Acteurs historiques et incontournables des migrations du travail en Inde, les recruteurs de main-d’œuvre (maistri) demeurent pourtant largement méconnus. S’intéresser à ceux qui font circuler la main-d’œuvre, à leur quotidien et à la complexité des liens sociaux déployés à travers les espaces de migration et de travail, permet d’appréhender les infrastructures qui facilitent les mobilités dans l’Inde néolibérale. Comment ces maistri façonnent-ils les migrations saisonnières de travailleurs manuels en Inde rurale ? De quelles manières arpentent-ils eux-mêmes ces espaces ruraux ? Quels sont leurs espoirs et leurs ambitions ? Comment négocient-ils avec les différents acteurs de la migration ?
En circulant avec Kurmaïah, maistri depuis une dizaine d’années, à travers les villages, les campements et les lieux de travail en Inde du sud, j’invite le lecteur à explorer le quotidien de ces personnages centraux des migrations internes.
Seuls les pauvres migrent. Je les emmène, je leur donne une grosse somme d’argent et du travail, je les aide, je les protège. Ils ne parlent pas la langue d’ici, ils ne savent même pas où nous sommes. Ils sont comme mes enfants, c’est pour cela que je suis inquiet, c’est difficile sans mon aide.
La nuit tombe. Kurmaïah s’apprête à quitter le campement où il a installé « ses » quarante travailleurs asservis pour dette. Douché et soigneusement coiffé, il scrute une dernière fois le petit miroir accroché aux branchages de sa hutte. Apparemment satisfait, il ajuste son pantalon, exhibe un crayon dans la poche de sa chemise blanche, puis sort de sa hutte en arborant un air grave et souriant…