Notes
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[1]
L’auteur renvoie à la communication orale de John Horne faite durant le panel « Les entrées en guerre, les processus de décision »/“Entering the War: the Decision Making Process”, lors du colloque international From the Balkans to the World : Going to War, 1914-1918, A Local and Global Perspective, Paris, Unesco 13-15 novembre 2014, dont les contributions vont faire l’objet d’une publication (NDLR).
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[2]
L’Italie entre en guerre contre les puissances centrales en mai 1915 ; l’Espagne reste neutre (NDLR).
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[3]
Argentina, Tercer Censo Nacional levantado el 1º de Junio de 1914, t. II, Buenos Aires, L. J. Rosso y Cia, 1916-1917, p. 3 sq. Les Français et les Britanniques représentaient plus de 107 000 personnes, les Austro-Hongrois les Allemands totalisaient 65 000 personnes.
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[4]
Une partie considérable des exportations était envoyée « aux ordres », sans destination indiquée d’avance et en cherchant les meilleurs prix ; mais toutes étaient dirigées vers l’Europe. Carlos Tornquist, ed., The Economic Development of the Argentine Republic in the last Fifty Years (Buenos Aires: Ernesto Tornquist & Co., Limited, 1919), p. 142-149.
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[5]
Osvaldo Barsky, Jorge Gelman, Historia del agro argentino, Buenos Aires, Grijalbo-Mondadori, 2001, p. 221-225.
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[6]
Ces donnés sont empruntées à Orlando Ferreres, Dos siglos de economía argentina, Buenos Aires, Fundación Norte y Sur, 2010 ; et à la base d’Angus Maddison : http://www.ggdc.net/maddison/maddison-project/home.htm (consulté en janvier 2016).
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[7]
Carlos Tornquist, The Economic Development of the Argentine Republic in the last Fifty Years, op. cit., p. 15 (cf. note 2) ; pour la crise des ventes, Nissim Teubal, El inmigrante. De Alepo a Buenos Aires, Buenos Aires, s. ed., 1953, p. 15-16. Les principales causes de la crise furent identifiées par la presse : beaucoup de dépenses dans les annés antérieures ; une récolte mauvaise ; et les guerres de Libye et dans les Balkans. On proposa des remèdes drastiques, par exemple un moratoire général : El Pueblo, Buenos Aires, 27-28 juillet au 6 août, 1914 ; et particulièrement « Los bancos y la crisis », 30 juillet 1914.
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[8]
Charles Chatfield, For Peace and Justice : Pacifism in America, 1914-1941 (Knoxville: University of Tennessee Press, 1973) ; la chanson I didn’t Raise my Boy to be a Soldier (Edition Morton/Alfred Bryan/Al. Piantadosi), qui exprimait la peur de la guerre, était très populaire en 1915.
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[9]
La Vanguardia, 7 au 10 août 1914 ; El Pueblo, 7 au 8 août 1914 ; La Nación, 9 août 1914.
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[10]
Une forme typique était, par exemple, de présenter des paysages urbains avant et après la guerre, mais pas les plus dévastés. Au lieu de montrer la destruction d’Ypres, Louvain ou Malines, un magazine publiait quelques photographies de la plage d’Ostende désertée par les vacanciers : El Hogar, Buenos Aires, 11 au 17 décembre 1914. D’autres magazines faisaient paraître des articles plus circonstanciés. Ainsi Fray Mocho dédia un long article élogieux pour les efforts menés à bien en Suisse envers les réfugiés fuyant la guerre : José Soiza Reilly, « La obra humanitaria de Suiza », Fray Mocho, Buenos Aires, 25 décembre 1914.
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[11]
El Hogar, Buenos Aires, 11 décembre 1914 ; pour comparer : Caras y Caretas, n° 837, 17 octobre 1914, avec la caricature d’un pére montrant à son fils la « nouvelle carte de l’Europe » : une main sanglante. Voir aussi María Inés Tato, « En el nombre de la Patria: asociacionismo y nacionalismo en la Argentina en torno de la Primera Guerra Mundial », XIV Encuentro de Latinoamericanistas Españoles, Congreso Internacional 1810-2010 : 200 años de Iberoamérica, Santiago de Compostela, 2010 ; Grandes manifestations pour la paix in El Pueblo, 25 août, 1914.
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[12]
Cela est particulièrement notable dans les appels à la paix : Karen Offen, European Feminisms, 1700-1950 : A Political History (Stanford: Stanford University Press, 2000), p. 258-270.
-
[13]
Hernán Otero, La guerra en la sangre. Los franco-argentinos ante la Primera Guerra Mundial, Buenos Aires, Sudamericana, 2012 ; Hernán Otero, « Convocados y voluntarios de la Argentina en la Gran Guerra », Ciencia Hoy, nº 139, 2014.
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[14]
Sur la réticence de la communauté italienne, voir Olivier Compagnon, América Latina y la Gran Guerra. El adiós a Europa (Argentina y Brasil, 1914-1939), Buenos Aires, Crítica, 2014, p. 111-120 ; sur les Français, Hernán Otero, « Emigración, movilización militar y cultura de guerra. Los franceses de la Argentina durante la Gran Guerra », Amnis, Revue de Civilisation Contemporaine Europes/Amériques, n° 10, 2011 ; Hernán Otero, La guerra en la sangre, op. cit., p. 153-160 (voir note 13). La communauté britannique, au contraire, a vu beaucoup de ses membres engagés comme soldats ou infirmières.
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[15]
Enrique Jáuregui, ¡Asegurar la paz ! (nuestra defensa nacional ante su misión de mañana), Buenos Aires, Jacobo Peuser, 1915, p. 2-9.
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[16]
La Prensa, Buenos Aires, 30 novembre au 10 décembre 1915 ; Juan Carlos Vedoya, « La captura del ‘Presidente Mitre’ », Todo es Historia, t. XI, n° 135, 1978 ; Carlos Escudé et Andrés Cisneros, Historia de las Relaciones Exteriores Argentinas, Buenos Aires, Consejo Argentino para las Relaciones Internacionales, 2000.
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[17]
Le ministre des Affaires étrangères, José Luis Murature, fut interpellé au Congrès : Argentina, Congreso Nacional, Diario de Sesiones, Cámara de Diputados, Año 1915, Sesiones Extraordinarias, 1er décembre, 1915, t. IV, p. 10 ff. Sur le problème des combustibles, source de peur et tensions, voir David Rock, El radicalismo argentino, 1890-1930, Buenos Aires, Amorrortu, 1977, p. 118-121.
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[18]
El Radical, Buenos Aires, 9 novembre 1915.
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[19]
Harold F. Peterson, La Argentina y los Estados Unidos. 1810-1960, Buenos Aires, EUDEBA, 1970.
-
[20]
Augusto Bunge, Claudia de Moreno, « ¿Cultura o civilización? : Augusto Bunge y la Primera Guerra Mundial », Épocas – revista de historia, Universidad del Salvador, Buenos Aires, nº 5, 2012, p. 32-53.
-
[21]
Comme l’a signalé Olivier Compagnon, América Latina y la Gran Guerra, op. cit. (cf. note 14).
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[22]
Sur Yrigoyen comme leader populiste voir Alain Rouquié, Poder militar y sociedad política en Argentina (hasta 1943), Buenos Aires, Emecé, 1981, p. 140-145 ; David Rock, El radicalismo argentino, 1890-1930, op. cit., p. 112-118 (cf. note 15). Tous les présidents jusqu’à 1983 ont reçu le pouvoir des mains de membres de la même faction ou parti, hors de tout cadre institutionnel ou à la faveur d’un coup d’État ; en 1997 eut lieu pour la première fois depuis 1916 une passation de pouvoir à un membre de l’opposition dans le cadre constitutionnel, du président Carlos Menem à son successeur Fernando de la Rùa.
-
[23]
Argentina, Congreso Nacional, Diario de Sesiones, Cámara de Senadores, año 1916, t. II, sesiones extraordinarias 33, 6 au 8 février 1917, p. 362-377.
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[24]
Id.
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[25]
Id.
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[26]
Id.
-
[27]
Idea Nacional, Buenos Aires, 6 février 1917, article « Alemania y los neutrales ». Quelques jours après on répétait : « La neutralité n’est pas indifférence » ; et « parmi les petits et grands [pays] de la Terre, l’Argentine est la seule à montre indifférencer, faiblesse, douceur, face à l’insolence allemande », Idea Nacional, 7 et 13 février 1917. Un journal conservateur, La Nación, pouvait encore dire que l’attitude argentine était appropriée mais seulement « pour le moment », La Nación, Buenos Aires, 7 février 1917.
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[28]
Le magazine El Hogar, parmi ses conseils de beauté, inséra des caricatures et dessins fortement expressifs : par exemple, une femme avec casque allemand et regard furieux répandant sur la terre des semences légendées odio (haine), El Hogar, Buenos Aires, 23 mars 1917. Les quotidiens faisaient de même : La Argentina demanda au gouvernement de ne plus hésiter et El Diario Español incitait l’Espagne et l’Amérique du Sud à mettre leurs interêts en commun « pour l’avantage mutuel », La Argentina, et El Diario Español, 7 février 1917.
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[29]
Olivier Compagnon, América Latina y la Gran Guerra, op. cit., p. 142-145 (cf. note 14). Le Brésil, qui avait une population germanique considérable, connaissait une vague de fureur anti-allemande dans les grandes villes. Le bureau d’un journal allemand fut brûlé et des magasins allemands détruits.
-
[30]
Idea Nacional, 13 février 1917.
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[31]
Olivier Compagnon, América Latina y la Gran Guerra, op. cit., p. 149 (cf. note 14). Pour l’Argentine, avec un éventail plus large d’exportations et de clients, maintenir la neutralité était plus facile.
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[32]
La Nación, 12 au 15 avril 1917 ; La Prensa, Buenos Aires, mêmes jours. Le Monte Protegido naviguait vers les côtes britanniques chargé d’une cargaison de lin pour Rotterdam. Bien que les premières nouvelles sur le Monte Protegido n’eussent rien révélé des pertes humaines, les journaux parlèrent ensuite de « martyrs » et de « héros ».
-
[33]
The Standard, 14 avril 1917 ; La Patria degli Italiani, 13 avril 1917 ; Idea Nacional, 14 avril 1917, lequel disait que 10 000 persones s’étaient massées devant son siège. La foule qui s’en prit aux journaux allemands comptait quelque 4 000 personnes, voir Olivier Compagnon, América Latina y la Gran Guerra, op. cit., p. 147-148 (cf. note 14).
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[34]
La Nación, 14 et 15 avril 1917.
-
[35]
La majorité de l’opinion politique était divisée entre les radicaux (un parti de classe moyenne) et les conservateurs. David Rock, El radicalismo argentino, 1890-1930, op. cit. (cf. note 17).
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[36]
Par exemple El Hogar, Buenos Aires, 20 et 27 avril 1917.
-
[37]
La presse parlait beaucoup de la situation de l’Espagne, par exemple « La extrangulación de España », qui soulignait que ce pays, bien qu’en pleine crise, pourrait mobiliser un million de soldats, Idea Nacional, 12 avril 1917.
-
[38]
Javier Moreno-Luzón, “Risky Neutrality: Spain and the Great War”, communication orale faite durant la conférence « Des Balkans au monde : Entrer en guerre (1914-1918). Échelles globale et locales » Paris, Unesco, 13-15 novembre 2014 (cf. note 1).
-
[39]
Sur l’étroite rélation entre l’Espagne et l’Argentine au début du xxe siècle, voir José Moya, Primos y extranjeros. La inmigración española en Buenos Aires, 1850-1930, Buenos Aires, Emecé, 2004, p. 403-426.
-
[40]
La Nación, 19 mai au 9 julliet, 1917 ; Carlos Escudé, Andrés Cisneros, Historia de las Relaciones Exteriores Argentinas, Buenos Aires, Consejo Argentino para las Relaciones Internacionales, 2000.
-
[41]
Olivier Compagnon, América Latina y la Gran Guerra, op. cit., p. 150-151 (cf. note 14). Il faut noter que le parti officiel ne contrôlait pas le Congrès. D’autres pressions étaient visibles, comme le 24 juillet où la flotte américaine était arrivée à Buenos Aires, très chaleureusement reçue par la population et la presse, mais non par le gouvernement, La Epoca, Buenos Aires, 24 julliet 1917.
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[42]
Carlos M. Urien, Monumento al gaucho : lectura dada en la sesión de la Junta de Historia y Numística Americana, Buenos Aires, Imprenta de José Tragant, 1916, p. 7.
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[43]
En incluant les dictateurs du xixe siècle. Voir Fernando Devoto, Nacionalismo, fascismo y tradicionalismo en la Argentina moderna : Una Historia, Buenos Aires, Siglo Veintiuno, 2002. Olivier Compagnon a insisté sur la vague nationaliste et ses relations avec l’impact de la guerre. José Moya, Primos y extranjeros, op. cit., p. 384-387 (cf. note 39), montre l’importance des racines coloniales pour la communauté espagnole en Argentine, ainsi que pour les nationalistes cherchant à créer un passé évocateur.
1Ces dernières années de nombreuses recherches ont souligné que même dans les pays éloignés des champs de bataille l’impact des déclarations de guerre en 1914 fut considérable. L’apport majeur de ces travaux concerne les bouleversements culturels qui se produisirent dans ces contrées lointaines.
2Théâtre d’une tragédie auto-provoquée, l’Europe, jadis phare de la « civilisation », devint en 1914 un exemple de « barbarie ». Or le processus de modernisation à l’œuvre dans de nombreux pays de l’Amérique latine, et en particulier en Argentine, depuis le milieu du xixe siècle, s’était construit en opposant symboliquement les deux termes de « civilisation » et « barbarie ». Concept clé dans le difficile processus de construction nationale, la « civilisation » faisait référence à l’ordre public, à la démocratie, à la construction de fortes institutions d’État, à une réelle séparation des pouvoirs, au libre-échange et à la pensée libérale. Toutes ces pratiques trouvaient leur origine dans les pays du nord de l’Europe. Ils produisaient les livres, les idées, les experts et même les biens matériels qui aidèrent à construire un nouveau pays. Les conséquences de cette irradiation sont impressionnantes : entre 1850 et 1910 l’économie argentine a progressé à un taux annuel de plus de 5 %. Les villes côtières, les plus cosmopolites du pays, sont le meilleur exemple de la diffusion de cet idéal : en prise directe avec le monde extérieur, elles furent complètement redessinées selon des modèles français, anglais ou allemands, et ornées de bâtiments de style européen, dotées de larges avenues et de parcs magnifiquement tracés, de gares monumentales. Elles constituaient de la sorte un miroir de l’ancien continent au cœur du nouveau. En revanche, la « barbarie » évoquait la dictature des caudillos, les masses rurales et les vestiges de l’époque coloniale espagnole. En 1914, ces éléments semblaient n’être plus qu’un résidu du passé.
3Ils devaient toutefois resurgir en juillet 1914, mettant sérieusement en question les valeurs imposées jusque-là par l’Europe. Les atrocités commises sur et en marge des champs de bataille, le mépris général pour les règles traditionnellement acceptées de la guerre, la cruauté envers des populations civiles sans défense et même les violations perpétrées par certains pays contre la neutralité de nations plus faibles placèrent l’opinion publique argentine devant un dilemme. Dans ce moment crucial, en effet, comment un pays périphérique allait-il pouvoir faire face à un monde en guerre, alors que sa vie économique, sociale et culturelle était entièrement dépendante de l’Europe ? Et comment fallait-il se comporter face aux deux camps opposés avec lesquels l’Argentine entretenait des liens profonds ? Au-delà même de cette interrogation conjoncturelle, comment imaginer la poursuite de la voie vers le progrès si l’Europe n’était plus en mesure de dispenser sa lumière ? Cela supposait de créer un nouveau corpus de valeurs faisant consensus, une Weltanschauung renouvelée, assez solide pour être acceptée par un peuple en proie à l’inquiétude et à la confusion.
4La neutralité, qui était une réponse logique en 1914, fut rapidement contestée. Or durant l’année 1917, la guerre entre dans une « troisième » phase qui la fait évoluer vers un conflit mondial [1]. Les incidents avec les belligérants mais surtout les tensions de plus en plus fortes au sein de l’opinion publique exercent une pression insupportable sur l’option de la neutralité. Les écrivains, journalistes, leaders d’opinion et même les citoyens ordinaires sont devenus progressivement impliqués dans un combat de mots et d’images au contenu très virulent. L’Argentine, pays ayant sans doute embrassé avec le plus d’enthousiasme la « voie européenne » vers la modernité, a vécu en 1914-1918 une profonde crise économique et culturelle dont les conséquences vont perdurer longtemps après la fin des hostilités.
5Ainsi malgré son ancrage européen et les passions suscitées par le conflit, l’Argentine ne s’est pas trouvée impliquée dans la guerre elle-même. En 1918, elle figurait parmi les quatre pays américains n’ayant pas rompu leurs relations diplomatiques avec l’Allemagne. Après l’entrée en guerre des États-Unis en 1917, même un voisin aussi proche de l’Argentine que le Brésil s’engage dans la guerre. Pourquoi l’Argentine ne suit-elle pas cette voie, alors que des navires argentins ont été coulés par les U-Boot allemands ? Pour quelles raisons des gouvernements de tendances politiques opposées ont-ils convenu de ne pas entrer en guerre ? Il faut en effet rappeler que neutralité et paix sont deux choses distinctes.
6Cette contribution entreprend d’examiner les contraintes, opinions, débats et événements qui ont conduit l’Argentine à rester un pays neutre jusqu’à l’issue du conflit. L’ensemble de ces événements ainsi que les débats qui ont agité la société argentine ont eu un impact sur les élites et sur les classes moyennes comme sur les couches les plus modestes. Les étrangers comme les nationaux furent touchés, les citadins et les paysans, les hommes et les femmes. L’opinion publique, jusque-là guidée par des intellectuels puisant leurs références dans les livres et les journaux, s’est élargie pour s’étendre à de nouveaux protagonistes. Il n’est pas aisé de rendre compte des voix des plus humbles travailleurs, toutefois ils ont également pris part aux débats et ont manifesté leurs opinions. En revanche la recherche reste encore à effectuer en ce qui concerne les femmes. Dans les grandes villes, près de 75 % des femmes étaient alphabétisées ; la plupart des enseignants étaient des femmes qui introduisirent dans leurs classes de nombreuses références à la guerre. Nous ne faisons ici qu’attirer l’attention sur ces problèmes historiographiques, sans y apporter de réponse. En tout cas, nous essaierons de montrer comment ont évolué les opinions principales sur la guerre, comment ces vues se sont confrontées les unes aux autres et quelles ont été les conséquences de ces débats pour enfin réfléchir sur la permanence de la neutralité jusqu’à la fin de la guerre.
Un pays éloigné dans un monde en guerre : 1914
7En Argentine, pays étroitement lié aux belligérants, l’annonce de la déclaration de la guerre a eu un retentissement considérable. À Buenos Aires, une grande partie de la population était née en Europe : 49 % des citoyens étaient originaires principalement d’Italie et d’Espagne, dans l’immédiat deux pays étrangers au conflit [2]. Si l’on prend en compte les seuls hommes adultes sur la population totale, quatre sur cinq étaient nés en Europe. Pour l’ensemble de la République, 2,3 millions d’habitants sur 7,8 étaient des étrangers, presque la totalité en provenance d’Europe [3].
8Mais ces relations avec l’Europe étaient encore plus fortes sur le plan économique et en matière d’échanges : en 1913, 63 % du total des exportations partaient en direction de l’Europe qui en retour représentait 80 % des importations de l’Argentine [4]. Détaillés par pays ces chiffres montrent que la Grande-Bretagne recevait 25 % des exportations, la Belgique 7 % et l’Allemagne 12 %. Les investissements européens étaient également très importants avec une grande partie des créances aux mains des prêteurs britanniques, tandis que l’Allemagne et la France représentaient une portion plus faible, mais non négligeable. La structure du commerce interne révélait également des liens très étroits avec l’Europe, notamment au travers de la présence du personnel étranger. Ainsi les sociétés d’exportation de blé étaient presque toutes contrôlées par des Allemands (particulièrement significatives étaient Weil et Bunge & Born). La production de laine et l’exportation des viandes étaient en revanche dominées par les Britanniques. Plus de 20 000 kilomètres de chemin de fer avaient été construits et étaient encore exploités par des compagnies britanniques en 1914. Les architectes français, quant à eux, étaient recherchés pour la construction de nombreuses villas de luxe pour les élites, tandis que les maisons pour les classes moyennes et populaires étaient clairement inspirées des modèles italiens. Des centaines de milliers de travailleurs arrivaient chaque année de l’Europe au moment de la récolte du blé. Ces migrants saisonniers, que l’on appelait les « hirondelles », constituaient une aide cruciale pour gérer correctement les récoltes et les exportations. En effet, près de 60 % de la production totale de blé était envoyée en Europe ; on atteignait même 80 % pour le maïs et 82 % pour l’avoine et le lin [5]. Aucun autre pays de la région n’était si fortement dépendant des capitaux, des marchés et de la main-d’œuvre européenne que l’Argentine en 1914. Cette dépendance, due essentiellement au manque structurel de population et à l’absence de capitaux, et à leur abondance proportionnellement inverse en Europe, eut une très forte incidence durant la guerre : entre 1913 et 1917, l’économie chuta de 19,6 %, comparativement à une hausse de 9,25 % au Brésil et au Chili, ce qui, dans ces pays, correspondait à une reprise suite à une baisse de seulement 4,6 % de 1913 à 1915. Au contraire, en Argentine la récession ne prit fin qu’en 1917 [6].
9Le déclenchement de la guerre à l’été 1914 trouve l’Argentine déjà en lutte avec une grave crise. Les ventes au détail ont chuté et le chômage a augmenté ; dans la seconde moitié de 1913, les hommes d’affaires à Buenos Aires ont commencé à liquider les stocks ; le secteur de la construction est presque à l’arrêt. Dès que des nouvelles sur l’extension du conflit sont propagées, la situation économique s’aggrave : les exportations sont suspendues tandis que les importations chutent. Les flux d’immigrants sont également stoppés et en retour l’émigration commence. Le solde migratoire, qui de 1905 à 1910 avait atteint jusqu’à 1 300 000 personnes, s’inverse et 61 000 départs nets sont enregistrés en 1914. En juillet 1914, la presse affirmait que la crise avait atteint son apogée [7]. La guerre, qui occupa immédiatement une place importante dans les journaux ne fut ainsi dans un premier temps qu’une mauvaise nouvelle parmi beaucoup d’autres mauvaises nouvelles.
10Par conséquent il n’est pas étonnant de constater que dans ces premiers mois du conflit l’opinion publique en Argentine soutint massivement la neutralité. La lecture des journaux laisse percevoir l’onde d’une vague générale de peur et de tristesse, similaire à celle exprimée simultanément par les classes moyennes et populaires dans les grandes villes des États-Unis [8]. Les efforts du gouvernement pour gérer les problèmes financiers et commerciaux, dans le but aussi de garantir la neutralité, furent acceptés passivement par la population. De façon paradoxale, la paix générale était réclamée par les deux camps idéologiquement les plus éloignés. Les socialistes et les catholiques, chacun de leur côté, organisèrent des manifestations en faveur de la paix dont les slogans, hormis certains détails, exigeaient un résultat similaire ; elles furent même organisées dans des localités voisines. Le gouvernement tenta de décourager les expressions publiques de soutien à l’un ou l’autre des belligérants par exemple en suspendant la représentation d’une opérette qui comprenait des scènes louant l’effort de guerre allié ; par souci de prévention on fit également garder les légations, banques et sociétés étrangères [9].
11Hormis la presse quotidienne, les magazines, et notamment les magazines féminins multipliaient les appels pour la paix, en mettant en une des œuvres d’art, en publiant des bandes dessinées, photographies et articles. Ainsi aux annonces vantant des soins de beauté, des meubles pour la maison ou des boutiques de mode, se mêlaient des récits mélodramatiques sur la souffrance des femmes et des enfants victimes de la guerre. Ils partagaient, de toute évidence, l’espace disponible avec d’autres thèmes d’inspiration sociale, mais ces discours pacifistes étaient omniprésents, ce qui démontre qu’ils intéressaient les lecteurs, qui en l’occurrence étaient essentiellement des femmes. Il est également intéressant de noter un contraste subtil dans le traitement de l’information visuelle sur la guerre entre ces magazines et ceux plus clairement destinés aux hommes. Alors que El Hogar, magazine féminin grand format riche de nombreuses illustrations en couleur osait publier des dessins pleine page des champs de bataille, ces derniers étaient toujours vus de loin dans le but de masquer les souffrances réelles des soldats : morts, blessures et mutilations étaient donc indiscernables [10]. Un exemple de ce point de vue est une bande dessinée publiée dans El Hogar, où l’auteur ironise sur un futur où guerre et violence seraient devenues des événements ordinaires.
12Mais d’autres magazines, comme Caras y Caretas ou PBT, montraient dans le même temps en détail toute la cruauté de la guerre. Des vues en gros plan de cadavres – certains démembrés –, préparaient ainsi au pire une partie moins délicate de l’opinion publique [11]. Dans tous les cas, le résultat était similaire : les lecteurs voulaient être informés, mais leurs réactions aux atrocités ne montraient ni exubérance agressive, ni positions tranchées contre ou en faveur des belligérants quels qu’ils fussent. Les expressions de patriotisme étaient également minimes, permettant ainsi à l’opinion argentine de ne pas affronter les dilemmes rencontrés par les mouvements féministes en Europe [12]. Cependant il était manifeste que les communautés étrangères et leurs institutions éducatives et culturelles fournissaient des efforts considérables pour aider la cause de leurs patries respectives. Les journaux publiés à l’intention des communautés étrangères suscitaient une émotion intense chez leurs compatriotes et les institutions d’entraide licencièrent leurs employés masculins nés à l’étranger qui refusaient de se porter volontaires pour s’engager comme soldats [13]. En effet l’enthousiasme était loin d’être général. Même lorsque l’Italie entra en guerre en mai 1915 contre la Triplice, la situation ne changea pas fondamentalement. La cause de l’Italie, pays si proche de l’Argentine en termes démographiques et culturels, suscita de toute évidence une vague de sympathie, mais le gouvernement réaffirma la neutralité immédiatement, sans provoquer de contestation majeure. En effet cette décision reflétait le peu d’empressement des Italiens d’Argentine à s’enrôler dans l’armée italienne. Cette réticence est comparable à celle des membres de la communauté française [14]. L’émotion de certains ne se révéla donc sans doute pas suffisante pour masquer l’absence d’engagement de l’ensemble.
13La population était incontestablement préoccupée par la guerre, mais elle avait également beaucoup d’autres soucis. La dépression économique et son corollaire le chômage, les difficultés à assurer le quotidien en raison de l’inflation, faisaient concurrence à la guerre dans les journaux et les magazines. Par conséquent, il n’est pas surprenant que l’entrée en guerre ne constituait pas une option pour les Argentins en 1914 et 1915. Une implication dans le conflit n’aurait fait qu’ajouter souffrances et inquiétudes à une population déjà souffrante et inquiète. Ce sentiment était largement partagé : même au sein de la hiérarchie militaire, des officiers généraux croyaient que leur tâche fondamentale était avant tout d’assurer la paix plutôt que de préparer le pays pour la guerre [15].
14Cette relative passivité n’a pas empêché l’expression de vives émotions. L’utilisation d’armes chimiques et, plus généralement, le mépris des règles « honorables » de la guerre, choquaient l’opinion publique et conduisaient à des débats animés sur des questions morales. Malgré cela la guerre a continué d’être certes un événement capital, mais dont le déroulement restait lointain pour la plupart des gens. Le commerce maritime était certes menacé mais on attendait de la principale puissance économique navale, la Grande-Bretagne, qu’elle assure la sécurité des navires commerciaux argentins puisqu’ils transportaient des matières premières essentielles aux docks de Londres. On voulait ainsi croire que les grandes puissances se conformeraient à l’obligation morale de protéger les communautés et les pays pacifiques.
15Ce fut donc une véritable surprise lorsque le 28 novembre 1915, le vapeur argentin Presidente Mitre fut capturé par un navire de guerre britannique. Ce vapeur naviguait le long des côtes argentines et transportait des marchandises pour les ports argentins ; il arborait le pavillon argentin et son équipage était principalement composé d’Argentins et de marins originaires de pays neutres. Mais ses propriétaires étaient Allemands. La réaction de la presse fut très violente ; ne tenant aucun compte de la question de la propriété du bateau, elle présenta toute l’affaire comme une agression caractérisée [16]. Aux protestations du gouvernement argentin la réponse britannique fut jugée insultante et favorisa indéniablement l’émergence des sentiments nationalistes [17]. Les Britanniques en effet proposaient de rendre le navire, mais sans offrir d’excuses et en suggérant même que de telles opérations pourraient se reproduire.
16Le problème fondamental était posé : comment un pays lointain et faible pouvait-il continuer à traiter avec les puissances en guerre tout en recherchant une sécurité minimale pour son commerce ? Un article paru dans El Radical, un journal de l’opposition, répondait que la seule puissance neutre mais forte vers laquelle l’Argentine pouvait se tourner était les États-Unis [18]. L’idée d’une action politique commune du continent américain au sujet de la guerre était effectivement en germe depuis le début des hostilités. À la fin de 1915, les pressions en faveur d’une telle action s’étaient faites plus fortes, dès lors que les incidents augmentaient et que de nouveaux pays entraient en guerre. Mais l’Argentine, traditionnellement opposée à la politique des États-Unis en Amérique du Sud depuis au moins la fin du xixe siècle, cherchait à étendre sa propre influence sur les autres pays d’Amérique latine. En outre elle avait développé des relations privilégiées avec l’Europe, source de main-d’œuvre, de capitaux et des biens de consommation [19]. Dans ces circonstances il s’avérait difficile pour la chancellerie argentine de se lancer dans une politique de collaboration avec les États-Unis. Cette nouvelle orientation aurait immanquablement déclenché des réactions nationalistes : de nombreux intellectuels respectés alertaient contre le péril Yankee caractérisé par les coups de force au Panamá en 1885 et à Cuba, en 1898. Bien que la plupart d’entre eux fussent néanmoins proches de l’Entente, ces intellectuels jugeaient sévèrement les attitudes impérialistes [20]. À cet égard il est significatif qu’une part considérable de l’opinion publique argentine a partagé des points de vue similaires dans de nombreuses questions liées à la guerre avec certains de ses proches voisins comme le Brésil [21]. Mais en Argentine, les soupçons sur l’influence et la puissance des États-Unis dans la région conduisirent à une forte opposition à l’idée de créer un front commun sur le continent américain dirigé par le gouvernement de ce pays. Lorsque ce front devint une réalité, la réticence à en faire partie se renforça alors que l’Argentine n’était pas en mesure d’y jouer un rôle de premier plan.
Politique, opinion publique et réalité
17Le 12 octobre 1916, le conservateur Victorino de la Plaza, président sortant, livrait le pouvoir aux mains du nouveau chef d’État élu, Hipólito Yrigoyen. Tout en le saluant dans les formes, de la Plaza manifesta implicitement son mécontentement au nouveau leader populiste et regagna ensuite son domicile au milieu des acclamations de ses partisans. Ce fut la dernière fois que les Argentins furent les témoins d’une passation de pouvoir les témoins d’une passation de pouvoir pacifique et respectueuse du cadre constitutionnel entre deux présidents de partis opposés, jusqu’à la fin du xxe siècle [22].
18Toutefois Yrigoyen ne modifia pas les lignes de la politique étrangère héritées de ses prédécesseurs et adversaires. Confronté à de fortes pressions, il maintint la neutralité jusqu’à la fin, même lorsque d’autres pays américains (les États-Unis et le Brésil) furent entrés en guerre. Mais il fut contraint de conduire le navire argentin dans une mer beaucoup plus agitée que celle que de la Plaza avait connue. Alors que la guerre devenait mondiale, la neutralité se trouvait de plus en plus contestée et les revendications nationalistes se faisaient jour. Au début de l’année 1917, la déclaration allemande de guerre sous-marine à outrance mit les pays neutres et éloignés à la merci d’une agression jusqu’en pleine mer. Dès lors il semblait plus que jamais difficile de rester à l’écart du conflit. Par conséquent le souci de préserver les intérêts nationaux a considérablement cru en Argentine. Le 6 février, le Sénat invita les ministres des Affaires étrangères, de la Guerre et de la Marine, à se rendre devant le Congrès pour expliquer les mesures prises par l’exécutif en vue de protéger le commerce maritime contre la menace allemande. Finalement seul le ministre d’Affaires étrangères s’y présenta mais son exposé ne répondit pas aux attentes. Il affirma en effet que :
« La vie normale de notre commerce maritime a continué tranquillement… Depuis février, les navires ont quitté Buenos Aires en direction de New York, Gênes, Liverpool, Christiania, Dunkerque, etc., sans problème [23]. »
20Il insista même en disant : « Notre pays doit se concentrer sur lui-même [24] ». Le sénateur socialiste Del Valle Iberlucea essaya d’interpeller le ministre en déclarant que : « La neutralité n’est ni indifférence, ni passivité [25] » ; selon lui les droits du pays à la neutralité étaient contestés par l’Allemagne, ce qui nécessitait d’agir plus fermement pour les faire respecter. D’autres membres du Congrès abondèrent dans le même sens et le sénateur Roca constata avec surprise : « C’est la première fois qu’un gouvernement argentin ne détermine pas, en termes clairs, l’opinion de l’Amérique [du Sud], en se posant comme un bouclier pour les nations sœurs du continent [26]. »
21Face aux nouveaux défis d’une guerre mondiale, l’exécutif adopta une attitude surtout défensive, montrant ainsi que la neutralité n’était pas aussi largement acceptée que précédemment. Il est important de préciser ici que, le pays n’étant pas en guerre, aucune censure ne s’exerçait sur les journaux qui ne subirent pas davantage de pressions pour propager les vues officielles, de sorte qu’ils reflétèrent donc franchement les débats sur la question. Il doit être également souligné que la guerre, dont les nouvelles n’avaient pas quitté la une des journaux, fournit à partir de 1917 de plus en plus la matière des gros titres, en en lieu et place de l’économie qui était d’ailleurs en voie de reprise après la période de stagnation précédente. Alors que certains journaux – en particulier ceux appartenant à la majorité – essayaient de faire abstraction de la guerre sous-marine, d’autres insistaient sur la nécessité de mener des actions plus dures. En critiquant la note argentine présentée à l’Allemagne en réponse à la déclaration de guerre sous-marine, un journaliste écrivait : « Il est temps d’opposer à la cruauté de la guerre… un geste hautain de protestation [27]. » Cette transition vers une position plus agressive s’est opérée progressivement. Les attitudes plus marquées des quelques pays encore neutres, en particulier l’Espagne, le Brésil, l’Uruguay et les États-Unis, étaient comparées avec les notes du gouvernement argentin, jugées trop modérées. Il est également significatif que certains magazines, professant traditionnellement des opinions modérées, aient commencé à inclure des références isolées ou encore des dessins dénonçant ce qu’ils présentaient comme des « menaces » allemandes [28].
22Ces dernières se traduisirent bientôt dans la réalité. Le 6 avril 1917, les États-Unis étaient entrés en guerre. Trois jours auparavant, un navire marchand brésilien, le Paraná était coulé sans préavis au large des côtes françaises. L’impact sur l’opinion publique brésilienne fut énorme. Le 11 avril, le Brésil rompit ses relations diplomatiques avec l’Allemagne et le 26 octobre, cédant à la pression de l’opinion publique bouleversée par de nouvelles attaques sur ses navires, le Brésil déclara la guerre à l’Allemagne [29]. Il était clair pour beaucoup en Argentine que, nonobstant ces récents événements, le Brésil était fortement influencé par les États-Unis [30]. Mais pour le Brésil, comme pour de nombreux pays de l’Amérique latine, il était également impossible de négocier avec les fournisseurs et clients européens dans les nouvelles conditions imposées par l’Allemagne [31]. La situation de l’Argentine pouvait bien être différente mais la neutralité, soutenue par le gouvernement pour sauver le pays des soucis et des souffrances de la guerre, a curieusement commencé à être un fardeau, comme le notaient avec ironie les caricaturistes.
Passions latines
23Le 12 avril 1917, les journaux commencèrent à publier des nouvelles encore non confirmées au sujet du Pampa, un navire argentin prétendument coulé par une attaque allemande. Deux jours plus tard, des nouvelles similaires au sujet d’un autre vaisseau, l’Oriana, se répandirent. Et enfin, il fut aussi pleinement confirmé qu’un autre navire national venait d’être envoyé par le fond : il s’agissait du voilier Monte Protegido avec perte de nombreuses marchandises [32]. Le choc fut immense dans l’opinion publique. Des manifestations de grande ampleur furent organisées ; une foule énorme se rendit au siège du gouvernement, malmenant la garde et se frayant un chemin jusqu’au premier étage. D’autres manifestants gagnèrent les bâtiments des journaux pro-alliés [33]. Des attaques perpétrées contre des institutions allemandes alarmèrent le gouvernement qui envoya des détachements de gardes pour les navires allemands ancrés dans les docks de Buenos Aires [34].
24Une forte passion belliciste s’empara alors du peuple argentin. Une multitude d’initiatives pour le soutien des Alliés naissaient et étaient discutées tous les jours. Bien que les manifestations pour la paix continuassent à animer les rues, le nombre des manifestants était sans aucun doute beaucoup plus faible qu’auparavant. En outre, leurs revendications étaient politiquement plus limitées que jamais, car elles étaient désormais organisées exclusivement par les socialistes et les communistes qui défilaient en chantant l’Internationale. Ces tendances politiques ne rencontraient pas l’adhésion des classes moyennes et eurent donc une portée négligeable [35]. Les magazines féminins se gardèrent bien de relayer cette flambée belliciste. Ils essayaient de convaincre leur lectorat que l’Allemagne allait être bientôt vaincue ce qui mettrait automatiquement fin à la guerre [36]. Tout se passait comme si le discours sur la guerre demeurait un domaine réservé aux hommes en mal d’agressivité. Toutefois, une caricature publiée dans le journal Idea Nacional suggérait que le temps de la peur et la passivité appartenaient désormais au passé.
25L’allusion à l’Espagne n’est pas déplacée ici : bien que l’Argentine soit proche des États américains, en particulier des États-Unis et du Brésil, le pays entretenait des liens étroits avec l’Europe. L’Espagne était non seulement l’un des derniers pays européens à être resté neutre, mais elle représentait aussi la mère patrie de près de 40 % de la population argentine née à l’étranger [37]. L’Espagne maintint son statut de neutralité jusqu’à la fin de la guerre. Elle faisait face à de multiples contraintes : une armée faible, des difficultés économiques, une instabilité politique ; la guerre n’aurait pu qu’aggraver cette situation [38]. Heureusement pour elle, l’Argentine connaissait alors une vie politique plus stable. Mais si l’Espagne, un pays si proche, pouvait se permettre de rester neutre, pourquoi ne pas l’imiter en cette matière ? C’est ainsi que la passivité du gouvernement argentin trouvait un partenaire important, bien qu’il ne fût pas un voisin si proche que le Brésil. Or, beaucoup d’Argentins avaient les yeux rivés sur l’Espagne bien davantage que sur le Brésil [39].
Êtes-vous ou non un patriote ?
26Vers le milieu de 1917, les sentiments nationalistes avaient le vent en poupe. Le discours « nationaliste » des manifestations menées par les socialistes attachés au maintien de la neutralité est entré en collision avec celui du camp opposé, également basé sur un argumentaire « nationaliste », mais formulé par le camp pro-allié favorable à une entrée en guerre aux côtés de l’Entente. Curieusement, ce courant « nationaliste » plus conservateur, qui prenait comme modèles les États-Unis ou la Grande-Bretagne, devait les accuser plus tard de visées « impérialistes ». Dans l’immédiat les pressions des États-Unis s’accentuaient : entre mai et juillet 1917, le gouvernement américain dévoila une correspondance compromettante entre le ministre allemand à Buenos Aires, le comte Luxburg, et son gouvernement, dans laquelle le ministre argentin des Affaires étrangères était qualifié de « cul notoire ». Il y encourageait également les sous-marins allemands à emporter les cadavres et les biens des Argentins [40]. Le gouvernement expulsa Luxburg, mais avec une retenue que certains journalistes qualifièrent d’empreinte de « beaucoup de gentillesse ». Cet incident déboucha sur une interpellation au Congrès où un projet en vue de la rupture des relations diplomatiques entre l’Argentine et l’Allemagne fut présenté et approuvé par 23 voix sur 24 au Sénat, et par 53 sur 71 à la Chambre des députés. Mais les relations extérieures relevaient du pouvoir exécutif et le président Yrigoyen décida de ne pas rompre avec l’Allemagne [41].
27Au fur et à mesure que la « troisième » phase de la guerre progressait, de plus en plus de pays américains rompaient leurs relations avec l’Allemagne, voire lui déclaraient la guerre. Si, comme cela semble avoir été le cas, l’opinion publique en Argentine était plutôt favorable à la rupture, mais pas nécessairement à l’entrée en guerre, pourquoi l’exécutif a-t-il soutenu la neutralité jusqu’à la fin ? Ceci s’explique par des raisons certes pratiques mais pas nécessairement rationnelles. Tout d’abord, bien que l’économie argentine fût en reprise, la mauvaise récolte de blé de 1917 fit naître des craintes au sujet de la capacité de récupération. Le pays récoltait en effet encore les bénéfices de la neutralité en envoyant ses marchandises en Europe, la plupart du temps à destination de l’Entente. Entrer en guerre ne changerait pas cette situation, mais ajouterait probablement de l’incertitude, puisque les attaques allemandes seraient alors justifiées par la belligérance. L’Allemagne avait présenté ses excuses au sujet des navires argentins coulés et depuis les incidents du Monte Protegido et de l’Oriana, il n’y avait pas eu de nouvelles pertes à déplorer. Ainsi à la fin de 1917, les puissantes raisons pour entrer en guerre qui avaient prévalu durant la première moitié de l’année, avaient en quelque sorte disparu. Il est probable, en outre, que le président a estimé que l’initiative politique sur cette question lui échappait, tant sur le plan national qu’international. La situation constituait une atteinte à la fierté nationale, ou du moins à la fierté personnelle du président : en effet entrer en guerre aurait pu être considéré par une partie de l’opinion comme céder à la pression des Etats-Unis, à la remorque desquels l’Argentine se placerait en offrant une action tardive et peu convaincante.
28Les conséquences de ce choix sont à étudier à plus long terme. Un écrivain respecté, Carlos Urien, critiquait en 1916 « certains jeunes gens enthousiastes » qui voulaient ériger un monument au Gaucho, que Urien considérait comme le symbole de la « barbarie [42] ». Dans son analyse, Urien passe à côté d’un élément très important : ces jeunes étaient à la recherche d’un nouveau symbole susceptible de remplacer l’ancien amour pour l’Europe synonyme de « civilisation » qui, depuis 1914, avait plongé le monde dans une mer de sang. Depuis lors, la récupération de la mémoire historique a été consacrée notamment à ce symbole nouveau. Le discours sur la nation a commencé à faire l’éloge des racines coloniales espagnoles, réhabilitant aussi les personnages autrefois relégués au niveau méprisé de la « barbarie [43] ».
La neutralité justifiée de l’Argentine
29Au contraire de la plupart des pays d’Amérique, l’Argentine n’entra pas en guerre et ne rompit pas ses relations diplomatiques avec l’Allemagne. Et ce ne fut pas en raison du poids de sa population allemande, ou de ses intérêts, bien qu’ils fussent significatifs. Ce choix ne s’explique pas davantage par les problèmes économiques ou par l’absence d’une armée forte et d’une marine puissante. Le gouvernement est resté ferme dans son attachement à la neutralité même lorsque l’opinion publique argentine subissait de considérables transformations dues à la guerre. L’exemple de l’Espagne, dont la position de neutralité était dictée par des facteurs multiples, a probablement contribué, dans une optique purement politique, à conforter la décision de l’Argentine et ce bien plus que la situation des pays américains géographiquement ou politiquement voisins, comme le Brésil ou les États-Unis. C’est ainsi qu’aux origines de la vague nationaliste les racines espagnoles se sont révélées plus attrayantes que la perspective d’un alignement sur la nouvelle puissance émergente représentée par les États-Unis. Le renforcement du discours qui se produisit dans les deux dernières années de la guerre s’est fondé sur une exaltation des racines et des vertus espagnoles. Bien que certaines tendances continuassent à pencher du côté des Alliés vus comme des partenaires plus proches, la majorité des nationalistes argentins se sont opposés aux actions des États-Unis en Amérique latine. Dans ces circonstances, une alliance tactique entre l’opinion nationaliste argentine et les Alliés n’aurait pas manqué d’être rapidement contestée. Ainsi l’Europe en guerre ne pouvait plus offrir une image irréprochable et convaincante de « civilisation ». De ce fait, de nombreux Argentins ont constaté que la neutralité offrait, d’une part, l’avantage d’échapper à un conflit considéré comme lointain, d’autre part, l’occasion de définir un cadre adéquat pour un nouveau stade d’introspection et de recherche de symboles aptes à créer une mémoire collective.
30Enfin, il existe de toute évidence une mémoire officielle de la neutralité de l’Argentine. Les communautés locales allemandes, françaises, britanniques et autres ont concentré leurs souvenirs de guerre dans des espaces privés ou semi-publics : monuments, églises, hôpitaux et cimetières appartenant à chaque groupe. Mais l’impact extrêmement fort que la guerre a eu sur l’opinion publique argentine a conduit à d’autres manifestations populaires de commémoration. En 1932, Carlos Gardel, chanteur de tango le plus connu, lui-même originaire de France, enregistra Silencio en la noche qui devint un tango très célèbre : il décrivait les souffrances d’une mère française ayant perdu ses cinq fils à la guerre, seule avec les cinq médailles dont « la patrie la récompensait pour cinq héros ». Ce rappel perturbateur de la tragédie sonnait comme une justification a posteriori de la neutralité ; il s’avérait utile pour montrer à un peuple à la dérive que ce choix, et par extension la nouvelle vague d’introspection nationaliste, avait été judicieux.
Mots-clés éditeurs : opinion publique, nationalisme, Nations neutres, Argentine, Grande Guerre
Mise en ligne 07/10/2016
https://doi.org/10.3917/mond1.161.0115Notes
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[1]
L’auteur renvoie à la communication orale de John Horne faite durant le panel « Les entrées en guerre, les processus de décision »/“Entering the War: the Decision Making Process”, lors du colloque international From the Balkans to the World : Going to War, 1914-1918, A Local and Global Perspective, Paris, Unesco 13-15 novembre 2014, dont les contributions vont faire l’objet d’une publication (NDLR).
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[2]
L’Italie entre en guerre contre les puissances centrales en mai 1915 ; l’Espagne reste neutre (NDLR).
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[3]
Argentina, Tercer Censo Nacional levantado el 1º de Junio de 1914, t. II, Buenos Aires, L. J. Rosso y Cia, 1916-1917, p. 3 sq. Les Français et les Britanniques représentaient plus de 107 000 personnes, les Austro-Hongrois les Allemands totalisaient 65 000 personnes.
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[4]
Une partie considérable des exportations était envoyée « aux ordres », sans destination indiquée d’avance et en cherchant les meilleurs prix ; mais toutes étaient dirigées vers l’Europe. Carlos Tornquist, ed., The Economic Development of the Argentine Republic in the last Fifty Years (Buenos Aires: Ernesto Tornquist & Co., Limited, 1919), p. 142-149.
-
[5]
Osvaldo Barsky, Jorge Gelman, Historia del agro argentino, Buenos Aires, Grijalbo-Mondadori, 2001, p. 221-225.
-
[6]
Ces donnés sont empruntées à Orlando Ferreres, Dos siglos de economía argentina, Buenos Aires, Fundación Norte y Sur, 2010 ; et à la base d’Angus Maddison : http://www.ggdc.net/maddison/maddison-project/home.htm (consulté en janvier 2016).
-
[7]
Carlos Tornquist, The Economic Development of the Argentine Republic in the last Fifty Years, op. cit., p. 15 (cf. note 2) ; pour la crise des ventes, Nissim Teubal, El inmigrante. De Alepo a Buenos Aires, Buenos Aires, s. ed., 1953, p. 15-16. Les principales causes de la crise furent identifiées par la presse : beaucoup de dépenses dans les annés antérieures ; une récolte mauvaise ; et les guerres de Libye et dans les Balkans. On proposa des remèdes drastiques, par exemple un moratoire général : El Pueblo, Buenos Aires, 27-28 juillet au 6 août, 1914 ; et particulièrement « Los bancos y la crisis », 30 juillet 1914.
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[8]
Charles Chatfield, For Peace and Justice : Pacifism in America, 1914-1941 (Knoxville: University of Tennessee Press, 1973) ; la chanson I didn’t Raise my Boy to be a Soldier (Edition Morton/Alfred Bryan/Al. Piantadosi), qui exprimait la peur de la guerre, était très populaire en 1915.
-
[9]
La Vanguardia, 7 au 10 août 1914 ; El Pueblo, 7 au 8 août 1914 ; La Nación, 9 août 1914.
-
[10]
Une forme typique était, par exemple, de présenter des paysages urbains avant et après la guerre, mais pas les plus dévastés. Au lieu de montrer la destruction d’Ypres, Louvain ou Malines, un magazine publiait quelques photographies de la plage d’Ostende désertée par les vacanciers : El Hogar, Buenos Aires, 11 au 17 décembre 1914. D’autres magazines faisaient paraître des articles plus circonstanciés. Ainsi Fray Mocho dédia un long article élogieux pour les efforts menés à bien en Suisse envers les réfugiés fuyant la guerre : José Soiza Reilly, « La obra humanitaria de Suiza », Fray Mocho, Buenos Aires, 25 décembre 1914.
-
[11]
El Hogar, Buenos Aires, 11 décembre 1914 ; pour comparer : Caras y Caretas, n° 837, 17 octobre 1914, avec la caricature d’un pére montrant à son fils la « nouvelle carte de l’Europe » : une main sanglante. Voir aussi María Inés Tato, « En el nombre de la Patria: asociacionismo y nacionalismo en la Argentina en torno de la Primera Guerra Mundial », XIV Encuentro de Latinoamericanistas Españoles, Congreso Internacional 1810-2010 : 200 años de Iberoamérica, Santiago de Compostela, 2010 ; Grandes manifestations pour la paix in El Pueblo, 25 août, 1914.
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[12]
Cela est particulièrement notable dans les appels à la paix : Karen Offen, European Feminisms, 1700-1950 : A Political History (Stanford: Stanford University Press, 2000), p. 258-270.
-
[13]
Hernán Otero, La guerra en la sangre. Los franco-argentinos ante la Primera Guerra Mundial, Buenos Aires, Sudamericana, 2012 ; Hernán Otero, « Convocados y voluntarios de la Argentina en la Gran Guerra », Ciencia Hoy, nº 139, 2014.
-
[14]
Sur la réticence de la communauté italienne, voir Olivier Compagnon, América Latina y la Gran Guerra. El adiós a Europa (Argentina y Brasil, 1914-1939), Buenos Aires, Crítica, 2014, p. 111-120 ; sur les Français, Hernán Otero, « Emigración, movilización militar y cultura de guerra. Los franceses de la Argentina durante la Gran Guerra », Amnis, Revue de Civilisation Contemporaine Europes/Amériques, n° 10, 2011 ; Hernán Otero, La guerra en la sangre, op. cit., p. 153-160 (voir note 13). La communauté britannique, au contraire, a vu beaucoup de ses membres engagés comme soldats ou infirmières.
-
[15]
Enrique Jáuregui, ¡Asegurar la paz ! (nuestra defensa nacional ante su misión de mañana), Buenos Aires, Jacobo Peuser, 1915, p. 2-9.
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[16]
La Prensa, Buenos Aires, 30 novembre au 10 décembre 1915 ; Juan Carlos Vedoya, « La captura del ‘Presidente Mitre’ », Todo es Historia, t. XI, n° 135, 1978 ; Carlos Escudé et Andrés Cisneros, Historia de las Relaciones Exteriores Argentinas, Buenos Aires, Consejo Argentino para las Relaciones Internacionales, 2000.
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[17]
Le ministre des Affaires étrangères, José Luis Murature, fut interpellé au Congrès : Argentina, Congreso Nacional, Diario de Sesiones, Cámara de Diputados, Año 1915, Sesiones Extraordinarias, 1er décembre, 1915, t. IV, p. 10 ff. Sur le problème des combustibles, source de peur et tensions, voir David Rock, El radicalismo argentino, 1890-1930, Buenos Aires, Amorrortu, 1977, p. 118-121.
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[18]
El Radical, Buenos Aires, 9 novembre 1915.
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[19]
Harold F. Peterson, La Argentina y los Estados Unidos. 1810-1960, Buenos Aires, EUDEBA, 1970.
-
[20]
Augusto Bunge, Claudia de Moreno, « ¿Cultura o civilización? : Augusto Bunge y la Primera Guerra Mundial », Épocas – revista de historia, Universidad del Salvador, Buenos Aires, nº 5, 2012, p. 32-53.
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[21]
Comme l’a signalé Olivier Compagnon, América Latina y la Gran Guerra, op. cit. (cf. note 14).
-
[22]
Sur Yrigoyen comme leader populiste voir Alain Rouquié, Poder militar y sociedad política en Argentina (hasta 1943), Buenos Aires, Emecé, 1981, p. 140-145 ; David Rock, El radicalismo argentino, 1890-1930, op. cit., p. 112-118 (cf. note 15). Tous les présidents jusqu’à 1983 ont reçu le pouvoir des mains de membres de la même faction ou parti, hors de tout cadre institutionnel ou à la faveur d’un coup d’État ; en 1997 eut lieu pour la première fois depuis 1916 une passation de pouvoir à un membre de l’opposition dans le cadre constitutionnel, du président Carlos Menem à son successeur Fernando de la Rùa.
-
[23]
Argentina, Congreso Nacional, Diario de Sesiones, Cámara de Senadores, año 1916, t. II, sesiones extraordinarias 33, 6 au 8 février 1917, p. 362-377.
-
[24]
Id.
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[25]
Id.
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[26]
Id.
-
[27]
Idea Nacional, Buenos Aires, 6 février 1917, article « Alemania y los neutrales ». Quelques jours après on répétait : « La neutralité n’est pas indifférence » ; et « parmi les petits et grands [pays] de la Terre, l’Argentine est la seule à montre indifférencer, faiblesse, douceur, face à l’insolence allemande », Idea Nacional, 7 et 13 février 1917. Un journal conservateur, La Nación, pouvait encore dire que l’attitude argentine était appropriée mais seulement « pour le moment », La Nación, Buenos Aires, 7 février 1917.
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[28]
Le magazine El Hogar, parmi ses conseils de beauté, inséra des caricatures et dessins fortement expressifs : par exemple, une femme avec casque allemand et regard furieux répandant sur la terre des semences légendées odio (haine), El Hogar, Buenos Aires, 23 mars 1917. Les quotidiens faisaient de même : La Argentina demanda au gouvernement de ne plus hésiter et El Diario Español incitait l’Espagne et l’Amérique du Sud à mettre leurs interêts en commun « pour l’avantage mutuel », La Argentina, et El Diario Español, 7 février 1917.
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[29]
Olivier Compagnon, América Latina y la Gran Guerra, op. cit., p. 142-145 (cf. note 14). Le Brésil, qui avait une population germanique considérable, connaissait une vague de fureur anti-allemande dans les grandes villes. Le bureau d’un journal allemand fut brûlé et des magasins allemands détruits.
-
[30]
Idea Nacional, 13 février 1917.
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[31]
Olivier Compagnon, América Latina y la Gran Guerra, op. cit., p. 149 (cf. note 14). Pour l’Argentine, avec un éventail plus large d’exportations et de clients, maintenir la neutralité était plus facile.
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[32]
La Nación, 12 au 15 avril 1917 ; La Prensa, Buenos Aires, mêmes jours. Le Monte Protegido naviguait vers les côtes britanniques chargé d’une cargaison de lin pour Rotterdam. Bien que les premières nouvelles sur le Monte Protegido n’eussent rien révélé des pertes humaines, les journaux parlèrent ensuite de « martyrs » et de « héros ».
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[33]
The Standard, 14 avril 1917 ; La Patria degli Italiani, 13 avril 1917 ; Idea Nacional, 14 avril 1917, lequel disait que 10 000 persones s’étaient massées devant son siège. La foule qui s’en prit aux journaux allemands comptait quelque 4 000 personnes, voir Olivier Compagnon, América Latina y la Gran Guerra, op. cit., p. 147-148 (cf. note 14).
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[34]
La Nación, 14 et 15 avril 1917.
-
[35]
La majorité de l’opinion politique était divisée entre les radicaux (un parti de classe moyenne) et les conservateurs. David Rock, El radicalismo argentino, 1890-1930, op. cit. (cf. note 17).
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[36]
Par exemple El Hogar, Buenos Aires, 20 et 27 avril 1917.
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[37]
La presse parlait beaucoup de la situation de l’Espagne, par exemple « La extrangulación de España », qui soulignait que ce pays, bien qu’en pleine crise, pourrait mobiliser un million de soldats, Idea Nacional, 12 avril 1917.
-
[38]
Javier Moreno-Luzón, “Risky Neutrality: Spain and the Great War”, communication orale faite durant la conférence « Des Balkans au monde : Entrer en guerre (1914-1918). Échelles globale et locales » Paris, Unesco, 13-15 novembre 2014 (cf. note 1).
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[39]
Sur l’étroite rélation entre l’Espagne et l’Argentine au début du xxe siècle, voir José Moya, Primos y extranjeros. La inmigración española en Buenos Aires, 1850-1930, Buenos Aires, Emecé, 2004, p. 403-426.
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[40]
La Nación, 19 mai au 9 julliet, 1917 ; Carlos Escudé, Andrés Cisneros, Historia de las Relaciones Exteriores Argentinas, Buenos Aires, Consejo Argentino para las Relaciones Internacionales, 2000.
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[41]
Olivier Compagnon, América Latina y la Gran Guerra, op. cit., p. 150-151 (cf. note 14). Il faut noter que le parti officiel ne contrôlait pas le Congrès. D’autres pressions étaient visibles, comme le 24 juillet où la flotte américaine était arrivée à Buenos Aires, très chaleureusement reçue par la population et la presse, mais non par le gouvernement, La Epoca, Buenos Aires, 24 julliet 1917.
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[42]
Carlos M. Urien, Monumento al gaucho : lectura dada en la sesión de la Junta de Historia y Numística Americana, Buenos Aires, Imprenta de José Tragant, 1916, p. 7.
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[43]
En incluant les dictateurs du xixe siècle. Voir Fernando Devoto, Nacionalismo, fascismo y tradicionalismo en la Argentina moderna : Una Historia, Buenos Aires, Siglo Veintiuno, 2002. Olivier Compagnon a insisté sur la vague nationaliste et ses relations avec l’impact de la guerre. José Moya, Primos y extranjeros, op. cit., p. 384-387 (cf. note 39), montre l’importance des racines coloniales pour la communauté espagnole en Argentine, ainsi que pour les nationalistes cherchant à créer un passé évocateur.