’objectivité doit, en droit, se poser tout autrement. Il s’agit de retirer, à tout moment, à l’agent du pouvoir qui dit le droit les moyens de l’arbitraire. Il s’agit aussi, lorsque l’arbitraire révèle une tension entre deux parties, c’est-à-dire lorsque leurs subjectivités sont violemment en jeu, de réduire ces subjectivités au profit d’une solution qui, s’imposant par le truchement du juge, sera revêtue d’objectivité. Les procédures, les moyens de ce que l’on appelle l’État de droit – principe de la légalité, respect des droits de la défense, etc. – concourent non pas à la conquête d’une objectivité absolue que l’on aurait trouvée comme le Graal, mais à l’ouverture d’un espace d’objectivité, toujours précaire et relatif. Indifférent à ces aspects de la question de l’objectivité sociale, Wilson, armé de ses certitudes, est prêt à faire basculer le sujet dans la catégorie d’objet entièrement programmé et en conséquence à supprimer la distinction entre le sujet et l’objet. Le plus difficile dans ce domaine (et là où la prétention à l’objectivité est résolument illusoire) tient à l’impossibilité et à la dangerosité d’objectiver le sujet. Certains systèmes juridiques l’ont fait avec l’esclavage ou des formes de celui-ci. Et lorsque Wilson écrit en parlant de son projet, « Cette entreprise nous confirme que c’est l’ordre qui se profile à l’horizon et non le chaos [11] », il y a matière à être saisi d’effroi. Car, dans cet ordre annoncé, y aura-t-il encore des sujets ? Chaque système juridique désigne parmi les individus vivants ceux qui sont sujets de droit et ceux qui ne le sont pas. Le progrès résultant de la proclamation des droits de l’homme a conduit à considérer que tout être humain a la personnalité juridique et que la loi ne les différencie que par des degrés de capacité juridique différents, mais cela a été insuffisant à résoudre de manière vraiment satisfaisante certains problèmes, comme le statut de l’embryon. De surcroît, chaque ordre juridique décide sur la notion de sujets collectifs, les personnes morales. Et des groupes n’entrant pas dans ces catégories sont alors des non-sujets. Y a-t-il là une objectivité ? Sûrement pas et elle ne saurait en tout cas être absolue. Des non-sujets revendiquant d’être sujets surgissent toujours et soulignent le caractère impossible de l’objectivité, car ils sont objets-sujets talonnant le système pour le modifier en passant d’une catégorie à l’autre. C’est le cas notamment des peuples en lutte pour leur reconnaissance. Et c’est bien en droit international que ces questions sont les plus ardues. D’une part, parce que les sujets principaux que l’on désigne sous le terme d’États sont revêtus d’une marque particulière, la souveraineté. D’autre part, en raison de l’absence de principe centralisateur et hiérarchique. Il n’y a pas en effet d’autorité instituée pour déclarer tel groupe comme sujet étatique et refuser aux autres de le devenir à leur tour. Il est vrai que le Conseil de sécurité s’arroge de plus en plus ce rôle sans qu’il lui ait été véritablement attribué. La société internationale se trouve ainsi placée devant une difficulté centrale : selon quelle norme fondamentale décider quels sont les groupes humains qui peuvent bénéficier de la reconnaissance d’État ? Quels sont les critères que cette norme fondamentale devrait décliner ?
11 Wilson n’évoque pas ce problème comme tel. Il cite, je l’ai mentionné plus haut, la nécessité d’atténuer les conflits ethniques parmi les questions dont on attend des sciences sociales qu’elles les résolvent. Or, tout l’avenir du droit international est ici en jeu. Allons-nous vers ce qu’aux origines de la théorie internationaliste, dès le xvie siècle, l’on a appelé un droit des gens, droit entre les personnes quelle que soit leur attache nationale ? Ou bien resterons nous encore longtemps dans des relations juridiques inter-étatiques ? Et nous retrouvons la question : comment un groupe devient-il un État ? Wilson déclare dès les premières pages : « Nous devons appartenir à une tribu ». Une tribu. Il y en a donc plusieurs. Mais dans les dernières pages, il crédite les nations civilisées (sic) de globaliser la tribu des hommes en vue des objectifs les plus nobles et les plus durables pour l’humanité. Rien dans son livre n’indique que la biologie puisse nous aider dans ce domaine. Elle le fait cependant (mais cela n’apparaît pas dans Wilson) lorsqu’elle dégage le terrain sur la question des races et nous confirme que « les individus de groupes raciaux différents peuvent présenter plus de similarités génétiques entre eux que des individus pris au sein d’un même groupe » (récent rapport sur le séquençage du génome) [12]. Mais au-delà, c’est au sein de l’humanité dans son ensemble qu’il faut régler la question du statut juridique des différenciations qui sont principalement culturelles. La crise de la souveraineté, sur laquelle nous allons revenir, change progressivement les données fragiles sur lesquelles l’édifice du droit international s’était maintenu cahin-caha. L’idée que l’État, dans sa souveraineté, représentait l’universel social du groupe, idée soutenue par la philosophie hégélienne, a été longtemps une fiction active. Mais les États d’aujourd’hui sont violemment renvoyés à leur condition de manifestation d’un particularisme qui pour chacun s’exprime à travers une souveraineté entamée et concurrencée par la pensée émergente de l’Universel/universel.
12 Ignorant tout cet aspect des choses pour lequel les sciences exactes et le réductionnisme sont de peu de secours et où une dialectique souple et une philosophie de la liberté sont sans doute plus fécondes, Wilson, au passage, réhabilite le racisme. Pour lui, les sentiments moraux nés du processus génétique trouvent leur propre limite : « La face cachée de notre propension innée au comportement moral, c’est la xénophobie. L’intimité et la communauté d’intérêts sont vitales dans les transactions sociales. Les sentiments moraux ont donc évolué jusqu’à devenir sélectifs. Il en a toujours été ainsi. Nous faisons difficilement confiance aux étrangers et notre compassion est parcimonieuse [13]. » Le racisme et la xénophobie sont pour lui inéluctables.
13 Tout aussi péremptoire sur la question des peuples et leur identification au moins partielle à celle des territoires, il affirme : « La conquête et la défense du territoire par les tribus et leurs équivalents modernes, les États-nations, est un universel culturel [14] ». Sociétés nomades, sociétés sédentaires, agricoles et industrielles, sociétés cybernétiques d’aujourd’hui, pourtant toutes fort différentes dans leurs rapports au sol, sont ainsi englobées dans un unique constat. Puis est tentée une explication laborieuse de l’évolution qui aurait conduit certaines espèces à développer ou ne pas développer la défense du territoire comme un trait héréditaire. Voilà qui ne nous guide pas vers les principes de justice qui permettraient de fonder les droits des peuples (préalablement différenciés) sur des territoires distincts et délimités. Ni les différences supposées au sein de la nature humaine (ethnies ou races), ni les frontières naturelles proposées par la géographie n’ont jusqu’ici servi de support objectif à une question qui reste intersubjective.
14 Il faut revenir enfin, pour en finir avec les fausses pistes méthodologiques ouvertes dans le projet d’unicité du savoir, sur le fait que le réductionnisme et l’usage des mathématiques sont de portée limitée sur ces grands défis que doivent relever les sciences sociales. Une illustration éclairante nous vient de la nécessité, récente dans l’histoire du droit international, de délimiter des territoires maritimes entre les États. Pour ce qui est des frontières terrestres, l’on sait que les gouvernements ont renoncé à trouver un principe substantiel justifiant le tracé, donc le partage. Celui-ci, lorsqu’il est défini par deux États, n’a de force que conventionnelle. Et en cas d’échec des négociations et de soumission au juge international, celui-ci n’a guère de repères autres que ceux donnés par les conventions précédentes. Mais au milieu du xxe siècle, les États furent pris d’un appétit compulsif pour les territoires maritimes pour des raisons économiques, notamment énergétiques, mais aussi stratégiques. On pensa alors que la situation étant différente de celle des frontières terrestres, on pourrait la régler différemment. Et l’on chercha à fixer au préalable des principes généraux de justice qu’il ne resterait plus qu’à appliquer en usant de réductionnisme. Le réductionnisme, dans ce cas, consistait à découper par l’imagination les rivages respectifs des États voisins en séquences ou en points pour leur appliquer la formule générale. Pendant une première période, pour deux États placés côte à côte sur un rivage, il ne s’agissait pas de délimiter bien loin vers le large. Les prétentions de ce qu’on appelait la mer territoriale allaient jusqu’à quelques miles en mer : trois ou six, mais guère plus. Il sembla alors que le principe géométrique de l’équidistance ferait l’affaire. La frontière serait la ligne médiane dont tous les points étaient équidistants des points les plus proches des littoraux respectifs. Si la côte est profondément échancrée et découpée, on en lisse le dessin par une ligne imaginaire dite ligne de base. Cependant, les convoitises en mer furent étendues dans les années soixante à des espaces plus vastes appelés plateau continental et zone économique exclusive. Le premier est supposé être une donnée de la nature. Mais comme celle-ci est fort injuste, il fut décidé de doubler le plateau continental d’une étendue jusqu’à deux cents miles au large où tous les États auraient des droits, espace sans référence naturelle nommé zone économique exclusive. Restaient les délimitations entre deux États voisins. L’équidistance pouvait-elle continuer à faire l’affaire ? La projection au large n’était plus de cinq ou dix kilomètres comme dans la période antérieure, mais de trois cent soixante. À prendre une carte détaillée d’une région quelconque du monde et un compas et à tracer la ligne médiane, l’on mesure sans peine les difficultés. La première sera dans le choix des points. S’il y a tout un chapelet d’îles, comment les traite-t-on ? Et s’il y a un très large estuaire, à quelle hauteur le ferme-t-on d’une ligne imaginaire dont les points serviront d’appui au tracé de la ligne médiane ? Enfin, et à supposer ces problèmes réglés, il apparaîtra pour un grand nombre de configurations géographiques naturelles, que la ligne médiane est injuste. Aussi la réglementation internationale a-t-elle dû se résoudre à prescrire une norme générale sommaire : aboutir à une solution équitable et renvoyer aux diplomates ou aux juges le soin de trouver les voies d’y parvenir. Ces voies n’excluent pas par principe les procédés mathématiques. La ligne d’équidistance est souvent une indication précieuse. Mais elle doit en général être corrigée pour intégrer d’autres facteurs. D’autres procédés mathématiques peuvent réapparaître comme la proportionnalité des domaines maritimes respectifs à la longueur des côtes des deux États. Mais aucune formule mathématique de synthèse ne préside au rôle des différents facteurs dans la décision finale.
15 Cet exemple illustre largement la non-pertinence de la démarche de Wilson. La volonté de maîtriser les espaces marins n’est pas génétique. Elle n’a même pas encore de profondeur culturelle. C’est un problème récent : à peine un quart de siècle. Et la formule de partage actuellement recherchée ne saurait être fournie intégralement par les mathématiques. Comment dès lors ne pas convenir que, s’il est nécessaire de dialoguer d’une science à l’autre, il l’est tout autant de le faire sans totalitarisme. Les problèmes que nous avons à régler, qu’il s’agisse en science politique de la qualité de la démocratie ou de la nature et de la légitimité de l’État, ou en droit international des difficultés que je viens d’évoquer, ou encore dans le champ du droit international économique de la notion de « prix justes » pour les matières premières tropicales, sont parfois éclairés par des méthodes scientifiques, jamais totalement résolus.
16 Car il y a en droit, comme le précise très bien Ronald Dworkin, les normes et les principes [15]. Tout ne peut pas être normé. Il reste alors les principes. Avec les normes, nous sommes dans une logique de la conformité. Avec les principes, nous nous trouvons dans une logique de pesée. L’antinomie est réglée sur le poids. Les autres principes ne sont pas évacués, mais chacun pèse différemment.
• La liberté revue par la science ?
17 La construction actuelle du droit et du pouvoir est fondée sur le principe de souveraineté de l’État. Ce principe est multifonctionnel : il assure l’indépendance du groupe concerné vis-à-vis de l’extérieur ; il est censé régler la question de la violence puisqu’il permet en effet de distinguer la contrainte légitime, qui est celle de la loi, de la violence illégitime réprimée par celle-ci. Cette ligne de partage entre deux types de contrainte matériellement identiques ne trouve son sens que parce que la loi est la loi souveraine et puise son autorité dans la souveraineté. Mais la souveraineté, ce principe de basculement de la violence en droit, est lui-même construit sur une énigme pour laquelle des formes variées d’élucidation ont été avancées successivement ou parfois parallèlement. Pendant longtemps, et sans que cela ait jamais été évacué complètement, l’énigme était tout simplement celle de Dieu. Mais le rationalisme, en abandonnant ce terrain, s’est trouvé confronté à différentes alternatives. La première a consisté à substituer la Nature à Dieu. La souveraineté se justifierait par le caractère naturel du groupe constitué en État et les lois produites seraient inspirées elles-mêmes du respect de la nature. Ce courant du droit naturel, très présent au xviiie siècle, ne diffère pas vraiment du courant du droit divin en ce que, dans un cas comme dans l’autre, l’énigme de la souveraineté et la justification du pouvoir sont articulés à un réfèrent extra-sociétal. Et pendant longtemps, faute de consistance suffisante des données de la biologie, l’approche naturaliste restait en réalité théologique. Parallèlement, les doctrines contractualistes de la souveraineté faisaient leur chemin. Avec elles, il n’est plus question d’adosser la souveraineté et la loi à un référent extérieur à la société, mais de le trouver en son sein, dans ses mécanismes eux-mêmes. Le pouvoir comme démocratie, la loi comme expression de la volonté générale, la contrainte fondée sur l’intérêt général représentent d’autres tentatives de régler les questions de l’organisation sociale dans une logique intra-sociétale au sein de chaque État souverain. Le groupe exprime alors sa liberté dans son projet de société. Mais un double bouleversement radical nous contraint aujourd’hui à renouveler les approches.
18 La carte des peuples légitimement fondés à être des États se brouille à chaque instant et les questions ethniques, pour sans issue qu’elles soient, se posent de plus en plus, faisant en sorte que les souverainetés contestées perdent en efficacité. Mais surtout voilà qu’au sein de l’Europe s’est construit assez subrepticement d’abord, plus visiblement actuellement, un droit contraignant sans État donc sans souveraineté. Le fondement de cette loi-là – directives et règlements européens obligatoires – est purement conventionnel, mais la contrainte engendrée peine à trouver sa légitimité. À la difficulté de l’espace légitime d’application de la loi s’en surajoute une autre, celle-là liée aux avancées de la civilisation technologique et de la science : une nouvelle prise en compte de la nature. Si bon nombre de questions politiques et juridiques posées sont dans la science, il n’est pas certain que les réponses s’y trouvent en dépit du fort espoir que certains mettent de ce côté. L’homme social d’aujourd’hui doit revoir la question de l’échelle des groupes constitués en pouvoir autonome légiférant, doit repenser la légitimité de ce pouvoir et répondre à de nouveaux défis dans ses rapports avec la nature.
19 Ces problématiques nous éloignent considérablement de la sociobiologie qui était le prétexte de cette réflexion car elle les ignore en dépit de sa prétention à unir tous les champs du savoir. Les réintroduire permet de souligner l’incohérence d’un projet trop ambitieux. Wilson est très hostile à la volonté générale qu’il qualifie d’abstraction vide menant au totalitarisme. Et il se fait assez naïf lorsqu’il affirme que les gènes prédisposant à adopter des comportements coopératifs en sont venus à prédominer dans l’ensemble de la population. « L’aptitude morale peut être héritée, mais il faut encore ajouter que l’histoire montre que les individus coopératifs survivent en général plus longtemps et ont plus d’enfants [16] ». En somme le vœu de Théodore Roosevelt – « Il faut donner la priorité à la reproduction des personnes convenables [17] » – se réaliserait peu à peu. Pensée de l’hégémonie occidentale s’il en est, car certaines régions du monde et leurs drames (Afrique centrale ou occidentale, Balkans) sont nécessairement exclus de l’analyse. Voilà des régions qui foisonnent en effet de personnes que Roosevelt ne qualifierait certainement pas de convenables. Non, la question des fondements du pouvoir ne se réglera pas par l’héritabilité progressive des caractères coopératifs et c’est autrement que nous devons prendre en compte la montée des formes de barbarie contemporaine ou l’extension de l’exclusion dans les démocraties développées.
20 Mais cependant Wilson nous interpelle sur une véritable question, celle du rôle de la nature et de ce que nous en savons dans l’exercice du pouvoir et la détermination de la loi. Rien ne permet d’imaginer l’espèce humaine totalement soustraite à l’empire du hasard par les progrès de la science, comme a pu le souhaiter Condorcet qui l’imaginait affranchie de toutes ses chaînes [18]. En revanche, une certaine réduction de la contingence se dessine, qui a nécessairement des conséquences dans les rapports entre les individus et les groupes. Actuellement, faute de savoir quels sont les éventuels déterminismes génétiques qui pèsent sur nos comportements, nous considérons une grande partie de ceux-ci comme le fruit de notre libre arbitre individuel. De là, nous tirons des conséquences politiques mais aussi juridiques considérables : de la liberté et de son exercice découlent à tous les échelons du droit des mécanismes de détermination de la faute et du risque et des conséquences sur le droit civil et pénal (interne et international) et le droit des assurances. « Tout fait quelconque de l’homme, énonce l’article 1382 du Code civil, qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». À supposer que l’on avance dans la découverte de corrélations précises entre certains gènes et certains traits de la personnalité induisant certains comportements, faudra-t-il réécrire cet article ? En déduira-t-on, comme on le fait aujourd’hui avec l’expertise psychiatrique dans certains procès pénaux, à l’absence de responsabilité ? On imagine les conséquences possibles pour le tout récent droit pénal international. S’il y a un gène de la conquête des territoires ou, pourquoi pas, un gène du viol collectif, où sont les bases juridiques du travail des tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie ou le Rwanda ? Jusqu’ici un humain pouvait être exonéré de sa responsabilité en vertu du principe de nécessité encore que ce fût dans des conditions relativement restrictives. Mais en dehors d’états psychiatriques constatés, la nécessité exonératoire était externe à l’individu. Wilson rouvre un vieux débat que l’on croyait liquidé en réintroduisant la problématique d’une « nécessité interne ». L’individu aurait agi sous l’empire de ses gènes. Par ailleurs, la ligne qui sépare la faute du risque face à un fait dommageable se trouve brouillée. Et vers quelle révolution du droit des assurances allons-nous, si ce que nous considérions jusqu’ici comme le fruit de la contingence est en réalité programmé quelque part ? On sait l’attention que portent les compagnies d’assurances aux avancées scientifiques et les nouvelles conditions mises notamment aux contrats d’assurances-vie qui ne sont pas conclus dans les mêmes conditions si les postulants sont porteurs de certains gènes. Ici la difficulté est de se positionner en attendant les résultats des recherches scientifiques sans se laisser entraîner par des effets d’annonce intempestifs. Notre liberté apparaît pour le moment comme un espace véritablement indéterminé ce qui ne va pas sans une sorte de jubilation, en tout cas pour ceux qui attachent du prix à la liberté. Il est vrai qu’en échange l’usage qu’autrui fera de sa liberté, et que je ne peux donc pas anticiper puisqu’il est non-déterminé, se traduit pour moi par des formes de contingence. Il en va de même de phénomènes naturels dont la prévisibilité nous échappe encore. Ne sont-ce là que des déterminismes encore dissimulés que la science va éclairer peu à peu ? C’est le postulat de Wilson, mais il est pour le moment théologique et non scientifique.
21 Sa lecture nous ramène à la question : la contingence, en tout cas une part de contingence irréductible, est-elle consubstantielle au monde ? Cela reste une question philosophique. Faut-il se réjouir de l’existence de ce que nous appelons la liberté ? Ou la regretter comme le fait Tchekhov dans La Cerisaie lorsqu’il fait dire au vieux maître d’hôtel : « C’était avant le malheur ». « Quel malheur ?, l’interroge Gaev ». « La liberté, répond le maître d’hôtel », désignant ainsi l’abolition du servage. Chacun répond pour lui-même et c’est encore là l’usage de la liberté. Mais si la liberté est si difficile à traiter dans la théorie politique, c’est par la présence d’antagonismes pas toujours réductibles entre les libertés individuelles et l’émancipation du groupe. La volonté générale n’est jamais la somme des volontés individuelles, comme l’intérêt général n’est pas l’addition des intérêts particuliers. Il faut une série de mécanismes institutionnels, mais surtout un saut qualitatif par un phénomène de symbolisation, pour que des intérêts en réalité toujours partiels s’imposent dans l’univers social comme une valeur commune et dissimulent la posture d’hégémonie ainsi réalisée. Mais le propre de la sphère politique jusqu’ici tenait à la précarité de cette alchimie. Parce que chaque pôle de particularité a des prétentions à valoir pour l’universel et que le conflit entre eux est indécidable, la démocratie ne peut se caractériser que comme le conflit, c’est-à-dire des règles du jeu qui entravent l’élimination éventuelle de l’un des protagonistes [19]. Les avancées scientifiques brouillent ce schéma difficile et là sans doute se trouvent, derrière l’idéologie de la sociobiologie, des problématiques auxquelles nous devons être attentifs. De nouvelles potentialités apparaissent du fait de la science. Elles se trouvent entre les mains d’un petit nombre : les scientifiques et quelques décideurs qui sont libres d’en user ou non. Lorsque Wilson énonce comme très positif que désormais une espèce décide de sa propre hérédité, c’est une liberté piégée, car à peine exercée elle se referme sur elle-même, et pour un groupe de décideurs qui aura exercé cette liberté des millions verront la leur réduite par de nouveaux déterminismes génétiques subis par eux, même si voulus par d’autres.
22 C’est donc bien la démocratie qui est en jeu dans cette affaire ainsi que le rôle de la loi et son caractère d’expression de la volonté générale. L’ensemble symbolique qui, autour du concept de souveraineté, a servi de ciment aux sociétés nationales à travers la pratique d’une langue, d’une histoire commune et d’une construction culturelle est partout en situation d’affaissement. La faille dans cette construction symbolique est accompagnée de ces irruptions de violence qui n’épargnent aucune région du globe. Contrairement aux illusions de certains, on ne retricotera plus l’ensemble symbolique réduit à tel ou tel groupe qui a fonctionné dans certains États (sans jamais, faut-il le rappeler, être un mode de fonctionnement universel et paisible). Les questions de la loi et de la démocratie requièrent désormais de trouver des débouchés institutionnels ou instrumentaux à l’échelle mondiale et cela ne se fera pas sans que se soit développée une nouvelle symbolisation de l’humain, homme biologique et social à la fois. Elle se fraye actuellement difficilement son chemin car la conscience universelle est une interrogation plus qu’une réalité. Cette nouvelle symbolisation de l’humanité doit inclure, sans fantasme prométhéen, l’ensemble des possibilités réelles de la science : ni catastrophe, espérons-le, ni âge d’or, car rien de tel ne se dessine.
23 Telles sont, me semblent-ils les pistes qui s’ouvrent à nous. Nous devons accepter que la biologie nous contraigne à de nouvelles questions mais certainement pas accepter les réponses hasardeuses que suggère la sociobiologie. •
Notes
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[*]
Juriste, spécialiste du droit international à l’université Paris VII. Ce travail est tiré d’une participation au séminaire 2000-2001 du Centre d’études du vivant de l’université Paris VII-Denis Diderot.
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[1]
On notera toutefois (dans une perspective critique) M. Veuille, La sociobiologie, Presses universitaires de France (Que sais-je ?), 1997. Et « Le comportement entre génétique et politique. », L’aventure humaine. Savoirs, libertés, pouvoirs, n°11, 2001.
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[2]
E. O. Wilson, L’unicité des savoirs. De la biologie à l’art, une même connaissance, Robert Laffont, 2000. Aux États-Unis, le livre a reçu le prix Pulitzer.
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[3]
Ibid., p.238.
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[4]
Idem, p.227.
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[5]
Idem, p.364.
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[6]
Idem, p.350.
-
[7]
Idem, p.18.
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[8]
Idem, p.125.
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[9]
Edward O. Wilson prétend avec la consilience détenir la clé de l’unification du savoir. Citant W. Whewell (The philosophy of the inductive sciences, 1840), il y voit une sorte de saut du savoir, lié par les faits et la théorie empirique, par-dessus les différentes disciplines et visant à créer une base commune d’explication. Idem, p.15.
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[10]
B. Chantebout, L’État, Consortium de la Librairie et de l’Édition, 1975, p.7.
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[11]
E. O. Wilson, L’unicité des savoirs… op. cit., p.22.
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[12]
Voir le compte-rendu dans Le Monde du 13 Février 2001.
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[13]
E. O. Wilson, L’unicité des savoirs… op. cit., p.334.
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[14]
Ibid., p.224.
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[15]
Voir R. Dworkin, L’empire du droit, Presses universitaires de France, 1994.
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[16]
E. O. Wilson, L’unicité des savoirs… op. cit., p.333.
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[17]
Cité par J. Rifkin, Le siècle biotech. Le commerce des gènes dans le meilleur des mondes, La Découverte, 1998, p.161.
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[18]
Condorcet, Esquisse d’un tableau des progrès de l’esprit humain, Flammarion (Collection GF), 1988, p.296.
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[19]
Voir E. Laclau, La guerre des identités. Grammaire de l’émancipation, La Découverte/MAUSS, 2000.