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Article de revue

Alain critique philosophe

Pages 91 à 104

Notes

  • [1]
    Propos d’un Normand 1906-1914, édités par l’Institut Alain (un volume par année, premier volume 1990, dernier volume 2000), suivis de Premier journalisme d’Alain (2001), d’un catalogue par Pierre Zachary et d’un volume d’errata.
  • [2]
    Deux volumes de Propos (Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1956 et 1970), ainsi que Les arts et les dieux (Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1958) et Les passions et la sagesse (Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1960).
  • [3]
    Système des beaux-arts rédigé pour les artistes en vue d’abréger leurs réflexions préliminaires par l’auteur des Propos d’Alain (Paris, Gallimard, 1920). Le livre est réédité sans le sous-titre ironique en 1926.
  • [4]
    Le Journal est inédit, mais accessible à la Bnf, section des manuscrits, et à l’Institut Alain – à qui je dois une version électronique du texte.
  • [5]
    Journal, à l’entrée du 17 octobre 1949.
  • [6]
    « Nos idées sont le tissu même du monde perçu » (Les idées et les âges, in Les passions et la sagesse, op. cit., p. 64).
  • [7]
    On trouvera ci-après trois sortes de citation : les Propos d’avant 1914 sont cités à leur date dans l’édition de référence, celle de l’Institut Alain. Les Propos d’après guerre sont cités dans le recueil Propos sur les beaux-arts, et les œuvres sont citées dans « La Pléiade ».
  • [8]
    Georges Pascal, « Le kantisme d’Alain », in Robert Bourgne, Alain. Lecteur des philosophes de Platon à Marx, Paris, Bordas-Institut Alain, 1987, p. 96.
  • [9]
    « Alain tire de Kant une autre raison d’être radical plutôt que socialiste » (ibid., p. 107).
  • [10]
    Par exemple (entre des dizaines de références) : « Des citoyens préparés à la réflexion et à la critique sont le trésor d’une démocratie » (Propos d’un Normand, 17 mars 1906).
  • [11]
    « Allons-nous donc, par bonté d’âme, épargner à l’erreur et à l’ignorance les attaques de la libre critique ? » (14 juin 1900, in Alain, Premier journalisme d’Alain, op. cit.) ; « Tous auront quelque idée de ce que c’est que libre recherche, et libre critique » (Propos d’un Normand, 21 juillet 1906, voir aussi 13 novembre 1906 : « Les bienfaits de la libre critique ») ; « Les Privilégiés ont une espèce de défense instinctive contre la libre critique » (Propos d’un Normand, 3 septembre 1912), etc.
  • [12]
    Histoire de mes pensées, in Les arts et les dieux, op. cit., p. 42-43.
  • [13]
    En effet, les textes signés Alain ont été regroupés dans le volume Premier journalisme d’Alain qui clôt la grande édition des Propos d’un Normand (2001). Mais les textes anonymes qu’Alain reconnaît avoir écrit pour la Dépêche de Lorient n’ont pas encore été identifiés.
  • [14]
    Pour les détails biographiques, je me permets de renvoyer à Thierry Leterre, Alain. Le premier intellectuel, Paris, Stock, 2006. Cette crise de la trentaine n’avait jamais attiré l’attention jusqu’alors, mais elle est bien repérable.
  • [15]
    Le dernier texte est daté du 1er septembre 1914, et se conclut sur une très belle injonction démocratique : « Que chacun de ceux qui attendent rassemble donc toutes ses forces comme une armée. Ne regardez point si les gouvernants tiennent bon, mais soutenez-les et portez-les. Leur force est de nous tous. »
  • [16]
    Voir sur ce point Thierry Leterre, La raison politique. Alain et la démocratie, Paris, Puf, 2000, p. 19.
  • [17]
    Voir Histoire de mes pensées, loc. cit., p. 136 ; Vingt leçons sur les beaux-arts, loc. cit., p. 524 et 555 ; Définitions, loc. cit., p. 1096.
  • [18]
    Jean-Louis Fabiani, Les philosophes de la République, Paris, Éd. du Seuil, 1988, p. 52.
  • [19]
    Sur Alain et Tresch, voir Alain et Tresch 1914-1918. Un philosophe, un peintre dans les tranchées, Lyon, Éd. Mémoire des Arts, 2005.
  • [20]
    « J’ai regardé hier des dessins de Goya. On y voit principalement des monstres qui, hélas, ressemblent à des hommes » (Propos d’un Normand, 18 février 1906).
  • [21]
    Pour revenir sur l’expression de J.-L. Fabiani, op. cit.
  • [22]
    Il faut ajouter le recueil posthume Propos sur les beaux-arts, Paris, Puf, coll. « Quadrige », 1998, qui témoigne du caractère vivant de ce pan de l’œuvre d’Alain. Le Stendhal a été aussi réédité avec des ajouts dans la même collection. Au demeurant, nombre des références ici citées sont recueillies dans l’anthologie des Propos sur les beaux-arts.
  • [23]
    « Marcel Proust, d’ailleurs physiologiste incomparable, et dont la mort certainement nous prive au moins de deux ou trois volumes dont personne ne nous donnera l’équivalent. » (Propos sur l’esthétique, 17.)
  • [24]
    François Foulatier, préface aux Propos sur les beaux-arts, op. cit., p. 7.
  • [25]
    Histoire de mes pensées, loc. cit., p. 135. Histoire de mes pensées est un texte de 1936. Mais il confirme parfaitement un Propos de 1907 : « Je hais les musées. Le beau me paraît quelque chose qu’il faut voir, mais non pas regarder, quelque chose qui accroche un instant les yeux pendant que l’on travaille ou que l’on va à ses affaires. Par exemple, […] Sortir, regarder l’heure à une belle horloge, se hâter, traverser la cour du Palais de Justice ; lever le nez en l’air pour voir s’il pleuvra et apercevoir une gargouille. […] Mais […] passer d’une femme au bain à une autre femme au bain ; répandre le même regard admiratif sur le portrait d’un vieux bonhomme, sur un camp du Drap d’or, sur des couchers de soleil, […] c’est à peu près comme si quelqu’un, quand la bise souffle, s’en allait dans quelque magasin essayer un vêtement bien chaud, et se promenait ensuite sous un léger pardessus, en disant qu’il ne sent pas le froid. » (10 mars 1907.)
  • [26]
    Propos d’un Normand, 1er mars 1906.
  • [27]
    Ibid., 30 mai 1910.
  • [28]
    On a souvent confondu ces positions, très connues, avec une critique générale de l’histoire chez Alain. En fait, il critique surtout un genre descriptif érudit caractérisé par l’accumulation des détails, qui a été depuis remis en cause par le développement de la discipline historique elle-même. Voir Jean-Marie Allaire, « Alain et l’histoire. Regards d’Alain sur l’histoire d’après les Propos d’un Normand de 1906 à 1910 », Bulletin de l’Association des amis d’Alain, 78, octobre 1998, p. 76-78.
  • [29]
    Propos sur les beaux-arts, 13, 11 mars 1922.
  • [30]
    Ibid., 15, mars 1930.
  • [31]
    Propos d’un Normand, 14 juin 1906. Voir aussi le texte du 19 septembre 1909 : « Le démon de la critique ne respecte rien. “S’il faut, disais-je, une longue éducation pour arriver à comprendre les Vierges italiennes ou la Joconde, ou les Impressionnistes, ou n’importe quoi de raffiné en peinture ou en musique, comment saurai-je si je ne suis pas dupe de l’habitude ? Car l’habitude peut tout, et le collectionneur de timbres ne voit rien de plus admirable au monde qu’un timbre rare. […] on sera mystifié neuf fois sur dix, par quelque tachiste […] ou par quelque pétrisseur de clavier, qui aura trouvé une façon rare de vous déchirer les oreilles. […] je ne veux admirer que ce qui sait se faire admirer du premier coup, sans préparation ni éducation” ».
  • [32]
    Ibid., 7 février 1911.
  • [33]
    Ibid., 8 octobre 1912.
  • [34]
    Propos sur les beaux-arts, 87, 27 septembre 1921.
  • [35]
    « J’ai à dire de la musique ce que je disais récemment de la peinture ; c’est que le mépris des règles et des traditions est sain au génie, mais funeste à la médiocrité » (Propos d’un Normand, 8 novembre 1909).
  • [36]
    « Mallarmé qui commença un nouveau siècle de poésie et de pensée » (Journal, 2 février 1938).
  • [37]
    « Baudelaire à mes yeux n’est rien du tout, et les Fleurs du mal me font rire. Le mal est un petit peu plus fort que cela. […] Je comprends que Mallarmé fut prince ; j’admets Verlaine ; Rimbaud… je ne sais » (ibid., 10 décembre 1949).
  • [38]
    « Il n’y a pas longtemps, j’ai vu sur la place du Panthéon un terrible peintre, entouré de curieux. Je reconnus, dans son esquisse déjà avancée, les traits de l’école cubiste ; j’y reconnus aussi des toits et des cheminées, mais penchés et comme suspendus ; le ciel était de côté et en bas, comme un gouffre bleu où tout cela voulait dégringoler. Regardant alors les objets eux-mêmes, j’eus quelque chose de cette impression en penchant la tête » (Propos d’un Normand, 30 mars 1913).
  • [39]
    Dans le Propos du 7 février, Alain note clairement l’esthétisme sophistiqué de ces musiques : « Si l’on se laissait aller, on dirait que cette musique d’à-présent est continuellement désagréable à l’oreille […] ; mais pourtant non […] je me suis appliqué à bien entendre les composantes de tous ces bruits-là et y ai alors reconnu des espèces de règles et méthodes qui m’occupaient l’entendement, et me faisaient oublier le supplice imposé à mes oreilles ». Le Propos du 8 octobre 1912 qui évoque le cubisme fait le même reproche de sophistication esthète à la peinture contemporaine.
  • [40]
    Propos sur les beaux-arts, 1er avril 1929.
En hommage à Jacques Garelli
Le Dieu du poète exprime que nous sommes fils du monde, que le monde rend des espèces d’oracles par sa beauté souveraine, et qu’une nuit étoilée est au-dessus des raisons. Le Dieu du moraliste exprime que le méchant, s’il tue le juste, ne tue point la justice, et que toutes les ruines n’écrasent point le droit.
1er janvier 1911
Il n’y a point de beauté dans leurs propos, et cela est un grand signe.
22 avril 1922

1L’œuvre d’Alain a été l’une des plus fécondes du xxe siècle : la récente édition savante de ses articles antérieurs à la Première Guerre mondiale compte dix volumes de plus de cinq cents pages chacun [1], hors annexes critiques, et quatre tomes de la « Pléiade » ne regroupent qu’une partie, pas même la plus grande partie, de l’œuvre publiée [2]. On doit encore compter avec la foison des inédits, des correspondances, auxquels s’ajoutent les cours d’Alain – il était professeur de philosophie de son métier – dont le recueil formerait encore plusieurs livres. À l’abondance des sources répond la diversité des sujets. Sans être à proprement parler un polygraphe, dans la mesure où l’essentiel de sa pensée demeure d’ordre philosophique et se déploie à l’aide d’un petit nombre de concepts fortement structurés, Alain manifestait des intérêts très divers.

2Dans cette vaste production, la réflexion critique occupe une place notable : Alain écrit sur la littérature, sur la poésie, mais aussi sur les arts, et en 1920 il fait paraître un ouvrage qui embrasse ce large horizon : le Système des beaux-arts[3]. Pour autant l’intervention d’Alain dans le champ artistique ne donne pas simplement à voir une esthétique, mais bien une critique. Alain s’attache à considérer des œuvres précises dont il fait un usage différencié selon les cas, de la notule incidente, jusqu’à l’analyse complète d’un artiste. Ainsi en 1949 – il a alors quatre-vingt-un ans –, Alain publie aux éditions du Dimanche un beau texte illustré, appuyé par des notices savantes de collaborateurs, consacré à Ingres ou le dessin contre la couleur. Recevant à cette occasion un exemplaire d’auteur, il note rapidement dans son Journal[4] que « le résultat final est que l’on regarde bien les tableaux, et c’est quelque chose [5] ». La remarque est symptomatique et peut orienter la réflexion. L’un des buts que se donne Alain est en effet de faire apercevoir l’objet – en l’occurrence l’œuvre – et en cela, la critique est fidèle à une métaphysique réaliste pour laquelle l’idée a pour tâche de faire paraître le réel [6]. Il ne s’agit donc pas uniquement de « penser l’art » mais de regarder, d’un point de vue essentiellement philosophique, des œuvres. Pour partager ce regard, il faut comprendre l’élargissement du rôle du philosophe qui caractérise la pensée d’Alain, à partir d’une réorientation de sa trajectoire autour des années 1900. On peut alors saisir le sens, ou plutôt les sens, que revêt l’interrogation philosophique sur l’œuvre d’art – qui inclut naturellement l’œuvre littéraire aux yeux d’Alain [7].

1900

3Le terme « critique » possède chez Alain une valeur forte, héritée de Kant dont, comme tous les philosophes de son époque, et particulièrement les philosophes républicains, il a subi l’influence au point que sa pensée a été « nourrie de Kantisme [8] ». Il renvoie à une métaphysique où l’entendement n’est pas « créateur » mais « législateur » de la nature : dans une perspective fidèle à Kant, la critique a pour objet de dégager cette législation et d’en faire voir la puissance. Mais rapidement, et du reste dans une évolution liée à cette orientation métaphysique [9], le terme critique admet une acception politique : la critique, c’est l’attitude que les citoyens d’une démocratie doivent maintenir [10]. Représentant l’exercice de la liberté de la réflexion, elle est un des terrains d’exercice de la liberté politique, et Alain aime à parler de « libre critique [11] ».

4Cet exercice de libre critique est consubstantiel à l’intervention sur la scène publique qui caractérise l’entreprise alinienne : c’est en 1900, le 14 mai exactement, qu’est né cet « Alain », intellectuel public s’exprimant dans un journal de gauche. « Alain », il est vrai, n’est qu’un pseudonyme derrière lequel se cache un philosophe de trente-deux ans, professeur au lycée de la ville éponyme de cette Dépêche : Émile Chartier. Poussé par les remous de l’affaire Dreyfus, il a décidé de donner de la plume pour soutenir la politique radicale en collaborant à ce quotidien républicain. Il y écrit un peu de tout, jusqu’aux faits divers comme il le raconte dans son autobiographie intellectuelle, Histoire de mes pensées :

5

Il se fonda un journal radical, qui aussitôt manqua d’argent et de rédacteurs ; il ne mourut pourtant qu’après que j’eus quitté la ville. C’est peu de dire que je l’aidai ; j’arrivai bientôt à y faire le principal. […] Le fait est que j’y passais mes soirées, souvent jusqu’au matin. […] C’est alors que j’écrivis des chroniques, à l’applaudissement de tous ; et en effet c’était raisonnable et plat. […] Cependant j’avais occasion de conseiller le gamin qui était chargé des faits divers. Je lui appris comment on fait un incendie, une fête publique, un bel enterrement, un lancement de vaisseau. Il n’avançait guère et dans les grandes circonstances je fis le travail moi-même, au galop, et sans signer[12].

6Cette expérience du journalisme, dont aujourd’hui encore nous n’avons qu’une image partielle [13], marque de manière décisive le philosophe. En 1900, Alain est à une période charnière de son existence et de sa production, qui sent la crise de la trentaine [14]. D’une part, le professeur Émile Chartier s’ennuie dans sa vie provinciale et depuis deux ans il demande sa mutation – qu’il obtient justement à la rentrée de septembre 1900 où il part à Rouen. D’autre part, le philosophe ne sait pas vraiment où il en est : écrire une thèse ne le tente pas vraiment, et s’il en envisage le projet, c’est sans enthousiasme. En cette année où le siècle se retourne, il s’apprête à publier aux éditions Delaplane un Spinoza – dont il écrit à l’occasion de sa réédition en 1946 que c’était un « résumé exact et bien sage ». Il donne régulièrement des contributions à la Revue de métaphysique et de morale, la prestigieuse revue de la jeune génération philosophique créée en 1893 par Xavier Léon qu’il a rencontré par son ami Élie Halévy : en cette année 1900, il y signe un texte sur « Le problème de la perception ». En juillet, il participe au premier congrès international de philosophie (où il donne une communication « L’éducation du moi »), et devient membre de cette société française de philosophie qui vient juste de se créer. Émile Chartier, ancien normalien et agrégé de l’université est incontestablement bien inséré dans le milieu philosophique.

7En même temps, il ne s’y sent pas tout à fait à son aise, précisément parce que le milieu universitaire est trop peu libre à ses yeux. Il sent qu’il a autre chose à faire. Quoi ? Il s’est vaguement essayé au théâtre, sans donner suite. En fait, le journalisme va lui offrir la réponse. Après la Dépêche de Lorient qui arrête sa publication, Alain s’engage dans la politique concrète et participe à la campagne électorale de Louis Ricard à Rouen en 1902 – un échec qui le laisse épuisé, mais bien conscient qu’il ne veut plus participer directement à la lutte électorale. À partir de 1903 il reprend le journalisme éditorial, cette fois à la Dépêche de Rouen et de Normandie, à nouveau sous la signature d’Alain qui devient définitivement son nom de plume. En 1906 se produit la dernière rupture nécessaire : insatisfait de ses longues contributions à la Dépêche appelées « Propos du dimanche » puis « Propos du lundi » (en fonction du jour de publication), il change radicalement de style et de rythme : désormais ses textes journalistiques seront quotidiens et tiendront sur deux feuillets. Ce sont les Propos d’un Normand qu’Alain poursuit jusqu’à son départ à la guerre, en 1914 [15]. À son retour de guerre, Alain ne revient pas au journalisme quotidien, mais restera fidèle, jusqu’en 1936, au style fragmentaire du Propos. Alain a trouvé son expression à travers l’invention d’un genre littéraire qui lui est propre.

8En réorientant l’œuvre et les intérêts d’Alain – et en créant au sens propre Alain – la période 1900-1906 a vu la transformation du philosophe du « genre sérieux » comme il l’écrit lui-même en intellectuel moderne, intervenant sur tous sujets, et ne se cantonnant pas aux domaines traditionnels de la philosophie universitaire. Or, dans cette échappée, il faut compter avec deux orientations. La première, très nette, c’est l’intérêt politique, extrêmement rare pour les philosophes de l’époque, malgré l’intérêt que suscitent les questions de morale pratique. Mais c’est plus la sociologie que la philosophie ou la théorie politiques qui s’imposent sur ce registre [16]. La seconde, c’est justement l’intérêt, progressivement dégagé, pour l’art et sa critique.

Découvrir l’art

9La référence à l’art, et plus généralement, l’entreprise critique d’œuvres littéraires et artistiques font partie de l’ouverture qu’Alain a recherchée en conquérant une audience moins conventionnelle que les philosophes de la Revue de métaphysique et de morale, de la Société française de philosophie, ou des congrès internationaux. En s’adressant au public des journaux, Alain invente un autre type d’expression que l’écriture universitaire et l’intérêt pour l’activité littéraire et artistique lui sert de borne miliaire pour mesurer la distance. En effet, l’esthétique est délaissée dans les préoccupations philosophiques « légitimes », telle que l’institution les présente. L’influence de Kant sur les philosophes de l’époque assure sans doute la diffusion de la Critique de la faculté de juger, alors traduite par Barni sous le titre Critique du jugement, qui représente l’un des grands textes de l’analyse du beau. Alain s’y réfère volontiers [17]. Mais c’est peu et dans le comptage de Jean-Louis Fabiani sur les programmes officiels, l’étude de l’art ne figure même pas [18]. Même Alain – ou plutôt Chartier – en témoigne à sa manière. Lorsqu’il endosse son rôle d’universitaire philosophe, il ne se réfère pas à l’univers de l’art : sur les dix-neuf livraisons données à la Revue de métaphysique et de morale entre 1893 et 1907, pas une ne concerne l’esthétique.

10On comprend dès lors que dans son autobiographie intellectuelle, Histoire de mes pensées, Alain puisse parler de sa découverte tardive des problèmes d’esthétique, dans la boue des tranchées au moment de Verdun. L’intérêt lui vient de ses discussions avec son capitaine, Georges Albert Tresch. Tresch, officier dur et peintre doué [19]. Le récit qui insiste sur la découverte de ce type de questions est peut-être forcé, car dès avant guerre nous possédons des analyses dispersées sur la littérature et les arts. Mais ce forçage est significatif : dans l’économie narrative, il a pour but d’indiquer que la discussion de l’art est totalement étrangère à la formation universitaire, que c’est dans la vie de l’homme, au moment le plus difficile de son existence et non dans la poussière des classes que sa réflexion s’est éveillée.

11Aussi bien, l’exercice de critique d’art coïncide avec la mise en scène d’une autre manière de faire en philosophie, d’un autre genre de réflexion philosophique. Même si la production fragmentaire des Propos masque au début du siècle l’importance du registre critique, Alain se réfère volontiers à la littérature, moins à la peinture ou la sculpture. Mais avec la guerre son intérêt se fait spectaculairement visible au moment où il écrit son Système des beaux-arts dont il achève une première version en 1917 et qu’il reprend en 1919. Le livre offre une perspective d’ensemble sur une réflexion qui couvre tous les domaines, des arts du spectacle et du corps jusqu’à la littérature en prose.

12En fait, la référence à l’art apparaît dès la première apparition de la signature « Alain », dans une chronique, pourtant consacrée à un sujet sans rapport à l’esthétique, les accidents ferroviaires et leur prévention. Alain glisse en incise : « Nous sommes toujours pour la règle, comme au temps de la tragédie classique. » Mince phrase, à coup sûr, et qu’Alain dans sa maturité aurait considéré comme une faute de style – introduisant une considération sans rapport avec le sujet, mais qui met en court-circuit, l’univers de la réflexion sur le quotidien et l’expression littéraire du théâtre. L’univers social, l’univers artistique se trouvent, maladroitement, mis en parallèle dans une ouverture soudaine et cela possède une double fonction : une fonction critique des règles convenues de l’art, celles qu’on apprend au lycée, avec les « lois » de la tragédie sociale, et une fonction de distanciation d’Alain par rapport à l’université. Dans le sage univers des classes de philosophie, les accidents n’existent pas, seules les tragédies comptent. Dans la réalité, on rencontre peu d’Andromaque et beaucoup de bourgeois qui se tâtent pour sortir d’un train arrêté en pleine voie au risque de payer seize francs d’amende…

13L’irruption est donc modeste, mais elle est significative et ira s’élargissant : dès le troisième de ses Propos d’un Normand, et le premier vraiment réussi, il fait référence à Goya [20]. On constate la même stratégie rhétorique que dans sa chronique ferroviaire, mais appliquée différemment. Ce n’est plus la littérature qui est mise en parallèle avec l’expérience sociale, mais la peinture qui forme un modèle pour la science appliquée :

14

Essayons donc de voir juste, de peindre juste, de décrire juste. Efforçons-nous de voir toutes choses de la même manière que l’Annuaire du bureau des longitudes décrit le système solaire.

15Dans les deux cas on retrouve une même utilisation de l’art (littéraire ou pictural) comme forme d’expression mise sur le même plan qu’une autre (l’analyse du fait ou la science des phénomènes) qui semblerait plus légitime. Et c’est là le point important. L’entreprise critique ne constitue pas un déplacement des intérêts, c’est un élargissement des objets d’analyse dans lequel Alain indique qu’il y a plus d’un chemin pour saisir la réalité. La philosophie, y compris la philosophie la plus classique à l’époque, la philosophie de la perception, est capable d’emprunter d’autres voies de réflexion. Cette ouverture est bien liée à la rupture par rapport à la philosophie universitaire, et à l’invention d’un modèle d’écrivain-créateur pour le philosophe [21], pour lequel la référence à l’art est particulièrement précieuse.

16Par la suite, une œuvre proprement critique répond à cet intérêt pour l’art. En 1922, Alain donne en livraisons à la Revue musicale sa Visite au musicien, qui a été éditée à la NRF cinq ans plus tard, où Alain insère des fragments de portée qu’il commente comme on le ferait d’une citation d’auteur. L’année suivante, ses Propos d’esthé­tique chez Stock montrent que les remarques à propos de l’art dispersées dans ses Propos peuvent être recueillies pour donner une image d’ensemble de ses interventions. Il faut attendre 1931 pour qu’un nouveau texte paraisse sur le sujet avec les Vingt leçons sur les beaux-arts données à la NRF. En 1937, Alain qui s’est intéressé à la musique avec sa Visite de 1922 fait paraître chez Hartmann des Entretiens chez le sculpteur qui sont suivis en 1939 par Préliminaires à l’esthétique que la NRF publie. Après guerre, le texte sur Ingres vient ajouter un court livre sur la peinture. Entre-temps, Alain a peuplé l’écriture privée de son Journal de remarques sur les arts. La réflexion critique est même l’essentiel de ces pages, bien avant même la politique ou la philosophie [22].

17Parallèlement à cette réflexion sur les arts au sens propre, Alain a développé une réflexion critique sur la littérature. En 1929, 1930 et 1936 il consacre des commentaires, respectivement à Charmes, Sémiramis, et La jeune Parque de Valéry, un poète qu’il apprécie particulièrement et qu’il a rencontré par l’intermédiaire de Henri Mondor. En 1933, comme il l’avait fait pour les arts, il recueille ses réflexions en un volume de Propos sur la littérature chez Hartmann et en 1935 il publie coup sur coup son étude Avec Balzac dans une curieuse édition des Laboratoires Martinet, et un Stendhal chez Rieder. À la sortie de la guerre, il publie En lisant Dickens à la NRF.

18Prise dans son ensemble, l’entreprise critique et esthétique d’Alain est donc considérable ; il faudrait lui ajouter les textes consacrés à des philosophes, et finalement rassemblés dans le volume Idées. Elle s’enrichit encore de toutes les notations laissées au fil de textes qui ne sont pas spécialement consacrés à la littérature ou l’art, mais qui peuvent signaler la parution d’un livre qu’il peut juger intéressant. Ainsi découvre-t-on son intérêt pour Proust [23], ou pour des auteurs moins connus aujourd’hui comme Schlumberger. Son Journal est également rempli d’analyses sur divers auteurs, classiques ou modernes.

La posture critique

19La part considérable qu’Alain consacre à la critique, littéraire et artistique, signe donc sa volonté d’instaurer un nouveau rapport entre le philosophe et son public, mais aussi entre la philosophie et son objet. Dans l’entre-deux-guerres, parce que sa participation aux journaux n’a pas – n’a plus – une valeur exclusivement politique, il peut s’attarder sur d’autres sujets comme la littérature ou les beaux-arts ; et parce que son écriture n’est pas universitaire il peut adopter la position du critique par excellence, la position de celui qui donne son avis, offre un jugement, plus qu’il n’analyse en spécialiste. La raison essentielle est sans doute, comme l’a écrit François Foulatier, que la règle qui guide Alain dans ses remarques est d’abord celle du plaisir, plaisir immédiat de la sensation de beauté [24]. Il fait part de son opinion raisonnée, exprime pourquoi telle œuvre retient son attention, ce qu’il y trouve de spécial et d’unique. En cela, il récuse une posture savante pour laquelle il se sait faiblement équipé d’une part, et qui d’autre part lui semble secondaire par rapport à l’illumination de l’œuvre :

20

J’ignorais complètement l’histoire des arts. Au Louvre j’étais resté ébahi de la Victoire ; le reste avait passé sur moi comme la pluie. Un peu avant la guerre j’avais vu au Brera à Milan le Mariage de la Vierge, qui m’avait transpercé. Mais je dois dire que longtemps les musées m’endormirent à force d’ennui, et que j’avais en haine les monuments. Je les voyais malgré moi, et je crois encore que c’était la bonne manière[25].

21Ce n’est pas en fonction d’un savoir que l’activité critique se déploie chez Alain. Au demeurant ce type de savoir qui répertorie les œuvres, les écoles, les tendances, les détails, lui demeure suspect. Il peut ainsi déclarer, à propos de la littérature, que « les petits barbouilleurs de papier et rats de bibliothèque qui font l’histoire littéraire me sont suspects [26] ». Le modèle du savoir spécialisé écarté, c’est le jugement qui importe à Alain. Tel est le moteur de sa réflexion critique : non pas accumuler les détails sur une œuvre, mais bien la comprendre dans ses articulations. Ainsi dans un « propos » de 1910, où il met en scène plaisamment un « professeur Cervelet » « roi des bibliothécaires », qui dessine un vaste plan de savoir universel, Alain adopte la position du narrateur qui s’interroge, au grand dépit de son interlocuteur : « La moindre chose humaine tient à toutes vos sciences. Qui la pensera comme il faut ? Qui aura du jugement [27] ? » Ici Alain se livre à une dénonciation – qu’il reprend constamment – d’une certaine forme de savoir « historien » limitée à décrire la réalité dans un détail supposé, au lieu de réfléchir à son sens [28].

22Non seulement Alain avoue n’être pas un connaisseur, mais il confesse n’être pas non plus un amateur : il ne cherche pas la sensation rare, l’expression d’un goût sophistiqué, mais plutôt l’émotion commune. En cela, il y a bien une démocratie du goût, et Alain peut opposer le savant qui dissout l’œuvre « dans l’histoire environnante [29] » et l’esthète pour lequel l’art est « un plat fin [30] », à la liberté du jugement esthétique, ce qui le pousse à assumer des goûts populaires à côté de lectures plus « distinguées » comme Ibsen ou Proust :

23

Il n’y a pas bien longtemps, j’étonnai des gens simples et sincères, résolus à s’instruire et à s’élever, en leur citant, parmi mes auteurs favoris, le père Dumas à côté de Balzac, de Stendhal, d’Ibsen et de Tolstoï. Remarquez que ce n’est pas là un paradoxe, et comme un pied de nez à l’Académie française : c’est un fait. J’ai relu, et il n’y a pas bien longtemps, une fois de plus les onze volumes où sont racontés les exploits de d’Artagnan et des autres ; je les ai relus d’une haleine, avec un plaisir très vif, c’est un fait.

24Dans ce même texte de 1906, Alain formule sa règle de plaisir, contre le jugement savant :

25

Un homme qui sait ce que c’est que le beau, je le fuis. […] Je prétends suivre mon plaisir, et le laisser courir ici et là, comme un joyeux enfant. La seule règle du goût est celle-ci : lire ingénument, simplement ; galoper en imagination avec l’auteur, bride abattue : l’expérience est simple, facile à faire, et décisive. Pour savoir si Andromaque m’ennuie, je n’ai pas besoin de consulter Trissotin, critique[31].

26C’est justement cette liberté sans recherche – cette « libre critique » donc, qui aux yeux d’Alain peut donner une valeur à son jugement :

27

Comme j’étais, l’autre jour, à un petit concert de musique moderne […] je fis un certain nombre de remarques qui, parce que je ne suis pas un instrumentiste, ni un compositeur, ni un critique payé, ont peut-être de l’importance pour l’histoire des beaux arts en ce temps[32].

28Le fait de ne pas être un critique savant devient précisément un avantage, celui de la spontanéité d’un jugement qui n’est pas encore déformé par le préjugé. La critique d’art rejoint alors l’entreprise critique au sens traditionnel en philosophie, celui d’une discrimination objective au nom de la raison commune. Mais elle rejoint aussi l’inspiration politique de l’intervention du philosophe : si la beauté est ce qui plaît universellement d’après la définition kantienne, alors il y a une valeur proprement démocratique à l’art, un « vivre ensemble » esthétique dont Alain affirme la valeur : « Le propre d’une œuvre d’art […] est qu’elle agisse sur tous, sans préparation, sans effort, et même sans attention [33] ». Le vivre ensemble par l’art qui est ici dessiné n’échappe pas du reste aux exigences d’une démocratie de la culture et de l’éducation qui fonde les conceptions d’Alain : en cherchant à partager ses goûts avec un public qu’il veut large et ordinaire, il ne vise pas une « moyennisation » du goût ou un style populaire ou vulgaire, mais témoigne d’une volonté d’éducation du public car « le jugement humain est errant et comme égaré, s’il n’est éclairé par des œuvres [34] ».

29Ce refus du préjugé, et cette volonté de s’associer au goût commun ne signifient pas pour autant que les goûts d’Alain soient académiques. Sa critique récurrente des tragédies du xviie siècle le montre : il est allergique à l’idée que des règles font une œuvre, même s’il reconnaît la valeur de celles-ci à titre d’exercice [35]. Mais il demeure proche du romantisme (Stendhal, Balzac, Dickens sont les trois auteurs auxquels il consacre des commentaires étendus) même s’il lui arrive de pousser jusqu’aux contreforts d’auteurs moins conventionnels comme Mallarmé [36]. Les artistes maudits comme Baudelaire ou Rimbaud ne le touchent guère en revanche [37]. Après guerre, ses goûts sont fixés, et le surréalisme par exemple n’a aucun écho en lui. En ce qui concerne la peinture, il note sans émotion le cubisme [38] et, en musique, la liberté avec laquelle les compositeurs qui lui sont contemporains en usent par rapport à l’harmonie traditionnelle le laisse sceptique, mais pas forcément hostile [39]. Pour l’essentiel Alain s’abstient de commenter l’actualité artistique à laquelle il est peu sensible, sauf dans le domaine littéraire. Ici Alain se fait volontiers feuilletoniste, recommandant telle ou telle parution à ses lecteurs. Le pli est bien marqué et se transmet dans l’entourage d’Alain. Lorsque dans les années vingt, Michel Alexandre fait paraître autour de l’œuvre d’Alain une revue, les Libres Propos, il met en bonne place la critique littéraire. Celle-ci est tenue par Jeanne Alexandre qui offre sur les treize années (plus ou moins régulières) de la publication une chronique impressionnante de la vie littéraire.

30Finalement c’est à un partage de l’intelligence que toute entreprise critique invite. Mais cet appel ne tient pas au critique. Il vient de l’objet d’art lui-même : « les belles œuvres », écrit Alain dans un paradoxe subtilement construit, ne « plaisent » pas. « Elles saisissent et sans permission [40]. » La beauté, en d’autres termes, n’est pas l’agrément. L’agrément nous laisse indifférent, et nous dote d’un plaisir standardisé, attendu. La beauté de l’œuvre, elle, s’interpose et se jette à nos sens. Elle ouvre à une profondeur d’être que nous ne soupçonnions pas avant elle. En ce sens, l’œuvre appelle la critique en constituant une sorte d’énigme, une « sorte de violence » et nous retient. La critique ne s’impose pas alors à l’art, c’est l’art qui suscite le désir qu’on réponde à la question qu’il pose et qu’il ne cesse de poser. La critique n’est que l’assentiment à jouer ce jeu essentiel.

31L’œuvre est un appel, la critique n’est qu’une réponse. Non pas un écho, mais plutôt un prolongement de ce choc initial que la beauté produit en nous. Prolongement qui se fait en direction d’autrui, et en cela il y a une dimension démocratique à la critique, qui rejoint la nécessité pour une république vivante de posséder des citoyens vigilants, exerçant eux-mêmes leur jugement critique sur toute chose, et cela bien au-delà de la politique. Aussi bien, le thème critique chez Alain articule, de manière profonde et inaperçue, une métaphysique de la réalité et une politique du vivre ensemble. L’art, nous dit Alain, n’est rien autre chose que le choc du réel sur nous – choc des formes, choc des couleurs, choc des traits, choc des sons, choc des volumes, choc des mots et des sens. Et c’est parce que le réel nous choque ainsi que certaines expériences en rendent compte – dans l’activité personnelle par l’art, dans la collectivité par la délibération commune propre à la démocratie. Si la réalité était lisse, nous n’aurions ni jugement esthétique ni jugement politique – ni art ni démocratie. Mais parce que la réalité ne cesse de se produire devant nous comme une énigme, il nous faut entreprendre l’un et l’autre. C’est bien une activité, il faut le remarquer. L’exercice du jugement critique n’est pas simplement la production d’opinion, mais une forme de l’action – l’engagement politique, mais aussi l’engagement esthétique. Et c’est sans doute le dernier point qu’il faut souligner. Le prolongement de la beauté en Alain ne s’est pas seulement traduit en textes sur l’art, mais il s’est métamorphosé en une pratique artistique intense. Alain aimait son piano, ses pochades, et s’est même brièvement essayé à la sculpture. En politique comme dans l’art, le critique était aussi homme d’action.


Date de mise en ligne : 16/06/2008.

https://doi.org/10.3917/mnc.026.0091

Notes

  • [1]
    Propos d’un Normand 1906-1914, édités par l’Institut Alain (un volume par année, premier volume 1990, dernier volume 2000), suivis de Premier journalisme d’Alain (2001), d’un catalogue par Pierre Zachary et d’un volume d’errata.
  • [2]
    Deux volumes de Propos (Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1956 et 1970), ainsi que Les arts et les dieux (Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1958) et Les passions et la sagesse (Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1960).
  • [3]
    Système des beaux-arts rédigé pour les artistes en vue d’abréger leurs réflexions préliminaires par l’auteur des Propos d’Alain (Paris, Gallimard, 1920). Le livre est réédité sans le sous-titre ironique en 1926.
  • [4]
    Le Journal est inédit, mais accessible à la Bnf, section des manuscrits, et à l’Institut Alain – à qui je dois une version électronique du texte.
  • [5]
    Journal, à l’entrée du 17 octobre 1949.
  • [6]
    « Nos idées sont le tissu même du monde perçu » (Les idées et les âges, in Les passions et la sagesse, op. cit., p. 64).
  • [7]
    On trouvera ci-après trois sortes de citation : les Propos d’avant 1914 sont cités à leur date dans l’édition de référence, celle de l’Institut Alain. Les Propos d’après guerre sont cités dans le recueil Propos sur les beaux-arts, et les œuvres sont citées dans « La Pléiade ».
  • [8]
    Georges Pascal, « Le kantisme d’Alain », in Robert Bourgne, Alain. Lecteur des philosophes de Platon à Marx, Paris, Bordas-Institut Alain, 1987, p. 96.
  • [9]
    « Alain tire de Kant une autre raison d’être radical plutôt que socialiste » (ibid., p. 107).
  • [10]
    Par exemple (entre des dizaines de références) : « Des citoyens préparés à la réflexion et à la critique sont le trésor d’une démocratie » (Propos d’un Normand, 17 mars 1906).
  • [11]
    « Allons-nous donc, par bonté d’âme, épargner à l’erreur et à l’ignorance les attaques de la libre critique ? » (14 juin 1900, in Alain, Premier journalisme d’Alain, op. cit.) ; « Tous auront quelque idée de ce que c’est que libre recherche, et libre critique » (Propos d’un Normand, 21 juillet 1906, voir aussi 13 novembre 1906 : « Les bienfaits de la libre critique ») ; « Les Privilégiés ont une espèce de défense instinctive contre la libre critique » (Propos d’un Normand, 3 septembre 1912), etc.
  • [12]
    Histoire de mes pensées, in Les arts et les dieux, op. cit., p. 42-43.
  • [13]
    En effet, les textes signés Alain ont été regroupés dans le volume Premier journalisme d’Alain qui clôt la grande édition des Propos d’un Normand (2001). Mais les textes anonymes qu’Alain reconnaît avoir écrit pour la Dépêche de Lorient n’ont pas encore été identifiés.
  • [14]
    Pour les détails biographiques, je me permets de renvoyer à Thierry Leterre, Alain. Le premier intellectuel, Paris, Stock, 2006. Cette crise de la trentaine n’avait jamais attiré l’attention jusqu’alors, mais elle est bien repérable.
  • [15]
    Le dernier texte est daté du 1er septembre 1914, et se conclut sur une très belle injonction démocratique : « Que chacun de ceux qui attendent rassemble donc toutes ses forces comme une armée. Ne regardez point si les gouvernants tiennent bon, mais soutenez-les et portez-les. Leur force est de nous tous. »
  • [16]
    Voir sur ce point Thierry Leterre, La raison politique. Alain et la démocratie, Paris, Puf, 2000, p. 19.
  • [17]
    Voir Histoire de mes pensées, loc. cit., p. 136 ; Vingt leçons sur les beaux-arts, loc. cit., p. 524 et 555 ; Définitions, loc. cit., p. 1096.
  • [18]
    Jean-Louis Fabiani, Les philosophes de la République, Paris, Éd. du Seuil, 1988, p. 52.
  • [19]
    Sur Alain et Tresch, voir Alain et Tresch 1914-1918. Un philosophe, un peintre dans les tranchées, Lyon, Éd. Mémoire des Arts, 2005.
  • [20]
    « J’ai regardé hier des dessins de Goya. On y voit principalement des monstres qui, hélas, ressemblent à des hommes » (Propos d’un Normand, 18 février 1906).
  • [21]
    Pour revenir sur l’expression de J.-L. Fabiani, op. cit.
  • [22]
    Il faut ajouter le recueil posthume Propos sur les beaux-arts, Paris, Puf, coll. « Quadrige », 1998, qui témoigne du caractère vivant de ce pan de l’œuvre d’Alain. Le Stendhal a été aussi réédité avec des ajouts dans la même collection. Au demeurant, nombre des références ici citées sont recueillies dans l’anthologie des Propos sur les beaux-arts.
  • [23]
    « Marcel Proust, d’ailleurs physiologiste incomparable, et dont la mort certainement nous prive au moins de deux ou trois volumes dont personne ne nous donnera l’équivalent. » (Propos sur l’esthétique, 17.)
  • [24]
    François Foulatier, préface aux Propos sur les beaux-arts, op. cit., p. 7.
  • [25]
    Histoire de mes pensées, loc. cit., p. 135. Histoire de mes pensées est un texte de 1936. Mais il confirme parfaitement un Propos de 1907 : « Je hais les musées. Le beau me paraît quelque chose qu’il faut voir, mais non pas regarder, quelque chose qui accroche un instant les yeux pendant que l’on travaille ou que l’on va à ses affaires. Par exemple, […] Sortir, regarder l’heure à une belle horloge, se hâter, traverser la cour du Palais de Justice ; lever le nez en l’air pour voir s’il pleuvra et apercevoir une gargouille. […] Mais […] passer d’une femme au bain à une autre femme au bain ; répandre le même regard admiratif sur le portrait d’un vieux bonhomme, sur un camp du Drap d’or, sur des couchers de soleil, […] c’est à peu près comme si quelqu’un, quand la bise souffle, s’en allait dans quelque magasin essayer un vêtement bien chaud, et se promenait ensuite sous un léger pardessus, en disant qu’il ne sent pas le froid. » (10 mars 1907.)
  • [26]
    Propos d’un Normand, 1er mars 1906.
  • [27]
    Ibid., 30 mai 1910.
  • [28]
    On a souvent confondu ces positions, très connues, avec une critique générale de l’histoire chez Alain. En fait, il critique surtout un genre descriptif érudit caractérisé par l’accumulation des détails, qui a été depuis remis en cause par le développement de la discipline historique elle-même. Voir Jean-Marie Allaire, « Alain et l’histoire. Regards d’Alain sur l’histoire d’après les Propos d’un Normand de 1906 à 1910 », Bulletin de l’Association des amis d’Alain, 78, octobre 1998, p. 76-78.
  • [29]
    Propos sur les beaux-arts, 13, 11 mars 1922.
  • [30]
    Ibid., 15, mars 1930.
  • [31]
    Propos d’un Normand, 14 juin 1906. Voir aussi le texte du 19 septembre 1909 : « Le démon de la critique ne respecte rien. “S’il faut, disais-je, une longue éducation pour arriver à comprendre les Vierges italiennes ou la Joconde, ou les Impressionnistes, ou n’importe quoi de raffiné en peinture ou en musique, comment saurai-je si je ne suis pas dupe de l’habitude ? Car l’habitude peut tout, et le collectionneur de timbres ne voit rien de plus admirable au monde qu’un timbre rare. […] on sera mystifié neuf fois sur dix, par quelque tachiste […] ou par quelque pétrisseur de clavier, qui aura trouvé une façon rare de vous déchirer les oreilles. […] je ne veux admirer que ce qui sait se faire admirer du premier coup, sans préparation ni éducation” ».
  • [32]
    Ibid., 7 février 1911.
  • [33]
    Ibid., 8 octobre 1912.
  • [34]
    Propos sur les beaux-arts, 87, 27 septembre 1921.
  • [35]
    « J’ai à dire de la musique ce que je disais récemment de la peinture ; c’est que le mépris des règles et des traditions est sain au génie, mais funeste à la médiocrité » (Propos d’un Normand, 8 novembre 1909).
  • [36]
    « Mallarmé qui commença un nouveau siècle de poésie et de pensée » (Journal, 2 février 1938).
  • [37]
    « Baudelaire à mes yeux n’est rien du tout, et les Fleurs du mal me font rire. Le mal est un petit peu plus fort que cela. […] Je comprends que Mallarmé fut prince ; j’admets Verlaine ; Rimbaud… je ne sais » (ibid., 10 décembre 1949).
  • [38]
    « Il n’y a pas longtemps, j’ai vu sur la place du Panthéon un terrible peintre, entouré de curieux. Je reconnus, dans son esquisse déjà avancée, les traits de l’école cubiste ; j’y reconnus aussi des toits et des cheminées, mais penchés et comme suspendus ; le ciel était de côté et en bas, comme un gouffre bleu où tout cela voulait dégringoler. Regardant alors les objets eux-mêmes, j’eus quelque chose de cette impression en penchant la tête » (Propos d’un Normand, 30 mars 1913).
  • [39]
    Dans le Propos du 7 février, Alain note clairement l’esthétisme sophistiqué de ces musiques : « Si l’on se laissait aller, on dirait que cette musique d’à-présent est continuellement désagréable à l’oreille […] ; mais pourtant non […] je me suis appliqué à bien entendre les composantes de tous ces bruits-là et y ai alors reconnu des espèces de règles et méthodes qui m’occupaient l’entendement, et me faisaient oublier le supplice imposé à mes oreilles ». Le Propos du 8 octobre 1912 qui évoque le cubisme fait le même reproche de sophistication esthète à la peinture contemporaine.
  • [40]
    Propos sur les beaux-arts, 1er avril 1929.
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