Monde(s) 2014/2 N° 6

Couverture de MOND_142

Article de revue

Entre geste impériale et cause internationale : défendre les indigènes à Genève dans les années 1920

Pages 23 à 43

Notes

  • [1]
    René Claparède, « Discours d’ouverture de la Ligue suisse pour la défense des indigènes dans le bassin conventionnel du Congo », Courrier européen, 5e année, n° 15, 25 juillet 1908, p. 412.
  • [2]
    Homme de lettres, René Claparède (1863-1928) appartient à une famille universitaire genevoise assez connue. Il est proche des réseaux intellectuels dreyfusistes dans les années 1910 et soutient notamment la revue internationaliste Le Courrier européen. Il est également membre de l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society.
  • [3]
    Cet article a été publié par le secrétaire de l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society, John H. Harris, “Native Races and Peace Terms”, Contemporary Review, n° 109 (June 1916), p. 751-759. La brochure de 1917 est rédigée par René Claparède et par le secrétaire du Bureau international, Eugène Mercier-Glardon. Cf. René Claparède, Eugène Mercier-Glardon, Un Bureau international pour la défense des Indigènes, Genève, Société générale d’imprimerie, 1917.
  • [4]
    Il estime que « la réunion était plutôt décevante et, semble-t-il, rassemblait surtout des excentriques » (notre traduction), Archives du BIT, Genève, Correspondance avec le bidi, D/600/720/1, rapport sur la réunion du 3 septembre 1925, p. 1. Harold Grimshaw (1880-1929) entre au bit dès 1920 et met sur pied l’enquête sur le travail indigène, prélude de la convention contre le travail forcé. Il enquête lui-même dans les Indes néerlandaises et en Afrique du Sud début 1929. Voir son dossier personnel, Archives du bit, p. 131.
  • [5]
    On se contente ici de renvoyer à Susan Pedersen, “The Meaning of the Mandates System : An Argument”, Geschichte und Gesellschaft, vol. 32, 2006/4, p. 560-582 ; Paul-André Rosental, « Géopolitique et État-providence. Le BIT et la politique mondiale des migrations dans l’entre-deux-guerres », Annales. Histoire Sciences Sociales, 2006/1, p. 99-134 ; Sandrine Kott, « Une “communauté épistémique” du social ? Experts de l’oit et internationalisation des politiques sociales dans l’entre-deux-guerres », Genèses, n° 71, juin 2008, p. 26-46.
  • [6]
    Richard Drayton, “Beyond Humanitarian Imperialism : The Dubious Origins of ‘Humanitarian Intervention’ and Some Rules for its Future”, in Brownen Everill, Josiah Kaplan, eds., The History and Practice of Humanitarian Intervention and Aid in Africa (London : Palgrave Macmillan, 2013), p. 217-231.
  • [7]
    Johannes Paulmann, “Conjunctures in the History of International Humanitarian Aid During the Twentieth Century”, Humanity : An International Journal of Human Rights, Humanitarianism and Development, vol. 4, (2013/2), p. 215-238.
  • [8]
    Andrew Porter, “Trusteeship, Anti-Slavery and Humanitarianism”, The Oxford History of the British Empire, Andrew Porter, ed., The Nineteenth century, vol. III (Oxford : Oxford University Press, 1999), p. 198-222 ; Sandra Bott, Thomas David, Claude Lützelschwab, Janick Marina Schaufelbuehl (dir.), Suisse-Afrique (xviiie- xxe siècles) : de la traite des Noirs à la fin du régime de l’apartheid, Münster, Lit Verlag, 2005 ; Ariane Spicher, « La Ligue suisse pour la défense des indigènes et le nouvel esclavage (1908-1940) », mémoire de licence, faculté des lettres de l’Université de Fribourg, 1990. Je remercie Thomas David de m’avoir signalé cette référence.
  • [9]
    Kevin Grant, A Civilised Savagery. Britain and the New Slaveries in Africa, 1884- 1926 (London : Routledge, 2005), chap. 2 ; Dean Pavlakis, “The Development of British Overseas Humanitarianism and the Congo Reform Campaign”, The Journal of Colonialism and Colonial History (2010/1), p. 1-20.
  • [10]
    Sur cette économie de prédation, voir Catherine Coquery-Vidrovitch, Le Congo au temps des grandes compagnies concessionnaires, 1898-1930, Paris, Éditions de l’ehess, 2001 (1972 1re ed.) ; Daniel van Groenweghe, Du sang sur les lianes. Léopold II et son Congo, Bruxelles, Didier/Hatier, 1986.
  • [11]
    Voir Kevin Grant, A Civilised Savagery, op. cit. (cf. note 9).
  • [12]
    Catherine Cline, E. D. Morel, 1873- 1924. The Strategies of Protest (Belfast : Blackstaff Press, 1980) ; Jules Marchal, E. D. Morel contre Léopold II : l’histoire du Congo, 1900- 1910, Paris, L’Harmattan, 1996 ; Adam Hochschild, Les fantômes du roi Léopold. Un holocauste oublié, Paris, Belfond, 1998.
  • [13]
    Daniel van Groenweghe, Du sang sur les lianes, op. cit. (cf. note 10).
  • [14]
    Pierre Singaravélou, « Les stratégies d’internationalisation de la question coloniale et la construction transnationale d’une science de la colonisation à la fin du xixe siècle », Monde(s). Histoire, espaces, relations, n° 1, 2012, p. 135-158.
  • [15]
    Dean Pavlakis, “The Development of British Overseas Humanitarianism”, op. cit. (cf. note 9).
  • [16]
    Anthony Anghie, Imperialism, Sovereignty and the Making of International Law (Cambridge : Cambridge University Press, 2004).
  • [17]
    Suzanne Miers, Britain and the Ending of the Slave Trade (London : Longman, 1975), p. 309-314.
  • [18]
    Tracie Matysik, “Internationalist Activism and Global Civil Society at the High Point of Nationalism : The Challenge of the Universal Races Congress, 1911”, in Anthony Hopkins, ed., Global History. Interactions between the Universal and the Local (New York : Palgrave Macmillan, 2006), p. 131-159.
  • [19]
    Charles Swaisland, The Aborigines’ Protection Society and British Southern and West Africa, Thesis, Oxford, 1968 ; Kenneth D. Nworah, “The Aborigines’ Protection Society, 1889-1909 : A Pressure Group in Colonial Policy”, Canadian Journal of African Studies (1971/1), p. 79-91 ; James Heartfield, The Aborigines’ Protection Society. Humanitarian Imperialism in Australia, New Zealand, Fiji, Canada, South Africa and the Congo, 1836- 1909 (London : Hurst and Company, 2011).
  • [20]
    Emmanuelle Sibeud, « Une libre pensée impériale ? Le Comité de protection et de défense des indigènes (ca. 1892-1914) », Mil Neuf Cent, n° 27, 2009, p. 57-74.
  • [21]
    Kevin Grant, A Civilised Savagery, op. cit. (cf. note 9).
  • [22]
    René Claparède, Eugène Mercier-Glardon, Un Bureau international, op. cit., p. 14-20 (cf. note 3).
  • [23]
    Ibid., p. 17.
  • [24]
    Id. En novembre 1910, dans le brouillon d’une lettre destinée à Paul Desjardins à propos de la décade sur le droit des peuples et l’impérialisme qu’il a organisée à Pontigny, René Claparède regrette expressément ne pas avoir trouvé « nos Congolais sous la même couverture protectrice que leurs frères de Finlande, d’Alsace et de Pologne », Bibliothèque de l’Université de Genève, papiers René Claparède, Ms. Fr. 3984, dossier n° 7.
  • [25]
    René Claparède, Eugène Mercier-Glardon, Un Bureau international, op. cit., p. 10-11 (cf. note 3).
  • [26]
    Ibid., p. 8 ; Frederick Cooper, Ann L. Stoler, “Between Metropole and Colony. Rethinking a Research Agenda”, in Frederick Cooper, Ann L. Stoler, eds., Tensions of Empire. Colonial Cultures in a Bourgeois World (Berkeley : University of California Press, 1997), p. 31.
  • [27]
    Alan Lester, Imperial Networks : Creating Identities in Nineteenth Century South Africa and Britain (London-New York : Routledge, 2001) ; Zoe Laidlaw, Colonial Connections 1815- 1845 : Patronage, the Information Revolution, and Colonial Government (Manchester : Manchester University Press, 2005) ; Elizabeth Elbourne, Blood Ground : Colonialism, Missions, and the Contest for Christianity in the Cape Colony and Britain, 1799- 1853 (Montreal : McGill-Queen’s University Press, 2008).
  • [28]
    Dès 1908, René Claparède est intervenu à ce sujet devant les Ligues d’acheteurs en Suisse (Bibliothèque de l’Université de Genève, papiers René Claparède, Ms. Fr. 3975, lettre de Félicien Challaye à René Claparède, le 1er octobre 1908). Il entretient par ailleurs une correspondance avec le chocolatier Russ-Suchard qui participe au boycott (ibid., Ms. Fr. 3983).
  • [29]
    Bibliothèque de l’Université de Genève, papiers René Claparède, Ms. Fr. 3983.
  • [30]
    Guy Vanthemsche, La Belgique et le Congo. Empreintes d’une colonie, 1885-1980, Nouvelle histoire de la Belgique, vol. 4, Bruxelles, Éditions Complexe, 2007, coll. « Questions à l’histoire ».
  • [31]
    John Stuart, “Beyond Sovereignty ? Protestant Missions, Empire and Transnationalism, 1890-1950”, in Kevin Grant, Philippa Levine, Frank Trentmann, eds., Beyond Sovereignty : Britain, Empire, and Transnationalism, c. 1880- 1950 (London : Palgrave Macmillan, 2007), p. 103-125.
  • [32]
    Bodleian Library, Rhodes House, Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society Papers, MSS Brit. Emp., E 2 Minute Books of the AS and APS, 1909-1920, entrées 1798 (5 août 1910) et 1811 (7 octobre 1910).
  • [33]
    Emmanuelle Sibeud, « L’anticolonialisme », in Vincent Duclert, Perrine Simon-Nahum (dir.), Les événements fondateurs. L’Affaire Dreyfus, Paris, Armand Colin, 2009, « Collection U », p. 140-147.
  • [34]
    On emprunte la notion de « conversation coloniale » à Jean and John Comaroff, Ethnography and the Historical Imagination (Boulder : Westview Press, 1992).
  • [35]
    Bibliothèque de l’Université de Genève, papiers René Claparède, Ms 3975, correspondance avec Félicien Challaye et Pierre Mille. À partir de 1912 cependant, la Ligue suisse publie un bulletin indépendant et « suisse », ce qui suggère qu’elle a elle aussi besoin de faire résonner la corde patriotique pour conserver ses adhérents.
  • [36]
    Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society, Slavery in Europe. A Letter to Neutral Governments from the Anti-Slavery Society (London : Antislavery and Aborigines’ Protection Society, 1917). De façon révélatrice, l’Anti-Slavery Society oublie pour l’occasion qu’elle est depuis 1909 l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society.
  • [37]
    Bibliothèque de l’Université de Genève, papiers René Claparède, Ms. Fr. 3984, lettres échangées avec Travers Buxton (le troisième secrétaire de l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society) entre 1915 et 1917.
  • [38]
    Dès septembre 1914, Edmund D. Morel a créé une association politique, l’Union of Democratic Control, qui milite contre la diplomatie secrète et qui est proche de l’International Labour Party. Fin 1917, elle rassemble déjà 10 000 membres. À la fin de la guerre, elle compte plus de 300 sections et 650 000 membres ; voir Catherine Cline, E. D. Morel, 1873- 1924, op. cit., p. 98-115 (cf. note 12).
  • [39]
    Tyler Stovall, “The Color Line behind the Lines : Racial Violence in France during the Great War”, The American Historical Review, vol. 103, (1998/3), p. 737-769 ; “National Identity and Shifting Imperial Frontiers : Whiteness and the Exclusion of Colonial Labor After World War I”, Representations, vol. 84 (2003/1), p. 52-72.
  • [40]
    Tyler Stovall, “National Identity and Shifting Imperial Frontiers”, op. cit., p. 11-13 (cf. note 39) ; René Claparède, « L’Europe et les races dites inférieures », Revue de politique internationale (Lausanne), mars-avril 1918, p. 1-15.
  • [41]
    William E. B. Du Bois, « Les racines africaines de la guerre », Atlantic Monthly, vol. 115/5 (1915), p. 707-714. Voir la présentation de George Steinmetz, « W.E.B. Du Bois. Les origines africaines de la guerre », Actes de la recherche en sciences sociales, « Politiques impérialistes. Genèses et structures de l’État colonial », n° 171-172, 2008, p. 75-89. La fameuse expression sur la « ligne de couleur », problème majeur du xxe siècle a été utilisée par William E.B. Du Bois à la conférence panafricaine de Londres en 1900 puis dans Les âmes du peuple noir paru en anglais en 1903. William E.B. Du Bois a pris contact avec l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society en 1911, lors du congrès universel des races et René Claparède le connaît par ce biais.
  • [42]
    Heather Jones, “International or transnational ? Humanitarian action during the First World War”, European Review of History-Revue européenne d’histoire, vol. 16/5 (2009), p. 697-713.
  • [43]
    John et Alice Harris ont inauguré leur mandat de secrétaires de l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society par une tournée d’une année entière (1911-1912) en Afrique de l’Ouest, de la Gambie à l’Angola, en passant par Sao Tomé et Principe, et bien sûr par le Congo belge où ils ont enquêté sur les réformes en cours. En 1914, ils passent encore plusieurs mois en Afrique du Sud pour enquêter sur les conséquences de la loi foncière adoptée en 1913.
  • [44]
    Le comité fait construire des « huttes de récréation » qui servent également de lieux de prière et propose aux travailleurs des chaussettes et des gants de laine, des jeux de société (tels que des dominos), des gramophones et des disques et les inévitables équipements de cricket (Bodleian Library, Rhodes House, Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society Papers, MSS Brit. Emp. S16–24, H 2 (46) : “Committee for the Welfare of Africans in Europe, 1917-1922”).
  • [45]
    Aix-en-Provence, CAOM, 1Affpol 96 et 97, Commission d’étude des questions coloniales posées par la guerre.
  • [46]
    Michael D. Callahan, Mandates and Empire. The League of Nations and Africa, 1914- 1931 (Brighton : Sussex Academic Press, 1999), p. 67-73.
  • [47]
    Susan Pedersen, “The Meaning of the Mandates System : An Argument”, Geschichte und Gesellschaft, vol. 32 (2006/4), p. 560-582. Voir également Anthony Anghie, Imperialism, op. cit. (cf. note 16).
  • [48]
    Comptes rendus des débats de la troisième session annuelle de la commission permanente des mandats en juillet-août 1923, Société des nations, VI(a), 1923-24, Document A 19. 1923. VI. Genève, le 24 août 1923, p. 48-51.
  • [49]
    Lors de l’assemblée de la sdn de septembre 1922, le gouvernement australien se plaint d’avoir été obligé de justifier sa politique mandataire à Nauru lors de la première séance publique de la commission (juillet 1922). Celle-ci est blâmée, ce qui est ressenti comme un « recul » et une « défaite » par William Rappard et son équipe. Archives de la SDN, Genève, R. 80, lettre du 6 novembre 1922.
  • [50]
    Section d’information, Secrétariat de la Société des nations, La Société des nations et les mandats, Genève, août 1924, p. 29-30.
  • [51]
    John Harris sollicite les multiples fonds philanthropiques britanniques. En mai 1922, William Rappard envoie un don qui sauve in extremis le Bureau. Les deux hommes se croisent à l’Association genevoise pour la sdn (Bibliothèque de l’Université de Genève, papiers René Claparède, Ms. Fr. 3983, lettre de René Claparède à William Rappard le 25, mai 1922).
  • [52]
    Bodleian Library, Rhodes House, Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society Papers, MSS Brit. Emp., S 22/G 471, “International Bureaux”, John Harris, “Report upon Continental Organizations for the Protection of native races”, mars 1920, p. 1.
  • [53]
    Amelia Ribi, “‘The Breath of a New Life’ ? British Anti-Slavery Activism and the League of Nations”, in Daniel Laqua, ed., Internationalism Reconfigured. Transnational Ideas and Movements between the World Wars (London : I. B. Tauris, 2011), p. 93-113.
  • [54]
    Bodleian Library, Rhodes House, Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society Papers, MSS Brit. Emp., S 22/G 471, “International Bureaux”, lettre d’Édouard Junod le 30 juillet 1922 et réponse du président de l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society le 11 octobre 1922.
  • [55]
    Bodleian Library, Rhodes House, Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society Papers, MSS Brit. Emp., S 22/G 471, “International Bureaux”, correspondance pour 1923.
  • [56]
    Il y accède en 1929 (cf. note 4). Voir également James P. Daughton, “Behind the Imperial Curtain : International Humanitarian Efforts and the Critique of French Colonialism in the Interwar Years”, French Historical Studies, vol. 34 (2011/3), p. 503-529.
  • [57]
    Bodleian Library, Rhodes House, Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society Papers, MSS Brit. Emp., S 22/G 471, “International Bureaux”, lettres du 25 et du 28 juin 1921. William E. B. Du Bois qui connaît John Harris et vraisemblablement aussi René Claparède, n’a pas besoin de leur médiation et se garde bien de les prévenir de ses démarches, ce qui ne manque pas de les indigner.
  • [58]
    Comme le prévoit l’article 17 du pacte de la SDN. Voir Joëlle Rostowski, “The Redman’s Appeal for Justice : Deskaheh and the League of Nations”, in Christian F. Feest, ed., Indians and Europe. An Interdisciplinary Collection of Essays (Aachen : Herodot, 1987), p. 435-453 ; Laurence M. Hauptman, Seven Generations of Iroquois Leadership. The Six Nations since 1800 (Syracuse : Syracuse University Press, 2008), p. 124-142.
  • [59]
    Le Canada conteste le principe de solidarité entre les États membres de la sdn (article 10 du Pacte) qui est crucial pour ces petites nations européennes.
  • [60]
    Les Indiens reprennent leur combat auprès de l’Organisation des Nations unies dès sa constitution à San Francisco en 1945. Ils contribuent ainsi à la lente construction des droits des populations autochtones ; voir Grace Li XiuWoo, “Canada’s Forgotten Founders : The Modern Significance of the Haudenosaunee (Iroquois) Application to the League of Nations”, Law, Social Justice and Global Development Journal (2003), en ligne http://elj.warwick.ac.uk/global/03-1/woo.html (consulté en mars 2014).
  • [61]
    Erez Manela, The Wilsonian Moment. Self-Determination and the International Origins of Anticolonial Nationalism (Oxford : Oxford University Press, 2007).
  • [62]
    Se reporter à la note 33.
  • [63]
    Bibliothèque de l’Université de Genève, papiers René Claparède, Ms. Fr. 3995, compte rendu de la deuxième assemblée générale de la Ligue internationale de défense des indigènes, 1924.
  • [64]
    Bodleian Library, Rhodes House, Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society Papers, MSS Brit. Emp., S 22/G 471, “International Bureaux”, lettre du 14 avril 1924.
  • [65]
    Junod écrit à la Chine, la Pologne, le Danemark, la Norvège, le Portugal, la Bulgarie, le Luxembourg et la Bolivie, en invoquant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (Bibliothèque de l’Université de Genève, papiers René Claparède, Ms. Fr. 3995, lettre d’Édouard Junod à René Claparède, le 28 février 1924).
  • [66]
    À partir de 1924, la première séance est publique, ce qui permet de ne pas renier le principe de la publicité tout en l’appliquant à une séance jugée inoffensive où sont présentés les intervenants et le programme d’ensemble.
  • [67]
    Bibliothèque de l’Université de Genève, papiers René Claparède, Ms. Fr. 3995, compte rendu de la deuxième assemblée générale de la Ligue internationale de défense des indigènes, 1924.
  • [68]
    La première citation vient du rapport de René Claparède cité ci-dessus. Pour la seconde : voir Bibliothèque de l’Université de Genève, papiers René Claparède, Ms. Fr. 3975, lettre de Félicien Challaye à René Claparède le 16 août 1920. Challaye vise nommément John Harris qui cherche à ressusciter la Ligue française en y intégrant des personnalités du parti colonial « manifestement contraires à nos idées », p. 11.
« La Suisse a son rôle tout tracé dans cette œuvre internationale de justice réparative [sic] et d’anti-esclavagisme préventif. Elle a le bonheur de ne pas avoir de colonies, et l’on ne peut lui reprocher de s’occuper des colonies des autres avec du sang sur les mains » [1].

1Peut-on être Suisse et défenseur des indigènes ? En juillet 1908, René Claparède [2] revendique ouvertement cette mission paradoxale au nom de la Ligue suisse pour la défense des indigènes dans le bassin conventionnel du Congo qui tient alors son assemblée inaugurale à Genève. Il franchit un pas de plus en 1913 en créant un Bureau international de défense des indigènes (désormais Bureau) qui doit coordonner les activités de toutes les associations qui affirment prendre en charge la protection des indigènes. En 1917 cependant, le Bureau est menacé de disparition imminente. La guerre impose une censure étouffante, la propagande alliée dénonce les atrocités dont se seraient rendus coupables les Allemands dans leurs colonies et les caisses du Bureau sont désespérément vides. Il est sauvé par l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society de Londres qui envoie les subsides nécessaires à l’impression d’une brochure présentant le Bureau et qui le charge par ailleurs de traduire un article sur « la question indigène et le prochain congrès de la paix » [3]. En 1920, le Bureau est réorganisé, mais il reste en marge des réseaux d’expertise internationale en matière coloniale qui se restructurent autour de la commission permanente des mandats de la Société des nations (sdn) et du Bureau international du travail (bit). Chargé en 1925 d’assister à son assemblée annuelle, Harold Grimshaw, chef de la section diplomatique du bit et délégué de celui-ci auprès de la Commission permanente des mandats depuis 1922, la décrit comme une réunion d’« excentriques » [4].Le Bureau subsiste pourtant jusqu’en 1940. Comment expliquer cette longévité ? Faut-il y voir la preuve de son inutilité ? Ou, au contraire, le signe que le projet internationaliste qui le porte a plus de consistance que ne veut l’admettre une partie de ses contemporains ?

2S’il n’est pas question d’accorder a posteriori au Bureau l’influence qu’il n’a jamais obtenue, au grand désarroi d’ailleurs de son fondateur et premier président, René Claparède, il importe pourtant d’examiner la place qu’il occupe dans l’histoire imbriquée de la protection des indigènes, geste impériale s’il en fut, et des institutions internationales qui ont réclamé à partir de 1919 la « mission sacrée » de veiller sur le bien-être et sur le développement des « peuples non encore capables de se diriger eux-mêmes dans les conditions particulièrement difficiles du monde moderne », selon les termes de l’article 22 du pacte de la sdn. Des travaux importants se sont attachés à montrer comment, en pratique, la commission permanente des mandats de la sdn et le bit sont devenus des arènes où se forgeaient de nouvelles normes fondées sur des expertises techniques, les unes et les autres de plus en plus difficiles à ignorer, même si elles n’étaient pas contraignantes [5]. L’histoire de l’humanitarisme est elle aussi en plein essor depuis quelques années, comme le montre la création en 2010 d’une revue spécialisée, Humanity : An International Journal of Human Rights, Humanitarianism and Development. Les effets d’écho entre la rhétorique de la mission civilisatrice, drapée dans la notion de « protection » depuis la conférence de Berlin en 1885, et la « responsabilité de protéger » que l’Organisation des Nations unies a intégré dans ses missions officielles en 2005, ont suscité des mises en perspective appelant les historiens à la vigilance critique [6]. Elles doivent être complétées par une histoire conjoncturelle qui permet de faire une place à tous les acteurs : aspirants protecteurs plus ou moins légitimes et surtout, protégés, consentants ou non [7]. Les évolutions picrocholines du Bureau de sa première fondation à sa réorganisation dans les années 1920 sont un précieux fil conducteur pour entrer dans une telle histoire, en sortant du cadre intra-impérial, souvent implicitement adopté, pour analyser les implications de l’alternative ouverte par le scandale transnational du Congo qui redéfinit la protection des indigènes comme une cause internationale dont les Empires ne sont pas les seuls acteurs.

De Berlin à Genève : les leçons d’un scandale

3Le Bureau est créé en mai 1913 par quatre associations nationales : l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society de Londres, les Ligues française, suisse et allemande de protection des indigènes dans le bassin conventionnel du Congo. Toutes ont été fondées ou réorganisées pendant le scandale du Congo. L’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society et plus indirectement, la Ligue suisse bénéficient en outre des puissants effets d’écho avec l’abolitionnisme du xixe siècle [8]. En juin 1913, la Congo Reform Association, la cheville ouvrière du scandale depuis sa fondation en 1904, se dissout lors d’une cérémonie publique aussi imposante que les rassemblements de plusieurs milliers de personnes dans des lieux tels que l’Albert Hall à Londres, qu’elle a organisés en Grande-Bretagne [9]. Cette dissolution doit refermer symboliquement le scandale international et transnational qui rebondit depuis la fin des années 1890. Les remerciements et la souscription adressés à Edmund D. Morel, le journaliste à l’origine de la Congo Reform Association, doivent aussi le convaincre de se rallier à la position du gouvernement britannique, qui vient de reconnaître l’annexion de l’État indépendant du Congo (eic) par la Belgique après plus de quatre ans de probation (l’annexion a été votée par le parlement belge fin 1908 et elle a pris effet en 1909).

4Depuis les années 1890, les populations du bassin de l’eic, puis du Congo français subissent une exploitation sanglante. Des régions entières de l’eic ont été cédées à partir de 1891 par le roi Léopold II à des compagnies concessionnaires dont il est par ailleurs actionnaire. Ce système est adopté au Congo français en 1898. Les populations sont contraintes par tous les moyens de collecter le caoutchouc qui pousse à l’état sauvage dans les forêts. Les agents des compagnies concessionnaires, avec le soutien de l’administration coloniale, tuent, prennent en otages les femmes et les enfants, battent et mutilent les réfractaires ou ceux qui ne peuvent fournir la quantité de caoutchouc exigée. Certaines populations sont décimées, d’autres fuient et s’insurgent [10].Principaux bénéficiaires des mesures de protection énoncées par l’article 6 de l’Acte de Berlin (1885) qui a instauré en théorie le libre-échange et la liberté de circuler et de fonder des missions dans le bassin du Congo, les missionnaires protestants anglophones dénoncent ces violences dès la fin des années 1890 et l’Aborigines’ Protection Society tente d’obtenir en 1897 une intervention de la Grande-Bretagne, signataire de l’Acte de Berlin et co-responsable à ce titre de son application [11]. En 1900, le journaliste Edmund D. Morel démontre que l’eic, qui exporte des quantités croissantes de caoutchouc, importe en retour essentiellement des armes et des munitions et il souligne la contradiction manifeste entre le libre-échange garanti par l’Acte de Berlin dans le bassin du Congo et le recours à des sociétés concessionnaires qui ont le monopole de la collecte et du commerce [12]. Forte de cette démonstration et des informations qui se sont accumulées dans les réseaux philanthropiques, la Chambre des communes demande au gouvernement britannique, en mai 1903, de prendre l’initiative de réunir une nouvelle conférence internationale sur l’Afrique pour évaluer la situation dans le bassin du Congo. Le Foreign Office envoie une note en ce sens en août 1903 à toutes les puissances signataires et il charge en parallèle Roger Casement, consul britannique à Boma (capitale de l’État indépendant du Congo) d’enquêter sur place. Le rapport est accablant et sa publication contraint Léopold II à diligenter sa propre mission d’enquête, internationale elle aussi, dans la mesure où elle réunit un magistrat belge, un magistrat allemand et un magistrat italien [13]. Elle incite également Edmund D. Morel à créer la Congo Reform Association qui reprend le projet d’organiser une nouvelle conférence sur l’Afrique qui destituerait Léopold II, souverain autoproclamé de l’eic depuis 1885, et transformerait cet État singulier en colonie sous tutelle internationale [14].

5Cette réédition de la conférence de Berlin n’a jamais eu lieu, mais l’espoir de la réunir s’est éteint seulement en 1919. Dès 1908 cependant, une tout autre solution s’est imposée. Léopold II a été contraint de léguer sa colonie à ses sujets belges et la nationalisation de l’État indépendant du Congo, transformé en Congo belge, a permis de rétablir l’ordre inter-impérial à l’exclusion de toute tutelle internationale. Par défaut, c’est la Grande-Bretagne qui place sous la surveillance de ses consuls les réformes entreprises au Congo belge [15]. La conclusion est donc bien amère en 1913 pour les réseaux qui ont fait vivre le scandale depuis 1904. Ils doivent se ranger à la raison des Empires, mais la création du Bureau, avant même la dissolution de la Congo Reform Association, montre qu’ils n’abandonnent pas la partie.

6La nationalisation de l’eic est en réalité une solution par défaut et, de façon révélatrice, la note diplomatique britannique de 1903 est restée sans réponse. Comme l’a montré Anthony Anghie, le droit international a été repensé depuis les années 1870 en interaction étroite avec les expériences coloniales et il repose fondamentalement sur une logique de rétractation et d’exclusion justifiée par la mission civilisatrice dont seraient seuls investis les États occidentaux [16]. Si les termes de l’article 6 de l’Acte de Berlin sur la « conservation » des populations indigènes et l’amélioration de « leurs conditions morales et matérielles » ne comportent aucune obligation pratique pour les signataires, ils sont néanmoins irrécusables. Il faut, en 1919, la surenchère de l’article 22 du pacte de la sdn qui invoque la « mission sacrée de civilisation » des puissances mandataires, pour escamoter les actes de Berlin et de Bruxelles déclarés caducs [17]. Le projet d’internationalisation de la tutelle coloniale a en somme autant de légitimité en 1913 que les cloisons érigées en pratique par les puissances coloniales autour de leurs colonies ou de leur Empire. Et les réseaux qui fondent en 1913 le Bureau pour faire vivre ce projet ne sont pas les seuls à parier sur l’internationalisme pour réformer de façon plus profonde l’impérialisme. Les intellectuels afro-américains et antillais qui ont participé à la première conférence panafricaine de Londres en juillet 1900 et ceux qui affluent au premier congrès des races en 1911, à Londres également, nourrissent le même espoir [18].

Une cause impériale et internationale

7La défense des indigènes n’est pas une cause nouvelle en 1913. L’Aborigines’ Protection Society s’y consacre depuis 1837 en Grande-Bretagne [19]. Une Société de protection des indigènes des colonies a été créée en France en 1881, elle a fait long feu, mais elle a été relayée à partir du milieu des années 1890 par le Comité de protection et de défense des indigènes présidé par Paul Viollet [20]. L’Aborigines’ Protection Society et le Comité de protection et de défense des indigènes demandent aux autorités impériales des enquêtes sur les spoliations, les crimes et les abus dont ils ont connaissance. Réunir des soutiens parlementaires ou intellectuels pour faire pression sur le Colonial Office ou sur le ministre des Colonies en France leur est plus facile que de rassembler les informations nécessaires pour présenter un cas consistant. Le Comité de protection et de défense des indigènes reste très discret et l’influence de l’Aborigines’ Protection Society a fortement décliné à la fin du xixe siècle. Une relève se dessine à l’occasion du scandale du Congo. L’Aborigines’ Protection Society fusionne en 1910 avec la British and Foreign Anti-Slavery Society, créée en 1839 pour élargir le combat abolitionniste au-delà de l’Empire britannique. John Harris et son épouse Alice, qui ont été missionnaires dans l’État indépendant du Congo, puis ont contribué au succès remarquable de la Congo Reform Association, sont recrutés comme secrétaires de la toute nouvelle Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society, qui ouvre de nouvelles sections locales, en Grande-Bretagne, mais aussi en Afrique de l’Ouest, et qui dispose d’un budget croissant [21]. Une Ligue française pour la défense des indigènes dans le bassin conventionnel du Congo est créée en 1908 par Félicien Challaye, qui a été le secrétaire personnel de Pierre Savorgnan de Brazza lors de son inspection au Congo fin 1905. Elle reste trop confidentielle pour rivaliser avec le Comité de protection de défense des indigènes et partage avec lui les maigres bénéfices de l’intérêt nouveau pour les questions coloniales suscitées dans les réseaux intellectuels français par le scandale vite étouffé du Congo français. La Ligue des droits de l’homme accorde également une attention plus soutenue à la politique coloniale et, à partir de 1909, Félicien Challaye est membre de son comité central. Une Ligue suisse pour la défense des indigènes dans le bassin conventionnel du Congo est fondée à Genève en 1909. Comme la Ligue française et la Ligue allemande (1910), elle est une déclinaison nationale de la Congo Reform Association. Une Ligue américaine s’est également constituée en 1905, mais elle s’est rapidement assoupie, à la grande déception des Ligueurs européens qui comptaient sur elle pour trouver « leur Rockefeller ». Le Bureau vient se greffer en 1913 sur ce réseau composite d’associations à l’ancienneté et à l’influence très dissemblables.

8La brochure publiée en 1917 propose un bilan de ses activités en 1913-1914. Eugène Mercier-Glardon rappelle la vocation du Bureau international : servir de secrétariat permanent entre les ligues et les sociétés nationales de défense des indigènes. Il donne la liste des douze sociétés avec lesquelles des contacts ont été noués, en Grande-Bretagne, en France, en Suisse, en Italie, en Allemagne, au Pérou, en Australie, aux États-Unis et au Canada et il ajoute les associations encore en projet au Portugal et en Bolivie. Il présente également les quatre questions dont le Bureau s’est plus spécialement occupé :

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« 1. La défense des indigènes odieusement maltraités au Pérou, sur les bords du Putumayo. 2. La question de l’esclavage aux Nouvelles Hébrides. 3. Un cas de déni de justice dans une exploitation anglaise de l’Amérique du Sud. 4. La vente de jeunes Arméniennes en pleine ville de Constantinople » [22].

10Il se veut résolument optimiste sur l’avenir du Bureau, momentanément paralysé par la guerre. Il doit néanmoins évoquer les divergences qui sont apparues à propos de la défense des jeunes Arméniennes vendues à Constantinople. Cette question a mis en évidence la confusion latente entre défense des indigènes et antiesclavagisme et la difficulté à définir précisément l’identité des « indigènes » défendus par le Bureau international. Celui-ci a été rappelé à l’ordre par les ligues nationales « qui ne s’occupent que des “races de couleur” » et qui ont demandé au Bureau de faire de même [23]. L’incident est révélateur de l’ambivalence du Bureau quant à la fameuse « ligne de couleur ». René Claparède et Eugène Mercier-Glardon rêvent tout à la fois que le Bureau devienne une « Croix-Noire », autrement dit l’équivalent de la Croix-Rouge pour les indigènes, et de défendre « la cause des opprimés quelle que soit leur race […] aussi bien des peuples que des simples peuplades » [24]. Dans la brochure de 1917, René Claparède cherche en outre à démontrer que « les institutions officielles en matière de philanthropie, de justice sociale et de charité, sont destinées à ne produire que des œuvres demi-avortées », dont les bureaux antiesclavagistes de Bruxelles ou de Zanzibar sont les incarnations. « Il faut, donc, de toute nécessité, recourir à l’initiative privée » [25]. La situation désespérée du Bureau – que les ligues nationales n’ont plus les moyens de financer et que la censure de guerre réduit au chômage technique –, montre cependant combien il est difficile de le faire vivre, entre les empires, et à côté de la « vilaine comédie de vertu officielle » instaurée par les conférences de Bruxelles et de Berlin. Situation paradoxalement confortée par le scandale du Congo, qui a permis de désigner Léopold II comme bouc émissaire, et par les violences systématiques à l’encontre des populations congolaises désignées comme de simples abus [26].

11Il est pourtant réducteur de ne retenir que cet échec, auquel le Bureau survécut d’ailleurs pendant plus de deux décennies. Alors que l’ambivalence complexe de la philanthropie de la première moitié du xixe siècle a été bien étudiée, sous l’angle de la construction en tension des identités coloniales, mais aussi au fil des circulations de personnes et d’informations qui sont l’une des trames des empires [27], les acteurs qui ont fait rebondir le scandale du Congo pendant dix ans sont toujours disqualifiés, dans la plupart des travaux, comme des activistes pusillanimes qui s’indignaient des abus de la colonisation sans se résoudre à en condamner le principe. Cette lecture téléologique contourne la question, plus importante à nos yeux, de ce qui porte leur militantisme dans les années 1910. La trajectoire du Bureau livre quelques éléments de réponse. Ce sont bien les ligues et sociétés nationales qui sont à même d’enquêter dans les colonies et de recevoir éventuellement les pétitions des sujets coloniaux qui choisissent de s’adresser à elles. Le Bureau international se contente de les faire circuler et d’entretenir l’intérêt de l’opinion suisse en organisant des tournées de conférences, notamment sur les conditions de production du cacao dans les îles portugaises de Sao Tomé et Principe où sont déportés par milliers des travailleurs angolais dont la condition ne se distingue pas de l’esclavage. La campagne contre le « cacao esclavagiste » est d’origine américaine et anglaise, mais bien des fabricants de chocolat sont suisses et le « bonheur de ne pas avoir de colonies » est nuancé par la conviction que les acheteurs ont une responsabilité morale [28]. René Claparède a également utilisé l’argument de la complicité objective en 1909 pour obtenir que la Société genevoise d’utilité publique déconseille formellement aux jeunes Suisses d’accepter des emplois au Congo belge tant que des atrocités y sont commises à l’encontre des populations [29]. Si les empires coloniaux sont entrain d’ériger d’un commun accord leurs frontières mitoyennes depuis le début du xxe siècle, la plupart des sociétés coloniales ne peuvent se passer d’immigrants européens qui ne sont pas originaires de la métropole. L’État indépendant du Congo a recruté un peu partout en Europe et sa nationalisation à partir de 1909 butte en pratique sur les limites de la relève belge [30]. L’internationalisme du Bureau n’est donc pas une pure utopie. Si le Bureau n’a ni les moyens, ni le temps avant la guerre, de construire des réseaux internationaux de collecte des informations et des pétitions, il existe une vraie congruence entre sa dimension internationale et le caractère transnational des sociétés coloniales. De même, l’universalisme « compassionnel » de René Claparède et d’Eugène Mercier-Glardon fait écho aux évolutions qui se dessinent dans les réseaux missionnaires protestants, lors de la conférence d’Edinburgh en 1910 [31].

12Il faut donc créditer les fondateurs du Bureau d’une analyse pertinente des changements en cours. Tous mesurent l’ambivalence des conclusions du scandale qui les a réunis, qui a donné un second souffle aux associations nationales et qui a permis d’en créer de nouvelles. Mort en 1909, Léopold II a été aussitôt réhabilité. De vieilles sociétés, en particulier la très ultramontaine Société antiesclavagiste de France, ont été prises en main par les réseaux colonialistes pour incarner une protection des indigènes plus conforme à la prévarication officielle. Même l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society se voit retirer le patronage royal, obtenu en août 1910 lors de l’avènement de George V. Affirmer qu’il existe encore des formes d’esclavage dans l’Union sud-africaine suffit à la désigner comme une association partisane, coupable de critiquer le gouvernement d’un dominion [32]. Si les pouvoirs impériaux en métropole admettent l’utilité des vigies de l’Empire que sont les aspirants-défenseurs des indigènes, leurs administrations cultivent également une détestation des « humanitaristes », qui suggère que les ajustements sont rudes, dans les colonies où s’étoffe un contre-discours de la mission civilisatrice comme dans les métropoles où le réseau associatif est relativement plus solide [33]. Au moment où les conditions de la « conversation coloniale » prennent une dimension plus explicitement impériale, où les interlocuteurs changent, la protection des populations colonisées et l’identité de leurs avocats légitimes deviennent des enjeux [34]. Loin d’avoir raté l’occasion de devenir anticolonialistes, les acteurs du scandale du Congo sont à la recherche de la bonne position dans les arènes morales que sont les empires. Tous sont convaincus qu’ils doivent d’abord se qualifier comme interlocuteurs auprès des autorités impériales. Les cinq cents ligueurs suisses sont si conscients de cette nécessité qu’ils se plient sans hésiter à l’alliance tactique expérimentée dès 1909 : la Ligue suisse abandonne une part importante de ses cotisations à la Ligue française, laquelle se contente d’être un micro-réseau de journalistes et de jeunes intellectuels comme Félicien Challaye, qui obtiennent des audiences du ministre des Colonies et rédigent des pétitions distribuées à tous les parlementaires français [35]. Dans cette logique pragmatique, l’existence du Bureau international est un contrepoint important qui permet aux associations nationales d’échapper au rôle étriqué de vigies de l’Empire dans lequel les deux plus anciennes d’entre elles, l’Aborigines’ Protection Society et la British and Foreign Anti-Slavery Society, se sont étiolées dans la deuxième moitié du xixe siècle. Si fragile soit-il, le Bureau incarne donc bien l’émancipation d’une cause qui doit être tout à la fois internationale et impériale pour exister. Mais cet équilibre précaire est remis en cause par la guerre.

Quels experts pour les mandats ?

13Le chômage technique et la faillite imminente sont en réalité les maux les moins graves du Bureau en 1917. Si la Ligue française a cessé toute activité, Félicien Challaye étant mobilisé, les liens sont maintenus avec l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society, la Ligue allemande et, évidemment, la Ligue suisse. Celle-ci devient cependant le théâtre des tensions nouvelles que fait surgir la guerre. Les Ligueurs suisses francophones et germanophones se déchirent à propos des « atrocités » attribuées aux Allemands lors de l’occupation de la Belgique et du nord de la France et dans toutes leurs colonies. Les ligueurs suisses germanophones demandent que le bulletin de la Ligue suisse publie à part égale les accusations transmises par l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society et les contre-argumentations envoyées par la Ligue allemande. Ils s’opposent également à la diffusion par la Ligue suisse de la brochure sur « l’esclavage en Europe » publiée par l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society [36]. Cette brochure met la tradition abolitionniste au service de la propagande alliée et elle contribue à une véritable confiscation de la compassion suivant une logique de discrimination et de concurrence entre les races. Les vraies et seules victimes sont désormais blanches et le fait qu’une partie des victimes civiles soient belges ouvre la voie à une relecture négationniste des atrocités commises dans le bassin du Congo qui affirme que l’évocation des souffrances des populations colonisées est un affront aux souffrances endurées par les populations des métropoles européennes et qui accuse les défenseurs des indigènes de porter atteinte à la dignité de celles-ci. René Claparède est le témoin effaré et impuissant de ce renversement, les tribunes de la presse genevoise qui lui étaient ouvertes jusque-là se ferment et il envisage de suspendre toutes les activités de la Ligue suisse et du Bureau international, après avoir entendu des Ligueurs s’interroger ouvertement sur la légitimité de défendre des « indigènes » quand les Européens souffrent [37]. L’exécution de Roger Casement pour haute trahison, en août 1916, après qu’il a livré des armes allemandes aux insurgés irlandais, et la condamnation d’Edmund D. Morel à six mois de prison en septembre 1917 pour avoir fait passer une brochure à Romain Rolland, réfugié en Suisse [38], facilitent cette révision en permettant de présenter a posteriori les deux hérauts du scandale du Congo comme des traîtres vendus aux Allemands. Mais elle participe plus fondamentalement de la logique de racialisation qui se joue autour des sujets coloniaux, soldats et surtout travailleurs, présents dans les métropoles, autour de leurs représentations et autour de leurs aspirants-défenseurs [39].

14Le caractère délibérément sensationnel du titre de la brochure sur l’esclavage en Europe, montre que l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society mise elle aussi sur cette racialisation pour susciter l’émotion. René Claparède tente de faire contrepoids dans la brochure sur le Bureau en affirmant que « le crime dont les peuples européens se sont rendus coupables envers les races de couleur » est au contraire l’une des causes profondes de la guerre [40]. Il ne va pas cependant jusqu’à faire cause commune avec William E. B. Du Bois qui défend la même idée depuis 1915 [41]. La « ligne de couleur » divise les aspirants-défenseurs des indigènes, ce qui affaiblit encore leurs positions. Le fragile contrepoint extérieur aux Empires qu’incarne le Bureau est par ailleurs menacé par une autre évolution. De la même façon que la guerre donne une légitimité nouvelle à la dimension nationale des pratiques humanitaires [42], elle favorise leur impérialisation. John Harris met sa connaissance des Africains et ses compétences médiatiques au service de la propagande de guerre [43]. Il confirme ainsi son statut de spécialiste de l’Afrique et reçoit des commandes officielles pour les tirés-à-part de ses articles ou pour les brochures de l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society qui consolident le budget de la société. Il obtient en 1916 la création d’un comité de bienfaisance pour les travailleurs sud-africains en Europe, qui démontre que l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society est capable d’encadrer les sujets coloniaux, au moins quand ils sont en métropole, et de collaborer utilement avec le Colonial Office [44]. De façon plus individuelle et sans pouvoir empêcher la disparition de la Ligue française de défense des indigènes, Félicien Challaye fait un choix semblable. Démobilisé fin 1916, il obtient deux missions en Extrême-Orient et rédige des rapports pour la « commission d’étude des questions coloniales posées par la guerre » au travail dès 1917 [45]. La guerre lui permet ainsi d’occuper la position officielle d’expert colonial à laquelle il n’a jamais eu accès auparavant, même après la mission d’inspection au Congo français en 1905. Il participe en 1920 à la création de la commission coloniale de la Ligue des droits de l’homme. Malgré son existence en pointillés, cette commission incarne l’impérialisation de plus en plus exclusive de la défense des sujets coloniaux. Influentes et aspirant toutes les deux à une vocation universelle, la Ligue des droits de l’Homme et l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society ont les moyens de s’ignorer superbement, pendant et après la guerre. Le Bureauest donc en grand danger de n’avoir plus aucune utilité en 1920, au moment même où la constitution de la Commission permanente des mandats, seule instance consultative expressément mentionnée par le Pacte de la sdn, élargit la demande d’expertise indépendante en matière coloniale.

15Les débuts de la Commission des mandats sont difficiles et la place à accorder aux associations est une véritable pomme de discorde. Les colonies allemandes et les territoires confisqués à l’Empire ottoman sont des prises de guerre et les puissances mandataires tolèrent mal l’idée même d’un contrôle international sur leur gestion, fût-ce au nom de la sdn. Elles doivent envoyer des rapports annuels, analysés par les membres de la Commission permanente des mandats, puis discutés en séance avec le représentant de la puissance mandataire, qui a le droit d’ajouter des informations complémentaires et des contre-arguments, aux observations finalement transmises au Conseil de la sdn. Celui-ci décide de la publication du rapport d’ensemble de la commission, qui est alors distribué aux États membres de la sdn et qui peut être discuté lors de l’assemblée annuelle [46].La tutelle exercée par la sdn est donc placée sous la surveillance des puissances mandataires. Si la Commission permanente des mandats est devenue une arène discursive efficace [47], rien n’est acquis au début des années 1920 et la définition de l’expertise internationale que la commission est censée incarner, est un enjeu central.

16Ses neuf membres doivent être compétents en matière coloniale, et indépendants vis-à-vis de leur État d’origine, ce qui exclut les fonctionnaires coloniaux en activité. Quatre sièges sont réservés de droit aux puissances mandataires (la Belgique, la France, Grande-Bretagne et le Japon), quatre autres sont attribués à des puissances coloniales membres de la sdn (l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas et le Portugal) et le dernier revient à une femme, la Suédoise Anna Bugge-Wicksell, pour donner satisfaction aux organisations féministes qui demandent l’intégration des femmes dans les nouvelles institutions internationales. À cette exception près, tous les membres sont des fonctionnaires coloniaux retraités. La direction de la Section des mandats, l’administration permanente qui sert de secrétariat à la commission, est confiée à un brillant juriste suisse, William Rappard, sans aucune expérience en matière coloniale. Mais ce qui devait être une lisière devient un atout. Chargé d’organiser les sessions annuelles et de réunir toutes les informations susceptibles d’éclairer le travail de la Commission permanente des mandats, il entreprend de construire le réseau d’expertise indépendant qui manque et il fait immédiatement appel à John Harris et à René Claparède. Il cherche également à convaincre les membres de la commission, qui n’ont pas le droit d’enquêter directement, de la nécessité de prendre en compte les pétitions envoyées par les associations de défense des indigènes, s’ils ne veulent pas rester tributaires des rapports envoyés par les puissances mandataires [48]. Il plaide enfin pour que la séance plénière de la commission soit publique comme le prévoit son règlement, en insistant sur l’autorité que la commission peut retirer de cette publicité. Dès novembre 1922, le secrétaire général de la sdn cède cependant aux puissances mandataires qui affirment que la commission étant consultative, elle ne saurait tenir une séance publique [49]. La question des pétitions est tranchée par le Conseil en janvier 1923. Les habitants des territoires sous mandat doivent transmettre leurs pétitions via l’administration mandataire, ce qui leur reprend en pratique ce droit. En revanche, les pétitions émanant d’organisations ou de personnalités « désintéressées » sont laissées à l’appréciation du directeur de la Section des mandats qui choisit ou non de les transmettre aux membres de la commission [50]. Les associations deviennent ainsi les seuls porte-parole autorisés des populations sous mandats, non sans réserve et sans arbitraire. Elles garantissent aussi l’indépendance encore à démontrer de la commission. Tirant les leçons de ces ajustements, William Rappard démissionne de la Section des mandats en mai 1924 pour devenir vice-recteur de l’Université de Genève. Il est aussitôt adjoint comme conseiller à la Commission permanente des mandats, ce qui ouvre une autre voie vers des expertises indépendantes, non liées aux associations de protection des indigènes.

17Dans ce contexte tendu, le Bureau est encore une fois un contrepoint, mobilisé par John Harris comme par William Rappard qui veillent sur sa difficile survie en trouvant, voire en donnant personnellement, les maigres subsides qui lui permettent de persister [51]. John Harris voudrait en faire « une agence de liaison entre les services de la sdn et les associations nationales » [52]. Il souhaite d’une part montrer que les associations britanniques ne sont pas les seules à interpeller la sdn et d’autre part convaincre les associations britanniques que l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society dispose d’un réseau suisse qui la qualifie pour les représenter sur place [53]. En revanche, il n’est pas question que le Bureau traite directement certaines affaires internationales par délégation de l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society comme le suggère en juillet 1922 Édouard Junod, le nouveau secrétaire du Bureau international, après quelques semaines de formation dans les bureaux londoniens de la société. L’antériorité et la dimension internationale de l’abolitionnisme britannique lui sont sèchement opposées [54]. L’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society a davantage besoin de la Ligue suisse. En 1923, la participation de celle-ci à la protestation contre l’adhésion de l’Éthiopie à la sdn internationalise une campagne au départ britannique. Le Bureau est mis à contribution comme relais pour faire passer à la Ligue suisse les fonds qui lui permettent d’imprimer le rapport de George Montandon sur la persistance de l’esclavage en Abyssinie, rapport diffusé à tous les États membres de la sdn à la demande du gouvernement suisse [55]. En 1921, dans la même logique d’instrumentalisation, John Harris a persuadé René Claparède de présenter sa candidature à un siège de la commission des mandats au nom du Bureau international, pour engager le dialogue avec William Rappard et sonder avec celui-ci les accommodements possibles entre les réseaux associatifs, la section des mandats et la commission.

18Le jugement dépréciatif d’Harold Grimshaw en 1925 est donc fondé. Les membres du Bureau sont bien des excentriques et de plus en plus marginalisés par la construction de réseaux d’experts semi-indépendants à laquelle ils assistent sans y prendre part. Mais le dédain explicite d’Harold Grimshaw reflète aussi l’inquiétude d’un expert en titre et en place (il assiste depuis 1922 à toutes les sessions de la commission permanente des mandats, au nom du bit) qui n’a en réalité pas plus accès aux territoires colonisés et à leurs populations que les excentriques du Bureau [56]. Lesquels savent cependant tirer parti des rencontres coloniales qu’il est devenu possible de faire à Genève.

Un Iroquois à Genève

19L’installation à Genève de la sdn a permis au Bureau d’élargir ses activités. René Claparède accompagne les visiteurs de marque que lui signale l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society dans leurs rendez-vous à la section des mandats ou au bit. Le Bureau est plus rarement sollicité par des sujets coloniaux de passage à Genève, sur lesquels il se renseigne auprès de l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society quand ils sont britanniques. John Harris indique ainsi ne pas connaître Archibald Johnson, avocat originaire des Bermudes, qui est venu se présenter à René Claparède en 1921. Il ajoute qu’il reçoit trop d’indigènes pour se souvenir de chacun d’entre eux et conseille la plus grande prudence [57]. Il y a là cependant une divergence entre le Bureau et l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society. Si celle-ci est assez bien réinstallée dans son rôle de vigie de l’Empire pour parler à la place des sujets coloniaux, la capacité de certains sujets coloniaux à saisir les institutions internationales est le seul socle sur lequel le Bureau peut bâtir la légitimité qui continue à lui manquer. L’affaire du chef iroquois Deskaheh en 1924 fait affleurer ces tensions, comme elle met à nu les rapports de force impériaux qui gouvernent la sdn.

20En septembre 1923, le chef iroquois Levi General, qui porte le titre traditionnel de chef Deskaheh, arrive à Genève pour demander que les Six Nations iroquoises du Canada soient admises comme État membre de la Société des nations, le temps de régler le différend qui les oppose au gouvernement canadien [58]. Il est muni d’un plaidoyer pour que justice soit rendue « au Peau-Rouge » (The Redman’s Appeal to Justice) et d’une copie du traité Haldimand (1784) à l’origine de l’alliance entre la Grande-Bretagne et les Six Nations. Les Indiens des Six Nations descendent de combattants loyalistes auxquels des terres ont été données au Canada en 1784 par la Couronne britannique et qui ont conservé leur autonomie en pratique comme en droit, le traité Haldimand n’ayant jamais été dénoncé. Des terres de la réserve des Six Nations ont été progressivement cédées à des colons européens par la couronne britannique, puis par le gouvernement canadien, sans compensation pour les Indiens. En 1920, pour inclure la réserve dans les terres à distribuer aux anciens combattants de la Première Guerre mondiale, le gouvernement canadien « émancipe » unilatéralement les Indiens pour annuler leurs droits fonciers collectifs. Il répond ensuite à leur contestation légale par des fins de non-recevoir et fait occuper la réserve par la police montée à partir de 1922. Débouté au Canada, le chef Deskaheh, représentant régulièrement désigné par l’assemblée traditionnelle des Six Nations, fait appel au roi George V en 1921. Sa requête est rejetée au motif qu’il s’agirait d’une affaire interne du dominion du Canada. Au nom des liens d’alliance entre les Pays-Bas et les Six Nations remontant au xviie siècle, le chef Deskaheh demande alors à l’ambassadeur néerlandais à Washington de transmettre la protestation des Six Nations au Conseil de la sdn. Le succès de cette démarche, en tous points conforme aux procédures de la sdn, provoque en mai 1923 une véhémente contestation du gouvernement canadien, soutenue par la Grande-Bretagne et par Eric Drummond, secrétaire général de la sdn. Alors que la plainte canadienne a été relayée par le secrétariat de la sdn, celui-ci refuse en septembre 1923 d’enregistrer la pétition apportée par le chef Deskaheh. Elle est cependant distribuée de façon informelle aux représentants des États membres, réunis pour l’assemblée annuelle de 1923. L’Estonie, la république indépendante d’Irlande, celle de Panama et la Perse demandent qu’elle soit inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée et débattue [59]. Leur demande est trop tardive, mais elle est réitérée auprès du Conseil de la sdn en décembre 1923, par le représentant de la Perse. Contre toute procédure régulière, le Conseil demande alors que le gouvernement perse confirme cette requête et exerce les pressions nécessaires pour qu’elle soit retirée. Seul le mémoire envoyé par le gouvernement canadien est diffusé en mars 1924 lors de la séance suivante du Conseil, qui se range à la position canadienne : les Indiens des Six Nations sont des sujets canadiens et leur protestation est une affaire interne. Sans être tranchée sur le fond, l’affaire est écartée [60].

21Elle confirme la conclusion très amère du « moment wilsonien » : le monde nouveau, incarné par la sdn est un monde d’empires, triomphants et inquiets [61]. Les défenseurs des indigènes doivent tous composer avec ce contexte paranoïaque. L’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society demande à René Claparède de surveiller le chef Deskaheh et de le convaincre de revenir à Londres pour accepter la conciliation proposée par le gouvernement canadien, ce qui démontrerait qu’il s’agit bien d’une affaire interne. John Harris et son collègue Travers Buxton défendent l’ordre impérial britannique et ils savent depuis 1910 que l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society n’a pas les moyens d’affronter les gouvernements des dominions [62]. Ils doivent cependant se déplacer à Genève en septembre 1924 pour ramener à la raison impériale le Bureau et la Commission internationale pour l’indépendance des Iroquois qui en émane depuis avril 1924. Le chef Deskaheh sait parfaitement utiliser son image exotique. Dès 1921, il s’est montré à l’hippodrome de Londres en costume traditionnel, muni de tous ses regalia. Il fait également sensation à Genève, notamment à l’assemblée annuelle du Bureau international où il apparaît « dans son costume indien, rehaussé de sa somptueuse coiffure de plumes multicolores » [63]. En avril 1924, René Claparède décrit à John Harris la « surprise » causée aux membres du Bureau par l’engouement de l’opinion publique suisse pour le chef Deskaheh :

22

« Nous n’aurions jamais cru que le cas des Iroquois intéresserait pareillement l’opinion suisse qui était restée assez tiède à l’égard de toutes ces questions même vis-à-vis de celles du Congo léopoldien, de l’esclavage à San Thomé et du Putumayo. Le bulletin de la Ligue suisse dont je vous envoie un exemplaire sous pli séparé, vous donnera un reflet de l’opinion publique suisse sur les conférences du chef Deskaheh. Même de simples réunions de salon ont eu des conséquences extraordinaires : ainsi à l’une assistait un juriste suisse qui fut si intéressé qu’il offrit d’étudier le cas gratuitement » [64].

23Ce succès incite le Bureau à s’affranchir de la ligne tracée par ses mentors londoniens, en prenant fait et cause pour les Six Nations qui deviennent momentanément l’emblème des « petits peuples » auxquels la SDN fait peu de place, sinon aucune. En janvier-février 1924, Édouard Junod multiplie les démarches. Il accompagne le chef Deskaheh à Paris dans l’espoir (déçu) que le Conseil de la sdn veuille l’entendre, il écrit au secrétaire général de la sdn et sollicite en vain des soutiens français et belge. À défaut de pouvoir obtenir l’intégration momentanée des Six Nations à la sdn pour que le cas puisse être porté devant la Cour permanente de justice internationale de La Haye, le Bureau suggère la création d’une commission interraciale composée d’un délégué asiatique, d’un délégué américain et d’un délégué européen, devant laquelle il viendrait plaider la cause des Six Nations. Le projet est soumis à huit États membres qui semblent susceptibles de le soutenir [65]. César Droin, le juriste qui a offert son concours bénévole et rédigé un mémoire déclaré impeccable par tous les juristes consultés, tente en désespoir de cause en août 1924 de faire intervenir le gouvernement suisse, qui refuse tout concours. En octobre 1924, après que le chef Deskaheh a refusé de rencontrer la délégation canadienne à l’assemblée annuelle et qu’il a été destitué par la dissolution du conseil des Six Nations par le gouvernement canadien, la Commission internationale pour l’indépendance des Iroquois cesse de se réunir, faute de solution et par crainte d’aggraver la situation des Indiens sur place. Mais ses membres aident matériellement le chef Deskaheh à rester à Genève jusqu’en janvier 1925, puis à regagner les États-Unis où il meurt en exil en juin 1925.

24La mobilisation du Bureau autour du chef Deskaheh fait clairement apparaître les limites pratiques de sa capacité à défendre effectivement les populations qui ont basculé, malgré elles et à leurs risques et périls, dans la catégorie « indigènes ». La Commission internationale pour l’indépendance des Iroquois compte dix femmes parmi ses membres (douze au départ). Elles donnent des soirées autour du chef Deskaheh, font réaliser son portrait qu’elles font placer dans les vitrines de magasins genevois et diffuser sous forme de carte postale. Elles tentent également d’organiser une loterie pour réunir les fonds nécessaires au séjour du chef à Genève et trouvent des scouts pour vendre les billets. Tout ceci ne saurait suffire à former ou à transformer « l’opinion publique mondiale » invoquée comme une menace par tant de rapports administratifs internationaux et impériaux et notamment pour limiter la publicité des débats de la Commission permanente des mandats à partir de 1923 [66]. Il serait pourtant réducteur d’en conclure que les défenseurs genevois des indigènes restent les otages malheureux d’une « comédie de vertu officielle » internationalisée avec succès. Leur soutien sans faille au chef Deskaheh permet à celui-ci de continuer le combat et de refuser la substitution d’une protection impériale arbitraire aux droits établis des Indiens, malgré les pressions exercées par l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society. Le Bureau s’affranchit lui aussi de ses « amis anglais », tout en continuant à dépendre des subsides et des informations qu’ils lui envoient. En septembre 1924 lors de l’assemblée annuelle du Bureau, René Claparède observe que l’affaire a fait apparaître les limites de la ligue « nationale » qu’est l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society et par conséquent la nécessité d’une instance internationale [67]. Il évoque par ailleurs les conférences sur l’Asie faites à Genève, à la demande du Bureau, par Félicien Challaye, adversaire déclaré des « groupement[s] humanitaire[s] à gros pontifes » et intellectuel socialiste dont les positions « bolcheviques » effraient [68]. Elles ajoutent certainement à son excentricité au milieu des années 1920, mais elles lui donnent aussi une dimension critique qui autorise d’autres rencontres et conversations.

25C’est bien cette position improbable, et passablement inconfortable, entre les Empires, mais aussi entre des réseaux de pétitionnaires et de protecteurs officieux et officiels qui se construisent simultanément et de façon concurrente, qui fait l’intérêt de la trajectoire discrète du Bureau, de sa création en 1913 à sa disparition silencieuse en 1940. Éclipsé par les associations nationales comme la Ligue des droits de l’homme et l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection qui jouent le jeu de l’impérialisation, le Bureau incarne aussi l’internationalisme critique – qui a fondé, ou refondé la vocation coloniale de ces associations dans les années 1910 –, et auquel elles n’ont pas renoncé. De même, s’il est exclu des compromis qui président à l’élaboration d’une nouvelle expertise internationale en matière coloniale, autour de la Commission permanente des mandats et du bit, il en fait apparaître les limites, pour les sujets coloniaux à la recherche de tribunes critiques, mais aussi pour ces associations qui mesurent la fragilité des positions qu’elles ont acquises. Ainsi est-il tout à la fois inutile et indispensable, et pour les acteurs contemporains – qui refusent explicitement que la cause de la protection des indigènes se dissolve en pratiques routinières aisément manipulées par les autorités impériales –, et pour les historiens – à la recherche des conversations amples et souvent interrompues qui animent et contestent les trames impériales.

Notes

  • [1]
    René Claparède, « Discours d’ouverture de la Ligue suisse pour la défense des indigènes dans le bassin conventionnel du Congo », Courrier européen, 5e année, n° 15, 25 juillet 1908, p. 412.
  • [2]
    Homme de lettres, René Claparède (1863-1928) appartient à une famille universitaire genevoise assez connue. Il est proche des réseaux intellectuels dreyfusistes dans les années 1910 et soutient notamment la revue internationaliste Le Courrier européen. Il est également membre de l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society.
  • [3]
    Cet article a été publié par le secrétaire de l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society, John H. Harris, “Native Races and Peace Terms”, Contemporary Review, n° 109 (June 1916), p. 751-759. La brochure de 1917 est rédigée par René Claparède et par le secrétaire du Bureau international, Eugène Mercier-Glardon. Cf. René Claparède, Eugène Mercier-Glardon, Un Bureau international pour la défense des Indigènes, Genève, Société générale d’imprimerie, 1917.
  • [4]
    Il estime que « la réunion était plutôt décevante et, semble-t-il, rassemblait surtout des excentriques » (notre traduction), Archives du BIT, Genève, Correspondance avec le bidi, D/600/720/1, rapport sur la réunion du 3 septembre 1925, p. 1. Harold Grimshaw (1880-1929) entre au bit dès 1920 et met sur pied l’enquête sur le travail indigène, prélude de la convention contre le travail forcé. Il enquête lui-même dans les Indes néerlandaises et en Afrique du Sud début 1929. Voir son dossier personnel, Archives du bit, p. 131.
  • [5]
    On se contente ici de renvoyer à Susan Pedersen, “The Meaning of the Mandates System : An Argument”, Geschichte und Gesellschaft, vol. 32, 2006/4, p. 560-582 ; Paul-André Rosental, « Géopolitique et État-providence. Le BIT et la politique mondiale des migrations dans l’entre-deux-guerres », Annales. Histoire Sciences Sociales, 2006/1, p. 99-134 ; Sandrine Kott, « Une “communauté épistémique” du social ? Experts de l’oit et internationalisation des politiques sociales dans l’entre-deux-guerres », Genèses, n° 71, juin 2008, p. 26-46.
  • [6]
    Richard Drayton, “Beyond Humanitarian Imperialism : The Dubious Origins of ‘Humanitarian Intervention’ and Some Rules for its Future”, in Brownen Everill, Josiah Kaplan, eds., The History and Practice of Humanitarian Intervention and Aid in Africa (London : Palgrave Macmillan, 2013), p. 217-231.
  • [7]
    Johannes Paulmann, “Conjunctures in the History of International Humanitarian Aid During the Twentieth Century”, Humanity : An International Journal of Human Rights, Humanitarianism and Development, vol. 4, (2013/2), p. 215-238.
  • [8]
    Andrew Porter, “Trusteeship, Anti-Slavery and Humanitarianism”, The Oxford History of the British Empire, Andrew Porter, ed., The Nineteenth century, vol. III (Oxford : Oxford University Press, 1999), p. 198-222 ; Sandra Bott, Thomas David, Claude Lützelschwab, Janick Marina Schaufelbuehl (dir.), Suisse-Afrique (xviiie- xxe siècles) : de la traite des Noirs à la fin du régime de l’apartheid, Münster, Lit Verlag, 2005 ; Ariane Spicher, « La Ligue suisse pour la défense des indigènes et le nouvel esclavage (1908-1940) », mémoire de licence, faculté des lettres de l’Université de Fribourg, 1990. Je remercie Thomas David de m’avoir signalé cette référence.
  • [9]
    Kevin Grant, A Civilised Savagery. Britain and the New Slaveries in Africa, 1884- 1926 (London : Routledge, 2005), chap. 2 ; Dean Pavlakis, “The Development of British Overseas Humanitarianism and the Congo Reform Campaign”, The Journal of Colonialism and Colonial History (2010/1), p. 1-20.
  • [10]
    Sur cette économie de prédation, voir Catherine Coquery-Vidrovitch, Le Congo au temps des grandes compagnies concessionnaires, 1898-1930, Paris, Éditions de l’ehess, 2001 (1972 1re ed.) ; Daniel van Groenweghe, Du sang sur les lianes. Léopold II et son Congo, Bruxelles, Didier/Hatier, 1986.
  • [11]
    Voir Kevin Grant, A Civilised Savagery, op. cit. (cf. note 9).
  • [12]
    Catherine Cline, E. D. Morel, 1873- 1924. The Strategies of Protest (Belfast : Blackstaff Press, 1980) ; Jules Marchal, E. D. Morel contre Léopold II : l’histoire du Congo, 1900- 1910, Paris, L’Harmattan, 1996 ; Adam Hochschild, Les fantômes du roi Léopold. Un holocauste oublié, Paris, Belfond, 1998.
  • [13]
    Daniel van Groenweghe, Du sang sur les lianes, op. cit. (cf. note 10).
  • [14]
    Pierre Singaravélou, « Les stratégies d’internationalisation de la question coloniale et la construction transnationale d’une science de la colonisation à la fin du xixe siècle », Monde(s). Histoire, espaces, relations, n° 1, 2012, p. 135-158.
  • [15]
    Dean Pavlakis, “The Development of British Overseas Humanitarianism”, op. cit. (cf. note 9).
  • [16]
    Anthony Anghie, Imperialism, Sovereignty and the Making of International Law (Cambridge : Cambridge University Press, 2004).
  • [17]
    Suzanne Miers, Britain and the Ending of the Slave Trade (London : Longman, 1975), p. 309-314.
  • [18]
    Tracie Matysik, “Internationalist Activism and Global Civil Society at the High Point of Nationalism : The Challenge of the Universal Races Congress, 1911”, in Anthony Hopkins, ed., Global History. Interactions between the Universal and the Local (New York : Palgrave Macmillan, 2006), p. 131-159.
  • [19]
    Charles Swaisland, The Aborigines’ Protection Society and British Southern and West Africa, Thesis, Oxford, 1968 ; Kenneth D. Nworah, “The Aborigines’ Protection Society, 1889-1909 : A Pressure Group in Colonial Policy”, Canadian Journal of African Studies (1971/1), p. 79-91 ; James Heartfield, The Aborigines’ Protection Society. Humanitarian Imperialism in Australia, New Zealand, Fiji, Canada, South Africa and the Congo, 1836- 1909 (London : Hurst and Company, 2011).
  • [20]
    Emmanuelle Sibeud, « Une libre pensée impériale ? Le Comité de protection et de défense des indigènes (ca. 1892-1914) », Mil Neuf Cent, n° 27, 2009, p. 57-74.
  • [21]
    Kevin Grant, A Civilised Savagery, op. cit. (cf. note 9).
  • [22]
    René Claparède, Eugène Mercier-Glardon, Un Bureau international, op. cit., p. 14-20 (cf. note 3).
  • [23]
    Ibid., p. 17.
  • [24]
    Id. En novembre 1910, dans le brouillon d’une lettre destinée à Paul Desjardins à propos de la décade sur le droit des peuples et l’impérialisme qu’il a organisée à Pontigny, René Claparède regrette expressément ne pas avoir trouvé « nos Congolais sous la même couverture protectrice que leurs frères de Finlande, d’Alsace et de Pologne », Bibliothèque de l’Université de Genève, papiers René Claparède, Ms. Fr. 3984, dossier n° 7.
  • [25]
    René Claparède, Eugène Mercier-Glardon, Un Bureau international, op. cit., p. 10-11 (cf. note 3).
  • [26]
    Ibid., p. 8 ; Frederick Cooper, Ann L. Stoler, “Between Metropole and Colony. Rethinking a Research Agenda”, in Frederick Cooper, Ann L. Stoler, eds., Tensions of Empire. Colonial Cultures in a Bourgeois World (Berkeley : University of California Press, 1997), p. 31.
  • [27]
    Alan Lester, Imperial Networks : Creating Identities in Nineteenth Century South Africa and Britain (London-New York : Routledge, 2001) ; Zoe Laidlaw, Colonial Connections 1815- 1845 : Patronage, the Information Revolution, and Colonial Government (Manchester : Manchester University Press, 2005) ; Elizabeth Elbourne, Blood Ground : Colonialism, Missions, and the Contest for Christianity in the Cape Colony and Britain, 1799- 1853 (Montreal : McGill-Queen’s University Press, 2008).
  • [28]
    Dès 1908, René Claparède est intervenu à ce sujet devant les Ligues d’acheteurs en Suisse (Bibliothèque de l’Université de Genève, papiers René Claparède, Ms. Fr. 3975, lettre de Félicien Challaye à René Claparède, le 1er octobre 1908). Il entretient par ailleurs une correspondance avec le chocolatier Russ-Suchard qui participe au boycott (ibid., Ms. Fr. 3983).
  • [29]
    Bibliothèque de l’Université de Genève, papiers René Claparède, Ms. Fr. 3983.
  • [30]
    Guy Vanthemsche, La Belgique et le Congo. Empreintes d’une colonie, 1885-1980, Nouvelle histoire de la Belgique, vol. 4, Bruxelles, Éditions Complexe, 2007, coll. « Questions à l’histoire ».
  • [31]
    John Stuart, “Beyond Sovereignty ? Protestant Missions, Empire and Transnationalism, 1890-1950”, in Kevin Grant, Philippa Levine, Frank Trentmann, eds., Beyond Sovereignty : Britain, Empire, and Transnationalism, c. 1880- 1950 (London : Palgrave Macmillan, 2007), p. 103-125.
  • [32]
    Bodleian Library, Rhodes House, Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society Papers, MSS Brit. Emp., E 2 Minute Books of the AS and APS, 1909-1920, entrées 1798 (5 août 1910) et 1811 (7 octobre 1910).
  • [33]
    Emmanuelle Sibeud, « L’anticolonialisme », in Vincent Duclert, Perrine Simon-Nahum (dir.), Les événements fondateurs. L’Affaire Dreyfus, Paris, Armand Colin, 2009, « Collection U », p. 140-147.
  • [34]
    On emprunte la notion de « conversation coloniale » à Jean and John Comaroff, Ethnography and the Historical Imagination (Boulder : Westview Press, 1992).
  • [35]
    Bibliothèque de l’Université de Genève, papiers René Claparède, Ms 3975, correspondance avec Félicien Challaye et Pierre Mille. À partir de 1912 cependant, la Ligue suisse publie un bulletin indépendant et « suisse », ce qui suggère qu’elle a elle aussi besoin de faire résonner la corde patriotique pour conserver ses adhérents.
  • [36]
    Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society, Slavery in Europe. A Letter to Neutral Governments from the Anti-Slavery Society (London : Antislavery and Aborigines’ Protection Society, 1917). De façon révélatrice, l’Anti-Slavery Society oublie pour l’occasion qu’elle est depuis 1909 l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society.
  • [37]
    Bibliothèque de l’Université de Genève, papiers René Claparède, Ms. Fr. 3984, lettres échangées avec Travers Buxton (le troisième secrétaire de l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society) entre 1915 et 1917.
  • [38]
    Dès septembre 1914, Edmund D. Morel a créé une association politique, l’Union of Democratic Control, qui milite contre la diplomatie secrète et qui est proche de l’International Labour Party. Fin 1917, elle rassemble déjà 10 000 membres. À la fin de la guerre, elle compte plus de 300 sections et 650 000 membres ; voir Catherine Cline, E. D. Morel, 1873- 1924, op. cit., p. 98-115 (cf. note 12).
  • [39]
    Tyler Stovall, “The Color Line behind the Lines : Racial Violence in France during the Great War”, The American Historical Review, vol. 103, (1998/3), p. 737-769 ; “National Identity and Shifting Imperial Frontiers : Whiteness and the Exclusion of Colonial Labor After World War I”, Representations, vol. 84 (2003/1), p. 52-72.
  • [40]
    Tyler Stovall, “National Identity and Shifting Imperial Frontiers”, op. cit., p. 11-13 (cf. note 39) ; René Claparède, « L’Europe et les races dites inférieures », Revue de politique internationale (Lausanne), mars-avril 1918, p. 1-15.
  • [41]
    William E. B. Du Bois, « Les racines africaines de la guerre », Atlantic Monthly, vol. 115/5 (1915), p. 707-714. Voir la présentation de George Steinmetz, « W.E.B. Du Bois. Les origines africaines de la guerre », Actes de la recherche en sciences sociales, « Politiques impérialistes. Genèses et structures de l’État colonial », n° 171-172, 2008, p. 75-89. La fameuse expression sur la « ligne de couleur », problème majeur du xxe siècle a été utilisée par William E.B. Du Bois à la conférence panafricaine de Londres en 1900 puis dans Les âmes du peuple noir paru en anglais en 1903. William E.B. Du Bois a pris contact avec l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society en 1911, lors du congrès universel des races et René Claparède le connaît par ce biais.
  • [42]
    Heather Jones, “International or transnational ? Humanitarian action during the First World War”, European Review of History-Revue européenne d’histoire, vol. 16/5 (2009), p. 697-713.
  • [43]
    John et Alice Harris ont inauguré leur mandat de secrétaires de l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society par une tournée d’une année entière (1911-1912) en Afrique de l’Ouest, de la Gambie à l’Angola, en passant par Sao Tomé et Principe, et bien sûr par le Congo belge où ils ont enquêté sur les réformes en cours. En 1914, ils passent encore plusieurs mois en Afrique du Sud pour enquêter sur les conséquences de la loi foncière adoptée en 1913.
  • [44]
    Le comité fait construire des « huttes de récréation » qui servent également de lieux de prière et propose aux travailleurs des chaussettes et des gants de laine, des jeux de société (tels que des dominos), des gramophones et des disques et les inévitables équipements de cricket (Bodleian Library, Rhodes House, Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society Papers, MSS Brit. Emp. S16–24, H 2 (46) : “Committee for the Welfare of Africans in Europe, 1917-1922”).
  • [45]
    Aix-en-Provence, CAOM, 1Affpol 96 et 97, Commission d’étude des questions coloniales posées par la guerre.
  • [46]
    Michael D. Callahan, Mandates and Empire. The League of Nations and Africa, 1914- 1931 (Brighton : Sussex Academic Press, 1999), p. 67-73.
  • [47]
    Susan Pedersen, “The Meaning of the Mandates System : An Argument”, Geschichte und Gesellschaft, vol. 32 (2006/4), p. 560-582. Voir également Anthony Anghie, Imperialism, op. cit. (cf. note 16).
  • [48]
    Comptes rendus des débats de la troisième session annuelle de la commission permanente des mandats en juillet-août 1923, Société des nations, VI(a), 1923-24, Document A 19. 1923. VI. Genève, le 24 août 1923, p. 48-51.
  • [49]
    Lors de l’assemblée de la sdn de septembre 1922, le gouvernement australien se plaint d’avoir été obligé de justifier sa politique mandataire à Nauru lors de la première séance publique de la commission (juillet 1922). Celle-ci est blâmée, ce qui est ressenti comme un « recul » et une « défaite » par William Rappard et son équipe. Archives de la SDN, Genève, R. 80, lettre du 6 novembre 1922.
  • [50]
    Section d’information, Secrétariat de la Société des nations, La Société des nations et les mandats, Genève, août 1924, p. 29-30.
  • [51]
    John Harris sollicite les multiples fonds philanthropiques britanniques. En mai 1922, William Rappard envoie un don qui sauve in extremis le Bureau. Les deux hommes se croisent à l’Association genevoise pour la sdn (Bibliothèque de l’Université de Genève, papiers René Claparède, Ms. Fr. 3983, lettre de René Claparède à William Rappard le 25, mai 1922).
  • [52]
    Bodleian Library, Rhodes House, Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society Papers, MSS Brit. Emp., S 22/G 471, “International Bureaux”, John Harris, “Report upon Continental Organizations for the Protection of native races”, mars 1920, p. 1.
  • [53]
    Amelia Ribi, “‘The Breath of a New Life’ ? British Anti-Slavery Activism and the League of Nations”, in Daniel Laqua, ed., Internationalism Reconfigured. Transnational Ideas and Movements between the World Wars (London : I. B. Tauris, 2011), p. 93-113.
  • [54]
    Bodleian Library, Rhodes House, Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society Papers, MSS Brit. Emp., S 22/G 471, “International Bureaux”, lettre d’Édouard Junod le 30 juillet 1922 et réponse du président de l’Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society le 11 octobre 1922.
  • [55]
    Bodleian Library, Rhodes House, Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society Papers, MSS Brit. Emp., S 22/G 471, “International Bureaux”, correspondance pour 1923.
  • [56]
    Il y accède en 1929 (cf. note 4). Voir également James P. Daughton, “Behind the Imperial Curtain : International Humanitarian Efforts and the Critique of French Colonialism in the Interwar Years”, French Historical Studies, vol. 34 (2011/3), p. 503-529.
  • [57]
    Bodleian Library, Rhodes House, Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society Papers, MSS Brit. Emp., S 22/G 471, “International Bureaux”, lettres du 25 et du 28 juin 1921. William E. B. Du Bois qui connaît John Harris et vraisemblablement aussi René Claparède, n’a pas besoin de leur médiation et se garde bien de les prévenir de ses démarches, ce qui ne manque pas de les indigner.
  • [58]
    Comme le prévoit l’article 17 du pacte de la SDN. Voir Joëlle Rostowski, “The Redman’s Appeal for Justice : Deskaheh and the League of Nations”, in Christian F. Feest, ed., Indians and Europe. An Interdisciplinary Collection of Essays (Aachen : Herodot, 1987), p. 435-453 ; Laurence M. Hauptman, Seven Generations of Iroquois Leadership. The Six Nations since 1800 (Syracuse : Syracuse University Press, 2008), p. 124-142.
  • [59]
    Le Canada conteste le principe de solidarité entre les États membres de la sdn (article 10 du Pacte) qui est crucial pour ces petites nations européennes.
  • [60]
    Les Indiens reprennent leur combat auprès de l’Organisation des Nations unies dès sa constitution à San Francisco en 1945. Ils contribuent ainsi à la lente construction des droits des populations autochtones ; voir Grace Li XiuWoo, “Canada’s Forgotten Founders : The Modern Significance of the Haudenosaunee (Iroquois) Application to the League of Nations”, Law, Social Justice and Global Development Journal (2003), en ligne http://elj.warwick.ac.uk/global/03-1/woo.html (consulté en mars 2014).
  • [61]
    Erez Manela, The Wilsonian Moment. Self-Determination and the International Origins of Anticolonial Nationalism (Oxford : Oxford University Press, 2007).
  • [62]
    Se reporter à la note 33.
  • [63]
    Bibliothèque de l’Université de Genève, papiers René Claparède, Ms. Fr. 3995, compte rendu de la deuxième assemblée générale de la Ligue internationale de défense des indigènes, 1924.
  • [64]
    Bodleian Library, Rhodes House, Anti-Slavery and Aborigines’ Protection Society Papers, MSS Brit. Emp., S 22/G 471, “International Bureaux”, lettre du 14 avril 1924.
  • [65]
    Junod écrit à la Chine, la Pologne, le Danemark, la Norvège, le Portugal, la Bulgarie, le Luxembourg et la Bolivie, en invoquant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (Bibliothèque de l’Université de Genève, papiers René Claparède, Ms. Fr. 3995, lettre d’Édouard Junod à René Claparède, le 28 février 1924).
  • [66]
    À partir de 1924, la première séance est publique, ce qui permet de ne pas renier le principe de la publicité tout en l’appliquant à une séance jugée inoffensive où sont présentés les intervenants et le programme d’ensemble.
  • [67]
    Bibliothèque de l’Université de Genève, papiers René Claparède, Ms. Fr. 3995, compte rendu de la deuxième assemblée générale de la Ligue internationale de défense des indigènes, 1924.
  • [68]
    La première citation vient du rapport de René Claparède cité ci-dessus. Pour la seconde : voir Bibliothèque de l’Université de Genève, papiers René Claparède, Ms. Fr. 3975, lettre de Félicien Challaye à René Claparède le 16 août 1920. Challaye vise nommément John Harris qui cherche à ressusciter la Ligue française en y intégrant des personnalités du parti colonial « manifestement contraires à nos idées », p. 11.
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