Le 10 janvier 2011 est inauguré à l’est de la Place Tiananmen, face au musé d’histoire, une imposante statue de Confucius. Quelques semaines plus tard, la statue est déboulonnée et remisée dans un espace moins exposé, sans aucune explication. Cet incident serait resté anecdotique s’il ne se jouait pas sur le fond d’un questionnement inquiet sur les relations que la République populaire (et ses dirigeants) entretiennent avec le passé chinois. Réinstaller le sage de Qufu à quelques dizaines de mètres du mausolée du grand timonier n’est en effet pas sans ironie tant la « Libération » apporté par le régime communiste s’est effectuée contre la religion « féodale » qui pendant près de deux millénaires a conduit la destinée de tout un peuple.
L’idée que la République populaire de Chine est la continuité de l’empire chinois et la dernière étape d’un long processus historique – culturel, politique et intellectuel – semble aujourd’hui d’autant plus commune qu’elle répond aux efforts de la direction chinoise pour arrimer de nouveau leur pays à ses gloires passés. Or, faire de la « Chine nouvelle » une héritière de la superbe impériale est encore au début des années 1980 une idée puissamment subversive, le Parti et son récit révolutionnaire étant né de la contestation iconoclaste des contraintes sociales et familiales de la « tradition » au début des années 1920. Cette relecture de l’orthodoxie, contraire au récit de la « rupture » de 1949 a été utilisée dès la fin de l’épisode révolutionnaire – correspondant peu ou prou à la mort de Mao Zedong en 1976 – pour questionner, puis progressivement remettre en cause la réalité des réussites revendiquées par la propagande en traçant un parallèle entre l’impossibilité de l’empire à se moderniser et les frustrations provoquées par les échecs successifs de la République populaire à faire de même…