Cela fait un demi siècle que j’ai décidé d’arrêter une carrière dans les sciences naturelles pour devenir un historien, et plus spécifiquement, un historien de la Chine. En regardant en arrière mes travaux de ces années-là, il me semble que certaines orientations qui les ont façonnés étaient déjà là au début. Quand j’ai pris la décision de changer de domaine, je savais ce que je ne voulais plus faire, mais j’étais beaucoup moins sûr de ce que je voulais faire. Tout ce que je savais est que je voulais poursuivre des études qui me garderaient au contact des questions de la vie quotidienne. C’est un peu grâce à des rencontres fortuites que – parmi d’autres possibilités – je me tournais vers l’histoire de la Chine.
En tant qu’étudiant en science, mes penchants étaient théoriques, et je suspecte que cela a eu un rôle important dans mon attirance pour l’histoire intellectuelle. J’allais ensuite découvrir que mon choix correspondait, par le plus grand hasard, aux orientations du département d’histoire de l’université de Rochester au milieu des années 1960. Le département était alors dominé par l’histoire intellectuelle, avec cette touche particulière qu’y apportait un groupe de jeunes historiens, dans les rangs desquels Haydn White était probablement le plus influent. Ils partageaient un intérêt pour le statut de l’histoire comme épistémologie et comme entreprise intellectuelle mettant en avant la centralité de l’interprétation des analyses historiques par delà la stricte interprétation des données, en anticipation du virage poststructuraliste des notions historiques…