Notes
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[*]
Journaliste
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[1]
Le Canard enchaîné, 24 janvier 2001.
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[2]
Libération, 5 janvier 2001.
-
[3]
S. Truffaut, Le devoir, Édition internet, 3 janvier 2001.
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[4]
Libération, jeudi 23 avril 1998.
-
[5]
Libération, 1er avril 1998.
-
[6]
Le Monde, 25 mars 1998.
-
[7]
Le Monde diplomatique, janvier 2001.
-
[8]
F. X. Verschave, Noir silence, Les arènes, 2000.
1 « La politique africaine de la France a su s’adapter, se moderniser, tout en restant engagée aux côtés de ce continent […] La France entend être attentive aux aspirations des populations africaines », Catherine Colonna, porte-parole de l’Élysée. Affaire Jean-Christophe Mitterrand, affaire Elf, Rwanda, les réseaux Foccart, Pasqua, les financements occultes de partis politiques français, toute cette actualité judiciaire semble une invention de gauchistes au regard de telles déclarations. Pourtant, dire que les réseaux, l’opacité politique, l’argent douteux et des complicités au sommet sont à l’œuvre sur le continent noir, c’est tout simplement proclamer des secrets de polichinelle.
2 À la veille du sommet de Yaoundé, l’épiscopat français avait adressé une lettre aux autorités françaises pour que cessent les pratiques honteuses en Afrique. Interrogé par la presse au sujet de cette lettre, Jacques Chirac s’explique comme suit (accrochez-vous !) : « À propos de l’Afrique, il faut commencer par réfléchir tout en sollicitant notre mémoire. Nous avons commencé par saigner ce continent pendant quatre siècles et demi avec la traite des Noirs. Ensuite, nous avons découvert ses matières premières et nous les avons saisies. Après avoir dépossédés les Africains de leurs richesses, nous leur avons envoyé nos élites, qui ont évacué la totalité de leurs cultures. Aujourd’hui, nous les délestons de leurs cerveaux grâce aux bourses d’étude, qui constituent en définitive une autre forme d’exploitation car les étudiants les plus brillants ne rentrent pas chez eux […] Au bout du compte, nous constatons que l’Afrique n’est pas dans un état brillant et, comme nous nous sommes enrichis à ses dépens, nous lui donnons des leçons à titre de prime… » [1]
3 Ce n’est pas Arlette Laguiller ou Alain Krivine qui parle. C’est bien Jacques Chirac, le digne successeur de Pompidou et de de Gaulle dans la lignée gaulliste. Les choses auraient-elles changé sans qu’on ne nous le dise ? On se surprend à penser que le sommet de Yaoundé accouchera de quelque chose d’inédit. Rien que le sujet des discussions de Yaoundé paraît annonciateur : « l’Afrique face à la mondialisation ». Vingt-deux chefs d’État, des chefs de gouvernement et des ministres, en tout cinquante délégations autour de Jacques Chirac et de Kofi Anan, se trouvaient déjà à Yaoundé lorsque l’actualité vint rattraper le sommet. En RDC, Laurent-Désiré Kabila est assassiné. En Côte-d’Ivoire, des émeutes anti-étrangers éclatent, suite à une prétendue tentative de coup d’État. Ainsi donc, les préoccupations politiques viennent rappeler que sans un climat institutionnel sain à l’intérieur des pays africains et dans les relations internationales, les réflexions sur l’économie globalisée – ou mondialisée – ne sont que poudre aux yeux.
4 À peine arrivé à Yaoundé, le ministre français de la Coopération, Charles Josselin, prophétisait ainsi la nouvelle doctrine : « non-ingérence, non-indifférence ». À quoi le président Chirac répond « fidélité, attachement, solidarité ». L’expérience a montré qu’il fallait méditer et décrypter la pensée du président français. Il semble que Jacques Chirac voulait dire que cette Afrique longtemps humiliée, exploitée, pillée, aujourd’hui frappée par des pandémies et menacée de marginalisation économique, ne pouvait se fixer que des objectifs raisonnables et qu’il fallait lui tendre la main. Toutefois, devant des chefs d’État « démocratiquement élus à vie », il peut sembler inconvenant de parler de l’attente des populations dans une région du monde qui participe pour à peine plus de 1% au commerce mondial et reçoit tout juste 1,2% des flux d’investissements privés mondiaux. « Une grande majorité des habitants de notre continent africain n’a jamais téléphoné et ignore jusqu’à l’existence d’internet. Pour eux, la mondialisation pourrait rimer avec marginalisation », soulignait le quotidien Cameroun tribune.
5 Voilà donc le résultat de décennies de coopération et de politiques d’aide au développement. Pour ce qui concerne l’Afrique francophone, le fameux pré carré, l’essentiel est connu. Évidemment, les intervenants ne s’en vantent pas, les réseaux sont occultes et les actions secrètes. Pour ce qui concerne « l’Autre Afrique » – non francophone –, lorsque la Françafrique sort de sa zone d’influence naturelle, cela donne le Biafra – pour ceux qui ont de la mémoire –, le Rwanda, le Liberia, la Sierra-Leone, l’Angola, etc.
6 L’avocat de Jean-Christophe Mitterrand, maître Jean-Pierre Versini-Campinchi, a peut-être raison lorsqu’il défend son client en posant cette question : « Où est la victime ? ». En effet, ni l’État angolais, ni les fournisseurs russes, ni la société Brenco – employeur donc de JCM – n’ont jugé qu’ils étaient lésés au point de porter plainte. Nous pouvons répondre à cette question. La victime, c’est le peuple angolais. Et à plusieurs titres ! Depuis 1975, ce pays est en proie à une effrayante guerre civile. Des multinationales volent ses richesses minières à ce peuple meurtri. Avec le fruit de ce pillage honteux, on fournit des armes aux deux camps en guerre. Enfin, ces armes ainsi acquises sèment la mort et la désolation, provoquent des famines et jettent des milliers de réfugiés sur les chemins incertains de l’exil. Dans l’affaire JCM, on pousse l’ignominie au plus haut point. La Sofremi – la filière officielle donc – vend des armes au gouvernement légal de Dos Santos. Par le biais du président burkinabé Blaise Compaoré – la filière parallèle –, on vend également des armes au mouvement rebelle de Savimbi. Ce n’est pas nous qui portons des accusations gratuites. C’est l’ONU qui le dit. Pour la troisième année consécutive, l’ONU vient de mettre le gouvernement du Burkina Faso en cause, lui reprochant de transformer son territoire en plaque tournante des trafics d’armes et de diamants. Des armes (venues d’on ne sait où) contre des diamants angolais et sierra-leonnais (procurés comment ?), voilà le schéma Compaoré [2]. On aurait pu conclure en disant : « Angolais, entretuez-vous ! ».
7 Mais Jean-Christophe Mitterrand ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. D’abord, cette affaire n’est pas unique. « La République croule sous les affaires. Elf, affaire Tibéri, affaire Roussin, affaire Mitterrand et autres scandales sont en train de miner le peu de confiance que les Français témoignaient à l’endroit de leur classe politique » [3]. Plus spécifiquement, en Afrique, l’affaire Mitterrand est loin d’être unique : diamants de Bokassa, Carrefour du Développement, aujourd’hui Elf, comptes de campagne du RPF.
8 Hommes politiques angoissés en France, dictateurs apeurés en Afrique, opinions publiques écœurées de part et d’autre, il est évident que ce système a ruiné économiquement, politiquement et socialement les pays africains. Tout comme il a ruiné le crédit de la France dans ces pays. Depuis le génocide ruandais de 1994, il était clair qu’une certaine conduite politique avait échoué et ne pouvait plus continuer. Aujourd’hui, c’est le cœur même du système qui est atteint. Il suffit de voir la levée de boucliers contre le juge Corroye pour s’en convaincre.
•De la difficulté d’être Africain, des malheurs d’être francophone
9 L’idée même d’un sommet France-Afrique sonne comme l’officialisation de l’humiliation. Le président français convoque ses vassaux africains qui viennent lui rendre des comptes et prendre des ordres pour la suite. « Chirac reçoit ses femmes », rigolait-on à la veille du sommet de Paris en 1998.
10 L’autre grand-messe, c’est le rituel sommet de la francophonie. Celui de 1999 se tient au Canada, le 3 septembre, dans la ville de Moncton. À l’ouverture du sommet, plusieurs dizaines d’opposants africains portant des pancartes et criant « assassin » accueillaient certains dirigeants africains. « Nous sommes indignés que des chefs d’État coupables de crimes contre l’humanité soient invités ici et reçus avec le tapis rouge ».
11 Nul n’a jamais vraiment attendu quelque chose de valable d’un sommet de la francophonie. Celui de Moncton n’a pas échappé à la règle. Ainsi, on a pu voir le président togolais Éyadéma « remercier le président Jacques Chirac » pour avoir obtenu la mise sur pied de son fameux observatoire de la démocratie. Une sorte d’agence sans structure, sans moyens budgétaires ni moyens matériels et surtout sans volonté politique. Une agence qui n’aurait pas de pouvoir de sanction envers un État qui bafouerait les droits de l’Homme. Le commentaire du secrétaire général de la francophonie ne laisse pas de doute : il n’y aura pas de sanction, à l’instar de ce que le Commonwealth avait fait vis-à-vis du Nigeria du Général Sani Abacha, car « il ne faut pas laisser les opprimés tomber dans l’isolement et dans l’oubli, livrés à eux-mêmes et à leurs bourreaux ». Tant d’hypocrisie et de cynisme laisse pantois. Car que dire quand on sait que ceux qui sont censés défendre ces opprimés sont les « amis » des bourreaux ?
•La tragédie ruandaise
12 Le 3 mars 1998, les députés français décidèrent la mise sur pied d’une « mission parlementaire d’information » sur le rôle de la France au Rwanda entre 1990 et 1994. Il s’agissait de déterminer les responsabilités de la France dans ce drame ruandais. Complicité ? Soutien actif ? Soutien logistique ? Silence coupable ? Vraie enquête ou faux examen de conscience, cet exercice délicat va très rapidement montrer les limites du fameux droit d’inventaire.
13 La scène se passe au début de la crise au Rwanda. Elle a lieu dans le bureau de Jean-Christophe Mitterrand, un homme qu’on ne présente plus. « Nous allons lui envoyer quelques bidasses au petit père Habyarimana. Nous allons le tirer d’affaire » [4]. À Kigali, le gouvernement du dictateur local, Juvénal Habyarimana, est en lutte contre le Front patriotique ruandais basé en Ouganda voisin. En 1959, suite à une décolonisation mal conduite – on ne le dira jamais assez –, la tension entre Hutus et Tutsis dégénère. Des milliers de victimes, les mêmes scènes de désolation, des populations entières en exil dans les pays voisins. Ces réfugiés tutsis mettront trois décennies pour organiser la reconquête et lancent les premières offensives en 1990. Le front épouse la frontière entre Ouganda et Rwanda, opposant l’armée régulière ruandaise, hutue, au FPR qui lance ses attaques depuis le territoire ougandais. Pour trouver de l’aide, Habyarimana se tourne tout naturellement vers la France. Et la suite montre qu’il a raison de le faire puisque « papamadit » décide de lui envoyer « quelques bidasses » pour « le tirer d’affaire ». C’est le début de l’engagement français qui commençait avec l’opération Noroit (octobre 1990 à décembre 1993). Les opérations Amaryllis (avril 1994) et Turquoise (juin-août 1994) viendront après, pour compléter la présence française au Rwanda. Plusieurs centaines de parachutistes et légionnaires français arrivent alors au Rwanda. Ils sont officiellement chargés de protéger les ressortissants français et européens. Interrogé par le Tribunal pénal international (TPI) d’Arusha sur le Rwanda, un officier français qui était sur le terrain témoigne : « Dans les postes que nous avions construits sur la ligne de front, il nous est arrivé de mettre les canons en batterie, après avoir désigné les objectifs. Puis nous nous repliions en laissant les FAR (Forces armées ruandaises) ouvrir le feu ». En réalité, ces hommes encadrent, arment, entraînent et soutiennent les FAR.
14 Jusque-là, rien que du classique dans la françafrique. Que Paris dépêche des légionnaires pour sauver un régime impopulaire et corrompu, cela n’est pas nouveau. Et rien ne permet de dire que cela va cesser, nouvelle politique africaine ou pas. Ce qui a frappé les imaginations, c’est de voir le pouvoir hutu planifier, organiser et mettre à exécution le génocide de la minorité tutsie. Il ne s’agit plus de purification ethnique. C’est une politique sordide qui consiste à éliminer physiquement une minorité nationale qui « pose problème » aux yeux des stratèges du président Habyarimana. Et c’est là qu’intervient une série de questions gênantes : savait-on, à Paris, qu’une telle barbarie était programmée ? Si on ne savait pas : faillite d’une politique, incompétence ? Si on savait, c’est pire : a-t-on sciemment laissé faire, a-t-on une fois encore prêté « assistance technique », a-t-on offert un « concours matériel » ?
15 Le mois d’avril 1994 commence sans que rien n’ait été tenté pour désamorcer la crise au Rwanda. Le 6 du même mois, l’avion du président Habyarimana est abattu par deux missiles. Cet événement marque le début des massacres qui se poursuivront de longues semaines. Les images de cadavres entassés ou flottants dans des marigots, à la télévision, bouleversent le monde entier. Qui a tiré ces missiles, autrement dit, qui a pris la responsabilité d’embraser ce malheureux pays ? Paris savait-il que son protégé à Kigali préparait un génocide ? Devant la commission d’information du Parlement, Édouard Balladur, Premier ministre de cohabitation, et Bernard Debré, ministre de la Coopération au moment des faits, reconnaissent que la France avait certes commis des « erreurs » en soutenant le pouvoir de Kigali. Toutefois, ils ajoutent que l’armée française n’avait aucune responsabilité dans le génocide du Rwanda. Soit ! Il reste une grande difficulté dans le travail des enquêteurs : comment éviter de prononcer le nom de François Mitterrand dans cette affaire ? Dès 1993, les Organisations non gouvernementales qui travaillaient dans la région ont tiré la sonnette d’alarme. Ce fut le cas de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) [5]. L’avocat belge Éric Gillet raconte le travail d’enquête mené par quatre ONG à la suite des premiers massacres de politiciens hutus opposés au président Habyarimana. « Dès mars 1993, l’anatomie de ces massacres est connue de tous les gouvernements ». Déjà, en 1992, la mise en scène, les fausses rumeurs sur les « infiltrés » tutsis, les appels au meurtre diffusés par la radio nationale, préfiguraient le génocide. Les ONG rédigent alors un rapport qui est adressé à l’ONU, aux gouvernements belge, américain et français. « Il y a eu un contact à l’Élysée, précise l’avocat. Human rights watch et la FIDH sont reçus par Bruno Delaye, chef de la cellule africaine de l’Élysée ». Il tire donc la conclusion que les autorités françaises savaient. L’avocat trouve également étonnant que les militaires français n’aient rien su de ce qui se tramait. « Ils partageaient la vie des camps militaires, où s’entraînaient aussi les milices ». Ces milices Intéramwe, créées en août 1991, seront l’instrument du génocide avec la garde présidentielle, l’armée et la gendarmerie. Entendu le 31 mars 1998 par la Commission d’information, José Kagabo, un universitaire tutsi plonge l’auditoire dans l’embarras : « Dans ce génocide, j’ai perdu toute ma belle-famille, cinq frères, dont certains avec leurs femmes et leurs enfants. J’attends de savoir qui, individuellement ou à titre collectif, sachant qu’un génocide était en préparation là-bas, a ordonné d’aider les génocidaires ».
16 Quant au personnel diplomatique, il n’est pas exempt de reproches. Le 24 mars 1998, c’est au tour de Claudine Vidal, directeur de recherche au CNRS, d’être entendue par la commission parlementaire : « Outre la profonde méconnaissance des problèmes ethniques au Rwanda, nombre des intervenants français avaient une conception qui reproduisait purement et simplement la propagande des extrémistes hutus. D’où provenaient ces convictions ? De quels instructeurs, de quels documents ? » [6].
17 L’Afrique, c’est l’Élysée. C’est la cellule africaine, donc le président. Le Rwanda, c’était donc François Mitterrand. Écoutons une fois encore Bernard Debré : « Si le président Mitterrand était assez féru d’Afrique, il avait un travers : c’était, d’une part, des amitiés interlopes, et d’autre part le goût du secret qu’il partageait avec un certain nombre, et en particulier son fils (Papamadit), qui était là assez souvent en Afrique, dans des affaires un peu curieuses de temps en temps ». Défendre la mémoire du défunt président socialiste et faire la lumière sur le rôle de la France dans le drame ruandais, voilà une mission délicate pour le président de la mission d’information, le socialiste Paul Quilès. D’autant qu’il se fixe comme ligne de conduite de « mener ses investigations de manière aussi transparente que possible et de respecter la plus grande rigueur dans ses analyses et dans ses conclusions ».
18 Et pourquoi une « mission d’information » plutôt qu’une « mission d’enquête » ? La question n’est pas simple. Elle n’est pas innocente non plus. Les travaux d’une « mission d’information » ne peuvent donner lieu à des poursuites judiciaires. La précaution n’est pas inutile quand on sait qu’un Tribunal pénal international fonctionne à Arusha en Tanzanie, qui juge les génocidaires et leurs complices. Pour l’organisation humanitaire MSF, la « Commission Quilès » constitue une opération visant à noyer le poisson. On sait ce qu’il en a été. Comme disait Elie Wiesel, « le déporté meurt deux fois : la seconde fois par le silence du bourreau ».
•Nécessaires évolutions
19 En un sens, il faut remercier Jean-Christophe Mitterrand pour sa maladresse. La sortie de l’ombre des réseaux a souligné l’absence de ligne de fracture entre la droite et la gauche françaises dans les affaires commerciales en Afrique à la limite de la légalité, quand elles ne sont pas carrément frauduleuses. Depuis son arrivée au pouvoir en 1981, la gauche a vite appris et rattrapé son retard sur ce terrain. « La gauche, arrivée au pouvoir en 1981, s’inquiétait de l’existence des réseaux Foccart » mis en place par cet ancien conseiller à l’Élysée dans les années soixante et dans la foulée des indépendances, rappelle l’ancien ministre socialiste de la Coopération, Jean-Pierre Cot [7]. M. Cot, qui voulait favoriser une véritable politique de développement du continent noir et lutter contre les pratiques de corruption dans les échanges France-Afrique, se heurtera vite aux réseaux et à la cellule africaine de l’Élysée. Il quittera le gouvernement de gauche dès 1982. En politique intérieure française, le pouvoir socialiste, par le biais d’une commission d’enquête parlementaire, a su se débarrasser du Service d’action civique de sinistre mémoire. Rien n’empêchait qu’un toilettage similaire soit entrepris en matière de politique de coopération. Il n’en sera rien. On n’est pas – ou peu – choqué de voir le député RPR Pierre Mazaud rédiger une constitution sur mesure pour servir de cache-sexe politique au militaire nigérien Ibrahim Baré Maïnassara. Par contre, on est troublé de voir un homme comme Michel Rocard devenir conseiller spécial du président togolais Éyadéma. Tout comme on est surpris devant l’action du responsable socialiste Labertit en faveur de son ami ivoirien, Laurent Gbagbo, le chantre de la très xénophobe idéologie de « l’ivoirité ».
20 François Xavier Verschave [8], dans un entretien accordé à l’AFP, est plus direct : « On s’aperçoit que, derrière ces financements occultes ou parallèles, il y a un mélange, une proximité extraordinaire entre l’argent du pétrole, les ventes d’armes et les services secrets et que tout cela a provoqué, suscité ou entretenu des guerres civiles qui ont fait des millions de morts en Afrique, que ce soit au Congo-Brazzaville, en Angola, au Congo-Kinshasa ou en Sierra-Leone ». La raison, ou le prétexte, de cette conduite, c’est la volonté de s’opposer à l’influence anglo-saxonne sur le continent.
21 Comment l’Afrique – à la lumière de tout ce qui vient d’être écrit – serait-elle dans un état brillant ? Au cours des siècles, ce continent a été considéré comme le vivier, la réserve de main-d’œuvre gratuite (esclavage d’abord, puis travaux forcés prévus par le code de l’indigénat) et le coffre-fort du monde. Il suffit de penser que l’Afrique a subi une Shoah de quatre siècles et demi pour comprendre l’ampleur des dégâts. Avec les années de colonisation, l’Occident a choisi d’avaler plus directement les territoires (baptisées terres vacantes), les habitants (fort opportunément devenus des indigènes) et les richesses minières. Il faut considérer les tracés des routes, des chemins de fer et des lignes de télécommunication pour comprendre ce qui s’est passé. Chaque puissance coloniale se préoccupait avant tout de drainer les richesses par le plus court chemin vers sa métropole en Europe. Ainsi, on organisait le continent africain au service du continent européen et de ses dépendances américaines.
22 Les indépendances ne se sont pas mieux passées. Pendant que le Général de Gaulle faisait de grands et beaux discours, les réseaux Foccart se mettaient en place. Des réseaux occultes pour soutenir des dictateurs, et, économiquement, la dette servant de fil à la patte, des contrats de coopération léonins (le genre de coopération entre le cavalier et son cheval), voilà le dispositif d’aide à l’Afrique. Une aide si corrosive qu’on en voit les résultats aujourd’hui. Et le plus fort, c’est que le citoyen français est confortablement persuadé que c’est la France qui fait vivre l’Afrique alors que c’est tout à fait le contraire.
23 Même les politiques d’immigration portent la marque de ces pillages. Pour obtenir un ingénieur, cela a un coût. Il faut d’abord mettre au monde un enfant, le nourrir, le soigner, le faire vivre jusqu’à l’âge adulte. Il faut y ajouter le prix de la formation depuis les bancs de la maternelle jusqu’à la sortie de l’université. Tous ces coûts sanitaires, alimentaires, éducatifs… sont comptabilisés dans les montants de la dette du tiers-monde. On voit donc une famille d’un pays pauvre se saigner, l’État de ce pays aggraver sa dette pour qu’à la fin un pays riche hérite d’un cadre qualifié sans bourse délier. Tant que le pillage – déguisé ou brutal – continuera, tant que le soutien aux dictateurs contre leur peuple restera l’unique système de coopération, le continent africain restera à la traîne. Mondialisation ou pas. Globalisation ou pas. •
Notes
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[*]
Journaliste
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[1]
Le Canard enchaîné, 24 janvier 2001.
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[2]
Libération, 5 janvier 2001.
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[3]
S. Truffaut, Le devoir, Édition internet, 3 janvier 2001.
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[4]
Libération, jeudi 23 avril 1998.
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[5]
Libération, 1er avril 1998.
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[6]
Le Monde, 25 mars 1998.
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[7]
Le Monde diplomatique, janvier 2001.
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[8]
F. X. Verschave, Noir silence, Les arènes, 2000.