Notes
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[1]
J’ai renoncé à l’usage des guillemets dans la suite de l’article afin de ne pas en alourdir la lecture. Mais il va de soi que je maintiens dans mon propos le caractère problématique de ces notions.
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[2]
Serge Mallet, Le gaullisme et la gauche, Paris, Éd. du Seuil, 1965, p. 53.
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[3]
Daniel Lindenberg, « Réformisme et révisionnisme en France de 1890 à 1914 » in FrançoisGeorges Dreyfus (dir.), Réformisme et révisionnisme dans les socialismes allemand, autrichien et français, Paris, Éd. de la Maison des sciences de l’homme, 1984, p. 149.
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[4]
Alexandre Millerand, Le socialisme réformiste français, Paris, Georges Bellais, 1903.
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[5]
Jacques Julliard, Fernand Pelloutier et les origines du syndicalisme d’action directe, Paris, Éd. du Seuil, 1971.
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[6]
Réformisme et réformistes français : le Mouvement social, 87, avriljuin 1974.
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[7]
Madeleine Rebérioux, Patrick Fridenson, « Albert Thomas, pivot du réformisme français », ibid., p. 8597.
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[8]
Martin Fine, « Albert Thomas : A reformer’ vision of modernization, 19141932 », Journal of Contemporary History, XII, 3, juillet 1977, p. 551.
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[9]
M. Rebérioux, P. Fridenson, « Albert Thomas, pivot du réformisme français », art. cit., p. 88.
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[10]
Bertus Willem Schaper, Albert Thomas, ParisAssen, s.d. [1959].
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[11]
Leslie Derfler, Alexandre Millerand : The socialist years, ParisLa Haye, Mouton, 1977.
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[12]
Parmi les tout premiers de cette nouvelle vague, on pourra citer Steven Vincent, Between marxism and anarchism : Benoît Malon and French reformist socialism, Berkeley, University of California Press, 1992. Une intéressante mise au point est proposée par Philippe Chanial, La délicate essence du socialisme. L’association, l’individu et la République, Lormont, Le Bord de l’eau, 2009, ainsi que chez le même éditeur la collection « La Bibliothèque républicaine », dirigée par Vincent Peillon, et qui rassemble principalement les textes issus de la mouvance du réformisme social.
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[13]
Jacques Moreau, Les socialistes français et le mythe révolutionnaire, Paris, Hachette Littératures, 1998.
-
[14]
Jacques Moreau, L’espérance réformiste. Histoire des courants et des idées réformistes, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 123.
-
[15]
Christian Topalov (dir.), Laboratoires du nouveau siècle. La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France, 1880-1914, Paris, Éd. de l’EHESS, 1999. Voir Katherine Burlen (dir.), La banlieue Oasis. Henri Sellier et les cités-jardins, 1900-1940, Saint Denis, Presses universitaires de Vincennes, 1987 ; plus récemment, RogerHenri Guerrand, Christine Moissinac, Henri Sellier, urbaniste et réformateur social, Paris, La Découverte, 2005.
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[16]
Voir tout particulièrement Alain Chatriot, « Réformer le social sous la IIIe République », Revue d’histoire moderne et contemporaine, LVI, 4bis, 2009, p. 4053.
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[17]
François Furet, « Les éternelles fiançailles des socialistes et du pouvoir », le Nouvel observateur, 16 mars 1978.
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[18]
Cité par Alain Bergounioux, Gérard Grunberg, Le long remords du pouvoir. Le Parti socialiste 1905-1992, Paris, Fayard, 1992, p. 522.
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[19]
Voir Robert Stuart, Marxism at work : Ideology, class and French socialism during the Third Republic, Cambridge, Cambridge University Press, 1992.
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[20]
Voir Jacques Julliard, « La charte d’Amiens, cent ans après. Texte, contexte, interprétations », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, 24, 2006, p. 540.
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[21]
Voir Christophe Prochasson, Les intellectuels et le socialisme, xixe-xxe siècles, Paris, Plon, 1999.
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[22]
Voir Kostas Kirtsis, Pensée sociologique et idéologies modernes dans l’entre-deux-guerres grec (en grec), Athènes, 1996. Je remercie Dimitri Bacharas de m’avoir indiqué cette référence et informé sur le cas du réformisme grec.
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[23]
Marcel Fournier, Marcel Mauss, Paris, Fayard, 1994.
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[24]
Alain Chatriot, « La réforme par le syndicalisme », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, 24, 2006, passim.
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[25]
Pour le moment, l’étude la plus fouillée qui concerne surtout son versant institutionnel et peu son contenu doctrinal reste l’article de Madeleine Rebérioux, « La Revue socialiste », Cahiers Georges Sorel, 5, 1987, p. 1538.
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[26]
Alain Bergounioux, « Réformisme et néosocialisme. La crise de la socialdémocratie française dans les années 1930 », in F.G. Dreyfus (dir.), Réformisme et révisionnisme dans les socialismes allemand, autrichien et français, op. cit., p. 171184.
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[27]
Charles Andler, La civilisation socialiste (1910), présentation de Christophe Prochasson, Lormont, Le Bord de l’eau, coll. « Bibliothèque républicaine », 2010, p. 69. Je me permets de renvoyer à Christophe Prochasson, La gauche est-elle morale ?, Paris, Flammarion, 2010.
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[28]
On se reportera utilement à l’article classique de Marcel Gauchet, « La droite et la gauche », in Pierre Nora (dir.), Les lieux de mémoire, II, Les France, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 1997.
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[29]
Voir Janet Horne, Le Musée social. Aux origines de l’État providence, Paris, Belin, 2004 (éd. américaine : 2002).
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[30]
Voir la mise au point d’Alain Chatriot, « Socialisme et travail », Cahiers Jean Jaurès, 191, janviermars 2009, p. 40 sq.
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[31]
Par exemple, Isabelle LespinetMoret, L’Office du travail, 1891-1914. La République et la réforme sociale, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007 ; Michel Cointepas, Arthur Fontaine 1860-1931. Un réformateur, pacifiste et mécène au sommet de la Troisième République, Rennes, Presses universiaires de Rennes, 2008.
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[32]
Gaston Richard, Le socialisme et la science sociale, Paris, Félix Alcan, 1897, cité par MarieClaude Blais, « Solidarité, une doctrine pour la République sociale. Introduction », in Léon Bourgeois, Solidarité. L’idée de solidarité et ses conséquences sociales, Lormont, Le Bord de l’eau, 2008, p. 38, n. 53.
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[33]
Cité par M.C. Blais, ibid., p. 7.
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[34]
Voir Alain Chatriot, La démocratie sociale à la française. L’expérience du Conseil national économique, 1924-1940, Paris, La Découverte, 2002.
1C’est l’un des travers parmi les plus fréquemment reprochés à l’histoire des idées que de ne pas assez prendre en charge l’historicité des concepts dont elle prétend reconstituer l’itinéraire sémantique. En négligeant l’environnement intellectuel ou les usages sociaux sous l’empire desquels les notions naviguent, les historiens les figent dans une essence qui entrave leur correcte compréhension. Les concepts perdent ainsi la signification riche et complexe résultant non seule ment des stratifications de sens qu’ils ont accumulées mais aussi des appropriations localisées dont ils sont toujours l’objet. À cette critique devenue désormais presque banale, des historiens ont répondu, depuis longtemps, par des programmes d’enquête historique qui, de Reinhart Koselleck à Quentin Skinner, pour ne citer que les plus référencés d’entre eux, ont fait leur preuve. On peut ainsi souhaiter voir un jour « réformisme » ou « réformiste » profiter des boîtes à outils proposées par de telles démarches d’où naîtrait l’équivalent français du magistral « Dictionnaire historique du langage politique et social en Allemagne » (Historisches Lexikon zur politisch-sozialer Sprache in Deutschland) dirigé par Koselleck. Affichons d’emblée l’ambition de cette nouvelle livraison de Mil neuf cent : contribuer à la rédaction de la future entrée de cet hypothétique Dictionnaire qui accueillerait l’ensemble du vocabulaire propre à la gauche européenne au sein duquel « réformisme » et ses dérivés occuperaient sans doute une place de choix.
Historiographie : un tournant dans les années 1980
2Qui parcourt l’historiographie du socialisme et de la gauche ne peut ignorer à quel point le clivage entre « révolutionnaires » et « réformistes » guide, le plus souvent comme un impensé, les analyses des historiens. Il ne fait même aucun doute que dans les grandes heures de l’historiographie française du mouvement ouvrier, des années 1960 aux années 1980, les seconds aient souffert d’une sensible défaveur. La « droite » du socialisme, « réformistes », « révisionnistes » [1] et critiques du marxisme, fut laissée dans une pénombre quelque peu réprobatrice. Dans un recueil d’études publié en 1965, Serge Mallet s’en fait l’écho :
Quatre à cinq cents personnes aujourd’hui en France ont lu la fameuse brochure de Bernstein : Socialisme théorique et social démocratie pratique qu’il faut aller exhumer à la Bibliothèque nationale. Il n’est pas pour autant un secrétaire de section du PC, du PSU ou de la SFIO qui ne se sente glacé jusqu’à la moelle des os lorsque quelque dirigeant dénonce « les tendances au révisionnisme “bersteinien” » qui couvent à travers tous les courants rénovateurs [2].
4Une vingtaine d’années plus tard, Daniel Lindenberg ne s’écartait pas de ce premier constat, au seuil d’une étude consacrée au « réformisme » et au « révisionnisme » français dans les années 18901914 :
« Réformisme ». Le terme reste suspect dans notre culture politique, désignant plus une perversion des mouvements sociaux, une maladie de l’entendement révolutionnaire pour les uns, une pusillanimité congénitale pour les autres, qu’un courant de pensée digne d’examen [3].
6À gauche, en ces années, il était peu valorisant de faire l’aveu de son réformisme. À vrai dire, celui-ci avait toujours été marqué par une sorte d’infamie, même parmi ceux qui cédaient à sa commodité pratique. L’un des socialistes les plus vilipendés par la mémoire socialiste, Alexandre Millerand, n’étaitil pas l’auteur d’un Socialisme réformiste [4], que personne d’ailleurs ne lisait ni ne commentait, tant son auteur incarnait la trahison ?
7Il y eut pourtant quelques historiens pour apporter au réformisme des marques de considérations historiographiques, même dans les années 1970 où le climat demeurait encore électrisé par les événements de Mai 1968. Jacques Julliard, par exemple, auteur d’un ouvrage sur la grande figure du syndicalisme révolutionnaire qu’était Fernand Pelloutier [5], rassembla, au printemps 1974, un ensemble d’études qui composa une livraison du Mouvement social intitulée Réformisme et réformistes français [6]. Aussi bien le cas de Pelloutier que celui de Julliard subvertissaientils la conception affadie, paresseuse et polémique du « réformisme » à la Millerand. Pas plus que Pelloutier ne se reconnaissait luimême dans une conception révolutionnante de la révolution, la sensibilité politique dans laquelle se reconnais sait Julliard (la galaxie réformatrice de la nouvelle gauche) n’aurait pu non plus se laisser enfermer dans la catégorie d’un réformisme de philistin. Notons d’ailleurs qu’en ce même numéro, Madeleine Rebérioux et Patrick Fridenson consacrent un bref article à l’une des autres grandes incarnations de la « trahison réformiste » : Albert Thomas [7], que Martin Fine présente encore, dans un article publié quelque trois ans plus tard, sous le jour d’un « réformiste dépourvu de la moindre honte » (unabashedly reformist) [8].
8L’article de Rebérioux et Fridenson n’est autre qu’une invite à prendre au sérieux la pensée d’un socialiste dont l’ampleur intellectuelle est comparable à celle de Jaurès, encore qu’elle ne soit en rien son simple décalque. Les deux auteurs notent en particulier que les « thèmes de la gestion démocratique de l’entreprise, des conventions collectives, de la politique contractuelle, du paritarisme, des réformes de structures, aujourd’hui si familiers, sortent en droite ligne de la pensée d’Albert Thomas [9] ». Comment ne pas relever, néanmoins, que c’est un historien hollandais, Bertus Willem Schaper, qui voua la première biographie savante à Albert Thomas [10] ? De même que c’est à un auteur de langue anglaise que l’on doit la première étude importante consacrée à Alexandre Millerand [11]. Ces notables exceptions se repèrent sur fonds d’une historiographie qui privilégie la culture révolutionnaire du mouvement socialiste. Même Jaurès fut alors arraché, et d’abord par Madeleine Rebérioux, du cadre convenu où on l’avait souvent cantonné : un dirigeant consensuel et habile à concilier réforme et révolution.
9On forcera à peine le trait en mettant en évidence un retournement de conjoncture historiographique dans les années 1980, qui n’est évidemment pas sans relation avec les coordonnées propres à une nouvelle configuration idéologique et politique. Toute l’historiographie précédente avait reposé sur l’idée qu’il existait une différence de nature entre deux cultures socialistes, l’une attachée à l’idée que la révolution constituait le seul mode véritablement opératoire du changement social, l’autre convaincue que la révolution, entendue comme guerre civile, conduisait tout à la fois à la ruine et à la tyran nie, même si l’une et l’autre approche partageaient la même perspective d’un horizon historique qui fixait un audelà au capitalisme. L’historiographie savante, relayant les préjugés idéologiques, a ainsi élevé une muraille de Chine entre ces deux familles de la gauche européenne.
10Cette muraille se trouve désormais très passablement fissurée. Le renouveau historiographique qui touche, à l’ère postcommuniste, l’histoire du socialisme remet souvent sur l’établi ce découpage indiscuté. Sa pertinence ne va plus de soi. Comme on l’avait observé depuis longtemps sans en tirer suffisamment les conséquences historiographiques qui s’imposaient, il existe une grande porosité entre révolutionnaires et réformistes, tant du point de vue des doctrines, si ce n’est des références, que des pratiques politiques et militantes. Par ailleurs, constatant les béances historiographiques dont réformismes et réformistes avaient fait les frais en France, certains historiens, dont nombre nous sont venus de l’étranger comme déjà signalé à propos des biographies d’Albert Thomas et d’Alexandre Millerand, ont investi cette sphère et ont remis en cause la trop sage partition héritée de l’histoire ellemême [12].
11Ne doutons pas que la crise identitaire de la gauche aidant, nombre de ces travaux visent aujourd’hui à esquisser une discrète réhabilitation d’une pensée injustement écartée de l’histoire intellectuelle du socialisme au profit de doctrines mieux ancrées dans la sensibilité révolutionnaire. L’ouvrage posthume du regretté Jacques Moreau, figure attachante d’une deuxième gauche en délicatesse avec l’héritage révolutionnaire, et au reste auteur d’un ouvrage consacré au « mythe révolutionnaire » chez les socialistes français [13], illustre fort bien ce qui se dissimule à peine derrière cette volonté de rattrapage historiographique dont n’est pas absente une manière de revanche idéologique.
Contrairement à ce que croient certains, écrit Moreau, l’essentiel de l’œuvre accomplie par les socialistes depuis cent ans et qui a profondément transformé la société française a été de nature réformiste. Sans doute, […] le vieux credo « révolutionnaire » a-t-il été un facteur essentiel de la pérennité du Parti socialiste car constitutif de son identité militante. […] Mais ne tenir compte que de cette eschatologie révolutionnaire officielle, c’est oublier que même minoritaire dans les congrès, l’espérance réformiste est aussi ancienne que le socialisme français et qu’elle est à l’origine de ses meilleures réussites. En retrouver les origines et en décrire les étapes n’est pas trahir le socialisme, c’est lui rendre son esprit [14].
13Plus ambitieux sont les travaux qui décidèrent de quitter le terrain strictement politique pour saisir l’élan réformateur qui s’empara de républicains, philosophes du politique ou hommes d’action, à cheval sur les xixe et xxe siècles. Les maux du capitalisme industriel, les injustices et les désordres qu’il engendre, l’anomie d’un individualisme poussé à outrance, les souffrances et les misères morales nées de la quête brutale du profit indignèrent audelà du périmètre du seul socialisme. On chercha des réponses dans tous les rangs de ce qu’il fut convenu d’appeler les milieux de la « réforme sociale » dont on aurait tort de penser qu’ils ne préconisaient que des réponses techniques au détriment de tout ancrage politique. C’est l’objet d’un ensemble d’études réunies par Christian Topalov, qui fait encore aujourd’hui référence pour qui veut décrire une « nébuleuse réformatrice » englobant tout à la fois socialistes et radicaux, républicains laïcs et catholiques sociaux, militants syndicaux et haut fonctionnaires [15]. Plus récemment encore, une livraison de la Revue d’histoire moderne et contemporaine a pris pour titre clin d’œil De quoi la « réforme » est-elle le nom ? [16].
14Les temps ont bel et bien changé. Les historiens ont désormais hâte de décrire une histoire des doctrines socialistes plus riche et plus composite, plus ambivalente aussi, abordée avec moins de préjugés et sous l’empire d’approches plus internationalisées. Une nouvelle histoire du socialisme et, audelà de la gauche européenne, semble peu à peu tracer son chemin. Les articles qui suivent s’en veulent une démonstration renouvelée.
Histoire : réforme versus révolution ?
15Dans le vocabulaire politique de la gauche française, que l’on pourra sur ce point aussi comparer à d’autres cas européens, « réformisme » est, comme je l’ai mentionné, entaché de suspicion. Derrière le terme surgissent toujours d’autres vocables qui ne dessinent pas au mot une traîne bien majestueuse. Le réformisme voisine toujours avec la trahison, la déviation, le compromis voire la lâcheté, au point qu’il y a peu encore, l’ancien Premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande, soucieux de conférer une identité doctrinale au Parti socialiste du nouveau siècle, lui proposa pour tout habit un vertueux « réformisme de gauche ». Il fallait donc entendre que, par nature, le réformisme n’était pas « à gauche », et qu’il se situait même probablement « à droite », en tout cas pour ce qui concerne le spectre doctrinal du socialisme français. Ces usages et ces contextes d’énonciation politiques font évidemment partie de l’histoire du réformisme et ne sauraient être négligés pour qui enquête sur l’histoire d’une telle sensibilité politique.
16Comme le note avec perspicacité François Furet, même lors du Congrès de Tours, épisode réputé décisif dans l’histoire du départ entre réformisme et révolution, le débat ne fut pas « entre réforme et révolution, mais entre deux conceptions marxistes de la révolution [17] ». Léon Blum, luimême, ne faisait pas mystère de la commune inspiration de pensée des deux « partis frères », pour des raisons qui ne relevaient pas seulement de la concurrence politique auprès de la même clientèle électorale : « Il y a entre les bolchevistes et nous une incontestable communauté de fins doctrinales [18] », affirmaitil avec conviction.
17Depuis l’Unité de 1905, et peutêtre même avant, le point d’équilibre doctrinal du socialisme français s’était davantage installé du côté de la révolution que de celui de la réforme. Peu importe ici que les socialistes français fussent des révolutionnaires bien incapables de faire la révolution. Leur imaginaire politique et leur conception du changement social les ancraient de ce côtéci de la transformation sociale, soit dans la croyance d’une vision de l’avenir en rupture complète avec le présent, mais dans le miroir d’un passé : les révolutions qui avaient ponctué l’histoire de France depuis la Grande Révolution. Le monde changeait ou tentait de changer sous les seuls coups de butoir du mouvement ouvrier dont l’avènement presque soudain marquerait l’arrivée de l’histoire à son port.
18Cette vision dominante n’exclut point, il faut le souligner, quelques aménagements pratiques qu’imposait l’insertion du mouvement socialiste, comme celle du mouvement ouvrier, dans l’histoire de la démocratie républicaine. On ne s’est pas fait faute de souligner que parmi les plus révolutionnaires des socialistes – songeons aux guesdistes –, on savait composer avec l’histoire. Il n’est que d’observer les politiques municipales de quelques villes du Nord avant la Grande Guerre pour s’en convaincre [19]. On y fait beaucoup de réformes, et parfois d’excellentes, dans le souci d’apaiser sans retard les souffrances d’un monde ouvrier en butte à la plus rude des luttes de classes. Au sein même du mouvement ouvrier, le syndicalisme révolutionnaire sut fort bien théoriser cette tactique à double détente – la réforme pour aujourd’hui, la révolution pour demain – en sa fameuse Charte d’Amiens de 1906 [20]. Il n’empêche. Au sein de la gauche française, on fit la course à gauche, voire à l’extrême gauche, la création du Parti communiste dans les années 1920 renouvelant cette dynamique sur d’autres bases, mais avec un indéniable succès.
19Dans cette configuration nationale, le réformisme qui fixait au changement social d’autres objectifs et d’autres méthodes faisait bien pâle figure, quand il était entendu. Cette situation française est d’autant plus remarquable qu’elle n’est pas généralisable à l’ensemble de l’Europe. D’autres gauches ont fait bien meilleur accueil au réformisme, sans pour autant rompre avec la base sociale sur laquelle avait prospéré le mouvement socialiste, sous toutes ces espèces. Mieux encore, il n’est pas excessif de dire que les mouvements socialistes plus enclins au réformisme qu’à la révolution furent ceux qui avaient noué avec la classe ouvrière le pacte le plus solide. Il existe ainsi une manière d’éthique protestante du socialisme qui entraîne plusieurs nations de l’Europe du Nord, Angleterre et pays scandinaves, conciliant tout à la fois un pragmatisme de l’action, un attachement à l’authenticité de classe et une morale pointilleuse. Réformiste et ouvrière donc, telle est cette socialdémocratie qui se distingue des courants dominants du socialisme européen pour la période qui nous occupe ici. Les sociologies comparées du réformisme et de la révolution nous apporteront sans aucun doute les plus intéressants enseignements.
20La culture révolutionnaire, telle qu’elle s’exprime dans les IIe et IIIe Internationales, n’épuise pas cependant l’analyse de la culture politique des socialismes de toutes les nations, y compris celles de l’Europe méridionale, dont certaines composantes, particulièrement sonores, ont étouffé d’autres voix. Une histoire du réformisme et de ses réseaux nous fait encore défaut, qui mettrait en évidence plu sieurs caractéristiques d’un mouvement beaucoup moins falot que la tradition marxiste le laissa longtemps supposer et au moins tout aussi intellectuellement armé qu’elle. S’il est vrai que dans le Sud de l’Europe, les intellectuels de gauche furent plus happés par les stimulantes perspectives du marxisme révolutionnaire auxquels ils offrirent de belles joutes oratoires et des outils théoriques parfois aussi abstraits qu’inutiles, d’autres s’inscrivirent bel et bien dans le réformisme.
21Ainsi, le rôle de la sociologie mérite ici d’être évoqué. Des fabiens britanniques aux durkheimiens français [21], en passant par quelques grandes figures des sciences sociales européennes, comme Enrico Ferri en Italie, les « socialistes de la chaire » en Allemagne tels Gustav Schmoller ou Adolph Wagner, voire, jusqu’en Grèce, le cas d’Alexandre Papanastasiou, premier ministre socialdémocrate pendant quelques mois en 1924 qui revendiqua les influences conjointes de tous ces courants auxquels les membres de la Société sociologique qu’il avait créée en 1908 ajoutaient le nom du juriste Léon Duguit [22] proche des durkheimiens, nombre d’intellectuels socialistes européens, tout aussi soucieux de science que leurs camarades et confrères marxistes, s’appuyèrent sur des sociologies nouvelles, libérées de Marx mais non ralliées à la foi libérale et individualiste, dont ils tirèrent d’autres leçons politiques. Marx avait creusé le sillon d’une science sociale qui n’offrait guère de latitude à ces chimères bourgeoises que constituaient à ses yeux le droit et la morale. Les nouvelles sociologies de la fin du xixe siècle lui opposèrent la force organisatrice de ces instances dans l’ordre du social et leur nécessaire prise en compte pour qui aspirait à le transformer. Il revenait au socialisme d’en tenir compte.
22Le réformisme ne peut se réduire à l’état d’une doctrine alternative ni même, comme on l’a vu, à celui d’une culture politique clé en main rivalisant avec la sensibilité révolutionnaire. Voilà pourquoi, il est important de faire toute sa place à ce réformisme de l’action qu’on voit à l’œuvre dans les syndicats, les coopératives et les mutuelles, et même, jusqu’au cœur des États, dans ces institutions chargées de réguler la question sociale, où il arrive que l’on rencontre des socialistes. En France, l’un d’entre eux, Alexandre Millerand, fut même ministre, à la faveur de la crise politique engendrée par l’affaire Dreyfus. Convenons qu’il en paya le prix fort, puisque son nom est encore l’un des plus honnis de l’histoire du mouvement socialiste, alors même que son œuvre réformatrice ne fut ni si dérisoire, ni si indigne que ses adversaires le soutinrent.
23Il y eut d’ailleurs quelques intellectuels pour s’engager dans la réforme sociale autrement que par un travail intellectuel. On cite souvent le cas de Marcel Mauss qui ne ménagea pas sa peine dans la coopérative, la « Boulangerie socialiste [23] ». Durant la Première Guerre mondiale, ils furent quelquesuns à réfléchir à la façon de mettre en œuvre une réforme de l’État grâce à la présence d’AlbertThomas au gouvernement. Toujours en France, le cas du juriste Maxime Leroy, qui s’en prenait certes à l’entourage de Thomas fait de « normaliens, innocentes âmes au milieu des pires audaces industrielles », est pour tant également intéressant du point de vue de l’histoire du réformisme pratique. Secrétaire général du Comité central de la Société des Visiteurs, une œuvre de charité laïque, il porte tous ses espoirs vers l’action syndicale. Dans sa fameuse somme de 1913, La coutume ouvrière, il note :
Il faut donc oublier nos habitudes de lettrés et d’hommes trop policés, si nous voulons comprendre la beauté et la moralité sauvages et brutales, neuves, des efforts syndicalistes.
25La transformation sociale ne doit plus se penser de manière poli tique, par le haut. Maxime Leroy en appelle au contraire à « l’avènement administratif des producteurs », ce qui est le contraire de la démarche entendue par les révolutionnaires restés sous l’emprise d’une représentation jacobine ou blanquiste du pouvoir et de sa captation. On ne s’étonnera pas de voir Leroy s’enticher de SaintSimon et de Proudhon plus que de Marx. Quel sens y auraitil cependant à faire des deux premiers les pères d’un réformisme défini par la modération et le compromis face au second, âme de la révolution [24] ? À lire Maxime Leroy, comme ces augustes inspirateurs, qui dira encore que le réformisme ne puisse s’apparenter qu’à un brouet idéologique sans saveur réservé aux estomacs délicats ? Il existe un réformisme radical qui se distingue de la révolution par son souci de ne pas s’en tenir aux formules dont se repaissent intellectuels indignés ou politiciens roués.
26Il est ainsi un domaine pratique du réformisme qui n’accueillit pas les tempéraments les plus tièdes ni les plus calmes des militants. Ce n’est donc ni dans le style politique ni même dans les objectifs que la culture réformiste est à même d’être distinguée de la culture révolutionnaire. Les porosités entre les deux mettent décidément à mal une telle distinction. C’est à un autre niveau que l’on peut opérer un distinguo utile. Ce qui semble le plus commun aux réformistes européens est leur commune impatiente préoccupation d’inscrire leur action dans le réel des situations immédiatement affrontées. Ils s’accordent sur une espèce de morale de l’action qui ne peut se satisfaire des décalages entre horizon d’attente, valeurs défendues et comportements militants. La révolution ne peut attendre, encore moins les lendemains enchanteurs, c’est aujourd’hui et ici même qu’il convient d’instaurer un ordre social plus juste. Le réformisme pro clame avec fièvre l’état d’urgence que réclame sans délai une société rongée par l’injustice.
Pour une histoire du réformisme
27Des remarques qui précèdent, il est possible de tirer quelques conséquences pour une histoire du réformisme. Des pistes ont déjà été avancées qu’il s’agit à présent d’éprouver. Trois grands axes peuvent se dégager, sans aucune exclusive.
28Le premier tend à dégager un volet doctrinal qui traverse l’ensemble des gauches européennes et dont l’étude a été très inégale selon les pays considérés. La France est sans doute la moins bien lotie. J’ai signalé que l’histoire intellectuelle du réformisme a longtemps souffert de l’espèce de suffisance intellectuelle (qu’accompagne souvent la rivalité politique) que lui opposaient les versions dominantes du socialisme, tout empreintes qu’elles étaient de la lettre, et parfois même de l’esprit, du marxisme. La mise au jour récente et commentaire le de plusieurs auteurs, de Benoît Malon à Eugène Fournière, de Georges Renard à Charles Andler, auxquels peuvent s’agréger d’autres théoriciens socialistes négligés, permettront de compléter une historiographie tronquée qui laissa dans l’ombre ce socialisme oublié. La Revue socialiste, que Georges Sorel accablait de son mépris dans les années d’avantguerre en prétendant que personne ne la lisait plus, fut le principal réceptacle de ce courant, au contenu d’ailleurs très hétérogène. Elle mériterait meilleure considération que celle que lui ont réservée les historiens du socialisme, en tout cas pour la période qui précéda la Grande Guerre [25]. Dans la même veine, on pourrait rouvrir à nouveau frais le dossier du néosocialisme comme le suggérait déjà Alain Bergounioux dans un article publié en 1984 [26] !
29L’un des apports théoriques les plus intéressants que l’on peut déjà mettre en évidence à la lecture des études disponibles est la composante morale qui habite le réformisme européen. La perspective du changement social s’adosse à des horizons éthiques. Pas de transformation sociale sans transformation morale, semblent nous signifier ces auteurs. Même si l’idée de régénération morale occupe une place majeure dans toutes les idéologies révolutionnaires depuis la Grande Révolution, elle prend une tout autre teinte chez nombre de ces auteurs en butte à un marxisme qui a beaucoup réduit le socialisme à un économisme boursouflé par un fatalisme scientiste.
30Sans doute ne manqueraton pas aujourd’hui de relativiser cette opposition et de souligner aussi l’existence d’un scientisme réformiste. Il ne m’en apparaît pas moins vrai que des deux pieds sur lesquels marcha toujours le socialisme, la science et la morale, c’est tout autant sur le second que sur le premier que s’appuyèrent les réformistes européens. Que Charles Andler ne soit pas le plus représentatif docteur du réformisme français est un fait que l’on ne saurait contester, pas plus que Charles Péguy que l’on pourrait d’ailleurs annexer, sans trop de dommages, à cette petite phalange de penseurs indépendants. Son socialisme n’en illustre pas moins avec une force remarquable ce qu’il y a de moral dans le réformisme français. Sa critique du capitalisme repose d’abord sur des valeurs qu’il lui oppose. Être socialiste revient d’abord à offrir à autrui le schéma d’une nouvelle humanité :
Je dis que vous avez en vous […] des raisons qui rendent possible et nécessaire la civilisation nouvelle, un critère intérieur, un sentiment vague – affirme Andler –, mais non erroné de cette vie nouvelle. Cette vie est déjà existante en vous, du moins si vous êtes socialistes ; et si vous avez cette volonté nouvelle de socialisme, vous devez vous rendre compte que cette volonté comporte une mentalité différente de toute autre mentalité. Être socialiste, c’est avoir passé par une régénération totale, et par une reconstruction de tout l’esprit. [27]
32C’est en conséquence à trois niveaux qu’il convient d’enquêter sur les doctrines réformistes puisqu’elles font converger tout à la fois pensée économique, pratique politique et morale.
33Pour bien comprendre l’histoire du réformisme européen, il ne suffit pas de s’en tenir à l’étude de sa philosophie politique. La terminologie, comme nous le savons, et tout particulièrement dans l’arène politique, dispose d’une dimension pragmatique. Les concepts poli tiques voyagent dans des sphères d’usage qui les distinguent de tout autres. « Réformisme » et ses dérivés ont été connotés négativement dans un contexte où les révolutionnaires bénéficiaient d’un avantage certain. Le révolutionnaire occupe le pôle de la pureté morale et de la cohérence qui le conduit à pousser à son terme la condamnation du capitalisme, quand le réformiste, toujours suspect de céder à un compromis qui, selon la formule bien connue, fraie toujours un tant soit peu avec la compromission, est prêt à se satisfaire d’une transformation sociale sans heurt et en demiteintes, accomplie au fil de négociations et d’alliances qui écornent la réputation de sa volonté politique.
34Du début du xxe siècle à sa fin, réformisme et révisionnisme ont ainsi servi à dénoncer les « trahisons » successives de la socialdémocratie qui, en France surtout, n’osait pas dire son nom. Il reste à conduire un inventaire rigoureux et compréhensif des usages du vocabulaire poli tique qui mettrait au jour la course à gauche auxquels se sont livrées, dans une partie de l’Europe, les forces politiques liées au mouvement ouvrier, au détriment de toute pensée réformiste résolue à même de transformer le capitalisme par d’autres voies que celles proposées par les révolutionnaires dont on sait à quel point elles furent inefficientes. Une enquête qui mettrait en évidence la subtile dialectique entre réforme et révolution, qui contribua beaucoup à la stérilisation du débat sur les conditions pratiques de la transformation du capitalisme, serait d’un grand secours. On y verrait évidemment rejouer l’axe structurant de la vie politique, entre « droite » et « gauche » [28], dont l’approche réaliste a aujourd’hui épuisé ses effets. On peut supposer que de telles questions trouveraient des méthodes adaptées dans les protocoles avancés par l’histoire conceptuelle du politique, de Reinhart Koselleck à Quentin Skinner, que j’évoquais en commençant.
35Un troisième et dernier volet peut être retenu. Celuici poursuivrait l’entreprise initiée par Christian Topalov et quelques autres [29] dans la mise au jour de réseaux réformistes européens qui ne s’arrêtent ni aux frontières des nations ni au périmètre des partis. Ces travaux ont dégagé des pratiques et un esprit réformateurs qui attestent les victoires du socialisme, indépendamment de la scène politique ou syndicale. Ainsi parvienton à s’émanciper des seules catégories politiques et des pièges qu’elles nous tendent en tournant l’attention vers l’étude des pratiques. L’histoire politique s’est sans doute trop figée dans l’étude des élections et des partis, négligeant par là même d’autres espaces où se faisait pourtant bel et bien de la politique. L’histoire de la gauche doit elle aussi s’émanciper de l’unique observation des batailles idéologiques de congrès ou du commentaire de philippiques stigmatisant le réformisme et la trahison de la socialdémocratie. Chez les parlementaires, malgré les atermoiements d’un Sénat « freineur » en matière de réformes sociales, comme au niveau de l’État qui met en œuvre une politique sociale dont l’histoire n’est pas toujours faite [30], dans les communes et les coopératives, dans les mutuelles et les syndicats, voire dans certaines institutions et corps intermédiaires de l’État [31], une « socialdémocratie en actes » est à l’œuvre qui relève bel et bien de l’histoire du réformisme. Il est vrai qu’en France, une longue tradition, de laquelle même les plus révolutionnaires relèvent bel et bien, fait que l’on accorde davantage sa confiance à l’État qu’à la société. Il convient pourtant de se montrer attentifs à ces formes originales de démocratie sociale dans lesquelles se sont investis nombre de militants de gauche.
36En France, la redécouverte en cours du solidarisme, espace de rencontres autant que de confrontations entre socialisme et radicalisme avant la Grande Guerre, est tout particulièrement pertinente du point de vue qui nous occupe ici. Les thèses de Léon Bourgeois ont été beaucoup discutées parmi les socialistes (Charles Andler, Georges Renard ou le professeur de philosophie Gaston Richard qui définit le socialisme comme « la remarquable aspiration à la solidarité qui agite notre temps [32] »). Plusieurs étaient juristes ou pour le moins frottés de droit et les répudièrent rarement, les amendèrent souvent, en tirèrent toujours le plus grand profit. Bourgeois n’est d’ailleurs pas le seul à nourrir le débat sur l’idée de solidarité dont le mot, comme il en fait luimême le constat en 1901, « est partout aujourd’hui [33] ». Il faut dans ce casci se libérer de la concurrence politique qui opposait socialistes et radicaux à un niveau strictement électoral, pour s’en tenir non seulement à une certaine communauté d’inspiration doctrinale mais aussi à une action commune qu’il est possible de déceler en certaines institutions réformatrices du tournant du siècle. Dans l’entredeuxguerres, le Conseil national économique accueillit des débats et joua un rôle, aussi limité futil, qui relève d’un esprit analogue. Socialistes et syndicalistes y étaient représentés et y agirent avec conviction [34]. On comprend bien dans ces milieux que la transformation sociale peut passer par d’autres voies que la conquête de l’État, quelles que soient d’ailleurs les modalités prises par celleci, violentes ou pacifiques.
37Il est donc temps de s’évader de l’héritage que l’histoire du mouvement socialiste a légué au réformisme pour tenter de mieux le retrouver dans son historicité même. Il est probable que nous en découvrirons alors d’autres facettes évanouies. Il n’est pas impossible non plus qu’en lieu et place d’une doctrine fade, où ne se rencontre raient que les plus frileux ou les plus opportunistes des socialistes, on mette au jour des doctrines et des pratiques qui méritent l’attention de ceux qui, aujourd’hui, tentent de réveiller la mémoire de la gauche européenne aux fins de lui retrouver moins une identité qu’un élan et une direction. Le réformisme a sans doute partie liée avec la question de la modernisation à l’écart de laquelle la gauche dominante s’est toujours tenue, lui préférant le langage des intérêts ou celui de l’indignation. Mais nous entrons ici dans un domaine qui nous oblige à renoncer à la position de l’historien. Ce qu’il est toujours imprudent de faire, si l’on en croit les plus vigilants membres de la profession.
Notes
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[1]
J’ai renoncé à l’usage des guillemets dans la suite de l’article afin de ne pas en alourdir la lecture. Mais il va de soi que je maintiens dans mon propos le caractère problématique de ces notions.
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[2]
Serge Mallet, Le gaullisme et la gauche, Paris, Éd. du Seuil, 1965, p. 53.
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[3]
Daniel Lindenberg, « Réformisme et révisionnisme en France de 1890 à 1914 » in FrançoisGeorges Dreyfus (dir.), Réformisme et révisionnisme dans les socialismes allemand, autrichien et français, Paris, Éd. de la Maison des sciences de l’homme, 1984, p. 149.
-
[4]
Alexandre Millerand, Le socialisme réformiste français, Paris, Georges Bellais, 1903.
-
[5]
Jacques Julliard, Fernand Pelloutier et les origines du syndicalisme d’action directe, Paris, Éd. du Seuil, 1971.
-
[6]
Réformisme et réformistes français : le Mouvement social, 87, avriljuin 1974.
-
[7]
Madeleine Rebérioux, Patrick Fridenson, « Albert Thomas, pivot du réformisme français », ibid., p. 8597.
-
[8]
Martin Fine, « Albert Thomas : A reformer’ vision of modernization, 19141932 », Journal of Contemporary History, XII, 3, juillet 1977, p. 551.
-
[9]
M. Rebérioux, P. Fridenson, « Albert Thomas, pivot du réformisme français », art. cit., p. 88.
-
[10]
Bertus Willem Schaper, Albert Thomas, ParisAssen, s.d. [1959].
-
[11]
Leslie Derfler, Alexandre Millerand : The socialist years, ParisLa Haye, Mouton, 1977.
-
[12]
Parmi les tout premiers de cette nouvelle vague, on pourra citer Steven Vincent, Between marxism and anarchism : Benoît Malon and French reformist socialism, Berkeley, University of California Press, 1992. Une intéressante mise au point est proposée par Philippe Chanial, La délicate essence du socialisme. L’association, l’individu et la République, Lormont, Le Bord de l’eau, 2009, ainsi que chez le même éditeur la collection « La Bibliothèque républicaine », dirigée par Vincent Peillon, et qui rassemble principalement les textes issus de la mouvance du réformisme social.
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[13]
Jacques Moreau, Les socialistes français et le mythe révolutionnaire, Paris, Hachette Littératures, 1998.
-
[14]
Jacques Moreau, L’espérance réformiste. Histoire des courants et des idées réformistes, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 123.
-
[15]
Christian Topalov (dir.), Laboratoires du nouveau siècle. La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France, 1880-1914, Paris, Éd. de l’EHESS, 1999. Voir Katherine Burlen (dir.), La banlieue Oasis. Henri Sellier et les cités-jardins, 1900-1940, Saint Denis, Presses universitaires de Vincennes, 1987 ; plus récemment, RogerHenri Guerrand, Christine Moissinac, Henri Sellier, urbaniste et réformateur social, Paris, La Découverte, 2005.
-
[16]
Voir tout particulièrement Alain Chatriot, « Réformer le social sous la IIIe République », Revue d’histoire moderne et contemporaine, LVI, 4bis, 2009, p. 4053.
-
[17]
François Furet, « Les éternelles fiançailles des socialistes et du pouvoir », le Nouvel observateur, 16 mars 1978.
-
[18]
Cité par Alain Bergounioux, Gérard Grunberg, Le long remords du pouvoir. Le Parti socialiste 1905-1992, Paris, Fayard, 1992, p. 522.
-
[19]
Voir Robert Stuart, Marxism at work : Ideology, class and French socialism during the Third Republic, Cambridge, Cambridge University Press, 1992.
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[20]
Voir Jacques Julliard, « La charte d’Amiens, cent ans après. Texte, contexte, interprétations », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, 24, 2006, p. 540.
-
[21]
Voir Christophe Prochasson, Les intellectuels et le socialisme, xixe-xxe siècles, Paris, Plon, 1999.
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[22]
Voir Kostas Kirtsis, Pensée sociologique et idéologies modernes dans l’entre-deux-guerres grec (en grec), Athènes, 1996. Je remercie Dimitri Bacharas de m’avoir indiqué cette référence et informé sur le cas du réformisme grec.
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[23]
Marcel Fournier, Marcel Mauss, Paris, Fayard, 1994.
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[24]
Alain Chatriot, « La réforme par le syndicalisme », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, 24, 2006, passim.
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[25]
Pour le moment, l’étude la plus fouillée qui concerne surtout son versant institutionnel et peu son contenu doctrinal reste l’article de Madeleine Rebérioux, « La Revue socialiste », Cahiers Georges Sorel, 5, 1987, p. 1538.
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[26]
Alain Bergounioux, « Réformisme et néosocialisme. La crise de la socialdémocratie française dans les années 1930 », in F.G. Dreyfus (dir.), Réformisme et révisionnisme dans les socialismes allemand, autrichien et français, op. cit., p. 171184.
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[27]
Charles Andler, La civilisation socialiste (1910), présentation de Christophe Prochasson, Lormont, Le Bord de l’eau, coll. « Bibliothèque républicaine », 2010, p. 69. Je me permets de renvoyer à Christophe Prochasson, La gauche est-elle morale ?, Paris, Flammarion, 2010.
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[28]
On se reportera utilement à l’article classique de Marcel Gauchet, « La droite et la gauche », in Pierre Nora (dir.), Les lieux de mémoire, II, Les France, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 1997.
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[29]
Voir Janet Horne, Le Musée social. Aux origines de l’État providence, Paris, Belin, 2004 (éd. américaine : 2002).
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[30]
Voir la mise au point d’Alain Chatriot, « Socialisme et travail », Cahiers Jean Jaurès, 191, janviermars 2009, p. 40 sq.
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[31]
Par exemple, Isabelle LespinetMoret, L’Office du travail, 1891-1914. La République et la réforme sociale, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007 ; Michel Cointepas, Arthur Fontaine 1860-1931. Un réformateur, pacifiste et mécène au sommet de la Troisième République, Rennes, Presses universiaires de Rennes, 2008.
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[32]
Gaston Richard, Le socialisme et la science sociale, Paris, Félix Alcan, 1897, cité par MarieClaude Blais, « Solidarité, une doctrine pour la République sociale. Introduction », in Léon Bourgeois, Solidarité. L’idée de solidarité et ses conséquences sociales, Lormont, Le Bord de l’eau, 2008, p. 38, n. 53.
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[33]
Cité par M.C. Blais, ibid., p. 7.
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[34]
Voir Alain Chatriot, La démocratie sociale à la française. L’expérience du Conseil national économique, 1924-1940, Paris, La Découverte, 2002.