Notes
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[1]
Theodor Herzl, L’État des Juifs (1896), nouvelle traduction de l’allemand et notes de Claude Klein, suivi de Essai sur le sionisme, de « L’État des juifs » à l’État d’Israël, par Claude Klein, Paris, La Découverte, 1990, p. 47.
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[2]
Voir par exemple, Yehuda Shenhav, Colonialité et condition postcoloniale, Tel Aviv-Jérusalem, The Vanleer Institute and Ha’Kibutz HaMeuchad, 2004 (en hébreu). La revue Teoria ou’Bikoret (« Théorie et critique »), éditée par l’Institut Vanleer à Jérusalem et dirigée par Yehuda Shenhav, est un haut lieu de publication de travaux faisant partie de ce courant, souvent de grande qualité universitaire, fort stimulants et originaux.
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[3]
Voir le bilan historiographique proposé par Shlomo Sand, « Post-sionisme : un bilan provisoire. À propos des historiens “agréés” et “non agréés” en Israël », Annales. Histoire, Sciences sociales, 1, 2004, p. 143-160.
-
[4]
Les références incontournables de cette historiographie sont : Simha Flapan, The Birth of Israel : Myths and Realities, New York, Pantheon, 1987 ; Avi Shlaim, Collusion Accross the Jordan : King Abdallah, the Zionist Movement and the Partition of Palestine, Oxford, Oxford University Press, 1988 ; Ilan Pappé, Le nettoyage ethnique de la Palestine, traduit de l’anglais par Paul Chemla, Paris, Fayard, 2008 ; Benny Morris, The Birth of the Palestinian Refugee Problem : 1947-1949, Cambridge, Cambridge University Press, 1988.
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[5]
Voir notamment : Tom Segev, Le septième million, trad. de l’anglais et de l’hébreu par Eglal Errera, Paris, Liana Levi, 1993 ; Idith Zertal, Des rescapés pour un État. La politique sioniste d’immigration clandestine en Palestine, 1945-1948, trad. de l’anglais par Jacqueline Carnaud et Jacqueline Lahana, Paris, Calmann-Lévy, 2000 ; Yehuda Shenhav, The Arab Jews : A Postcolonial Reading of Nationalism, Religion, and Ethnicity, Stanford, Stanford University Press, 2006 ; Ella Shohat, Le sionisme du point de vue de ses victimes juives. Les juifs orientaux en Israël, traduit de l’anglais par Isabelle Taudière, Paris, La Fabrique, 2006.
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[6]
Notamment Amnon Raz-Krakoztkin, Exil et souveraineté. Judaïsme, sionisme et pensée binationale, préface de Carlo Ginzburg, traduit de l’hébreu par Catherine Neuve-Église, Paris, La Fabique, 2007 ; Bo’az Evron, Jewish State or Israeli Nation, Bloomington, Indiana University Press, 1995. Ce dernier ouvrage a fortement inspiré celui de Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé. De la Bible au sionisme, traduit de l’hébreu par Sivan Cohen-Wiesenfeld et Levana Frenk, Paris, Fayard, 2008.
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[7]
Principalement : Baruch Kimmerling, Zionism and Territory : The Socio-Territorial Dimensions of Zionist Politics, Berkeley, University of California Press, 1983 ; Gershon Shafir, Land, Labor, and the Origins of the Israeli-Palestinian Conflict, 1882-1914, Cambridge, Cambridge University Press, 1989.
-
[8]
Laurence J. Silberstein, The Postzionism Debates : Knowledge and Power in Israeli Culture, New York-Londres, Routledge, 1999. p. 106.
-
[9]
Un exemple pour une contre-attaque de la part d’un historien de l’université de Haïfa, en réponse à l’accusation du « colonialisme » : Yoav Gelber, « Refaire l’histoire ? », Outre-Terre, 9, 2004, p. 51-60.
-
[10]
Afin d’apprécier ce refus, il n’est pas inutile de rappeler le contenu de la résolution 181 de l’ONU. L’État juif devait occuper 56,47 % du territoire de la Palestine du mandat (hors Jérusalem), avec 498 000 habitants juifs et 325 000 habitants arabes. L’État arabe devait s’étendre sur 43,53 % de la Palestine, avec 807 000 habitants arabes et 10 000 habitants juifs. Pour Jérusalem, avec ses 100 000 habitants juifs et 105 000 habitants arabes, le plan prévoyait un régime de tutelle internationale. Ainsi, la majorité du territoire serait devenu propriété de l’État juif alors que la population juive à l’époque ne constituait qu’un tiers des habitants de la Palestine.
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[11]
Voir Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme français. Histoire d’un divorce, Paris, Éd. du Seuil, 1989.
-
[12]
Alain Dieckhoff, « Le sionisme est-il le dernier projet colonial ? », in Coll., Israël. De Moïse aux accords d’Oslo, Paris, Éd. du Seuil, 1998, p. 309-316, ici p. 312-313.
-
[13]
G. Shafir, Land, Labor and the Origins…, op. cit.
-
[14]
Henry Laurens, La question de la Palestine, I, 1799-1922. L’invention de la Terre sainte, Paris, Fayard, 1999, p. 220.
-
[15]
Ran Aaronsohn, « Settelment in Eretz Israel – A Colonialist Entreprise : Critical Scholarship and Historical Geography », Israel Studies, I, 2, 1996, p. 214-229.
-
[16]
Selon le Dictionnaire historique de la langue française, Alain Rey (ed.), article « colonialisme ».
-
[17]
Shlomo Sand, « Les mots qui se pensent à travers les hommes », in Les mots et la terre. Les intellectuels en Israël, préface de Pierre Vidal-Naquet, Paris, Fayard, 2006, p. 163-216.
-
[18]
La tendance est cependant d’utiliser de plus en plus les termes hébraïques, en italique, dans les textes scientifiques en langue française, ce qui donne lieu à une multitude de transcriptions comme Eretz Israël, Aliya, Yishuv, telles qu’on ne les trouve pas dans des récits historiques d’autres nations et pays. Ce phénomène, jadis propre à l’historiographie sioniste en hébreu, est donc en train de s’exporter hors d’Israël.
-
[19]
Voir, par exemple, Jean-Michel Chaumont, La concurrence des victimes. Génocide, identité, reconnaissance, Paris, La Découverte, 1997.
-
[20]
Les exemples sont légion. Ils sont repérables dans des recueils de sources facilement accessibles, comme Mordechai Eliav (ed.), Sefer Ha’Aliya Harishona, II (documents, biographies, bibliographies), Tel Aviv, Mis’rad Habitahon, 1981 (en hébreu).
-
[21]
Michel Masson, Les mots nouveaux en hébreu moderne, Paris, Publications orientalistes de France, 1976 ; Id., Langue et idéologie. Les mots étrangers en hébreu moderne, Paris, Éd. du CNRS, 1986. Voir aussi Mireille Hasad-Lebel, L’hébreu. 3000 ans d’histoire, Paris, Albin Michel, 1992 ; Alain Dieckhoff, L’invention d’une nation. Israël et la modernité politique, Paris, Gallimard, « NRF essais », 1993, p. 143-144.
-
[22]
Aharon Dotan, « Ha’Akademia, ha’lashon ve’hahaim », in HaLashon ha’Ivrit be’hitpathuta ve’hithadshuta, Jérusalem, Académie nationale israélienne des sciences, 1996 (en hébreu), p. 191-211 ; Shlomo Haramati, Ivrit Safa méduberet, Tel Aviv, Misrad habitahon, 2000, p. 122-124 (en hébreu) ; Reuven R. Mirkin et al., « The Historical Dictionnary of the Hebrew Language », Literary and Linguistic Comuting, 4, 1989 p. 271-273.
-
[23]
Voir Antoine Prost, « Sociale et culturelle indissociablement », in Jean-Pierre Rioux, Jean-François Sirinelli (eds.), Pour une histoire culturelle, Paris, Éd. du Seuil, 1997, p. 138. Voir aussi Reinhart Koselleck, « Histoire des concepts et histoire sociale », in Le futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, Paris, Éd. de l’EHESS, 1990, p. 99-118 ; Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard, 1982.
1« Pour l’Europe, nous formerons là-bas un élément du mur contre l’Asie ainsi que l’avant-poste de la civilisation contre la barbarie [1]. » Cette phrase, tirée de L’État des Juifs de Theodor Herzl, est souvent citée pour illustrer le caractère colonialiste de l’entreprise sioniste. De nombreuses études menées dans le cadre des Postcolonial Studies, surtout aux États-Unis et en Israël, s’appuient, dans leur critique du projet sioniste, sur les textes des chefs de file du mouvement, parmi lesquels ceux d’Herzl se prêtent tout particulièrement à la démonstration : le sionisme serait ainsi un mouvement européen bien ancré dans la mentalité coloniale des années 1900 durant lesquelles il fut élaboré [2].
2Il n’est pas dans mes intentions de nier l’intérêt et la pertinence de cette démarche, mais seulement d’en montrer les limites. Concentrée sur l’analyse de discours et la critique des textes à caractère idéologique, cette école ne porte guère d’attention aux rapports de forces entre le mouvement sioniste et les autres acteurs du conflit, et en particulier les Arabes. De même, les dimensions matérielles de la réalisation du sionisme sont reléguées à l’arrière-plan. Ce faisant, les critiques les plus résolus du sionisme commettent la même erreur que leurs adversaires. En se contentant d’une histoire intellectuelle d’un certain type, ils tendent à isoler l’objet de leur réflexion et à le détacher de son existence matérielle, parfois au mépris même de la chronologie. Le débat historique devient alors un concours de citations coupées de leur contexte de production, comme dans d’autres débats historiographiques sur des sujets plus ou moins brûlants.
Je voudrais indiquer ici une piste susceptible d’ouvrir des perspectives pour une histoire intellectuelle du sionisme, construite sur une enquête lexicographique. Mais au préalable, je tâcherai de montrer que les mots, leurs emplois et leurs significations se trouvent au cœur de la polémique autour du caractère colonial de l’entreprise sioniste. C’est la raison principale pour laquelle une vraie histoire de l’implantation sioniste ne peut avoir de sens qu’en prêtant une attention toute particulière à cette dimension constitutive de la vie sociale incarnée dans la langue, tant parlée qu’écrite.
Le sionisme, un mouvement colonisateur ?
3La polémique, ayant surgi en Israël au début des années 1990 à la suite des travaux des nouveaux historiens et sociologues, est déjà suffisamment connue pour qu’il ne soit pas nécessaire de la commenter ici en détail [3]. On se contentera d’en rappeler les principaux enjeux. Il s’agissait d’une remise en cause des fondements du récit historique hégémonique israélien, autrement dit, d’une lecture critique contestant les présupposés idéologiques du paradigme officiel. Les thèmes traités par les nouveaux historiens peuvent être regroupés en quatre grandes catégories. Une première série de travaux portait l’accent sur la guerre de 1948. Alors que dans la thèse centrale de l’historiographie sioniste cet affrontement apparaît comme une guerre d’indépendance voire de libération, les nouveaux historiens se concentrent sur l’expulsion massive de la population autochtone. Plus de 500 villages rasés et l’exil forcé de quelque 700 000 individus constituent, selon Ilan Pappé, une véritable épuration ethnique. D’autres travaux sur l’histoire militaire et diplomatique d’Israël prolongent ces conclusions en chargeant la politique israélienne d’une responsabilité dans le déclenchement des guerres successives, contre la représentation courante d’un Israël pacifique agressé perpétuellement par ses ennemis [4].
4Une deuxième série de travaux traite davantage des victimes juives de l’entreprise sioniste, à savoir les juifs orientaux, c’est-à-dire originaires de pays arabes, venus en Israël en masse dans les années 1950 pour former la couche prolétarienne, et les juifs ashkénazes rescapés de la Shoah immigrés à la même époque, instrumentalisés et méprisés par l’élite en place [5]. Une troisième série d’études porte sur une analyse discursive de l’idéologie sioniste, selon des vues diverses, inspirées soit par des théories poststructuralistes, soit par d’autres courants des sciences sociales [6]. Enfin, un dernier volet de travaux participe plus de la sociologie dite « critique » que de l’histoire, il se penche précisément sur la dimension colonisatrice de l’entreprise sioniste [7].
5L’assimilation du sionisme à une entreprise colonialiste ou impérialiste n’est certainement pas une nouveauté. Elle faisait jadis partie de la ligne officielle de la propagande des pays arabes, des républiques socialistes et du tiers-mondisme plus généralement, notamment après 1967. Pendant cette période, un mouvement israélien ultra-minoritaire d’extrême gauche, Matzpen, formula en ces mêmes termes les rapports de forces entre Israël et les Arabes. Mais avec les nouveaux chercheurs en sciences sociales, le débat prit une autre ampleur car c’était désormais des universitaires israéliens qui l’affirmaient, et le plus souvent, ils niaient toute hostilité de principe à l’égard de l’État d’Israël, récusant l’étiquette anti-sioniste que l’on voulait bien leur coller [8].
6L’accusation de colonialisme se heurte à une forte résistance de la part de l’establishment israélien, qui répond en insistant sur ce qui distingue le mouvement sioniste de tous les autres exemples historiques de colonialisme [9]. Ainsi, nous rappelle-t-on, les émigrants juifs ne sont pas originaires d’une seule métropole et ne sont pas citoyens ou sujets d’un empire en particulier ; ils sont originaires de lieux différents et s’installent en Terre sainte avec des objectifs qui n’ont rien à voir avec ceux d’une expansion impériale. Une des conséquences importantes de cette particularité est l’absence d’une force armée capable de réaliser la colonisation de la terre par la force. Le deuxième argument tenace est de souligner l’absence d’intérêt économique dans la colonisation des terres arides et peu fertiles de la Palestine du tournant du xxe siècle, soit le caractère non rentable de cette colonisation ; celle-ci, de surcroît, suit à partir des années 1910 une orientation économique autarcique qui exclut l’exploitation de la main-d’œuvre locale. Enfin, une troisième série d’arguments se réfère à l’image des acteurs eux-mêmes et se fonde sur leurs intentions. À l’évidence, les immigrants juifs qui arrivent en Palestine ne sont pas poussés par les motifs habituels des colons, car ils ne choisissent pas leur destination en fonction de bénéfices matériels. Leur projet se situe ailleurs : il vise à révolutionner les conditions de vie des Juifs, de les doter d’un État souverain afin de mettre fin à leur oppression et leur persécution en diaspora. Le choix de la Palestine n’est nullement fortuit, il traduit l’attachement millénaire des Juifs à cette terre. Pour les Juifs qui s’y installent, il ne s’agit pas d’une simple migration, mais d’un retour sur la terre des ancêtres.
7Ces trois réponses donnent une définition en creux de ce que serait un colonialisme « ordinaire ». Il devrait être conduit par un État fort à visées impérialistes et doté d’une puissance militaire ; fondé sur l’exploitation économique immédiatement rentable des ressources naturelles et humaines ; et, enfin, l’œuvre d’un groupe conscient de son identité de colonisateur et se définissant comme tel. Or il me semble possible de trouver pour chacune des caractéristiques invoquées par la vulgate sioniste une situation analogue dans le vaste répertoire de l’histoire coloniale, de sorte que le sionisme peut être compris dans le cadre colonial.
8Un examen critique des trois arguments avancés pour distinguer le sionisme des différentes formes de colonialisme conduit à relativiser leur portée. Cela est particulièrement vrai lorsqu’on prête attention à la période considérée. L’histoire du sionisme étant déjà longue de plus d’un siècle, il convient d’y distinguer quatre phases – voire une cinquième actuellement. La première s’étend de 1882 à la Première Guerre mondiale. Elle débute avec la première vague d’émigration sioniste en Palestine, suivie par une deuxième en 1904 et s’achève avec le déclenchement de la Grande Guerre. La Palestine est alors sous domination ottomane. La deuxième période est marquée par la déclaration Balfour, promulguée par les Britanniques en 1917. Celle-ci inaugure une nouvelle ère dans la région. Après la victoire des Alliés en 1918, la décision de la Société des Nations d’octroyer le mandat en Palestine aux Britanniques permet à ceux-ci de mettre en pratique leur engagement vis-à-vis du mouvement sioniste : « favoriser » la formation d’un « foyer national juif » en Palestine. Cette période durera trente ans et s’achèvera en 1947 par le vote de l’ONU pour le partage de la Palestine en deux États, juif et arabe. Le refus arabe va déclencher une guerre aux conséquences durables [10]. Après une phase d’affrontement entre groupes armés locaux, mêlant la population civile, vient le retrait des Britanniques, la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël et la première guerre impliquant Israël et les pays arabes limitrophes. À la fin de cette guerre, les frontières du nouvel État sont fixées et reconnues par la communauté internationale, à l’exception du monde arabe. La troisième période est donc celle qui commence en 1948 avec l’établissement de l’État d’Israël sur la terre conquise et majoritairement confisquée, et de laquelle a été chassée la grande majorité de ses habitants palestiniens. Une quatrième phase commence en juin 1967 après la victoire d’Israël sur l’Égypte, la Jordanie et la Syrie qui entraîne l’annexion d’une partie des territoires conquis (Jérusalem-Est, le Golan) et l’installation d’un régime d’occupation militaire sur le reste de ces territoires. Enfin, en 1982, un mouvement de décolonisation est entamé avec le retrait israélien du Sinaï suite à l’accord de paix avec l’Égypte. Au moment des accords d’Oslo, en 1993, on pouvait penser que ce processus allait continuer avec le retrait israélien d’une partie des territoires de la Cisjordanie et de Gaza ; mais, nous le savons, il n’en fut rien.
9Ainsi, l’aspect colonial de l’entreprise sioniste mue au gré des périodes par ses références idéologiques, par les moyens engagés et par l’étendue du territoire administré. En réalité, la grande majorité des terres aujourd’hui sous contrôle israélien (dans le cadre de la souveraineté reconnue ou en zone occupée) ont été conquises par les armes (1948, 1967). Cette situation est donc l’œuvre d’une armée bien entraînée, soutenue et équipée par des puissances étrangères – l’Union soviétique en 1948, la France dans les années 1950-1960, puis les États-Unis. Voilà qui nuance sérieusement l’argument selon lequel la colonisation sioniste est un processus pacifique. Ce processus caractérise la période d’avant 1948, mais il est responsable de la prise de possession d’une portion dérisoire du territoire aujourd’hui israélien. Quant à l’implantation agricole de la période d’avant 1948, elle se fait certes indépendamment d’une politique impériale, mais dans un environnement conditionné par la situation fragile de l’empire ottoman pendant les dernières décennies de son existence, puis sous la tutelle de l’empire britannique détenteur du mandat sur la Palestine dès le lendemain de la Grande Guerre. Si les objectifs de la colonisation sioniste sont forts éloignés, voire contradictoires, de ceux de l’impérialisme britannique, les deux se servirent l’un de l’autre tant que leurs intérêts mutuels se trouvèrent satisfaits. Les progrès spectaculaires de l’économie et de l’organisation politique de l’implantation juive en Palestine auraient été irréalisables sans le soutien britannique, très important au moins jusqu’en 1936.
10Sur le plan économique, la réalité est bien plus complexe, à la fois en ce qui concerne la justification des empires coloniaux en termes de recettes financières [11] et en ce qui touche l’économie de la communauté juive de Palestine, puis d’Israël. Sur une échelle d’un siècle et un quart, on peut identifier deux orientations concurrentes. La première résume l’image convenue d’une colonie d’exploitation, où les autochtones sont employés à bas prix dans les fermes agricoles, la seconde fondée sur l’exclusion du salariat arabe, pour des motifs idéologiques tantôt de nuance socialiste (« contre l’exploitation des Arabes ») tantôt de couleur nationaliste (« pour le travail hébraïque »). Ces deux tendances continuent de caractériser la société israélienne longtemps après, et restent concurrentes.
Mais la mise sur pied d’une économie autarcique, l’exclusion conséquente de l’ouvrier agricole arabe du marché du travail signifient-elles réellement l’abandon du système colonial ? Pour Alain Dieckhoff, la réponse est affirmative. Selon lui, la première vague d’immigration sioniste (Première Aliya, 1881-1903) a fondé une structure de type colonial, « où les nouveaux immigrants administrent des exploitations agricoles qui emploient des “indigènes” », et, malgré quelques querelles de voisinages, « les rapports quotidiens entre Juifs et Arabes étaient plutôt bons jusqu’au début de ce siècle. » C’est l’arrivée de la deuxième vague (Deuxième Aliya, 1904-1914) qui détériore les bonnes relations, car elle les transforme en affrontement national : « Nouveau paradoxe du sionisme : à partir du moment où il s’affirme comme projet national, il rompt avec l’organisation coloniale qui s’était progressivement mise en place et suscite par là même une hostilité de plus en plus affirmée des Arabes, désormais exclus d’une économie juive autarcique [12]. » Raisonnant ainsi, Dieckhoff considère les deux épithètes « colonial » et « national » comme incompatibles. Pour lui, le conflit ne peut être que l’un ou l’autre. Au contraire, des sociologues comme Baruch Kimmerling et Gershon Shafir, dont les travaux pionniers furent publiés à la fin des années 1980, comprennent l’entreprise sioniste, y compris dans sa version socialiste, dans le cadre d’un système colonial. Évitant le piège d’une analyse purement discursive et idéologique, ils proposent une étude des modalités économiques et logistiques propres à l’action des membres de la mouvance d’implantation agricole des années 1904-1914. Ainsi, ils montrent comment la constitution d’une économie parallèle à partir de 1909-1910 ne traduisait pas uniquement une idéologie, mais répondait à la nécessité de combattre la concurrence avec les bas salaires de l’ouvrier arabe. D’autres formes de colonialisme avaient utilisé ce type d’organisation. Il avait été pratiqué, par exemple, par l’Allemagne, dans les régions de la Prusse orientale à la fin du xixe siècle. Le modèle d’implantation nationale pure, qui encourageait les ouvriers allemands à s’installer là où menaçait la concurrence des paysans polonais, a été copié en Palestine ; de là a germé l’idée de la corporation colonisatrice, connue plus tard sous le nom de « kibboutz [13] ». Certains suggèrent des comparaisons avec d’autres situations. Ainsi Henry Laurens rappelle que l’opposition d’intérêt entre un prolétariat d’origine européenne et une main-d’œuvre « non blanche » à coût moindre est loin d’être le fait de la seule Palestine. C’est le cas, dans ces mêmes années de l’avant-Première Guerre mondiale, en Australie, en Californie, en Afrique de Sud, et même en Égypte où des ouvriers d’origine européenne se mobilisent pour interdire l’embauche d’ouvriers autochtones ou émigrés d’Asie [14].
Pour d’autres auteurs sionistes, même la première vague d’immigrants ne peut être qualifiée de « colonialiste », car elle ne fut nullement motivée par le profit économique. Cet argument aboutit, chez le géographe Ran Aaronsohn, à l’idée d’une « colonisation sans colonialisme » comparable aux entreprises de la Jewish Colonization Association (fondée en 1891 à Londres) en Argentine et distincte d’une « colonisation dans le colonialisme » dont l’exemple pourrait être celui des Français en Algérie. Aaronsohn s’appuie sur le fait que les colonies de cette première période d’installation furent un échec sur le plan économique et que l’œuvre du baron Edmond de Rothschild, grand patron de cette implantation, était pratiquement à fonds perdus [15].
Au-delà d’une vision réductrice de ce qu’est le phénomène colonial, pris, à tort, comme purement économique, l’attitude d’Aaronsohn illustre l’effort commun de beaucoup d’intellectuels israéliens de réfuter un caractère immoral de l’entreprise sioniste. Dans un sens, il a raison de récuser le terme « colonialiste », qui désigne non pas le système colonial mais une idéologie qui le prône – un terme paru en langues française et anglaise autour de 1905 avec un sens péjoratif [16]. A-t-il pour autant raison de dissocier la colonisation sioniste de tout lien avec le phénomène colonial du tournant du xxe siècle ? La plupart des chercheurs qui tiennent cette position reproduisent les arguments des acteurs eux-mêmes, qui ne se considérèrent pas comme colonisateurs. Ce faisant, ils prennent pour argent comptant la bonne foi des protagonistes. En se fondant sur une lecture non critique des textes idéologiques, l’historiographie israélienne s’interdit une analyse objective du conflit. De plus, elle ignore le point de vue des autochtones. La perspective qui refuse de prendre en considération les effets négatifs de la colonisation sioniste sur la population arabe a pour inconvénient d’empêcher la compréhension des racines du conflit israélo-palestinien. Sans l’intégration de la dimension territoriale, donc coloniale, dans l’analyse du conflit, la résistance arabe passe pour une réaction irrationnelle à des aspirations justes et nobles, alors qu’elle relève d’un différend autour de ressources vitales.
Ainsi, le cœur du raisonnement de ceux qui récusent l’étiquette « colonialiste » prétend avoir une portée plus générale. Il consiste à considérer le sionisme comme un mouvement de libération nationale, et d’envisager le conflit avec la population autochtone uniquement sous l’angle ethnique et religieux. Sans nul doute, toutes les composantes d’un conflit de civilisation sont là, et l’affrontement entre colons et autochtones en Terre sainte revêt assez vite une dimension symbolique forte. Il n’en reste pas moins que sans réfléchir à l’enjeu territorial, il est impossible de comprendre les racines du conflit et les raisons de la résistance arabe au sionisme. Que le conflit mette aux prises deux identités nationales, se définissant par ailleurs l’une contre l’autre, n’exclut pas le caractère colonial de ce conflit ; les deux caractéristiques s’ajoutent et se superposent.
Retour aux mots
11L’hébreu moderne, par son lexique, favorise grandement l’occultation de la dimension coloniale de l’histoire israélienne contemporaine. Non pas que l’immigration, la terre, l’implantation, soient absents du discours savant sur l’histoire d’Israël. Chaque écolier sait que ces mots constituent le cœur de son histoire nationale. Mais les mots qui servent pour désigner ces concepts ne sont pas innocents. Dans un article fondamental sur la question, Shlomo Sand développe l’argument suivant : « Le mouvement sioniste a su raconter l’histoire de son entreprise de colonisation à l’aide d’une réécriture systématique des noms de lieux, de personnes, de concepts universels fondamentaux. » En cela, convient-il, le sionisme n’est pas un cas exceptionnel. Mais s’agissant à la fois d’un mouvement national et d’une entreprise de colonisation, ce phénomène a donné naissance à un lexique particulièrement problématique. Pour illustrer son propos, le professeur israélien montre comment les mots « diaspora », « immigration », « Palestine » et « émeutes antijuives » furent traduits en hébreu moderne par des termes chargés idéologiquement, respectivement gola (exil), ali’ya (montée), Eretz Israël (littéralement, « le pays des Juifs ») et pogrom [17]. C’est la raison pour laquelle lire l’histoire sioniste en hébreu implique déjà une charge idéologique dont le lecteur francophone sera d’emblée dégagé [18]. L’histoire israélienne publiée en langue hébraïque est ainsi imprégnée d’une vision mythique et non critique de son objet. Avant même les débats vifs sur l’unicité de la Shoah et la singularité de la tragédie juive [19], le vocabulaire sioniste s’était déjà forgé autour de l’idée de la particularité du destin juif. Les catégories universelles furent remplacées par des mots intraduisibles, faisant de l’histoire juive – par ailleurs enseignée dans l’université israélienne dans un département distinct de l’histoire « générale » – une histoire indépendante et sans commune mesure avec celle d’autres peuples. En ce qui concerne plus précisément notre propos sur la dimension coloniale du sionisme, on peut soutenir l’idée suivante : la lexicographie de l’hébreu moderne contribue à évacuer cette dimension de la conscience collective des acteurs sionistes.
12Prenons les mots « colonie », « colonisation » et leurs dérivés. Lorsque la presse française désigne par « colonie » une ville construite dans la Cisjordanie comme Ma’aleh Adumim ou un faubourg de Jérusalem-Est comme Gilo, le lecteur israélien ordinaire est choqué. Les mots qui désignent en hébreu ce type d’implantation sont dérivés de racines bibliques (hityashvut ou hitnahalut, des racines ou ) qui évoquent une dimension mystique occultante empêchant tout rapprochement avec l’univers du colonialisme. De même, les habitants juifs des territoires occupés sont en français des « colons », comme jadis les habitants européens de l’Algérie française, mais en hébreu ce sont des mityashvim, terme plus proche de settelers anglais, lui-même associé à la colonisation anglaise, mais moins négativement connoté.
13Alors que les habitants juifs de la Cisjordanie se présentent volontiers comme les héritiers des émigrants pionniers du temps héroïque du début du sionisme, la majorité des historiens, traditionnellement liés à la gauche sioniste, récusent cette continuité et ne considèrent pas les premiers immigrants en Palestine comme des « colons ». Ce qui frappe pourtant l’historien qui se penche sur les textes de la période de la première vague d’immigration sioniste, c’est la fréquence des termes que je transcris ici en koloniste pour désigner les habitants des premières implantations juives agricoles et kolonia pour désigner ces mêmes implantations [20]. Ce n’est qu’au cours des années 1910 que ces mots disparaissent progressivement de l’usage courant, remplacés par des néologismes formés à partir de racines bibliques. Kolonia devient ainsi moshava en même temps que l’hébreu s’impose comme la langue quotidienne, avant de devenir la langue nationale.
14Ces exemples permettent de formuler une hypothèse et d’indiquer une piste de recherche. La renaissance de la langue hébraïque au tournant du xxe siècle est un fait connu, souvent présenté comme un miracle, attribué (abusivement) à l’œuvre d’un seul homme, Eliezer Ben Yehuda. Mais à l’évidence cette transformation de l’hébreu d’une langue liturgique et théologique, très peu pratiquée oralement, en une langue moderne vivante, servant de surcroît de ciment pour la nouvelle nation israélienne, fut le résultat d’un projet politique certes hasardeux, mais fort cohérent et conscient. Le linguiste Michel Masson a montré comment la création des morphèmes en hébreu moderne doit être comprise comme une entreprise politique à soubassement religieux. Elle s’organise selon le schéma suivant : on cherche d’abord à réactiver les éléments existants en hébreu classique. À défaut, on aura recours à la dérivation (formation de néologismes sur des modèles classiques) ou à l’emprunt (calque de formes étrangères qui se retrouvent dans plusieurs langues européennes). Une irrésistible inclination au purisme présida au façonnement de sens avec le passé biblique afin d’établir une continuité de sens avec ce passé et de bien marquer la persistance de l’identité collective juive. Quant à d’autres couches historiques de la langue – mishnique, médiévales, prémodernes –, elles furent délibérément délaissées, car trop associées à un judaïsme diasporique [21].
15Cette politisation par la langue est ainsi plus profonde et va plus loin que ce que l’on pouvait envisager dans un premier temps. Il serait ainsi particulièrement fructueux d’étudier l’apparition de nouveaux mots, la formation des néologismes, la façon et le rythme avec lequel ils parviennent à s’imposer. Une source édifiante pour ce type de recherche nous est donnée par le dictionnaire de la langue hébraïque d’Eliezer Ben Yehuda. Ce « bâtisseur de la langue » investit une grande part de sa vie dans la rédaction de cette œuvre monumentale. Certes, le dictionnaire ne fut achevé que longtemps après sa mort, mais ses directeurs prirent soin de ne pas y inclure des mots qui avaient été ajoutés au lexique après sa mort (1922). Ainsi, le dictionnaire donne une photographie assez fidèle de l’état de l’hébreu en Palestine à la fin de la période ottomane. Le glissement progressif de l’usage de kolonia à moshava est, en effet, perceptible dans le dictionnaire. L’entrée moshava y existe déjà ; le dictionnaire en donne deux définitions. La première est « le lieu de résidence, l’endroit où un homme a fixé son habitat et sa vie ». L’origine du mot est biblique, et comme il est d’usage dans ce dictionnaire, la référence est citée. Le deuxième sens donné est nouveau : « Aux temps modernes, on l’a attribué surtout au lieu de résidence où des gens se sont installés pour labourer la terre, etc. » Le mot français « colonie » est donné ensuite. Et le dictionnaire souligne que ce sens moderne est « très répandu dans la nouvelle littérature et le langage parlé hébraïques ».
16On voit ainsi comment les locuteurs de l’hébreu passent, en l’espace d’une génération, d’un mot qu’ils calquèrent très probablement du russe et qui confère un sens universel à leur forme d’habitation à un mot qui porte une connotation particulariste et incite à envisager la colonisation en termes de vocation religieuse. La racine est d’usage très fréquent dans la Bible, signifiant s’asseoir, mais aussi s’installer et s’approprier une terre. Lorsqu’on désigne un type d’habitat par un mot biblique, on ne se considère pas comme « colon », mais comme l’exécutant d’un testament moral.
17Par quel mot se désignaient les acteurs eux-mêmes ? Dans les premiers textes qu’ils rédigèrent en hébreu, articles de presse ou correspondance privée, on trouve souvent le mot koloniste, le dérivé logique de kolonia. Deux décennies plus tard, c’est le mot olé, dérivé de Aliya, littéralement « montée », qui désigne une personne de confession juive venant s’installer en Terre sainte, et c’est encore le mot employé de nos jours pour désigner une émigration juive en Israël. Ainsi cette personne n’est ni colon ni même immigrant, mais quelqu’un qui accomplit une action mystique d’élévation morale. Tandis que la Bible hébraïque fait usage fréquent de ce terme pour désigner un déplacement vers Jérusalem (pas forcément dans le but de s’y installer) qui est en altitude par rapport à l’Égypte, Babylone ou le désert de Juda avoisinant, l’hébreu moderne, par un processus de sécularisation de la langue, l’utilise pour doter chaque participant du projet sioniste d’un rôle particulier et d’un caractère exceptionnel. Le problème est que ce terme ne peut que s’appliquer à des individus à même de prouver leurs origines juives, et en cela il crée une barrière entre habitants du pays de confessions différentes, que l’on retrouve dans l’état civil en Israël.
Il est intéressant à ce propos que l’entrée Aliya et la racine Ala ne figurent dans le dictionnaire de Ben Yehuda que dans leur acception première et littérale, à savoir dans le sens de monter, contrairement aux dictionnaires plus récents qui indiquent le sens moderne du mot. On peut supposer que l’installation définitive de ce nouveau concept fut ultérieure à 1922, même si les membres de la deuxième vague d’immigration, justement appelés Deuxième Aliya, employèrent déjà le mot pour parler d’eux. Ce sont justement les immigrants-colons de cette vague qui sont responsables de cette transformation majeure.
En 1890, Ben Yehuda fonde le Comité de la langue hébraïque avec trois autres personnalités qui partageaient le même dévouement pour le projet de la renaissance de l’hébreu. Le comité se fixe comme objectif de « préparer la langue hébraïque à un usage en tant que langue parlée dans tous les domaines de la vie, au foyer, à l’école, dans la vie publique, dans le commerce, l’industrie, l’art, le savoir et les sciences [22] ». Mais son travail est interrompu pendant plus de dix ans. Ce n’est qu’en 1904-1905, au moment où commence la deuxième vague d’émigration sioniste, et sous l’impulsion de l’Association des maîtres d’école, que son activité reprend. Ainsi, il se trouve que le tournant dans l’histoire de la colonisation juive de la Palestine, s’opérant autour de 1910, ne fut pas uniquement celui de l’invention de nouvelles formes de colonisation, ni seulement dans la mise en place des fondements du futur État, mais aussi celui de la transformation spectaculaire de la langue hébraïque.
Malgré l’intérêt, souvent mêlé d’admiration, que la renaissance de l’hébreu suscite parmi les historiens et les linguistes, il semblerait que l’analyse lexicale soit une piste encore largement inexploitée et particulièrement prometteuse pour une autre histoire intellectuelle du sionisme. Cette histoire par la langue s’intéressera moins à ce que disent les textes qu’à la façon dont ils le disent, aux termes qu’ils utilisent, aux champs sémantiques qu’ils désignent. Les façons de parler ne sont pas innocentes, et la langue que l’on parle structure les représentations du groupe auquel on appartient en même temps que, par un processus circulaire, elle en résulte [23]. Le cas du mouvement national juif et de ses réalisations en Palestine est, à cet égard, un cas d’école. En transformant l’hébreu en langue moderne parlée, les chefs de file du mouvement sioniste disposèrent du plus puissant des outils idéologiques : les mots.
Notes
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[1]
Theodor Herzl, L’État des Juifs (1896), nouvelle traduction de l’allemand et notes de Claude Klein, suivi de Essai sur le sionisme, de « L’État des juifs » à l’État d’Israël, par Claude Klein, Paris, La Découverte, 1990, p. 47.
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[2]
Voir par exemple, Yehuda Shenhav, Colonialité et condition postcoloniale, Tel Aviv-Jérusalem, The Vanleer Institute and Ha’Kibutz HaMeuchad, 2004 (en hébreu). La revue Teoria ou’Bikoret (« Théorie et critique »), éditée par l’Institut Vanleer à Jérusalem et dirigée par Yehuda Shenhav, est un haut lieu de publication de travaux faisant partie de ce courant, souvent de grande qualité universitaire, fort stimulants et originaux.
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[3]
Voir le bilan historiographique proposé par Shlomo Sand, « Post-sionisme : un bilan provisoire. À propos des historiens “agréés” et “non agréés” en Israël », Annales. Histoire, Sciences sociales, 1, 2004, p. 143-160.
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[4]
Les références incontournables de cette historiographie sont : Simha Flapan, The Birth of Israel : Myths and Realities, New York, Pantheon, 1987 ; Avi Shlaim, Collusion Accross the Jordan : King Abdallah, the Zionist Movement and the Partition of Palestine, Oxford, Oxford University Press, 1988 ; Ilan Pappé, Le nettoyage ethnique de la Palestine, traduit de l’anglais par Paul Chemla, Paris, Fayard, 2008 ; Benny Morris, The Birth of the Palestinian Refugee Problem : 1947-1949, Cambridge, Cambridge University Press, 1988.
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[5]
Voir notamment : Tom Segev, Le septième million, trad. de l’anglais et de l’hébreu par Eglal Errera, Paris, Liana Levi, 1993 ; Idith Zertal, Des rescapés pour un État. La politique sioniste d’immigration clandestine en Palestine, 1945-1948, trad. de l’anglais par Jacqueline Carnaud et Jacqueline Lahana, Paris, Calmann-Lévy, 2000 ; Yehuda Shenhav, The Arab Jews : A Postcolonial Reading of Nationalism, Religion, and Ethnicity, Stanford, Stanford University Press, 2006 ; Ella Shohat, Le sionisme du point de vue de ses victimes juives. Les juifs orientaux en Israël, traduit de l’anglais par Isabelle Taudière, Paris, La Fabrique, 2006.
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[6]
Notamment Amnon Raz-Krakoztkin, Exil et souveraineté. Judaïsme, sionisme et pensée binationale, préface de Carlo Ginzburg, traduit de l’hébreu par Catherine Neuve-Église, Paris, La Fabique, 2007 ; Bo’az Evron, Jewish State or Israeli Nation, Bloomington, Indiana University Press, 1995. Ce dernier ouvrage a fortement inspiré celui de Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé. De la Bible au sionisme, traduit de l’hébreu par Sivan Cohen-Wiesenfeld et Levana Frenk, Paris, Fayard, 2008.
-
[7]
Principalement : Baruch Kimmerling, Zionism and Territory : The Socio-Territorial Dimensions of Zionist Politics, Berkeley, University of California Press, 1983 ; Gershon Shafir, Land, Labor, and the Origins of the Israeli-Palestinian Conflict, 1882-1914, Cambridge, Cambridge University Press, 1989.
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[8]
Laurence J. Silberstein, The Postzionism Debates : Knowledge and Power in Israeli Culture, New York-Londres, Routledge, 1999. p. 106.
-
[9]
Un exemple pour une contre-attaque de la part d’un historien de l’université de Haïfa, en réponse à l’accusation du « colonialisme » : Yoav Gelber, « Refaire l’histoire ? », Outre-Terre, 9, 2004, p. 51-60.
-
[10]
Afin d’apprécier ce refus, il n’est pas inutile de rappeler le contenu de la résolution 181 de l’ONU. L’État juif devait occuper 56,47 % du territoire de la Palestine du mandat (hors Jérusalem), avec 498 000 habitants juifs et 325 000 habitants arabes. L’État arabe devait s’étendre sur 43,53 % de la Palestine, avec 807 000 habitants arabes et 10 000 habitants juifs. Pour Jérusalem, avec ses 100 000 habitants juifs et 105 000 habitants arabes, le plan prévoyait un régime de tutelle internationale. Ainsi, la majorité du territoire serait devenu propriété de l’État juif alors que la population juive à l’époque ne constituait qu’un tiers des habitants de la Palestine.
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[11]
Voir Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme français. Histoire d’un divorce, Paris, Éd. du Seuil, 1989.
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[12]
Alain Dieckhoff, « Le sionisme est-il le dernier projet colonial ? », in Coll., Israël. De Moïse aux accords d’Oslo, Paris, Éd. du Seuil, 1998, p. 309-316, ici p. 312-313.
-
[13]
G. Shafir, Land, Labor and the Origins…, op. cit.
-
[14]
Henry Laurens, La question de la Palestine, I, 1799-1922. L’invention de la Terre sainte, Paris, Fayard, 1999, p. 220.
-
[15]
Ran Aaronsohn, « Settelment in Eretz Israel – A Colonialist Entreprise : Critical Scholarship and Historical Geography », Israel Studies, I, 2, 1996, p. 214-229.
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[16]
Selon le Dictionnaire historique de la langue française, Alain Rey (ed.), article « colonialisme ».
-
[17]
Shlomo Sand, « Les mots qui se pensent à travers les hommes », in Les mots et la terre. Les intellectuels en Israël, préface de Pierre Vidal-Naquet, Paris, Fayard, 2006, p. 163-216.
-
[18]
La tendance est cependant d’utiliser de plus en plus les termes hébraïques, en italique, dans les textes scientifiques en langue française, ce qui donne lieu à une multitude de transcriptions comme Eretz Israël, Aliya, Yishuv, telles qu’on ne les trouve pas dans des récits historiques d’autres nations et pays. Ce phénomène, jadis propre à l’historiographie sioniste en hébreu, est donc en train de s’exporter hors d’Israël.
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[19]
Voir, par exemple, Jean-Michel Chaumont, La concurrence des victimes. Génocide, identité, reconnaissance, Paris, La Découverte, 1997.
-
[20]
Les exemples sont légion. Ils sont repérables dans des recueils de sources facilement accessibles, comme Mordechai Eliav (ed.), Sefer Ha’Aliya Harishona, II (documents, biographies, bibliographies), Tel Aviv, Mis’rad Habitahon, 1981 (en hébreu).
-
[21]
Michel Masson, Les mots nouveaux en hébreu moderne, Paris, Publications orientalistes de France, 1976 ; Id., Langue et idéologie. Les mots étrangers en hébreu moderne, Paris, Éd. du CNRS, 1986. Voir aussi Mireille Hasad-Lebel, L’hébreu. 3000 ans d’histoire, Paris, Albin Michel, 1992 ; Alain Dieckhoff, L’invention d’une nation. Israël et la modernité politique, Paris, Gallimard, « NRF essais », 1993, p. 143-144.
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[22]
Aharon Dotan, « Ha’Akademia, ha’lashon ve’hahaim », in HaLashon ha’Ivrit be’hitpathuta ve’hithadshuta, Jérusalem, Académie nationale israélienne des sciences, 1996 (en hébreu), p. 191-211 ; Shlomo Haramati, Ivrit Safa méduberet, Tel Aviv, Misrad habitahon, 2000, p. 122-124 (en hébreu) ; Reuven R. Mirkin et al., « The Historical Dictionnary of the Hebrew Language », Literary and Linguistic Comuting, 4, 1989 p. 271-273.
-
[23]
Voir Antoine Prost, « Sociale et culturelle indissociablement », in Jean-Pierre Rioux, Jean-François Sirinelli (eds.), Pour une histoire culturelle, Paris, Éd. du Seuil, 1997, p. 138. Voir aussi Reinhart Koselleck, « Histoire des concepts et histoire sociale », in Le futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, Paris, Éd. de l’EHESS, 1990, p. 99-118 ; Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard, 1982.